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Date : 20190401


Dossier : IMM‑1842‑18

Référence : 2019 CF 391

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

BUTA SINGH DHILLON

GURMEL KAUR DHILLON

SHINDERPAL KAUR SANGHA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Buta Singh Dhillon et Shinderpal Kaur Sangha, souhaitent faire venir leur mère biologique, Gurmel Kaur Dhillon, au Canada à titre de résidente permanente. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du défendeur de refuser de traiter leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), et ils demandent qu’une ordonnance de mandamus soit prononcée pour contraindre le défendeur à accepter de traiter la demande CH. La présente demande de contrôle judiciaire est introduite au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande sera rejetée.

I.  Contexte

[3]  Les demandeurs, qui sont frère et sœur, sont des citoyens canadiens. Gurmel leur a donné naissance en Inde, mais, après la mort de leur père biologique, ils ont été adoptés par d’autres membres de la famille et sont venus au Canada. Ils n’ont appris qu’à l’âge adulte que Gurmel était leur mère biologique.

[4]  En juin 2017, les demandeurs ont présenté depuis l’étranger une demande CH prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR. Celle-ci était accompagnée, outre la demande en soi, de formulaires de parrainage pour Gurmel, afin qu’elle puisse obtenir la résidence permanente à titre de parent ou de grand‑parent. La demande CH était fondée sur le fait que Gurmel avait été exclue de la catégorie du regroupement familial, étant donné que les demandeurs ont été adoptés.

[5]  Le 12 décembre 2017, le défendeur a retourné la demande CH aux demandeurs en vertu des instructions ministérielles 21 (les IM21) parce qu’il ne les avait pas invités à présenter une demande. Car en effet, pour qu’une demande de parrainage d’un parent ou d’un grand‑parent puisse être traitée, il faut, selon les IM21, que les demandeurs aient d’abord été choisis pour présenter une demande dans le cadre du processus de sélection aléatoire établi par le ministre.

[6]  Le 8 mars 2018, les demandeurs ont de nouveau présenté leur demande CH. Le 23 mars suivant, la demande leur a une fois de plus été retournée, parce qu’elle ne pouvait pas être traitée conformément aux IM21. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du défendeur de retourner la demande CH.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La décision qui fait l’objet du contrôle est celle énoncée dans une lettre du défendeur datée du 23 mars 2018, dans laquelle les demandeurs ont été informés que leur demande CH pour Gurmel ne serait pas traitée.

[8]  Dans cette décision, le défendeur a expliqué le processus établi dans les IM21. La lettre informait les demandeurs que les demandes CH pour des personnes se trouvant hors du Canada ne seraient pas traitées, à moins que le répondant éventuel ne soit sélectionné dans le cadre du processus de sélection aléatoire et qu’il ne soumette par la suite une demande complète. Le défendeur a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Comme vous n’avez pas été sélectionnés au hasard et invités à présenter une demande de parrainage de vos parents et grands‑parents, nous ne pouvons accepter votre demande aux fins de traitement, et elle vous est retournée avec les frais applicables.

[9]  Les demandeurs ont également été informés qu’ils pourraient présenter une nouvelle demande au début de 2019 dans le cadre du programme de parrainage, ou présenter une demande de super visa pour qu’eux et Gurmel soient réunis.

III.  Question en litige soulevée dans la présente demande

[10]  La question en litige en l’espèce consiste à savoir si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire était raisonnable. L’objet de cette décision était le refus du défendeur de traiter la demande CH présentée par les demandeurs. Ces derniers contestent la décision en demandant que soit prononcée une ordonnance de mandamus pour contraindre le défendeur à accepter la demande afin qu’elle soit examinée sur le fond.

IV.  Cadre législatif

[11]  Pour que l’on puisse bien comprendre le refus du défendeur d’examiner la demande CH des demandeurs, il nous faut d’abord exposer en détail le cadre législatif pertinent. Le texte intégral des dispositions citées ci‑après figure à l’annexe A du présent jugement.

[12]  Le point de départ est le paragraphe 25(1) de la LIPR, qui permet au ministre de prendre, par rapport aux exigences de la LIPR, des mesures exceptionnelles et discrétionnaires pour des motifs d’ordre humanitaire à l’égard d’un demandeur qui présente une demande de résidence permanente. Si la demande de mesures spéciales est présentée depuis l’étranger, elle doit être accompagnée d’une demande de visa de résident permanent, conformément à l’article 66 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). Quant à l’alinéa 10(2)c) du RIPR, il exige que la catégorie réglementaire au titre de laquelle la demande est faite soit indiquée sur la demande. Les catégories réglementaires sont les suivantes : le regroupement familial; l’immigration économique; et les réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et les personnes de pays d’accueil (paragraphe 70(2) du RIPR).

[13]  Sous la rubrique « Sélection des résidents permanents », le paragraphe 12(1) de la LIPR précise les critères d’admissibilité des étrangers au parrainage à titre de membres de la catégorie du regroupement familial :

Regroupement familial

 

Family reunification

12(1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12(1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

[14]  Le paragraphe 13(1) de la LIPR précise les exigences qui en découlent pour les résidents permanents et des citoyens canadiens, à savoir que ceux-ci peuvent parrainer un étranger membre de la famille sous réserve des exigences du RIPR. Un étranger appartient à la catégorie du regroupement familial s’il est, entre autres, l’un des parents de son répondant (alinéa 117(1)c) du RIPR). En l’espèce, il est important de noter que l’adoption rompt tout lien de filiation qui unit les enfants à leur mère (paragraphes 3(2) et 133(5) du RIPR). Comme il a été mentionné ci‑dessus, c’est le fait que les demandeurs ont été adoptés qui les a amenés à s’appuyer sur des motifs d’ordre humanitaire pour faire venir Gurmel au Canada.

[15]  La LIPR prévoit des dispositions relatives à la gestion des demandes de parrainage et à l’établissement de leur ordre de priorité (article 87.3 de la LIPR). En vertu du paragraphe 87.3(3) de la LIPR, le ministre peut donner des instructions concernant le traitement des demandes. Par ailleurs, selon le paragraphe 87.3(1), ce pouvoir du ministre de donner des instructions s’applique aux demandes présentées en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Le paragraphe 87.3(4) précise pour sa part que les agents autorisés à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 sont tenus de se conformer aux instructions données par lui avant de traiter une demande. Si la demande n’est pas traitée, l’agent autorisé pourra la retourner ou en disposer autrement, conformément aux instructions du ministre.

[16]  Les paragraphes 87.3(3) et 87.3(4) de la LIPR sont libellés comme suit :

Instructions

Instructions

 

87.3(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

87.3(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui‑ci;

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

 

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

[…]

[…]

 

Respect des instructions

Compliance with instructions

 

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

 

(4) Officers and persons authorized to exercise the powers of the Minister under section 25 shall comply with any instructions before processing an application or request or when processing one. If an application or request is not processed, it may be retained, returned or otherwise disposed of in accordance with the instructions of the Minister.

[17]  Le 7 janvier 2017, le défendeur a publié les Instructions ministérielles sur le traitement des demandes de visa de résident permanent faites par les parents ou grands-parents d’un répondant, au titre de la catégorie du regroupement familial, et sur le traitement des demandes de parrainage faites relativement à ces demandes (les IM21). Ces instructions ministérielles sont essentielles dans le cadre de la présente demande, puisqu’elles constituent le fondement du refus du défendeur d’examiner la demande présentée par les demandeurs. Selon les IM21, avant que sa demande ne puisse être examinée, le répondant doit d’abord avoir été sélectionné, au moyen du processus de sélection aléatoire, pour présenter une demande de parrainage d’un parent. Les IM21 précisent aussi ce qui suit :

Motifs d’ordre humanitaire — demandes

La demande faite à l’étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi qui accompagne une demande n’ayant pas été acceptée aux fins de traitement au titre des présentes instructions ne sera pas traitée.

Disposition des demandes

Toute demande qui ne remplit pas les conditions applicables prévues aux présentes instructions sera retournée.

V.  Analyse

1.  Ordonnance de mandamus

[18]  Une ordonnance de mandamus est un recours en equity qui contraint une autorité publique qui refuse ou néglige de s’acquitter d’une obligation légale à caractère public à le faire lorsqu’elle y est appelée. Les parties conviennent que le critère relatif à l’ordonnance de mandamus a été établi dans la décision Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex]. Ce critère a été appliqué à de nombreuses reprises par la Cour dans le contexte de l’immigration (Vaziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1159, au paragraphe 38; Douze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1337, au paragraphe 26; et Yassin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 423, au paragraphe 13). Les conditions suivantes doivent être respectées pour qu’une ordonnance de mandamus soit prononcée :

  1. il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

  2. l’obligation doit exister envers le demandeur;

  3. il doit exister un droit manifeste d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

  • a) le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation,

  • b) il y a eu : (i) une demande d’exécution de l’obligation; (ii) un délai raisonnable accordé pour permettre de donner suite à la demande, à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ; et (iii) un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

  1. lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, [certaines]règles [...] s’appliquent;

  2. le demandeur n’a aucun autre recours;

  3. l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

  4. sur le plan de l’equity, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

  5. compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être prononcée.

[19]  Les exigences relatives à l’obtention d’une ordonnance de mandamus sont cumulatives et doivent être respectées par la partie qui demande l’ordonnance.

2.  Observations des parties

[20]  Les demandeurs soutiennent que le défendeur doit accepter et examiner leur demande CH. Ils affirment que, par son refus de le faire, le défendeur n’a pas respecté les dispositions de la LIPR, du RIPR et de ses propres guides opérationnels. Ils prétendent que la demande CH n’est pas une demande de parrainage, mais plutôt une demande CH prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR, étant donné que Gurmel est exclue de la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, les IM21 ne s’appliquent pas, ou ne devraient pas s’appliquer, à leur demande, et le fait qu’ils n’aient pas été sélectionnés dans le cadre du processus de sélection aléatoire des répondants n’est pas pertinent. De plus, les demandeurs soutiennent qu’ils ne font pas de resquillage, puisque leur demande doit être examinée en dehors du volet de parrainage normal. Ils affirment également que, même s’ils avaient été sélectionnés dans le cadre du processus de sélection aléatoire, les IM21 ne permettaient pas l’examen de leur demande en fonction de motifs d’ordre humanitaire.

[21]  Les demandeurs soutiennent que le défendeur avait l’obligation, à leur égard, d’accepter la signification de la demande CH, et que son refus de le faire a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Ils affirment que les instructions ministérielles en question ne peuvent avoir pour effet de circonscrire le pouvoir discrétionnaire que confère au ministre le paragraphe 25(1) de la LIPR.

[22]  Le défendeur soutient que le fait de remplir et de déposer une demande d’immigration ne l’oblige pas à traiter la demande si celle‑ci ne satisfait pas aux exigences de la LIPR et du RIPR. Selon ses dires, les demandeurs veulent que la Cour utilise le paragraphe 25(1) de la LIPR pour contourner les exigences relatives au traitement des demandes de parrainage de parents, y compris celles énoncées dans les IM21, ainsi que pour le contraindre à accepter et à examiner une demande non conforme. Le défendeur souligne que sa capacité à donner des instructions ministérielles sur le traitement des demandes en vertu du paragraphe 87.3(3) de la LIPR est forte et bien établie (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, au paragraphe 40 [Cabral]). Les IM21 indiquent clairement que toute demande de parrainage qui ne respecte pas les conditions y précisées sera retournée. Or les demandeurs n’ont pas été invités à présenter une demande. Par conséquent, le défendeur n’avait aucune obligation légale à caractère public d’accepter la signification de leur demande CH et de l’examiner.

[23]  Le défendeur passe ensuite à l’argument des demandeurs selon lequel leur demande est une simple demande CH prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR et non une demande de parrainage de parents. Il déclare que le formulaire de demande, tout comme les formulaires d’accompagnement, indiquait que les demandeurs présentaient leur demande pour un parent ou un grand‑parent au titre de la catégorie du regroupement familial. Le défendeur soutient que les demandeurs étaient tenus de suivre le processus de parrainage et que la question de l’appartenance de fait à la catégorie du regroupement familial serait tranchée dans le cadre de l’évaluation de la demande CH faite par l’agent, une fois celle‑ci acceptée pour traitement.

3.  Le défendeur avait‑il une obligation légale à caractère public d’examiner la demande CH des demandeurs?

[24]  La question déterminante en l’espèce consiste à savoir si le défendeur avait une obligation à caractère public d’examiner la demande CH des demandeurs, ce qui correspond à la première condition du critère établi dans Apotex. Compte tenu du cadre législatif et réglementaire exhaustif établi par la LIPR et le RIPR, ainsi que des dispositions particulières des IM21, je conclus que le ministre n’avait aucune obligation légale à caractère public d’accepter la demande CH des demandeurs aux fins de traitement. La demande d’ordonnance de mandamus présentée par les demandeurs doit donc être rejetée. Je conclus également que le refus du ministre d’accepter la demande présentée par les demandeurs était raisonnable.

[25]  Les demandeurs soutiennent que le ministre a créé un labyrinthe législatif impraticable qui entrave indûment l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’examiner une demande CH en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Je ne suis pas d’accord. Bien que le cadre établi pour l’examen des demandes de parrainage d’étrangers se trouvant hors du Canada, y compris celles présentées pour des motifs d’ordre humanitaire, soit technique, il n’est pas impraticable.

[26]  Les demandeurs affirment que leur demande n’était pas une demande de parrainage, mais plutôt une demande CH autonome prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR. Toutefois, dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada a déclaré que le paragraphe 25(1) n’était pas censé constituer un régime d’immigration parallèle. À mon avis, les arguments des demandeurs signifient essentiellement que le paragraphe 25(1) devrait être considéré indépendamment des autres dispositions de la LIPR et du RIPR, et que ces autres dispositions ne peuvent pas restreindre l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre d’examiner les demandes CH.

[27]  La LIPR et le RIPR prévoient le processus par lequel doit être traitée la demande CH présentée à l’égard d’un étranger qui se trouve hors du Canada et qui sollicite la résidence permanente au Canada. Compte tenu du cadre législatif décrit ci‑dessus, il est évident que les demandeurs étaient tenus de joindre à leur demande concernant Gurmel une demande de visa de résident permanent, conformément à l’article 66 du RIPR. Ils étaient également tenus de désigner une catégorie réglementaire (catégorie du regroupement familial) dans le cadre de la demande. Les dispositions de la LIPR et du RIPR établissent également les paramètres du parrainage de Gurmel par les demandeurs.

[28]  Selon le paragraphe 87.3(1) de la LIPR, le traitement des demandes de parrainage et des demandes prévues au paragraphe 25(1) de la LIPR est assujetti aux instructions données par le ministre en vertu du paragraphe 87.3(3). Il n’y a aucune ambiguïté dans la LIPR à cet égard. De plus, le paragraphe 87.3(4) précise que les agents sont tenus de se conformer aux instructions données par le ministre avant de procéder au traitement d’une demande fondée sur l’article 25. Les IM21, publiées par le ministre en vertu du paragraphe 87.3(3) de la LIPR, mentionnent expressément les demandes présentées depuis l’étranger visées au paragraphe 25(1) de la LIPR :

Motifs d’ordre humanitaire — demandes

La demande faite à l’étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi qui accompagne une demande n’ayant pas été acceptée aux fins de traitement au titre des présentes instructions ne sera pas traitée.

[29]  À mon avis, la situation des demandeurs est abordée dans les IM21. Ils étaient d’abord tenus de présenter une demande dans laquelle ils devaient indiquer leur intérêt à présenter une demande de parrainage. Ce n’est que s’ils avaient ensuite été invités à le faire dans le cadre du processus de sélection aléatoire que les demandeurs auraient pu présenter une demande de parrainage pour motifs d’ordre humanitaire visant Gurmel. Mais les demandeurs n’ont pas présenté de demande pour indiquer leur intérêt, et, par conséquent, leur demande de parrainage n’a pu être traitée. Selon les IM21, les agents doivent retourner les demandes qui ne satisfont pas aux conditions énoncées, et le paragraphe 87.3(4) de la LIPR exige d’eux qu’ils se conforment à ces instructions.

[30]  J’ai examiné l’argument des demandeurs selon lequel la publication des IM21 par le défendeur a eu pour effet d’entraver de façon inappropriée l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25(1) de la LIPR. Les IM21 ont été établies en vertu du paragraphe 87.3(3) de la LIPR, qui permet au ministre de donner des instructions sur le traitement des demandes, y compris sur l’établissement de l’ordre dans lequel les demandes seront traitées et le nombre de demandes à traiter dans une année donnée. Aux termes du paragraphe 87.3(1), l’article 87.3 s’applique aux « demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada ». Par conséquent, le législateur a expressément envisagé l’utilisation d’instructions par le ministre pour réglementer le traitement des demandes CH.

[31]  Dans l’affaire Esensoy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1343 (Esensoy), le juge Zinn s’est penché sur la validité des instructions ministérielles données en vertu du paragraphe 87.3(3) dans le contexte d’un moratoire sur les demandes de parrainage imposé en 2011 par l’intermédiaire d’instructions. Le juge Zinn a conclu que le pouvoir que confère la disposition au ministre est un fort pouvoir (Esensoy, au paragraphe 17), pourvu qu’il soit utilisé de bonne foi en réponse à une question nécessitant une intervention administrative (voir aussi Lukaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 8, aux paragraphes 28 à 31). En l’espèce, les demandeurs n’ont pas allégué la mauvaise foi du défendeur ni affirmé que les IM21 ne répondaient pas à une exigence administrative véritable.

[32]  Je conclus que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cabral renforce encore davantage le pouvoir du ministre de gérer et d’organiser le traitement des demandes de parrainage. Dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur la portée du pouvoir du ministre de donner des instructions concernant la compétence linguistique en vertu du paragraphe 87.3(3) de la LIPR. La juge Gleason a déclaré ce qui suit (Cabral, au paragraphe 40) :

[40] La Cour fédérale et notre Cour avons toutes deux reconnu le pouvoir général de donner des instructions dont dispose le ministre en vertu de cette disposition ou de dispositions semblables de la LIPR afin de limiter le nombre de demandes à traiter et d’établir des balises quant à la façon dont elles doivent être traitées : Tabingo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377, au paragraphe 8, 362 DLR (4th) 166; conf. par Austria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, aux paragraphes 46, 66 et 67, [2015] 3 RCF 346; Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 596, au paragraphe 29, [2015] 3 RCF 143; appel rejeté 2015 CAF 146; Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758, au paragraphe 42, [2012] ACF no 683.

[33]  En l’espèce, les demandeurs font valoir que le cadre régissant les demandes de parrainage et l’obligation de désigner l’étranger comme membre de la catégorie du regroupement familial ne s’appliquent pas dans leur cas, en raison de leur adoption et de l’application des paragraphes 3(2) et 133(5) de la RIPR. Toutefois, il n’y a aucune raison pour que la question de l’appartenance de fait à la catégorie du regroupement familial ne puisse pas être prise en compte lors de l’examen sur le fond de la demande par un agent, une fois que la demande aura été acceptée pour traitement, conformément aux IM21. Les demandeurs soutiennent que, par son refus de traiter leur demande CH, le défendeur empêche toute évaluation du bien‑fondé de leur demande par un agent. Ce n’est pas le cas. L’évaluation du bien‑fondé de leur demande est simplement reportée jusqu’à ce que leur demande de parrainage soit présentée de façon adéquate et conforme aux dispositions de la LIPR, du RIPR et des IM21.

[34]  En résumé, je conclus que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que le défendeur avait à leur égard une obligation à caractère public d’accepter leur demande CH aux fins de traitement. Le défendeur a agi conformément aux dispositions législatives pertinentes qui régissent les demandes CH pour un étranger qui se trouve hors du Canada, y compris les exigences des IM21. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas respecté la première condition du critère établi dans Apotex pour le prononcé d’une ordonnance de mandamus. Étant donné que chaque condition du critère doit être remplie, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres conditions. Je ferai seulement remarquer que les demandeurs disposent d’autres recours, comme il est indiqué dans la décision, et que la prépondérance des inconvénients en l’espèce favorise le défendeur et sa capacité à gérer adéquatement l’acceptation et le traitement des nombreuses demandes de parrainage qui sont reçues chaque année.

[35]  Par ailleurs, la décision du défendeur de ne pas accepter la demande présentée par les demandeurs était raisonnable. Le rejet de la demande pour non‑respect des IM21 est le résultat qui convenait dans cette affaire, et la décision était justifiée et intelligible (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Conclusion

[36]  La demande est rejetée.

[37]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1842‑18

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Regroupement familial

Family reunification

 

12(1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

12(1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

[…]

[…]

 

Parrainage de l’étranger

 

Sponsorship of foreign nationals

 

13(1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

 

13(1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

 

[…]

[…]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25(1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25(1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[…]

[…]

 

Application

Application

 

87.3(1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

87.3(1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsections 11(1) and (1.01), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made under subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

[…]

[…]

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui‑ci;

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

 

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

[…]

[…]

 

Respect des instructions

Compliance with instructions

 

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

 

(4) Officers and persons authorized to exercise the powers of the Minister under section 25 shall comply with any instructions before processing an application or request or when processing one. If an application or request is not processed, it may be retained, returned or otherwise disposed of in accordance with the instructions of the Minister.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

Interprétation : adoption

 

Interpretation — adoption

3(2) Pour l’application du présent règlement, il est entendu que le terme adoption s’entend du lien de droit qui unit l’enfant à ses parents et qui rompt tout lien de filiation préexistant.

 

3(2) For the purposes of these Regulations, adoption, for greater certainty, means an adoption that creates a legal parent-child relationship and severs the pre-existing legal parent-child relationship.

[…]

 

[…]

Demande

 

Request

66 La demande faite par un étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi doit être faite par écrit et accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident permanent ou, dans le cas de l’étranger qui se trouve hors du Canada, d’une demande de visa de résident permanent.

 

66 A request made by a foreign national under subsection 25(1) of the Act must be made as an application in writing accompanied by an application to remain in Canada as a permanent resident or, in the case of a foreign national outside Canada, an application for a permanent resident visa.

[…]

 

[…]

Catégories

 

Classes

70(2) Les catégories sont les suivantes :

 

70(2) The classes are

 

a) la catégorie du regroupement familial;

 

(a) the family class;

 

b) la catégorie de l’immigration économique, qui comprend la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral — transitoire), la catégorie des travailleurs qualifiés (Québec), la catégorie des candidats des provinces, la catégorie de l’expérience canadienne, la catégorie des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral), la catégorie des investisseurs (Québec), la catégorie des entrepreneurs (Québec), la catégorie « démarrage d’entreprise », la catégorie des travailleurs autonomes et la catégorie des travailleurs autonomes (Québec);

 

(b) the economic class, consisting of the federal skilled worker class, the transitional federal skilled worker class, the Quebec skilled worker class, the provincial nominee class, the Canadian experience class, the federal skilled trades class, the Quebec investor class, the Quebec entrepreneur class, the start-up business class, the self-employed persons class and the Quebec self-employed persons class; and

 

c) la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

(c) the Convention refugees abroad class and the country of asylum class.

 

[…]

 

[…]

Regroupement familial

 

Member

117(1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

 

117(1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

 

[…]

 

[…]

c) ses parents;

 

(c) the sponsor’s mother or father;

[…]

 

[…]

Répondant adopté

 

Adopted sponsor

133(5) La personne adoptée à l’étranger et dont l’adoption a été annulée par des autorités étrangères ou un tribunal canadien compétent ne peut parrainer la demande de visa de résident permanent présentée par une personne au titre de la catégorie du regroupement familial que si l’annulation de l’adoption n’a pas été obtenue dans le but de pouvoir parrainer cette demande.

133(5) A person who is adopted outside Canada and whose adoption is subsequently revoked by a foreign authority or by a court in Canada of competent jurisdiction may sponsor an application for a permanent resident visa that is made by a member of the family class only if the revocation of the adoption was not obtained for the purpose of sponsoring that application.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1842‑18

 

INTITULÉ :

BUTA SINGH DHILLON, GURMEL KAUR DHILLON, SHINDERPAL KAUR SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

calgary (alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

POUR LES DEMANDEURS

David Shiroky

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raj Sharma

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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