Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190408


Dossier : IMM‑3118‑18

Référence : 2019 CF 425

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

EZAZ UD DIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] concernant une décision rendue le 22 mai 2018 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a accueilli la demande de constat de perte de l’asile du demandeur présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] au titre du paragraphe 108(2) de la Loi, étant donné que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité, comme l’indique l’alinéa 108(1)a) de la Loi.   

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur, M. Ezaz Ud Din, est un citoyen du Pakistan. Arrivé au Canada avec sa femme en 2005, il a déposé une demande d’asile fondée sur sa confession musulmane ahmadie. Sa demande a été acceptée le 11 mai 2006. En février 2007, il est devenu résident permanent du Canada. 

[3]  Peu de temps après avoir reçu le statut de résident permanent, le demandeur a obtenu un passeport pakistanais, qu’il a utilisé pour se rendre au Pakistan à de nombreuses reprises. Plus précisément, le demandeur s’est rendu au Pakistan et y est resté un mois à compter de mars 2007, deux mois à compter d’octobre 2007, un mois et demi à compter de mars 2008 et quatre mois à compter de novembre 2009. Le demandeur a renouvelé son passeport pakistanais en décembre 2011 et s’est rendu au Pakistan pour trois semaines au début de décembre 2013, puis pour trois semaines au début de décembre 2014.  

[4]  Le 31 juillet 2015, le ministre a déposé une demande de constat de perte de l’asile du demandeur en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi au motif que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du Pakistan. 

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  La SPR a d’abord énoncé les trois conditions énumérées dans le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le Guide du HCR], qui doivent être prises en considération lorsqu’il s’agit d’évaluer si le réfugié s’est réclamé de nouveau et volontairement de la protection du pays. Premièrement, le réfugié doit avoir agi volontairement. Deuxièmement, le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. Troisièmement, le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection. La SPR a souligné qu’elle n’était pas tenue de suivre les principes directeurs du Guide du HCR, mais elle a reconnu leur utilité et a appliqué les trois conditions au cas du demandeur.

[6]  La SPR a conclu que le demandeur avait agi volontairement lorsqu’il a fait une demande de passeport pakistanais auprès du consulat pakistanais à Toronto. Rien ne permettait de prouver que le demandeur avait été obligé d’obtenir un nouveau passeport.

[7]  La SPR a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur avait accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays. Constatant que le demandeur avait utilisé son passeport pakistanais pour se rendre aux États‑Unis à deux occasions, la SPR a conclu que le passeport avait été obtenu précisément pour se rendre au Pakistan. De plus, la SPR a jugé que le fait de voyager avec un passeport pakistanais démontre que le demandeur s’est réclamé de nouveau de la protection du pays.

[8]  La SPR a évalué l’explication du demandeur selon laquelle il s’était rendu au Pakistan pour régler une question de retraite avec son ancien employeur et qu’il devait retourner au Pakistan pour résoudre un différend relatif à une propriété. La SPR a conclu qu’aucune disposition ne permet à des réfugiés de retourner dans leur pays d’origine pour des raisons financières ou en raison de différends concernant des biens.

[9]  La SPR a également remis en question la crédibilité du demandeur en ce qui concerne ses voyages au Pakistan. Elle a constaté que le demandeur n’était pas capable de se rappeler les dates de ses voyages. De plus, la SPR a indiqué que le demandeur « fai[sai]t montre d’une mémoire sélective ». Elle n’a pas souscrit à l’explication du demandeur selon laquelle il avait été en mesure de se cacher des agents de persécution lorsqu’il était retourné au Pakistan. 

[10]  La SPR a conclu que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du Pakistan. Elle a également estimé qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer le risque futur auquel le demandeur serait exposé à son retour au Pakistan.

[11]  La SPR a accueilli la demande de constat de perte de l’asile du demandeur présentée par le ministre en application du paragraphe 108(2).

IV.  QUESTIONS

[12]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision était‑elle raisonnable?

  3. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

  4. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en n’évaluant pas le risque auquel serait exposé le demandeur à son retour au Pakistan?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[13]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est déjà établie de façon satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[14]  La norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de la SPR d’accueillir la demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134, au paragraphe 11).

[15]  Lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».  

[16]  Les tribunaux ont récemment jugé qu’en cas d’allégation de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Khosa, précitée, aux paragraphes 59 et 61).

[17]  Même si l’appréciation de l’équité procédurale selon la norme de la décision correcte est compatible avec la jurisprudence récente, il ne s’agit pas d’une méthode judicieuse sur le plan doctrinal. Il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 (au paragraphe 74) :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier.

[18]  Ne pas évaluer le risque futur est une erreur susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Nyoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 568, au paragraphe 13; Mahmutyazicioglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 668, au paragraphe 11; Quintero Guzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1329, au paragraphe 25).

V.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[19]  Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[…]

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

VI.  ARGUMENTS

A.  Demandeur

[20]  Le demandeur a tout d’abord fait valoir que la SPR avait manqué à l’équité procédurale en omettant de l’informer de son droit à un avocat. Il a toutefois retiré ce motif de contrôle à l’audience de la présente demande. 

[21]  Le demandeur affirme que la SPR n’a pas examiné la troisième condition du critère permettant de conclure qu’un réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection du pays. Plus précisément, la SPR n’a pas cherché à savoir si le demandeur avait effectivement obtenu la protection du Pakistan. Si la SPR avait examiné cette condition du critère, elle aurait déterminé que le demandeur, du fait qu’il est musulman ahmadi, n’aurait jamais pu l’obtenir. 

[22]  Le demandeur reconnaît que l’obtention d’un passeport crée une présomption qu’une personne accomplit intentionnellement l’acte par lequel elle se réclame de nouveau de la protection du pays, mais il fait valoir que cette présomption est réfutée dans les circonstances de l’espèce. Le fait que le demandeur est musulman ahmadi et la preuve documentaire démontrant la persécution des musulmans ahmadis suffisent à réfuter la présomption. 

[23]  Le demandeur remet également en question la conclusion de la SPR selon laquelle il est peu probable que le demandeur ait été en mesure d’entrer et de sortir du Pakistan tout en restant caché des agents de persécution. Cette conclusion n’est ni transparente ni intelligible. Soit la SPR reconnaît que le demandeur ne peut obtenir la protection du Pakistan, soit elle tire des conclusions sur la crédibilité qui doivent être expliquées.

[24]  Selon le demandeur, la preuve documentaire confirme que les musulmans ahmadis sont victimes de persécution généralisée au Pakistan. Elle montre que l’État n’offre aucune protection et qu’il n’y a aucune possibilité de refuge interne. La persécution des musulmans ahmadis, de plus en plus violente, est cautionnée par le gouvernement pakistanais au moyen de mesures législatives. À la lumière de cette preuve, la troisième condition du critère permettant de conclure qu’un réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection du pays n’a manifestement pas été remplie en l’espèce. Le demandeur ne s’est pas effectivement réclamé de nouveau de la protection du Pakistan.

[25]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une autre erreur en ne procédant pas à une analyse du risque prospectif. Bien que la jurisprudence demeure vague, une interprétation juste du paragraphe 108(1) révèle qu’une telle analyse est nécessaire dans une demande de constat de perte d’asile. Ce raisonnement est renforcé par le fait que le demandeur appartient à une minorité religieuse très persécutée. L’omission par la SPR de mener une analyse du risque futur est une erreur susceptible de contrôle.   

B.  Défendeur

[26]  Le défendeur affirme qu’il était raisonnable que la SPR accueille la demande de constat de perte d’asile, car le ministre a réussi à établir que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du Pakistan.

[27]  Le défendeur fait valoir que le demandeur s’est réclamé de nouveau et volontairement de la protection du Pakistan en obtenant un passeport afin de s’y rendre. De plus, le demandeur a démontré avoir recouru à la protection du Pakistan en se rendant aux États‑Unis en utilisant son passeport pakistanais. Dans ces cas, seules des circonstances exceptionnelles permettent à une personne de réfuter la présomption qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection du pays. Les explications fournies par le demandeur ne suffisaient pas à réfuter cette présomption.

[28]  Le défendeur affirme qu’aucune jurisprudence n’étaye l’affirmation du demandeur voulant que la SPR était tenue de procéder à une évaluation du risque prospectif. La SPR avait raison de conclure que le risque prospectif, s’il existait, était annulé par le fait que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du pays. Le principe que la SPR devait effectuer une évaluation du risque prospectif est absurde, car il entraînerait en fait une deuxième audience relative à la demande d’asile. De plus, le demandeur a d’autres options, par exemple un examen des risques avant renvoi.

[29]  Le défendeur soutient que la troisième condition du critère de perte d’asile était remplie en l’espèce, puisque le demandeur a obtenu un passeport pakistanais et qu’il s’en est effectivement servi pour se rendre au Pakistan.

VII.  ANALYSE

[30]  Les parties conviennent que les trois conditions à démontrer pour perdre l’asile sont les suivantes : 

  • a) Le réfugié a agi volontairement;

  • b) Le réfugié a accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

  • c) Le réfugié a effectivement obtenu cette protection.

[31]  Dans la décision, la SPR invoque avec raison le critère et le lie aux motifs de perte d’asile énoncés au paragraphe 108(1) de la Loi. Comme le souligne également la SPR, le critère provient du paragraphe 1 de la section C de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut de réfugiés. Les principes directeurs du Guide ne liaient pas la SPR, mais la Cour y a souscrit et les a considérés comme la méthode appropriée pour déterminer la perte d’asile dans le cas où le réfugié se réclame de nouveau de la protection du pays. Voir, par exemple, la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51, où la juge Bédard (au paragraphe 43) a déclaré ce qui suit à ce sujet :

Le Guide du HCNUR fournit une orientation dans l’interprétation des clauses de cessation de la Convention, y compris de la perte de l’asile attribuable au fait que le réfugié se réclame de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. L’alinéa 108(1)a) de la LIPR reprend pour l’essentiel la section C, paragraphe 1 de l’article premier de la Convention et la Cour a reconnu la pertinence d’utiliser le Guide du HCNUR comme guide quant à l’interprétation de l’expression « se réclamer de nouveau de la protection du pays ».

[32]  En l’espèce, la SPR a choisi et appliqué le bon critère, mais elle l’a fait d’une manière qui donne lieu à deux erreurs importantes susceptibles de contrôle.

[33]  Premièrement, la SPR affirme que le demandeur a agi volontairement en obtenant les quelques passeports pakistanais et en se rendant à plusieurs reprises au Pakistan. Les parties conviennent que, pour divers actes cités par la SPR, le demandeur a agi volontairement. Cependant, le demandeur affirme qu’il n’avait pas accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’était réclamé de nouveau de la protection du Pakistan et qu’il n’avait pas effectivement obtenu cette protection.

[34]  Pour conclure que le demandeur a accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays, la SPR invoque l’acquisition des passeports, le voyage du demandeur aux États‑Unis en utilisant un passeport pakistanais et les voyages répétés au Pakistan. Toutefois, le demandeur a fourni de nombreux autres éléments de preuve pour démontrer que, indépendamment de ce qui précède, il n’avait pas l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays et qu’en fait, il n’aurait pas pu le faire même s’il en avait eu l’intention.

[35]  La seule fois où la SPR mentionne cette preuve additionnelle dans la décision est la suivante :

Je souligne que l’intimé [le demandeur] a déclaré qu’il s’est rendu au Pakistan en raison de son emploi à la Pakistani International Airline et pour des raisons liées à sa retraite. Il y est également retourné en raison d’un différend avec des locataires au sujet d’une propriété, mais la protection des réfugiés ne comprend pas de disposition permettant à la personne de retourner dans son pays en provenance d’un… d’un endroit où elle demande une protection simplement pour des raisons financières, en raison de différends concernant des biens ou pour d’autres raisons.

Je conclus que je ne suis pas d’accord avec l’intimé [le demandeur] pour dire qu’il était en mesure de se cacher des agents de persécution en l’espèce, étant donné qu’il a déclaré dans sa demande d’asile qu’il craignait d’être tué en raison de son identité religieuse. Si les agents de persécution comprennent l’État, il est très peu probable qu’il soit en mesure de se cacher, d’entrer de nouveau au pays et d’en sortir aussi facilement qu’il l’a fait.

J’estime que l’intimé [le demandeur] n’est pas crédible en ce qui concerne ses différents retours dans son pays. Il ne pouvait pas se rappeler pas [sic] quand il était retourné là‑bas.

[36]  La SPR n’a pas examiné de façon satisfaisante la preuve de l’absence d’intention chez le demandeur. Lors de l’audience relative au constat de perte d’asile, le demandeur a fait les déclarations suivantes :

  • a) Lorsqu’il se rendait au Pakistan, il était toujours caché, séjournant chez un ami ou à l’hôtel (document certifié du tribunal, à la page 104);

  • b) Il ne pratiquait pas ouvertement sa foi ahmadie (document certifié du tribunal, à la page 104);

  • c) Il ne pouvait pas rester chez ses frères, puisqu’ils étaient musulmans et opposés à sa foi ahmadie (document certifié du tribunal, à la page 105);

  • d) Il ne pouvait pas demander à ses frères de l’aider avec l’affaire immobilière familiale pour la même raison, et c’est la raison pour laquelle il devait se rendre au Pakistan en personne (document certifié du tribunal, à la page 105);

  • e) Au Pakistan, il ne se rendait pas à la mosquée ni au cimetière et il vivait constamment dans la peur (document certifié du tribunal, à la page 104);

  • f) Il n’a jamais dit à personne qu’il venait au Pakistan et, si des personnes l’apprenaient, il laissait ses bagages et toutes ses affaires pour rentrer au Canada (document certifié du tribunal, à la page 104);

  • g) Il n’était en mesure de se rendre au Pakistan que parce qu’il pouvait voyager gratuitement avec Pakistani Airlines, son ancien employeur (document certifié du tribunal, à la page 106).

[37]  La question n’était pas de savoir si l’asile permet à une personne de retourner dans son pays « pour des raisons financières, en raison de différends concernant des biens ou pour d’autres raisons ». Il ne le permet clairement pas, mais cela ne veut pas dire que le demandeur, en retournant au Pakistan, avait nécessairement accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’était réclamé de nouveau de la protection du Pakistan. Cette question exige un examen et une analyse de tous les éléments de preuve, et la simple affirmation concernant le fait que le demandeur « était en mesure de se cacher » n’explique pas, par exemple, comment l’État saurait qu’il est un réfugié ou un musulman ahmadi, puisque le passeport qu’il possède ne l’identifie que comme un musulman.

[38]  Les croyances et les pratiques religieuses du demandeur ne font aucun doute, puisque la SPR a clairement indiqué que sa demande d’asile « était fondée sur ses croyances religieuses, à savoir le fait qu’il est un ahmadi » et qu’aucune preuve soumise à la SPR ne laisse croire que le demandeur avait changé d’affiliation religieuse et modifié ses pratiques religieuses.

[39]  La déclaration de la SPR que « la protection des réfugiés ne comprend pas de disposition permettant à la personne de retourner dans son pays en provenance d’un… d’un endroit où elle demande une protection simplement pour des raisons financières, en raison de différends concernant des biens ou pour d’autres raisons » passe à côté de la preuve du demandeur, qui cherchait à démontrer que, vu dans son ensemble, il n’avait pas accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays.

[40]  Cependant, l’aspect le plus problématique en l’espèce est que la SPR ne se demande jamais si le demandeur a effectivement obtenu la protection du Pakistan, même si elle cite cette condition comme étant nécessaire. La décision donne à penser que la SPR confond [traduction] « intention » et [traduction] « protection effective ». 

[41]  La preuve sur la situation dans le pays qui avait été soumise à la SPR confirme que l’État n’offre aucune protection aux musulmans ahmadis, et ce, nulle part au Pakistan et qu’en fait, l’État les persécute activement.

[42]  La CISR a publié un guide jurisprudentiel basé sur la décision TB7‑01837 de la Section d’appel des réfugiés (8 mai 2017), qui oblige la SPR à appliquer le même raisonnement énoncé dans cette décision ou à expliquer pourquoi elle ne l’a pas fait. La CISR a choisi ce guide parce qu’il fournit une explication rationnelle décrivant les raisons pour lesquelles les demandeurs d’asile ahmadis du Pakistan n’ont pas accès à la protection de l’État et pourquoi il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur viable. Selon la décision elle‑même :

[39]  La SAR a examiné la preuve et estime que l’appelante est exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée en raison de sa religion ahmadie. Puisque l’État est l’un des principaux agents de persécution, l’appelante ne peut pas s’attendre à bénéficier d’une protection de l’État adéquate. Puisque les lois, les mesures et les pratiques de persécution existent dans toutes les régions du Pakistan, l’appelante ne peut pas se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur viable.

[43]  Dans la décision, rien n’indique que la SPR a même examiné la troisième condition du critère (« doit avoir effectivement obtenu cette protection »), ni même la preuve qu’aucune protection n’est accordée aux musulmans ahmadis au Pakistan et que l’État les persécute activement. 

[44]  Selon ma compréhension des arguments du défendeur qui m’ont été présentés, l’examen de la [traduction] « protection effective » n’était pas obligatoire en l’espèce, puisque le constat de perte d’asile en application de l’alinéa 108(1)a) ne nécessite pas une évaluation du risque prospectif. Cela concorde avec la conclusion de la SPR selon laquelle « il n’est pas nécessaire d’évaluer le risque auquel l’intimé serait exposé à son retour et qu’il a annulé ce risque en retournant dans son pays à plusieurs reprises ».

[45]  Cela ne répond toutefois pas à la question soulevée en l’espèce, soit que dans le cas d’une personne qui s’est réclamée de nouveau de la protection du pays, la SPR doit se demander si le demandeur avait effectivement obtenu la protection du Pakistan lorsqu’il s’est supposément réclamé de nouveau de la protection du pays. La perte d’asile et le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays en application de l’alinéa 108(1)a) n’ont pas lieu sans que le demandeur obtienne effectivement la protection du Pakistan. Ainsi, en l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si, compte tenu de la perte d’asile en application de l’alinéa 108(1)a), la SPR était obligée de tenir compte du profil et du risque futur du demandeur. La SPR ne s’est pas demandé si, en délivrant un passeport pakistanais au demandeur, l’État lui accordait également une protection effective. En l’espèce, d’importants éléments de preuve laissaient croire que ce n’était pas le cas et que le demandeur n’a pas obtenu une protection effective. Même si ce demandeur avait accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays et qu’il n’avait donc aucune crainte subjective (article 96), il était quand même possible qu’à son retour au Pakistan, il soit exposé à un risque prévu à l’article 97 de la Loi, ce qui ne nécessite pas l’existence d’une crainte subjective. Voir la décision Rajadurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 532, au paragraphe 38. La SPR ne s’est tout simplement pas penchée sur ces questions.

[46]  Dans la jurisprudence, il est bien établi que c’est seulement « dans certaines circonstances exceptionnelles » que le fait pour un réfugié de se rendre dans le pays de sa nationalité sous le couvert d’un passeport délivré par ce même pays n’entraînera pas la perte de l’asile. Voir, par exemple, la décision Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29, au paragraphe 18. Mais des circonstances exceptionnelles se présentent parfois. Dans le cas du demandeur, nous ne savons pas encore s’il s’agit d’un cas d’exception, car la SPR n’a pas examiné les conditions applicables de façon raisonnable. La décision doit donc être annulée et renvoyée pour nouvel examen.

[47]  Les parties ont présenté des observations sur la question de savoir si, à la perte d’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi, la SPR doit déterminer si la personne risque la persécution ou qu’elle a qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi. Cette question n’a aucune incidence sur ma décision.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3118‑18

LA COUR STATUE que

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3118‑18

 

INTITULÉ :

EZAZ UD DIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MARS 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Celeste Shankland

POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Murphy & Shankland LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.