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Date : 20190408


Dossier : IMM-3275-18

Référence : 2019 CF 430

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

GAMINI KEERTHIRATNE

KULASURIYA ARACHEHIG

(alias GAMINI KEERTHIRATNE KULARIYA ARACHCHIGE)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Gamini Keerthiratne Kulasuriya Arachehig, est un citoyen du Sri Lanka âgé de 58 ans qui est arrivé au Canada en novembre 2012. Quatre jours après son arrivée, il a demandé l’asile. Dans une décision datée du 15 juin 2018, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni celle de personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]  Puisque le demandeur a présenté sa demande d’asile au Canada avant le 15 décembre 2012, date à laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR est entrée en activité, sa demande fait partie des anciens cas, et il n’a pas accès à la SAR. Par conséquent, il a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SPR aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR. Le demandeur demande à la Cour de casser la décision de la SPR et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.  Le contexte

[3]  Le demandeur craint pour sa vie et pour sa sécurité au Sri Lanka. Il craint de subir des actes de violence aux mains d’un politicien influent du nom de Mervyn Silva et des fiers‑à‑bras de celui-ci, notamment son fils, Malaka Silva. Il craint aussi la police sri‑lankaise, qui a été poussée par Mervyn Silva à s’en prendre à lui.

[4]  Le demandeur allègue que son épouse a été enlevée et assassinée par Mervyn et Duminda Silva en août 2003. Avant sa mort, l’épouse du demandeur faisait de la politique active et appuyait le Parti national uni (l’UNP). Le demandeur prétend qu’il est partisan et membre de l’UNP depuis 1999.

[5]  Le demandeur affirme que son frère et lui ont été emprisonnés par l’armée du Sri Lanka en février 2003 et détenus pendant une semaine, car ils étaient accusés de soutenir les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il est demeuré au Sri Lanka jusqu’en août 2004 lorsqu’un passeur a pris des dispositions pour qu’il se rende aux États‑Unis et y demande l’asile. Sa demande d’asile a été rejetée en octobre 2010, et il est rentré au Sri Lanka.

[6]  À partir de mars 2011 jusqu’au début d’août 2012, le demandeur a été gérant d’une poissonnerie. Les fiers‑à‑bras de Mervyn Silva extorquaient alors de l’argent à toutes les poissonneries du marché de poisson, mais le demandeur a refusé de les payer. Le 8 août 2012, le demandeur a été arrêté pour avoir diffamé Mervyn Silva, détenu pendant cinq jours et battu et menacé de mort s’il continuait à s’opposer à Mervyn Silva. La mère du demandeur a soudoyé quelqu’un pour le faire sortir de prison, bien que la police ait allégué que le demandeur s’était évadé.

[7]  Après sa sortie de prison, le demandeur a vécu caché. Un avocat lui a fait savoir que la meilleure solution pour lui serait de quitter le pays. Un passeur a pris des dispositions pour faire sortir sans encombre le demandeur du Sri Lanka, et ce dernier est parti le 23 novembre 2012. Le demandeur prétend que la police, Malaka Silva et des fiers‑à‑bras ont continué à le chercher après son départ du Sri Lanka.

[8]  Le demandeur affirme que la police s’est rendue à son domicile au Sri Lanka au milieu de 2013 pour savoir où il se trouvait. Des policiers ont parlé à sa mère et affirmé qu’ils voulaient arrêter le demandeur. En décembre 2013, des fiers‑à‑bras associés à Mervyn et à Malaka Silva se sont rendus au domicile du demandeur pour le voir. Ce type d’incident a cessé, jusqu’en septembre 2017, lorsque la police s’est présentée deux fois au domicile du demandeur parce qu’elle avait appris qu’il était rentré au Sri Lanka.

[9]  Le demandeur a déclaré à son audience devant la SPR qu’il craignait toujours Duminda et Mervyn Silva parce que ceux-ci étaient en mesure d’influencer la police, même après les élections de 2015 à l’issue desquelles l’UNP a pris le pouvoir et même si Mervyn Silva n’était plus député.

II.  La décision de la SPR

[10]  Après avoir résumé les allégations du demandeur, la SPR a souligné que la demande d’asile, lorsque le demandeur était arrivé en 2012, reposait sur le fait qu’il avait été persécuté par un infâme ministre du Parti de la liberté du Sri Lanka en raison des activités politiques menées par son épouse et par lui-même en faveur du parti d’opposition, l’UNP.

[11]  La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible. L’essentiel des motifs de la SPR est énoncé dans les paragraphes qui suivent :

[10]  L’audience a été remise au rôle et elle a été tenue le 1er juin 2018. À ce moment‑là, les allégations du demandeur d’asile ont changé quelque peu. Le présumé auteur de la persécution n’était plus tant Mervyn Silva, mais plutôt la police. Les dernières menaces du ministre Silva ont été formulées en 2013 et étaient de moindre importance, mais à présent, c’était la police qui recherchait le demandeur d’asile parce qu’il s’était enfui de son lieu de détention. Dans la version modifiée de son FRP, présentée entre l’audience initiale et la présente audience, le demandeur d’asile a ajouté ce qui suit : [traduction] « Après cela, tout était tranquille jusqu’en septembre 2017, où la police est revenue chez moi à deux reprises. La première fois, les policiers ont parlé avec ma mère et lui ont dit qu’ils avaient reçu l’information selon laquelle j’étais de retour au pays. Ils ont fouillé la maison à ma recherche, mais n’ont rien trouvé. Les policiers sont revenus plusieurs jours plus tard encore une fois parce qu’ils étaient à ma recherche, mais ma mère leur a dit dans les deux cas que je n’étais pas là et qu’elle ne savait pas où j’étais. »

[11]  Le demandeur d’asile a reconnu qu’il a été un membre actif de l’UNP et qu’il a participé aux activités politiques de ce parti. Lorsque le changement de circonstances survenu au Sri Lanka en 2015 a été porté à son attention, le demandeur d’asile a dit que ses amis étaient maintenant au pouvoir et qu’il n’avait plus rien à craindre du SFLP. Il a fourni de vagues explications et a prétendu qu’il ne connaissait personne au sein du parti, à l’exception de M. Joseph Perera. Lorsqu’il lui a été rappelé que, en tant qu’ancien membre actif de l’UNP, il était surprenant qu’il ne connaisse qu’un seul membre puisqu’un parti politique est constitué d’un groupe de militants, il a soutenu qu’il pourrait toujours être pris pour cible par Mervyn Silva. Il lui a été rappelé que Mervyn Silva avait perdu son pouvoir. Le demandeur d’asile a alors mentionné que M. Silva était un ami du président de l’UNP. Cette allégation n’est étayée par aucun élément de preuve. Dans ses questions et ses observations, le conseil a reconnu que les dernières menaces de M. Silva avaient été formulées il y a de nombreuses années, mais il a insisté sur le fait que la police avait récemment recherché le demandeur d’asile. À l’appui de cette allégation, nous ne disposons que des propos du demandeur d’asile, mais nous estimons que celui-ci n’est pas crédible.

[12]  Le récit du demandeur d’asile, qui pouvait présenter une certaine logique en 2012, n’a pas su résister à l’épreuve du temps. La crainte de persécution du demandeur d’asile n’est pas crédible, et celui-ci ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.  

III.  L’analyse

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question principale : la décision de la SPR était-elle raisonnable?

A.  La norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR est celle de la décision raisonnable, et une déférence considérable doit être accordée au juge des faits en raison de la position avantageuse dont il jouit (Cambara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1019, au paragraphe 13, Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n732, au paragraphe 4, 160 NR 315).

[14]  La norme de la décision raisonnable commande à la Cour, lorsqu’elle examine une décision administrative, de s’attarder « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 16).

B.  Les observations du demandeur

[15]  Le demandeur affirme que la SPR n’a pas effectué une évaluation prospective appropriée du risque auquel il était exposé. Il renvoie à des éléments de preuve documentaire selon lesquels Mervyn Silva était un individu malveillant, et, selon le demandeur, il était inapproprié que la SPR suppose que, parce que Mervyn Silva n’était plus député, il était sans pouvoir et ne pouvait plus être un agent de persécution.

[16]  De plus, le demandeur soutient que les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité posent problème parce qu’elles reposaient sur le fait qu’il avait modifié ses allégations dans une annexe à l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Le demandeur souligne que la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible parce qu’il avait « changé quelque peu » sa version quand il lui avait été souligné que Mervyn Silva n’était plus député. Selon le demandeur, ses éléments de preuve n’ont pas changé. Le demandeur avait écrit dans son FRP initial qu’il craignait aussi la police sri‑lankaise, qu’il avait été arrêté illégalement en 2012, et que la police était toujours à ses trousses.

C.  Les observations du défendeur

[17]  Selon le défendeur, la décision de la SPR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Bien que d’autres issues soient possibles, le défendeur estime que la Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la SPR.

[18]  Le défendeur estime que le demandeur a omis de produire la moindre information montrant que Mervyn Silva était toujours en position de pouvoir ou en mesure d’exercer une influence grâce à ses contacts, comme sa prétendue amitié avec le président de l’UNP. Il affirme qu’il était loisible à la SPR de conclure que l’agent de persécution n’appartenait plus au parti au pouvoir, et que si Mervyn Silva pouvait s’en prendre au demandeur, c’était à titre de citoyen, et non pas en tant qu’acteur étatique. Le défendeur croit que le témoignage du demandeur était vague.

[19]  Le défendeur souligne qu’il était loisible à la SPR de rejeter les éléments de preuve non contredits s’ils ne concordent pas avec l’ensemble du récit. Selon le défendeur, la SPR est aussi en droit de tirer, comme elle l’a fait en l’espèce, des conclusions défavorables quant à la crédibilité reposant sur l’invraisemblance du récit du demandeur et elle peut tirer des conclusions raisonnables reposant sur le bon sens et la raison. Même si le demandeur n’a pas complètement modifié son témoignage selon lequel la police était toujours mentionnée comme source de crainte, ce sont les éléments de preuve dans leur ensemble, selon le défendeur, qui ont amené la SPR à rejeter la demande d’asile.

D.  La décision de la SPR était-elle raisonnable?

[20]  Dans l’exposé circonstancié du FRP initial (que le demandeur a signé le 21 décembre 2012), celui-ci a allégué que depuis son départ du Sri Lanka, les menaces s’étaient poursuivies :

[TRADUCTION]

Depuis mon arrivée au Canada, j’ai appris par ma mère que la police de même que les fils et les fiers‑à‑bras de Mervyn Silva continuaient de me chercher. J’ai aussi appris que pendant que je me cachais au Sri Lanka, la police ainsi que Malaka Silva et ses fiers‑à-bras sont allés chez mon oncle, à Padukka, chez ma tante, à Hatton, au marché de poisson et dans ma ville natale à Colombo à ma recherche. Ce sont les raisons pour lesquelles je demande l’asile au Canada.

[21]  Toutefois, dans la version modifiée du FRP du demandeur et pendant son témoignage devant la SPR, il n’y a eu aucune mention de la police ou d’autres personnes qui étaient à la recherche du demandeur après que celui-ci eut quitté le Sri Lanka jusqu’en 2013. Dans ce contexte, il est raisonnable que la SPR conclue que le demandeur a modifié son témoignage pour dire que la police était à sa recherche.

[22]  Il était aussi raisonnable que la SPR conclue de manière prospective qu’il n’existait aucun fondement permettant de conclure que le demandeur devait être protégé. Aucun élément de preuve documentaire n’étaye l’allégation du demandeur selon laquelle Malaka Silva exerçait toujours de l’influence sur la police, et la SPR a jugé que ce témoignage n’était pas crédible. Il incombait au demandeur de montrer de quelle façon Malaka Silva exerçait encore de l’influence auprès de la police, et il ne s’est pas acquitté de son fardeau.

IV.  Conclusion

[23]  En conclusion, la décision de la SPR est intelligible et transparente, et l’issue se justifie au regard des faits et du droit.

[24]  Aucune des parties n’a proposé une question de portée générale pour certification, de sorte qu’aucune n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3275-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de mai 2019

Line Niquet, trad.a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3275-18

 

INTITULÉ :

GAMINI KEERTHIRATNE KULASURIYA ARACHEHIG (alias GAMINI KEERTHIRATNE KULARIYA ARCHCHIGE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

20 DÉcembrE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

pour le demandeur

 

Alexis Singer

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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