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Date : 20190408


Dossier : IMM‑2951‑18

Référence : 2019 CF 424

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ELIKANA LOBOKA KWANYI

BETTY PONI

NANTIE GERIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision, datée du 3 mai 2018, par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté les demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ayant été présentées par les demandeurs au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

II.  CONTEXTE

[2]  Elikana Loboka Kwanyi, Betty Poni et Nantie Geria (les demandeurs) sont des réfugiés du Soudan qui vivent dans des camps de réfugiés en Ouganda depuis 1994.

[3]  Madame Poni est née dans un camp de réfugiés en Ouganda. Elle a été séparée des membres de sa famille à l’âge de 11 ans, après que l’Armée de résistance du Seigneur eut attaqué leur camp de réfugiés. Madame Poni a ensuite commencé à vivre avec M. Kwanyi et sa famille. Elle est traitée comme un membre de la famille, et on l’appelle la nièce de M. Kwanyi. Madame Geria est également la nièce de M. Kwanyi, avec qui elle vit depuis le décès de sa mère en 2005.

[4]  Les filles de M. Kwanyi au Canada ont présenté en 2008 une demande de parrainage des demandeurs afin qu’ils obtiennent le statut de résident permanent au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire. Le diocèse catholique romain de Thunder Bay (Ontario) a appuyé cette demande.

[5]  En mai 2012, M. Kwanyi a participé à une première entrevue, à l’issue de laquelle l’agente a rendu une décision favorable et déterminé que les demandeurs satisfaisaient aux exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. L’agente a informé les demandeurs que tout changement dans la composition de leur famille devrait être signalé. Monsieur Kwanyi soutient toutefois n’avoir pas compris l’obligation de signaler les changements dans la composition de sa famille.

[6]  Les demandeurs ont ensuite été tenus de se soumettre à des examens médicaux après avoir reçu la décision favorable en 2012. Madame Poni ne s’est pas présentée à l’examen médical parce qu’elle venait d’accoucher et qu’elle était inapte à voyager. Une femme nommée Kiwaje s’est présentée à l’examen médical à sa place.

[7]  Les demandeurs ont participé à une autre entrevue le 25 août 2016, à Kampala. Aucun service d’interprète n’était fourni, mais un parent éloigné des demandeurs, qui ne détenait aucune formation officielle en anglais, leur a prêté assistance. Au cours de cette entrevue, les demandeurs ont confirmé qu’une imposteure avait été envoyée pour subir l’examen médical à la place de Mme Poni. Au cours de cette entrevue, M. Kwanyi a également révélé l’existence de deux petits‑enfants qu’il n’avait pas déclarés lors de l’entrevue de 2012.

[8]  Des lettres relatives à l’équité procédurale ont été envoyée à M. Kwanyi et à Mme Poni en novembre 2017. Dans ces lettres, les demandeurs étaient invités à soumettre des observations sur la présence de l’imposteure à l’examen médical, sur le fait que M. Kwanyi avait initialement omis de divulguer l’existence de ses petits-enfants, et sur l’identité de ceux-ci. Le parent éloigné qui avait aidé les demandeurs lors de l’entrevue de 2016 a répondu aux lettres par courriel au nom des demandeurs. Dans cette réponse, qui provenait prétendument de M. Kwanyi lui‑même, celui-ci admettait avoir contribué à l’envoi d’une imposteure à l’examen et avoir omis de divulguer l’existence des petits‑enfants. L’auteur du courriel demandait pardon, et expliquait que ces erreurs étaient en partie attribuables à son analphabétisme. Monsieur Kwanyi et Mme Poni soutiennent maintenant qu’ils n’ont pas donné au parent éloigné l’instruction d’écrire le courriel — dont ils n’ont pas non plus autorisé l’envoi —, et que ni les demandeurs ni leurs répondants n’ont eu l’occasion de le lire.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  Le 3 mai 2018, l’agente a envoyé des lettres aux demandeurs pour leur annoncer que leurs demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire étaient rejetées.

[10]  L’agente a déclaré que M. Kwanyi et Mme Poni avaient tous deux admis, lors de l’entrevue du 25 août 2016, avoir envoyé une imposteure à l’examen médical. En outre, l’agente a indiqué que M. Kwanyi n’avait pas révélé l’existence de ses petits‑enfants lors de l’entrevue initiale en 2012. Après avoir examiné l’explication contenue dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, elle a conclu que l’analphabétisme de M. Kwanyi ne pouvait excuser l’envoi d’une imposteure et la non‑divulgation de l’existence des petits‑enfants.

[11]  L’agente a conclu que M. Kwanyi était interdit de territoire pour avoir contrevenu à l’obligation prévue au paragraphe 16(1) de la Loi, c’est‑à‑dire celle de répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées. L’agente a également conclu que Mme Poni était interdite de territoire pour avoir contrevenu au paragraphe 16(1), parce qu’elle avait omis de répondre véridiquement à toutes les questions, de même qu’au paragraphe 16(1.1), parce qu’elle ne s’était pas présentée à l’examen médical. Enfin, l’agente a rejeté la demande de Mme Geria en tant que personne à charge de facto de M. Kwanyi, au motif que la demande ne pouvait pas être traitée de façon indépendante.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[12]  Voici les questions en litige en l’espèce :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’agente a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[13]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont le tribunal est saisi a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, le tribunal de révision peut décider de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse, ou lorsque les précédents pertinents semblent incompatibles avec les nouveaux développements des principes de common law en matière de contrôle judiciaire, que le tribunal de révision doit prendre en considération les quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[14]  Dans un passé récent, des tribunaux ont statué que la norme de contrôle applicable relativement à une allégation de manquement à l’équité procédurale était celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

[15]  Même si l’évaluation de l’équité procédurale en fonction de la norme de la « décision correcte » est compatible avec la jurisprudence récente, il ne s’agit pas d’une méthode judicieuse sur le plan doctrinal. Il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, paragraphe 74 :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier.

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]  Les dispositions suivantes de la Loi intéressent la présente demande de contrôle judiciaire :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

[…]

Obligation du demandeur

Obligation – answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Obligation de se soumettre au contrôle

Obligation — appear for examination

(1.1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit, à la demande de l’agent, se soumettre au contrôle.

(1.1) A person who makes an application must, on request of an officer, appear for an examination.

[…]

[…]

Manquement à la loi

Manquement à la loi

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

A person is inadmissible for failing to comply with this Act (a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and (b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeurs

[17]  Selon les demandeurs, l’agente a manqué à l’équité procédurale de trois façons. Premièrement, elle a omis de prendre des notes complètes au cours de l’entrevue du 25 août 2016 avec les demandeurs. Deuxièmement, elle n’a pas fourni de services d’interprète aux demandeurs, lesquels ont plutôt dû faire appel à un parent éloigné qui n’avait aucune formation officielle en anglais ou en interprétation. Enfin, l’agente s’est appuyée sur un courriel inculpatoire envoyé par le parent éloigné qui avait agi comme interprète. Ce courriel provenait prétendument de M. Kwanyi, même s’il était rédigé en anglais et que rien n’indiquait que celui‑ci était d’accord avec son contenu.

[18]  D’après ce que soutiennent les demandeurs, l’agente a omis de prendre des notes complètes au cours de l’entrevue. Elle a fait un bref résumé de ce qui s’est passé pendant l’entrevue, mais elle n’a pas consigné les questions posées ni les réponses données au moment où celle-ci se déroulait. Selon les demandeurs, le fait que l’agente n’ait pas pris de notes suffisamment détaillées au moment de l’entrevue les empêche d’établir leur preuve lors du contrôle judiciaire. En outre, la Cour ne peut procéder à une évaluation complète du caractère équitable de l’entrevue. Les notes d’entrevue étaient particulièrement importantes dans cette affaire, car l’entrevue a eu lieu environ deux ans avant la décision.

[19]  Les demandeurs contestent l’exactitude des notes sommaires prises par l’agente. À titre d’exemple, M. Kwanyi nie avoir été au courant du projet d’envoyer une imposteure à l’examen médical. L’agente a toutefois mentionné que M. Kwanyi l’était. Dans le même ordre d’idées, Mme Poni nie avoir dit à l’agente qu’elle savait qu’une imposteure serait envoyée à l’examen médical. Or, l’agente a indiqué que Mme Poni le savait. Ces exemples, selon eux, démontrent que les notes de l’agente ne sont pas fiables. Sans un compte rendu complet de l’entrevue, il est impossible de savoir si le processus a été équitable pour les demandeurs.

[20]  Le deuxième manquement à l’équité procédurale a trait au fait que l’agente n’a pas assuré aux demandeurs les services d’un interprète qualifié lors de l’entrevue du 25 août 2016. Or, la présence d’un interprète indépendant et qualifié était essentielle dans les circonstances, vu les allégations formulées à l’encontre des demandeurs. Bien que les demandeurs aient été en mesure de comprendre leur interprète, ils ne savent pas s’il a su leur transmettre fidèlement les propos de l’agente. Les demandeurs n’ont pas renoncé à leur droit de contester les problèmes d’interprétation.

[21]  Le troisième et dernier manquement à l’équité procédurale tient au fait que l’agente se soit appuyée sur le courriel qui provenait manifestement du parent éloigné des demandeurs. L’agente aurait dû s’informer à savoir si les demandeurs avaient compris et accepté le contenu du courriel. Elle savait que M. Kwanyi ne parlait pas anglais. Par conséquent, elle aurait dû demander s’il avait effectivement écrit ou autorisé ce courriel. De plus, le courriel ne correspondait pas à ce que M. Kwanyi avait dit à l’agente lors de l’entrevue précédente.

B.  Défendeur

[22]  Le défendeur soutient que les affidavits présentés par les demandeurs à l’appui de la présente demande contiennent des renseignements dont l’agente ne disposait pas. Les demandeurs n’expliquent pas pourquoi ils n’ont pas communiqué cette information à l’agente. Les demandeurs auraient dû faire part à l’agente de toute préoccupation concernant la qualité de l’interprétation. Par ailleurs, la présentation d’éléments de preuve supplémentaires n’est permise que dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, les demandeurs n’ont pas démontré l’existence de telles circonstances. Par conséquent, les éléments de preuve présentés dans les affidavits sont irrecevables.

[23]  Le défendeur soutient que le fait que l’agente se soit fondée sur le courriel envoyé en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale. Il fait plutôt valoir qu’en omettant de présenter leur propre réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, les demandeurs ont simplement fait preuve d’un manque de diligence.

[24]  Le défendeur affirme que les notes de l’agente n’ont pas été prises à une date ultérieure à l’entrevue. Il y a simplement eu un retard dans le téléchargement des notes dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). En examinant les notes en question, on constate que les questions posées et les réponses données y sont consignées. De plus, les demandeurs n’ont pas indiqué qu’ils avaient pris leurs propres notes. Les affidavits présentés par les demandeurs doivent donc être fondés uniquement sur leurs souvenirs.

[25]  Le défendeur affirme que les demandeurs se sont assuré la présence de leur propre interprète, parce qu’il n’y en avait pas qui convenait à ce moment‑là, et qu’ils n’ont pas tenté de reporter l’entrevue en raison de l’absence d’interprète compétent. En outre, les demandeurs n’ont pas indiqué à l’agente qu’ils étaient préoccupés par la qualité de l’interprétation. Les demandeurs ont renoncé à leur droit de soulever maintenant la question de l’interprétation, parce qu’ils ont fourni leur propre interprète et n’ont exprimé aucune préoccupation au moment de l’entrevue.

[26]  Le défendeur conclut qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a résulté du fait que l’agente se soit fondée sur le courriel envoyé en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Les demandeurs ont reconnu que leur parent éloigné les avait aidés à répondre à la lettre relative à l’équité procédurale. De plus, rien n’indique que les demandeurs ont tenté de transmettre leur propre réponse. Cela signifie soit qu’ils savaient qu’une réponse était présentée en leur nom, soit qu’ils n’avaient aucunement l’intention de soumettre une réponse. Enfin, les demandeurs n’ont pas tenté de contester l’exactitude de la réponse ni de demander un délai supplémentaire pour présenter leur propre réponse.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

[27]  Il s’agit d’un cas extrêmement triste qui, à mon avis, relève davantage d’un malentendu et d’une mauvaise interprétation que de la malhonnêteté. Cela n’est guère surprenant si l’on tient compte des faits suivants : le chef de famille, M. Kwanyi, est analphabète et ne parle pas anglais; les demandeurs et l’agente ont dû compter sur un interprète bénévole sans formation officielle; les demandeurs vivent dans un camp de réfugiés, avec un accès limité au téléphone et sans accès Internet; et les demandeurs ont dû voyager pendant des heures pour prendre part aux entrevues au bureau des visas.

[28]  Au bout du compte, je suis d’avis que les difficultés d’ordre pratique rencontrées par les demandeurs et l’agente ont entraîné une iniquité procédurale qui exige que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour réexamen.

[29]  Même si, dans la lettre de refus du 3 mai 2018, on fait référence à des mensonges en ce qui concerne aussi bien l’autre personne (l’imposteure) ayant été envoyée à l’examen médical à la place de Mme Poni que les deux petits‑enfants n’ayant pas été déclarés lors de l’entrevue de 2012, les deux parties conviennent que c’est la question de l’imposteure qui est la principale source de préoccupation en l’espèce, et que les petits‑enfants non déclarés n’auraient probablement pas entraîné un refus.

B.  La situation de l’imposteure

[30]  La demande de Mme Poni a été refusée parce qu’une imposteure avait été envoyée pour subir l’examen médical auquel elle aurait dû elle-même se présenter, et la demande de M. Kwanyi a été refusée parce que c’est lui qui avait ainsi mandaté l’imposteure. Le premier motif d’iniquité procédurale allégué par les demandeurs a trait au fait que l’agente n’a pas pris de notes au cours de l’entrevue du 25 août 2016, durant laquelle les demandeurs ont été confrontés aux allégations de mensonge :

[traduction]

24. Il n’y a pas de compte rendu clair de ce qui s’est passé lors de l’entrevue, parce que l’agente des visas n’a pas consigné les questions posées ni les réponses fournies. Elle a plutôt tapé un bref résumé des entrevues, qu’elle a entré dans le SMGC le 3 mai 2018, date de sa décision, c’est-à-dire presque deux ans après la tenue des entrevues.

25. Le résumé contenu dans le SMGC indique que Mme Poni a admis, lors de l’entrevue, avoir envoyé une imposteure à sa place à l’examen médical. Le résumé contenu dans le SMGC ne révèle aucun aveu de cette nature de la part de M. Kwanyi. Celui-ci et Mme Poni jurent, dans leurs affidavits, avoir indiqué à l’agente des visas que c’était le père de Mme Poni qui avait envoyé Kiwaje à l’examen médical, et les deux nient avoir été impliqués. Selon leurs dires, ils ne croyaient pas avoir eu pleinement l’occasion d’expliquer ce qui s’était passé, ou que l’agente des visas comprenait ce qu’ils voulaient dire.

[31]  Ce n’est pas l’ensemble de l’entrevue qui nous intéresse en l’espèce, mais seulement la question des fausses déclarations. À ce sujet, l’agente a déposé son propre affidavit pour expliquer de quelle manière le contenu de la réunion avait été consigné :

[traduction]

5. Au cours des entrevues, j’ai pris des notes sur un ordinateur portable de bureau à l’aide d’un logiciel de traitement de texte standard. Bien que mes notes ne constituent pas un compte rendu textuel de l’entrevue, elles sont un résumé de mes questions et des réponses du demandeur et ont été tapées au moment où l’entrevue a eu lieu.

[32]  Les notes saisies dans le SMGC concernant M. Kwanyi indiquent que l’agente a [traduction] « Expliqué le but et le processus de l’entrevue. Expliqué l’obligation de dire la vérité et mentionné au demandeur de m’aviser à tout pendant [sic] des clarifications sont nécessaires ». Les demandeurs ne s’opposent pas à cette affirmation.

[33]  En ce qui concerne les fausses déclarations, les notes contenues dans le SMGC se lisent comme suit :

[traduction]

Admissibilité : réussi. J’ai demandé au demandeur principal (DP) ce qui s’est passé après la dernière entrevue. Il a dit qu’ils étaient allés passer un examen médical. Il a également mentionné que sa personne à charge de facto, Betty Poni, avait été convoquée pour une entrevue, mais qu’elle n’avait pas pu trouver l’endroit. J’ai demandé si Betty avait subi son examen médical la dernière fois. Ils ont répondu que oui. J’ai demandé si c’était bien elle. Ils ont précisé que le père de Betty avait insisté pour envoyer une autre femme, appelée Kiwaje, pour subir l’examen médical parce que Betty venait d’accoucher et ne pouvait pas voyager. Betty a maintenant un fils, Doko Joshua, né en août 2013.

[…]

Le DP était au courant qu’une imposteure s’était présentée à l’examen médical, mais il a déclaré que c’était le père de Betty qui avait insisté pour envoyer quelqu’un d’autre.

[34]  Il m’apparaît donc qu’en ce qui concerne la question des fausses déclarations, il existe au moins un compte rendu sommaire de ce qui s’est passé lors de l’entrevue. On a demandé à M. Kwanyi ce qui s’était passé depuis la dernière entrevue; il a dit à l’agente que le père de Mme Poni avait insisté pour envoyer une autre personne passer l’examen médical, et qu’il était au courant du recours à l’imposteure, mais que c’était le père de Mme Poni qui avait insisté.

[35]  Sur cette question, comme je l’expliquerai plus loin, la difficulté ne vient pas des notes d’entrevue elles‑mêmes, mais du fait que, dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agente a présenté cette question à M. Kwanyi de la façon suivante :

[traduction]

Lors de votre deuxième entrevue, il a été déterminé que vous aviez persuadé votre personne à charge de facto déclarée, Betty, d’envoyer une imposteure passer l’examen médical, car elle venait d’avoir un enfant.

[36]  Bien que j’estime que nous pouvons compter sur l’honnêteté de l’agente – elle n’a aucune raison de mentir – nous n’avons pas de compte rendu textuel; nous dépendons donc entièrement du résumé, rédigé par l’agente, de ce qu’elle a dit aux demandeurs et de ce qu’ils lui ont mentionné. En l’espèce, la situation est d’autant plus préoccupante qu’il n’y avait pas d’interprète qualifié disponible et que les demandeurs et l’agente ont dû compter sur les compétences douteuses d’un membre de la famille éloignée pour la traduction. Toute la situation se prêtait à une mauvaise communication et exigeait que l’agente prenne des notes plus détaillées de ce qui avait été demandé et de ce qui s’était dit.

[37]  Les notes indiquent donc que les demandeurs ont affirmé ce qui suit :

[traduction]

Le père de Betty a insisté pour envoyer une autre femme, appelée Kiwaje, passer l’examen médical parce que Betty venait d’accoucher et ne pouvait pas voyager.

[…]

Le DP était au courant qu’une imposteure s’était présentée à l’examen médical, mais a déclaré que c’était le père de Betty qui avait insisté pour envoyer quelqu’un d’autre.

[38]  L’agente nous dit ensuite qu’elle a passé en revue ces notes, et qu’elle s’est alors souvenue des raisons pour lesquelles elle avait décidé que M. Kwanyi avait été malhonnête à l’égard de cette question. Elle écrit : [traduction] « D’abord, il a reconnu qu’il avait envoyé une imposteure au lieu de Betty pour passer l’examen médical. » Mais ce n’est pas ce que disent les notes de l’entrevue. Les notes ne font état d’aucune admission de ce genre. Elles indiquent que c’est le père de Mme Poni qui a insisté pour envoyer l’imposteure. Et on n’y trouve aucune explication à savoir comment, ou si M. Kwanyi ou Mme Poni auraient pu faire autre chose que de se plier à l’insistance du père. À moins d’une explication à cet égard, il n’y a aucun moyen d’évaluer l’étendue de l’honnêteté de M. Kwanyi ou de Mme Poni et de déterminer s’ils ont enfreint une disposition de la Loi.

[39]  La lettre relative à l’équité procédurale ne rend pas compte de la réponse que, selon l’agente, M. Kwanyi a donnée lors de l’entrevue, à savoir que [traduction] « le DP était au courant qu’une imposteure s’était présentée à l’examen médical, mais il a déclaré que c’était le père de Betty qui avait insisté pour envoyer une autre personne ». Nous ne savons pas si l’agente se méprend sur ce qui a été dit à l’entrevue ou si elle a, de quelque autre façon, déterminé que M. Kwanyi mentait lorsqu’il a affirmé que c’était le père de Mme Poni qui avait « insisté ». Cela jette le doute sur l’exactitude des notes d’entrevue, doute qui se maintient également à lecture de l’examen des notes par l’agente, où celle‑ci indique : [traduction] « D’abord, il a reconnu qu’il avait envoyé une imposteure au lieu de Betty pour subir l’examen médical. » Les notes de l’entrevue ne font pas état des propos qui ont réellement été tenus, et qui auraient pu constituer un tel aveu. Les notes de l’entrevue indiquent que M. Kwanyi était au courant du recours à l’imposteure, mais ne mentionnent pas qu’il l’a envoyée à l’examen médical. Les notes de l’entrevue semblent indiquer que le père a « insisté », et non que M. Kwanyi a « persuadé » Betty d’envoyer une imposteure.

[40]  L’idée d’une « insistance » de la part de M. Kwanyi ne se reflète pas non plus dans les notes sur l’entrevue avec Mme Poni, où celle‑ci affirme que c’est son père qui a « insisté ».

[41]  De plus, les notes d’entrevue concernant M. Kwanyi n’indiquent pas ce qu’on lui a demandé au sujet de ses petits‑enfants, ni ce qu’il a répondu. Dans son examen des notes, l’agente dit qu’[traduction] « il a d’abord concédé l’existence de deux de ses petits‑enfants. Dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur principal attribue cette situation à son manque d’éducation et à une sottise de sa part, et demande pardon. »

[42]  À mon avis, bien qu’il s’agisse d’une tentative honnête de l’agente de donner une idée de ce qui a été dit, les notes de l’entrevue ne sont pas suffisantes pour permettre aux demandeurs ou à la Cour de déterminer si le point de vue de l’agente était raisonnable compte tenu de ce qui avait été réellement dit. C’est là un aspect important parce que, dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agente a clairement indiqué que les préoccupations étaient liées à [traduction] « votre crédibilité globale pour votre revendication du statut de réfugié, la possibilité d’une solution durable et l’admissibilité au Canada ». Toutes ces questions seraient plus claires si l’on était en mesure de déterminer si M. Kwanyi était responsable du recours à l’imposteure, ou encore s’il avait délibérément caché l’existence ses petits‑enfants ou avait simplement commis une erreur de bonne foi, ce qui ne peut être écarté, vu son analphabétisme, sa faible connaissance de l’anglais, son passé et les complexités du processus de demande eu égard aux conditions difficiles dans lesquelles les demandeurs vivent.

[43]  En ce qui concerne les notes d’entrevue saisies dans le SMGC relativement à Mme Poni, il y a encore une fois une contradiction sur la question cruciale consistant à savoir qui a envoyé l’imposteure à l’examen médical. Les notes de l’agente indiquent notamment ce qui suit :

[traduction]

Interrogé au sujet de la tromperie relative à l’examen médical : Le DP a déclaré que c’est vrai. Elle venait d’accoucher et avait envoyé quelqu’un d’autre pour passer l’examen. Il [sic] fille nommée Kiwaje est allée à sa place. Le DP a déclaré que le père de Mme Poni, Simon Wani, a envoyé Kiwaje pour subir l’examen. Elle savait que c’était mal, mais son père a insisté.

[44]  Nous ne savons donc pas, d’après les notes, si Mme Poni elle‑même a commis la fraude en envoyant Kiwaje à l’examen médical, ou si c’est son père qui a envoyé Kiwaje. Et nous ne savons pas non plus si Mme Poni était au courant à l’époque. Les notes pourraient également donner à penser que Mme Poni n’avait pas voix au chapitre, devant la volonté d’un père insistant. Les réponses à ces questions sont très importantes par rapport aux préoccupations générales de l’agente concernant l’honnêteté de Mme Poni. Or, les notes ne sont pas suffisantes pour permettre à Mme Poni ou à la Cour de comprendre la décision de rejeter sa demande et de déterminer si elle est raisonnable ou non. Cela est injuste d’un point de vue procédural.

[45]  Je tiens à préciser que je ne suis pas en train de mettre en doute l’honnêteté de l’agente. Dans l’affidavit qu’elle a souscrit aux fins de la présente demande, cependant, elle concède que ses notes [traduction] « ne constituent pas un compte rendu textuel de l’entrevue », et qu’elles ne sont que la consignation d’[traduction] « un résumé de [s]es questions et des réponses du demandeur [...] ».

[46]  Dans son propre affidavit déposé avec la présente demande, M. Kwanyi indique clairement que le résumé de l’agente ne représente pas fidèlement ses propos :

[traduction]

5. QUE lors de la deuxième entrevue, en août 2016, mon parent éloigné Mononye William Elia nous a servi d’interprète. Le bureau des visas n’a pas fourni d’interprète ce jour‑là. Je pouvais comprendre William, mais je ne savais pas s’il disait exactement ce que j’avais dit à l’agente des visas ou s’il me disait exactement ce que l’agente des visas m’avait dit.

6. QUE l’agente des visas, à la deuxième entrevue, m’a montré trois photos. Sur l’une des photos, j’ai reconnu Kiwaje, une amie de ma nièce, Betty Poni. Les deux autres photos étaient de Betty. L’agente des visas m’a demandé pourquoi Betty n’était pas allée à l’examen médical et je lui ai expliqué que c’est parce qu’elle venait d’avoir un bébé. L’agente des visas m’a dit que Kiwaje s’était présentée à l’examen médical à la place de Betty. Je n’ai pas dit à l’agente des visas que je savais que le père de Betty avait envoyé Kiwaje à l’examen médical. J’ai dit à l’agente que je croyais que le père de Betty avait envoyé Kiwaje.

7. QUE je n’ai pas envoyé Kiwaje à l’examen médical et que je ne savais pas que le père de Betty allait le faire. Je ne crois pas que j’ai eu pleinement l’occasion d’expliquer ce qui s’est passé lors de l’entrevue ou que l’agente des visas a compris ce que je voulais dire.

[47]  Mme Poni a également un autre point de vue sur ce qu’elle a véritablement dit :

[traduction]

5. QUE je n’ai pas dit à l’agente des visas que je savais que Kwaje irait à ma place, parce que je ne savais pas que mon père allait envoyer Kwaje, mais j’ai dit à l’agente des visas que c’était mon père qui avait envoyé Kwaje. Je n’ai pas pu me présenter à l’examen médical parce que je venais d’accoucher et que je n’étais pas en état de voyager, mais je ne savais pas que Kwaje allait y aller à ma place.

6. QUE je n’ai pas envoyé Kwaje à l’examen médical et que je ne savais pas que mon père allait le faire. Je savais qu’il le voulait, mais je lui avais dit de ne pas le faire. Je ne crois pas que j’ai eu pleinement l’occasion d’expliquer ce qui s’est passé lors de l’entrevue ou que l’agente des visas a compris ce que je voulais dire.

[48]  Normalement, bien sûr, dans un différend comme celui‑ci au sujet de ce qui a été réellement dit, la Cour accepterait la version de l’agente, parce que celle‑ci n’a aucune raison de mentir et qu’en entrant les notes, elle suit simplement la procédure normale. Mais en l’espèce, cela n’est pas possible, parce qu’il n’y a pas d’indication claire des questions et des réponses réelles. Un résumé peut être acceptable dans certains cas, mais dans le cas qui nous occupe, comme il n’y avait pas d’interprète qualifié, l’agente devait être particulièrement attentive aux propos exacts tenus, car une mauvaise communication et une incompréhension pouvaient facilement survenir.

[49]  Le problème s’est trouvé aggravé par la lettre relative à l’équité procédurale datée du 26 novembre 2017. L’agente y écrit :

[traduction]

J’ai maintenant terminé l’évaluation de vos demandes de visa de résident permanent au Canada en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Je crains que vous ne puissiez pas satisfaire aux exigences relatives à l’immigration au Canada. Plus précisément, je crains que vous n’ayez pas présenté des renseignements complets et véridiques comme l’exige l’article 16 de la Loi, qui dispose que :

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

Vous et votre famille avez participé à deux entrevues, en 2012 et en 2016. Lors de votre deuxième entrevue, il a été déterminé que vous aviez persuadé Betty, votre personne à charge de facto déclarée, d’envoyer une imposteure pour passer l’examen médical à sa place, car elle venait d’avoir un enfant. Vous avez également indiqué lors de l’entrevue que votre petit‑fils, l’enfant de votre fils, Wilson, était maintenant à votre charge. Vous avez dit que le garçon est né en 2008. Le certificat de naissance pour cet enfant indique cependant qu’il s’agit d’une fille nommée Vanessa Yoture, née en 2009. Son certificat de naissance, délivré en Ouganda, ne mentionne pas de mère biologique, ce qui est très inhabituel.

[Non souligné dans l’original.]

[50]  Les mots [traduction] « il a été déterminé » ne constituent pas une justification pour la décision. Les demandeurs ne pouvaient donc avoir aucune idée de ce qui, dans leurs propos, avait pu pousser l’agente à tirer cette conclusion. Il s’agit simplement d’une conclusion générale, qu’il serait très difficile d’aborder et de réfuter sans comprendre, au moins dans une certaine mesure, pour quelles raisons l’agente y était parvenue.

[51]  Les deux derniers paragraphes ci-après sont également problématiques, parce qu’il n’est pas clair si [traduction] « cette question » comprend la question de « l’imposteure » :

[traduction]

Je ne suis pas convaincue que vous ayez fourni des renseignements exacts concernant la composition de votre famille. Cela soulève certains doutes quant à votre crédibilité globale pour votre revendication du statut de réfugié, la possibilité d’une solution durable et l’admissibilité au Canada.

Avant que je rende une décision définitive, vous avez la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires concernant cette question. Vous disposez de 30 jours à compter de la date de la présente lettre pour fournir des renseignements supplémentaires. Veuillez vous assurer d’indiquer le numéro de demande qui figure au haut de la présente sur tous les documents que vous envoyez. Si vous choisissez de ne pas répondre en fournissant des renseignements supplémentaires, un agent prendra une décision fondée sur les renseignements présentés, ce qui pourrait entraîner le refus de ces demandes.

[52]  Encore une fois, étant donné l’analphabétisme de M. Kwanyi, ainsi que le fait qu’il ne parle ni ne comprend l’anglais et qu’il dépendait d’un traducteur non qualifié, il était impératif que des précisions soient fournies afin que les demandeurs puissent comprendre pourquoi l’agente avait conclu que M. Kwanyi avait [traduction] « persuadé votre personne à charge de facto déclarée, Betty, d’envoyer une imposteure passer l’examen médical à sa place parce qu’elle venait d’avoir un enfant ».

[53]  En ce qui concerne la question de l’« imposteure », la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale mentionne notamment ce qui suit :

[traduction]

D’abord et avant tout, on dit que l’éducation est sagesse, intelligence et lumière. Dans mon cas, je n’ai malheureusement jamais pu fréquenter l’école. Ainsi, une personne analphabète n’est guidée que par la peur dans tout ce qu’elle fait, contrairement à une personne alphabète, qui est guidée par la pensée et le raisonnement. La peur m’a donc fait faire des erreurs à certains moments, comme lorsque j’ai demandé à une autre personne de se rendre à l’examen médical à la place de Poni Betty, qui ne pouvait nous suivre à Kampala pour cause de maternité. Je pensais que son absence à l’examen médical réduirait notre chiffre déjà connu et pourrait donc faire échouer le processus [....]

[54]  Il faut garder à l’esprit que, même si l’on peut dire que M. Kwanyi a autorisé cette réponse, il ne s’agirait que d’une tentative de répondre à une « décision » qui avait été communiquée sans fondement suffisant pour permettre aux demandeurs de la réfuter avec leur point de vue sur ce qu’ils avaient dit à l’entrevue. Par conséquent, ils ne pouvaient pas savoir que l’agente avait adopté le point de vue selon lequel M. Kwanyi avait reconnu avoir envoyé une imposteure au lieu de Mme Poni pour subir son examen médical. Il n’est donc pas étonnant que la réponse – quel qu’en soit l’auteur – n’offre guère plus que des excuses pour avoir tout gâché, et une demande de pardon sur cette question.

[55]  Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont jamais vu ou autorisé cette lettre de réponse, qui provient apparemment du parent éloigné qui les aidait à faire la traduction. Monsieur Elia, le parent en question, déclare ce qui suit sur ce point dans son affidavit à l’appui de la demande :

[traduction]

9. QUE j’ai téléphoné à Elikana et je lui ai dit que j’écrirais la lettre pour lui, mais nous n’avons pas discuté de ce que j’allais écrire. Il est difficile de parler au téléphone parce que le réseau téléphonique du camp est souvent inaccessible. Nous manquions de temps et la date limite approchait, alors j’ai envoyé un courriel sans en parler à Elikana et à Betty. J’ai dit ce que je pensais être utile. Je ne le leur ai pas traduit et ils ne m’ont pas dit quoi dire en leur nom.

[56]  Il n’est pas nécessaire que j’évalue la crédibilité ou la recevabilité de cette preuve. En fin de compte, je crois qu’il y a eu iniquité procédurale en l’espèce parce que les notes d’entrevue ne sont pas suffisantes pour appuyer les conclusions de l’agente relativement à la situation de l’« imposteure ». En outre, la lettre relative à l’équité procédurale, en ne fournissant pas de justification à la « détermination » de l’agente sur ce point, ne permettait pas aux demandeurs ou à toute personne agissant en leur nom, dans le contexte global de l’espèce, de répondre de manière significative à cette « détermination ». Une « détermination » non étayée ne laissait guère aux demandeurs ou à M. Elia d’autre choix que de fournir une explication et des excuses. Si l’agente avait communiqué aux demandeurs le fondement de sa décision, ils auraient alors pu expliquer que ce n’était pas ce qu’ils avaient dit ou ce qu’ils avaient l’intention de dire.

[57]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2951‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juin 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑2951‑18

 

INTITULÉ :

ELIKANA LOBOKA KWANYI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

Jennifer Dagsvik

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthews Dagsvik Law

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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