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Date : 20190402


Dossier : T-975-16

Référence : 2019 CF 393

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2019

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LUC BESSETTE

demandeur

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC ET RÉGIE DE L’ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS


Table des matières

I. INTRODUCTION  4

I. CONTEXTE GÉNÉRAL  5

II. DESCRIPTION DES BREVETS EN CAUSE  7

A. Le Brevet 794  8

(1) La description  8

(2) Les revendications  14

B. Le Brevet 598  16

(1) La description  16

(2) Les revendications  18

III. SURVOL DE LA PREUVE ADMINISTRÉE AU PROCÈS  26

A. Le demandeur  26

B. Les défendeurs  35

C. La preuve d’expert  36

D. La preuve documentaire  40

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE  41

V. ANALYSE  43

A. L’interprétation des revendications  43

(1) Les principes juridiques applicables  43

(2) La PVA  48

(3) Les connaissances générales de la PVA  52

(4) Les inventions en cause, selon les experts  54

a) Le Brevet 794  54

b) Le Brevet 598  56

(5) Le sens et la portée des revendications du Brevet 794  56

a) Retour sur la notion d’interprétation « téléologique »  57

b) Le rôle des experts  58

c) Les réserves exprimées quant à l’admissibilité de la preuve de M. Thilloy  59

d) Les réserves exprimées quant à l’utilité de la preuve de M. April  61

e) La revendication 1  62

f) Les revendications 2 à 5  71

g) La revendication 6  77

h) Les revendications 7 et 8  82

(6) Le sens et la portée des revendications du Brevet 598  83

a) La revendication 1  84

b) Les revendications 2 à 18  87

c) La revendication 19  90

d) Les revendications 20 à 22 et 28 à 30  93

e) La revendication 31  93

f) Les revendications 33 à 36 et 39 à 42  96

B. L’allégation de contrefaçon  98

(1) Les principes juridiques applicables  98

(2) Le DSQ  100

a) La genèse du DSQ et les grands jalons de son développement  101

b) Les principales composantes et le fonctionnement du DSQ  103

(3) Le Brevet 794  117

a) La revendication 1  117

b) Les revendications 2 à 5  131

c) La revendication 6  135

d) Les revendications 7 et 8  137

(4) Le Brevet 598  138

a) La revendication 1  140

b) Les revendications 2, 4, 9, 10, 13 à 16 et 18  150

c) La revendication 19  154

d) Les revendications 20 à 22 et 28 à 30  157

e) La revendication 31  158

f) Les revendications 33 à 36 et 39 à 42  160

C. L’allégation d’invalidité  161

(1) Antériorité et évidence : Principes juridiques applicables  162

a) Antériorité  162

b) Évidence  165

(2) Le Brevet 794  167

a) Antériorité  167

(i) Kohane AA-18  169

(ii) Kohane AA-20  172

(iii) Brevet Johnson  174

(iv) Brevet Eberhardt  177

b) Évidence  181

(3) Le Brevet 598  187

a) Évidence  187

(i) La revendication 1  188

Définition de l’idée originale  188

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication  189

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la PVA ou dénotent-elles quelque inventivité?  191

(ii) Les revendications 2, 4, 9, 10, 13 à 16 et 18  193

(iii) La revendication 19  193

Définition de l’idée originale  193

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication  194

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la PVA ou dénotent-elles quelque inventivité?  196

(iv) Les revendications 20 à 22 et 28 à 30  196

(v) La revendication 31  196

Définition de l’idée originale  196

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication  197

(vi) Les revendications 33 à 36, 39 et 40  201

(vii) Les revendications 41 et 42  206

(4) Portée excessive  207

(5) Insuffisance dans la divulgation  211

a) Principes juridiques applicables  211

b) Le Brevet 794  212

c) Le Brevet 598  215

D. Le droit à un dédommagement  217

I.  INTRODUCTION

[1]  L’évolution fulgurante, au cours des cinquante dernières années, qu’ont connu les technologies de la communication et de l’information a eu impact profond, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire, sur nos sociétés. Cette évolution s’est entre autres répercutée, ici comme ailleurs, sur l’univers de la livraison des services de santé. Notamment, l’époque où toute l’information, médicale et autre, colligée et consignée sur un patient ne se présentait que sur format papier, est révolue. On la retrouve maintenant, presque partout, grâce aux investissements massifs de nos gouvernements, numérisée et stockée dans des infrastructures informatiques qui en permettent aisément et utilement l’accès aux professionnels de la santé. Tous s’entendent pour dire que l’informatisation des dossiers des usagers de nos systèmes de santé contribue à la livraison de meilleurs soins de santé à de meilleurs coûts.

[2]  La présente affaire met en cause des enjeux de propriété intellectuelle liés à cette avancée technologique dans le contexte de la mise en place, par le gouvernement du Québec, en 2013, du Dossier Santé Québec [DSQ], un outil informatique permettant aux médecins et aux autres professionnels du réseau de la santé au Québec « d’avoir accès à des renseignements jugés essentiels pour intervenir rapidement et assurer un suivi de qualité auprès de leurs patients » (Exposé conjoint de faits et d’admissions au para 44 [Exposé conjoint de faits]). S’y pose plus précisément la question de savoir si, ce faisant, le gouvernement du Québec a contrefait deux inventions revendiquées par le demandeur. Corolairement, s’y pose la question de la validité du monopole ainsi revendiqué par le demandeur.

I.  CONTEXTE GÉNÉRAL

[3]  Le demandeur est médecin. Il est aussi titulaire, aux termes de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-34 [la Loi], des brevets canadiens no. 2,233,794 [Brevet 794] (Pièce TX-1) et no. 2,329,598 [Brevet 598] (Pièce TX-2), intitulés, respectivement, « Méthode et matériel pour la gestion de dossiers médicaux » (« Method and Apparatus for the Management of Medical Files ») et « Méthode et appareil de gestion de fichiers de données » (« Method and Apparatus for the Management of Data Files »).

[4]  Selon le demandeur, le Brevet 794 porte plus spécifiquement sur un système de dossier médical partagé en réseau. L’idée de concevoir un tel système lui est venue, allègue-t-il, de son expérience comme urgentologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal [le CHUM] dans les années 90. Alors, dit-il, que l’essence de son travail était de poser rapidement des diagnostics, l’information utile pour y parvenir dans des temps médicalement sécuritaires était difficilement accessible parce que disséminée de façon plus ou moins ordonnée dans plusieurs établissements et noyée dans de l’information souvent non-pertinente aux cas qui se présentaient à lui. Ce système, poursuit-il, vise donc, dans un souci d’efficacité et de réduction de coûts, à permettre au personnel médical traitant d’accéder rapidement à l’information médicale pertinente, d’abord sous la forme d’un sommaire des renseignements de santé existants sur le patient, et par la suite, au besoin, au détail des renseignements utiles, et ce, quel que soit l’endroit sur le réseau où cette information a été d’abord colligée et conservée.

[5]  Quant au Brevet 598, le demandeur soutient que bien qu’il s’attaque aux mêmes problématiques que le Brevet 794, il innove en portant plus spécifiquement sur un concept particulier de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire envisagée par le Brevet 794. Le Brevet 598 introduit également, selon le demandeur, un système permettant aux intervenants du réseau d’accéder aux données médicales les plus récentes sur un patient à partir de leur propre téléphone intelligent par exemple, et aux usagers eux-mêmes d’en faire de même en rapport avec les données médicales les plus récentes les concernant.

[6]  Le demandeur prétend que le gouvernement du Québec, via le ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS] et la Régie de l’assurance maladie du Québec [RAMQ], une société d’État mandatée pour administrer les programmes du régime d’assurance maladie du Québec, [collectivement les « défendeurs »], ont enfreint les Brevets 794 et 598 en mettant en place le DSQ.

[7]  En guise de réparation, il demande à la Cour de confirmer la validité des brevets en cause, déclarer que les défendeurs ont violé, en tout ou en partie, directement ou indirectement, lesdits brevets et reconnaître qu’il est en droit d’être dédommagé des suites de cette violation. Le demandeur réclamait également que lui soit reconnu le droit à des dommages punitifs, mais il a abandonné cette demande au procès.

[8]  Le MSSS, qui, en vertu de la loi québécoise, en l’occurrence la Loi concernant le partage de certains renseignements de santé, RLRQ c P-9.0001 [LCPRS], a pour mandat d’établir et de maintenir le DSQ, et la RAMQ, celui d’en établir et maintenir certaines composantes, nient toute contrefaçon, directe ou indirecte, de l’un ou l’autre des brevets en cause et plaident, en demande reconventionnelle, l’invalidité desdits brevets pour motifs d’antériorité, d’évidence, d’insuffisance dans la divulgation, de manque d’utilité et/ou de portée excessive.

[9]  Suite à une ordonnance de la Cour, datée du 8 août 2016, obtenue sur requête conjointe des parties, la présente instance a été scindée, les questions relatives à l’évaluation des dommages ne devant être tranchées, si nécessaire, qu’une fois rendu le jugement sur celles relatives à la contrefaçon et à la validité des brevets en cause et au droit du demandeur, le cas échéant, au paiement d’un dédommagement raisonnable.

II.  DESCRIPTION DES BREVETS EN CAUSE

[10]  Le Brevet 794 compte neuf (9) revendications, dont trois sont des revendications indépendantes (revendications 1, 6 et 9). La demande auprès du Commissaire aux brevets [Commissaire] en vue de l’octroi de ce brevet a été déposée par le demandeur le 1er avril 1998 et publiée le 24 août 1999. Ledit brevet a été émis le 6 février 2001; il était valide jusqu’au 1er avril 2018.

[11]  Pour sa part, le Brevet 598 compte quarante-trois (43) revendications, dont trois sont des revendications indépendantes (revendications 1, 19 et 31). Le demandeur a déposé sa demande auprès du Commissaire le 22 décembre 2000 et celle-ci a été publiée le 13 juin 2002. Ledit brevet a été émis le 24 février 2015 et il est valide jusqu’au 22 décembre 2020.

[12]  La date de « priorité » pour le Brevet 794 est le 24 février 1998; celle pour le Brevet 598, le 13 décembre 2000.

[13]  Toutes ces dates ont fait l’objet d’admissions (Exposé conjoint de faits aux para 5-6).

A.  Le Brevet 794

(1)  La description

[14]  Suivant l’article 79 des Règles sur les brevets, DORS/96-423 [Règles], l’abrégé contenu à une demande de brevet, même s’il ne peut être pris en considération dans l’évaluation de l’étendue du monopole revendiqué, doit être rédigé en des termes « qui permettent une compréhension claire du problème technique, de l’essence de la solution de ce problème par le moyen de l’invention et de l’usage principal ou des usages principaux de celle-ci ».

[15]  L’abrégé du Brevet 794 se lit comme suit.  :

La présente invention propose un système de réseau pour le stockage de dossiers médicaux. Les dossiers sont stockés sur un serveur dans une base de données. Chaque dossier comprend deux parties, c'est-à-dire un ensemble de données contenant des informations de nature médicale pour l'individu en question, et une pluralité de pointeurs fournissant des adresses ou des emplacements distants où se trouvent d'autres données médicales pour l'individu en question. Chaque dossier inclut également un élément de données indiquant le type basique de données médicales présentes à l'emplacement pointé par le pointeur. Cet agencement permet à un poste de travail client de télécharger le dossier ainsi que l'ensemble de pointeurs vers les fichiers d'emplacements distants. L'identification du type basique d'informations auxquelles mène chaque pointeur permet au médecin de sélectionner les informations d'intérêt et ainsi d'éviter de télécharger des volumes massifs de données dont seule une partie est nécessaire à ce moment. De plus, la structure de dossier permet d'effectuer des demandes statistiques sans avoir à accéder aux données derrière les pointeurs. Par exemple, une demande peut être fondée sur des clés dont l'une est le type de données auquel peut mener un pointeur. La demande peut donc être réalisée sur la base de pointeurs clés et les informations restantes conservées dans le dossier.

[16]  Le domaine technique auquel se rapporte l’invention est décrit comme suit dans le mémoire descriptif du Brevet 794 (Pièce TX-1), lequel mémoire, suivant l’article 27 de la Loi, comprend principalement, une partie descriptive – aussi appelée « divulgation » - et des revendications:

The present invention relates to the field of information distribution systems. More specifically, it pertains to a device and method for the electronic management of files within the medical and health education domains.

[17]  Sous la rubrique « Background of the Invention », la partie descriptive du Brevet 794 [Divulgation 794] définit certains termes techniques jugés pertinents à la compréhension du brevet, à savoir : client-serveur (« Client-Server »), Intranet, réseau local (« Local Area Network » [LAN]), réseau étendu (« Wide Area Network ») [WAN]), système ouvert (« Open System »), pointeur (« Pointer ») et protocoles d’échanges standardisés (« Standard Exchange Protocoles »). On y note l’évolution récente des domaines de l’information et de la technologie et les progrès importants effectués sur le plan de la transmission de l’information. On y note de façon plus particulière comment cette évolution amène des changements profonds dans les rapports entre les domaines hospitalier et académique, notamment en ce qui a trait aux archives et bases de données médicales et à la capacité de consulter, de manière transparente, des éléments d’information qui s’y trouvent et de les partager en temps réel.

[18]  Toujours sous cette rubrique, la Divulgation 794 traite aussi des limites des pratiques prévalant en 1998 en matière de stockage de données médicales, limites liées au fait que ce stockage se fait généralement localement et que les systèmes en place localement ne permettent pas un accès complet aux informations de différentes sources concernant un patient, compliquant ainsi la tâche des urgentologues. Combiner ces réseaux locaux indépendants en un réseau unique intégré ne parait toutefois pas la solution à ce problème, et ce, pour un certain nombre de raisons liées, notamment, à la capacité de stockage de ce réseau intégré compte tenu du fort volume d’information qui y serait stockée, et à la nécessité d’avoir un langage commun permettant à ce réseau unique intégré de communiquer avec les réseaux locaux. On y conclut qu’il existe un besoin pour le développement d’une méthode permettant d’accéder à des dossiers médicaux distribués dans un réseau élargi et à d’autres données externes de manière à accroitre le nombre de sources d’information accessibles aux médecins.

[19]  Les objectifs et le sommaire de l’invention y sont ensuite décrits en ces termes :

An object of the present invention is to provide a system and method for electronic management of files that contain medical data.

Another object of the invention is a computer readable storage medium containing a data structure that holds medical information.

As embodied and broadly described therein, the invention provides a computer readable storage medium holding a data structure, said data structure comprising at least one record associated with a certain individual, said record including:

A collection of data elements containing information of medical nature for the certain individual;

At least one pointer, said pointer including a first component and a second component, said first component being indicative of an address of a location containing additional medical data for the individual, said second component being indicative of the basic nature of the medical data at the location pointed to by the first component, said address being in a form such that a machine can access the location and import the medical data from the location.

[Je souligne]

[20]  Selon la réalisation préférentielle décrite aux pages 6 et 7 de la Divulgation 794 (Pièce TX-1), le « computer readable storage medium » est une base de données contenant un fort volume de dossiers médicaux liés à différents usagers du réseau de la santé. Les éléments d’information qu’on y retrouve sont destinés à être stockés de manière à ce qu’on puisse y accéder aisément et concernent de l’information médicale non-susceptible de varier au cours de la vie de l’usager. Ils peuvent aussi contenir des identifiants permettant de distinguer un dossier d’un autre. Chaque dossier contient aussi des pointeurs (« pointers ») liés à des sites éloignés où est stockée, sous une forme numérisée, de l’information relative à un individu, comme des résultats de tests sanguins ou d’électrocardiogramme. Chaque pointeur comporte, pour sa part, au moins deux composantes, à savoir « an address part that is machine readable to import the data residing [at] the target location and also a second part that is data indicative of the basic nature of the information held remotely ».

[21]  Concrètement, cette base de données peut être interrogée à distance, à même un réseau, de manière à en extraire le dossier relatif à un individu. Cette opération est décrite de la façon suivante :

[…] Typically, this operation can be performed over a network, where a client workstation requests the record from a server managing the database. The server will transfer over the network links the record that will be displayed on the client workstation. The information displayed is the collection of data elements permitting to identify the person and also providing the medical data that is more or less of static nature. The operator at the workstation, that would typically be a physician, also sees then the existence of one or more pointers to files holding additional medical data. The second part of each pointer indicates to the physician the basic nature of the data pointed to. He can therefore select the pointers of interest in the global set of pointers for that record and import the data through any appropriate data transfer protocol.

[22]  Cet arrangement permet ainsi la mise en place d’un système de dossiers médicaux électroniques distribués où le gros du volume de données, s’il réside dans des sites éloignés de la base de données centrale, soit, la plupart du temps, là où les données sont recueillies, tel un établissement hospitalier, demeure aisément accessible grâce à la structure de pointeurs de l’arrangement.

[23]  La Divulgation 794 contient ensuite une description brève et une description détaillée des dix (10) figures contenues audit brevet. La figure 3, notamment, est censée représenter un système de dossier médical partagé en réseau intégrant les principes de l’invention, dont une composante importante, précise la description, est le « Network Distributed Shared Medical Record (NDSMR) System » [NDSMR] :

[24]  La figure 5, elle, offre une représentation générale d’une architecture client-serveur implémentant le système NDSMR; elle montre, graphiquement, les interactions entre le client, le serveur et la base de données NDSMR :

(2)  Les revendications

[25]  Tel que je l’ai déjà indiqué, le Brevet 794 compte neuf (9) revendications. Au départ, le demandeur alléguait contrefaçon de toutes et chacune desdites revendications. Il ne prétend toutefois plus maintenant à la contrefaçon de la revendication 9. Des huit revendications restantes, deux, je le rappelle, sont des revendications indépendantes, soit les revendications 1 et 6.

[26]  La revendication 1 reprend verbatim l’extrait de la Divulgation 794 que j’ai souligné au paragraphe 19 des présent motifs.

[27]  La revendication 2 précise que le « record » contenu dans la structure de données (« data structure ») du support de stockage (« computer readable storage medium ») auxquels réfère la revendication 1, inclut une pluralité de pointeurs (« plurality of pointers ») dont un comprend une première composante qui est indicative d’une adresse d’un premier emplacement (« location ») et un autre qui comprend aussi une première composante qui, elle, est indicative d’une adresse d’un second emplacement éloigné (« remote ») du premier.

[28]  La revendication 3 précise, pour sa part, que les premier et second emplacements auxquels réfère la revendication 2 correspondent à des nœuds (« nodes ») distincts dans un réseau. Quant à la revendication 4, elle stipule que le support de stockage (« computer readable storage medium ») auquel réfère la revendication 3 comprend une multitude de « records ». Enfin, la revendication 5 précise que ce support de stockage (« computer readable storage medium ») réside (« reside ») dans un serveur (« server ») à l’intérieur d’un réseau.

[29]  La revendication 6 réfère à la notion de serveur en réseau (« network server ») et en précise certaines composantes, soit un processeur (« processor ») et une mémoire (« memory »). On y précise aussi que la mémoire inclut, à son tour, (i) une pluralité de « records » (« plurality of records ») contenant de l’information médicale sur plus d’un patient et au moins un pointeur comprenant une première et une seconde composante, ainsi que (ii) un élément de programme capable, sur requête d’un intervenant connecté au serveur par le biais d’une voie de communication, de localiser un enregistrement parmi la pluralité d’enregistrements (« records ») abrités par la mémoire, et de communiquer cet enregistrement à ce client, via cette même voie de communication.

[30]  Les revendications 7 et 8 dépendent de la revendication 6 et sont similaires aux revendications 2 et 3 sauf qu’elles sont en lien avec la notion de serveur (« server »), tel que définie à la revendication 6, plutôt qu’avec celle de support de stockage (« computer readable storage medium »), tel que définie à la revendication 1.

B.  Le Brevet 598

(1)  La description

[31]  L’abrégé du Brevet 598 est à toutes fins utiles identique à celui du Brevet 794. Les différences, très peu nombreuses, sont mineures et essentiellement d’ordre sémantique. Comme l’a précisé le demandeur, le Brevet 598 s’attaque aux mêmes problématiques que le Brevet 794. La partie descriptive du mémoire descriptif dudit brevet [Divulgation 598] (Pièce TX-2) reprend d’ailleurs de larges pans de la Divulgation 794. Les figures y sont exactement les mêmes.

[32]  La Divulgation 598 diffère tout de même à certains égards.

[33]  D’une part, elle introduit les notions d’identifiant unique (« Unique Identifier »), d’adresse URL (« Uniform Resource Locator ») et de champ de données (« Data Field »). Le sommaire de l’invention (« Summary of the Invention ») se lit d’ailleurs comme suit :

An object of the present invention is to provide a system and method for electronic management of data files.

Another object of the invention is a computer readable storage medium containing a data structure that holds information.

As embodied and broadly described herein, the invention provides a computer readable storage medium holding a data structure, said data structure comprising at least one record associated with a certain individual, said record including:

-  At least one unique identifier associated strictly with the certain individual;

-  At least one pointer, said pointer using the URL addressing system to indicate the address of a location containing data  for the certain individual, said address being in a form such that a machine can access the location and import the data from the location;

-  At least one data field, said data field associated with said pointer, said data field being indicative of the basic nature of the data at the location pointed to by the said pointer.

[Je souligne]

[34]  Elle introduit aussi un concept permettant l’accès aux données stockées dans la base de données NDSMR, par le médecin ou le patient lui-même au moyen d’un système personnel de communication (« Personal Communication System »), tel un téléphone intelligent, ou encore au moyen d’une carte à puce (« Smart Card »).

[35]  Enfin, la description introduit un concept de mise à jour automatique de l’information médicale distribuée à l’intérieur d’un réseau :

As embodied and broadly described therein, the invention provides a method for updating medical information distributed across a network system, the network system storing a plurality of medical records associated with respective individuals, the network system including a plurality of nodes connected to each other by data communication paths, the plurality of nodes including at least a first node and a second node, the first node storing a summary component of a medical record associated with a first individual, the summary component including a plurality of information items of medical nature relating to the first individual, the plurality of information items conveying:

a) identification of medical tests performed on the first individual;

b) reference to remote medical data stored at one or more nodes of the network system that are remote from the first node, the remote medical data conveying results of one or more medical tests identified at (a);

the method including:

(a)  performing at the second node a medical information update process, which includes:

(i)  receiving at the second node new medical data;

(ii)  processing the new medical data to identify new medical information associated with the first individual;

(iii)  initiating at the second node a data transmission to the first node, the data transmission conveying to the first node data to update the summary component of the medical record associated with the first individual based on the processed new medical data;

(b)  receiving at the first node the data to update the summary component of the medical record associated with the first individual;

(c)  creating a new information item in the summary component of the medical record based on the processed new medical data.

(2)  Les revendications

[36]  Le Brevet 598, je le rappelle, compte quarante-trois (43) revendications, dont trois sont des revendications indépendantes (revendications 1, 19 et 31). À l’issue du procès, le demandeur a modifié la liste de revendications qui, selon lui, auraient été violées par les défendeurs suite à la mise en place du DSQ. Les revendications visées par les allégations de contrefaçon sont maintenant les suivantes : 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 31, 33 à 36 et 39 à 42.

[37]  La revendication 1 décrit une méthode (« method ») visant la mise à jour automatique (« automatic updates ») de l’information médicale sommaire d’un patient (« summary medical information for a first patient ») stockée à un premier nœud (« node ») d’un réseau de données (« data network ») abritant de l’information médicale selon le concept de stockage distribué (« storing medical information in a distributed fashion »). Ce réseau comporte par ailleurs un second nœud où est enregistrée de la nouvelle information médicale concernant ce patient, le premier nœud étant configuré pour recevoir de l’information du second via une voie de communication reliant les deux nœuds.

[38]  Toujours selon la revendication 1, l’information médicale sommaire à laquelle celle-ci réfère comprend (i) une pluralité d’éléments d’information permettant d’identifier les soins de santé dispensés au patient (« a plurality of information items identifying medical care services dispensed to the first patient ») et (ii) une pluralité de pointeurs (« a plurality of pointers ») associés à ces éléments d’information (« associated with respective information items of the plurality of information items »), chaque pointeur servant à identifier un emplacement dans le réseau de données (« identifying a location in the data network ») qui est éloigné du premier nœud (« that is  remote from the first node ») et qui contient de l’information médicale additionnelle concernant les soins de santé identifiés dans les éléments d’information auxquels chaque pointeur est associé.

[39]  Enfin, la revendication 1 précise que la méthode à laquelle elle réfère comprend au moins trois actions :

  1. une première par laquelle une mise à jour de la nouvelle information médicale stockée au second nœud, est poussée (« pushing ») vers le premier nœud, ce qui comprend le traitement de la nouvelle information médicale (« including processing the new medical information ») de manière à en tirer des données de mise à jour (« to derive update data ») et la transmission de cette mise à jour du second nœud vers le premier nœud (« initiating at the second node a data transmission to the first node, the data transmission conveying to the first node the update data »);
  2. une seconde par laquelle cette mise à jour est reçue au premier nœud en provenance du second nœud (« receiving at the first node the update sent by the second node »); et
  3. une troisième par laquelle un nouvel élément d’information basé sur cette mise à jour est créée au premier nœud (« creating at the first node a new information item based on the update data »).

[40]  Les revendications 2 à 18 sont dépendantes de la revendication 1. La revendication 2 précise que les soins de santé auxquels réfère la revendication 1 (« medical care services ») comprennent un test posant un diagnostic sur un patient (« a medical diagnostic test performed on the first patient »). La revendication 4  précise que ce test peut être un test d’imagerie (« imaging test »).

[41]  La revendication 9 prévoit qu’aux fins de la méthode décrite aux revendications 1 à 7, le second nœud (« the second node ») est implémenté par un arrangement de serveurs (« server arrangement »). Pour sa part, la revendication 10 précise qu’aux fins de cette même méthode, le premier nœud (« the first node ») comprend un microprocesseur associé à un stockage sur support pouvant être déchiffré par une machine (« a  microprocessor associated with a machine-readable storage »), et sur lequel l’information médicale sommaire est conservée (« the summary medical information being stored in the machine-readable storage »).

[42]  La revendication 13 prévoit qu’aux fins de la méthode décrite aux revendications 1 à 12, le second nœud (« the second node ») stocke de l’information médicale d’une pluralité de patients (« stores medical information about a plurality of patients »).

[43]  Les revendications 14 à 16 traitent de l’information nominative et non-nominative (« nominative information and non-nominative information ») contenue au dossier médical d’un patient et stockée dans le réseau de données (« data network »). La revendication 15 précise que ces deux types d’information sont stockés à des emplacements différents du réseau de données (« stored at separate locations of the data network »). Quant à la revendication 16, elle précise que l’information de type non-nominative est stockée au second nœud, à l’exclusion de toute information de type nominative (« second node stores non-nominative information for the first patient without storing nominative information for the first patient »).

[44]  La revendication 18, la dernière des revendications dépendantes de la revendication 1, précise que la mise à jour envisagée par la méthode définie à l’une ou l’autre des revendications 1 à 17, comporte un identifiant permettant de distinguer un patient des autres patients (« the update conveys an identifier distinguishing the first patient from other patients »).

[45]  La revendication 19 est la seconde revendication indépendante du Brevet 598. Elle porte sur un système, et non une méthode, comme la revendication 1. Ce système consiste en un arrangement de serveurs dans un réseau de données où sont stockés, selon le concept de stockage distribué, une pluralité de dossiers médicaux concernant plusieurs patients (« [a] server arrangement in a data network […] storing a plurality of medical records for respective patients in a distributed fashion »). Cet arrangement de serveurs est configuré pour permettre la mise à jour automatique de l’information médicale sommaire portant sur un patient et stockée à un nœud dudit réseau qui est éloigné de l’arrangement de serveurs, lorsque de la nouvelle information médicale concernant ce patient est enregistrée sur l’arrangement de serveurs.

[46]  Comme c’est le cas de la méthode proposée par la revendication 1, le nœud où est stockée l’information médicale sommaire du patient ne renferme pas toute l’information contenue au dossier médical dudit patient et cette information sommaire comporte, elle aussi, (i) une pluralité d’éléments d’information permettant d’identifier les soins de santé dispensés au patient et (ii) une pluralité de pointeurs associés à ces éléments d’information. Encore ici, chaque pointeur sert à identifier un emplacement dans le réseau de données (i) qui est éloigné du nœud où est stockée l’information médicale sommaire du patient et (ii) qui contient de l’information médicale additionnelle concernant les soins de santé identifiés dans les éléments d’information auxquels chaque pointeur parmi cette pluralité de pointeurs est associé.

[47]  Toujours selon la revendication 19, l’arrangement de serveurs est configuré pour que la nouvelle information médicale qui y est stockée soit poussée vers le nœud. Cela comprend, comme c’est le cas de la méthode décrite à la revendication 1, que cette nouvelle information médicale soit traitée de manière à en tirer des données de mise à jour (« processing the new medical information to derive update data ») et que ces données de mise à jour soient transmises au nœud à l’intérieur du réseau de données à partir de l’arrangement de serveurs (« initiating at the server arrangement a data transmission to the node, the data transmission conveying to the node the update data »). Cette revendication prévoit aussi que ces données de mise à jour incluent un identifiant permettant de distinguer un patient des autres patients (« an identifier distinguishing the first patient from other patients ») et de l’information permettant d’identifier le nouveau soin de santé dispensé à ce patient (« information identifying the new medical care service dispense to the first patient »).

[48]  Au même titre que les revendications 2 à 4, les revendications 20 à 22 précisent que les soins de santé auxquels réfère la revendication 19 (« medical care services ») comprennent un test posant un diagnostic sur un patient (« a medical diagnostic test performed on the first patient ») et que ce test peut être un test d’imagerie (« imaging test ») ou de laboratoire (« laboratory test »).

[49]  Les revendications 28 à 30 traitent, comme le font les revendications 14 à 16, des informations nominatives et non-nominatives (« nominative information and non-nominative information ») contenues au dossier médical d’un patient et stockées dans le réseau de données (« the data network »). La revendication 29 précise que ces deux types d’information sont stockés à des emplacements différents du réseau de données (« stored at separate locations of the data network »). Quant à la revendication 30, elle précise que l’information de type non‑nominative est stockée dans l’arrangement de serveurs, à l’exclusion de toute information de type nominative (« the server arrangement stores medical information for the first patient without storing nominative information about the first patient »).

[50]  La revendication 31 est la troisième et dernière revendication indépendante. Comme la revendication 1, elle décrit une méthode. Cette autre méthode vise, cette fois, la mise à jour d’informations médicales distribuées à travers un système de réseau où est stockée une pluralité de dossiers médicaux associés à plusieurs individus (« the network system storing a plurality of medical records associated with respective individuals »). Ce système inclut une pluralité de nœuds (« a plurality of nodes ») connectés l’un à l’autre par des voies de communication de données (« data communication paths »).

[51]  Cette pluralité de nœuds comprend au moins un premier et un second nœud. Le premier nœud renferme le sommaire du dossier médical associé à un patient (« storing a summary component of a medical record associated with the first individual »), lequel comprend une pluralité d’éléments d’information de nature médicale portant sur ce patient (« a plurality of information items of medical nature relating to the first individual »), dont (i) une identification de la nature des tests médicaux que le patient a pu subir (« identification of medical tests performed on the first patient ») et (ii) des références à de l’information médicale stockée dans un autre − ou plusieurs autres – nœud(s) du système de réseau éloigné(s) du premier nœud et comportant les résultats d’un, ou plusieurs, des tests identifiés parmi la pluralité d’éléments d’information contenue au sommaire du dossier médical du patient (« references to remote medical data stored at one or more nodes of the network system that are remote from the first node, the remote medical data conveying results of one or more medical test identified at [i] »).

[52]  Quant au second nœud, la méthode envisagée par la revendication 31 prévoit que c’est là que le processus de mise à jour de la nouvelle information médicale s’enclenche (« the method including performing at the second node a medical information update process ») dans la mesure où c’est au second nœud : (i) que ladite information est reçue (« receiving at the second node new medical data »); (ii) qu’elle est traitée de manière à identifier le patient à laquelle elle est associée (« processing the new medical data to identify new medical information associated with the first individual »); et (iii) qu’est initiée la transmission vers le premier nœud d’une mise à jour de cette information. Cette méthode prévoit aussi la création d’un nouvel item d’information dans le sommaire du dossier médical du patient, basé sur la nouvelle information médicale, telle que traitée. Contrairement aux revendications 1 et 19, on y retrouve aucune mention à l’effet que la mise à jour qui y est envisagée se fait automatiquement.

[53]  Les revendications 33 et 34 dupliquent, pour les fins de la revendication 31, les revendications 9 et 10, dont j’ai déjà traité au paragraphe 41 des présents motifs. Quant aux revendications 35 et 36, elles précisent, de la même manière que le font les revendications 3 et 4 et 21 et 22, ce que comprend le terme « medical test ».

[54]  La revendication 39 précise, pour sa part, qu’aux fins de la méthode décrite aux revendications 31 à 38, le second nœud stocke de l’information médicale portant sur une pluralité d’individus (« stores medical information about a plurality of individuals »).

[55]  Enfin, les revendications 40 à 42 traitent, exactement de la même manière que le font les revendications 14 à 16, de l’emplacement des informations nominatives et non-nominatives concernant un patient, stockées dans le réseau de données.

III.  SURVOL DE LA PREUVE ADMINISTRÉE AU PROCÈS

[56]  Les parties ont fait entendre cinq témoins au total.

A.  Le demandeur

[57]  Le demandeur a été le seul de son camp à offrir un témoignage de faits. Il a témoigné principalement de son expérience de travail, de son intérêt pour l’informatique, du développement des inventions faisant l’objet des deux brevets en cause, de ses tentatives de commercialiser l’invention derrière le Brevet 794 et de ses interactions, ce faisant, avec le gouvernement du Québec.

[58]  Je retiens ceci de son témoignage en chef.

[59]  Diplômé de la faculté de médecine de l’Université de Montréal au tournant des années 80, c’est en 1989 que le demandeur fait ses débuts comme urgentologue dans un des trois établissements – l’hôpital St-Luc − dont la fusion, au début des années 90, donnera naissance au CHUM.

[60]  Son idée d’un système de dossier médical partagé en réseau lui vient des défis qui se posent aux urgentologues, une discipline où la fenêtre d’intervention est limitée temporellement et où, pour poser le bon diagnostic, l’accès rapide aux renseignements médicaux pertinents sur le patient est crucial. Or, cet accès est problématique pour un certain nombre de raisons. D’une part, le patient ne connaît souvent pas son histoire médicale ou, lorsqu’il la connaît, n’est pas en mesure, vu son état au moment où il se présente à l’urgence, d’en donner les détails. D’autre part, l’information médicale portant sur le patient est souvent disséminée en plusieurs points du réseau. Un patient du CHUM, par exemple, peut compter jusqu’à neuf dossiers à son nom, s’il a été vu dans chacun des trois établissements du CHUM et qu’il y a subi des tests médicaux, comme des tests de laboratoire ou d’imagerie.

[61]  Par ailleurs, l’information concernant un patient n’existe pas sous forme sommaire. La tendance à l’époque est de créer un dossier par établissement et d’y consigner toute l’information concernant le patient, des notes du médecin traitant à celles du personnel infirmier en passant par l’information de nature clinico-administrative. Cette même tendance s’observe lorsque la constitution de dossiers médicaux électroniques fait son apparition. En d’autres termes, la tendance est à la numérisation complète ou « mur-à-mur », pour emprunter l’expression du demandeur, de l’information que détient un établissement sur un patient donné; l’information y est « empilée », précise le demandeur, sans structure particulière et sans un sommaire offrant à l’urgentologue, notamment, la trajectoire « longitudinale », c’est-à-dire chronologique, du patient sur les plans diagnostic et de certains éléments d’information plus pertinents, comme les tests de laboratoire et d’imagerie.

[62]  À cela s’ajoute le fait que même lorsqu’elle est numérisée, la consultation de l’information détenue par un établissement qui n’est pas celui où œuvre le médecin traitant, n’est souvent pas possible puisque chaque établissement a son propre système, avec son langage informatique propre. En d’autres mots, dans bien des cas, les établissements, sur le plan informatique, ne se parlent pas entre eux.

[63]  L’idée derrière le Brevet 794 vient aussi de l’intérêt que développe le demandeur pour l’informatique, une matière dont il suit quelques cours alors qu’il étudie en biophysique avant d’entreprendre son cours de médecine. Cet intérêt l’amène, au milieu des années 90, à mettre sur pied une entreprise – Communications MedNet − en vue du développement d’un produit d’éducation médicale sur l’Internet. Il s’engage, à peu près au même moment, dans l’organisation d’un congrès – Médecine 2001 – qui réunit, notamment, des représentants des gouvernements du Québec et du Canada de même que des représentants d’organisations étrangères et internationales, comme la NASA et la Société internationale de télémédecine. On y discute, pendant les trois jours que dure le congrès, de nouvelles technologies et de leur application au domaine de la médecine.

[64]  Le demandeur décrit ainsi, dans son témoignage en chef, le concept derrière le Brevet 794 :

M. BESSETTE

[…] ce que j’ai rapidement réalisé c’est que plutôt que de faire le chassé et croisé de tous les dossiers entre les établissements, ça serait probablement bien d’avoir un [sic] espèce de sommaire qui nous dit, avec un aspect longitudinal du patient, quel est son [sic] trajectoire dans le temps au niveau diagnostic et au niveau de certains éléments d’information pertinents comme l’imagerie.

[…]

LE JUGE LEBLANC : une espèce de chronologie?

M. BESSETTE : Chronologie, vous avez raison.

Alors donc, organiser chronologiquement aussi l’information et d’organiser de façon sommaire.

Très vite aussi il m’est apparu qu’on ne pouvait pas avoir toute l’information nécessairement sur la feuille sommaire parce que l’information est trop lourde et des fois même elle n’est pas pertinente à consulter.

Comme par exemple, si j’ai un résultat de CT Scan, est-ce que j’ai besoin d’avoir, moi, comme médecin d’urgence, toutes les images alors que c’est n’est pas moi qui les interprète; c’est un radiologiste qui les interprète? J’ai besoin seulement d’avoir le rapport.

Mais je pourrais aussi avoir les images en plus mais ce que je veux dire c’est que je faisais une distinction entre je veux savoir que tel examen existe et comment aller chercher l’information sur cet examen si j’ai besoin de creuser un peu plus, donc un espèce de sommaire où je peux creuser à la demande en allant à une couche ultérieure, ou du moins de l’information un petit peu plus pointue.

Et c’est ça qu’on a identifié comme étant un pointeur et le pointeur devait avoir deux caractères distinctifs. Éventuellement, il devait pointer sur un endroit où on devait aller chercher l’information et en plus donner l’information sur la nature de l’information que je vais chercher, c’est-à-dire est-ce ce que je vais chercher c’est une radiographie? Est-ce que c’est une radiographie des poumons? Est-ce que c’est une radiographie de la cheville? Est-ce que c’est une radiographie de la hanche?

Parce que si quelqu’un vient me voir parce qu’il a un problème de hanche, je n’ai pas besoin de regarder sa radiographie des poumons nécessairement. Je peux comparer la hanche avec la hanche.

[…]

Donc, en gros, le concept qui a été développé … que j’ai développé en ’98 en me disant, si j’avais ça à l’urgence, ça réglerait beaucoup de problèmes. Ça me permettrait d’avoir un [sic] espèce de tableau de bord synthétique de l’histoire éventuellement d’un patient et puis de pouvoir prendre une décision beaucoup plus rapide. Alors c’est la genèse un peu, je vous dirais, de la conception de l’invention.

(Transcriptions, 28 mai 2018, aux pp 86-89)

[65]  Sur le plan technique, il faillait, précise le demandeur, une méthode permettant d’extraire de l’information qui était encapsulée dans un format informatique particulier, selon l’établissement où elle était numérisée ou conservée, procéder à une sommarisation utile de cette information et archiver le tout selon un protocole dit « ouvert », c’est-à-dire selon un protocole qui en assure l’accessibilité quel que soit l’établissement où se trouve le médecin qui doit la consulter (Transcriptions, 28 mai 2018, aux pp 93-95).

[66]  Le demandeur entreprend, à l’automne 1998, des démarches en vue d’obtenir des appuis institutionnels, financiers et techniques à son projet de système de dossier médical partagé en réseau. Ces démarches se font d’abord en lien avec un projet-pilote en cardiologie pédiatrique de dossiers-patient informatisés, accessibles grâce à un système ouvert pour que l’information qu’on y trouve puisse être partagée entre les différents services de cardiologie pédiatrique du Québec. Ce projet reçoit l’appui du cardiologue pédiatre Alain Cloutier, du Centre hospitalier universitaire de Québec (Pièce TX-121).

[67]  Fort de cet appui, le demandeur contacte la société mandatée alors par le MSSS pour assumer la gestion d’actifs informationnels communs du réseau de la santé au Québec et assurer un soutien technique aux établissements du réseau. Il recherche un support « structurant à l’intérieur du réseau » dans la mesure où le développement du projet-pilote requiert l’utilisation d’équipements appartenant au réseau – public - de la santé. Le 15 avril 1999, cette société – la SOGIQUE – confirme son intérêt à s’associer au projet-pilote. Elle voit sa collaboration au projet comme une façon d’assurer la complémentarité de celui-ci « aux travaux des différents comités provinciaux en cours de développement », notamment ceux en rapport avec « le déploiement du réseau de télécommunications sociosanitaires (RTSS), le système Requêtes‑résultats génériques et le Dossier patient partageable » (Pièce TX-122). L’appui de la SOGIQUE s’étend à la recherche du financement nécessaire à la réalisation du projet. La commercialisation hors Québec du projet-pilote fait aussi partie de la discussion et de l’intérêt que porte la SOGIQUE au projet (Pièce TX-122).

[68]  En septembre 1999, l’entreprise Hewlett-Packard (Canada), qui se spécialise dans le développement d’équipements électroniques, s’associe au projet-pilote du demandeur. Son association au projet prend la forme d’une contribution, en argent et en services, d’une valeur de 750 000 $. Hewlett-Packard s’engage aussi à solliciter l’apport de partenaires stratégiques, dont Microsoft (Pièce TX-123).

[69]  Au même moment, le demandeur, par le biais de ses procureurs de l’époque, sollicite une rencontre avec le vice-premier ministre du Québec et ministre des Finances d’alors, feu Bernard Landry. Il souhaite que M. Landry puisse faciliter la mise en œuvre de son projet et « favoriser ainsi le développement d’un secteur stratégique de l’économie de demain qui viendrait confirmer le positionnement du Québec dans les secteurs pharmaceutiques et biomédicaux » (Pièce TX-124). Cette rencontre a lieu à la fin de l’automne 1999. Des représentants de Hewlett-Packard et de Microsoft y assistent. Le vice-premier ministre se montre réceptif au projet pilote du demandeur et lui suggère d’entrer en contact avec les gens d’Investissement Québec, alors la Société générale de financement.

[70]  Toujours à l’automne 1999, le demandeur, se disant que si son projet est bon pour la cardiologie pédiatrique il peut l’être tout autant pour la cardiologie adulte, jauge l’intérêt de l’Institut de Cardiologie de Montréal. Le 21 octobre 1999, l’Institut confirme son intérêt à s’associer au demandeur et à ses partenaires, Hewlett-Packard et Microsoft, « pour développer et tester un projet pilote de dossier médical multimédia partagé en réseau et adapté à la cardiologie ». Il mandate à cette fin le demandeur « pour faire toutes les représentations nécessaires à l’octroi de subventions pouvant faciliter la réalisation de ce projet, notamment auprès […] du programme de l’infostructure de la santé de Santé Canada ». L’Institut y voit là un projet qui « devrait permettre une meilleure circulation de l’information médicale et, par conséquent, une meilleure gestion des ressources provinciales en cardiologie » (Pièce TX-125).

[71]  Jugeant qu’il a besoin de soutien technique pour espérer mener à bien son projet, le demandeur contacte aussi, vers la même époque, les gens de la firme Conseillers en gestion et informatique CGI Inc. [CGI] pour leur proposer un partenariat. Le 28 janvier 2000, CGI signale son intérêt dans le « projet pilote de développement d’un système intégré de dossier médical partagé et de recherche d’information en réseau (DMMPR) » Selon CGI, ce projet constitue « un jalon important de la stratégie de modernisation du Réseau sociosanitaire du MSSS […] » et ne présente pas de « problématiques majeures ou extrêmement coûteuses » au niveau de sa réalisation (Pièce TX-127). Le 31 janvier 2000, CGI confirme les termes du partenariat dans une lettre contresignée par le demandeur (Pièce TX-128). Suivant cette lettre, CGI envisage participer à la rencontre qui doit se tenir « prochainement » avec Investissement Québec.

[72]  À peu près au même moment, le demandeur reçoit un appui senti de l’Association des médecins d’urgence du Québec pour le projet pilote auquel CGI s’associera. Pour l’Association, l’accès et le partage de l’information clinique pertinente « constituent sans l’ombre d’un doute pour [elle] un problème fondamental de notre réseau de la santé », rendant ainsi « très difficile la continuité des soins » tout en entrainant « des coûts importants ». Il s’agit là, selon l’Association, d’un problème particulièrement significatif à l’urgence, « où pourtant l’intervention auprès du patient dépend largement de la capacité d’accéder à son histoire médicale » (Pièce TX-126).

[73]  Le demandeur rencontre les gens d’Investissement Québec à deux reprises. La première rencontre se passe bien, mais non la seconde, tenue en février 2000. Rien de concret, en termes d’appui, ne ressort de ces deux rencontres si ce n’est que le demandeur est prévenu que pour aller plus loin, son projet doit au préalable recevoir « l’aval des technologies d’information dans le domaine de la santé » (Transcriptions, 28 mai 2018, aux pp 109-111).

[74]  C’est ainsi que le demandeur entre en contact avec le directeur des technologies de l’information au MSSS, M. Roch Beauchemin, pour lui présenter son projet et obtenir l’aval de son Ministère. Les communications entre les deux hommes se font surtout par téléphone et par courriels. Le demandeur croit par ailleurs avoir rencontré M. Beauchemin à une reprise. Il n’a pu retracer toutefois le plan ou l’ébauche de projet transmise à M. Beauchemin aux fins de leurs discussions, bien qu’il croit qu’il s’agisse d’une version préliminaire d’un document qu’il présente quelques mois plus tard à un membre du cabinet du vice-premier ministre Landry dans un ultime effort pour sauver, en quelque sorte, son projet (Pièce TX-135).

[75]  Le 26 mai 2000, M. Beauchemin informe le demandeur que sa direction « ne peut donner l’aval [au] projet ». Selon M. Beauchemin, le projet du demandeur présente les lacunes suivantes :

- Aucun plan d’affaires;

- Pas de réelle architecture technologique;

- Aucune étude d’opportunité ne supportant la démarche;

- Analyse préliminaire incomplète;

- Pas d’analyse de risques;

- Plusieurs dossiers complémentaires devant être mis en place au préalable au Québec (DPP et consentement (Sogique), projet des 2 CHU de Montréal, Ste-Justine, projet Mauricie/Centre-du Québec);

- Partenariat avec l’Institut de cardiologie à démontrer;

- Plusieurs aspects sont peu ou pas explorés comme tous les aspects du consentement de l’usager au partage du dossier et faiblesse importante sur les aspects confidentialité/sécurité/accès aux données;

- Une méconnaissance du dossier RTSS amène certaines interprétations erronées;

- Beaucoup de bémols sur la pérennité du projet. L’idée de mettre des archivistes pour retranscrire les feuilles sommaires des dossiers afin d’en arriver à constituer le premier bastion du dossier patient partageable me semble très discutable.

(Pièce TX-130).

[76]  Sur réception de cette lettre, le demandeur estime qu’il est évident qu’il s’agit là d’une fin de non-recevoir. Son « chat est mort », dira-t-il (Transcriptions, 28 mai 2018, à la p 118). Dans une tentative de dernier recours, il sollicite de nouveau l’intervention du vice-premier ministre, M. Landry (Pièce TX-131). Il joint à sa lettre la pièce TX-135, à laquelle j’ai déjà fait référence. Cette pièce, qui se veut un « sommaire exécutif du projet », traite, pour l’essentiel, des avantages économiques et budgétaires liés à « [l’]implantation d’un dossier médical sommaire sous forme de texte partagé à l’ensemble du réseau de la santé ».

[77]  Il n’y a pas eu de suite à la lettre qu’adresse le demandeur au cabinet de M. Landy. Malgré que l’intérêt pour un dossier médical informatisé, principalement en format minimal partageable, soit toujours là, à tout le moins au sein du Département de médecine d’urgence du CHUM, tel qu’en fait foi une lettre adressée au demandeur le 3 octobre 2001 par le chef de ce département (Pièce TX-133), le projet du demandeur ne se matérialisera pas, que ce soit sous la forme d’un projet pilote en cardiologie pédiatrique ou sous la forme plus générale d’un système de dossier médical partagé en réseau.

B.  Les défendeurs

[78]  Les défendeurs ont fait entendre deux témoins ordinaires, soit M. Vincent Belzil et Mme Émilie Brisson, tous deux fonctionnaires à la RAMQ et au MSSS, respectivement. M. Belzil a traité du développement du DSQ, des choix fonctionnels et infrastructurels qui ont marqué ce développement et de son fonctionnement actuel. Il a couvert l’ensemble des composantes du DSQ à l’exception de la composante « Domaine imagerie », qui a été traitée, dans une même perspective, par Mme Brisson.

[79]  Dans une très large mesure, l’information livrée par ces deux témoins avait déjà fait l’objet d’admissions ou reprend de larges pans des extraits des interrogatoires préalables tenus dans le présent dossier de même que dans un dossier connexe initié par le demandeur en Cour supérieure du Québec (no. 500-17-074669-121). Il s’agit d’extraits de l’interrogatoire préalable de M. Belzil, tenu dans le présent dossier en novembre 2017, de l’interrogatoire préalable de M. Michel Vézina, tenu également dans le présent dossier en novembre 2017, et des interrogatoires préalables de MM. Guy Laliberté et Michel Baron, tenus dans ce dossier connexe en décembre 2013. Au moment de leur interrogatoire préalable respectif, MM. Vézina, Laliberté et Baron étaient, dans l’ordre, conseiller senior chez CGI, responsable de la direction de l’architecture et des orientations en technologies d’information à la Direction générale des technologies d’information au MSSS, et conseiller stratégique auprès de cette Direction. Tous ces extraits d’interrogatoires préalables tenus dans le dossier de la Cour supérieure ont été incorporés par référence au présent dossier et produits par le demandeur au procès. Ils ont été produits, en liasse, sous la cote P-1.

[80]  La preuve de M. Belzil et de Mme Brisson est donc, à toutes fins utiles, non controversée, ce qui explique, comme l’ont souligné les procureurs du demandeur lors des plaidoiries, pourquoi ils n’ont été que très brièvement contre-interrogés. Je reviendrai néanmoins sur le témoignage de ces deux témoins de même que sur les admissions, somme toute considérables, concernant le DSQ que l’on retrouve à l’Exposé conjoint de faits, lorsque, dans le cadre de l’analyse de l’allégation de contrefaçon, il sera question plus en détail du DSQ.

[81]  Les défendeurs ont aussi produit au présent dossier des extraits de l’interrogatoire préalable du demandeur, tenu le 11 juin 2013, dans le cadre du dossier connexe en Cour supérieure du Québec dont je viens de faire mention. La cote D-2 leur a été attribuée.

C.  La preuve d’expert

[82]  Deux témoins experts se sont affrontés en l’instance, soit M. Cyrille Thilloy, pour le compte du demandeur, et M. Alain April, pour le compte des défendeurs. Ces deux experts ont produit un total de cinq rapports. Ils ont d’abord produit leur rapport principal respectif, tous deux datés du 9 mars 2018, celui de M. Thilloy portant sur l’interprétation des revendications de chacun des deux brevets en cause et la contrefaçon (Pièce P-2), celui de M. April traitant de l’interprétation de ces mêmes revendications et de la validité desdits brevets (Pièce D-3). Chaque expert a répondu à l’autre le 9 avril 2018, M. Thilloy produisant une contre-expertise au rapport de M. April sur la question de la validité des brevets en cause (Pièce P-3) et M. April faisant de même eu égard au rapport de M. Thilloy traitant de la contrefaçon (Pièce D-8). Enfin, M. Thilloy a produit, en date du 30 avril 2018, un rapport en réplique à la contre-expertise de M. April, principalement afin de se prononcer sur de la preuve documentaire sur le fonctionnement du DSQ à laquelle, contrairement à M. April, il n’avait pas eu accès lors de la préparation de ses deux rapports précédents (Pièce P-4).

[83]  M. Thilloy est détenteur d’un baccalauréat en informatique mathématiques de l’Université Laval et d’une maîtrise de cette même université en informatique. Ces deux diplômes ont été obtenus en 1989 et 1990, respectivement. Depuis sa sortie de l’université, M. Thilloy œuvre dans le domaine des technologies de l’information et l’a fait auprès de différentes entreprises québécoises, canadiennes et étrangères. Il a touché à une variété de domaines au cours de sa carrière, tel le domaine bancaire, les télécommunications, les médias, le divertissement, le commerce électronique, le milieu universitaire et la santé.

[84]  En 1995, il contribue à fonder une entreprise spécialisée dans le domaine des télécommunications via le réseau Internet. Il y occupe le poste de Vice-Président, Recherche et Développement. En 2000, l’entreprise est achetée par une société américaine qui se spécialise dans le développement de solutions logicielles et matérielles de téléphonie et vidéo par Internet. M. Thilloy y occupe le poste de Chef de la Technologie. À ce titre, il est notamment responsable de l’élaboration de l’architecture « bout-en-bout » de la gamme des produits de l’entreprise et de la protection par brevets des innovations de celle-ci.

[85]  À partir de 2005, M. Thilloy devient consultant, pour le compte de différentes entreprises québécoises et canadiennes, comme architecte de solutions pour des projets technologiques spécifiques. Son expérience pratique couvre l’architecture des systèmes d’information, y compris celle des applications qui composent ces systèmes, de même que les architectures d’affaires et d’entreprise. Il s’implique aussi dans des organisations qui œuvrent à la standardisation de l’industrie. Il écrit également des articles pour le compte d’une publication de référence dans le domaine de l’architecture orientée service.

[86]  Pour sa part, M. April obtient, en 1983, un baccalauréat en informatique de gestion de l’Université du Québec à Montréal. Suite à l’obtention de ce diplôme, il est recruté par le Mouvement Desjardins à titre de programmeur junior. Il travaille, à ce titre, à concevoir et développer le premier logiciel « distribué », c’est-à-dire « client-serveur », de la coopérative en vue de la gestion décentralisée des prêts. Parallèlement à cet emploi, il poursuit des études de maîtrise où il se spécialise en systèmes d’information répartis. En 1986, il se fait offrir un emploi chez Bell Canada qui cherche alors à mettre en place un groupe de travail centré sur les nouvelles technologies client-serveur. À ses quatre premières années chez Bell, il est responsable d’une équipe qui est chargée de projets client-serveur impliquant à la fois des serveurs centraux et des serveurs décentralisés. Par la suite, on le nomme chef de projets de développement de logiciels impliquant des ordinateurs personnels et des systèmes client-serveur.

[87]  En 2003, M. April accepte un poste de professeur en génie logiciel à l’École de technologie supérieure de l’Université du Québec à Montréal. En 2005, il y obtient son doctorat en génie logiciel. Parallèlement à ses activités d’enseignement, il développe diverses applications informatiques dans le domaine de la santé, notamment.

[88]  Préalablement au procès, les parties se sont entendues pour ne pas contester les qualifications proposées pour leur expert respectif. Les qualifications proposées pour M. Thilloy sont celles d’expert « en architectures de solution des technologies de l’information et des communications ». Les défendeurs ont, pour leur part, proposé que M. April soit reconnu comme expert « dans le domaine du développement de logiciels applicatifs et la conception de bases de données ».

[89]  J’ai reconnu la qualité d’expert à MM. Thilloy et April suivant les paramètres proposés par les parties. Bien que chaque partie m’invite à ne pas tenir compte de l’avis de l’expert de l’autre partie, ce n’est pas parce qu’on ne les juge pas qualifiés pour se prononcer sur les questions en litige. Dans un cas, celui de M. Thilloy, on prétend qu’il a épousé la cause de son client, et donc, qu’il n’a pas la distance nécessaire pour éclairer objectivement la Cour. Dans l’autre cas, celui de M. April, on soutient qu’il n’a pas abordé ces questions sous l’angle requis par le cadre juridique applicable et, donc, que son opinion n’est d’aucune utilité. J’y reviendrai plus loin lorsque j’aborderai, dans le cadre de l’analyse des questions en litige, la preuve offerte par l’un et l’autre.

D.  La preuve documentaire

[90]  Les parties ont produit une preuve documentaire, publique et confidentielle, faisant 326 pièces (cotées TX), réparties dans 26 volumes. À quelques exceptions près, principalement lorsque la date du document faisait problème, l’authenticité desdites pièces a été admise de part et d’autre, faisant en sorte que ces pièces ont pu être produites en preuve sans autres formalités. Compte tenu du caractère substantiel de cette preuve, cela a grandement facilité le déroulement du procès. Cela est tout au crédit des procureurs au dossier.

[91]  Parmi cette preuve documentaire se trouve l’enregistrement vidéo d’une présentation du fonctionnement général du DSQ et du fonctionnement des composantes « profil pharmacologique », « laboratoire » et « imagerie médicale » organisée par les défendeurs au bénéfice du demandeur et de ses procureurs. Cette présentation a été faite en 2015 par des fonctionnaires du MSSS et de la RAMQ, dans le cadre du dossier connexe mû en Cour supérieure du Québec. On retrouve les extraits pertinents de cette présentation aux pièces TX-323 à 326.

[92]  Une ordonnance de confidentialité, visant à protéger l’information de nature confidentielle produite au dossier, a été émise le 5 octobre 2016. Elle a été renouvelée le 22 mai 2018, à quelques jours de l’ouverture du procès. Une ébauche de décision confidentielle a donc été transmise aux parties le 15 février 2019  afin de leur permettre de me proposer, si nécessaire, le caviardage requis en vue de l’émission de la version publique de ladite décision. Une première proposition, où l’on me demandait de caviarder, en leur entier, un total de seize paragraphes de l’ébauche confidentielle, m’a été faite le 27 février 2019 par les défendeurs. Suite aux réserves exprimées par le demandeur eu égard à cette proposition, j’ai convié les parties à une téléconférence, laquelle s’est tenue le 4 mars 2019. Suite à cette téléconférence, un délai additionnel de trois semaines a été accordé aux parties pour soumettre à la Cour une nouvelle proposition de caviardage. Cette nouvelle proposition, plus limitée et plus ciblée, et à laquelle le demandeur consent, a été reçue le 29 mars 2019. Elle m’apparait raisonnable et elle est donc acceptée. Deux versions des présents motifs, l’une publique, l’autre confidentielle, seront en conséquence émises et le seront simultanément.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[93]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. Les revendications 1 à 8 du Brevet 794 et 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 31, 33 à 36 et 39 à 42 du Brevet 598 ont-elles été contrefaites, directement ou par incitation, du fait de la mise en place, par les défendeurs, du DSQ?
  2. Dans l’affirmative, lesdites revendications sont-elles néanmoins invalides pour cause d’antériorité, d’évidence, d’insuffisance dans la divulgation, de manque d’utilité et/ou de portée excessive?
  3. Dans la négative, le demandeur a-t-il droit à l’octroi de dommages-intérêts ou à la restitution de bénéfices du fait de la contrefaçon des Brevets 794 et 598, et, en sus, au paiement d’une indemnité raisonnable au sens du paragraphe 55(2) de la Loi pour la période précédant l’émission du Brevet 598?

[94]  Comme l’examen des questions de contrefaçon et de validité est toutefois tributaire de l’interprétation des revendications des brevets en cause (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 43 [Camco]), je procéderai d’abord à interpréter les revendications litigieuses de chaque brevets. Pour ce faire, il me faudra tracer le profil de la « personne versée dans l’art » [PVA] et déterminer le niveau de connaissances générales courantes du domaine dont relèvent les deux inventions en litige qu’elle était censée posséder à la « date pertinente », soit à la date de publication de chaque demande de brevet, puisque c’est à partir de la perspective de cette personne fictive – ou notionnelle – , à cette date, que l’interprétation des revendications doit se faire.

[95]  Je note que dans leur défense et demande reconventionnelle respective, les défendeurs ont fait valoir un argument d’absence de lien de droit fondé sur l’article 96 du Code de procédure civile du Québec, RLRQ c C-25.01, lequel prévoit que :

96. La demande qui porte sur les droits et obligations du gouvernement est dirigée contre le procureur général du Québec.

Celle qui porte sur les droits et obligations d’un organisme public ou d’un officier public ou d’un titulaire d’une charge, auxquels il est demandé d’agir pour modifier un acte ou un registre, doit être dirigée directement contre eux.

96. An application pertaining to the rights and obligations of the Government must be directed against the Attorney General of Québec.

An application pertaining to the rights and obligations of a public body or of a public officer or office holder who is called on to make changes to an act or a register must be directed against the body or person concerned.

[96]  Les défendeurs allèguent plus particulièrement que les dossiers médicaux informatisés ou électroniques au Québec sont sous la juridiction des différents établissements de santé et de services sociaux où ils sont tenus, et non sous celle du MSSS ou de la RAMQ, faisant en sorte que ni l’un ni l’autre ne peut être imputable des actes qui leur sont reprochés en l’espèce.

[97]  J’ai compris, lors du procès, que ce moyen de défense, soulevé dans le cadre des procédures connexes intentées par le demandeur en Cour supérieure du Québec, avait été en quelque sorte abandonné devant cette Cour.

[98]  Je rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article 2.1 de la Loi, celle-ci lie autant Sa Majesté du chef du Canada que du chef d’une province. Ni l’une ni l’autre des parties n’a prétendu par ailleurs, et pour cause, que cette Cour n’avait pas juridiction pour se saisir du présent litige.

V.  ANALYSE

A.  L’interprétation des revendications

(1)  Les principes juridiques applicables

[99]  Aux termes de l’article 2 de la Loi, un « brevet » est défini comme des « lettres patentes couvrant une invention », c’est-à-dire couvrant « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité » (« any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter »).

[100]  Toujours suivant la Loi, l’octroi d’un brevet confère à son titulaire le « droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent » (article 42). Une fois délivré, le brevet, sauf preuve du contraire, est valide et acquis à son titulaire ou à ses représentants légaux pour la durée prescrite par la Loi (paragraphe 43(2)). Cette durée est de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande lorsque le brevet est délivré sur demande déposée le, ou après le, 1er octobre 1989 (article 44). C’est le cas en l’espèce.

[101]  Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’affaire Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 [Teva Canada], le régime des brevets au Canada « a pour assise un marché de nature synallagmatique (quid pro quo) où l’inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société » (Teva Canada au para 32; voir aussi : Camco au para 13) . La divulgation est ainsi « le prix à payer pour obtenir le précieux droit de propriété exclusif » (Teva Canada au para 32).

[102]  Aux termes de la Loi, la divulgation de l’invention est assurée par le « mémoire descriptif » dont le contenu est régi par les paragraphes 27(3) et (4) de la Loi. Ce mémoire, comme nous l’avons vu, comporte deux parties, la divulgation et les revendications. La divulgation doit, en outre, « exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention » (alinéa 27(3)(b)).

[103]  Pour leur part, les revendications, qui suivent la divulgation au sein du mémoire descriptif, servent à définir « distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » (paragraphe 27(4)). Elles servent, en ce sens, d’avis au public de ce qui lui est interdit de faire et de ce qu’il peut faire sans risque de violer le monopole protégé par le brevet (Camco au para 42).

[104]  Le mémoire descriptif constitue en somme « une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s’adressant à ceux qui sont susceptibles d’avoir un intérêt concret dans l’objet de son invention (c’est-à-dire qui sont « versés dans l’art »), par laquelle il les informe de ce qu’il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole » (Camco au para 44, citant Catnic Components Ltd c Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183 (R-U HL) aux pp 242-243).

[105]  Toutefois, ce sont les revendications du mémoire descriptif qui définissent et précisent la portée du monopole (Camco aux para 18,48). Dans l’affaire Free World Trust c Électro Santé, 2000 CSC 66 [Électro Santé], la Cour suprême a rappelé que les revendications ont souvent été comparées « à des « clôtures » et à des « frontières » qui délimiteraient clairement les « champs » faisant l’objet du monopole », l’objectif étant, toujours, d’informer le public de façon claire et précise non seulement des endroits où il lui est interdit de passer, pour ainsi dire, mais aussi de ceux où il peut passer sans risque (Électro Santé au para 14). Ainsi, ce qui n’est pas revendiqué, même s’il en est fait mention dans la divulgation, est exclu du monopole conféré par le brevet (Camco au para 42; Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 aux para 123-124, juge Arbour, dissidente en partie [Monsanto]).

[106]  La Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36542 (14 janvier 2016) [Zero Spill], a récemment synthétisé de la façon suivante les principes applicables à l’interprétation des revendications :

[41]  Devant nous, les parties se sont entendues de façon générale sur les principes applicables à l'interprétation des revendications. Les grands principes d'interprétation bien reconnus sont les suivants :

· L'interprétation des revendications est la première étape dans tout procès en matière de brevets.

· Il incombe au tribunal d'interpréter les revendications.

· Le tribunal doit lire les revendications en se plaçant du point de vue de la personne versée dans l'art auquel le brevet se rapporte.

· Le lecteur versé dans l'art examine le brevet à la lumière des connaissances générales courantes dans le domaine.

· Le lecteur versé dans l'art interprète les revendications à la date de publication du brevet.

· Il est nécessaire de départager les éléments essentiels des revendications de ceux qui ne le sont pas.

· Il faut interpréter les revendications de manière téléologique afin d'atteindre un résultat équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.

· Il faut examiner les mots employés dans les revendications en fonction de l'ensemble du mémoire descriptif, sans toutefois tenter d'élargir ou de rétrécir la portée du texte des revendications.

· Il est permis de présenter une preuve d'expert afin d'aider le tribunal à lire les revendications du point de vue du lecteur versé dans l'art.

[107]  J’ajouterais ceci:

  1. L’interprétation des revendications ne saurait varier selon qu’il s’agit de démontrer la contrefaçon ou l’invalidité du brevet, la même interprétation devant servir à l’examen de l’une et l’autre question (Camco au para 49(b); Bombardier Produits Récréatifs Inc c Arctic Cat, Inc, 2018 CAF 172 au para 29 [Bombardier CAF]) ;

  2. Il faut se garder d’interpréter les revendications en fonction de l’objet ou mécanisme contrefacteur − ici le DSQ − lorsqu’il est question de la contrefaçon du brevet, ou en fonction de l’art antérieur lorsqu’il s’agit de décider de la validité du brevet (Camco au para 49(a); Dableh c Ontario Hydro, [1996] 3 CF 751 (CAF) au para 26 [Dableh]); et

  3. Aux fins de son interprétation, un brevet « doit être lu avec un esprit désireux de comprendre », c’est-à-dire par un esprit qui « prête nécessairement une grande attention au but et à l’intention de l’auteur » (Camco au para 49(d)).

[108]  En l’espèce, les parties s’entendent sur la date de publication des brevets en cause, et donc, sur la date à partir de laquelle le « lecteur versé dans l'art » interprète les revendications. Dans le cas du Brevet 794, c’est le 24 août 1999 ; dans celui du Brevet 598, le 13 juin 2002. Il y a consensus également entre les parties sur le caractère essentiel de tous les éléments des revendications en litige, si bien qu’à leur avis, aucun exercice de départage entre éléments essentiels et non-essentiels desdites revendications n’est, dans les circonstances, requis.

[109]  À la lumière de cette grille d’analyse et comme j’en ai fait état en énonçant les questions en litige à trancher, il me faut donc, d’abord, puisque je dois, en quelque sorte, me placer dans ses souliers, identifier la PVA et l’état des connaissances générales de cette personne aux dates de publication des deux brevets en cause. Je dois le faire parce que le brevet s’adresse à cette personne, et non au citoyen ordinaire (Électro Santé au para 44) ou encore au grammairien ou à l’étymologiste (Camco au para 53).

(2)  La PVA

[110]  Une PVA est un travailleur moyennement versé dans l’art dont relève le brevet; il n’est pas réputé comme une personne à l’esprit inventif. En revanche, il est suffisamment versé dans cet art pour être en mesure, sur le plan technique, de comprendre la nature et la description de l’invention. À cet égard, on le tient pour raisonnablement diligent lorsqu’il s’agit de se tenir à jour sur les progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet puisque l’on tient pour acquis que les connaissances générales dans ce domaine peuvent évoluer et augmenter constamment (Camco aux para 53-74).

[111]  Chaque expert en l’espèce a proposé sa définition de la PVA et cette définition vaut, dans chaque cas, pour les deux brevets en cause malgré les trois ans qui séparent leur date de publication respective.

[112]  M. Thilloy, pour le demandeur, estime que pour les fins des deux brevets en cause, la PVA est une personne ayant nécessairement une formation académique en informatique, au niveau maîtrise, et en informatique mathématique ou en génie informatique de préférence. Elle a aussi un certain nombre d’années d’expérience pratique au cours des années 90 et au début des années 2000 en développement de logiciels, en services Web, en architecture logicielle dans le domaine des technologies de l’information, en architecture de solutions dans ce domaine et/ou en architecture dite « orientée service ». Cette expérience, par contre, n’a pas à être reliée au domaine médical.

[113]  Pour M. April, la PVA possède un diplôme d’études collégiales de trois ans en technique de l’informatique ou un baccalauréat en informatique de gestion. Elle a aussi de trois à cinq ans d’expérience en programmation de logiciels applicatifs, dans le domaine de la santé, notamment, où elle est appelée à s’exécuter sur des équipements commercialement disponibles, configurés en architecture générique client/serveur et comportant des bases de données distribuées.

[114]  En réponse à la PVA proposée par M. April, M. Thilloy opine que la PVA détenant une formation en informatique de gestion, une discipline académique s’intéressant surtout aux données, risquerait d’avoir une vision trop orientée « données » alors que la nature des brevets en cause déborde du simple cadre d’une structure de données. Une formation académique plus large et englobante, assurée par l’informatique mathématique ou le génie informatique, lui semble encore préférable parce qu’une telle formation vise l’acquisition de connaissances, toutes pertinentes au présent litige, des composantes internes des ordinateurs, des protocoles de communication et des modèles d’échange de données entre systèmes.

[115]  Dans la mesure, par ailleurs, où la PVA proposée par M. April aurait eu du mal, selon ce dernier, à saisir certaines explications contenues à la description des brevets en cause, cela s’explique peut-être, suivant M. Thilloy, par le fait que cette personne n’a qu’une simple formation collégiale de trois ans en informatique de gestion. Inversement, les connaissances générales courantes de cette personne, tel que décrites par M. April, lui paraissent beaucoup plus étendues que celles qu’une personne ayant une telle formation aurait possédées à l’époque pertinente.

[116]  Enfin, sur le plan de l’expérience pratique, M. Thilloy continue de prétendre qu’une expérience en programmation dans le domaine de la santé n’est pas nécessaire, précisant que ni lui, ni M. April, n’avait encore de l’expérience dans ce domaine aux dates pertinentes et que cela ne les aurait pas empêchés de lire et comprendre les brevets en cause.

[117]  Il va sans dire, vu la nature des deux brevets en cause, que la PVA, comme les experts le suggèrent, doit avoir une formation académique en informatique et doit avoir entre trois et cinq ans d’expérience pratique dans ce domaine dans les années 90 et au début des années 2000. Compte tenu de la complexité du domaine dont relèvent ces brevets et de l’évolution rapide des connaissances et des innovations technologiques dans ce domaine à l’époque pertinente, une formation universitaire en informatique, sans toutefois qu’il soit nécessaire qu’elle soit au niveau de la maîtrise, me semble préférable à une formation de niveau collégial, même si celle-ci est de trois ans. Il me semble préférable aussi, comme le propose M. Thilloy, que cette formation ait permis l’acquisition de connaissances au niveau non seulement des structures de données, mais aussi des composantes internes des ordinateurs, des protocoles de communication et des modèles d’échange de données entre systèmes.

[118]  D’ailleurs, une bonne partie des connaissances générales courantes que la PVA de M. April possède aux dates pertinentes portent sur de tels sujets puisque, selon lui, cette personne aurait été familière non seulement avec les notions de base de données et de structure de données, mais aussi, notamment, avec celles de logiciel applicatif, de client-serveur, de poste‑client, de système-source, d’enregistrement de bases de données, d’identifiant unique, de pointeur, et de protocoles d’échange de données dit « propriétaire » ou dit « ouvert ». Il s’agit là de notions dont fait état la littérature spécialisée citée par M. April dans son rapport du 9 mars 2018 pour illustrer ce qu’aurait été, à l’époque pertinente, le lot de connaissances générales courantes de sa PVA (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 53-73).

[119]  En ce qui a trait à l’expérience pratique de la PVA, il me paraît souhaitable, comme le suggère M. April, qu’une portion de cette expérience ait été acquise dans le domaine de la santé vu le rapport très net, à la lecture du mémoire descriptif de chaque brevet en cause, entre ce domaine et les problèmes que cherchaient à résoudre les deux inventions qui y sont décrites. Cette expérience me paraît aussi souhaitable en raison du fait que, comme le souligne M. Thilloy, la publication des brevets en cause se situe à une « époque charnière des technologies de l’information » (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 37), époque où, comme il le reconnaît par ailleurs, l’idée de mettre en place des dossiers de santé électroniques [DSÉ] existe déjà depuis un certain temps et a déjà pris forme (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, aux para 41-47).

[120]  Ayant tracé le profil de la PVA, il me faut maintenant identifier, avant d’entreprendre l’interprétation des revendications litigieuses, ce qu’auraient été, aux dates pertinentes, les connaissances générales courantes de ce « travailleur moyennement versé dans l’art dont relève le brevet », non-réputé pour avoir « l’esprit inventif », mais désireux de comprendre et non de rechercher des difficultés.

(3)  Les connaissances générales de la PVA

[121]  Les connaissances générales courantes sont constituées de ce que la PVA aurait véritablement connu à la date pertinente. (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada, 2008 CSC 61 au para 37 [Sanofi]). Pour se qualifier à ce titre, il ne suffit pas qu’il ait été fait mention de ce lot de connaissances dans des articles ou revues à caractère scientifique, même ceux à fort tirage; il faut que ce lot de connaissances soit « connue[s] de manière générale et acceptée[s] sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier » (Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97, citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co Ltd, [1972] RPC 457, [1971] FSR 417, (CA R-U); confirmé en appel par 2010 CAF 240).

[122]  Ici, les experts, bien qu’ils divergent d’opinion sur la portée exacte de certains d’entre eux, s’entendent généralement sur le fait que leur PVA respective aurait été familière avec tous les concepts techniques clés que l’on retrouve aux revendications des brevets en cause et autour desquels celles-ci sont construites, à savoir, notamment, les concepts:

  • De support de stockage (« computer readable storage medium »);
  • De structure de données (« data structure »);
  • De « record »;
  • De pointeur (« pointer »);
  • D’adresse (« address »);
  • D’emplacement (« location »);
  • De nœuds (« nodes »);
  • De serveur (« server »);
  • De serveurs en réseau (« network server »);
  • De processeur (« processor »)
  • De mémoire (« memory »);
  • D’élément de programme (« program element »);
  • De réseau de données (« data network »);
  • De l’action de « pousser » de l’information (« push »); et
  • D’arrangement de serveurs (« server arrangement »).

[123]  Il y a consensus également quant au fait que la PVA de chaque expert aurait été familière avec les notions de logiciels applicatifs, d’architecture client-serveur, de bases de données relationnelles, d’enregistrements dans des bases de données, de clés permettant d’accéder à ces enregistrements et avec les protocoles d’échange de données dits « ouverts », soit les protocoles commerciaux DICOM et HL7, qui étaient déjà, à l’époque pertinente, les protocoles d’échange de données privilégiés dans le domaine de la santé, au Canada comme ailleurs.

[124]  La PVA que j’ai définie, et dont le profil s’inspire, tant sur le plan de la formation académique que sur celui de l’expérience pratique, des PVA de chaque expert, aurait donc possédé ce lot de connaissances générales courantes.

[125]  Compte tenu de son expérience dans le domaine de la santé, elle aurait été aussi familière, comme le suggèrent les défendeurs, avec les systèmes de gestion de dossiers médicaux électroniques implantés à l’époque et les systèmes-sources de données médicales spécifiques, comme les résultats de test d’imagerie médicale, alors présents dans certains établissements de santé.

(4)  Les inventions en cause, selon les experts

[126]  Chaque expert a énoncé ce qu’il a compris être les inventions liées aux brevets en cause.

a)  Le Brevet 794

[127]  Pour M. Thilloy, le Brevet 794 met de l’avant un DSÉ distribué et potentiellement longitudinal à travers un réseau, axé sur l’efficacité de l’accès à l’information médicale d’un patient. Cette solution comporte une structure de données facilitant la distribution des informations médicales entre plusieurs systèmes d’informations et un système permettant d’implémenter cette structure et de rendre la distribution des informations médicales possible sans pour autant centraliser l’information.

[128]  Plus particulièrement, cette solution de DSÉ distribué, toujours selon M. Thilloy, « définit une architecture technologique comprenant tout d’abord un sommaire composé de certaines informations médicales pertinentes et des pointeurs ou liens vers de l’information médicale additionnelle qui permettent de connaître la nature de cette information médicale additionnelle », laquelle information additionnelle est stockée sur des systèmes ou serveurs pouvant être éloignés ou séparés du sommaire. Cette séparation, poursuit M. Thilloy, peut être aussi bien logique, en ce sens que l’information additionnelle peut être conceptuellement séparée du sommaire tout en étant stockée sur un même serveur, que physique (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, aux para 50-52).

[129]  M. April soutient, pour sa part, que la PVA, à la lecture du Brevet 794, aurait compris que le système qui y est décrit consiste:

[…] en un logiciel applicatif du domaine de la santé conçu particulièrement pour les médecins localisés dans les services ambulatoires, qui leur permet de télécharger, sur demande, des informations médicales concernant un patient contenus [sic] dans les différents systèmes sources d’établissements délocalisés qu’il aurais [sic] visité [sic], et ce d’une manière transparente (c.-à-d. qui cache la complexité de la provenance de ces données) et qui fonctionne sur une architecture générique client/serveur qui utilise des bases de données distribuées.

(Rapport April, 9 mars 2018, au para 110)

[130]  Cette personne aurait aussi compris, toujours selon M. April, que ce logiciel applicatif « qui devrait opérer su [sic] le poste client dans chaque établissement distant utiliserait un format de donné [sic] propriétaires pour échanger des données qui comportent une structure particulière proposée par l’inventeur » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 111).

b)  Le Brevet 598

[131]  Pour M. Thilloy, l’invention décrite et revendiquée dans le Brevet 598 porte sur la mise à jour – à toutes fins utiles automatique − des informations sommaires du DSÉ distribué envisagé dans le Brevet 794, lorsque de nouvelles informations deviennent disponibles dans le réseau. Le Brevet 598 introduit par ailleurs le concept de système personnel de communication (« personal communication system ») et de carte à puce (« smart card ») « permettant de distribuer les données du DSÉ distribué jusqu’au niveau de l’usager lui-même ». L’invention vise ainsi à permettre aux intervenants (personnel médical) et aux usagers (patients) du réseau d’accéder « automatiquement et immédiatement » aux données les plus récentes de l’usager à partir des informations sommaires de ce dernier et des pointeurs pointant vers les nouvelles données disponibles sur le réseau (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, aux para 242, 244-245).

[132]  Quant à M. April, la principale différence entre le Brevet 794 et le Brevet 598, sur le plan de leur Divulgation respective, est liée au fait que le Brevet 598 porte sur « l’utilisation de cellulaires et autres appareils similaires, à titre de poste client, pour sauvegarder le dossier médical sommaire du patient » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 193). Sur le plan des revendications, il note que celles du Brevet 598 décrivent, de prime abord, « une méthode de mise à jour, automatique ou non, des dossiers médicaux, et une configuration de serveurs pour faire cette mise à jour », les références aux cellulaires étant limitées aux seules revendications 9, 25 et 32 (Rapport April, 9 mars 2018, au para 202).

(5)  Le sens et la portée des revendications du Brevet 794

a)  Retour sur la notion d’interprétation « téléologique »

[133]  Je rappelle, sur la base de la synthèse des principes applicables que l’on retrouve à l’arrêt Zero Spill, qu’il me faut interpréter les revendications en litige, du point de vue, toujours, de la PVA et des connaissances générales courantes qu’elle aurait possédées à la date de publication du Brevet 794, de manière téléologique, et ce, afin d'atteindre un résultat équitable tant pour le demandeur, en tant que titulaire du brevet, que pour le public. Cela signifie qu’il me faut examiner les mots employés dans les revendications en fonction de l'ensemble du mémoire descriptif. Toutefois, je me dois de le faire sans tenter de réécrire les termes employés dans les revendications soit en élargissant, soit en limitant, leur portée (voir aussi : Camco au para 52). Je me dois de le faire en me gardant aussi de recourir à des éléments de preuve extrinsèque, comme, par exemple, l’historique du traitement de la demande de brevet (Camco au para 49(f)).

[134]  En d’autres termes, si le sens des mots employés dans les revendications ne souffre pas d’ambiguïté, il n’est pas approprié de recourir au reste du mémoire descriptif – ou à de la preuve extrinsèque au mémoire descriptif − pour le modifier ; ce sens, suivant le principe de la primauté de la teneur des revendications, doit avoir préséance (Électro Santé aux para 40, 66 ; Schmeiser c Monsanto Canada Inc, 2002 CAF 309 au para 43, inf en partie pour d’autres motifs par 2004 CSC 34 ; Janssen‑Ortho Inc c Canada (Santé), 2010 CF 42 aux para 115, 119  [Janssen Ortho]; AstraZeneca Canada Inc c Apotex inc, 2014 CF 638 aux para 67-71, conf par 2015 CAF 158, mais inf pour d’autres motifs par 2017 CSC 36).

[135]  Les défendeurs ont beaucoup insisté sur l’importance de la partie descriptive des mémoires descriptifs en cause aux fins de l’interprétation des revendications litigieuses. Cette partie du mémoire descriptif a certes son importance, mais, comme on vient de le voir, elle ne saurait servir à donner au libellé d’une revendication par ailleurs clair et non-équivoque, un sens autre. Comme la Cour l’a signalé dans Janssen Ortho, une personne qui interprète les revendications d’un brevet peut certes recourir à la partie descriptive du brevet, mais elle doit le faire « avec prudence » (Janssen Ortho au para 115 ; voir aussi Dableh aux para 29-30). Notamment, cette personne doit se garder d’interpréter une revendication à la lumière de la réalisation préférentielle décrite dans la divulgation en vue d’en limiter - ou d’en étendre – la portée si le sens des termes employés dans la revendication ne souffre pas d’ambiguïté (Dableh aux para 38-39).

[136]  Je conviens toutefois avec les défendeurs que la portée des revendications « ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité » (Électro Santé au para 32).

b)  Le rôle des experts

[137]  Pour compléter ce rappel des principes applicables, il y a lieu de souligner que le rôle des experts, à ce stade-ci de l’analyse, n’est pas d’interpréter les revendications, mais de « faire en sorte que le juge de première instance soit en mesure de le faire de façon éclairée » (Camco au para 57).

[138]  Cela m’amène à revenir, avant d’entreprendre l’interprétation comme tel des revendications du Brevet 794, sur les réserves exprimées par chaque partie relativement à la preuve d’expert de son adversaire.

c)  Les réserves exprimées quant à l’admissibilité de la preuve de M. Thilloy

[139]  Les défendeurs, comme je l’ai déjà indiqué, soutiennent que M. Thilloy a épousé la cause de son client et qu’il s’est ainsi livré à une analyse des revendications axée sur les résultats, avec une vue sur le système soi-disant contrefacteur – le DSQ – dont il connaissait déjà le détail pour avoir été impliqué dans le dossier connexe en Cour supérieure du Québec. On lui reproche aussi une approche trop légaliste. En somme, disent les défendeurs, je devrais conclure que M. Thilloy n’a ni la distance, ni la crédibilité nécessaires pour éclairer utilement et objectivement la Cour dans le présent dossier.

[140]  Je ne saurais, pour ces motifs, rejeter en bloc la preuve offerte par M. Thilloy, comme semblent me le suggérer les défendeurs. On s’attend du témoin expert à ce qu’il soit juste, objectif, impartial et qualifié dans le domaine pour lequel il offre son opinion (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 au para 10; Apotex Inc c Shire LLC, 2018 CF 637 au para 54; Allard c Canada, 2016 CF 236 aux para 102-107). Les qualifications de M. Thilloy le rendant apte à témoigner comme expert dans la présente cause, ont été reconnues, tout comme celles de M. April d’ailleurs. Son impartialité et son objectivité ne sauraient, par ailleurs, être remises en cause du simple fait qu’il est au dossier, pour ainsi dire, depuis les procédures connexes intentées en Cour supérieure du Québec. Il en faudrait bien davantage, à mon sens, pour démontrer que sa capacité d’éclairer objectivement la Cour en a souffert.

[141]  Pour ma part, j’ai vu un témoin soucieux d’aider la Cour et respectueux du processus. Il s’est avéré un témoin posé et en contrôle. Il défendait sa thèse et il était bien normal qu’il le fasse avec conviction. Toutefois, ce faisant, il n’a pas dépassé les bornes de la conduite que l’on attend normalement d’un témoin intègre et objectif. Il a su faire d’ailleurs les concessions nécessaires, lorsque les circonstances le commandaient. Il a même reculé sur certaines de ses conclusions après avoir pris connaissance du rapport de M. April en réponse à son premier rapport, celui du 9 mars 2018.

[142]  Quant au reproche voulant qu’il ait adopté une approche trop légaliste, je souligne qu’on reconnait depuis longtemps qu’il existe, dans des dossiers mettant en cause des domaines hautement techniques, comme les brevets, un degré d’interdépendance important entre les volets technique et juridique de ces dossiers, lequel requiert un haut niveau de collaboration entre l’avocat et l’expert (Moore v Getahun, 2015 ONCA 55 au para 55 [Moore]; Medimmune Ltd v Novartis Pharmaceuticals UK Ltd & Anor, [2011] EWHC 1669 (Pat) aux para 109-110). C’est ainsi que l’expert doit pouvoir compter sur l’appui de l’avocat de manière à pouvoir présenter son rapport [traduction] « d’une manière compréhensible et adaptée aux questions juridiques pertinentes dans une cause » (Moore au para 62).

[143]  Tout comme M. April d’ailleurs, M. Thilloy a tenté de traduire sa compréhension du cadre juridique applicable aux questions sur lesquelles il a été appelé à se prononcer. Qu’il ait questionné, dans son rapport en réponse à celui de M. April, la compréhension qu’a pu avoir ce dernier de certains des principes juridiques applicables n’était peut-être pas la meilleure idée. Mais dans un domaine où s’entrecroisent autant le droit et la science, je ne lui en tiendrai pas rigueur au point de me priver de son éclairage. Je suis ultimement celui qui jugera du bien-fondé de l’approche suivie par M. April.

[144]  Enfin, sur le fond, l’on reproche à M. Thilloy de s’être livré à une interprétation des revendications axée sur les résultats. Je pourrai juger de cela lors de mon examen du sens et de la portée de chaque revendication et de la position de chaque expert à cet égard. Mais ce reproche a trait ultimement à la force probante de son témoignage et non à son admissibilité.

d)  Les réserves exprimées quant à l’utilité de la preuve de M. April

[145]  Quant à M. April, le demandeur soutient qu’il s’est mal dirigé en droit sur la plupart des questions sur lesquelles il s’est prononcé, et que son opinion ne m’est, en conséquence, d’aucune utilité. Sur la question de l’interprétation à donner aux revendications, notamment, le demandeur reproche à M. April de s’être attardé, en décrivant le lot de connaissances générales avec lesquelles la PVA aurait été familière à l’époque pertinente:

  1. à des termes qui, à l’exception de deux − structures de données et pointeurs − n’apparaissent pas dans les revendications;
  2. à l’historique de l’initiative fédérale intitulée Inforoute Santé du Canada, lancée dans les années 90, mais dont la première architecture en vue de la mise en place d’un DSÉ pancanadien n’a été proposée qu’en 2003, soit bien après la date de publication du Brevet 794; et
  3. à des documents scientifiques que, à l’exception d’un seul, il ne connaissait pas lui-même à l’époque, et qui, dans bien des cas, sont postérieurs à la date de publication du Brevet 794 et même du Brevet 598;

[146]  Le demandeur lui reproche aussi d’avoir étayé sa compréhension générale du Brevet 794 en faisant référence à des termes qui sont soit complètement absents des revendications, soit présents dans certaines revendications seulement, faisant fi, par conséquent, du principe de la différentiation des revendications. Il lui reproche enfin d’avoir interprété les revendications sans analyser méthodiquement chacune d’elles individuellement et en limitant le sens et la portée de certaines d’entre elles en se fondant sur la partie descriptive des brevets en cause alors que rien ne justifiait une telle approche.

[147]  Les défendeurs m’exhortent à rejeter ces récriminations et à retenir que M. April, même si on admettait que sa compréhension du cadre juridique applicable n’était pas parfaite, a fait ce qu’un témoin expert était censé faire en l’instance, soit se mettre au service de la Cour, de manière la plus objective possible, afin de l’aider à comprendre les brevets en cause du point de vue de la PVA.

[148]  Voyons ce qu’il en est.

e)  La revendication 1

[149]  Je reproduis à nouveau le texte de la revendication 1 du Brevet 794:

A computer readable storage medium holding a data structure, said data structure comprising at least one record associated with a certain individual, said record including:

- A collection of data elements containing information of medical nature for the certain individual;

- At least one pointer, said pointer including a first component and a second component, said first component being indicative of an address of a location containing additional medical data for the individual, said second component being indicative of the basic nature of the medical data at the location pointed to by the first component, said address being in a form such that a machine can access the location and import the medical data from the location.

[150]  Je souligne de nouveau, d’entrée de jeu, que la PVA aurait été familière avec les termes techniques employés dans la revendication 1.

[151]  « Computer Readable Storage Medium » : on parle ici d’un support de stockage, tels une clé USB, une disquette, un disque optique ou une bande magnétique, contenant des données stockées dans un format lisible par un ordinateur. M. Thilloy note que la revendication 1 ne précise pas le type de support dont il s’agit et suggère que la PVA aurait été familière avec différents types de supports, incluant ceux permettant de stocker de manière volatile des données, lesquels n’envisagent la conservation des données que pour quelques secondes ou quelques minutes.

[152]  Les défendeurs soutiennent que l’idée que le support de stockage auquel réfère la revendication 1 puisse être interprété comme un support permettant de stocker des données de manière volatile, priverait le système décrit dans le Brevet 794, lorsqu’on considère le mémoire descriptif dans son ensemble, de toute utilité puisque ce système est conçu de manière à permettre le stockage d’informations de nature médicale utiles, selon une structure particulière, et l’accès à cette information, en tout temps opportun, où qu’elle soit dans le réseau, par le personnel médical soignant.

[153]  Je note, d’une part, que M. April ne s’est pas objecté à cette manière de voir de M. Thilloy dans son commentaire sur le passage du rapport de M. Thilloy où ce dernier émet l’opinion que la PVA aurait été familière avec différents types de supports, dont ceux permettant de stocker des données de manière volatile. Dans ce commentaire, M. April rappelle simplement que le support de stockage dont il est question à la revendication 1 était commercialement disponible en 1998 (Rapport April, 9 avril 2018, au para 35). D’autre part, en interrogatoire en chef, M. April a discuté des concepts de mémoire permanente et de mémoire volatile (ou mémoire « cache ») et il a associé le premier concept aux données enregistrées dans une « base de données » et le second aux données commandées par le client (Transcription, 1er juin 2018, aux pp 78-80).

[154]  Lorsque la revendication 1 est lue dans son ensemble, il me semble que la PVA aurait compris que ces deux concepts peuvent s’appliquer à cette revendication. Je pense plus précisément à l’emplacement où se trouve l’information médicale additionnelle vers laquelle pointe la première composante du pointeur et à l’information qui est importée de cet emplacement. Il est concevable, à mon sens, que cet emplacement conserve les données qui s’y trouvent de manière permanente et que l’information importée de cet emplacement soit conservée dans une mémoire cache. 

[155]  « holding a data structure » : cela signifie que le support de stockage abrite une « structure de données » (« data structure »), un concept de base en informatique qui aurait été très bien compris par la PVA à la date pertinente et qui réfère à la manière dont les données sont organisées en vue d’en faciliter et permettre l’identification, l’accès et l’échange.

[156]  « said data structure comprising at least one record associated with a certain individual »: ici, l’on précise que la structure de données qu’abrite le support de stockage contient au moins un dossier (« record ») associé à un individu donné. M. April estime que le mot « record », à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif, ne peut que référer à la notion de « medical record ». Il soutient que dans le contexte du Brevet 794, cela correspond au dossier médical sommaire et électronique qu’un patient peut avoir dans les différents établissements du réseau de santé où il a pu être soigné. M. Thilloy, pour sa part, estime que le mot « record » souffre d’ambiguïté dans la mesure où il peut avoir le sens que lui donne M. April, mais aussi celui d’un « enregistrement », au sens informatique du terme, c’est-à-dire une entrée de données particulière dans une structure de données. Bien qu’il ne lui semble pas nécessaire de trancher la question pour comprendre la portée de la revendication 1, il soutient que le second sens, celui d’un « enregistrement », parait plus approprié dans la mesure où il est décrit dans la revendication en référence à la structure de données.

[157]  Les défendeurs estiment que cette distinction n’est pas cruciale puisqu’un dossier médical sommaire pourrait tout à fait correspondre à un enregistrement dans une base de données. Je suis d’accord, mais comme il me faut trancher, j’estime qu’il est davantage indiqué, dans le contexte du Brevet 794, de donner au mot « record » le sens d’un « enregistrement », c’est-à-dire d’une entrée de données particulière dans une structure de données, comme le suggère M. Thilloy.

[158]  La revendication 1 ne précise pas, par ailleurs, comment l’association est faite entre le « record » et l’individu, mais je suis d’accord avec M. Thilloy que la PVA aurait été familière avec l’utilisation d’un identifiant unique, comme le numéro d’assurance maladie de l’individu, pour assurer ce lien, tel que le suggère d’ailleurs la Divulgation 794.

[159]  « said record including - a collection of data elements containing information of medical nature for the certain individual »: on y précise ici que ce « record », ou cet « enregistrement », qu’abrite la structure de données, contient un ensemble de données de nature médicale concernant cet individu. La revendication ne précise pas la nature exacte de ces données, mais on comprend de l’ensemble de la Divulgation 794 qu’il peut s’agir de données médico-administratives, comme le nom, la date de naissance et le médecin de famille du patient, et de données de nature purement médicales, comme le groupe sanguin, les antécédents médicaux du patient et de sa famille, les allergies et la médication.

[160]  Je suis d’accord ici avec M. Thilloy que cette information n’est pas nécessairement limitée à de l’information statique, comme le prétend M. April, c’est-à-dire à de l’information non-susceptible de changer durant la vie du patient. Si c’était le cas, il me semble, le médecin utilisateur du système (ou le client) préconisé par le Brevet 794, dont l’objectif est de procurer à ce médecin une vue longitudinale, dans le temps et l’espace, de la situation de son patient, serait potentiellement privé de renseignements utiles aux fins du diagnostic. D’ailleurs, dans son rapport du 9 avril 2018, M. Thilloy souligne que la Divulgation 794 fournit certains exemples d’information médicale susceptible de se retrouver sur le « record » qui n’est pas nécessairement statique, comme l’historique des chirurgies, les allergies et la médication (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 90).

[161]  « said record including - at least one pointer »: on y précise ici que ce « record », ou cet « enregistrement », qu’abrite la structure de données, contient aussi au moins un « pointeur » (« pointer »). Selon les deux experts, un pointeur est un élément de référence ou de données qui pointe vers un autre élément de données ou, en d’autres mots, en spécifie l’emplacement. M. Thilloy donne l’exemple d’une page Internet qui pointe ou dirige l’utilisateur et le fureteur Internet vers une page spécifique. Il n’est pas contesté, donc, que la PVA aurait été familière avec ce terme technique.

[162]  « said record including − at least one pointer […], said pointer including a first component and a second component, said first component being indicative of an address of a location containing additional medical data for the individual, […] said address being in a form such that a machine can access the location and import the medical data from the location » : on précise ici que le pointeur abrité par le « record » a deux composantes et que la première de ces deux composantes indique l’adresse d’un emplacement (« location ») où se trouve de l’information médicale additionnelle (« additional medical data ») concernant un individu donné. On y précise aussi que cette adresse est présentée dans un format qui permet à un ordinateur (« machine ») d’accéder à cet emplacement en vue d’en importer l’information qui s’y trouve.

[163]  Les deux experts divergent ici d’opinion quant au sens à donner au terme « location ». Contrairement à M. April, pour qui le terme « location » réfère nécessairement, lorsque la Divulgation 794 est considérée dans son ensemble, aux systèmes-sources situés dans les différents établissements du réseau de la santé où sont dispensés des soins aux patients (hôpitaux, cliniques, etc.) et où sont sauvegardées des données médicales détaillées liées à ces soins (Rapport April, 9 avril 2018, au para 39), M. Thilloy estime que l’emplacement dont il est fait référence à la revendication 1 pourrait tout aussi bien être une autre structure de données dans un support de stockage quelconque. En d’autres mots, pour M. Thilloy, le terme « location » ne renvoie pas nécessairement à l’idée d’un éloignement géographique ou d’une adresse physique d’un établissement; il peut être entendu, dans le contexte du brevet en cause, dans un sens logique ou conceptuel (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 71). En somme, il renvoie à l’endroit où se trouve les données, endroit qui n’est pas nécessairement lié, contrairement à ce qu’avance M. April, aux systèmes-sources des établissements ayant dispensé les soins.

[164]  Même si, dans la plupart des cas, il est raisonnable de penser que le terme « location » envisagé ici est lié aux systèmes-sources des établissements dispensateurs des soins donnant lieu à la création d’information médicale additionnelle concernant un patient, la définition proposée par M. April me paraît trop restrictive et liée à la réalisation préférentielle décrite dans la Divulgation 794. Le langage de cette portion de la revendication n’en limite pas la portée à ces systèmes.

[165]  D’ailleurs, selon la preuve au dossier, différents types d’adresses d’emplacement, comme des adresses IP ou URL (« Uniform Resource Locator »), ou encore un référencement (« index ») vers une table de données qui, elle, contient l’adresse de l’emplacement, sont possibles. Les défendeurs le reconnaissent, mais contestent que cette adresse puisse être un numéro d’identification unique, comme l’a aussi suggéré M. Thilloy. Ils estiment que ce dernier n’a pu en arriver à cette interprétation du terme « adresse » que par sa connaissance préalable du fonctionnement du DSQ et qu’il s’agit donc là d’une interprétation axée sur le résultat, ce qui n’est pas permis par les règles d’interprétation des brevets.

[166]  Pourtant, dans son premier rapport, M. April indiquait, dans le cadre de son interprétation des termes des revendications du Brevet 794, et plus particulièrement des termes « address in a form that a machine can access the location », qu’une adresse destinée à l’identification sans ambiguïté d’un endroit ou d’un équipement pouvait prendre plusieurs formes, incluant « l’utilisation d’un identifiant universel unique conçu pour être unique dans le monde afin de permettre à des systèmes distribués d’identifier de façon unique une information sans coordination centrale importante » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 125). Il a confirmé le tout en contre-interrogatoire (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 91-96).

[167]  On ne m’a donc pas convaincu qu’une adresse du type d’un numéro d’identification unique n’était pas concevable pour la PVA à l’époque pertinente et qu’il y a lieu, comme les défendeurs m’invitent à le faire, à exclure ce type d’adresses du sens à donner au mot « address » de la revendication 1. Vu la position de M. April sur la question, je ne saurais dire aussi que celle de M. Thilloy est axée sur les résultats.

[168]  Comme la Cour l’a précisé dans l’affaire Halford c Seek Hawk Inc, 2004 CF 88, inf en partie pour d’autres motifs par 2006 CAF 275 [Halford], en l'absence d'une restriction précise relativement à un concept spécifié dans les revendications, on ne peut se servir des références à ce concept dans la divulgation pour y incorporer une restriction, même s’il est par ailleurs permis, comme on l’a déjà vu, de tenir compte de ces références pour déterminer le sens à attribuer à des mots, expressions ou concepts précis dans les revendications (Halford au para 35).

[169]  M. April reproche également à M. Thilloy une interprétation problématique du terme « import », la jugeant « floue et large » dans la mesure où elle pourrait vouloir dire autre chose que le téléchargement sélectif de certaines données, par opposition à la simple consultation desdites données (Rapport April, 9 avril 2018, au para 38). Dans sa réplique à ce rapport, M. Thilloy a rappelé avoir indiqué que le terme « import » signifiait « extraire », ce qui comprend la notion de téléchargement. Il dit avoir voulu simplement préciser que l’information médicale additionnelle pointée par la première composante du pointeur n’était pas recopiée de manière permanente dans le sens où elle disparaîtrait de l’emplacement à partir duquel elle est importée (Rapport Thilloy, 30 avril 2018, au para 21(b)). Je suis satisfait qu’il n’y a pas de controverse sur ce qu’aurait compris la PVA en prenant connaissance du terme « import » dans la revendication 1.

[170]  « said record including - at least one pointer […], said pointer including a first component and a second component, […] said second component being indicative of the basic nature of the medical data at the location pointed to by the first component »: il y a consensus entre MM. April et Thilloy sur le fait que cette seconde composante du pointeur permet d’indiquer à l’utilisateur la nature des données médicales additionnelles vers lesquelles pointe le pointeur, permettant ainsi à cet utilisateur d’apprécier la nature de ces informations et de choisir celles qu’il souhaite obtenir et consulter.

[171]  M. Thilloy est le seul à proposer ce qu’aurait été, à son avis, l’interprétation de la PVA de l’ensemble de la revendication 1. Il précise que cette personne aurait compris que l’on vise « une structure de données conservée sur un support de stockage quelconque » et que cette structure « contient au moins un enregistrement associé à un individu donné », lequel enregistrement contient notamment les données suivantes :

a.  Un ensemble d’éléments de données contenant de l’information médicale pour cet individu pouvant être de différents types; et

b.  Au moins un pointeur ayant deux composantes: une adresse ou une référence permettant à l’ordinateur d’accéder et de consulter de l’information médicale additionnelle, et une indication de la nature de cette information médicale additionnelle permettant à l’usager d’identifier l’information médicale additionnelle qu’il souhaite consulter.

[172]  Je souscris à cette vue d’ensemble de ladite revendication.

f)  Les revendications 2 à 5

[173]  Je rappelle que les revendications 2 à 5 sont des revendications dépendantes. Elles se lisent comme suit :

2.  A computer readable storage medium as defined in claim 1, wherein said record includes a plurality of pointers, one of said plurality of pointers including a first component that is indicative of an address of a first location, another one of said pointers including a first component that is indicative of an address of a second location that is remote from the first location.

3.  A computer readable storage medium as defined in claim 2, wherein the first and the second locations are different nodes in a network.

4.  A computer readable storage medium as defined in claim 3, comprising a multitude of records.

5.  A computer readable storage medium as defined in claim 4, wherein said computer readable storage medium resides on a server in a network.

[174]  Suivant l’article 87 des Règles, une revendication dépendante sert à ajouter des caractéristiques au concept inventif décrit dans la ou les revendication(s) auxquelles elle renvoie, lesquelles doivent la précéder dans l’ordre de présentation des revendications. Ainsi, ce type de revendications précise les caractéristiques additionnelles revendiquées, tout en comportant l’ensemble des caractéristiques et restrictions de la – ou des revendications(s) − auxquelles elle renvoie. L’article 87 se lit comme suit :

87 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la revendication qui inclut toutes les caractéristiques d’une ou de plusieurs autres revendications (appelée « revendication dépendante » au présent article) renvoie au numéro de ces autres revendications et précise les caractéristiques additionnelles revendiquées.

87 (1) Subject to subsection (2), any claim that includes all the features of one or more other claims (in this section referred to as a “dependent claim”) shall refer by number to the other claim or claims and shall state the additional features claimed.

(2) La revendication dépendante peut seulement renvoyer à une ou plusieurs revendications antérieures.

(2) A dependent claim may only refer to a preceding claim or claims.

(3) La revendication dépendante comporte toutes les restrictions contenues dans la revendication à laquelle elle renvoie ou, si elle renvoie à plusieurs revendications, toutes les restrictions figurant dans la revendications [sic] ou les revendications avec lesquelles elle est prise en considération.

(3) Any dependent claim shall be understood as including all the limitations contained in the claim to which it refers or, if the dependent claim refers to more than one other claim, all the limitations contained in the particular claim or claims in relation to which it is considered.

[175]  En ajoutant ainsi des caractéristiques à celles revendiquées dans la revendication dont elle dépend, la revendication dépendante vient non seulement préciser, mais aussi, en quelque sorte, limiter la portée du monopole couvert par la revendication indépendante. L'interprétation d'une revendication indépendante ne doit donc pas être en contradiction avec les revendications qui en dépendent ; elle doit être, au nom de la cohérence interne entre les revendications indépendantes et dépendantes, compatible avec le sens et la portée de ces dernières (Halford aux para 91, 95).

[176]  La revendication 2 précise que le « record » contenu dans la structure de données du support de stockage auxquels réfère la revendication 1, inclut une pluralité de pointeurs dont un comprend une première composante qui est indicative d’une adresse d’un premier emplacement (« location ») et un autre qui comprend aussi une première composante qui, elle, est indicative d’une adresse d’un second emplacement éloigné (« remote ») du premier.

[177]  Elle exige donc que le « record » de la revendication 1 abrite une pluralité de pointeurs, et non au moins un pointeur comme le spécifie cette dernière, puisqu’un même patient peut avoir d’enregistré dans le réseau plus d’un résultat de laboratoire ou d’imagerie ou encore des résultats de laboratoire et d’imagerie.

[178]  Elle introduit par ailleurs la notion de l’éloignement ou de la séparation (« remote ») des deux emplacements (« locations ») qui y sont mentionnés. M. Thilloy soutient que la PVA aurait compris le terme « remote » dans le contexte de l’informatique, là où il a une connotation particulière. Elle aurait ainsi compris que ce terme signifie que les deux emplacements où se situe l’information médicale additionnelle sont séparés l’un de l’autre et que cette séparation ou cet éloignement peut être autant physique que logique (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 83). Encore ici, M. April soutient que cette définition est « floue et large » dans la mesure où elle introduit la notion d’un emplacement distant logique. Selon lui, la PVA, en lisant la Divulgation 794, aurait compris que la notion de « remote locations » renvoie à l’idée, davantage compatible avec l’objet de l’invention, d’immeubles physiques éloignés l’un de l’autre, tels des hôpitaux et des cliniques. En effet, précise-t-il, si les emplacements contenant l’information médicale additionnelle se trouvaient au même endroit, cette information serait disponible localement, rendant ainsi inutile l’invention du demandeur (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 42-43).

[179]  Comme c’est le cas du terme « location », rien, dans la revendication 2, ne vient restreindre la portée de la notion de « remote locations » à des emplacements physiques. Je rappelle qu’en l'absence d'une restriction précise relativement à un concept spécifié dans les revendications, on ne peut se servir des références à ce concept dans la divulgation pour y incorporer une restriction, même s’il est par ailleurs permis de tenir compte de ces références pour déterminer le sens à attribuer à des mots, expressions ou concepts précis dans les revendications (Halford au para 35). Or ici, M. April ne dit pas que la notion informatique de séparation de deux emplacements, dans le sens proposé par M. Thilloy, n’aurait pas été à la connaissance de la PVA à l’époque pertinente ou encore que cette notion était, en soi, à l’époque, floue et équivoque. C’est essentiellement en recourant à la Divulgation 794 qu’il a pu tirer son interprétation de cette notion et fonder sa critique de la définition proposée par M. Thilloy. Dans les circonstances, ce choix était, à mon sens, vu le cadre d’analyse applicable, mal avisé.

[180]  La revendication 3 prévoit que les premier et second emplacements (« locations ») auxquels réfère la revendication 2 correspondent à différents nœuds dans un réseau (« different nodes in a network »). Cette revendication introduit donc, à son tour, deux nouveaux termes techniques. Le terme « network » ne suscite pas de controverse et était bien connu de la PVA : un réseau représente un ensemble d’équipements informatiques (ordinateurs, serveurs, imprimantes, etc.) interconnectés l’un à l’autre pour qu’ils puissent communiquer entre eux. Le terme « nodes », dans le sens générique où on l’entend en informatique, ne suscite pas de controverse non plus. Il s’agit des équipements ou composantes d’un réseau donné (encore une fois : ordinateur, imprimante, serveur, etc.). Selon les deux experts, la PVA aurait été très familière avec ce terme à l’époque pertinente.

[181]  M. Thilloy soutient par contre qu’un même équipement à l’intérieur d’un réseau, comme un serveur par exemple, qui possèderait plusieurs interfaces de communication pourrait correspondre à plusieurs nœuds « logiques » à l’intérieur d’un même réseau (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 86). M. April s’oppose à cette extension de la définition du terme « node » au motif que la PVA, à l’époque pertinente, aurait compris que le terme « node » réfère à des équipements physiques, mais non à des équipements « logiques » (Rapport April, 9 avril 2018, au para 44).

[182]  Contrairement au terme « location », qui est lié à la notion « d’adresse », elle-même liée à celle de pointeurs et d’enregistrements (« record ») abrités dans une structure de données (« data structure »), toutes des notions qui réfèrent à des objets intangibles, le terme « nodes » renvoie, lui, sans équivoque, à des notions d’équipements ou dispositifs physiques ou tangibles : l’ordinateur, le serveur, l’imprimante, le routeur, etc. Il m’est donc difficile d’imaginer, dans ce contexte, qu’un nœud dans un réseau puisse prendre une forme purement logique ou virtuelle. C’est peut-être le cas aujourd’hui, mais M. Thilloy n’a pas clairement établi que cette forme intangible de nœuds aurait fait partie des connaissances générales courantes de la PVA à l’époque pertinente. Sur cette question, je préfère le point de vue de M. April.

[183]  Les revendications 2 et 3 viennent donc préciser que les données médicales additionnelles pointées par les deux pointeurs de la revendication 2 se retrouvent à des endroits (« locations ») différents (« remote ») connectés via un réseau (« network ») et que ces endroits ou emplacements correspondent à des nœuds (« nodes »), et donc à des équipements ou dispositifs physiques, interconnectés via ledit réseau.

[184]  La revendication 4, elle, stipule que le support de stockage auquel réfère la revendication 3 contient une multitude de « records » ou d’enregistrements, et donc, qu’elle contient plus d’un enregistrement, ce qui est compatible avec l’objet de l’invention qui est de mettre en mémoire et permettre l’accès au plus grand nombre de données médicales pertinentes du plus grand nombre de patients possible.

[185]  Finalement, la revendication 5 précise que ce support de stockage (« computer readable storage medium ») réside (« reside ») dans un serveur (« server ») à l’intérieur d’un réseau. Elle introduit pour la première fois, dans le libellé des revendications du Brevet 794, la notion de « serveur ».

[186]  Encore ici s’opposent les notions de dispositifs informatiques « physiques » et « logiques ». Si les deux experts s’entendent pour dire que la PVA aurait été très familière avec la notion de serveur en tant que dispositif informatique « physique », il n’en va pas de même de la notion étendue de dispositif informatique « logique », laquelle fait partie de la définition proposée par M. Thilloy. Ce dernier en donne pour exemple les serveurs Google qui reçoivent des requêtes transmises par des clients (fureteurs) via Internet et qui retournent les résultats de ces requêtes aux clients. M. April note que les serveurs Google n’étaient pas disponibles à l’époque pertinente. D’ailleurs, le demandeur, lors de son interrogatoire en chef, a souligné, pour illustrer le fait que le concept développé dans son invention n’était pas, du moins selon lui, dans les mœurs du temps en 1998, que Google n’a été incorporé qu’en septembre 1998 (Transcriptions, 28 mai 2018, à la p 88).

[187]  Pour les mêmes raisons qui m’ont fait conclure que le terme « nodes » a, dans la revendication 3, la connotation de dispositif ou d’équipement informatique « physique » − d’ailleurs, un serveur est un nœud (« node ») dans un réseau −, je suis d’avis que le terme serveur (« server »), tel qu’employé dans la revendication 5, a une connotation similaire.

g)  La revendication 6

[188]  La revendication 6, une revendication indépendante je le rappelle, se lit comme suit :

A network server, including:

- A processor;

- A memory including:

a)  A plurality of records associated with respective individuals, said record including:

i.  A collection of data elements containing information of medical nature for the certain individual;

ii.  At least one pointer, said pointer including a first component and a second component, said first component being indicative of an address of a location containing additional medical data for the certain individual, said second component being indicative of the basic nature of the medical data at the location pointed to by the first component, said address being in a form such that a machine can access the location and import the medical information from the location

b)  A program element including individual instructions, said program element implementing a functional block comprising means responsive to a request to transfer a particular record of said plurality of records toward a client connected to said server through a data communication pathway for locating the particular record and transferring the record toward the client over the data communication pathway.

[189]  Cette revendication reprend plusieurs termes et concepts de la revendication 1, tels « record », éléments de données contenant de l’information de nature médicale, pointeurs à deux composantes, adresse, emplacement (« location »), information médicale additionnelle, « machine », et « import ». Je rappelle, à cet égard, qu’en vertu du principe de l'uniformité ou de la cohérence interne des revendications (Halford au para 95), il existe une présomption selon laquelle un mot a le même sens d'une revendication à l'autre d'un brevet et au sein d'une même revendication (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2016 CAF 216 au para 80, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37274 (20 avril 2017) [Nova Chemicals]).

[190]  Ici, plutôt que de décrire un support de stockage (« computer readable storage medium »), la revendication 6 vise, cette fois, un serveur connecté à un réseau (« network server »), comprenant deux dispositifs, un processeur (« processor ») et une mémoire (« memory ») dotée d’un élément de programme (« program element »).

[191]  Je me suis déjà prononcé sur la signification du terme serveur (« server »). Je note, ici, la remarque de M. Thilloy suivant laquelle la revendication 6 semble faire référence « à la notion de serveur matériel plutôt que simplement logiciel » puisqu’elle y associe des composantes « matérielles », tel un processeur et une mémoire (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 94). Il a été encore plus affirmatif en interrogatoire en chef en indiquant que le serveur de la revendication 6 était « certainement une composante matérielle, et non pas purement logiciel » (Transcriptions, 29 mai 2018, aux pp 74-76).

[192]  M. Thilloy laisse entendre toutefois que le serveur dont il est question à cette revendication peut prendre la forme d’une seule « machine », avec un ou plusieurs processeurs, ou encore d’une « grappe de serveurs », une configuration qui s’avère utile, selon lui, lorsque la charge est importante et qu’il devient nécessaire de la répartir pour pouvoir répondre à la demande. M. Thilloy soutient que le concept de « grappe de serveurs » aurait été bien connu de la PVA à l’époque pertinente, ce que conteste M. April pour qui ce concept n’est devenu populaire qu’après la date pertinente, soit lorsque l’infonuagique – un modèle informatique basé sur l’utilisation de serveurs distants interconnectés par Internet − s’est popularisé. Au surplus, souligne M. April, on ne retrouve aucune trace de ce concept dans la Divulgation 794. M. Thilloy rétorque avoir fait sa maîtrise en 1991 en utilisant des équipements configurés en grappe, et en conclut qu’à la fin des années 90, la PVA aurait été familière avec ce genre d’arrangement.

[193]  Cela ne change pas, à mon sens, la définition du terme « serveur » en tant que dispositif ou équipement informatique matériel ou physique. Il s’agit d’une « machine ». Je suis par contre prêt à accepter qu’un serveur, à l’époque pertinente, pouvait être configuré en « grappe de serveurs ». Ce concept n’était peut-être pas popularisé encore à cette époque, mais, selon toute vraisemblance, il aurait fait partie des connaissances générales courantes de la PVA puisque c’était un concept connu depuis au moins le début des années 90, comme le souligne M. Thilloy.

[194]  Les experts s’entendent par ailleurs sur le sens des termes processeur (« processor ») et mémoire (« memory »). Un processeur est une composante électronique qui effectue le traitement des instructions relatives à la commande passée au serveur. Un serveur peut en compter plusieurs. Quant à la mémoire, il s’agit d’une composante du serveur qui permet, elle, de mémoriser de l’information durant un certain temps.

[195]  Cette mémoire, suivant la revendication 6, comprend une pluralité d’enregistrements (« plurality of records ») associés à des individus, lesquels enregistrements comprennent les mêmes éléments d’information de nature médicale et le même pointeur à deux composantes comportant les mêmes caractéristiques que ceux décrits à la revendication 1. Ladite mémoire comporte par ailleurs un élément de programme (« program element ») dont la définition ne pose pas problème non plus : il s’agit d’un ensemble d’instructions de traitement pour que le processeur puisse accomplir certaines tâches. La PVA aurait été familière avec ce concept à la date pertinente.

[196]  Le reste du texte de la revendication précise la fonctionnalité de l’élément de programme, laquelle est de permettre, sur requête d’un client connecté au serveur par le biais d’une voie de communication, de localiser un enregistrement parmi la pluralité d’enregistrements (« records ») abrités par la mémoire, et de communiquer cet enregistrement à ce client, via cette même voie de communication.

[197]  M. April soutient qu’il est important de comprendre que la PVA, à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif du Brevet 794, aurait associé cet élément de programme à un nouveau logiciel « applicatif » du domaine de la santé comportant une structure de données dite « propriétaire », c’est-à-dire conçu selon les besoins particuliers du « propriétaire » du système, et ce, compte tenu que tous les équipements décrits dans ce brevet étaient commercialement disponibles à l’époque pertinente.

[198]  M. April conteste également la portée de la relation client/serveur définie par M. Thilloy en rapport avec cette revendication. Alors que M. Thilloy opine que le terme « client » peut faire référence, selon les connaissances générales courantes qu’aurait possédé la PVA à la fin des années 90, à différentes composantes, tels l’ordinateur qui formule la requête, le programme ou le logiciel sur cet ordinateur qui formule la requête, ou encore la fonction à l’intérieur de ce programme ou logiciel qui formule la requête, M. April dit que l’on doit s’en tenir aux « trois seules possibilités » de classes d’applications décrites dans la Divulgation 794. Or, dans les deux cas, comme on l’a vu, se coller à la divulgation du mémoire descriptif n’est pas, en soi, une raison valable pour limiter la portée d’une revendication. Ici, je ne vois pas de raison de restreindre la portée du terme « client » comme le suggère M. April ou encore de restreindre la structure de données à laquelle la revendication 6 réfère à une structure de type « propriétaire » puisque ces restrictions reposent essentiellement sur une appréciation de la Divulgation 794.

[199]  La PVA, en lisant la revendication 6 à la lumière de l’ensemble de la Divulgation 794, aurait compris, selon moi, que l’on décrit, cette fois, non pas un support de stockage, mais un serveur, dans le sens d’un dispositif ou d’un équipement physique ou tangible, qui est : (i) rattaché à un réseau; (ii) équipé d’un processeur; et (iii) muni d’une mémoire contenant au moins deux enregistrements du même type que ceux discutés dans le contexte de la revendication 1 et d’un programme (ou logiciel) permettant, à l’aide du processeur, d’identifier un enregistrement particulier et de transmettre cet enregistrement vers un client qui en a fait la demande au serveur.

h)  Les revendications 7 et 8

[200]  Les revendications 7 et 8, qui dépendent de la revendication 6, ajoutent à cette revendication ce que les revendications 2 et 3 ajoutent à la revendication 1, sauf qu’elles sont en lien avec la notion de serveur plutôt qu’avec celle de support de stockage. C’est ainsi que la revendication 7 précise que chaque enregistrement auquel elle réfère abrite une pluralité de pointeurs, et non au moins un comme le spécifie la revendication 6, et introduit, à son tour, la notion de l’éloignement ou de la séparation (« remote ») des deux emplacements (« locations ») liés aux pointeurs dont il est fait mention.

[201]  Quant à la revendication 8, elle spécifie que les premier et second emplacements auxquels réfère la revendication 7 correspondent à des nœuds (« nodes ») distincts dans un réseau.

[202]  Il n’y a pas lieu ici d’adopter une interprétation des termes et concepts de ces deux revendications qui soit différente de celle que j’ai retenue pour les revendications 2 et 3.

(6)  Le sens et la portée des revendications du Brevet 598

[203]  Le Brevet 598, comme on l’a vu, se veut en quelque sorte, selon le demandeur, le prolongement du Brevet 794 dans la mesure où il décrit et revendique un concept de mise à jour automatique des informations sommaires du DSÉ distribué envisagé dans le Brevet 794 de même qu’un concept permettant l’accès à ces informations par le médecin ou le patient lui-même, au moyen d’un système personnel de communication, tel un téléphone intelligent, ou encore au moyen d’une carte à puce.

[204]  Un certain nombre de termes et concepts que l’on retrouve dans les revendications du Brevet 598 (« node », « medical records », « pointers », « plurality of pointers », « location », « remote ») se retrouvent aussi dans celles du Brevet 794. Les experts ont tous deux indiqué qu’il s’en remettait à l’interprétation qu’ils en ont donnée dans le cadre de l’examen des revendications du Brevet 794.

a)  La revendication 1

[205]  La revendication 1 est la première des trois revendications indépendantes que compte le Brevet 598. Elle se lit comme suit :

1.  A method for performing automatic updates of summary medical information for a first patient, residing at a first node of a data network when new medical information for the first patient is recorded at a second node of the data network, the first node being configured for receiving data from the second node over a communication path linking the first and second nodes, the data network storing medical information in a distributed fashion, the medical information including a plurality of medical records associated with respective patients, the first node storing the summary medical information about the first patient without including an entire content of the medical record of the first patient available in the data network, the summary medical information including:

(a)  a plurality of information items identifying medical care services dispensed to the first patient;

(b)  a plurality of pointers associated with respective information items of the plurality of information items, each pointer identifying a location on the data network that is remote form the first node and which contains additional medical information for the medical care service identified by the information item associated with the pointer;

the method including

(i)  pushing to the first node a medical a medical information update when new medical information about the first patient is recorded at the second node, including processing the new medical information to derive update data and initiating at the second node a data transmission to the first node, the data transmission conveying to the first node the update data;

(ii)  receiving at the first node the update data sent by the second node;

(iii)  creating at the first node a new information item based on the update data.

[206]  Cette revendication décrit une méthode (« method »), par opposition à un système. Cette méthode vise la mise à jour automatique (« automatic updates ») de l’information médicale sommaire d’un patient (« summary medical information for a first patient »). Selon cette méthode, l’information médicale sommaire est stockée à un premier nœud (« node ») d’un réseau de données (« data network ») abritant de l’information médicale selon le concept de stockage distribué (« storing medical information in a distributed fashion »), c’est-à-dire abritant de l’information non pas stockée dans un dépôt central de données, mais distribuée à différents emplacements à l’intérieur du réseau de données. M. April concède ici que cette information n’est pas « nécessairement « statique » » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 236).

[207]  Cette information médicale sommaire, stockée au premier nœud, comprend (i) une pluralité d’éléments d’information permettant d’identifier les soins de santé dispensés au patient (« a plurality of information items identifying medical care services dispensed to the first patient ») et (ii) une pluralité de pointeurs (« a plurality of pointers ») associés à ces éléments d’information (« associated with respective information items of the plurality of information items »). Chaque pointeur sert, pour sa part, à identifier un emplacement dans le réseau de données (« identifying a location in the data network ») qui est éloigné du premier nœud (« that is  remote from the first node ») et qui contient de l’information médicale additionnelle concernant les soins de santé identifiés dans les éléments d’information auxquels chaque pointeur est associé.

[208]  La méthode décrite à la revendication 1 précise que l’information médicale additionnelle concernant ce patient est enregistrée à un second nœud, le premier nœud étant configuré pour recevoir du second nœud, lorsque de la nouvelle information médicale y est enregistrée, des mises à jour de l’information médicale sommaire stockée au premier nœud. Ces mises à jour sont « poussées » (« pushing ») vers le premier nœud à partir d’une voie de communication reliant les deux nœuds à l’intérieur du réseau. Le terme « push », que l’on ne retrouve pas dans les revendications du Brevet 794 et qui traduit une manière de transmettre des données à l’intérieur d’un réseau suivant laquelle la transmission est initiée par un serveur sans qu’une requête ne lui soit adressée, aurait été bien connue de la PVA (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 265; Rapport April, 9 mars 2018, au para 242).

[209]  Toujours selon cette méthode, l’information médicale nouvelle stockée au second nœud est traitée de manière à en extraire des mises à jour et à initier leur transmission vers le premier nœud. Une fois qu’une mise à jour est reçue au premier nœud, un nouvel élément d’information basé sur cette mise à jour est créé au premier nœud (« creating at the first node a new information item based on the update data »).

[210]  Encore ici, la PVA, selon les experts, aurait été familière avec la plupart des termes et concepts décrits dans la revendication 1, dont plusieurs, comme nous l’avons vu, sont communs aux deux brevets en cause. Les pointeurs de la revendication 1 ne sont certes pas hybrides, comme ceux du Brevet 794, mais cela correspond davantage, selon la preuve des deux experts, à la compréhension que la PVA pouvait avoir de ce terme technique à la date pertinente.

[211]  Les experts sont restés sur leur position quant à la signification des notions d’emplacement (« location »), de séparation (« remote ») et de nœuds (« nodes »), M. April continuant à prétendre que ces notions, dans le contexte des brevets en cause, ont une connotation de dispositifs physiques ou matériels liés à des emplacements physiques distincts, comme des établissements hospitaliers ou des cliniques médicales, alors que pour M. Thilloy, ces notions peuvent aussi avoir une portée purement conceptuelle.

[212]  J’ai déjà fait état de ma compréhension de ces trois concepts lors de l’examen des revendications du Brevet 794 et je ne vois de raisons de les interpréter différemment dans le contexte de la présente revendication.

[213]  En somme, la PVA, selon moi, aurait compris, à la date pertinente, soit en juin 2002, que la revendication 1 du Brevet 598 vise une méthode de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire d’un patient, méthode aux termes de laquelle les mises à jour sont transmises, à l’intérieur d’un réseau qui permet le stockage distribué de données, à partir d’un emplacement où de l’information médicale nouvelle concernant ce patient est enregistrée. Elle aurait compris aussi que l’information médicale sommaire, stockée au premier nœud, comprend des items d’information permettant d’identifier les soins de santé ou services pour lesquels de l’information médicale additionnelle existe à un autre emplacement – le second nœud – de même que des pointeurs qui permettent d’identifier cet emplacement. Elle aurait enfin compris que les mises à jour sont « poussées » vers le premier nœud à partir d’une voie de communication reliant les deux nœuds à l’intérieur du réseau et ce, sans qu’il soit nécessaire de faire un appel en ce sens au second nœud.

b)  Les revendications 2 à 18

[214]  Ce sont là, je le rappelle, des revendications dépendantes et que seules les revendications 2 à 4, 9, 10, 13 à 16 et 18 sont en litige.

[215]  Les revendications 2 à 4 précisent simplement que les soins de santé mentionnés à la revendication 1 incluent des tests ou examens diagnostics (« medical diagnostic test »), plus précisément des examens de laboratoire (« laboratory test ») ou des examens d’imagerie médicale (« imaging test »).

[216]  La revendication 9 précise que le second nœud (« second node ») spécifié à la revendication 1 est implémenté par un arrangement de serveurs (« server arrangement »), ce qui implique qu’il puisse être implémenté par plus d’un serveur. M. Thilloy avance que, puisque la revendication ne précise pas de quel type d’arrangement ou de serveur il s’agit, la PVA aurait été familière « avec différentes implémentations possibles, comme par exemple plusieurs serveurs sur un réseau local ou plusieurs contenants logiques sur un même serveur physique voire même des machines virtuelles comme il en existait déjà à l’époque » (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 282). Selon M. April, l’expression « server arrangement » n’est pas une expression « commune » en informatique et comme elle n’est pas précisée dans le libellé de la revendication, il est difficile de comprendre de quoi il s’agit. Néanmoins, la PVA, selon lui, aurait compris que l’on parle ici de plusieurs serveurs configurés et connectés selon certains arrangements (Rapport April, 9 mars 2018, au para 248).

[217]  J’ai rejeté l’idée qu’à la date pertinente, la PVA aurait été familière avec la notion de serveurs logiques ou de « machine virtuelle » tenant lieu de serveur. Le terme « server arrangement » doit donc être compris dans le sens d’un arrangement de serveurs en tant que dispositifs physiques ou matériels faisant partie des composantes physiques d’un réseau.

[218]  La revendication 10 vient préciser que le premier nœud (« first node ») auquel réfère la revendication 1 comprend un microprocesseur associé à un stockage pouvant être utilisé par une machine (« machine readable storage ») et abritant l’information médicale sommaire mentionnée à ladite revendication. La PVA aurait été familière avec la notion de microprocesseur, qui est un processeur, tel que défini pour les fins de la revendication 6 du Brevet 794 (c’est-à-dire une composante électronique qui effectue le traitement des instructions relativement à la commande passée au serveur) inséré à l’intérieur d’une seule puce. M. Thilloy indique que les processeurs que l’on retrouvait généralement dans les ordinateurs en 2002 étaient des microprocesseurs (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 285). M. April n’a pas dit le contraire.

[219]  Quant au stockage, comme c’est le cas du support de stockage dont il est question dans les revendications du Brevet 794, la PVA aurait su qu’il s’agit ici de supports tels une clé USB, une disquette, un disque optique ou une bande magnétique, contenant des données stockées dans un format lisible par un ordinateur et qu’il peut s’agir de supports permettant de stocker de manière volatile des données.

[220]  La revendication 13 traite du second nœud (« second node ») auquel réfère la revendication 1, en précisant qu’il abrite de l’information de nature médicale concernant une pluralité de patients (« about a plurality of patients »), c’est-à-dire de l’information de nature médicale qui concerne plus d’un patient. Cette revendication ne prête pas à controverse.

[221]  Les revendications 14 à 16 introduisent le concept d’information nominative – qui permet d’identifier un patient − et d’information non-nominative, qui ne le permet pas (« nominative information and non-nominative information »). Elles spécifient que l’information médicale qui se trouve dans le réseau de données concernant un patient inclut de l’information de chaque type (revendication 14), précisent que chaque type d’information est conservé à des emplacements différents (« locations ») du réseau (revendication 15) et limitent le stockage des données qui est fait au second nœud à la seule information non-nominative (revendication 16). Encore ici, l’interprétation de ces revendications ne prête pas à controverse.

[222]  Enfin, la revendication 18 introduit la notion d’identifiant (« identifier »). Elle précise que la mise à jour faite suivant la méthode décrite à la revendication 1, c’est-à-dire poussée par le second nœud vers le premier nœud du réseau, véhicule avec elle un identifiant qui permet de distinguer un patient d’un autre. Selon les deux experts, la PVA aurait été familière avec la notion d’identifiant, et plus particulièrement avec celle d’identifiant unique, comme le suggère la Divulgation 598 (numéro d’assurance maladie, numéro d’assurance sociale ou un identifiant unique attribué par le système), une notion courante en informatique. Encore là, l’interprétation de la revendication ne pose pas de difficultés.

c)  La revendication 19

[223]  Il s’agit là de la seconde des trois revendications indépendante du Brevet 598. Elle se lit comme suit :

19.  A server arrangement in a data network, the data network storing a plurality of medical records for respective patients in a distributed fashion, the server arrangement being configured for performing automatic updates of summary medical information for a first patient stored at a node of the data network that is remote from the server arrangement when new medical information for the first patient is recorded at the server arrangement, the node storing the summary medical information about the first patient without including an entire content of the medical record of the first patient available in the data network, the summary medical information including:

(a)  a plurality of information items identifying medical care services dispensed to the first patient;

(b)  a plurality of pointers associated with respective information items of the plurality of information items, each pointer identifying a location in the data network that is remote from the node and which contains additional medical information for the medical care service identified by the information item associated with the pointer;

The server arrangement being configured for pushing to the node a medical information update when new medical information about a new medical care service dispensed to the first patient is recorded at the server arrangement, including processing the new medical information to derive update data and initiating at the server arrangement a data transmission to the node, the data transmission conveying to the node the update data, the update data including:

(i)  an identifier distinguishing the first patient from other patients;

(ii)  information identifying the new medical care service dispensed to the first patient.

[224]  Les deux experts s’entendent pour dire que cette revendication est similaire à bien des égards à la revendication 1. Ce qui les différencie se résume à ceci :

  • a) La revendication 1 décrit une méthode de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire d’un patient alors que la revendication 19 décrit une manière concrète d’y parvenir en ayant recours à un arrangement de serveurs(s) (« server arrangement ») configuré(s) pour accomplir cette tâche;

  • b) Plutôt que d’avoir un premier nœud où réside l’information médicale sommaire et un second nœud où réside l’information médicale nouvelle, comme c’est le cas de la revendication 1, il n’y a qu’un seul nœud, où réside l’information médicale sommaire, le second nœud étant remplacé par l’arrangement de serveur(s) qui abrite l’information médicale nouvelle et qui assure, là aussi en vertu de la même méthode de type « push », la transmission de la mise à jour de l’information médicale sommaire vers le nœud lorsque de l’information médicale nouvelle concernant un patient donné y est enregistrée;

  • c) La revendication 19 précise enfin, ce que ne fait pas la revendication 1, que l’information de mise à jour transmise au nœud comprend à la fois un identifiant permettant de distinguer un patient d’un autre (« an identifier distinguishing the first patient from other patients ») et un élément d’information permettant cette fois d’identifier le soin ou service dispensé au patient lié à l’information médicale nouvelle enregistrée sur l’arrangement de serveur(s) (« information identifying the new medical care service dispensed to the first patient »).

[225]  J’en arrive à la conclusion que la PVA, en juin 2002, aurait compris que la revendication 19 du Brevet 598 vise un arrangement de serveur(s) à l’intérieur d’un réseau de données, configuré pour initier une mise à jour automatique de l’information médicale sommaire conservée à un autre nœud à l’intérieur dudit réseau lorsque de l’information médicale nouvelle concernant un patient y est stockée. Elle aurait compris aussi que la mise à jour est « poussée » vers cet autre nœud par l’arrangement de serveur(s), c’est-à-dire qu’elle est transmise à ce nœud sans qu’il y ait une demande à cet effet de la part de l’utilisateur, et que l’information ainsi « poussée » comprend un identifiant permettant d’identifier le patient visé par la nouvelle information de même qu’un élément d’information permettant d’identifier, cette fois, le soin ou service lié à cette information. Elle aurait compris enfin que l’information médicale sommaire abritée par cet autre nœud du réseau comprend une pluralité de pointeurs permettant d’identifier l’emplacement où la nouvelle information médicale est stockée à l’intérieur du réseau.

d)  Les revendications 20 à 22 et 28 à 30

[226]  Je rappelle que ce sont là des revendications dépendantes. Les revendications 20 à 22 sont au même effet que les revendications 2 à 4, c’est-à-dire qu’elles précisent que les soins ou services de santé mentionnés à la revendication 19 incluent des tests ou examens diagnostics (« medical diagnostic test »), plus précisément des examens de laboratoire (« laboratory test ») ou des examens d’imagerie médicale (« imaging test »).

[227]  Pour leur part, les revendications 28 à 30 précisent, comme le font les revendications 14 à 16 en ce qui a trait à la revendication 1, que l’information de type nominative et celle de type non-nominative stockée dans le réseau de données en lien avec un patient, doit être stockée à des emplacements séparés du réseau. Elles précisent à cet égard que l’arrangement de serveur(s) est configuré pour n’abriter que de l’information non-nominative.

e)  La revendication 31

[228]  Cette revendication est la troisième, et dernière, revendication indépendante du Brevet 598. Elle est ainsi formulée :

31.  A method for updating medical information distributed across a network system, the network system storing a plurality of medical records associated with respective individuals, the network system including a plurality of nodes connected to each other by data communication paths, the plurality of nodes including at least a first node and a second node, the first node storing a summary component of a medical record associated with a first individual, the summary component including a plurality of information items of medical nature relating to the first individual, the plurality of information items conveying:

a) identification of medical tests performed on the first individual;

b) reference to remote medical data stored at one or more nodes of the network system that are remote from the first node, the remote medical data conveying results of one or more medical tests identified at (a);

the method including:

a)  performing at the second node a medical information update process, which includes:

(i)  receiving at the second node new medical data;

(ii)  processing the new medical data to identify new medical information associated with the first individual;

(iii)  initiating at the second node a data transmission to the first node, the data transmission conveying to the first node data to update the summary component of the medical record associated with the first individual based on the processed new medical data;

(b)  receiving at the first node the data to update the summary component of the medical record associated with the first individual;

(c)  creating a new information item in the summary component of the medical record based on the processed new medical data.

[229]  Tout comme la revendication 1, elle décrit elle aussi une méthode de mise à jour d’information de nature médicale. Cette fois, il s’agit d’une méthode de mise à jour d’information médicale distribuée sur un système de réseau (« network system ») où est stockée une pluralité de dossiers médicaux associés à plusieurs individus. La revendication 31 ne spécifie pas toutefois que cette mise à jour est automatique.

[230]  Ce système de réseau comprend une pluralité de nœuds connectés l’un à l’autre par une voie de communication. Cette pluralité de nœuds comprend, à son tour, au moins un premier et un second nœud. Le premier nœud abrite de l’information médicale sommaire comportant une pluralité d’éléments d’information de nature médicale permettant, d’une part, d’identifier la nature des tests ou examens médicaux subis par le patient et, pointant, d’autre part, à des références (« references ») aux résultats de ces tests et examens stockés ailleurs dans un ou plusieurs nœuds du système.

[231]  La revendication 31 précise ensuite le rôle du second nœud du système de réseau. C’est à ce second nœud que se fait le processus de mise à jour de l’information. Suivant ce processus, le second nœud reçoit d’abord la nouvelle information médicale. Par la suite, cette nouvelle information est traitée de manière à identifier toute nouvelle information médicale concernant le patient. Une fois cette information identifiée, la troisième étape du processus consiste à initier la transmission de cette mise à jour du second nœud vers le premier nœud. Tout comme c’est le cas de la revendication 1, ce processus prévoit enfin la création d’un nouvel élément d’information au sommaire de l’information médicale abrité au premier nœud identifiant la mise à jour transmise par le second nœud.

[232]  Malgré l’emploi des termes « individu », « système de réseau », « références » et malgré le fait qu’il n’y ait pas de référence explicite à la méthode « push » en lien avec la transmission des données du second nœud au premier nœud, la preuve est à l’effet que la PVA pouvait aisément concevoir qu’il est respectivement question ici du « patient », d’un « réseau de données » et de « pointeurs », tous des termes utilisés dans les revendications 1 et 19, et que c’est la méthode « push » que l’inventeur avait en tête en concevant le processus de transmission des données décrit à la revendication 31.

[233]  J’en retiens que la PVA aurait compris la revendication 31 comme décrivant une méthode de mise à jour d’information médicale distribuée sur un réseau de données où sont conservés à un premier nœud un sommaire des données médicales d’un individu comprenant des éléments d’information permettant d’identifier les tests médicaux subis par cet individu de même que des références aux résultats de ces tests stockés à des nœuds différends situés dans le réseau. Elle aurait compris également que la mise à jour est assurée par un second nœud dans le réseau, nœud qui reçoit de l’information médicale nouvelle, traite cette information afin d’identifier de l’information nouvelle concernant cet individu et initie la transmission de cette information vers le premier nœud afin de faire la mise à jour de l’information concernant cet individu stockée à ce premier nœud.

f)  Les revendications 33 à 36 et 39 à 42

[234]  Il s’agit du dernier groupe de revendications dépendantes dont la contrefaçon est alléguée. Les revendications 33 et 34 sont identiques aux revendications 9 et 10 examinées précédemment. Elles précisent donc que le second nœud spécifié à la revendication 31 est implémenté par un arrangement de serveurs (revendication 33) alors que le premier nœud comprend un microprocesseur associé avec un stockage pouvant être utilisé par une machine et abritant l’information médicale sommaire mentionnée à ladite revendication (revendication 34).

[235]  Je réitère l’interprétation que j’ai donnée aux termes « arrangement de serveur(s) » et « stockage » aux paragraphes 216 à 219 des présents motifs.

[236]  Pour leur part, les revendications 35 et 36 dupliquent, pour les fins de la revendication 31, les revendications 3 et 4 associées à la revendication 1. Elles précisent que les tests médicaux auxquels réfère la revendication 31 comprennent des tests de laboratoire (revendication 35) ou des tests d’imagerie médicale (revendication 36).

[237]  La revendication 39 précise, au même titre que la revendication 13, que le second nœud auquel réfère la revendication 31 abrite de l’information de nature médicale concernant une pluralité de patients.

[238]  Enfin, les revendications 40 à 42 traitent, de la même façon que le font les revendications 14 à 16 et 28 à 30, de l’information nominative et de l’information non-nominative et des endroits où chaque type d’information doit être conservé dans le réseau de données.

[239]  Comme c’est le cas des revendications 35, 36 et 39, l’interprétation des revendications 40 à 42 ne porte pas à controverse.

[240]  Ayant procédé à délimiter le monopole revendiqué par le demandeur en l’instance, il y a lieu d’aborder la question de savoir si ce monopole a été violé par la mise en place du DSQ.

B.  L’allégation de contrefaçon

(1)  Les principes juridiques applicables

[241]  Je rappelle que l’octroi d’un brevet confère à son titulaire, suivant l’article 42 de la Loi, le « droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent ». Ainsi, tout acte non-autorisé par le breveté, qui nuit à la pleine jouissance du monopole que lui confère le brevet, emporte violation dudit monopole et, donc, contrefaçon du brevet (Monsanto au para 34).

[242]  La contrefaçon, une question mixte de fait et de droit, s’évalue en comparant le produit contrefacteur aux éléments qui constituent l’essence de chaque revendication du brevet en cause, tel qu’interprétées (Camco au para 76; Monsanto au para 30). Toutefois, la contrefaçon des éléments essentiels d’une seule revendication suffira pour conclure à la contrefaçon (MIPS AB c Bauer Hockey Ltd, 2018 CF 485 au para 179 [Bauer Hockey]; Électro Santé au para 28). En l’espèce, il s’agit donc de comparer le DSQ aux revendications des Brevets 794 et 598, tel que je les ai interprétées. Il y aura contrefaçon du Brevet 794 et/ou du Brevet 598, si, au terme de cet exercice de comparaison, le DSQ comprend tous les éléments essentiels d’une seule revendication. Il n’est pas contesté ici, je le rappelle, que tous les éléments des revendications litigieuses sont essentiels.

[243]  Il appartient au breveté, et donc au demandeur ici, de faire cette démonstration suivant le fardeau de preuve applicable en matière civile, soit la balance des probabilités (Monsanto au para 29; Safe Gaming System c Société des loteries de l’Atlantique, 2018 CF 542 au para 186 [Safe Gaming]). Cette démonstration ne requiert pas une preuve de l’intention des défendeurs puisque, que celle-ci soit délibérée ou non, elle n’est pas pertinente à l’analyse de la contrefaçon (Monsanto au para 49; Apotex Inc v AstraZeneca Canada Inc, 2017 FCA 9 au para 77, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37478 (1 juin 2017)).

[244]  Par ailleurs, comme cette Cour l’a souligné dans Bauer Hockey, le fait, suivant l’article 32 de la Loi, que le contrefacteur allégué ait apporté une amélioration à l’invention en cause et qu’il détienne même des brevets dans ces améliorations, ne lui procure aucun droit en vertu de ladite invention. Dans chaque cas, la Cour doit examiner l’objet que l’on dit contrefacteur dans son ensemble, y compris les modifications ou améliorations qui y ont été apportées, et déterminer si cet objet contrefait les revendications en cause (Bauer Hockey au para 182).

[245]  Il est bien établi, également, que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet peut aussi se rendre coupable de contrefaçon. Ce sera le cas lorsque (i) l’acte contrefacteur a été exécuté par le contrefacteur direct; (ii) l’exécution de cet acte a été influencé par le présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu; et (iii) l’influence a été exercée sciemment par l’incitateur, c’est-à-dire en sachant que cette influence entrainerait l’exécution de l’acte de contrefaçon (Corlac Inc c Weatherford Canada Ltd, 2011 CAF 228 au para 162, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 34459 (29 mars 2012)). Je rappelle que le demandeur allègue en l’espèce que les défendeurs ont commis tant des actes de contrefaçon directe que des actes de contrefaçon par incitation.

[246]  Enfin, comme le soulignent les défendeurs, un brevet ne protège pas un résultat souhaitable, mais bien plutôt un moyen particulier de parvenir à ce résultat (Électro Santé au para 32).

(2)  Le DSQ

[247]  Comme il me faut le comparer aux revendications en litige, tel qu’interprétées, aux fins de déterminer si l’un et/ou l’autre des brevets en cause a été contrefait, il y a lieu de décrire en détail le DSQ.

[248]  J’ai déjà dit, sur la base de l’Exposé conjoint de faits, que le DSQ se veut un outil permettant aux médecins et aux autres professionnels du réseau de la santé au Québec « d’avoir accès à des renseignements jugés essentiels pour intervenir rapidement et assurer un suivi de qualité auprès de leurs patients » (Exposé conjoint de faits au para 44).

[249]  La LCPRS (voir para 8 des présents motifs) en donne la définition suivante :

un actif informationnel qui permet, à l’égard de toute personne recevant des services de santé ou des services sociaux, la communication en temps opportun, à des intervenants et organismes autorisés, des renseignements de santé contenus dans les banques de renseignements de santé des domaines cliniques.

et définit le terme « actif informationnel » comme suit :

une banque d’information, un système d’information, un réseau de télécommunication, une infrastructure technologique ou un ensemble de ces éléments ainsi qu’une composante informatique d’un équipement médical spécialisé ou ultraspécialisé.

[250]  Lors de son déploiement dans la région de Montréal, en février 2012, le ministre de la Santé et des Services sociaux du temps, le docteur Yves Bolduc, le présente comme « un outil informatique qui modernise les façons de faire en rendant plus rapidement et efficacement accessibles certains renseignements de santé jugés essentiels aux services de première ligne et au continuum de soins et de services de santé de qualité » et souligne que des « mesures rigoureuses et un mécanisme d’accès ont été prévus pour assurer que les renseignements personnels concernant la santé soient protégés et accessibles aux seules personnes autorisées » et utilisés « uniquement à des fins cliniques, lors de la prestation de soins ou de services médicaux par des professionnels de la santé autorisé » (Pièce TX-47 à la p 1).

[251]  Avant de traiter de ses principales composantes et de son fonctionnement, il y a lieu, parce que les parties en ont traité et ont procédé à une série d’admissions sur le sujet, de d’abord faire brièvement état de la genèse du DSQ et des grands jalons de son développement.

a)  La genèse du DSQ et les grands jalons de son développement

[252]  Au moment où le demandeur conçoit cette idée d’un système de dossier médical partagé en réseau, le gouvernement fédéral, notamment, réfléchit déjà à l’application des technologies de l’information au domaine de la santé. En 1997, par exemple, il met sur pied un groupe d’experts à qui il demande conseil sur la création d’une infostructure canadienne de la santé. L’un des objectifs de cette initiative – baptisée alors Inforoute Santé Canada - est d’en venir à créer, à l’échelle du pays, des DSÉ compatibles et efficaces tout en assurant la confidentialité de l’information s’y trouvant.

[253]  Sous le leadership et l’impulsion financière du gouvernement fédéral, les provinces emboitent le pas. Le Québec n’y fait pas exception et se lance, au tournant des années 2000, à partir de paramètres et principes dégagés dans le cadre de l’initiative Inforoute Santé Canada, dans l’élaboration de l’architecture du DSQ et la préparation d’appels d’offres visant son développement et sa mise en place.

[254]  S’en suivent une série de décisions gouvernementales et de mesures législatives qui dictent le rythme de la mise en place du DSQ. Cela va de la mise en place, entre 2005 et 2009, de services régionaux de conservation de certains renseignements de santé, en passant par le lancement du Plan d’informatisation du secteur de la santé et des services sociaux et la création d’un registre des intervenants de ce secteur.

[255]  En 2008, le gouvernement du Québec autorise la mise en œuvre d’un projet expérimental d’implantation du DSQ sur le territoire de l’Agence de la santé et des services sociaux de la région de la Capitale-Nationale. Au même moment, l’Assemblée nationale introduit le principe du consentement implicite de toute personne qui reçoit des services de santé au Québec à ce que certains des renseignements qui la concerne soient conservés par une agence ou un établissement de santé autorisé. En 2009 et 2010, le projet expérimental d’implantation du DSQ est étendu aux régions de l’Estrie, Lanaudière et Montréal.

[256]  En juin 2012, une étape importante est franchie dans le développement et la mise en place du DSQ lorsque le législateur québécois adopte la LCPRS. Cette loi, en plus de donner une définition statutaire du DSQ, prévoit :

a.  La constitution de six domaines cliniques composés d’une ou plusieurs banques de renseignements de santé pouvant  être communiqués de façon sécurisée au moyen du DSQ;

b.  L’institution d’un système de gestion des ordonnances électroniques de médicaments ayant pour objet le partage de telles ordonnances dans un environnement sécurisé;

c.  La mise en place de trois registres communs (usagers, intervenants et organismes) permettant l’identification unique de ces personnes et des lieux de dispensation de services lors de l’utilisation d’un actif informationnel du secteur de la santé; et

d.  La définition des règles visant à assurer la protection des renseignements de santé contenus dans les banques de renseignements de santé et de celles relatives à la communication, l’utilisation et la conservation desdits renseignements.

(Exposé conjoint de faits au para 38)

[257]  À l’été 2013, le DSQ est déployé à l’ensemble du territoire de la province.

b)  Les principales composantes et le fonctionnement du DSQ

[258]  Le DSQ est principalement composé de domaines, de registres et de systèmes en permettant l’alimentation et la consultation par le personnel soignant autorisé :

  1. LES DOMAINES : La LCPRS prévoit la constitution de six domaines (médicament, laboratoire, imagerie médicale, sommaire d’hospitalisation, immunisation et allergie et intolérance), mais pour l’heure, seuls trois sont opérationnels, soit les domaines médicament, laboratoire et imagerie médicale, les trois autres étant soit en cours d’implémentation (sommaire d’hospitalisation), soit à venir (immunisation et allergie et intolérance);
  2. LES REGISTRES : La LCPRS en prévoit quatre : un premier consignant le nom des usagers (i.e. patients) ne souhaitant pas voir leurs renseignements médicaux stockés au DSQ et ayant enregistré, en conséquence, un refus (Registre des refus), un second consignant le nom de tous les usagers du réseau de la santé québécois n’ayant pas enregistré de refus (Registre des usagers), un troisième consignant le nom de tous les intervenants du réseau (i.e. médecins ou autres professionnels de la santé du réseau) autorisés à accéder au DSQ (Registre des intervenants), et un quatrième contenant la liste des organismes et lieux de dispensation des services (Registre des organismes);
  3. Le REGISTRE DES USAGERS comprend notamment les informations suivantes, lorsque disponibles : ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, le numéro d’identification unique [NIU], |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Il sert notamment à faire la correspondance entre |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et les autres informations nominatives relatives à l’usager et le NIU de celui-ci, lequel est l’identifiant utilisé pour accéder aux renseignements concernant cet usager conservés dans les différents domaines du DSQ qui, eux, à tout le moins dans le cas des domaines laboratoire et médicament, n’abritent pas, pour des raisons de confidentialité et de sécurité, des données à caractère nominatif;
  4. LES SYSTÈMES PERMETTANT D’ACCÉDER AUX DONNÉES DU DSQ: il y en a trois, soit le Visualiseur, le plus couramment utilisé par les intervenants autorisés, et les logiciels Dossier Clinique Informatisé [DCI] et Dossier Médical Électronique [DMÉ] développés par des fournisseurs de logiciels pour gérer les dossiers informatisés de patients tenus localement par un médecin (DMÉ) ou un établissement (DCI) et pour lesquels un accès au DSQ a été consenti par le MSSS et la RAMQ. Un quatrième système est en cours de déploiement, soit le Carnet Santé Québec qui permettra éventuellement à tous les usagers du réseau de la santé au Québec d’accéder eux-mêmes, directement, à certaines données médicales les concernant et se trouvant au DSQ.

[259]  L’architecture du DSQ compte aussi une Couche d’accès à l’Information sur la Santé [CAIS], laquelle permet les échanges d’information entre les différentes composantes du DSQ. Il s’agit du « point d’entrée principal au DSQ, autant pour la consultation (tous les domaines du DSQ) que pour l’alimentation (des domaines laboratoire, médicament et sommaire hospitalisation) » (Exposé conjoint de faits au para 65).

[260]  L’Exposé conjoint de faits fournit les précisions additionnelles suivantes quant aux caractéristiques et au fonctionnement de ces différents systèmes et composantes du DSQ :

Visualiseur

50.  Tel qu’il appert des captures d’écran reproduites ci-dessous à partir de la vidéo de la présentation et démonstration du DSQ par le MSSS et la RAMQ (…), le client Web du Visualiseur est un outil relativement simple d’utilisation qui permet à l’intervenant autorisé de (a) tout d’abord rechercher le patient qui l’intéresse; (b) voir s’afficher un sommaire des renseignements de santé disponibles pour ce patient; et (c) si désiré, obtenir plus d’informations sur la médication, un résultat de laboratoire ou un examen d’imagerie

51.  Le « Visualiseur » permet à l’intervenant autorisé d’obtenir notamment les informations suivantes concernant un usager (patient) :

a.  Son nom et prénom

b.  Son sexe

c.  Son âge

d.  Sa date de naissance

||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

f.  Ses directives de refus, le cas échéant

g.  Son adresse postale

h.  Son profil pharmacologique actif

i.  La liste de ses résultats de laboratoires (ainsi que les rapports de laboratoire)

j.  La liste des résultats d’imagerie (ainsi que les rapports d’imagerie et images)

52.  La consultation des résultats de laboratoire et des résultats d’imagerie se fait en deux étapes :

a.  Lorsque l’intervenant accède aux renseignements de santé d’un usager via le Visualiseur, il obtient initialement la liste des résultats de laboratoire et la liste des résultats d’imagerie. Pour chacun des résultats, l’intervenant peut obtenir certaines informations additionnelles (date et l’heure des résultats, le nom et prénom de l’intervenant, certains mots-clés décrivant les résultats ainsi qu’un indicateur d’anormalité pour les résultats de laboratoires anormaux) à l’intérieur d’une info-bulle qui s’affiche en plaçant le curseur de la souris sur un des éléments de ces listes sans cliquer dessus. Le client Wb du Visualiseur n’a pas à contacter le serveur à nouveau pour obtenir les informations affichées dans cette « info-bulle ».

b. Lorsque l’intervenant choisi et clique sur un rapport de laboratoire ou d’imagerie qu’il souhaite obtenir à partir de ces listes, les serveurs du Visualiseur obtiennent le rapport désiré en faisant une nouvelle requête auprès des serveurs du domaine visé.

[…]

54.  Le Visualiseur repose principalement sur la solution « Concerto » (qui a depuis changé de nom pour ||||||||||||||||||||||||||||) développée par le fournisseur |||||||||||||||||||||||||| et adaptée et/ou configurée pour supporter l’environnement du DSQ. Le Visualiseur repose sur un ensemble de serveurs Web et applicatifs au niveau du DSQ.

Carnet Santé Québec

55.  Le Carnet Santé Québec est un système qui est en cours de déploiement par la RAMQ et qui permettra aux usagers (patients) d’avoir accès eux-mêmes à certaines informations du DSQ sans la présence d’un intervenant autorisé.

56.  Le Carnet Santé Québec permettra aux usagers (patients) de consulter les informations suivantes des domaines du DSQ :

a.  La liste des médicaments servis en pharmacie;

b.  Le détail d’un médicament servi;

c.  La liste des rapports de laboratoire;

d.  Les rapports de laboratoire en tant que tels;

e.  La liste des rapports d’imagerie; et

f.  Les rapports d’imagerie en tant que tels (mais pas les images, contrairement au Visualiseur)

57.  Le Carnet Santé Québec permettra également aux usagers (patients) de :

a.  Consulter l’historique de leurs rendez-vous médicaux pris à l’aide du service Rendez-vous santé Québec;

b.  S’inscrire et modifier leur inscription au Guichet d’accès à un médecin de famille; et

c.  Accéder aux informations démographiques de leurs enfants de moins de 14 ans.

58.  Le Carnet Santé Québec est un système basé sur un modèle client-serveur Web similaire à celui du Visualiseur, mais développé par la RAMQ plutôt que de reposer sur la solution commerciale « Concerto ».

59.  Les serveurs du Carnet Santé Québec sont composés de serveurs de présentation (qui formatent et transmettent au client Web les pages Web demandées) et serveurs de traitement (qui traitent les requêtes du client et interagissent avec les différents registres et domaines du DSQ via la CAIS pour obtenir les informations recherchées).

[…]

Couche d’Accès à l’Information sur la Santé (CAIS)

66.  Pour des raisons notamment de sécurité et de confidentialité, le système DSQ est conçu de manière à ce que les systèmes utilisés par les intervenants pour accéder aux données du DSQ (Visualiseur, DMÉ, DCI) ne puissent pas communiquer directement avec les registres et domaines du DSQ qui contiennent les renseignements privés de millions d’usagers.

67.  La CAIS sert ainsi d’intermédiaire entre les serveurs du Visualiseur et les différents registres et domaines du DSQ (sauf lorsque le client Web du Visualiseur souhaite obtenir les images d’un examen d’imagerie).

68.  Les domaines médicaments, laboratoire, imagerie et sommaire d’hospitalisation du DSQ sont conçus pour offrir, ou répondre, à au moins deux (2) types d’appels de service Web à l’intérieur de la CAIS :

a.  « LIST » qui permet d’obtenir le sommaire de la médication, des résultats de laboratoire, des résultats d’imagerie ou des sommaires d’hospitalisation d’un usager; et

b.  « GET » qui permet d’obtenir le détail d’une ordonnance de médicaments ou d’un sommaire d’hospitalisation, un rapport de laboratoire particulier, un rapport d’imagerie particulier.

[…]

Domaine laboratoire

72.  Le domaine laboratoire regroupe les résultats d’analyses de laboratoire en biochimie, hématologie, microbiologie, pathologie et génétique.

73.  Les deux principales composantes pour la conservation des données du domaine laboratoire sont les suivantes :

a.  Le dépôt provincial de données |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| du domaine laboratoire; et

b.  Le Répertoire DSQ ou RDSQ (anciennement Répertoire DSÉ ou RDSÉ).

74.  Le dépôt provincial de données |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||| est un entrepôt de données spécialisé de la compagnie Oracle qui contient notamment les informations suivantes obligatoirement alimentées par l’ensemble des laboratoires du Québec :

a.  NUI de l’usager (note : le NIU n’est pas obligatoirement alimenté par le laboratoire. Le laboratoire peut fournir des données démographiques de l’usager et c’est le domaine qui se charge d’obtenir le NIU)

b.  Informations (numéro d’identification, statut, date/heure des résultats, etc.) sur la requête, soit la demande d’analyses ou d’examens enregistrée dans un système d’information laboratoire (SIL) et concernant soit l’ensemble ou un sous-ensemble des prescriptions de l’ordonnance

c.  Identification de l’Intervenant qui a fait la prescription (NIU, nom et prénom) ainsi que du lieu de dispensation de services

d.  Date et heure du prélèvement et de la réception du spécimen

e.  Identification du laboratoire (NIU et nom)

f.  Informations du rapport (numéro d’identification du rapport, type de rapport, titre du rapport, langue du rapport, date/heure de production des résultats)

g.  Le rapport en tant que tel

h.  les résultats granulaires (dans certains cas).

75.  Le RDSQ est un répertoire contenant le sommaire des résultats de laboratoire de l’usager. Ainsi, le RDSQ contient plusieurs des mêmes informations que le dépôt de données |||||||| (information sur la requête, l’intervenant, le spécimen, etc.), mais n’inclut pas les rapports ou les résultats granulaires en tant que tels. Le RDSQ contient plutôt certaines informations sommaires sur les résultats qui sont disponibles dans le dépôt de données ||||||||, incluant les mots-clés associés avec les analyses, un indicateur d’anormalité des résultats, le statut des analyses, etc.

76.  Les résultats de laboratoire sont tout d’abord émis par les différents systèmes d’information pour laboratoire (ou « SIL ») des 126 laboratoires du Québec qui alimentent le DSQ.

77.  Une fois à l’intérieur de l’environnement du DSQ, les résultats de laboratoire subissent différentes validations, conversions et corrections. Une fois ces étapes accomplies, l’alimentation des résultats de laboratoire au domaine laboratoire implique les étapes suivantes :

a.  La composante « Solal » transmet d’abord les résultats de laboratoire (le rapport) ainsi que différentes informations (ou métadonnées) concernant ce rapport, l’examen subi, le NIU de l’usager, etc. au dépôt de données |||||||| pour qu’ils soient enregistrés;

b.  Si le dépôt de données |||||||| accepte les résultats de laboratoire sans retourner de message d’erreur, la composante « Solal » envoie les mêmes informations (sans le rapport, ni les résultats) au RDSQ afin que celui-ci indexe les nouvelles requêtes de laboratoire disponibles du dépôt de données ||||||||.

78.  L’alimentation du domaine laboratoire s’effectue automatiquement lorsque de nouveaux résultats de laboratoire sont communiqués par les SIL des laboratoires.

[…]

Domaine imagerie

80.  Le Domaine imagerie médicale a pour objectif de constituer un dossier de santé complet et partageable contenant l’ensemble des examens d’imagerie pour toutes les personnes recevant des soins de santé au Québec.

81.  Les principales composantes pour la conservation des données du domaine imagerie médicale sont les suivants :

a.  Trois (3) dépôts de données suprarégionaux, soit les |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| maintenus par le |||||||||||||||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

b.  Le Répertoire ||||||||||||, un registre provincial contenant certaines informations clinico-administratives sur les examens d’imagerie médicale des usagers.

82.  Le Répertoire |||||||||||| contient notamment les informations suivantes concernant les examens d’imagerie médicale :

a.  Niu de l’usager

b.  Certaines informations sur l’examen réalisé (numéro d’identification unique de l’examen ||||||||||||, code de l’examen, description de l’examen, statut de l’examen, date de réalisation de l’examen)

c.  Identification de l’organisation de dispensation de services (nom et type)

d.  Identification du prescripteur (nom, prénom, numéro de permis)

e.  Modalité de l’examen (code de modalité et description de la modalité)

f.  Identification de la région anatomique

g.  Informations du rapport (statut et date/heure), mais pas le rapport d’examen lui-même ou les images.

[…]

Domaine médicament

84.  Le Système Québécois d’Information sur les Médicaments (SQIM) comprend deux systèmes ou dépôts de données connexes :

a.  Le domaine médicament en tant que tel qui contient le profil pharmacologique actif des usagers tel qu’alimenté par les pharmacies communautaires du Québec

b.  le système d’ordonnances électroniques qui regroupe les ordonnances créées électroniquement par les prescripteurs autorisés en vue d’être exécutées par les pharmaciens

85.  Contrairement aux domaines laboratoire et imagerie, le domaine médicament n’est composé que d’un seul dépôt de données provincial sans répertoire ou index séparé de ces données.

[261]  Des témoignages de M. Belzil et de Mme Brisson, il y a lieu d’ajouter ceci à cette description consensuelle du DSQ et de ses principaux systèmes et composantes :

  1. Les grandes composantes du DSQ – registres (clients, établissements et intervenants), domaines (laboratoire, imagerie, médicament), Visualiseur, CAIS – s’inspirent toutes du schéma directeur de l’architecture de DSÉ proposée par Inforoute Santé Canada et étayée à la Pièce TX-13 (Inforoute Santé du Canada, Architecture SDSE – Un cadre d’interopérabilité pour le DES – Version 2, Mars 2006);
  2. Le développement du DSQ a couté des centaines de millions de dollars au Trésor public québécois;
  3. La LCPRS fait obligation aux systèmes-sources des établissements du réseau de la santé d’alimenter le DSQ en données laboratoire, imagerie médicale et pharmacologique et de mettre à jour ces données, lesquelles continuent par ailleurs à être sauvegardées dans ces systèmes-sources;
  4. Le DSQ assure qu’il n’est accédé que par ceux qui sont autorisés à le faire (intervenants, établissements) ou qui y ont consenti (usagers) au moyen du système SecurSanté opéré via la CAIS;
  5. Les différents systèmes et composantes du DSQ peuvent communiquer entre eux grâce au protocole d’échange HL7, un standard international; ce protocole assure ainsi l’interopérabilité des différents systèmes et composantes du DSQ;
  6. Le Visualiseur, le Carnet Santé Québec, le DMÉ et le DCI sont tous des « clients » du DSQ, c’est-à-dire ceux qui lui soumettent des requêtes via la CAIS, qui, elle, fait d’abord les validations requises auprès des différents Registres et détermine ensuite, si les validations sont obtenues, lequel des « domaines » ou répertoires de données du DSQ doit être sollicité aux fins de la requête;
  7. Le domaine imagerie médicale présente un défi particulier, car il comprend des images, lesquelles requièrent des protocoles d’échange et des dispositifs de stockage particuliers;
  8. À l’origine assurées par des films noirs et blancs, les activités d’imagerie des établissements de santé doivent être repensées pour prendre le virage numérique; leur numérisation devient nécessaire;
  9. C’est ainsi qu’en 2005, le gouvernement du Québec, de concert avec ceux de l’Ontario et de la Saskatchewan, lance un appel d’offres en vue de doter les établissements du réseau d’un système d’archivage et de communication d’images [PACS], l’objectif étant d’en venir à remplacer l’imagerie par films par l’imagerie numérique. Il s’agit de la Phase I du projet de développement du domaine imagerie médicale du futur DSQ;
  10. Suivant les termes de l’appel d’offres, les PACS devaient être arrimés à |||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| – le DSQ en compte trois - de manière à éviter que la seule façon d’obtenir à distance les données d’imagerie médicale d’un autre établissement soit de devoir communiquer avec le PACS de cet établissement;
  11. Alors que les PACS assurent le stockage des images comme tel, le stockage de l’information clinico-administratives en établissement, tel le nom de l’usager, celui du médecin qui a demandé le test d’imagerie et de celui qui a procédé au test et le rapport de ce médecin, est assurée par des Systèmes d’information de radiologie [SIR]; contrairement aux SIR, qui communiquent, eux-aussi, en langage HL7 avec les autres systèmes et composantes du DSQ, les PACS communiquent en protocole DICOM, qui est un protocole d’échange reconnu internationalement pour le partage électronique de documents iconographiques, documents qui ne s’échangent pas en langage HL7;
  12. Pour compléter l’architecture du domaine imagerie médicale du DSQ, le gouvernement du Québec s’est doté, en 2008, encore là par voie d’appel d’offres, d’un index électronique des examens d’imagerie médicale, le ||||||||||; contrairement aux PACS et aux SIR, présents dans chaque établissement, et ||||||||||||||||, où on en compte trois, il n’y a qu’un seul répertoire |||||||||| dans le DSQ;
  13. Contrairement aussi aux autres domaines du DSQ, qui interagissent avec les autres composantes du DSQ via la CAIS, il n’y a pas d’interaction entre la CAIS et ||||||||||||||; c’est le répertoire |||||||||| qui fait le lien avec tout l’écosystème du DSQ;
  14. Chaque examen stocké dans les PACS et les SIR se fait greffer un identifiant unique – un |||||||||||| (« |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ») – par le SIR, et donc en établissement; il en va de même de tout nouvel examen concernant un même patient;
  15. Les PACS, les SIR, les |||||||| et le |||||||||| ont tous été fournis par le secteur privé; ce sont des solutions dites commerciales adaptées aux besoins du DSQ.

[262]  Le diagramme suivant (Pièce D-1) reproduit l’architecture complète du DSQ en date du 22 octobre 2017:

[CAVIARDAGE]

(3)  Le Brevet 794

[263]  Le demandeur prétend, je le rappelle, que le DSQ contrefait les revendications 1 à 8 du Brevet 794. Je rappelle aussi que la contrefaçon des éléments essentiels d’une seule de ces revendications suffit pour conclure à la contrefaçon dudit Brevet.

a)  La revendication 1

[264]  Le demandeur soutient, sur la base de la preuve de M. Thilloy, que lorsqu’on examine ce que voit l’intervenant autorisé lorsqu’il consulte les données d’un patient disponibles sur le DSQ, l’on constate que ces données comprennent au moins un enregistrement (« record ») incorporant tous les éléments de la revendication 1. Du moins, dit-il, c’est ce que révèle l’information initiale affichée par le Visualiseur, lorsque cet intervenant a identifié avec succès un patient donné, laquelle information contient :

  1. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||;
  2. Son profil pharmacologique; et
  3. Une liste indiquant, notamment, le nombre de résultats de tests de laboratoire et d’imagerie qui lui sont associés.

[265]  Il estime que toute cette information :

  1. forme un enregistrement (« record ») associé à un individu au sens de la revendication 1 (« at least one record associated with a certain individual »); et
  2. consiste en un ensemble de données de nature médicale et médico-administratives concernant cet individu (« said record including a collection of data elements containing information of medical nature for the certain individual »).

[266]  Elle révèle aussi, toujours selon le demandeur, la présence d’au moins un pointeur comprenant une première et une seconde composante (« including […] at least one pointer, said pointer including a first component and a second component »). Ce pointeur prend la forme, ici, de la liste des résultats de laboratoire ou d’imagerie qui s’affiche lorsque l’intervenant clique sur un des items de la liste affichée initialement par le Visualiseur, laquelle, je le rappelle, indique le nombre de résultats de laboratoire ou d’imagerie associés à un patient donné.

[267]  Bien qu’elle ne soit pas visible à l’écran de l’intervenant parce qu’elle n’est utilisée que pour obtenir, au besoin et au choix de l’intervenant, de l’information médicale additionnelle, la première composante de ce pointeur, qui est censée indiquer l’adresse d’un emplacement (« location ») où se trouve de l’information médicale additionnelle concernant cet individu (« additional medical data for the certain individual »), est néanmoins présente, affirme le demandeur, lorsqu’on analyse la séquence normale d’opération du DSQ – d’abord le « List » pour les sommaires de l’information médicale (stockés au ||||||||||||, dans le cas du domaine laboratoire, et au |||||||||| dans le cas du domaine imagerie) et ensuite le « Get », pour le détail de cette information (stocké au ||||||||, dans le cas du domaine laboratoire, et dans l’un des ||||||||||||||||||, dans le cas du domaine imagerie).

[268]  Ainsi, poursuit le demandeur, la commande « List » permet, en plaçant simplement, sans cliquer, le curseur de la souris de l’ordinateur de l’intervenant sur un des résultats affichés par le Visualiseur après avoir cliqué sur un des items de la liste initiale, d’obtenir les pointeurs qui sont nécessaires pour effectuer une commande « Get », en l’occurrence les numéros d’identification unique qui sont obtenus du ||||||||||, dans le cas du domaine imagerie (i.e. le ||||||||||||), et du RDSQ, dans le cas du domaine laboratoire (i.e. le « |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| »). Ce « List » fournit ainsi l’information requise – soit une indication de la nature de l’information additionnelle qui peut être obtenue en cliquant sur le pointeur qui apparaît à l’écran - permettant à l’intervenant de choisir l’information médicale additionnelle qu’il juge utile de consulter et d’en accéder le contenu à partir de l’emplacement où elle se situe dans le DSQ en faisant un appel de service de type « Get » via le |||||||||||| ou le « |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ». Cela confirme, suivant le demandeur, la présence, dans le DSQ, de l’équivalent de la première composante du pointeur décrite à la revendication 1.

[269]  La seconde composante du pointeur, qui, suivant la revendication 1, vise à informer l’intervenant de la nature des données médicales additionnelles vers lesquelles pointe le pointeur, correspond, ici, soutient le demandeur, à l’information affichée lorsque l’on place le curseur de la souris sur un des pointeurs affichés suite à la commande de type « List ».

[270]  Le demandeur prétend que le DSQ comprend également un support de stockage (« computer readable storage medium ») puisque les informations sommaires affichées initialement par le Visualiseur sont obtenues, via la CAIS, par les serveurs du Visualiseur à partir de différentes sources (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, pour les informations nominatives, le domaine médicament pour le profil pharmacologique, ||||||||||||||||||, pour la liste des résultats de laboratoires |||||||||||||||||||| pour celle des résultats d’imagerie) en vue d’être assemblées et retournées, en un seul appel, à l’ordinateur de l’intervenant. Cela implique, selon le demandeur, que le Visualiseur doive nécessairement détenir et stocker, pendant un certain temps, l’ensemble de ces informations sur un support de stockage.

[271]  Il en conclut donc que la revendication 1 est violée directement par l’opération, par la RAMQ, des serveurs du Visualiseur, et de manière indirecte, c’est-à-dire par incitation, par chaque intervenant qui utilise le Visualiseur à partir de son poste de travail puisque cette utilisation ne serait pas possible sans l’intervention des défendeurs, soit par le biais des autorisations qu’ils consentent aux intervenants pour accéder au DSQ, soit en rendant le Visualiseur disponible, ou encore par leur opération des serveurs du Visualiseur.

[272]  Le demandeur soutient qu’au même titre que le Visualiseur, le Carnet Santé Québec, dans la mesure où ses serveurs de traitement interrogent, de la même manière, c’est-à-dire en deux temps (« List » et « Get »), les mêmes sources d’information à l’intérieur du DSQ, viole, encore une fois de façon directe (opération des serveurs) et indirecte (usagers autorisés à accéder au DSQ), la revendication 1.

[273]  Quant aux logiciels DMÉ et DCI, les défendeurs seraient, selon le demandeur, coupables de contrefaçon de la dite revendication par incitation puisque ces logiciels ne peuvent s’arrimer au DSQ que s’ils sont certifiés par le MSSS, ce qui nécessite qu’ils respectent un certain nombre de critères fonctionnels, comme l’intégration obligatoire des domaines médicament, laboratoire et imagerie, et qu’il soient conçus, tout comme le Visualiseur et le Carnet Santé Québec le sont, pour consulter l’information du DSQ en deux temps, soit via le « List » d’abord, pour l’obtention de l’information médicale sommaire, et via le « Get » par la suite, pour l’obtention des rapports eux‑mêmes à l’aide des pointeurs affichés par le « List ».

[274]  M. April a bien situé le cadre d’analyse dans lequel il devait approcher la question de la contrefaçon lorsqu’il a indiqué, dans son deuxième rapport, celui qui répondait au rapport de M. Thilloy sur la contrefaçon, qu’on lui avait « demandé de comparer chacune des revendications en cause avec le système DSQ afin de déterminer si chaque élément des revendications est présent ou absent du DSQ » (Rapport April, 9 avril 2018, au para 3).

[275]  Toutefois, je suis d’accord avec les procureurs du demandeur pour dire que ce n’est pas ce que M. April a fait. Il s’est plutôt employé à critiquer l’approche, qu’il a qualifiée d’ « externe », suivie par M. Thilloy et à faire état de ce qu’il considère être les trois grandes « distinctions conceptuelles » entre le DSQ et les brevets en cause. Pour M. April, l’approche dite « externe » est celle qui s’attarde « aux interfaces utilisateurs, plutôt qu’aux différentes composantes des systèmes (ex. structures des messages échangés, architecture physique et logicielle) », concédant, en contre-interrogatoire, que du point de vue externe, les deux systèmes en cause, le DSQ et celui décrit au Brevet 794, « c’est la même chose » (Rapport April, 9 avril 2018, au para 24; Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 150).

[276]  Selon M. April, seule une « comparaison des mécanismes et composantes internes des logiciels permet de bien comprendre et différencier des logiciels visant le même objectif », ce qui requiert un examen de « ce qui se passe en arrière-scène » (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 24, 90). Il s’agit là de la seule façon, aux yeux de M. April, de vérifier si le DSQ contrefait les brevets en cause (Rapport April, 9 avril 2018, au para 96).

[277]  Cela lui permet de critiquer la position de M. Thilloy selon laquelle le DSQ, tout comme le système décrit à la revendication 1, opère en deux temps (« List » et « Get ») puisque l’approche « interne » permet de constater qu’il faut, par exemple, sept temps/étapes pour obtenir, via le DSQ, les détails d’un résultat de laboratoire et neuf temps/étapes pour obtenir ceux d’un résultat d’imagerie (Rapport April, 9 avril 2018, au para 98). En contre-interrogatoire, M. April a reconnu que, d’un point de vue externe, la consultation des résultats de laboratoire et des résultats d’imagerie se faisait en deux temps (Transcription, 4 juin 2018, aux pp 75-76). L’Exposé conjoint de fait est au même effet (Exposé conjoint de faits, au para 52).

[278]  Si ce n’était que de l’approche dite « externe », je devrais normalement conclure à la contrefaçon de la revendication 1 puisque M. April reconnait que les deux systèmes, de ce point de vue et à cet égard, sont similaires. Toutefois, l’approche dite « interne » préconisée par M. April est-elle une meilleure avenue pour déterminer s’il y a contrefaçon? Le demandeur soutient que non puisque cette approche occulte le véritable test, qui est de déterminer si l’on retrouve, dans le DSQ, les éléments de la revendication 1, tel qu’interprétés, à savoir : un support de stockage, une structure de données abritant au moins un enregistrement contenant de l’information de nature médicale concernant un individu, et au moins un pointeur à deux composantes pointant, d’une part, vers l’adresse d’un emplacement, accessible et consultable, contenant de l’information médicale additionnelle relative à cet individu et, d’autre part, vers un sommaire de cette information additionnelle.

[279]  Je suis d’accord avec le demandeur. Le titulaire d’un système breveté ne perd pas son droit à la pleine jouissance du monopole que lui confère le brevet du fait qu’on ait fait de son système une composante d’un système plus vaste, en autant que le système breveté soit important pour cet autre système (Monsanto au para 58). Par exemple, l’ajout de fonctionnalités à un appareil qui utilise l’invention brevetée ne permettrait pas d’éviter la contrefaçon (Bauer Hockey au para 182); ce serait le cas aussi, pour emprunter l’analogie des blocs Lego de l’arrêt Monsanto, de la réalisation d’une structure non brevetée au moyen d’un matériau breveté : cette structure serait tout autant contrefactrice (Monsanto au para 42).

[280]  Je rappelle ici que le fait que le contrefacteur allégué ait apporté des améliorations à l’invention en cause et qu’il détienne même des brevets dans ces améliorations, ne lui procure aucun droit dans ladite invention. Dans chaque cas, la Cour doit examiner l’objet que l’on dit contrefacteur dans son ensemble, y compris les modifications ou améliorations qui y ont été apportées, et déterminer si cet objet contrefait les revendications en cause, tel qu’elles ont été interprétées (Bauer Hockey au para 182; Monsanto au para 30).

[281]  En l’espèce, le DSQ est, sans contredit, un système plus vaste et plus complexe que le système décrit à la revendication 1, et au Brevet 794 généralement. En d’autres termes, le Brevet 794 n’aurait pas permis à la PVA, en 1998, de réaliser le DSQ, notamment parce qu’il ne va pas, par exemple, jusqu’à prévoir, comme le fait le DSQ, un système de sécurisation des données et de validation des accès pour des fins de confidentialité, ce qui, dans le contexte du DSQ, explique la présence de la CAIS et des Registres au sein des différents systèmes autour desquels s’articule le DSQ et ajoute nécessairement aux temps/étapes requis pour traiter une commande passée au DSQ. Personne ne le conteste. Toutefois, là n’est pas la question. La question, encore une fois, est celle de savoir si l’on retrouve au DSQ les différents éléments des revendications litigieuses, tel qu’ils ont été interprétés. C’est d’ailleurs ce que M. April a compris être l’exercice qu’il devait faire, mais, comme on vient de le voir, il s’en est éloigné.

[282]  J’ai déjà dit que la dichotomie opérée par M. April entre les aspects « interne » et « externe » du DSQ faussait l’exercice qui doit être fait. L’exercice ultimement mené par M. April, qui consistait à décortiquer dans le menu détail les différentes composantes du DSQ, a certes fait apparaître les dissemblances entre les deux systèmes, et il y a en a, mais encore là, c’est aux similitudes qu’il fallait s’attarder.

[283]  Quoi qu’il en soit, les conclusions générales que M. April a tirées de son analyse de l’allégation de contrefaçon de la revendication 1 m’apparaissent tout autant problématiques. Il a en effet conclu qu’on ne saurait voir dans le DSQ d’éléments contrefacteurs, car les informations affichées dans le Visualiseur :

1)  n’ont pas des enregistrements structurés tels que la revendication 1 le propose;

2)  ne « sauvegarde » [sic] pas la structure de donnée (à deux éléments de données) décrite dans la revendication 1 dans un « computer readable storage medium »; et

3)  ces données ne sont pas dans « the location » qui signifie dans plusieurs installations différentes (par exemple : CLSC, hôpitaux, cliniques, laboratoires…). 

(Rapport April, 9 avril 2018, au para 112)

[284]  Or, en contre-interrogatoire, M. April a admis, après avoir indiqué qu’il n’en avait lui‑même trouvé aucun avant que M. Thilloy n’en identifie dans son premier rapport, qu’il y avait effectivement des pointeurs dans l’information affichée par le Visualiseur, notamment sous la forme de numéros d’identifiant unique (le ||||||||||||, pour le domaine imagerie et le « |||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| » pour le domaine laboratoire) (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 91-96). J’ajouterais, comme l’ont souligné les procureurs du demandeur, que la documentation technique sur le DSQ produite en preuve fait abondamment référence à la présence de pointeurs de manière à permettre l’identification et la localisation des données sommaires et détaillées que l’intervenant cherche à obtenir (Copie de l’appel d’offres no. TCR 2005-05 de l’Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de Montréal intitulé « Couche d’accès à l'information sur la santé - Dossier santé électronique interopérable du Québec », daté du 22 décembre 2005 aux pp 41, 73, 125 (Pièce TX-20); Copie de l’appel d’offres no, TCR 2006-06 de l’Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de Montréal intitulé « Dossier santé électronique et services régionaux de conservation - Dossier santé électronique interopérable du Québec », daté du 29 juin 2006 aux pp 158, 177 (Pièce TX-21); Document intitulé « RDSQ - Répertoire Dossier Santé du Québec - P200O et P250S - Structure du Système d’Information et Fonctions, version 2.10 », modifié le 22 octobre 2014 aux pp 6, 28 (Pièce TX-210).

[285]  M. April a aussi admis, en contre-interrogatoire, que les informations affichées sur le Visualiseur doivent être en mémoire quelque part (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 100-101), ce qui signifie, suivant la preuve au dossier, qu’elles doivent nécessairement se retrouver sur un support de stockage (« computer readable storage medium »), tel que défini à la revendication 1.

[286]  Par ailleurs, la conclusion de M. April voulant qu’il n’y ait pas contrefaçon parce que les données affichées par le Visualiseur ne sont pas stockées à des emplacements (« locations ») au sens de la revendication 1, c’est-à-dire « dans plusieurs installations différentes (par exemple : CLSC, hôpitaux, cliniques, laboratoires…) », doit être rejetée parce qu’elle repose, tel que je l’ai déjà décidé, sur une interprétation indûment restrictive du terme « location ».

[287]  M. April soutient enfin que lorsqu’on compare les caractéristiques internes de la structure de données envisagée par ladite revendication 1 au format d’échange de données – le standard international HL7 - utilisé par les différents systèmes du DSQ, l’on doit également conclure qu’il « n’y a clairement pas de contrefaçon de la structure de données définie par la revendication 1 du brevet ‘794 » (Rapport April, 9 avril 2018, au para 113).

[288]  Encore une fois, cette manière de voir est problématique puisque M. April définit ainsi ladite structure de données en fonction de la réalisation préférentielle décrite par la Divulgation 794, c’est-à-dire comme une structure de données dite « propriétaire », alors que cela n’est pas permis à moins que le terme « structure de données » employé dans la revendication ne soit ambigu (Dableh aux para 38-39). Or, la signification de ce terme technique n’a fait l’objet d’aucun débat entre les experts; ils en ont la même compréhension. D’ailleurs, M. April a admis que dans son premier rapport, il n’a mentionné nulle part que les termes employés dans les revendications du Brevet 794 n’étaient pas clairs (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 107-108). Il a aussi admis que la revendication 1 ne spécifie nulle part le format des données importées ou échangées (Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 119).

[289]  Comme l’ont souligné, à juste titre, selon moi, les procureurs du demandeur, le système protégé par le Brevet 794 prévoit la présence d’une structure de données, et non la présence d’une structure de données particulière. Cette comparaison était donc mal avisée puisqu’elle reposait sur une conception indûment étroite de la structure de données envisagée par la revendication 1, mise en relief avec un comparatif – le format dans lequel les données sont échangées – que l’on ne retrouve pas défini dans ladite revendication.

[290]  Cela permet de mettre en perspective les trois « différences fondamentales » entre le DSQ et le Brevet 794 (et le Brevet 598) identifiées par M. April pour appuyer sa conclusion de non‑contrefaçon. Selon M. April, ces trois grandes différences se situeraient au niveau (i) de la localisation des données, (ii) de l’architecture logicielle, et (iii) de la structure de données. Je viens tout juste de discuter de la question de la structure de données.

[291]  Quant à la localisation des données, M. April soutient qu’aux termes du Brevet 794 (et du Brevet 598), les données médicales sont localisées dans chaque établissement, où elles sont générées et conservées également, alors qu’au DSQ, tout est centralisé. Il précise que le DSQ a ainsi permis de réaliser ce que le demandeur croyait impossible à réaliser, soit centraliser les données et permettre leur consultation à un point central. On voit de la section 5.1 de son second rapport que M. April s’en est principalement remis à la Divulgation 794 pour conclure comme il l’a fait (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 76-79). En contre-interrogatoire, il a cependant admis que les revendications du Brevet 794 ne mentionnent nulle part que les données médicales sont localisées dans les systèmes-sources d’établissements délocalisés et que son énoncé à cet effet provenait essentiellement de sa lecture de la description dudit Brevet (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp. 110-111).

[292]  J’ajouterais que rien n’est moins sûr que le DSQ présente toutes les caractéristiques d’un système centralisé permettant la consultation des données à un point central. On n’a qu’à regarder le diagramme des systèmes du DSQ, Pièce D-1, et de s’attarder à la structure mise en place par la LCPRS pour se rendre compte que les données hébergées par le DSQ sont réparties entre une ou plusieurs banques de renseignements, chacune(s) associée(s) à un des domaines cliniques institués par cette loi (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, pour le domaine laboratoire, |||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| - RID - pour le domaine imagerie, les dépôts médicaments et ordonnances électroniques, pour le domaine médicament, |||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour le domaine sommaire hospitalisation) et chacune(s) possédant des caractéristiques de fonctionnement qui leur sont propres.

[293]  Enfin, quant à la troisième « différence fondamentale », soit celle liée au choix de l’architecture logicielle des deux systèmes, M. April opine que la PVA aurait compris, particulièrement à la vue de la figure 5 de la Divulgation 794 (voir le para 24 des présents motifs) que le demandeur a opté pour une architecture client-serveur alors que les concepteurs du DSQ ont opté pour une architecture « totalement différente », à savoir une architecture Orientée Service [SOA], en raison de contraintes imposées auxquelles n’était pas confronté le demandeur. Cette architecture SOA, poursuit M. April, sert à « découpler » le client et le serveur de manière à assurer que le client, pour des raisons de sécurisation principalement, ne connaisse, ni ne communique directement avec le serveur. Dans le cas du DSQ, c’est la CAIS, dit-il, qui assume ce rôle de découplage (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 80-81).

[294]  Or, M. April a admis, en contre-interrogatoire, que les revendications du Brevet 794, à l’exception de la revendication 6, n’incluaient pas la notion de logiciel applicatif (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 109-110). Il a donc fait intervenir une notion, celle du choix du logiciel applicatif, qui n’était pas pertinente à l’analyse de la contrefaçon de la revendication 1, à tout le moins, tant parce qu’elle n’en est pas fait mention dans ladite revendication que parce qu’elle repose sur l’analyse d’une réalisation préférentielle du Brevet 794 et d’un choix imputé au demandeur à partir de cette réalisation.

[295]  Je réitère que le fait que le DSQ soit un système plus vaste et plus complexe que le système décrit à la revendication 1, et qu’il ait été conçu pour répondre à des contraintes que n’adresse pas ladite revendication, ne le met pas à l’abri d’une allégation de contrefaçon si l’on y retrouve par ailleurs tous les éléments essentiels de cette revendication. 

[296]  J’estime ici que le demandeur a établi que c’était le cas, étant satisfait :

  1. que l’information initiale affichée par le Visualiseur, lorsque l’accès aux données d’un patient est autorisé (information de nature nominative, profil pharmacologique, et liste indiquant, notamment, le nombre de résultats de tests de laboratoire et d’imagerie qui lui sont associés) forme, au sens de la revendication 1, un enregistrement (« record ») associé à un individu, consistant en un ensemble de données de nature médicale et médico-administratives concernant cet individu;
  2. que cette information révèle la présence d’au moins un pointeur comprenant une première et une seconde composantes, la première prenant la forme des numéros d’identification unique obtenus du |||||||||| et du |||||||||||| donnant accès à l’emplacement où se trouve l’information additionnelle concernant ce patient que l’intervenant autorisé pourrait souhaiter consulter, et la seconde permettant d’accéder au |||||||||| et au |||||||||||| en vue d’obtenir une description de la nature des données médicales additionnelles vers lesquelles pointe le pointeur;
  3. que l’accès à cette description de l’information médicale additionnelle et à l’information elle-même se fait en deux temps par le biais d’appels de type « List », en premier lieu, et de type « Get » en second lieu;
  4. que l’adresse de l’emplacement où se trouve l’information additionnelle concernant ce patient, soit le numéro d’identification unique, est dans un format qui permet d’accéder audit emplacement et d’en importer les données recherchées; et
  5. que toute l’information que permet d’afficher le Visualiseur se retrouve stockée sur un support de stockage ou en mémoire, que ce soit sur les serveurs du Visualiseur ou ceux du Carnet Santé Québec ou sur le poste de travail de l’intervenant qui utilise le Visualiseur ou l’ordinateur personnel de l’usager qui accède au DSQ.

[297]  J’en conclus donc qu’il y a contrefaçon directe de la revendication 1 du Brevet 794 au niveau de l’exploitation par les défendeurs des serveurs du Visualiseur et de ceux du Carnet Santé Québec. Je suis également satisfait qu’il y a contrefaçon par incitation lorsque les intervenants et les usagers utilisent le Visualiseur ou le Carnet Santé Québec de leur poste de travail (ou ordinateur personnel dans le cas de l’usager) puisque cela n’est possible que sur autorisation des défendeurs. Il en est de même lorsqu’un intervenant ou un établissement accède au DSQ via le DMÉ ou le DCI, cela, encore une fois, n’étant possible que sur validation des défendeurs.

b)  Les revendications 2 à 5

[298]  La revendication 2 exige la présence d’une pluralité de pointeurs dont au moins deux doivent pointer vers des emplacements (« locations ») distants ou éloignés (« remote ») l’un de l’autre. Le demandeur soutient que cette revendication est contrefaite au même titre, et dans la même mesure, que la revendication 1 dès que le patient dont on consulte les données médicales sommaires a au moins un résultat laboratoire et un résultat d’imagerie ou encore deux résultats d’imagerie conservés dans le dépôt |||||||| et dans un des |||||||| ou dans deux ||||||. Il en est ainsi, précise-t-il, puisque dans ce cas, il y a nécessairement présence d’au moins deux pointeurs pointant vers des emplacements distants ou éloignés (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||), même si, théoriquement, ces emplacements pourraient ne pas être localisés à des adresses physiques distinctes.

[299]  La position de M. April concernant la revendication 2 repose essentiellement sur celle qu’il a adoptée pour la revendication 1, notamment quant à sa conception du terme « location » et de son point de vue selon lequel on ne retrouve pas, au DSQ, contrairement à l’invention du demandeur, de structures de données assorties de pointeurs pointant vers différents serveurs d’établissements (physiquement) distants du réseau de la santé (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 114-116).

[300]  J’ai déjà écarté ce point de vue. Je suis donc satisfait que dès qu’un patient a au moins un résultat de laboratoire et d’imagerie, ou deux résultats d’imagerie, le Visualiseur affiche – ou permet l’accès à - au moins deux pointeurs pointant vers des emplacements distants, soit le |||||||| et un des trois |||||| ou plus d’un des trois ||||||. Il en est de même au niveau des serveurs du Carnet Santé Québec et des logiciels DMÉ et DCI.

[301]  La revendication 3 précise que les deux emplacements auxquels réfère la revendication 2 correspondent à différents nœuds (« nodes ») dans un réseau (« network »). Le demandeur soutient que le dépôt |||||||| et les trois ||||||||, où sont abritées les données médicales additionnelles, sont physiquement et logiquement séparés et, donc, nécessairement, différents nœuds dans un réseau.

[302]  La réplique de M. April repose encore une fois sur son interprétation des termes « location » et « remote », qui, pour lui, doivent être compris dans le sens des systèmes-sources des différents établissements du réseau de la santé où les données médicales additionnelles sont générées. On a toujours, ici, cette idée de lieux physiques correspondant aux adresses civiques des différents établissements. Ce n’est pas l’interprétation que j’ai retenue des termes « location » et « remote ».

[303]  Par contre, M. April a admis, en contre-interrogatoire, que le ||||||||||||, le ||||||||, le |||||||||| et les trois |||||||| étaient des serveurs distincts situés soit dans les lieux physiques distincts, soit dans des infrastructures distinctes, et qu’ils étaient, par conséquent, éloignés (« remote ») l’un par rapport à l’autre (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 104-105).

[304]  Je suis donc satisfait que le dépôt |||||||| et les trois |||||| sont des nœuds différents à l’intérieur d’un réseau et qu’il y a dès lors, au même titre que la revendication 2 et dans la même mesure, contrefaçon de la revendication 3.

[305]  La revendication 4 stipule que le support de stockage décrit à la revendication 3 comprend une multitude d’enregistrements (« multitude of records »). Le demandeur allègue que cette revendication est contrefaite au niveau des serveurs du Visualiseur et du Carnet Santé Québec puisqu’il va de soi que ces serveurs, compte tenu du nombre d’intervenants autorisés à consulter le DSQ (49 000) et d’usagers à l’égard desquels de l’information de nature médicale y est stockée (près de 8 millions), doivent nécessairement obtenir et stocker, au même moment et pour au moins une certaine période de temps, plus d’un enregistrement (« record ») associé à un individu. Il note à cet égard que pas moins de |||| serveurs sont nécessaires pour répondre aux requêtes faites par les clients du Visualiseur.

[306]  Par contre, il concède qu’il n’y pas contrefaçon de cette revendication lorsqu’un intervenant accède au DSQ, via le Visualiseur, le DMÉ ou le DCI, ou lorsqu’un patient y accède via le Carnet Santé Québec, puisqu’il ne peut alors y avoir consultation que d’un dossier à la fois. On ne peut donc dire, dans un tel cas, que le système du DSQ permet d’afficher, et donc de stocker sur un support de stockage, plus d’un enregistrement (« record ») associé à un individu donné.

[307]  M. April soutient qu’il ne peut y avoir de contrefaçon du DSQ ici puisque les enregistrements stockés au DSQ sont structurés complètement différemment de ceux envisagés par le Brevet 794 (Rapport April, 9 avril 2018, au para 120). Or, ce point de vue reprend la première des trois conclusions générales qu’il a tirées de son analyse de l’allégation de contrefaçon de la revendication 1. J’ai déjà discuté de ces trois conclusions et je les ai toutes écartées. 

[308]  Je suis donc satisfait que l’exploitation, par les défendeurs, des serveurs du Visualiseur et de ceux du Carnet Santé Québec, contrefait la revendication 4 dans la mesure alléguée par le demandeur.

[309]  La revendication 5 précise que le support de stockage décrit à la revendication 4 réside sur un serveur en réseau. Soulignant qu’il n’est pas contesté que les serveurs du Visualiseur et ceux du Carnet Santé Québec sont justement des serveurs, il plaide qu’il y a contrefaçon de cette revendication dans la même mesure que la revendication 4. M. April juge cette revendication « triviale » puisqu’il est essentiel pour des serveurs d’être munis de moyens d’enregistrement quelconque. Quoi qu’il en soit, il reprend l’idée qu’il ne peut y avoir de contrefaçon puisqu’en aucun temps, les moyens d’enregistrement des serveurs du DSQ ne contiennent une structure de données similaire à celle définie à la revendication 1. Cet argument a déjà été rejeté.

[310]  J’en conclus donc que les revendications 2 à 5 sont contrefaites par les défendeurs dans la mesure alléguée par le demandeur.

c)  La revendication 6

[311]  La revendication 6 décrit, cette fois, je le rappelle, non pas un support de stockage, mais plutôt un serveur, dans le sens d’un dispositif ou d’un équipement physique ou tangible, qui est : (i) rattaché à un réseau; (ii) équipé d’un processeur; et (iii) muni d’une mémoire contenant au moins deux enregistrements du même type que ceux décrits à la revendication 1 et d’un programme (ou logiciel) permettant, à l’aide du processeur, d’identifier un enregistrement particulier et de transmettre cet enregistrement vers un client qui en a fait la demande au serveur.

[312]  Le demandeur allègue que cette revendication est contrefaite par l’opération, par les défendeurs, des serveurs du Visualiseur et du Carnet Santé Québec au même titre et dans la même mesure que les revendications 1 à 5 le sont puisque ces serveurs sont, sans contredit, des composantes d’un réseau et qu’ils sont nécessairement équipés d’au moins un processeur chacun et d’une mémoire susceptible de contenir à tout moment, pour les raisons invoquées lors de l’examen des revendications 4 et 5, plus d’un enregistrement (« record ») associé à un individu donné, contenant (i) de l’information de la nature de celle décrite à la revendication 1, soit de l’information de nature médicale, et (ii) au moins un pointeur.

[313]  Cette mémoire est aussi équipée d’un élément de programme permettant de répondre aux requêtes d’un intervenant ou d’un usager afin d’identifier un enregistrement en particulier et de le lui communiquer. Cette fonction, précise-t-il, est assurée, dans le cas des serveurs du Visualiseur, par un logiciel commercial (||||||||||||||||||||||||||||). Dans le cas des serveurs du Carnet Santé Québec, elle est assurée par une solution maison, développée par la RAMQ et conçue pour répondre au même type de requêtes que l’élément de programme dont sont équipés les serveurs du Visualiseur et à le faire de la même façon, soit par des appels de type « List » et « Get ».

[314]  Pour des raisons similaires à celles invoquées pour la revendication 1, M. April estime qu’il n’y a pas contrefaçon de la revendication 6. Cela ne m’assiste pas compte tenu des conclusions que j’ai déjà tirées en lien avec les arguments de M. April relatifs à la question de la contrefaçon de la revendication 1.

[315]  Je suis donc satisfait que l’exploitation, par les défendeurs, des serveurs du Visualiseur et du Carnet Santé Québec, viole la revendication 6 dans la mesure alléguée par le demandeur.

d)  Les revendications 7 et 8

[316]  Les revendications 7 et 8 ajoutent à la revendication 6, les mêmes éléments que les revendications 2 et 3 ajoutent à la revendication 1. M. April s’en remet, à l’égard de ces deux revendications, à la position qu’il a prise en rapport avec les revendications 2 et 3, position que j’ai écartée.

[317]  Je conclus donc généralement :

  1. qu’il y a contrefaçon directe des revendications 1 à 8 du Brevet 794 du fait de l’exploitation, par les défendeurs, des serveurs du Visualiseur et du Carnet Santé Québec;
  2. qu’il y a contrefaçon par incitation des revendications 1 à 3 du Brevet 794 lorsque les intervenants autorisés et les usagers utilisent le Visualiseur ou le Carnet Santé Québec, selon le cas, de leur poste de travail ou de leur ordinateur personnel, selon le cas, puisque cela n’est possible que sur autorisation des défendeurs; et
  3. qu’il y a aussi contrefaçon par incitation des revendications 1 à 3 du Brevet 794 lorsqu’un intervenant ou un établissement accède au DSQ via le DMÉ ou le DCI, cela n’étant possible, encore une fois, que sur validation des défendeurs.

[318]  On a souvent, du côté des défendeurs, qualifié le Brevet 794 de « petit brevet ». En revanche, et même en supposant que ce soit le cas, je rappelle qu’une contribution même modeste à l’art antérieur ou à l’avancement de la science, en autant qu’elle présente le caractère de nouveauté et d’utilité, suffit pour recevoir la protection de la Loi (Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, 2010 CF 361 au para 292). Tant qu’il est présumé valide, le Brevet 794 a droit à cette protection.

[319]  On a vu que le DSQ se voulait un outil informatique devant servir à modifier les façons de faire dans l’univers de la prestation des soins de santé au Québec en rendant plus rapidement et efficacement accessibles certains renseignements de santé jugés essentiels aux services de première ligne et au continuum de soins et de services de santé de qualité. La raison d’être du DSQ rejoint, pour l’essentiel, ce que le demandeur proposait de faire par le biais du Brevet 794, soit de permettre au personnel médical traitant, dans un souci d’efficacité et de réduction de coûts, d’accéder rapidement à l’information médicale pertinente, d’abord sous la forme d’un sommaire des renseignements de santé existants sur le patient, et par la suite, au besoin, au détail des renseignements utiles, et ce, quel que soit l’endroit sur le réseau où cette information a été d’abord colligée et conservée.

[320]  En comparant les procédés mis en place par chaque système pour parvenir à réaliser cet objectif commun, il m’est apparu évident que le procédé mis en place au DSQ comprenait les éléments essentiels des revendications 1 à 8 du Brevet 794. Dans l’état actuel du droit sur la question, cela suffit amplement pour conclure à la contrefaçon desdites revendications. 

(4)  Le Brevet 598

[321]  Je rappelle que l’exploitation du DSQ par les défendeurs contrefait, selon le demandeur, aux revendications 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 31, 33 à 36 et 39 à 42 du Brevet 598. Contrairement au Brevet 794, le demandeur n’allègue que violation directe de ces revendications et, très majoritairement, qu’en rapport avec l’exploitation du domaine imagerie. Notamment, il n’allègue aucune forme de violation liée à l’exploitation des domaines médicament et sommaire d’hospitalisation. Quant au domaine laboratoire, la contrefaçon alléguée se limite à la revendication 19 et à certaines de ses revendications dépendantes, soit les revendications 20, 21, 28, 29 et 30.

[322]  Je rappelle aussi que le Brevet 598, du moins lorsque l’on s’en tient aux revendications, décrit et revendique d’abord et avant tout un concept de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire décrite dans le Brevet 794 et plus marginalement, un concept permettant l’accès à ces informations par le médecin ou le patient lui‑même, au moyen d’un système personnel de communication. D’ailleurs, bien des termes et concepts techniques sont communs aux deux brevets, dont les notions contentieuses d’emplacement (« location »), de séparation ou d’éloignement (« remote ») et de nœuds (« nodes »). 

[323]  En ce sens, le débat autour de la question de la contrefaçon du Brevet 598 porte d’abord et avant tout sur l’alimentation en données des systèmes en litige et, marginalement, contrairement à ce qui est le cas du débat entourant les revendications du Brevet 794, sur la consultation des données qui y sont conservées et échangées.

a)  La revendication 1

[324]  J’ai déjà indiqué que la revendication 1 du Brevet 598 visait une méthode de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire d’un patient, méthode aux termes de laquelle les mises à jour sont transmises, à l’intérieur d’un réseau qui permet le stockage distribué de données, à partir d’un emplacement où de l’information médicale nouvelle concernant ce patient est enregistrée. J’ai précisé que cette information médicale sommaire, stockée à un premier nœud, comprenait des items d’information permettant d’identifier les soins de santé ou services pour lesquels de l’information médicale additionnelle existe à un autre emplacement – le second nœud – de même que des pointeurs permettant d’identifier cet emplacement. J’ai indiqué enfin que, suivant cette méthode, les mises à jour étaient « poussées » vers le premier nœud à partir d’une voie de communication reliant les deux nœuds à l’intérieur du réseau, et ce, sans qu’il soit nécessaire de faire un appel en ce sens au second nœud.

[325]  Le demandeur, toujours sur la base, principalement, de la preuve de son expert, M. Thilloy, soutient que cette revendication est contrefaite chaque fois que le domaine imagerie du DSQ est mis à jour parce que :

  1. D’une part, il y a présence :
  1. d’un réseau de données - le DSQ – permettant le stockage distribué d’information médicale (« Data network storing medical information in a distributed fashion »);

  2. d’un premier nœud - le |||||||||| - où réside de l’information médicale sommaire;

  3. d’au moins deux éléments au sein de ce sommaire – contenus au |||||||||| -, à savoir une pluralité d’items identifiant les soins de santé dispensés à un patient donné et une pluralité de pointeurs associés à ces items et ayant pour fonction d’identifier un emplacement à l’intérieur du réseau, qui est séparé du premier nœud, et qui contient de l’information médicale additionnelle concernant ce patient;

  4. d’un second nœud – les trois |||||||| – qui contient l’information médicale additionnelle relative à plus d’un patient et qui est séparé ou éloigné du premier nœud, le ||||||||||; et

  5. d’une voie de communication (« communication path ») permettant de relier le |||||||||| et les trois ||||||||, tel que le diagramme des systèmes du DSQ, Pièce D-1, le démontre.

  1. D’autre part, le domaine imagerie est conçu de manière à exécuter chacune des étapes de mise à jour décrites à la revendication 1, à savoir :
  1. l’information de mise à jour est poussée vers le premier nœud (le ||||||||||) par le second nœud (les ||||||||), et non l’inverse;

  2. ce procédé se fait automatiquement dès que de la nouvelle information médicale est enregistrée auprès d’un ||||||||;

  3. le |||||||| concerné transmet au |||||||||| de l’information sur cette nouvelle information médicale, information à partir de laquelle le |||||||||| crée une nouvelle entrée de données dans son répertoire, permettant ainsi à l’intervenant autorisé de voir qu’un nouveau rapport d’imagerie est disponible dans le réseau lorsqu’il fait un appel de type « List » concernant un patient donné et d’obtenir le rapport lui‑même, s’il le souhaite, en faisant un appel de type « Get ».

[326]  Le demandeur concède par ailleurs qu’il en va autrement du domaine laboratoire parce que, dans ce cas particulier, bien que l’information médicale reliée au domaine laboratoire soit divisée, comme c’est le cas du domaine imagerie, entre deux nœuds, tels que décrit à la revendication 1, soit le répertoire ||||||||||||, pour l’information sommaire, et le dépôt ||||||||, pour les rapports de laboratoire eux-mêmes, la procédure d’alimentation du domaine laboratoire, lorsque de nouvelles données sont disponibles, est différente. Selon M. Thilloy, cette procédure est différente parce que ce n’est pas directement le second nœud où la nouvelle information est enregistrée (||||||||||||||||||||||||||) qui pousse l’information de mise à jour vers le premier nœud où l’information sommaire réside (||||||||||||||||||); cela se fait par le biais de la composante |||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| qui agit comme intermédiaire entre le |||||||| et le RDSQ. Comme cette composante ne réside pas sur le même nœud (i.e. sur le même serveur) que le dépôt ||||||||, M. Thilloy est d’avis que la méthode de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire décrite à la revendication 1 n’est pas exactement accomplie par la mise à jour du domaine laboratoire.

[327]  Les domaines médicament et sommaire hospitalisation échappent aussi à la contrefaçon, selon M. Thilloy, parce qu’ils ne sont composés que d’un seul dépôt de données, sans répertoire ou index séparé desdites données, et donc que d’un seul nœud, au sens de ladite revendication.

[328]  Les défendeurs, sur la base de la preuve de M. April, estiment que le demandeur n’a pas satisfait à son fardeau de preuve puisqu’une analyse de la fonction alimentation du domaine imagerie, aux termes d’une approche interne, fait apparaître, encore une fois, des différences fondamentales entre le fonctionnement du DSQ et celui du système de mise à jour décrit à la revendication 1 (et aux autres revendications litigieuses) du Brevet 598 au niveau de la localisation des données, des formats des enregistrements - ou « records » - utilisés et des éléments de données échangés (Rapport April, 9 avril 2018, au para 130).

[329]  Plus particulièrement, ils estiment qu’il n’y a pas violation de la revendication 1 parce que : (i) il n’y a pas de pointeurs, au sens de la revendication 1, dans les données échangées dans le cadre du processus d’alimentation du domaine imagerie; (ii) la séquence d’alimentation de ce domaine compte plus d’étapes que ce qui est décrit à ladite revendication et ces étapes sont plus complexes; et (iii) les nœuds auxquels cette revendication réfère ne sont pas, au DSQ, des emplacements physiques distincts, soit des établissements de santé comme des hôpitaux ou des cliniques offrant des services de radiologie.

[330]  Notamment, selon M. April, le Brevet 598 ne peut « couvrir ce qui se fait présentement dans le domaine Imagerie du DSQ », aucune comparaison n’étant possible entre les deux dans la mesure où « les enseignements du brevet ‘598 sont nettement insuffisants pour permettre à une personne versée dans le domaine, en 1998, de mettre en œuvre un système aussi complexe que celui actuellement utilisé au DSQ pour faire les mises à jour de données entre le |||||||||||| et les |||||||| » (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 152-153).

[331]  D’entrée de jeu, je rappelle que personne ne conteste que le DSQ est un système plus vaste et plus complexe que le système décrit aux deux brevets en cause. Il est admis aussi que le Brevet 598 n’aurait pas permis à la PVA, en 1998, de réaliser le DSQ. Toutefois, encore une fois, là n’est pas la question. Il s’agit plutôt ici de déterminer si l’on retrouve au DSQ les différents éléments des revendications litigieuses, tel qu’ils ont été interprétés.

[332]  N’ayant pas eu accès, aux fins de la préparation de ses deux premiers rapports, à de l’information émanant des défendeurs sur laquelle M. April s’est fondé pour analyser la question de la contrefaçon du Brevet 598, laquelle information traite plus en détail du fonctionnement du processus de mise à jour du domaine imagerie, M. Thilloy a pu produire un rapport en réplique (Rapport Thilloy, 30 avril 2018) à celui où M. April discute de cette question (Rapport April, 9 avril 2018). Il s’est intéressé plus particulièrement aux précisions portant sur la nature exacte des informations - ou métadonnées – transmises par |||||||||||||| vers le |||||||||| lors de l’indexation de nouveaux résultats d’imagerie diagnostique et sur la séquence exacte de l’alimentation du domaine imagerie.

[333]  Ce rapport en réplique traite, sur la base de cette nouvelle information, de chacune des objections de M. April à sa conclusion voulant qu’à chaque fois que le domaine imagerie est mis à jour, il y a violation des revendications litigieuses du Brevet 598, dont la revendication 1. M. Thilloy y réitère toutes et chacune de ses conclusions relatives à son analyse de la question de la contrefaçon que l’on retrouve à son premier rapport, celui du 9 mars 2018, sauf en ce qui a trait à la revendication 5 où la nouvelle information analysée par M. April l’a convaincu qu’il n’y avait pas contrefaçon de cette revendication lors de la mise à jour du domaine imagerie.

[334]  À mon avis, la preuve de M. Thilloy est plus persuasive parce que, notamment, l’approche de M. April attire les mêmes réserves que celles que j’ai soulevées dans le cadre de l’analyse de la question de la contrefaçon du Brevet 794, à commencer par celle que je viens d’identifier relativement au fait qu’il n’est pas pertinent de se demander si la PVA aurait pu, à partir du Brevet 598, réaliser le DSQ, un système, à l’évidence, et ce, pour un certain nombre de raisons, plus complexe.

[335]  La première objection soulevée par M. April a trait à l’absence de pointeurs, au sens de la revendication 1, dans les données échangées dans le cadre du processus d’alimentation du domaine imagerie, notamment dans la liste des |||| métadonnées requises pour réaliser l’indexation d’un rapport d’examen d’imagerie transmis d’un |||||||| vers le répertoire ||||||||||.

[336]  Comme le souligne à juste titre M. Thilloy, il s’agit ici de déterminer, à la lumière du libellé de ladite revendication, non pas si des pointeurs sont transmis du deuxième nœud (|||| ||||||||) au premier nœud (||||||||||||||||), mais plutôt si le |||||||||| contient de l’information médicale sommaire qui comprend des pointeurs du type de ceux définis dans la revendication. À cet égard, il rappelle qu’un des renseignements conservés au |||||||||| est le numéro d’identification unique de l’examen d’imagerie (le ||||||||||||) utilisé pour accéder au rapport lui-même au moyen d’un appel de type « Get » après avoir fait un appel de type « List ».

[337]  Or, j’ai déjà indiqué que M. April a concédé, dans le contexte du Brevet 794, que le |||||||||||| était un pointeur. Comme les deux experts se sont dits d’avis qu’il n’y avait pas lieu d’interpréter différemment les termes communs aux deux brevets en cause, j’estime que cette admission vaut tout autant pour le Brevet 598. Je rappelle que M. April a aussi indiqué, dans son premier rapport, qu’une adresse au sens informatique – ou pointeur - pouvait très bien prendre la forme d’un numéro d’identification universel unique (Rapport April, 9 mars 2018, au para 125) et qu’il a confirmé le tout en contre-interrogatoire (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 91-96).

[338]  M. Thilloy fait remarquer aussi que parmi cette liste de métadonnées figure l’abréviation URL (« Uniform Resource Identifier »), qui est un pointeur selon la définition qu’en ont donné les deux experts dans leur premier rapport respectif (Rapport Thilloy, 9 mars 2018, au para 67; Rapport April, 9 mars 2018, aux para 38, 127). Il fait remarquer aussi que cette liste comprend aussi un identificateur unique permettant d’identifier le |||||||| où est conservé le rapport auquel l’intervenant s’intéresse (« |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ») ainsi qu’un identificateur unique permettant, cette fois, d’identifier le rapport lui-même (« |||||||||||||||||| »). Ces deux identificateurs uniques, selon M. Thilloy, permettent ainsi, par leur action combinée, de « pointer » vers le rapport conservé au |||||||| en question, ce qui en fait, sans contredit, des pointeurs au sens où lui et M. April ont défini ce terme.

[339]  La deuxième objection de M. April concerne la séquence d’alimentation du domaine imagerie, laquelle est plus complexe et compte plus d’étapes que ce qui est décrit à la revendication 1. Cette séquence est illustrée par le diagramme suivant :

[CAVIARDAGE]

[340]  L’on ne sait pas, à la lecture du second rapport de M. April, si ce diagramme provient de la preuve documentaire produite au dossier ou de l’information additionnelle consultée par M. April ou encore s’il s’agit d’un dessin réalisé par ce dernier. Quoi qu’il en soit, ce diagramme montre que l’alimentation du domaine imagerie se fait en neuf (9) étapes. M. Thilloy précise que la description qu’il a faite de cette séquence, à partir de l’information qui lui était disponible au moment de faire ses deux premiers rapports, se terminait à l’étape 6 de ce diagramme, soit à l’étape de la transmission par le |||||||| au répertoire |||||||||| des métadonnées nécessaires à l’indexation dudit répertoire.

[341]  Selon les étapes 7 à 9 de ce diagramme, le |||||||||| tenterait par la suite d’identifier le patient sur qui porte l’information et d’obtenir son NIU pour demander ensuite au |||||||| de lui fournir certaines métadonnées additionnelles concernant les rapports et images associés à l’examen d’imagerie d’intérêt pour l’intervenant, dont le ||||||||||||.

[342]  M. Thilloy est d’avis que dans la mesure où ce diagramme reflète bel et bien la séquence d’alimentation du domaine imagerie, ce qu’il n’est pas en mesure de confirmer, le fait qu’elle compte neuf (9) étapes ne change rien à sa conclusion de contrefaçon puisque les étapes de la mise à jour envisagées par la revendication 1 sont tout de même accomplies par la séquence d’alimentation du domaine imagerie et qu’il n’est pas pertinent de savoir de quelle manière le |||||||||||| est transmis au |||||||||| puisque cela n’est pas décrit dans la revendication.

[343]  Je suis d’accord. D’ailleurs, M. April a reconnu que les trois étapes décrites dans la revendication 1 sont exécutées dans la séquence d’alimentation du domaine imagerie, et ce, même si cette séquence est plus complexe et comprend plus d’étapes que celle décrite dans ladite revendication (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 102-107). Encore ici, le fait que le DSQ soit un système plus vaste et plus complexe que la méthode décrite à la revendication 1, et qu’il ait été conçu pour répondre à des contraintes que n’adresse pas ladite revendication, ne le met pas à l’abri d’une allégation de contrefaçon si l’on y retrouve par ailleurs tous les éléments essentiels de cette revendication.

[344]  Enfin, M. April réitère, comme autre différence fondamentale entre la méthode de mise à jour décrite à la revendication 1 et le processus d’alimentation du domaine imagerie, que les nœuds autour desquels s’articulent ce processus - ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, notamment - ne sont pas des nœuds au sens de ladite revendication puisqu’on ne les retrouve pas physiquement localisés dans des établissements de santé comme des hôpitaux ou des cliniques offrant des services de radiologie.

[345]  J’ai interprété le terme « nœud » (« node ») que l’on retrouve dans les revendications des deux brevets en cause comme faisant nécessairement référence à un dispositif ou équipement physique ou tangible, mais je ne crois pas qu’on puisse, comme le fait M. April, leur apposer, comme il voulait aussi le faire pour les termes « location » et « remote », une connotation d’emplacement physique au sens d’un nœud se trouvant nécessairement au sein d’un système source d’un établissement du réseau. Même si le mémoire descriptif l’envisage, ce n’est pas ce qui doit ultimement guider l’analyse du sens et de la portée des revendications, si les termes utilisés sont par ailleurs clairs. M. April a reconnu que le répertoire |||||||||| et chacun des trois |||||||| étaient des nœuds, selon la définition que lui et M. Thilloy ont donné à ce terme (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 102-103). Je ne vois aucune raison d’en limiter le sens comme le fait M. April.

[346]  Je suis donc satisfait :

  1. que tous les éléments de la revendication 1 du Brevet 598 se retrouvent au sein du domaine imagerie du DSQ, à savoir (i) un réseau de données permettant le stockage distribué d’information médicale (le DSQ lui-même); (ii) un premier nœud où réside de l’information médicale sommaire (||||||||||||||||); (iii) au moins deux éléments au sein de ce sommaire, soit une pluralité d’items identifiant les soins de santé dispensés à un patient donné et une pluralité de pointeurs associés à ces items et ayant pour fonction d’identifier un emplacement à l’intérieur du réseau, qui est séparé du premier nœud, et qui contient de l’information médicale additionnelle concernant ce patient (||||||||||||, ||||||||, « |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| » et « |||||||||||||||||| »); (iv) un second nœud contenant l’information médicale additionnelle relative à plus d’un patient et qui est séparé ou éloigné du premier nœud (les trois ||||||||); et

  2. que toutes les étapes qui y sont décrites pour pousser les mises à jour de l’information sommaire du second nœud, qui abrite la nouvelle information médicale, vers le premier, qui abrite de l’information médicale sommaire, sont accomplies par la procédure d’alimentation du domaine imagerie, à savoir (i) l’information de mise à jour est poussée vers le premier nœud (||||||||||||||||) par le second nœud (l’un des trois ||||||); (ii) cette poussée se fait automatiquement dès que de la nouvelle information est enregistrée au second nœud (à l’un des trois ||||||||); et (iii) le second nœud (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||) transmet alors au premier nœud (le ||||||||||) une série de renseignements (métadonnées) sur la base desquels le |||||||||| crée une nouvelle entrée – ou indexation - de données dans le répertoire qu’il abrite.

[347]  J’en conclus qu’il y a contrefaçon de cette revendication chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par un ||||||.

b)  Les revendications 2, 4, 9, 10, 13 à 16 et 18

[348]  Les revendications 2 et 4 précisent simplement, je le rappelle, que les soins de santé mentionnés à la revendication 1 incluent des tests ou examens diagnostics, plus précisément des examens d’imagerie médicale. Le demandeur prétend qu’il y a violation de ces revendications chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par un des |||||||| puisque le domaine imagerie contient nécessairement de l’information médicale portant sur des examens d’imagerie diagnostique.

[349]  M. April convient qu’il va de soi que le DSQ échange des informations médicales d’imagerie, mais précise qu’il ne le fait pas à l’aide de la structure de données proposée par le Brevet 598. J’ai déjà rejeté cet argument. Je suis donc satisfait qu’il y a ici contrefaçon de ces deux revendications, tel qu’allégué par le demandeur.

[350]  La revendication 9 précise que le second nœud spécifié à la revendication 1 est implémenté par un arrangement de serveurs. Le demandeur soutient que le |||||||||| et les trois |||||||| sont des nœuds, et donc des serveurs, et qu’ils sont séparés ou indépendants l’un de l’autre. En conséquence, dit-il, il y a violation de cette revendication chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par l’un des |||||||| puisqu’on peut dire qu’il y a implémentation du second nœud (||||||||||||||) par un arrangement de serveurs. M. April répond qu’il aurait été clair dans l’esprit de la PVA que le second nœud de la revendication 9 ne vise pas un registre ou un répertoire faisant partie d’une solution centralisée, comme c’est le cas du DSQ, mais plutôt des serveurs des systèmes-sources des différents établissements où est générée et conservée l’information médicale nouvelle.

[351]  Encore une fois, ce point de vue repose sur une interprétation erronée du terme « node », dans la mesure où elle est liée à l’emplacement physique des établissements où cette information est générée et conservée.

[352]  La revendication 10 précise que le premier nœud auquel réfère la revendication 1 comprend un microprocesseur associé avec un stockage pouvant être utilisé par une machine (un ordinateur) et abritant l’information médicale sommaire mentionnée à ladite revendication. Le demandeur plaide que cette revendication est violée également chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par l’un des |||||||| parce que le |||||||||| est un serveur et qu’il est donc nécessairement équipé d’au moins un microprocesseur et d’un support de stockage quelconque pour conserver les informations médicales sommaires et pointeurs que comprennent les données du répertoire ||||||||||.

[353]  M. April n’a pas offert de réplique particulière concernant cette revendication spécifiquement, mais on comprend que le ||||||||||, dans son esprit, n’est ni un nœud, ni un serveur au sens du Brevet 598 puisqu’il s’agit d’un répertoire faisant partie d’une solution centralisée, et non décentralisée comme c’est le cas, selon lui, de la méthode ou système envisagés par ledit Brevet. Cette position ne peut être retenue, pour les raisons dont j’ai déjà fait état à un certain nombre de reprises. Il n’est pas contesté par ailleurs que le |||||||||| est un serveur, et donc qu’il est équipé d’un microprocesseur et d’un support de stockage quelconque visant à conserver les informations médicales sommaires et pointeurs constituant les données de ce répertoire.

[354]  La revendication 13 précise, pour sa part, que le second nœud auquel réfère la revendication 1 abrite de l’information de nature médicale concernant une pluralité de patients. Compte tenu de l’étendue du système de santé au Québec, du nombre d’intervenants qui y œuvrent et du nombre de patients qui s’y font soigner, il va de soi que les |||||||| doivent abriter des résultats d’imagerie pour une multitude de patients. Il n’y a pas lieu de conclure autrement quant au caractère contrefacteur de la procédure de mise à jour du domaine imagerie du DSQ que je ne l’ai fait pour les revendications litigieuses qui précèdent cette revendication.

[355]  Les revendications 14 à 16, je le rappelle, forment le premier de trois groupes de revendications dépendantes du Brevet 598 portant sur le traitement et la localisation des informations à caractère nominatif et de celles à caractère non-nominatif, les deux autres groupes étant les revendications 28 à 30 et 40 à 42.

[356]  Elles précisent toutes que l’information médicale qui se trouve dans le réseau de données concernant un patient inclut de l’information de chaque type, que chaque type d’information est conservé à des emplacements distincts et que le stockage des données qui est fait au second nœud est limité à la seule information non-nominative.

[357]  Le demandeur allègue que le DSQ est justement conçu pour séparer les informations à caractère nominatif des informations à caractère non-nominatif, et ce, pour des raisons de sécurité et de confidentialité. Il soutient à cet égard que les informations nominatives des patients sont stockées au Registre des usagers, qui est une composante séparée des différents domaines du DSQ. Selon lui, seul le NIU, qui permet de distinguer un patient d’un autre sans par ailleurs révéler d’informations de type nominatives (nom, prénom, sexe, adresse, etc.), est échangé entre le |||||||||| et les ||||||. Il en résulte, selon lui, que ces trois groupes de revendications se retrouvent dupliqués par le domaine imagerie du DSQ.

[358]  M. April, dans son deuxième rapport, soutient que le DSQ ne sépare pas ces deux types de renseignements, car les ||||||, n’étant pas connectés à la CAIS, utilisent, dans leurs échanges avec le ||||||||||, des formats d’échange de données internationalement reconnus qui contiennent minimalement |||||||| critères obligatoires pour identifier le patient (|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||) (Rapport April, 9 avril 2018, aux para 157, 175).

[359]  Ce point de vue surprend compte tenu de la défense produite par chaque défendeur, laquelle précise que l’architecture du DSQ « est conçue pour que les banques de renseignements de santé ne soient jamais entreposées avec les banques d’informations nominatives des usagers (comme par exemple : les noms, dates de naissance, coordonnées), le tout conformément aux lois applicables et à une recommandation de la Commission à l’information de 1992 » (Défense et demande reconventionnelle de la Procureure générale du Québec, datée du 22 septembre 2016, au para 33; Défense et demande reconventionnelle de la RAMQ, datée du 21 septembre 2016, au para 29).

[360]  Quoi qu’il en soit, comme l’indique M. Thilloy dans son rapport en réplique, il demeure que le ||||||||||, qui fait office de premier nœud dans la présente discussion, ne contient aucune information nominative, tel que l’envisagent les revendications 14 à 16 (Rapport Thilloy, 30 avril 2018, au para 86). M. April n’a pas prétendu le contraire au procès.

[361]  Enfin, la revendication 18 précise que la mise à jour faite suivant la méthode décrite à la revendication 1 véhicule avec elle un identifiant qui permet de distinguer un patient d’un autre. Que ce soit, selon M. Thilloy, le NIU du patient contenu tant dans le |||||||||| que les |||||||| ou encore, selon M. April, ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, qui fait partie, suivant la nouvelle information considérée par ce dernier et commentée par M. Thilloy dans son rapport en réplique du 30 avril 2018, des |||||||| éléments nécessaires pour obtenir ce NIU auprès du Registre des usagers via le ||||||||, je suis satisfait que l’information de mise à jour poussée du |||||||| au |||||||||| contient un identifiant permettant de distinguer un patient d’un autre.

[362]  J’en conclus donc qu’il y a violation, en l’espèce, des revendications 2, 4, 9, 10, 13, 14, 15, 16 et 18, dans la mesure alléguée par le demandeur.

c)  La revendication 19

[363]  Je rappelle que le demandeur prétend que cette revendication est contrefaite tant par la procédure d’alimentation du domaine imagerie que par celle du domaine laboratoire. Je rappelle aussi que cette revendication est similaire à bien des égards à la revendication 1, sauf qu’elle décrit un système, et non seulement une méthode, de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire et que c’est un arrangement de serveurs qui fait office de second nœud. À ce titre, ce sont ces serveurs qui initient la mise à jour en poussant l’information de mise à jour vers le premier nœud, laquelle information contient à la fois un identifiant qui permet de distinguer le patient d’autres patients et des renseignements permettant d’identifier la nature des soins dispensés à ce patient, comme en font foi les |||| métadonnées transmises du |||||||| vers le |||||||||| permettant, notamment, d’identifier l’examen d’imagerie et ses modalités (|||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||) et de distinguer le patient des autres patients via son NIU (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||).

[364]  Le demandeur estime que dans la mesure où les serveurs des trois |||||||| contiennent les rapports d’examen d’imagerie et les images elles-mêmes et qu’ils sont configurés pour mettre à jour automatiquement l’information médicale sommaire conservée au |||||||||| lorsque de l’information médicale nouvelle est enregistrée auprès de ces serveurs, la revendication 19, pour les mêmes raisons que pour la revendication 1, est contrefaite à chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par un ||||||.

[365]  Je rappelle que le demandeur a concédé qu’à l’exception de la revendication 19, et de ces revendications dépendantes, la procédure de mise à jour du domaine laboratoire ne violait pas le Brevet 598. Il a précisé que bien que l’information médicale reliée au domaine laboratoire soit divisée, comme c’est le cas du domaine imagerie, entre deux nœuds, tels que décrit à la revendication 1, soit le répertoire ||||||||||||, pour l’information sommaire, et le dépôt ||||||||, pour les rapports de laboratoire eux-mêmes, la procédure d’alimentation du domaine laboratoire est différente dans la mesure où c’est non pas le second nœud (||||||||||||||||||||||||||) qui pousse directement l’information de mise à jour vers le premier nœud (||||||||||||||||||), mais bien la composante |||||||| qui agit comme intermédiaire entre le |||||||| et le ||||||||||||, laquelle ne réside pas sur le même nœud (i.e. sur le même serveur) que le dépôt ||||||||.

[366]  En revanche, il soutient, eu égard à la revendication 19, que comme la procédure d’alimentation du domaine laboratoire implique des étapes de conversion et de correction des résultats de laboratoire mettant à contribution un ensemble de composantes comprenant ||||||||||, mais aussi |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, l’on est en présence d’un arrangement de serveurs, au sens de ladite revendication, qui contribue à pousser automatiquement la nouvelle information médicale vers le ||||||||||||, un nœud séparé au sein de l’architecture du domaine laboratoire.

[367]  En ce qui a trait au domaine laboratoire, j’ai de la difficulté à réconcilier cette position avec l’énoncé de M. Thilloy, dans son premier rapport, voulant que les étapes de conversion ou de correction qui mettent à contribution ces trois composantes (||||||||||, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||) « ne sont pas visées par les revendications du brevet 598 » (Rapport Thilloy, 9 mars 2019, au para 350). Je vois difficilement en quoi le fait de les regrouper sous le vocable d’arrangement de serveurs, ferait en sorte qu’elles deviennent soudainement « visées par les revendications du brevet 598 ». Je ne saurais donc y voir là de contrefaçon de la revendication 19.

[368]  En ce qui a trait au domaine imagerie, je n’ai pas de difficultés à conclure que les trois |||||||| représentent un arrangement de serveurs contenant des rapports d’imagerie et qu’ils sont configurés, tel que l’envisage la revendication 19, pour pousser des mises à jour vers le répertoire |||||||||| lorsque de nouveaux résultats d’imagerie y sont enregistrés.

[369]  Pour les mêmes raisons qu’il a invoquées pour la revendication 1, notamment parce que les serveurs internes du DSQ ne sont pas des nœuds au sens de ladite revendication puisque « le concept central du brevet 598 repose sur le principe de laisser les données là où elles ont été générées et d’envoyer les mise à jour vers les équipements qui sauvegardent les dossiers médicaux sommaires » (Rapport April, 9 avril 2018, au para 180), M. April opine qu’il n’y a pas contrefaçon de ladite revendication.

[370]  Pour les mêmes raisons que j’ai invoquées dans mon analyse de l’allégation de contrefaçon de la revendication 1, cette opinion ne me convainc pas. J’en conclus donc qu’il y a contrefaçon de la revendication 19, dans la mesure alléguée par le demandeur, chaque fois que le |||||||||| est mis à jour par un des ||||||||.

d)  Les revendications 20 à 22 et 28 à 30

[371]  Les revendications 20 à 22 sont à la revendication 19 ce que les revendications 2 à 4 sont à la revendication 1 : elles précisent que les soins de santé auxquels réfère la revendication 19 incluent des tests ou examens diagnostics, plus précisément des examens de laboratoire ou des examens d’imagerie médicale. Mes conclusions sont les mêmes que celles que j’ai tirées pour les revendications 2 et 4. C’est donc dire qu’il y a, selon moi, contrefaçon des revendications 20 et 22 chaque fois que le domaine imagerie est mis à jour. Quant à la revendication 21, qui a trait au domaine laboratoire, comme j’ai conclu que la revendication 19 n’était pas contrefaite en lien avec ce domaine, il ne saurait y avoir contrefaçon de ladite revendication (Illinois Tool Works Inc c Cobra Fixations Cie Ltée, 2002 CFPI 829 au para 85 [Illinois Tool Works Inc], conf par 2003 CAF 358).

[372]  Pour leur part, les revendications 28 à 30 dupliquent, aux fins de la revendication 19, les revendications 14 à 16, lesquelles, je le rappelle, traitent de la localisation des informations nominatives et non-nominatives en lien avec la revendication 1. J’ai déjà conclu que les revendications 14 à 16 étaient contrefaites par la procédure d’alimentation du domaine imagerie; il ne saurait en être autrement des revendications 28 à 30. Toutefois, comme il n’y a pas, selon moi, contrefaçon de la revendication 19, en ce qui a trait à la procédure de mise à jour du domaine laboratoire, la même conclusion s’impose eu égard aux revendications 28 à 30. 

e)  La revendication 31

[373]  La revendication 31, je le rappelle, vise elle aussi une méthode de mise à jour de l’information médicale distribuée sur un réseau, sans préciser toutefois que cette mise à jour se fait automatiquement. Selon cette revendication, un premier nœud du réseau héberge un sommaire d’informations médicales concernant un patient, lequel comprend des éléments d’information permettant d’identifier les examens médicaux effectués sur ce patient de même que des références aux résultats de ces examens conservés à un ou plusieurs autres nœuds du réseau. La méthode de mise à jour envisagée consiste à recevoir de nouvelles données médicales à un deuxième nœud du réseau, à traiter ces données pour identifier de nouvelles données médicales associées à un individu donné et à initier, à partir de ce deuxième nœud, un transfert de données, vers le premier nœud, en vue de faire la mise à jour du sommaire d’information médicale concernant cet individu hébergé à ce premier nœud.

[374]  Le demandeur estime que cette revendication est violée pour les mêmes raisons que l’est la revendication 1 en ce que l’on retrouve, au domaine imagerie :

  1. les éléments de la revendication 31, à savoir : (i) un système réseau qui permet de distribuer le stockage d’informations médicales (le DSQ); (ii) plusieurs nœuds, dont, notamment, ||||||||||||||||, qui contient le sommaire des résultats d’examen d’imagerie des patients, de l’information permettant d’identifier ces examens et des références aux résultats de ces examens conservés dans les ||||||||, et qui, à ce titre, fait office de premier nœud, et les trois ||||||||, qui font office de deuxième nœud; et

  2. un processus de mise à jour qui implique chacune des étapes de la méthode de mise à jour décrite à ladite revendication, à savoir : (i) recevoir de nouvelles données médicales à un deuxième nœud du réseau (l’un des trois ||||||||); (ii) traiter ces données pour identifier de nouvelles données médicales associées à un individu donné; et (iii) initier, à partir de ce deuxième nœud, un transfert de données vers le premier nœud (le ||||||||||), en vue de faire la mise à jour du sommaire d’information médicale concernant cet individu hébergé à ce premier nœud.

[375]  Pour les mêmes raisons qu’il a invoquées en ce qui a trait à l’allégation de contrefaçon de la revendication 1, M. April juge qu’il n’y a pas contrefaçon de la revendication 31. Notamment, il estime que le concept de « remote node » ne se retrouve pas dans le système centralisé du DSQ où, selon lui, les données sont centralisées pour fins d’archivage national (Rapport April, 9 avril 2018, aux paras 185-186). Je me suis déjà prononcé sur la valeur de cette opinion, laquelle est fondée sur une interprétation restrictive des termes employés dans les revendications du Brevet 598.

[376]  Je suis donc satisfait, dans la mesure alléguée par le demandeur, que la revendication 31 est contrefaite à chaque fois que le domaine imagerie est mis à jour.

f)  Les revendications 33 à 36 et 39 à 42

[377]  Ce groupe de revendications duplique des revendications sur lesquelles je me suis déjà prononcé. Plus particulièrement, les revendications 33 et 34 précisent, pour la revendication 31, ce que les revendications 9 et 10 précisent pour la revendication 1. Les revendications 35 et 36 dupliquent les revendications 3 et 4 et 21 et 22. Finalement, la revendication 39 est similaire à la revendication 13 alors que les revendications 40 à 42 le sont par rapport aux revendications 14 à 16 et 28 à 30.

[378]  Mes conclusions sont les mêmes : les revendications 33 à 36 et 39 à 42 sont toutes contrefaites à chaque fois que le domaine imagerie est mis à jour.

[379]  Je conclus généralement que toutes les revendications litigieuses du Brevet 598 sont contrefaites à chaque fois que le domaine imagerie du DSQ est mis à jour.

[380]  Ayant donc déterminé qu’il y a, en l’espèce, contrefaçon des deux brevets en cause, il y a lieu de se demander maintenant si les revendications contrefaites sont par ailleurs valides, comme la demande reconventionnelle formulée par les défendeurs me commande de le faire.

C.  L’allégation d’invalidité

[381]  Je rappelle que les défendeurs soutiennent, en demande reconventionnelle, que le Brevet 794 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence et d’insuffisance dans la divulgation et que le Brevet 598 l’est tout autant en raison de son caractère évident, de sa portée excessive et de l’insuffisance de sa divulgation.

[382]  Je rappelle aussi qu’une fois délivré, un brevet est présumé valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux (paragraphe 43(2) de la Loi). Il s’ensuit que le fardeau de prouver l’invalidité incombe à celui qui l’invoque. En l’espèce, ce fardeau repose sur les défendeurs et il doit y être satisfait suivant la norme de preuve de la prépondérance des probabilités (Camco au para 75; Bombardier Recreational Products Inc c Arctic Cat Inc, 2017 CF 207 au para 473 [Bombardier CF], inf en partie pour d’autres motifs par 2018 CAF 172).

(1)  Antériorité et évidence : Principes juridiques applicables

a)  Antériorité

[383]  Les alinéas 28.2(1)a) et b) de la Loi stipulent, pour l’essentiel, que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas avoir fait l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public, au Canada ou ailleurs, plus d’un an avant la date de dépôt de ladite demande, si cette communication émane du breveté, ou à la date de priorité de la demande, si la communication provient d’un tiers. Il en est ainsi parce qu’on reconnait que le breveté ne peut revendiquer un monopole sur une technologie qui était connue dans l’art antérieur à la date pertinente (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181 au para 61).

[384]  Comme c’est le cas de l’allégation de contrefaçon, la défense d’antériorité requiert un examen de chacune des revendications litigieuses. À cette fin, la Cour doit déterminer : (i) s’il est possible de retrouver dans une seule pièce d’art antérieur tous les renseignements nécessaires à la réalisation de l’invention revendiquée, sans que la personne versée dans l’art ait à exercer un quelconque génie inventif pour la produire, et (ii) si la personne versée dans l’art est en mesure de réaliser l’invention (Sanofi aux para 20, 26, citant Beloit Canada Ltée c Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit]).

[385]  À la première étape de ce test, la Cour doit être satisfaite que la pièce d’art antérieur invoquée expose ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet en cause (Sanofi au para 25). À cette fin, la Cour doit être convaincue que les instructions contenues dans la pièce d’art antérieur sont d’une clarté telle aux yeux de la personne versée dans l’art qui en prend connaissance et s’y conforme que celle-ci en arrivera infailliblement, en suivant lesdites instructions, à l’invention revendiquée (Électro Santé au para 26, citant Beloit). À ce stade de l’analyse, le recours à des essais successifs est exclu (Sanofi aux para 25, 27).

[386]  À la deuxième étape du test de l’antériorité, les essais successifs sont permis « car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de [l’art] antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention » (Sanofi au para 27). La personne versée dans l’art doit toutefois « être capable d’exécuter ou de réaliser l’invention » décrite dans la divulgation antérieure « sans trop de difficultés » (Sanofi au para 33). Une liste non exhaustive de facteurs doit normalement être considérée :

[37]  Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants — dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve — doivent normalement être considérés.

1.  Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’art antérieur est constitué de la totalité du brevet antérieur.

2.  La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

3.  Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés.  Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention.  Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

4.  Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

(Sanofi au para 37)

[387]  Contrairement à ce qui est le cas en matière de contrefaçon, où les revendications dépendantes suivent le sort des revendications dont elles dépendent (en d’autres termes, s’il n’y a pas contrefaçon d’une revendication indépendante, il n’y aura pas contrefaçon des revendications qui dépendent de cette revendication (Illinois Tool Works Inc au para 85), l’analyse de la validité, au chapitre de l’antériorité − et de l’évidence −, se fait à l’égard de chaque revendication séparément (Zero Spill aux para 83, 85, 88). En effet, les revendications dépendantes en cascade restreignent de par leur nature les revendications dont elles dépendent, faisant en sorte qu'une revendication peut devenir suffisamment restreinte pour échapper à une défense fondée sur l’art antérieur, même s'il est possible que les revendications plus larges soient invalides (Zero Spill au para 94).

[388]  Il est bien établi, par ailleurs, que la défense d’antériorité est « difficile à établir car les tribunaux reconnaissent qu’il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur » (Électro Santé au para 25). Comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’affaire Électro Santé : « [i]l faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire » (Électro Santé au para 25).

b)  Évidence

[389]  L’article 28.3 de la Loi prévoit qu’aux mêmes dates envisagées par les alinéas 28.2(1)a) et b), l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève cet objet.

[390]  Quoique l’art antérieur puisse servir de fondement pour invalider un brevet à la fois sur le plan de l’antériorité que sur celui de l’évidence, des distinctions fondamentales demeurent. En effet, tandis que l’antériorité traite de l’absence de nouveauté, l’évidence traite de l’absence d’invention (Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359 au para 59, conf par 2009 CAF 94). Comme on vient de le voir, l’antériorité exige que tous les renseignements nécessaires à l’invention revendiquée se retrouvent dans une seule publication d’art antérieur alors que l’évidence peut être démontrée par le biais d’une « mosaïque » de réalisations antérieures pertinentes et de connaissances générales courantes (Alcon Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 791 au para 208).

[391]  La partie qui plaide l’évidence doit ainsi démontrer « non seulement l'existence de réalisations antérieures, mais aussi la manière dont la personne normalement versée dans l'art aurait été amenée à combiner les éléments pertinents provenant de la mosaïque des réalisations antérieures » (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825 au para 254). Pour ce faire, elle doit aussi satisfaire au test en cinq étapes développé dans l’arrêt Windsurfing International Inc c Tabur Marine (Great Britain) Ltd, [1985] RPC 59 (CA R-U), reformulé dans Pozzoli SPA c BDMO SA, [2007] EWCA Civ 588, et adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi.

[392]  Ce test, qui vise à « assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté » consiste à : (i) identifier la personne versée dans l’art; (ii) déterminer ses connaissances courantes pertinentes; (iii) définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation; (iv) recenser les différences, s’il en est, entre ce qui fait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation; et (v) déterminer, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, si les différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité (Sanofi au para 67). À cette dernière étape, il peut être indiqué de recourir à la notion d’ « essai allant de soi », notamment quand le brevet en cause relève d’une activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation (Sanofi aux para 67-68).

[393]  L’examen de l’évidence se fait par ailleurs non pas du point de vue de l’inventeur compétent, mais plutôt de celui du technicien versé dans l'art « qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination » (Nova Chemicals au para 41).

[394]  Encore ici, il s’agit d’un test difficile à satisfaire (Frac Shack Inc c AFD Petroleum Ltd, 2017 CF 104 au para 205, inf pour d’autres motifs par 2018 FCA 140). De plus, la Cour doit se garder de recourir à la « sagesse rétrospective » dans son analyse de l’évidence (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 50, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 33885 (14 avril 2011), citant Beloit).

[395]  Tout comme en matière d’antériorité, l’invalidité pour cause d’évidence doit être déterminée pour chaque revendication et le sort d’une revendication indépendante n’emporte pas nécessairement celui d’une revendication qui en dépend (Zero Spill aux para 83 et 94; AFD Petroleum Ltd v Frac Shack Inc, 2018 FCA 140 au para 47 [AFD Petroleum]; Safe Gaming au para 161).

(2)  Le Brevet 794

a)  Antériorité

[396]  Les défendeurs soutiennent que les revendications 1 à 8 du Brevet 794 sont invalides pour cause d’antériorité. Selon leur expert, M. April, les pièces d’art antérieur suivantes, toutes publiées avant la date de priorité pertinente, en l’occurrence le 24 février 1998 (Exposé conjoint de faits au para 5), anticipent toutes et chacune desdites revendications :

  1. « Building National Electronic Medical Record Systems via the World Wide Web », Journal of the American Informatics Association, par Isaac S. Kohane et al. (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-18 (Pièce TX-164)) [Kohane AA-18];
  2. « Using UL7 and the World Wide Web for Unifying Patient Data from Remote Databases », American Medical Informatics Association, par F.J. van Wingerde et al. (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-20 (Pièce TX-286)) [Kohane AA-20];
  3. Brevet US 6,664,109, « Method for Extracting Pre-Defined Data Items from Medical Service Records Generated by Health Care Providers » (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-22 (Pièce TX-156)) [Brevet Johnson]; et
  4. Brevet US 5,659,741, « Computer System and Method for Storing Medical Histories Using a Carrying Size Card » (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-23 (Pièce TX-288)) [Brevet Eberhardt].

[397]  Je note d’entrée de jeu que M. April a consacré une partie substantielle de son analyse de la validité du Brevet 794 à commenter certains énoncés qui se trouvent dans la Divulgation 794. Je souligne que cet exercice m’est de peu d’utilité puisque, comme c’est le cas en matière de contrefaçon, l’analyse de l’antériorité doit reposer d’abord et avant tout sur un examen des revendications et non sur celui de la divulgation du brevet en cause (Zero Spill aux para 83, 85, 88).

[398]  M. April a bien produit un tableau en annexe à son premier rapport, celui traitant de l’allégation d’invalidité (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-25 (Pièce TX-307)), dans lequel il consigne ses conclusions d’antériorité à l’égard de chaque élément de chacune des huit revendications en cause. Ce tableau, qui, pour l’essentiel, retranscrit, pour chaque élément, de courts extraits de chaque pièce d’art antérieur, demeure toutefois très schématique. Le développement analytique y est absent. En somme, M. April s’est contenté d’affirmer, dans son témoignage écrit, que chacune de ces quatre pièces d’art antérieur rendait accessible au public, à la date pertinente, l’ensemble des revendications du Brevet 794, sans toutefois approfondir son raisonnement de quelque manière (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 171-174). Cela n’est pas de nature à faciliter le travail de la Cour.

[399]  Je commenterai chacune des pièces d’art antérieur invoquées par M. April à tour de rôle.

(i)  Kohane AA-18

[400]  Kohane AA-18 propose un prototype initial d’un système de dossiers médicaux électroniques qui exploite la technologie client-serveur sur Internet (« World Wide Web Electronic Medical Record System » ou « W3-EMRS »). L’architecture proposée est constituée de trois composantes, à savoir (i) un dossier médical commun (« Common Medical Record »), (ii) un ensemble de règles pour la présentation visuelle des données du dossier médical commun (« Visual Presentation Layer »), et (iii) un ensemble de logiciels configurés pour présenter des données sur une interface de l’ordinateur d’un intervenant de la santé (« Screen Management Layer »). Les auteurs expliquent comment cette architecture pourrait mettre en œuvre des programmes fournissant un accès uniforme à plusieurs dossiers médicaux électroniques hétéroclites déjà existants.

[401]  Dans son rapport, M. April opine que Kohane AA-18 divulgue l’ensemble des renseignements nécessaires à la production de l’invention revendiquée dans le Brevet 794. Plus particulièrement, il qualifie les hyperliens derrière les icônes de l’interface W3-EMRS de « pointeurs ». Il estime que ces icônes contiennent des libellés décrivant la nature des informations à aller chercher et qu’ils pointent vers de l’information médicale additionnelle. Il fait toutefois référence à une autre publication, Kohane AA-20, pour démontrer l’utilisation d’un pointeur vers un emplacement éloigné (« remote location ») et la présence de différents emplacements physiques à titre de nœuds distincts dans un réseau.

[402]  M. April a reconnu en interrogatoire en chef que Kohane AA-18 n’abordait qu’un seul emplacement avec de l’information médicale additionnelle et il a confirmé en contre‑interrogatoire que cet article d’art antérieur n’envisageait qu’un seul dépôt de données dans un seul établissement de santé (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 31, 169). De plus, toujours en contre-interrogatoire, il a relevé « plein de différences de conception » entre cet article et le Brevet 794 dont une « différence fondamentale », soit celle liée au fait que Kohane AA-18 ne requérait pas la présence de pointeurs dans une structure de données au sens du Brevet 794, puisque le système qui y est proposé permettait de chercher l'information du patient « dynamiquement » (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 38-39).

[403]  M. Thilloy, quant à lui, est d’avis que Kohane AA-18 est, lorsqu’on le compare aux revendications du Brevet 794, lacunaire à plusieurs égards. Selon lui, cette pièce d’art antérieur ne décrit qu’un seul répertoire de données centralisé à l’intérieur d’un seul établissement de santé et, par conséquent, n’incorpore pas la notion de pointeurs pointant vers des emplacements éloignés (« remote locations ») où sont stockées des informations médicales additionnelles (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 108-109, 111). En outre, il opine que Kohane AA-18 ne contient aucune mention de pointeurs au sens du Brevet 794, notamment parce que cet article laisse présager que la base de données centralisée est sollicitée au moyen de requêtes directes (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 109). Il constate aussi qu’il n’y est pas question d’une composante qui indique la nature de l’information médicale à obtenir ou d’emplacements autres que le dépôt centralisé où aller chercher l’information médicale additionnelle (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 112). Enfin, puisqu’il n’y a qu’un seul dépôt centralisé de données, Kohane AA-18 ne réfère pas clairement, selon lui, à la présence de différents nœuds dans un réseau (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 116(c)).

[404]  Il est vrai que M. Thilloy a concédé en contre-interrogatoire que Kohane AA-18 cherchait à s’attaquer au même problème que celui identifié par le demandeur, à savoir la difficulté d’accéder à des données médicales sauvegardées dans différents établissements et cliniques (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 70-71). Il a également admis que cette publication contenait une structure de données, de l’information de nature médicale, de l’information additionnelle, un emplacement (« location ») hébergeant de l’information additionnelle et un moyen d’accéder à cette information (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 71-82). Toutefois, on n’a pas ébranlé, à mon sens, sa conviction selon laquelle Kohane AA-18 ne décrit ni des pointeurs au sens du Brevet 794, ni différents nœuds dans un réseau.

[405]  Je note que contrairement à M. April qui n’a guère exposé sa démonstration de l’antériorité dans son rapport, M. Thilloy a fait une analyse complète et rigoureuse de cette question en expliquant son raisonnement d’une manière exhaustive pour chacune des revendications en cause. Il a aussi décortiqué le tableau préparé par M. April (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-25 (Pièce TX-307)) avec clarté et précision. Sa démarche me paraît plus persuasive que celle empruntée par M. April, particulièrement lorsque je prends en compte les admissions faites par M. April suivant lesquelles Kohane AA-18 ne nécessitait pas l’utilisation de pointeurs au sens du Brevet 794 et ne référait qu’à un seul dépôt centralisé de données.

[406]  Compte tenu de ce qui précède, je suis satisfait que Kohane AA-18 n’explique ni l’utilisation de plusieurs nœuds dans un réseau ni de pointeurs pointant vers des emplacements éloignés où sont stockées des informations médicales additionnelles et qu’en conséquence, il n’anticipe pas toutes et chacune des revendications du Brevet 794.

[407]  Je rappelle que la notion de pointeur à deux composantes est un élément essentiel des revendications indépendantes 1 et 6, et, par conséquent, des revendications dépendantes 2 à 5 et 7 et 8 puisque celles-ci doivent être interprétées de manière à comprendre l’ensemble des éléments essentiels de la revendication indépendante dont elles dépendent (Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178 au para 105, conf par 2015 CAF 286).

(ii)  Kohane AA-20

[408]  Cette pièce d’art antérieur se veut, en quelque sorte, la suite de Kohane AA-18 dans la mesure où elle aborde essentiellement la mise en œuvre de l’architecture proposée dans Kohane AA-18 dans le contexte d’une étude de faisabilité effectuée aux services d’urgence d’un établissement hospitalier de la région de Boston. Le système décrit dans Kohane AA-20, soit le W3-EMRS (« World Wide Web Electronic Medical Record System ») est d’ailleurs le même que celui décrit dans Kohane AA-18.

[409]  M. April soutient toutefois que dans Kohane AA-20, le système W3-EMRS est expérimenté dans des sites distants. Cependant, il a reconnu que Kohane AA-20 n’apportait pas « grand-chose de différent » par rapport à Kohane AA-18 (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 42-43). En contre-interrogatoire, il a opiné que cette publication visait à remédier à des problèmes qui ne sont pas visés par le Brevet 794, comme, par exemple, l’intégration et la compatibilité d’un protocole HL7 au sein des systèmes existants (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 180-186).

[410]  Pour sa part, M. Thilloy a noté, en ce qui a trait à Kohane AA-20, « qu’une des différences importantes avec le système décrit et revendiqué dans le brevet 794 c’est qu’il n’est pas fait mention de pointeurs dans cet article ou d’une structure de données similaire à cette [sic] décrite dans le brevet 794 » (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 70). En interrogatoire en chef, M. Thilloy a dit comprendre que Kohane AA-20 visait exactement le problème que cherchait à résoudre le Brevet 794 (Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 215). En contre‑interrogatoire, il a en outre concédé que Kohane AA-20 enseignait la possibilité d’aller chercher des informations médicales de trois systèmes, dont deux situés dans les emplacements physiques distincts, et que cet article contenait les notions d’emplacement éloigné (« remote location »), de l’information additionnelle et de structure de données (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 83-88). M. Thilloy a maintenu toutefois que Kohane AA-20, tout comme Kohane AA-18, ne contenait aucune mention d’un pointeur à deux composantes au sens du Brevet 794.

[411]  M. Thilloy n’a pas eu la chance de répliquer par écrit au tableau préparé par M. April (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-25 (Pièce TX-307)) en ce qui concerne Kohane AA-20, puisque cette pièce d’art antérieur a été ajoutée audit tableau lors du procès. Bien qu’il ait, ici aussi, reconnu en contre-interrogatoire que plusieurs éléments des revendications 1 à 8 du Brevet 794 se trouvaient dans Kohane AA-20, il a réitéré que la notion de pointeur à deux composantes, n’en faisait toujours pas partie, au même titre que Kohane AA-18.

[412]  Encore ici, la preuve de M. Thilloy m’apparait plus persuasive. Je suis donc satisfait que Kohane AA-20 ne fournit pas clairement à la PVA toutes les instructions nécessaires à la production de l’invention revendiquée dans le Brevet 794, plus particulièrement vu l’absence de pointeurs au sens dudit brevet. Je ne saurais donc dire, comme l’a soutenu M. April, que toutes et chacune des revendications du Brevet avaient été anticipées par Kohane AA-20 à la date de priorité du Brevet 794. D’ailleurs, ce n’était plus ce que soutenaient les défendeurs dans les représentations qu’ils ont soumises à la Cour au terme du procès. Leur position est maintenant que cette pièce d’art antérieur, combinée à Kohane AA-18, rend évidente l’invention revendiquée dans le Brevet 794. J’y reviendrai plus loin en traitant de l’évidence en lien avec ledit brevet.

(iii)  Brevet Johnson

[413]  L’invention décrite à ce brevet américain est celle d’un système centralisé de tenue de dossiers conçu pour recevoir des documents d’une pluralité de fournisseurs de services médicaux indépendants. Ce système est configuré pour créer des liens entre un dossier et un individu en extrayant du dossier des données démographiques et en comparant ces données à celles contenues dans une base de données. Suivant ce système, les dossiers sont stockés dans un répertoire et une liste de dossiers est dressée pour chaque individu. La centralisation des données médicales permet ainsi à un réseau d’intervenants de réduire leurs coûts d’opération, d’encourager le partage d’information entre les fournisseurs de soins de santé, d’éviter le dédoublement des soins prodigués et ainsi améliorer la qualité des soins.

[414]  M. April est d’avis que le Brevet Johnson décrit l’utilisation de pointeurs ou de liens vers d’autres documents médicaux afin de faire le lien entre un document et un patient. Selon lui, ces pointeurs comprennent des adresses qui permettent d’importer des données médicales. Il soutient aussi que le Brevet Johnson décrit plusieurs serveurs qui se situent à différents emplacements.

[415]  En interrogatoire en chef, M. April a opiné que le Brevet Johnson cherchait à accomplir la même chose que le Brevet 794, mais d’une « façon différente », « pas mal plus difficile » et « pleine de challenges » (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 51-53). En contre-interrogatoire, il a confirmé qu’un des aspects centraux de ce brevet était de permettre l’extraction automatisée d’information à partir de documents non-structurés (Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 176).

[416]  M. Thilloy a lui aussi noté que le cœur de cette invention était de permettre l’extraction automatisée de données à partir de dossiers médicaux, et ce, selon lui, afin d’intégrer ces dossiers dans un dépôt central de données (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 126). Or, suivant M. Thilloy, toutes les revendications du Brevet Johnson visent une méthode d’extraction de données ayant comme but de solutionner une difficulté toute autre que celle visée par le Brevet 794. En effet, le Brevet Johnson propose, selon son interprétation, un système de dépôt central de données et ne concerne pas une structure de données distribuée en tant que telle (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 127-131).

[417]  Il poursuit en opinant que puisque le Brevet Johnson décrit un dépôt central de données, il n’y a pas présence de pointeurs fournissant les adresses de différents emplacements éloignés (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 147). De plus, précise-t-il, il n’y a aucune indication claire que ces pointeurs incorporent nécessairement une deuxième composante permettant d’identifier la nature de l’information médicale disponible (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 147). Ces pointeurs ne fournissent pas, selon M. Thilloy, et ne pourraient pas supporter les adresses de différents emplacements éloignés (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 140).

[418]  Malgré la description d’une pluralité de serveurs dans le Brevet Johnson, M. Thilloy prétend que cette pluralité n’a pas été conçue pour distribuer le stockage des dossiers médicaux entre différents systèmes, mais plutôt pour servir de sauvegarde (« back-up ») et pour répartir la charge de traitement entre des serveurs régionaux qui détiennent ultimement les mêmes données et documents (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 137, 143(c)). M. Thilloy admet toutefois qu’il y a présence d’une structure de données dans le Brevet Johnson (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 141).

[419]  En contre-interrogatoire, M. Thilloy a concédé que le Brevet Johnson décrivait de l’information additionnelle de nature médicale, une adresse au sens du Brevet 794 et un emplacement où est hébergée de l’information additionnelle (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 97-101). Toutefois, il a réitéré que le Brevet Johnson ne divulguait pas la présence de pointeurs au sens du Brevet 794.

[420]  Étant donné l’admission de M. April suivant laquelle le Brevet Johnson abordait la problématique visée par le Brevet 794, mais le faisait d’une « façon différente », et vu son défaut de clairement exposer la présence, dans le dit brevet, de pointeurs à deux composantes, un élément clé de chacune des revendications du Brevet 794, je considère que les défendeurs n’ont pas satisfait à leur fardeau de preuve. J’estime aussi que les défendeurs n’ont pas davantage démontré que le Brevet Johnson décrivait la présence, comme le font les revendications du Brevet 794, d’emplacements éloignés où réside de l’information médicale additionnelle ou encore celle de différents nœuds dans un réseau.

[421]  En somme, le Brevet Johnson n’anticipait pas, à mon sens, à la date de priorité du Brevet 794, toutes et chacune des revendications dudit brevet.

(iv)  Brevet Eberhardt

[422]  Cet autre brevet américain porte cette fois sur un système configuré pour: (i) stocker informatiquement un dossier sur l’historique médical d’un individu; (ii) ajouter des nouvelles données médicales à cet historique; (iii) organiser les données de l’historique médical; et (iv) transmettre des données du système à une infrastructure de données distante. Le Brevet Eberhardt enseigne que ce système rend possible la lecture de données médicales d’un individu par le biais d’un support de stockage, notamment une carte du même format qu’une carte de crédit. Selon ce brevet, l’invention qui y est revendiquée est nécessaire, notamment, pour parer aux situations où un individu se présente à l’urgence d’un établissement de santé alors qu’il n’est pas en état de fournir au personnel médical l’ensemble de l’information médicale pertinente le concernant. 

[423]  Dans son tableau sur l’antériorité du Brevet 794 (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-25 (Pièce TX-307)), M. April opine que le Brevet Eberhardt « décrit des moyens de stockage pour contenir un fichier d’historique médical » et prévoit qu’une partie de cet historique médical est stockée ailleurs dans le système. Il a reconnu en contre-interrogatoire que le Brevet Eberhardt visait une carte à puce sur laquelle le dossier d’un patient y est conservé et qu’un seul emplacement y était décrit spécifiquement (Transcription, 4 juin 2018, aux pp 177, 179).

[424]  M. Thilloy a concédé que le Brevet Eberhardt visait à adresser certaines des mêmes problématiques que celles identifiées dans le Brevet 794, notamment le fait de permettre aux intervenants de la santé d’avoir accès aux informations concernant la condition d’un patient en utilisant un support de stockage (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 158). Il qualifie toutefois la solution proposée d’« assez rudimentaire » et ajoute que celle-ci vise davantage les interactions entre les différentes composantes du système plutôt que la structure de données ou l’organisation des données médicales, y compris l’utilisation de pointeurs (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 160).

[425]  M. Thilloy explique que le Brevet Eberhardt décrit à la fois un dépôt central de données (« Central Data Facility ») et un dépôt éloigné de données (« Remote Data Storage Facility ») (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 165). Toutefois, sa lecture du brevet l’amène à dire qu’il n’aurait pas été clair pour la PVA de voir l’utilité de la présence de pointeurs puisque la solution présentée dans ledit brevet ne permettait la configuration que d’un seul dépôt éloigné de données (« Remote Data Storage Facility ») de sorte que nous ne sommes pas en présence, contrairement au système prôné par le Brevet 794, de plusieurs nœuds distants (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 170).

[426]  En dépit du fait qu’il ait admis que le Brevet Eberhardt faisait mention, à un endroit − le seul de tout le document − de la présence d’un pointeur, M. Thilloy a souligné qu’il ne s’agissait pas là du même type de pointeurs que ceux envisagés par le Brevet 794 :

171.  Finalement les colonnes 15 à 17 décrivent le fonctionnement du logiciel qui se situe au niveau du dépôt central de données. On décrit surtout des fonctionnalités de comptabilité et des recherches sur plusieurs usagers (pour fins de recherche), qui sont moins pertinentes pour nos fins. Je note toutefois qu’on retrouve à la colonne 15 la seule mention du mot « pointer » de tout le document :

The Open History 104 request simply causes the server to locate a history in its memory, based on the history’s ID code, and to keep a file pointer open to the data. If the request indicates that the record is a new one, the system verifies that the ID is not already in use.

172.  Il ne s’agit toutefois pas du même type de pointeurs dont il est question dans le brevet 794. On fait plutôt référence au fonctionnement interne du serveur. Une fois que celui-ci a localisé l’historique médical d‘un patient dans sa mémoire, il conserve un lien direct (pointeur de fichier plus souvent appelé « file handle ») en mémoire vers le fichier où cet historique se retrouve pour éviter d’avoir à rouvrir le fichier. Il s’agit simplement d‘une description de la manière d’accélérer l’accès aux données dans les fichiers.

[Souligné dans l’original]

(Rapport Thilloy, 9 avril 2018)

[427]  Il est vrai aussi que M. Thilloy a fait plusieurs admissions, en contre-interrogatoire, relativement au Brevet Eberhardt. Notamment, il a admis que celui-ci référait aux notions d’information de nature médicale, d’information médicale additionnelle, d’adresse, d’emplacement de l’information médicale additionnelle et de structure de données (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 106-111). Quoiqu’il ait souscrit au point de vue de M. April suivant lequel le Brevet Eberhardt décrivait un pointeur, M. Thilloy, comme on vient de le voir, a distingué ce pointeur du pointeur à deux composantes du Brevet 794. Selon sa compréhension, le pointeur dans le Brevet Eberhardt visait à accéder au « Remote Data Storage Computer », soit une composante du dépôt central de données, pour aller chercher de l’information supplémentaire (Transcriptions, 5 juin 2018, à la p 106). Il n’a toutefois jamais indiqué ou concédé que ce pointeur comprenait deux composantes, comme le prévoit le Brevet 794, composantes qui, dans ce cas, contiennent, dans un premier temps, l’adresse d’un emplacement où se trouve de l’information médicale additionnelle concernant un patient donné, et dans un deuxième temps, un sommaire de l’information médicale additionnelle vers laquelle pointe la première composante dudit pointeur.

[428]  M. Thilloy a par ailleurs souligné qu’il existait d’autres différences importantes entre les systèmes décrits dans ces deux brevets, comme la présence dans le Brevet 794, mais non dans le Brevet Eberhardt, (i) de deux emplacements séparés ou éloignés l’un de l’autre où réside de l’information médicale additionnelle, (ii) de différents nœuds dans un réseau puisqu’il n’y en a qu’un seul dans le système proposé dans le Brevet Eberhardt, soit le « Remote Data Storage Facility », et (iii) d’une pluralité d’enregistrements associés avec certains individus puisque la carte mémoire d’un patient, qui sert de support de stockage et sur laquelle est hébergé l’historique médical de ce patient de manière à ce qu’il puisse toujours avoir cette information avec lui, ne contient de toute évidence que les données médicales qui le concernent (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 173).

[429]  Ces constats n’ont pas été affaiblis par le contre-interrogatoire de M. Thilloy.

[430]  Encore une fois, l’analyse de M. Thilloy me paraît plus systémique, cohérente et rigoureuse et je lui accorde plus de poids que celle proposée par M. April. On ne m’a donc pas convaincu que le Brevet Eberhardt anticipait, à la date pertinente, toutes et chacune des revendications du Brevet 794.

[431]  Puisqu’aucune des pièces d’art antérieur invoquées en l’espèce ne divulgue les éléments essentiels des revendications litigieuses du Brevet 794, je n’aurai pas à me pencher sur la deuxième étape du test de l’antériorité, soit la détermination du caractère réalisable de l’invention revendiquée. Je soulignerai toutefois à cet égard que M. April a reconnu, en interrogatoire en chef, que bien que le concept mis de l’avant par le Brevet 794 était fortement susceptible de rencontrer des problèmes de croissance liés à l’augmentation inévitable du volume de données à gérer, il demeurait adéquat et réalisable (Transcriptions, 1er juin 2018, aux pp 149-150).

[432]  J’en arrive donc à la conclusion que les revendications 1 à 8 du Brevet 794 sont valides en regard de l’antériorité.

b)  Évidence

[433]  Les défendeurs allèguent que l’art antérieur rend évidentes les revendications 1 à 8 du Brevet 794. Au soutien de cet argument, ils utilisent les mêmes pièces d’art antérieur que celles invoquées aux fins de l’analyse de l’antériorité.

[434]  Ils avancent qu’il n’y a pas de différence entre le concept inventif de chacune des revendications du Brevet 794 identifié par M. Thilloy, et le concept inventif des pièces d’art antérieur Kohane AA-18 ou Kohane AA-20. Selon eux, si la Cour est d’avis, comme eux, que la mémoire décrite dans le Brevet 794 n’est pas volatile et que les données additionnelles auxquelles celui-ci réfère proviennent d’équipements physiques distincts (et non pas de nœuds « logiques » d’un même équipement), Kohane AA-18 divulgue l’ensemble des revendications du Brevet 794. En revanche, ils plaident que si Kohane AA-20 est la seule pièce d’art antérieur qui enseigne comment connecter plusieurs systèmes distants, la combinaison de Kohane AA-18 et Kohane AA-20 donne à la PVA toute l’information dont elle aurait eu besoin pour réaliser l’invention.

[435]  Quant au Brevet Johnson, ils soutiennent que si celui-ci ne rencontre pas le test de l’antériorité, ses enseignements, pris seuls ou avec ceux de Kohane AA-18 ou Kohane AA-20, le tout en lien avec les connaissances générales de la PVA, rendent toutes les revendications du Brevet 794 évidentes.

[436]  De plus, ils avancent que les revendications 2 et 7 sont évidentes lorsque le Brevet Eberhardt est combiné avec le Brevet Johnson, Kohane AA-18 et Kohane AA-20. En ce qui a trait aux revendications 3 et 8, les défendeurs sont d’avis que le Brevet Johnson, combiné avec le Brevet Eberhardt, les rend évidentes. Enfin, ils plaident que le Brevet Eberhardt rend évidentes toutes les revendications du Brevet 794, seul ou combiné avec le Brevet Johnson et/ou Kohane AA-18 et Kohane AA-20.

[437]  Dans son tableau sur l’antériorité (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-25 (Pièce TX-307)), M. April a tenu à souligner « que parmi les autres références qu’ [il a] commentées, plusieurs auraient pû [sic] être utilisées pour démontrer l’évidence » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 170) . Il n’a toutefois pas spécifié quelles étaient ces « autres références ». Dans son rapport, il s’est contenté de dire que « le document Kohane combiné avec les connaissances générales de la personne versée dans le domaine rencontre selon [lui] le test de l’évidence » et qu’il « aurait été évident pour une personne versée dans le domaine d’arriver à l’invention revendiquée en combinant le document AA-18 (Kohane) ou AA-21 (Gropper), respectivement, avec le document AA-22 (Brevet 109) ou AA-23 (Brevet 741) » (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 175-176). Il est à noter que l’annexe AA-21 au premier rapport de M. April a été remplacée par Kohane AA-20 au procès.

[438]  En réplique, M. Thilloy a indiqué que, sur l’avis des procureurs du demandeur, il n’avait pas procédé à une analyse détaillée du test de l’évidence en lien avec le Brevet 794 puisque M. April n’avait pas, lui-même, procédé à une telle analyse (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 187-188).

[439]  Cela laisse la Cour dans une position fâcheuse puisqu’elle ne dispose pas de l’avis des experts sur l’application du test de l’évidence – un test relativement complexe − aux faits de la présente affaire, eux aussi relativement complexes. Elle est, en quelque sorte, laissée à elle‑même. Les défendeurs ont bien tenté, dans leurs représentations écrites au procès, de combler le vide, pour ainsi dire, en y allant de représentations détaillées sur la question, mais il demeure que le tout m’est soumis sans le bénéfice de l’éclairage des experts. Notamment, le tout m’est soumis sans leur éclairage sur deux étapes importantes de ce test, soit le recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation; et l’évaluation de ces différences, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, afin de déterminer si elles constituent des étapes évidentes pour la PVA ou si elles dénotent quelque inventivité (Sanofi au para 67). 

[440]  La Cour d’appel fédérale rappelait, dans l’affaire Apotex Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 243 au para 19 [Canada (Santé)], que l’analyse de l’évidence devait être guidée « par un témoignage d’expert sur les compétences que devrait posséder une hypothétique personne moyennement versée dans son art à l’époque en question ». Dans la même veine, cette Cour, dans l’affaire Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234 au para 113 (conf par 2007 CAF 217; autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 32200 (6 décembre 2007)), rappelait que n’étant pas un « organisme scientifique », elle se devait, afin d’espérer en arriver à une décision équilibrée en matière d’évidence, de « prendre en considération les faits de l’affaire, les opinions des experts et les circonstances mises en preuve pour arriver à une décision équilibrée » [Je souligne]. Cela souligne, à mon sens, l’importance de la preuve d’expert en cette matière.

[441]  Or, force est de constater qu’en ce qui a trait à l’allégation d’évidence dirigée à l’encontre du Brevet 794, la preuve est grandement déficiente. Comme le fardeau reposait sur les défendeurs (Camco au para 75), je serais tenté de conclure, comme le demandeur m’invite à le faire, qu’ils ne s’en sont pas déchargés faute d’avoir soumis une preuve d’expert conforme au cadre d’analyse requis par la jurisprudence applicable en pareil cas.

[442]  Quoi qu’il en soit, les défendeurs ne m’ont pas convaincu que le concept inventif des revendications du Brevet 794 était évident à la date pertinente à la lumière du jeu des diverses combinaisons de l’art antérieur pertinent qu’ils ont mises de l’avant dans leurs représentations écrites. Plus particulièrement, ils ne m’ont pas convaincu que l’état de la technique à cette date comprenait la notion de pointeur à deux composantes tel que décrit dans le Brevet 794 ou encore celle de différents nœuds distants dans un réseau. Qui plus est, ils ont fait défaut, selon moi, d’identifier les connaissances générales courantes qui auraient permis à la PVA de combler ce vide dans l’état de la technique afin de réaliser l’invention revendiquée par le Brevet 794.

[443]  Bref, l’argument voulant que les revendications litigieuses du Brevet 794 soient invalides pour cause d’évidence, lequel repose sur une preuve largement déficiente, ne peut être retenu.

[444]  Bien que cela ne soit pas déterminant, je ne peux m’empêcher de noter, pour conclure sur ce point, que le demandeur, comme le révèle le survol des démarches qu’il a effectuées pour obtenir des appuis institutionnels, financiers et techniques à son projet de dossier médical partagé en réseau, à une époque où sa demande relative au Brevet 794 avait déjà été déposée, démarches dont je fais état aux paragraphes 66 à 77 des présents motifs, a réussi à intéresser à son projet des acteurs sérieux des secteurs public et privé qui, selon la preuve faite devant moi, y ont vu une initiative innovante et avant-gardiste. Cela me conforte dans mes conclusions quant à la validité du Brevet 794.

[445]  On a aussi dit du demandeur qu’il n’était pas en mesure d’apprécier la véritable portée de son invention vu ses connaissances limitées en informatique, ce qui expliquerait le rôle prépondérant joué par son agent de brevets dans l’élaboration de la demande relative au Brevet 794 (et de celle relative au Brevet 598). Comme l’ont souligné les procureurs du demandeur, n’importe qui peut être inventeur et il n’est pas nécessaire que celui-ci comprenne tous les principes scientifiques qui sous-tendent son invention (Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd, [1981] 1 RCS 504 à la p 526 [Consolboard Inc], citant R v American Optical Company et al (1950), 11 Fox Pat C 62 à la p 85 (Cour de l’échiquier) ; Halford au para 52). Toutefois, ici, force est de constater que le demandeur en avait une maitrise suffisante pour mener toutes les démarches dont je viens de faire état et à le faire avec un succès certain jusqu’à ce que le MSSS lui oppose une fin de non-recevoir.

[446]  Quant au rôle joué par son agent de brevets, je me contenterai de rappeler l’adage voulant que « l’inventeur invente le produit et l’agent des [sic] brevets invente l’invention » (Valence Technology, Inc c Phostech Lithium Inc, 2011 CF 174 au para 209, citant William L. Hayhurst, c.r., « The Art of Claiming and Reading a Claim » dans Gordon F. Henderson, éd., Patent Law of Canada, Toronto, Thomson, 1994 à la p 204, conf par 2011 CAF 237 [Valence Technology]. D’ailleurs, je note qu’un agent de brevet a même l’obligation de « se tenir au courant des nouvelles publications et des avancées dans le domaine tout au long de la poursuite de la demande de brevet » (Valence Technology au para 208).

[447]  On ne m’a donc pas convaincu que je devrais tirer de la façon dont la demande relative au Brevet 794 a été écrite et traitée, une quelconque inférence négative sur le plan de la validité dudit brevet.

(3)  Le Brevet 598

[448]  Je rappelle que les défendeurs plaident que les revendications 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 31, 33 à 36 et 39 à 42 sont invalides parce qu’elles sont évidentes, de portée excessive et insuffisamment décrites dans la Divulgation 598.

a)  Évidence

[449]  Ayant déjà défini la PVA et ses connaissances courantes, il me faut, pour décider de l’allégation d’évidence desdites revendications, examiner, à partir de la preuve, les autres étapes du test de l’évidence, soit : définir l’idée originale de chaque revendication en cause, recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication, et déterminer si ces différences constituent des étapes évidentes pour la PVA.

[450]  Les prétentions des défendeurs relatives au caractère évident du Brevet 598 reposent sur trois pièces d’art antérieur, soit (i) la demande de brevet 2,233,794 [Demande relative au Brevet 794] (Pièce TX-273); (ii) la demande de brevet 2,239,015, émanant également du demandeur [Demande relative au Brevet 015], (Pièce TX-290); et (iii) le brevet américain portant le numéro 5,924,074 intitulé « Electronic Medical Records System » [Brevet Evans] (Pièce TX-291).

[451]  La Demande relative au Brevet 015 est pratiquement identique à la Demande relative au Brevet 794 et vise, pour l’essentiel, le concept inventif élaboré dans le Brevet 794. Pour sa part, le Brevet Evans décrit un système de dossiers médicaux (« Medical record system ») qui crée et maintient électroniquement l’ensemble des données relatives à un patient (« that creates and maintains all patient data electronically »). Ce système vise à permettre au personnel soignant d’accéder, d’analyser, de mettre à jour et d’annoter de l’information médicale des patients en simultané, et ce, à partir d’un ordinateur branché à un réseau sans fil.

[452]  Il n’est pas contesté que ces trois pièces d’art antérieur ont été publiées avant les dates spécifiées à l’article 28.3 de la Loi, soit avant la date de priorité du Brevet 598, le 13 décembre 2000, pour ce qui est du Brevet Evans, soit au moins un an avant date le dépôt de la demande relative au Brevet 598, le 22 décembre 1999, pour ce qui est de la Demande relative au Brevet 794 et de la Demande relative au Brevet 015 (Exposé conjoint de faits au para 6).

[453]  Comme il l’a fait pour son analyse de la validité du Brevet 794, M. April a aussi consigné ses conclusions relatives à l’évidence du Brevet 598 dans un « tableau récapitulatif » qu’il a annexé à son premier rapport (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-29 (Pièce TX-308)).

(i)  La revendication 1
Définition de l’idée originale

[454]  MM. April et Thilloy sont sensiblement d’accord pour dire que la revendication 1 propose une méthode de mise à jour de l’information médicale sommaire d’un patient par le biais d’un processus de mise à jour automatique de type « push » et qu’il s’agit là de l’idée originale derrière cette revendication. Toutefois, j’estime que M. Thilloy apporte une nuance importante en situant cette méthode à l’intérieur d’un réseau qui permet le stockage distribué de données et qui comprend une structure de données très spécifique (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 235). Je comprends par ailleurs que la mise à jour envisagée par la méthode préconisée par cette revendication se fait à partir d’un emplacement où de l’information médicale nouvelle concernant le patient est sauvegardée et qu’elle est transmise, de cet emplacement, vers un premier nœud où se trouve stockée de l’information médicale sommaire concernant ce patient. Cela constitue, à mes yeux, l’idée originale de la revendication 1.

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication

[455]  M. April prétend que la différence entre l’état de la technique et l’idée originale sous‑tendant la revendication 1 est la « partie « automatisée » de la mise à jour, qui comprend les étapes de pousser (« push ») la mise à jour du second nœud vers le premier nœud dès qu’une nouvelle information est entrée au second nœud » (Rapport April, 9 mars 2018, au para 267). Dans son tableau d’analyse de l’évidence (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-29 (Pièce TX-308)), il concède que l’art antérieur ne divulguait pas littéralement une telle méthode de mise à jour, bien que la Demande relative au Brevet 015 fasse allusion à la possibilité de faire des mises à jour automatiques.

[456]  En interrogatoire en chef, M. April a affirmé que l’archiviste était au cœur de la Demande relative au Brevet 794 (Transcriptions, 1 juin 2018, aux pp 20, 118-119), ce qu’il a confirmé en contre-interrogatoire (Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 187). En outre, il a convenu que l’idée de faire des mises à jour automatiques au moyen du système préconisé par la Demande relative au Brevet 794, représentait un « tout autre projet » (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 187-188). Il a par ailleurs concédé, en contre-interrogatoire, qu’en aucun endroit, la Demande relative au Brevet 794 et celle relative au Brevet 015, n’envisageaient la possibilité de remplacer l’archiviste par une méthode de mise à jour de type « push » (Transcriptions, 4 juin 2018, à la p 188). M. April a d’ailleurs admis que la méthode de mise à jour de type « push » préconisée par la revendication 1 était différente d’une méthode de mise à jour de type « pull » (Transcriptions, 4 juin 2018, aux pp 190-191).

[457]  Commentant la Demande relative au Brevet 015, M. Thilloy s’est dit d’avis que celle-ci traitait principalement d’une mise à jour de type manuelle, faite par un archiviste, tout en soulevant la possibilité d’une mise à jour de la carte à puce (« Smart Card ») du patient (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 246). Il a noté à ce dernier égard que ladite demande ne consacrait qu’une seule phrase pour décrire ce type de mise à jour (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 246). M. Thilloy a réitéré, en contre-interrogatoire, que la Demande relative au Brevet 015 décrivait une méthode de mise à jour non pas de type « push », où la mise à jour est poussée vers le premier nœud sans que celui-ci n’en fasse la demande, mais plutôt de type « pull », où la mise à jour est faite suite à une demande du premier nœud auprès du second nœud, lequel héberge l’information médicale additionnelle à partir de laquelle l’information de mise à jour est générée (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 121-122).

[458]  En ce qui a trait à la Demande relative au Brevet 794, M. Thilloy a précisé que le seul véritable mécanisme de mise à jour envisagée par cette demande était une mise à jour manuelle par un intervenant, tel un archiviste médical (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 245). Il a noté qu’il n’y a, encore ici, qu’une seule phrase dans la Demande relative au Brevet 794, évoquant la possibilité de mettre en œuvre une mise à jour automatique, sans toutefois la décrire (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 245).

[459]  Quant au Brevet Evans, il a opiné qu’il décrivait une méthode de mise à jour automatique de type « pull », et non de type « push », comme c’est le cas du Brevet 598 (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 244). En revanche, il a affirmé en contre-interrogatoire que le Brevet Evans préconisait un système hybride, c’est-à-dire de type « push » et « pull » (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 133-134).

[460]  En somme, M. Thilloy s’est dit d’avis qu’il y avait très peu d’enseignement à l’époque pertinente concernant une mise à jour automatique de type « push » dans le contexte particulier du domaine de la santé (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 248).

[461]  Je retiens de cette preuve que la méthode de mise à jour de type « push » faisait partie de l’état de la technique aux dates pertinentes. Les défendeurs n’ont cependant pas démontré, selon moi, que l’état de la technique incluait une méthode de mise à jour de type « push » qui soit automatique. Ils n’ont pas non plus cité d’extraits de l’art antérieur qui abordent une méthode de mise à jour de type « push » à l’intérieur d’un réseau qui permet le stockage distribué de données. Il s’agit là, selon moi, des deux différences entre l’idée originale sous-tendant la revendication 1 et l’état de la technique.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la PVA ou dénotent-elles quelque inventivité?

[462]  Je trouve utile, à ce stade-ci, de citer un extrait de l’affaire Société Bristol-Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, dans laquelle le juge Pelletier a écrit :

[65]  Il pourrait être utile de garder à l'esprit que l'analyse de l'évidence vise à vérifier si la personne versée dans l'art peut rapprocher deux points dans le perfectionnement de la technique en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes. Si tel est le cas, il y a évidence. Le premier de ces points concerne l'état de la technique à la date pertinente. Dans la jurisprudence, les mentions de l'« idée originale », du « concept inventif », de la « solution enseignée par le brevet », de « ce qui est revendiqué » ou simplement de « l'invention » tentent de définir le second point.

[Je souligne]

[463]  Je note que pour savoir si une invention revendiquée est évidente, il faut essentiellement s’astreindre à une analyse factuelle soutenue par la politique énoncée dans la Loi, laquelle consiste à récompenser un inventeur par l’octroi d’un monopole sur le droit d’exploiter l’invention, pourvu que celle-ci soit correctement divulguée et remplisse les exigences législatives en matière de nouveauté, d’utilité et d’ingéniosité (Canada (Santé) aux para 16, 18). C’est dans cette optique que l’analyse de l’évidence doit être guidée par la preuve d’expert, laquelle doit être soigneusement évaluée par le juge des faits du point de vue de la crédibilité et de la fiabilité (Canada (Santé) au para 19).

[464]  Je constate que M. April n’a pas témoigné à l’audience au sujet des allégations d’évidence à l’égard du Brevet 598. Dans son rapport, il n’a pas identifié les connaissances générales courantes de la PVA nécessaires pour combler la différence entre l’idée originale de la revendication 1 et l’état de la technique. Je note à cet égard que rien dans la preuve ne démontre que la PVA aurait trouvé évidente l’automatisation d’une méthode de mise à jour de type « push », ni son intégration dans le contexte d’un réseau qui permet le stockage distribué de données à la date pertinente.

[465]  J’en conclus que le concept inventif de la revendication 1 n’était pas évident à la date pertinente.

(ii)  Les revendications 2, 4, 9, 10, 13 à 16 et 18

[466]  Étant donné que j’en suis venu à la conclusion que la revendication 1 est valide sur le plan de l’évidence et que les revendications 2, 4, 9, 10, 13 à 16 et 18 dépendent de la revendication 1, je suis d’avis que ces dernières sont également valides. En effet, puisque les revendications dépendantes comportent toutes les caractéristiques et restrictions de la revendication à laquelle elles renvoient et ne font qu’y ajouter des caractéristiques additionnelles (article 87 des Règles; Alcon Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 149 au para 39), je ne vois pas de raison de conclure autrement en l’espèce.

(iii)  La revendication 19
Définition de l’idée originale

[467]  Encore ici, les experts définissent l’idée derrière la revendication 19 sensiblement de la même manière. M. April est d’avis que cette revendication ressemble à la revendication 1, mais qu’au lieu de décrire une méthode, elle traite d’un arrangement de serveurs visant les mêmes fins (Rapport April, 9 mars 2018, au para 283).

[468]  Selon M. Thilloy, « l’aspect principal du concept inventif de cette revendication est la méthode de mise-à-jour [sic] de type « push » », mais il nuance que « la description de l’arrangement de serveurs et de la structure de données à l’intérieur desquels cette méthode vient s’inscrire [est] également importante » (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 275).

[469]  Par ailleurs, les deux experts conviennent que cette revendication donne plus de détails sur la méthode de mise à jour automatique de type « push » par rapport à la revendication 1, car elle précise le contenu, à tout le moins en partie, de l’information de mise à jour transmise, laquelle est censée comprendre un identifiant unique et de l’information relative aux soins prodigués au patient (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 285-286; Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 274, 276).

[470]  J’en retiens que l’idée originale qui sous-tend la revendication 19 reprend celle de la revendication 1, mais met à contribution un arrangement de serveurs aux fins de la mise à jour envisagée par la revendication 1. Conformément à mon interprétation de la revendication 19, je comprends que cet arrangement de serveur(s) remplace le second nœud de la revendication 1 et que l’information « poussée » par le biais de la mise à jour est plus détaillée qu’elle ne l’est aux termes de la revendication 1 dans la mesure où elle comprend un identifiant permettant d’identifier le patient visé par la nouvelle information de même qu’un élément d’information permettant d’identifier le soin ou service lié à cette information.

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication

[471]  M. April est d’avis que la seule différence entre l’état de la technique et l’idée originale sous-tendant la revendication 19 est la méthode d’envoi de données de mise à jour de type « push ». Selon lui, la PVA aurait été familière avec ce concept (Rapport April, 9 mars 2018, au para 288).

[472]  Dans son tableau d’analyse de l’évidence en lien avec le Brevet 598 (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-29 (Pièce TX-308)), il admet que cette méthode de mise à jour n’était divulguée ni dans la Demande relative au Brevet 794, ni dans la Demande relative au Brevet 015, ce qui concorde avec son premier rapport (Rapport April, 9 mars 2018, au para 288). Au sujet du Brevet Evans, il est d’avis que ce dernier divulguait plusieurs des éléments de la revendication 19, incluant la présence de dossiers médicaux dont les informations sont distribuées sur des ordinateurs ou serveurs locaux et des systèmes externes ainsi que l’utilisation de pointeurs pointant vers des données médicales externes ou éloignés.

[473]  M. Thilloy s’en remet, pour l’essentiel, aux commentaires qu’il a formulés en lien avec la revendication 1 (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 277). Je rappelle à cet égard que M. Thilloy s’est dit d’avis que la méthode de mise à jour de type « push » « au sens général » aurait déjà été connue par la PVA (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 235; Transcriptions, 5 juin 2018, à la p 116), mais pas la possibilité de mettre en œuvre une méthode de mise à jour de type « push » qui soit automatique (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 244-247).

[474]  À la lumière de la preuve, il m’apparait que la méthode de mise à jour de type « push » faisait partie de l’état de la technique aux dates pertinentes. Toutefois, les défendeurs n’ont pas fait la preuve que l’état de la technique incluait l’automatisation d’une telle méthode de mise à jour ainsi que son intégration au sein d’un arrangement de serveurs. Ce sont là, à mon sens, les différences entre l’état de la technique et l’idée originale sous-tendant la revendication 19.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la PVA ou dénotent-elles quelque inventivité?

[475]  Encontre une fois, M. April n’a pu identifier aucune connaissance générale courante qui aurait permis à la PVA d’automatiser, sans faire preuve d’aucun esprit inventif, la méthode de mise à jour de type « push » envisagée par la revendication 19. Il en est de même pour ce qui est de la mise à exécution de cette méthode au sein d’un arrangement de serveurs. À mes yeux, cela dénote que le demandeur a fait preuve d’inventivité à l’égard de ces deux éléments centraux de la revendication 19.

[476]  La revendication 19 est donc, à mon sens, valide.

(iv)  Les revendications 20 à 22 et 28 à 30

[477]  Les revendications 20 à 22 et 28 à 30 dépendent de la revendication 19. Compte tenu de mon analyse relative à la revendication 19, je suis d’avis qu’elles sont également valides.

(v)  La revendication 31
Définition de l’idée originale

[478]  Les experts s’entendent pour dire que la revendication 31 ressemble aux revendications 1 et 19, sauf qu’elle vise une méthode de mise à jour de type « push » dont on ne précise pas toutefois qu’elle est automatique (Rapport April, 9 mars 2018, au para 292; Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 279, 281).

Recensement des différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication

[479]  M. April ne consacre que deux brefs paragraphes de son rapport à cet aspect de l’analyse de l’évidence. Il explique simplement que cette méthode de mise à jour lui semble être déjà décrite dans la Demande relative au Brevet 794 et la Demande relative au Brevet 015 (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 296-297). Dans son tableau récapitulatif (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-29 (Pièce TX-308)), il note que la méthode de mise à jour décrite dans la Demande relative au Brevet 794 et la Demande relative au Brevet 015 n’est pas nécessairement automatique et peut être faite par un archiviste. Il soutient également que le Brevet Evans divulgue plusieurs des éléments essentiels à cette revendication, incluant des dossiers médicaux dont les informations sont distribuées sur des ordinateurs ou serveurs locaux et des systèmes externes.

[480]  Pour sa part, M. Thilloy fait référence à ses commentaires formulés en lien avec la revendication 1 pour démontrer que la revendication 31 n’est pas évidente (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 285). Il prétend que la revendication 31 n’était pas évidente à la date pertinente, car elle décrit avec encore plus de détails la méthode de mise à jour de type « push » qui est le cœur du concept inventif de cette revendication (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 285).

[481]  Bien que cette méthode de mise à jour de type « push » soit davantage détaillée à la revendication 31, je note que M. Thilloy a affirmé ailleurs dans son rapport que la méthode de mise à jour envisagée par ladite revendication n’était pas « nécessairement automatique » (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 279, 281).

[482]  Au chapitre de l’art antérieur, je note que la Demande relative au Brevet 015 et la Demande relative au Brevet 794 décrivent toutes deux une méthode de mise à jour du NDSMR (« Network Distributed Shared Medical Record »). Selon la preuve au dossier, le NDSMR est un dossier médical distribué sur un réseau qui comprend un sommaire contenant de l’information médicale sur un individu. La Demande relative au Brevet 794 indique notamment ce qui suit:

The NDSMR is an evolving summary medical document for a particular individual, integrated in the form of a network accessible document. By “summary”, this implies that the file does not necessarily contain all the information currently found in local network medical archives. Rather it is a compendium of critical medical information pertinent to a particular individual, potentially useful in the medical diagnosis of an individual's state of health and corresponding treatment.

[…]

In a preferred embodiment of this invention, the NDSMR includes a universal or network attributed identifier, distinguishing one file from another, and a dynamically updated list of biological data pertinent to the individual, accessible by pointers referring to the local network where the data is actually being stored. This biological data consists of significant medical documents in an electronic format such as laboratory tests, x-rays, surgical reports, electrographic data, etc. Alternatively, other embodiments of the NDSMR may also include a variety of other medical information pertinent to the individual.

[Je souligne]

(Demande relative au Brevet 794 aux pp 21-22 (Pièce TX-273))

[483]  Une des réalisations préférentielles décrites dans ladite demande précise que ce sommaire peut contenir notamment de l’information médico-administrative ainsi que des données médicales (Demande relative au Brevet 794 à la p 22 (Pièce TX-273)). Elle précise aussi la présence de pointeurs pointant vers des documents médicaux stockés dans d’autres réseaux locaux :

The final category seen in Figure 6C consists of the dynamically updated links to other biological data. The eight pointers listed refer to other medical documents pertinent to John Doe which are maintained in different local networks, and which can be downloaded from another network site to the client workstation by invoking the downloading operation embedded in the pointer, thus specifying the address of the site (and if necessary of a particular file at that site).

(Demande relative au Brevet 794 aux pp 22-23 (Pièce TX-273))

[484]  Les demandes relatives au Brevet 794 et au Brevet 015 contiennent aussi exactement la même figure 9 que celle du Brevet 598. Celle-ci résume une procédure à suivre pour qu’un archiviste médical mette à jour un NDSMR :

[485]  Je comprends, à la lumière du libellé de la Demande relative au Brevet 794, que la mise à jour se fait en deux étapes: l’archiviste se connecte d’abord au serveur NDSMR et fait une requête afin d’obtenir le NDSMR de chaque patient nécessitant une mise à jour; suite à cette requête, le NDSMR du patient est téléchargé sur le poste de travail de l’archiviste, ce qui permet à ce dernier de modifier et mettre à jour les informations contenues au NDSMR de ce patient (Demande relative au Brevet 794 à la p 26 (Pièce TX-273)).

[486]  Contrairement aux revendications 1 et 19, la revendication 31 est la seule revendication indépendante qui traite d’une méthode de mise à jour de type « push » qui ne soit pas automatique. M. Thilloy est d’accord que cette méthode de mise à jour de type « push », non‑automatique, aurait fait partie des connaissances générales courantes de la PVA aux dates pertinentes (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 235).

[487]  À la lumière de cette preuve, je suis d’avis que l’état de la technique, tel que révélé par la Demande relative au Brevet 794, incluait une méthode de mise à jour de type « push » non‑automatique. Je suis également d’avis que l’intégration d’une telle méthode de mise à jour dans le contexte de ce qui est décrit à la revendication 31, c’est-à-dire dans un contexte où la mise à jour est initiée à un second nœud et « poussée » vers le premier nœud qui conserve un sommaire de l’information médicale d’un patient, faisait également partie de l’état de la technique, tel que révélé encore une fois par la Demande relative au Brevet 794.

[488]  J’estime donc qu’il n’y a pas de différence entre l’idée originale de la revendication 31 et l’état de la technique puisque cette revendication envisage ce qui avait été déjà envisagé dans la Demande relative au Brevet 794. Par conséquent, j’en conclus qu’aux dates pertinentes, la revendication 31 était évidente. Elle est, de ce fait, invalide.

(vi)  Les revendications 33 à 36, 39 et 40

[489]  Je rappelle que comme la portée des revendications dépendantes est plus restreinte que celle des revendications indépendantes, il est possible qu’une revendication dépendante plus restreinte échappe à l’art antérieur et demeure inventive, c’est-à-dire non-évidente (Zero Spill au para 94; Safe Gaming au para 161).

[490]  M. April s’en remet à ses commentaires formulés en lien avec les revendications 9 et 10 pour les revendications 33 et 34, les revendications 3 et 4 pour les revendications 35 et 36 et les revendications 13 et 14 pour les revendications 39 et 40 (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 298-301). M. Thilloy a fait de même (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 286).

[491]  Je rappelle que la revendication 33 précise que le second nœud spécifié à la revendication 31 est mis en œuvre par un arrangement de serveur(s). La revendication 34, quant à elle, souligne que le premier nœud comprend un microprocesseur associé avec un stockage pouvant être utilisé par une machine et abritant l’information médicale sommaire.

[492]  La revendication 35 précise que les tests médicaux auxquels réfère la revendication 31 comprennent des tests de laboratoire, alors que la revendication 36 précise qu’il peut s’agir de tests d’imagerie médicale.

[493]  La revendication 39 indique que le second nœud auquel réfère la revendication 31 abrite de l’information de nature médicale concernant une pluralité de patients, soit plus d’un patient. La revendication 40 précise enfin que l’information dans le réseau comprend de l’information nominative et non-nominative.

[494]  Au sujet de la revendication 9 (revendication 33), M. April précise que le fait qu’on y mentionne que le second nœud auquel réfère la revendication 1 (revendication 31) soit implémenté par un arrangement de serveurs n’a rien d’inventif. Il en va de même, selon lui, du fait que, suivant la revendication 10 (revendication 34), le premier nœud auquel réfère la revendication 1 (revendication 31) comprend un microprocesseur lié à une mémoire (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 276-277).

[495]  M. April est aussi d’avis que les revendications 3 et 4 (revendications 35 et 36) ne comportent pas de précisions liées aux étapes de la méthode décrite à la revendication 1 (revendication 31). Il note que ces revendications donnent seulement des exemples de services ou soins médicaux répertoriés dans la structure de données à laquelle réfère la revendication 1 (tests diagnostic, tests de laboratoire, tests d’imagerie, prescriptions, etc.). Il n’y voit donc, encore là, aucune originalité liée à la nature des données visées par ces revendications (Rapport April, 9 mars 2018, au para 271).

[496]  Quant aux revendications 13 et 14 (revendications 39 et 40), il soutient que les éléments qu’on y retrouve sont clairement décrits dans la Demande relative au Brevet 794 et la Demande relative au Brevet 015 (Rapport April, 9 mars 2018, aux para 280-281).

[497]  M. Thilloy se dit généralement d’accord avec les brefs commentaires formulés par M. April en lien avec les revendications 9, 10 et 13 (revendications 33, 34 et 39) (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 267). Puisqu’il conclut que la revendication 1 (revendication 31) n’est pas évidente, il est d’avis que les revendications 9, 10 et 13 (revendications 33, 34 et 39) ne sont pas évidentes pour les mêmes raisons (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 267). Il admet cependant que « si la Cour devait conclure que la revendication 1 était évidente, [il] ne croi[t] pas que les revendications 9, 10, 13 et 18 ajoutent beaucoup plus d’inventivité de manière à les rendre non-évidentes » (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 267).

[498]  En ce qui a trait aux revendications 3 et 4 (revendications 35 et 36), M. Thilloy est d’accord avec M. April que « ces revendications dépendantes ne se rapportent pas directement à la méthode de mise-à-jour [sic] en tant que telle, mais précisent plutôt la nature des soins ou services médicaux pour lesquels des données sont conservées dans le système » (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 257). Il fait toutefois la même concession que celle qu’il a faite en rapport avec les revendications 9, 10 et 13 dans l’éventualité où je devais conclure que la revendication 1 est évidente (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 258).

[499]  Enfin, M. Thilloy rappelle que la revendication 14 (revendication 40) introduit le concept d’informations nominatives et d’informations non-nominatives et qu’elle est inventive (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 272).

[500]  Je rappelle qu’une des distinctions fondamentales entre les idées originales sous-tendant les revendications 1 et 31 se situe au niveau du caractère automatique ou non-automatique de la méthode de mise à jour de type « push » qui y est décrite : la première l’est, l’autre ne l’est pas.

[501]  Pour ce qui est des revendications 33 à 36 et 39, je prends acte de l’admission de M. Thilloy suivant laquelle il ne croit pas, si je devais conclure que la revendication 1 est évidente, que les revendications 3, 4, 9, 10 et 13 ajoutent beaucoup plus d’inventivité de manière à les rendre non-évidentes. Comme je suis d’avis que la revendication 31 est évidente, j’en conclu que les revendications 33 à 36 et 39, qui dupliquent à toutes fins utiles les revendications 3, 4, 9, 10 et 13, sont évidentes au même titre que la revendication 31.

[502]  Tel que je l’ai interprétée, la revendication 40, quant à elle, spécifie que l’information médicale qui se trouve dans le réseau de données concernant un patient inclut de l’information nominative et non-nominative.

[503]  Comme M. April l’a souligné dans son premier rapport (Rapport April, 9 mars 2018, au para 281), on retrouvait déjà ce concept dans la Demande relative au Brevet 794 dans le contexte des NDSMR :

Yet another feature of this invention is its use as a search/query engine. Not only can a user perform searches for or queries on NDSMRs within his/her own local Intranet, but also within external sources. NDSMR searches and queries may be performed on two different types of data, and therefore databases: nominative and non-nominative. Non-nominative medical data and databases are accessible to all authorized users, but do not require authorization from the patient whose personal data is being consulted. Nominative medical data and databases require search authorization from both the workstation client, typically a doctor or consultant, and the concerned patient, with the exception of situations where emergency medical care is required. The search requester will be prompted for this authorization through the workstation interface described above, the authorization comprising some form of password, biological signature or smart card. In the case where a search is performed by a user without nominative search authorization, the NDSMR Database Management System (DMS) will automatically mask any nominative data found in the database response before transmitting it to the client workstation. In summary, the NDSMR system permits the delay-free consultation of pertinent information found within different local files and, for authorized users, offers an integrated research motor which allows for non-nominative research, by object or by concept, on the whole of the accessible databases.

[Je souligne]

(Demande relative au Brevet 794 aux pp 27-28 (Pièce TX-273))

[504]  Par conséquent, en ce qui a trait à la revendication 40, j’estime qu’il n’y a pas de différence entre l’idée originale de cette revendication et l’état de la technique, tel que révélé par la Demande relative au Brevet 794. La revendication 40 est donc, à mon sens, invalide pour cause d’évidence.

[505]  En somme, j’estime que les revendications 33 à 36, 39 et 40 du Brevet 598 sont invalides pour cause d’évidence.

(vii)  Les revendications 41 et 42

[506]  M. April s’en remet, pour ces deux revendications, aux commentaires qu’il a formulés en lien avec les revendications 15 et 16 (Rapport April, 9 mars 2018, au para 301). M. Thilloy a fait de même (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 286).

[507]  Je rappelle que les revendications 41 et 42 traitent de l’information nominative et de l’information non-nominative et de l’endroit où chaque type d’information doit être conservé dans le réseau de données.

[508]  Les deux experts s’entendent pour dire que les revendications 15 et 16 (revendications 41 et 42) précisent où sont conservées les informations nominatives et non-nominatives et sont, en conséquence, plus spécifiques que la revendication 1 (revendication 31), dont elles dépendent. M. Thilloy en conclut qu’étant plus spécifiques, elles sont encore moins évidentes que la revendication 1 (revendication 31) (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, au para 272).

[509]  M. April n’y voit, par contre, aucun caractère innovant (Rapport April, 9 mars 2018, au para 281). Dans son tableau récapitulatif (Rapport April, 9 mars 2018, annexe AA-29 (Pièce TX-308)), il concède toutefois que ni la Demande relative au Brevet 794, ni celle relative au Brevet 015, ne précisaient la ségrégation prévue aux revendications 15 et 16 (revendications 41 et 42) aux premier et second nœuds envisagés par la revendication 1 (revendication 31).

[510]  Dans ce contexte, et considérant que M. April n’identifie pas non plus les connaissances générales courantes qui auraient été nécessaires à la PVA pour arriver à combler ce vide dans l’art antérieur afin de concevoir l’invention revendiquée dans le Brevet 598, je ne saurais invalider les revendications 41 et 42.

[511]  Je conclus donc qu’il n’y a pas matière à invalider, pour cause d’évidence, les revendications 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 30, 41 et 42 du Brevet 598. Ce n’est pas le cas, cependant, des revendications 31, 33 à 36, 39 et 40 lesquelles, à mon sens, sont toutes invalides pour cause d’évidence.

(4)  Portée excessive

[512]  Les défendeurs invoquent la défense de portée excessive à l’encontre des revendications 1, 19 et 31 du Brevet 598. Ils prétendent que ces revendications, maintes fois modifiées dans le cadre du traitement de la Demande relative au Brevet 598, lequel s’est échelonné sur plus d’une dizaine d’années, confèrent au demandeur un monopole beaucoup plus grand que ce qui avait été envisagé au moment du dépôt de ladite demande.

[513]  Il est de jurisprudence constante qu’un brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugé invalide en raison de sa portée excessive (Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 209 au para 115, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 32132 (15 novembre 2007)). En d’autres mots, « [l]a population a droit à un enseignement exact et utile en contrepartie du monopole que lui impose le brevet. Les revendications du brevet doivent être étayées par la divulgation » (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 au para 83; voir aussi : Nova Chemicals au para 48). Cela fait intégralement partie du devoir du breveté de « décrire d’une façon exacte et complète » son invention (alinéa 27(3)a) de la Loi).

[514]  La notion de portée excessive peut englober une situation où les revendications ont une portée plus large soit par rapport à l’invention divulguée dans le mémoire descriptif, soit par rapport à l’invention réalisée (AFD Petroleum Ltd au para 49; voir par exemple : Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116 au para 74). Il s’agit d’une question de droit dans le premier cas et d’une question de fait dans le second (AFD Petroleum Ltd au para 49).

[515]  Or, en l’espèce, l’expert des défendeurs, M. April soutient que l’utilisation du mot « nœud » à la place du terme « PCS » (« Personal Communication System ») ou de téléphone cellulaire (« cellular phone ») à la revendication 1 du Brevet 598 dépasse ce que le demandeur a vraiment inventé puisque, selon lui, le demandeur n’avait pensé à un mode de mise à jour automatique qu’aux fins du contexte spécifique des téléphones cellulaires (Rapport April, 9 mars 2018, au para 270).

[516]  En ce qui a trait aux revendications 19 et 31, les défendeurs avancent qu’elles ne sont pas en lien avec l’utilisation d’un système personnel de communication (« Personal Communication System »), lequel, selon eux, est au cœur de la Divulgation 598, et qu’elles sont donc de portée excessive.

[517]  Puisque l’invention ne s’est jamais concrétisée, le Brevet 598 ne peut être invalidé pour cause de portée excessive que si les revendications en cause ont une portée plus large que l’invention décrite dans la divulgation (AFD Petroleum Ltd au para 49).

[518]  Or, quant à la revendication 1, une lecture de la Divulgation 598 révèle que le Brevet 598 a une portée qui n’est pas limitée à l’utilisation de téléphones cellulaires ou, plus généralement, d’un système personnel de communication. D’une part, il ressort du libellé de la Divulgation 598 que le recours à un système personnel de communication, y compris à un téléphone cellulaire, qui n’est qu’un exemple d’un système personnel de communication, n’est qu’un moyen de mettre en œuvre l’invention (« [i]n a specific, non-limiting example of implementation, a personal communication system (PCS), such as a cellular phone, can be used to access the NDSMR database ») (Brevet 598 à la p 9 (Pièce TX-2)). D’autre part, la Divulgation 598 dresse une liste non exhaustive d’autres types de systèmes personnels de communication pouvant accéder à la base de données NDSMR (« [o]ther examples of such a PCS include a web phone, a cellular notepad, an IP television screen or monitor, among others ») (Brevet 598 à la p 9 (Pièce TX-2)).

[519]  Par ailleurs, M. April a affirmé dans son premier rapport que les seules références aux cellulaires dans le Brevet 598 étaient limitées aux seules revendications 9, 25 et 32 (Rapport April, 9 mars 2018, au para 202). Cela semble en effet contredire sa prétention que le Brevet 598 ne vise qu’une méthode de mise à jour applicable aux téléphones cellulaires. Comme je l’ai déjà indiqué, le Brevet 598 décrit et revendique d’abord et avant tout un concept de mise à jour automatique de l’information médicale sommaire décrite dans le Brevet 794 et plus marginalement, un concept permettant l’accès à ces informations par le médecin ou le patient lui‑même, au moyen d’un système personnel de communication.

[520]  Enfin, le demandeur a affirmé en interrogatoire en chef et en contre-interrogatoire qu’il visait d’autres appareils électroniques que les téléphones cellulaires, dont notamment les assistants personnels numériques (« Personal Digital Assistants ») (Transcriptions, 28 mai 2018, à la p 122; Transcriptions, 29 mai 2018, à la p 11).

[521]  Force est donc de constater que le demandeur ne s’est pas limité à inventer un mode de mise à jour automatique seulement applicable dans le contexte spécifique des téléphones cellulaires ou même des systèmes personnels de communication.

[522]  Il s’ensuit, selon moi, que la revendication 1 n’a pas une portée excessive.

[523]  Quant aux revendications 19 et 31, cette Cour a déjà statué que le fait qu’une revendication ne se limite pas à une réalisation préférentielle décrite dans la divulgation du brevet n’était pas suffisant, en soi, pour conclure à la portée excessive du brevet en cause (Fournier Pharma Inc c Canada (Santé), 2012 CF 740 aux para 148-149). Comme on vient de le voir, la mise en œuvre de l’invention par le biais d’un système personnel de communication n’est qu’une réalisation préférentielle du Brevet 598. Par conséquent, je suis aussi d’avis que les revendications 19 et 31 ne souffrent pas d’une portée excessive.

(5)  Insuffisance dans la divulgation

a)  Principes juridiques applicables

Le paragraphe 27(3) de la Loi prescrit ce que doit contenir le mémoire descriptif. Ce dernier doit notamment « décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur » et doit aussi, s’il s’agit d’un procédé, « expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions » (alinéas 27(3)a) et d) de la Loi).

Tel que j’en ai déjà fait état, le principe voulant que l’inventeur obtienne, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société est un principe fondamental qui sous-tend la Loi (Teva Canada au para 32).

[524]  Le critère de la suffisance de la divulgation peut se résumer comme suit :

Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l'invention. Afin d'être complète, celle-ci doit remplir deux conditions: l'invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie […] Le demandeur doit définir la nature de l'invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu'ambiguë alors qu'un manquement à la seconde l'invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l'art ou le domaine de l'invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation […], et d'utiliser l'invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l'inventeur, au moment de sa demande.

[Je souligne; références omises]

(Pioneer HiBred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623 à la p 1638; voir aussi : Teva Canada au para 51)

[525]  Pour déterminer si les exigences de divulgation sont respectées, il faut d’abord définir la nature de l’invention que vise le brevet en cause (Teva Canada au para 53). C’est à partir du mémoire descriptif, et non pas des seules revendications, que la Cour détermine si le brevet satisfait aux exigences de divulgation (Teva Canada au para 69; paragraphe 27(3) de la Loi). Toujours en ayant en tête le principe de la primauté des revendications, le mémoire descriptif doit, aux fins de la suffisance de la divulgation, définir la « portée exacte et précise » du privilège revendiqué, de sorte que le public puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif à l’esprit, utiliser l’invention de la même façon que l’inventeur (Teva Canada au para 70). C’est du point de vue de la personne versée dans l’art que le mémoire descriptif est jugé suffisant ou non (Teva Canada au para 79).

[526]  Enfin, la divulgation serait insuffisante si la personne versée dans l’art doit entreprendre un « grand projet de recherche » pour réaliser l’invention (Bombardier CF au para 568).

[527]  Les défendeurs allèguent l’insuffisance de la divulgation des deux brevets en cause.

b)  Le Brevet 794

[528]  Dans leurs représentations écrites, les défendeurs formulent leurs prétentions relatives à l’insuffisance de la Divulgation 794 dans la section intitulée « Manque d’utilité/insuffisance de la description/portée excessive », sans distinguer toutefois chacun des motifs d’invalidité.

[529]  Si je comprends bien leur position, les défendeurs plaident que la Divulgation 794 est insuffisante parce qu’elle ne donne aucune précision quant à la façon d’accéder aux systèmes ou aux serveurs où sont localisées les données additionnelles, lesquels sont protégés par des « firewalls » et ne parlent pas tous le même langage informatique. Il est donc « peu probable », selon eux, que la PVA aurait pu réaliser l’invention décrite dans le Brevet 794 et atteindre l’objectif énoncé par le demandeur dans ledit brevet.

[530]  Les défendeurs mettent en évidence les admissions de M. Thilloy suivant lesquelles la PVA aurait eu des difficultés en lien avec l’incorporation des protocoles d’échanges dans le système décrit au Brevet 794, les questions de sécurité et la montée en charge de l’architecture proposée par ledit brevet. Ils soulignent aussi que M. Thilloy était d’accord que sa PVA n’aurait pas été en mesure de concrétiser un système similaire au DSQ dans son ensemble ou même limité à la portion dudit système relative aux échanges de données.

[531]  Au chapitre de la capacité de la PVA à réaliser l’invention, comme je l’ai déjà souligné, M. April a reconnu lui-même que, malgré la possibilité de rencontrer des problèmes de croissances liés à l’augmentation du volume de données à gérer, l’invention du Brevet 794 était réalisable (Transcriptions, 1er juin 2018, aux pp 149-150).

[532]  Quant aux admissions de M. Thilloy, il est vrai qu’il a concédé que le Brevet 794 ne faisait pas mention d’un protocole d’échange de données alors qu’il a lui-même qualifié cela d’élément essentiel au brevet (Transcriptions, 30 mai 2018, aux pp 45-46; Transcriptions, 5 juin 2018, à la p 35). M. Thilloy a également admis que des précisions relatives à la sécurité manquaient à la Divulgation 794 (Transcriptions, 5 juin 2018, à la p 35).

[533]  En revanche, M. Thilloy a bien précisé que l’absence d’une mention de protocoles de données ou des précisions relatives à la sécurité n’aurait pas eu pour effet d’empêcher la réalisation du Brevet 794, au motif que cette absence de mention ou de précisions donnait à la PVA le choix d’opter pour l’un ou l’autre des différents protocoles d’échanges disponibles alors sur le marché (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 33-34). Comme je l’ai indiqué par ailleurs, sur la base du témoignage des deux experts, la PVA aurait été très familière avec les protocoles d’échange de données dits « ouverts », soit les protocoles commerciaux DICOM et HL7.

[534]  Par ailleurs, quoique M. Thilloy ait indiqué dans son contre-interrogatoire qu’il fallait « penser à cette montée en charge quand on élargira la portée du système en termes de patients, donc en termes d’utilisateurs » (Transcriptions, 5 juin 2018, à la p 67), il n’a jamais concédé que cela était fatal à la réalisation de l’invention à partir de la Divulgation 794.

[535]  Enfin, les défendeurs ont raison de dire que M. Thilloy a souscrit à leur thèse selon laquelle la PVA n’aurait pas pu concevoir le DSQ à partir de la Divulgation 794 (Transcriptions, 5 juin 2018, aux pp 38-39, 52). Toutefois, l’analyse de l’insuffisance vise à évaluer si la PVA, en n’ayant que le mémoire descriptif en tête, aurait pu utiliser, avec le même succès que l’inventeur, l’invention, et non pas un présumé objet contrefacteur (Teva Canada aux para 50, 79).

[536]  Pour ces raisons, je suis d’avis que les défendeurs n’ont pas réussi à établir que la Divulgation 794 était insuffisante.

c)  Le Brevet 598

[537]  Les défendeurs allèguent que le seul mode de réalisation décrit au Brevet 598 concerne une mise à jour automatique d’un nœud vers un autre, lequel mode de réalisation n’est applicable qu’aux cellulaires. Ils prétendent à l’insuffisance de la Divulgation 598 au motif qu’aucun détail sur les applications à inclure sur le cellulaire, sur les types de protocoles à utiliser entre les compagnies de télécommunications et les appareils ainsi que sur la façon dont la sécurité doit être gérée n’est décrit dans la divulgation. Ainsi, poursuivent-ils, la PVA n’aurait pas pu mettre en place le système de mise à jour automatique envisagé par le Brevet 598 en se fondant sur la divulgation qu’on y retrouve.

[538]  Plus particulièrement, M. April soutient que les étapes de la méthode de la mise à jour envisagée par le Brevet 598, à savoir (i) la transmission de l’information de mise à jour du second nœud au premier par la méthode de type « push », (ii) la réception de la mise à jour au premier nœud, et (iii) la création d’un nouvel item aux sommaires hébergés au premier nœud, ne sont présentées ou expliquées dans la partie « Detailed Description » de la Divulgation 598 (Rapport April, 9 mars 2018, au para 270).

[539]  En réplique, M. Thilloy soutient que cette conclusion est contradictoire, car M. April prétend à l’évidence de la revendication 1 et, subsidiairement, plaide que cette même revendication ne pourrait être réalisée par la PVA. Il renvoie aux pages 9-11e et 35-38 de la Divulgation 598 pour démontrer que ces étapes y sont décrites de manière adéquate (Rapport Thilloy, 9 avril 2018, aux para 250, 253).

[540]  J’estime que le prisme analytique à travers lequel les défendeurs présentent ce motif d’invalidité est problématique. En effet, ils allèguent que, puisqu’un mode de réalisation du Brevet 598 n’est applicable qu’aux téléphones cellulaires, la Divulgation 598 est insuffisante. Cependant, l’analyse de l’insuffisance de la divulgation doit porter sur l’invention et non pas sur une de ses réalisations préférentielles. En effet, la PVA doit pouvoir « en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande » [Je souligne] (Teva Canada au para 50, citant Consolboard Inc).

[541]  D’ailleurs, je rappelle que le breveté n’a pas à décrire toutes les réalisations préférentielles de l’invention revendiquée dans la section portant sur la description de celles-ci (Bombardier CAF au para 54).

[542]  Je considère également non-fondé l’argument selon lequel la méthode de mise à jour ne serait pas décrite dans la Divulgation 598 puisqu’on en retrouve une description aux pages 11a et 11b de ladite divulgation :

As embodied and broadly described herein, the invention provides a method for performing automatic updates of summary medical information for a first patient, residing at a first node of a data network when new medical information for the first patient is recorded at a second node of the data network, the first node being configured for receiving data from the second node over a communication path linking the first and second nodes […]

the method including:

(iii) pushing to the first node a medical information update when new medical information about the first patient is recorded at the second node, including processing the new medical information to derive update data and initiating at the second node a data transmission to the first node, the data transmission conveying to the first node the update data;

(iv) receiving at the first node the update data sent by the second node;

(v) creating at the first node a new information item based on the update data.

Le fait que la description de la méthode de mise à jour ne se trouve pas dans la section « Detailed Description » de la Divulgation 598 n’a aucun impact, car l’analyse de l’insuffisance dans la divulgation doit se fait à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif (Teva Canada au para 69).

[543]  En l’espèce, les défendeurs ne m’ont pas convaincu que la Divulgation 598 était insuffisante au point de ne pas permettre à la PVA de réaliser l’invention qui y est envisagée à partir des seules instructions contenues dans ladite divulgation.

[544]  J’en conclus que tant la Divulgation 794 que la Divulgation 598 sont suffisantes.

D.  Le droit à un dédommagement

[545]  En sa qualité de titulaire des Brevets 794 et 598, seul le demandeur avait le droit, la faculté et le privilège de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de ses deux inventions.

[546]  Comme j’en suis venu à la conclusion que les revendications litigieuses de ces deux brevets ont été contrefaites et que la très grande majorité d’entre elles sont valides, le demandeur me demande de déclarer qu’il a droit, des suites de cette violation, à l’octroi de dommages‑intérêts ou à une restitution des bénéfices. Il me demande de déclarer qu’il a aussi droit au paiement d’une indemnité raisonnable au sens du paragraphe 55(2) de la Loi en lien avec la violation du Brevet 598.

[547]  Suivant le paragraphe 55(1) de la Loi, quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet. Il me semble donc acquis que le demandeur a le droit d’être dédommagé par les défendeurs, du fait de la violation, par ces derniers, des brevets en cause.

[548]  Quant au paragraphe 55(2) de la Loi, il reconnaît au breveté un droit à une indemnité raisonnable à l’encontre de « quiconque accomplit un acte [lui] faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 de la Loi et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible ». En l’espèce, je le rappelle, le Brevet 598 est devenu accessible le 13 décembre 2000 et il a été octroyé le 24 février 2015.

[549]  À première vue, le demandeur semble aussi avoir droit au versement de l’indemnité raisonnable envisagée par le paragraphe 55(2) de la Loi. Aucune représentation à l’effet contraire ne m’a été soumise.

[550]  Dans l’un et l’autre cas, la détermination du quantum des sommes que cela représente se fera au terme d’un exercice séparé, vu l’ordonnance scindant la présente instance en deux volets, celui de la responsabilité et celui des dommages.

[551]  L’action du demandeur sera donc accueillie, en partie. Vu ce résultat, le demandeur réclame les dépens. Toutefois, à la demande des parties, je vais réserver jugement sur cette question et leur donner 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et jugement pour me présenter des observations écrites à ce sujet.

[552]  Bien que les procédures écrites du demandeur aient été produites en anglais, les parties se sont dites d’accord, au procès, pour que le présent jugement soit rédigé, et d’abord émis, en français. Je souligne, à cet égard, que tout le procès s’est déroulé dans cette langue, y compris le témoignage du demandeur et les interventions et représentations faites en son nom par ses procureurs.


JUGEMENT au dossier T-975-16

LA COUR :

  1. ACCUEILLE en partie l’action du demandeur;
  2. DÉCLARE que les défendeurs ont contrefait aux revendications 1 à 8 du Brevet 2,233,794 dans la mesure décrite au paragraphe 317 des présents motifs;
  3. DÉCLARE valides les revendications 1 à 8 du Brevet 2,233,794;
  4. DÉCLARE que les défendeurs ont contrefait aux revendications 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 31, 33 à 36 et 39 à 42 du Brevet 2,329,598 dans la mesure décrite au paragraphe 379 des présents motifs;
  5. DÉCLARE valides les revendications 1, 2, 4, 9, 10, 13 à 16, 18 à 22, 28 à 30, 41 et 42 du Brevet 2,329,598;
  6. DÉCLARE invalides, pour cause d’évidence, les revendications 31, 33 à 36, 39 et 40 du Brevet 2,329,598 et, sans conséquence, du même coup, la contrefaçon desdites revendications eu égard aux droits et obligations des défendeurs en l’instance;
  7. DÉCLARE que le demandeur a droit à l’octroi de dommages et intérêts ou à la restitution de bénéfices comme conséquence de la violation, par les défendeurs, du Brevet 2,233,794 et du Brevet 2,329,598;
  8. DÉCLARE que le demandeur a droit, suivant le paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, au paiement d’une indemnité raisonnable en lien avec la contrefaçon du Brevet 2,329,598 pour la période précédant l’émission dudit Brevet;
  9. RÉSERVE jugement sur les dépens, les parties étant requises de présenter des observations écrites relativement à cette question dans les 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et jugement.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-975-16

 

INTITULÉ :

LUC BESSETTE c PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC ET RÉGIE DE L'ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mai 2018, 29 mai 2018, 30 mai 2018, 31 mai 2018, 1 juin 2018, 4 juin 2018, 5 juin 2018, 7 juin 2018, 8 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS publics :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

François Guay

Jean-Sébastien Dupont

Camille Lachance-Gaboury

 

Pour le demandeur

 

Lizann Demers

Francis Durocher

 

Pour lA défenderesse, lA procureure générale du Québec

 

 

Bob H. Sotiriadis

Jason Moscovici

POUR LE PROCÈs, représentant les deUx défenderesses, la Procureure générale du Québec et la régie de l’assurance maladie du Québec

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

Pour le DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice du Québec

Montréal (Québec)

Pour lA défenderesse, lA procureure générale du Québec

 

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LES défenderesses, la Procureure générale du Québec et la régie de l’assurance maladie du Québec

 

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