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Dossier : T-199-18

Référence : 2019 CF 396

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2019

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

BON APPETIT DANISH, INC. et

BON APPETIT DISTRIBUTION, INC.

demanderesses

et

2168587 ONTARIO LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande visant à faire radier la marque de commerce déposée de la défenderesse en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T­13 (la Loi).

[2]  En résumé, les deux parties sont des fabricants et des distributeurs de produits de boulangerie‑pâtisserie emballés, qui sont généralement vendus dans les dépanneurs. Les demanderesses prétendent que la marque déposée BON APPÉ GOURMET et Dessin de la défenderesse crée de la confusion avec la marque de commerce non déposée BON APPETIT, qui était employée au Canada avant la demande d’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse.

[3]  Les demanderesses soutiennent également que la défenderesse a « abandonné » sa marque en utilisant une variante de cette dernière, qui ne reproduit pas les principales caractéristiques de la marque de commerce déposée.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande est rejetée.

II.  CONTEXTE FACTUEL

[5]  Voici les marques de commerce concurrentes figurant sur l’emballage des produits, qui portent prétendument à confusion :

[6]  Les demanderesses emploient sur leurs produits les mots servant de marque BON APPETIT, qui se trouvent sur la gauche, en liaison avec un dessin de plateau (ou des variantes de ce dessin). La marque de commerce déposée de la défenderesse, qui est présentée à droite, figure sur les produits de cette dernière.

[7]  Les demanderesses (collectivement appelées « Bon Appetit ») sont Bon Appetit Danish, Inc. (Danish) et Bon Appetit Distribution, Inc. (Distribution). Danish, une société californienne qui fabrique des produits de boulangerie‑pâtisserie emballés, est propriétaire de la marque BON APPETIT. Distribution, qui est détenue et gérée par les mêmes propriétaires que Danish, est une société du Nevada spécialisée dans la vente de produits de boulangerie‑pâtisserie emballés.

[8]  La défenderesse, qui est propriétaire de la marque déposée BON APPÉ GOURMET, 2168587 Ontario Ltd. (Upper Crust), est une société ontarienne qui exerce ses activités sous le nom d’Upper Crust. Upper Crust fabrique des produits de boulangerie‑pâtisserie emballés et les vend au même niveau du circuit de distribution que les demanderesses, soit dans les dépanneurs, en règle générale.

[9]  Premièrement, les demanderesses veulent d’abord et avant tout mettre l’accent sur le fait que l’emploi projeté de la marque de la défenderesse crée de la confusion avec la marque BON APPETIT. Deuxièmement, les demanderesses contestent l’utilisation des variantes de la marque de la défenderesse puisque selon elles, cela démontre qu’Upper Crust a abandonné l’emploi de la marque déposée BON APPÉ GOURMET.

[10]  Les motifs invoqués pour justifier la radiation sont les suivants : i) Upper Crust n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement; ii) la marque déposée n’est pas distinctive des produits d’Upper Crust; iii) Upper Crust a abandonné la marque déposée.

A.  Emploi de la marque BON APPETIT

[11]  Bon Appetit emploie la marque BON APPETIT aux États‑Unis depuis le milieu des années 1980. La société a enregistré les mots servant de marque BON APPETIT aux États‑Unis dans les années 1990. Danish est propriétaire de la marque BON APPETIT, et Distribution est le seul titulaire de licence autorisé à utiliser cette marque.

[12]  Les demanderesses ont employé de façon continue la marque BON APPETIT pour vendre des produits de boulangerie‑pâtisserie au Canada depuis le 23 septembre 2008 au moins. Les marchandises associées à cette marque comprennent des danoises, des gâteaux, des muffins, des beignets et des biscuits. La demande d’enregistrement de la marque de commerce canadienne, qui a été déposée le 11 avril 2016 par les demanderesses à l’égard des mots servant de marque BON APPETIT, a été contestée par la défenderesse et est toujours en instance.

[13]  Bon Appetit est propriétaire du nom de domaine du site Web www.bonappetitbakery.com et fait l’annonce de ses produits sur son site Web depuis 1999 au moins.

[14]  Tout comme les produits Upper Crust, les produits Bon Appetit se vendent dans les dépanneurs et autres points de vente au détail au Canada, et les produits respectifs de chaque partie sont destinés aux clients des dépanneurs et à d’autres clients « très occupés ». Le prix de chaque article est d’environ 3 $.

[15]  Cette description des clients est généralement acceptée par les deux parties et correspond au profil du « consommateur pressé », dont il sera question plus loin lors de l’analyse de la confusion.

[16]  Les demanderesses ont présenté une preuve établissant que depuis 2008, des produits de boulangerie‑pâtisserie Bon Appetit sont vendus dans différents points de vente au Canada, tels que 7‑Eleven, CO‑OP et autres magasins semblables, avec la marque BON APPETIT figurant sur l’emballage. Avant le 3 décembre 2009, Bon Appetit avait vendu pour 904 000 $ US de produits au Canada. Ce chiffre d’affaires, tout comme les coûts qui s’y rattachent, ne présente pas vraiment de problème, et il ne fait aucun doute que Bon Appetit a fait de la publicité au Canada auprès des distributeurs, des détaillants et des clients finaux.

[17]  Bon Appetit a associé sa marque à différents noms commerciaux sur ses emballages et dans son matériel publicitaire, tels que « Bon Appetit Gourmet Pastry Company », « Bon Appetit Bakery » et « Bon Appetit Pastry », pour ne nommer que ceux‑là.

[18]  Entre le 3 décembre 2009 et le 31 décembre 2017, Bon Appetit a réalisé des ventes totalisant environ 20 millions de dollars. Bon Appetit vend actuellement ses produits dans 4 000 à 5 000 points de vente au détail au Canada.

B.  Emploi et enregistrement de la marque BON APPÉ GOURMET et Dessin

[19]  Le 3 décembre 2009, la défenderesse a déposé la demande de marque de commerce canadienne no 1461500 en liaison avec la marque BON APPÉ GOURMET et Dessin, sur le fondement d’un emploi projeté. Le dessin‑ marque contient les lettres « BA », alors que celles‑ci ne figurent pas dans la référence descriptive, bien que la rubrique indique « BON APPÉ GOURMET BA ». La demande a été accordée le 8 avril 2011. Aucune opposition n’a été formulée à l’encontre de cette dernière, bien que les demanderesses et leur marque fussent présentes sur le marché canadien depuis septembre 2008 au moins.

[20]  Afin de procéder à l’enregistrement de la marque, la défenderesse était tenue de produire une déclaration d’emploi indiquant la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois au Canada. La défenderesse a obtenu six (6) prorogations de délai (de six mois chacune) auprès du registraire des marques de commerce (le registraire) avant de déposer sa déclaration d’emploi le 21 octobre 2015.

[21]  Pour chacune de ces prorogations de délai accordées par le registraire, la défenderesse a produit une déclaration dans laquelle elle précisait ne pas avoir employé la marque de commerce. Selon la preuve par affidavit de la défenderesse, celle‑ci avait, en fait, employé la marque sur certains de ses produits depuis 2013. Par conséquent, les déclarations faites au registraire pour obtenir les prorogations étaient trompeuses, ce qu’a reconnu son avocat. Les conséquences seront examinées plus loin.

[22]  Le véritable enregistrement du dessin‑marque [la marque déposée] a été délivré le 4 novembre 2015.

[23]  La défenderesse a employé pour la première fois la marque ou des variantes de cette dernière au cours de l’année 2013, lorsqu’elle a commencé à vendre certains de ses produits de boulangerie‑pâtisserie par l’entremise de son titulaire de licence, Fiera Foods. Entre 2013 et 2017, Upper Crust et Fiera Foods ont vendu pour environ 19 millions de dollars de produits de boulangerie‑pâtisserie visés par la marque déposée ou ses variantes.

[24]  La défenderesse a continuellement employé la marque déposée ou ses variantes par la suite et n’a à aucun moment manifesté l’intention d’abandonner cette dernière. Les variantes de la marque conservent en gros le même dessin et la même forme, de même que les mots « BA BON APPÉ », sauf que la police et la taille des caractères ont été modifiées. La variante actuelle n’inclut plus le mot « GOURMET ».

C.  Marques similaires/coexistence

[25]  Il est intéressant de constater qu’avant 2017, aucune des parties n’était au courant de l’existence de l’autre ou des marques de commerce qu’elles utilisaient respectivement. Il n’y a aucune preuve que les consommateurs se sont plaints de la similitude de leurs marques ni qu’il y a eu confusion avec ou entre leurs marques respectives. Cette absence de preuve de confusion est frappante, étant donné que les enquêteurs privés des demanderesses ont trouvé dans plusieurs villes des magasins où les produits des deux parties étaient vendus à proximité immédiate.

[26]  L’expression « bon appétit » est communément admise comme un toast ou un salut exprimant l’espoir que la personne aimera ce qu’elle s’apprête à manger [voir, par exemple, Katherine Barber, Canadian Oxford Dictionary, Toronto (Ontario), Oxford University Press Canada, 1998, sous « bon appétit »].

[27]  Au Canada, plusieurs tiers détiennent des enregistrements de marque de commerce utilisant les mots « BON APPETIT » en liaison avec des produits alimentaires, allant des épices et des assaisonnements au poisson en conserve, aussi bien qu’avec des magazines traitant d’alimentation. Rien n’indique que l’un ou l’autre de ces emplois ait entraîné de la confusion entre les marques ou les produits des parties, et plusieurs de ces marques ont coexisté sur le marché avant 2009 et pendant toute la période visée par la présente affaire.

[28]  Il n’existe aucun conflit réel au sujet de ces faits, et nul besoin d’énumérer ici les nombreuses utilisations faites de BON APPETIT en liaison avec des produits alimentaires, lesquelles ont été décrites en détail par la défenderesse dans sa preuve et ses observations.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[29]  La principale question à trancher est de savoir si, pour l’application des alinéas 18(1)b) ou d) de la Loi, il existe une probabilité raisonnable de confusion entre la marque BON APPETIT et la marque déposée BON APPÉ. En lien avec cette question, il convient également de déterminer :

[30]  Dans ses conclusions finales, la défenderesse n’a pas contesté le fait que Bon Appetit avait qualité pour agir et présenter la présente demande à titre de « personne intéressée », en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi.

[31]  Les demanderesses ont soutenu que la défenderesse n’avait pas le droit d’enregistrer sa marque de commerce aux termes de l’alinéa 18(1)d), tandis que la défenderesse a affirmé que la question consistait plutôt ici à déterminer si la marque déposée était enregistrable ou non comme le prévoit l’alinéa 18(1)a) de la Loi. Aucune des parties n’a présenté d’argument particulier concernant l’alinéa 18(1)a), celles‑ci ayant choisi de se concentrer sur le caractère distinctif de la marque des demanderesses, la probabilité de confusion et la question de l’abandon de la marque déposée.

IV.  ANALYSE

A.  Préliminaire

[32]  Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[…]

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[…]

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[…]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[…]

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

18 (1) The registration of a trade-mark is invalid if

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

c) la marque de commerce a été abandonnée;

(c) the trade-mark has been abandoned;

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement;

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration;

[33]  Dans leur argumentation écrite et orale, les demanderesses ont mis en doute la crédibilité de M. Gelbloom, avocat général et déposant principal de la défenderesse. Leurs allégations étaient fondées sur le fait que M. Gelbloom s’appuyait sur des croyances et des ouï‑dire, sans en indiquer la source, de même que sur le fait que lors du contre‑interrogatoire, ce dernier a répondu avoir une [traduction« connaissance directe » d’une affaire alors qu’il se renseignait sur celle‑ci auprès d’autres sources.

[34]  La Cour ne retire rien de ce débat. Il est possible que la preuve présente certaines lacunes sur le plan technique, mais les demanderesses auraient pu obtenir des renseignements sur les sources. M. Gelbloom a témoigné en grande partie comme l’aurait fait le dirigeant d’une société – comme l’a fait M. Lane, le principal témoin des demanderesses. La compréhension qu’a M. Gelbloom de la notion de « connaissance directe » doit être considérée en tenant compte de son rôle dans la société, quoiqu’il s’agisse là d’une explication bien mal formulée.

B.  Caractère distinctif de la marque BON APPETIT

[35]  La question générale du caractère distinctif, en particulier en ce qui concerne la marque BON APPETIT, est abordée dans l’analyse sur la confusion. Toutefois, la défenderesse a présenté un argument distinct selon lequel la marque BON APPETIT n’est ni distinctive ni opposable, étant donné que les demanderesses ont vendu leurs produits en les associant à des noms commerciaux légèrement différents. Cette position n’est pas viable.

[36]  Comme la demande d’enregistrement de la marque de commerce des demanderesses est en instance et que la principale question à trancher en l’espèce porte sur la probabilité de confusion, il n’est pas nécessaire que la Cour se penche longuement sur cette question.

[37]  La position de la défenderesse est que la marque BON APPETIT n’est pas distinctive, étant donné que les demanderesses ont vendu leurs produits en les associant à des noms commerciaux différents et donc, à partir de sources différentes.

[38]  La défenderesse n’invoque aucune disposition législative pertinente pour soutenir ses allégations, et les faits n’étayent pas ces dernières. Les différentes sources ont toutes des noms similaires – tout comme la défenderesse considère avoir elle‑même le droit d’utiliser des variantes de sa marque déposée. La défenderesse ne peut obtenir gain de cause sur cette question. Elle n’a cité aucun précédent à l’appui de la proposition selon laquelle une marque de commerce est inopposable si le propriétaire fait la promotion de ses produits en liaison avec la marque de commerce, en utilisant des noms légèrement différents de sa dénomination sociale officielle.

[39]  En outre, rien ne prouve que quelqu’un d’autre que les demanderesses a utilisé la marque BON APPETIT. Il n’existe aucune preuve que les produits vendus sous des noms tels que « Bon Appetit Gourmet Pastry », « Bon Appetit Bakery » ou « Bon Appetit Pastry » provenaient d’une autre source. Les « différentes sources » prétendument utilisées par les demanderesses ont des noms très similaires; tous les exemples donnés sauf un commencent par « Bon Appetit ». Le nom « Bon Appetit Bakery » figure invariablement sur l’emballage des produits de boulangerie‑pâtisserie utilisé actuellement. Les utilisateurs finaux reconnaîtraient le produit des demanderesses grâce à l’emballage, qui affiche systématiquement le nom commercial « Bon Appetit Bakery », en liaison avec la marque BON APPETIT.

C.  Probabilité raisonnable de confusion

[40]  La probabilité de confusion est un facteur pertinent dans l’analyse de l’invalidité, tant en vertu de l’alinéa 18(1)b) que de l’alinéa 18(1)d) de la Loi, et les parties ont combiné leurs arguments pour ces deux motifs d’invalidité. Cependant, les deux dispositions présentent un élément temporel différent. L’alinéa 18(1)b) concerne le caractère distinctif de la marque déposée à la date où les procédures sont entamées (le 1er février 2018), tandis que l’alinéa 18(1)d) vise à déterminer si la défenderesse était en droit d’enregistrer la marque à la date du dépôt de la demande (le 3 décembre 2009).

[41]  La marque de la défenderesse pourrait être radiée si les demanderesses parvenaient à démontrer l’existence d’une probabilité de confusion le 3 décembre 2009 ou le 1er février 2018.

[42]  La preuve des demanderesses porte principalement sur l’emploi de la marque BON APPETIT au Canada avant le 3 décembre 2009 [alinéa 18(1)d)], et la probabilité de confusion sera examinée dans ce contexte. L’absence de preuve d’une confusion réelle s’inscrit plus adéquatement dans le cadre d’un examen fondé sur l’alinéa 18(1)b).

[43]  Quoi qu’il en soit, le critère relatif à la confusion consiste à déterminer si, à la vue de la marque de la défenderesse, le consommateur ordinaire plutôt pressé, qui n’a qu’un vague souvenir de la marque BON APPETIT, serait susceptible de penser que les produits de la défenderesse proviennent de la même source que les produits de Bon Appetit [voir Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, au paragraphe 40, [2011] 2 RCS 387 (Masterpiece); la Loi, paragraphe 6(2)].

[44]  La Cour doit se demander s’il y a confusion sur le marché pertinent, qui comprend le consommateur final ordinaire, client de magasins comme les 7‑Eleven, tel qu’il a été expliqué précédemment, de même que les distributeurs et les détaillants des produits de boulangerie‑pâtisserie en question. Le principal point de vue considéré sera celui du consommateur final de ces produits de boulangerie‑pâtisserie, puisque ce dernier sera probablement plus susceptible de se méprendre en raison des souvenirs imparfaits qu’il garde des marques, tel qu’il a été examiné dans la décision Gemological Institute of America Inc c Gemology Headquarters International LLC, 2014 CF 1153, au paragraphe 119, 247 ACWS (3d) 663.

[45]  La Cour doit également tenir compte de la confusion entre la marque déposée et chacune des marques des demanderesses, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 45. En l’espèce, bien que les demanderesses ne l’aient pas clairement dit, il y a les mots servant de marque BON APPETIT et le dessin‑marque qui y est associé, qui sont utilisés sur les emballages de Bon Appetit et sur leur site Web.

[46]  J’estime que les demanderesses ont démontré qu’elles utilisent les deux marques au Canada depuis 2008. Le dessin‑marque BON APPETIT ou ses variantes figurent sur les produits de Bon Appetit depuis 2008. Dans une moindre mesure, les demanderesses ont démontré qu’elles utilisent les mots servant de marque BON APPETIT séparément du dessin‑marque dans leurs publicités et sur leur site Web. Par conséquent, la Cour examinera la probabilité de confusion entre chaque marque et la marque déposée.

[47]  Le paragraphe 6(5) de la Loi établit une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération lors de l’évaluation de la probabilité de confusion :

[48]  Comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 49, le degré de ressemblance dont il est question à l’alinéa 6(5)e) est habituellement le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion.

[49]  Le poids accordé aux différents facteurs peut varier lors de l’évaluation de la probabilité de confusion.

(1)  Le degré de ressemblance

[50]  Le degré de ressemblance doit être apprécié dans son ensemble et non en séparant la marque en divers éléments (voir Battle Pharmaceuticals c British Drug Houses Ltd, [1944] 4 DLR 577, à 586, [1944] Ex CR 239). Ce serait une erreur que de mettre l’accent uniquement sur les aspects les plus semblables de chacune des marques.

[51]  Visuellement, la marque de la défenderesse ne ressemble pas beaucoup au dessin‑marque BON APPETIT (se référer au paragraphe 5 pour voir les deux côte à côte). La marque de la défenderesse est un dessin composé d’un ruban sur un ovale à bord festonné contenant les mots « BA BON APPÉ GOURMET ». La marque de la défenderesse est un dessin‑marque déposé, qui ne peut pas être évalué en tenant compte uniquement des mots qui y sont employés. Toute évaluation réalisée doit reposer sur son « aspect » global.

[52]  La marque BON APPETIT comporte les mots « Bon Appetit » écrits dans un angle de 45° (plus ou moins) sur le couvercle d’un plateau de service habituellement de couleur rouge.

[53]  Le dessin de la marque de la défenderesse ne ressemble pas visuellement au dessin‑marque BON APPETIT, tel qu’il figure sur l’emballage.

[54]  Dans l’ensemble, la marque de la défenderesse ne ressemble pas beaucoup non plus, sur le plan visuel, aux mots servant de marque BON APPETIT. La marque de la défenderesse comporte plusieurs autres éléments visuels, en plus des mots « BA BON APPÉ GOURMET ». Comme il est expliqué ci‑dessous, l’expression « Bon Appetit » ne revêt qu’un faible caractère distinctif. Même si cette expression représente la composante dominante de la marque des demanderesses, elle ne devrait se voir accorder qu’une protection restreinte [Venngo Inc c Concierge Connection Inc (Perkopolis), 2017 CAF 96, aux paragraphes 45 et 46, 279 ACWS (3d) 156 (Venngo)]. La Cour accorde peu de poids aux similitudes entre « BON APPETIT » et « BA BON APPÉ GOURMET », étant donné l’absence de caractère distinctif de l’expression « Bon Appetit ».

[55]  Sur le plan sonore, les mots des deux marques ont une sonorité semblable au début, mais se terminent très différemment. Bon Appé est un mot inventé sans autre usage, alors que Bon Appetit est une forme de salut en français, qui est souvent utilisée en anglais et pour laquelle des toasts semblables existent dans la plupart des langues.

[56]  L’argument de la défenderesse selon lequel le son « BA » différencie également les marques est hors de propos. La demande d’enregistrement de la défenderesse n’incluait pas les lettres « BA » dans sa description.

[57]  Les idées que les marques suggèrent ne sont que vaguement similaires, en ce sens qu’elles évoquent toutes deux un service de nourriture. Compte tenu de la nature suggestive et du faible caractère distinctif de l’expression « Bon Appetit », qui seront expliqués ci‑dessous, les idées suggérées par les marques ne permettent d’établir entre celles‑ci aucune ressemblance importante qui serait susceptible de créer de la confusion.

[58]  La ressemblance entre les deux marques est faible, bien que celles‑ci présentent certaines similitudes. Cela dit, les similitudes relevées ne sont pas suffisamment importantes pour empêcher de percevoir globalement les deux marques comme étant distinctes. Le degré de ressemblance ne permet pas de conclure à l’existence d’une probabilité de confusion, ce qui constitue un facteur important dans l’évaluation globale de la confusion.

(2)  Le caractère distinctif inhérent

[59]  Les mots servant de marque BON APPETIT ont un faible caractère distinctif. L’expression « Bon Appetit » évoque les produits des demanderesses, et d’autres commerçants l’utilisent couramment dans leurs noms commerciaux et leurs marques de commerce en association avec des produits et des services liés à l’alimentation. La défenderesse a démontré qu’il existe plusieurs marques de commerce liées à l’alimentation au Canada qui contiennent cette expression et qui se rapportent à un large éventail de produits, tels que le poisson en conserve et les pirojki emballés.

[60]  Bon Appetit est une expression suggestive associée à la consommation de nourriture, ce qui limite la protection à accorder aux mots « Bon Appetit » utilisés en liaison avec des produits alimentaires. J’attire l’attention sur le fait que la définition de « bon appétit » donnée dans le dictionnaire anglais cité en référence plus haut confirme plus avant la nature suggestive et générique de cette expression en anglais.

[61]  Dans l’arrêt Venngo, aux paragraphes 45 et 46, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’emploi d’un terme générique et suggestif – en l’occurrence « perks » – érode le caractère distinctif. Il en va de même en l’espèce, où la nature générique de l’expression BON APPETIT érode son caractère distinctif, ce qui fait que la marque n’a droit qu’à une protection restreinte.

[62]  Les mots servant de marque BON APPETIT n’ont pas acquis de caractère distinctif entre 2008 et le 3 décembre 2009. La preuve de la publicité et des ventes réalisées n’était pas suffisante pour démontrer que les mots servant de marque BON APPETIT avaient acquis un caractère distinctif important à l’égard de ce qui, autrement, constitue une expression générique. Peu d’éléments de preuve ont été présentés pour démontrer que la publicité permettait aux consommateurs de différencier efficacement les produits.

[63]  J’attire l’attention sur le fait que le plateau portant la mention BON APPETIT utilisé comme dessin‑marque sur l’emballage et dans le cadre des activités de promotion revêt probablement un certain caractère distinctif inhérent. Toutefois, étant donné qu’aucun des éléments du dessin de la marque ne ressemble à la marque de la défenderesse, il est moins important d’analyser le caractère distinctif du dessin‑marque, puisque les seules similitudes alléguées étaient entre les mots « Bon Appetit » et la marque de la défenderesse.

(3)  La période d’usage

[64]  Ce facteur est favorable aux demanderesses, à la fois parce que ces dernières ont utilisé leur marque bien avant que la défenderesse ne demande à enregistrer la sienne en 2009 et parce que la défenderesse a présenté des éléments de preuve douteux quant au premier emploi de sa marque, comme en témoignent ses échanges avec le registraire.

(4)  Le genre de produits et de services

[65]  Le fait que les produits et les canaux de distribution des parties se recoupent augmente indéniablement le risque de confusion. Peu d’éléments de preuve ont été présentés concernant le type de consommateurs et le processus de réflexion de ces derniers lors de l’achat des produits en question, mais comme l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 67, plus le montant à débourser est élevé, plus le consommateur sera enclin à prendre son temps pour bien examiner les marques. Les produits en question sont peu coûteux, ce qui suggère que les soins et l’attention portés lors de l’achat seront moindres. Aucune preuve de différences qualitatives (perçues ou autre) entre les produits n’a été produite pour montrer que l’une ou l’autre des parties pourrait compter sur la fidélité d’un groupe de consommateurs.

(5)  Les circonstances de l’espèce

[66]  Il n’y a aucune preuve de violation délibérée ou de confusion réelle. En fait, les parties n’ont pris connaissance de leurs marques respectives qu’en 2017.

(6)  La probabilité de confusion

[67]  J’ai conclu qu’en 2009, il n’existait aucune probabilité de confusion raisonnable entre les marques, au titre de l’alinéa 18(1)d). La marque BON APPETIT n’avait qu’un faible caractère distinctif à l’époque. Tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2003 CAF 297, au paragraphe 80, [2004] 2 RCF 241, confirmé par 2005 CSC 65, il existe une présomption de validité à l’égard d’une marque déposée; or, les demanderesses n’ont pas réussi à réfuter cette présomption et à prouver qu’un tel caractère distinctif a été acquis, ce qui aurait justifié de conclure à l’existence d’une probabilité de confusion raisonnable.

(7)  L’alinéa 18(1)b) – caractère distinctif à l’époque où sont entamées les procédures

[68]  Lorsque les procédures ont été entamées, le 1er février 2018, les seuls changements de circonstances importants observés depuis 2009 étaient a) le fait qu’environ neuf années de plus s’étaient écoulées pour permettre à la marque des demanderesses d’acquérir un caractère distinctif, cette période étant de cinq ans dans le cas de la marque de la défenderesse; b) le fait que pendant environ cinq ans, des preuves d’une confusion réelle auraient pu s’accumuler (alors que les deux parties étaient présentes sur le marché entre 2013 et 2018).

[69]  Mis à part les ventes et les publicités additionnelles réalisées (les ventes à elles seules ne suffisent pas), les demanderesses n’ont produit aucune preuve supplémentaire à l’appui du caractère distinctif acquis. De même, la défenderesse n’a pas démontré que sa marque avait acquis un caractère distinctif entre 2013 et 2018.

[70]  Rien ne démontre qu’il y a eu confusion réelle entre 2013 et 2018, malgré le fait que les parties se partageaient alors le même segment de marché.

[71]  Compte tenu du défaut de prouver l’existence d’une confusion réelle, la Cour conclut, comme le suggère l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, aux paragraphes 55 et 89, [2006] 1 RCS 772, qu’il n’existe pas non plus de probabilité de confusion raisonnable. Les parties se partageaient le même segment de marché, elles ont continué à faire de la publicité et des études de marché ont été réalisées; pourtant, aucune confusion réelle n’a été démontrée.

(8)  Abandon

[72]  Étant donné l’absence de preuve de non‑usage ou de l’intention d’abandonner, cet argument doit être rejeté. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59, à la page 64, 34 ACWS (3d) 833 (CAF), pour qu’il y ait abandon au titre de l’alinéa 18(1)c), le défendeur : 1) ne doit plus employer sa marque déposée au Canada; 2) doit avoir l’intention d’abandonner cette dernière. L’emploi par le défendeur de versions modifiées de sa marque, qui sont essentiellement les mêmes que la marque déposée et qui conservent les principales caractéristiques de cette dernière, est suffisant pour écarter l’idée que le défendeur envisageait de l’abandonner. En l’espèce, il n’y a aucune preuve de l’intention d’abandonner.

[73]  L’abandon visé à l’alinéa 18(1)c), qui autorise la Cour à déclarer qu’une marque a été abandonnée, est différent de la notion de non‑usage permettant au registraire de radier une marque, en application de l’article 45 de la Loi.

V.  DÉPENS

[74]  En temps normal, la défenderesse aurait droit à des dépens partie‑partie.

[75]  Il faut décourager la conduite qu’a adoptée la défenderesse auprès du bureau du registraire, en déposant de fausses déclarations pour obtenir une prorogation de délai. Le fait qu’il s’agisse d’une pratique courante des cabinets professionnels, lors de poursuites en matière de marques de commerce, n’est pas une raison valable pour sanctionner des déclarations inexactes. Bien que cette question ne soit pas déterminante en l’espèce, elle a joué un rôle dans la période visée par l’analyse du caractère distinctif et de l’usage.

[76]  Par conséquent, la défenderesse aura droit au montant des dépens habituellement adjugés, moins 50 % du montant total des dépens partie‑partie calculés selon la colonne III du tarif.

VI.  CONCLUSION

[77]  La présente demande est rejetée, le tout avec dépens, tel qu’il est précisé dans les motifs.


JUGEMENT dans le dossier T-199-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, le tout avec dépens, tel qu’il est précisé dans les présents motifs.

« Michael L. Phelan »

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de mai 2019.

Édith Malo, LL.B.



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