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Date : 20190128


Dossier : T-1304-17

Référence : 2019 CF 116

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

PAUL WILLIAMS faisant affaire sous le nom de IT ESSENTIALS

demandeur

et

CISCO SYSTEMS, INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision porte sur un appel introduit par le demandeur par voie de requête conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], contre l’ordonnance, datée du 22 octobre 2018, par laquelle la protonotaire Tabib [la protonotaire] a rejeté la requête du demandeur en autorisation de modifier sa déclaration [l’ordonnance de la protonotaire].

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente requête et l’appel interjeté par le demandeur sont rejetés, car j’ai conclu que l’ordonnance de la protonotaire ne comporte aucune erreur.

II.  Contexte

[3]  L’action sous-jacente a été introduite par le demandeur, Paul Williams, qui exerce ses activités sous le nom de IT Essentials [M. Williams], au moyen d’une déclaration présentée le 22 août 2017. Selon la déclaration, la défenderesse, Cisco Systems, Inc. [Cisco], avait violé les droits de M. Williams au titre des alinéas 7b) et 7c) et des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c T‑13 [la Loi], relativement aux marques de commerce IT ESSENTIALS et IT ESSENTIALS TRUSTED STRATEGIC IT PARTNER, enregistrées au nom de M. Williams et portant respectivement les numéros LMC938047 et LMC938038.

[4]  Cisco a présenté une requête en radiation de la déclaration, que la protonotaire a entendue à titre de juge responsable de la gestion de l’instance le 4 avril 2018, en même temps que la requête présentée par M. Williams visant à obliger Cisco à fournir un affidavit de documents. Au moyen d’une ordonnance datée du 5 avril 2018, la protonotaire a radié la déclaration dans son intégralité au motif que le demandeur n’avait pas plaidé suffisamment de faits substantiels pour fonder une cause d’action en vertu de la Loi, mais elle a autorisé M. Williams à présenter une requête en modification de son acte de procédure jusqu’au 4 juin 2018.

[5]  M. Williams a présenté le 4 juin 2018 une requête en autorisation de modifier sa déclaration, accompagnée d’une proposition de déclaration modifiée. Ce nouvel acte de procédure ajoutait une prétention au titre de l’alinéa 7d) de la Loi, selon laquelle Cisco avait employé, en liaison avec les services offerts par M. Williams, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde l’origine géographique des services. Il ajoutait aussi une prétention fondée sur l’article 19 de la Loi. Autrement, les principales modifications importantes consistaient en l’ajout des paragraphes 7 et 8 suivants :

[TRADUCTION]

7.  Plus précisément, le demandeur affirme que la défenderesse :

1.  aux environs de juin 2014, sans l’autorisation du demandeur et dans des circonstances qu’elle connaît, a agi de manière à remplacer sur l’inscription d’établissement local faite par le demandeur, avec l’accord de Google Inc., un lien vers les services offerts par le demandeur, à savoir www.itessentials.ca, par un lien vers les services qu’elle offre, à savoir www.netacad.com, et a donc contrevenu aux alinéas 7b) et 7c) de la Loi sur les marques de commerce;

2.  aux environs de juin 2014, sans l’autorisation du demandeur et dans des circonstances que la défenderesse connaît, a agi de manière à changer, avec l’accord de Google Inc., d’endroit une épingle de localisation d’inscription d’établissement local placée par le demandeur, et ce, dans l’intention de faire croire aux consommateurs des services offerts par le demandeur que l’entreprise de ce dernier était située sur le territoire du Nunavut, et a donc contrevenu aux alinéas 7b), 7c) et 7d) de la Loi sur les marques de commerce;

3.  à partir d’une date qu’elle connaît, sans l’autorisation du demandeur, a acheté des droits relatifs à un index de mots-clés et des services de publicité auprès de Google Inc. et d’autres fournisseurs de services de moteurs de recherche sur Internet, achats dont elle connaît les détails, a ainsi contrevenu aux alinéas 7b) et 7c) de la Loi sur les marques de commerce;

4.  et la conduite de la défenderesse décrite aux sous-alinéas précédents s’est poursuivie et, après l’enregistrement des marques de commerce de IT ESSENTIALS par le demandeur en vertu de la Loi, qui constitue une usurpation des MARQUES IT ESSENTIALS au sens de l’article 20 de la Loi; la défenderesse a donc violé les droits du demandeur conférés par l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce;

5.  aux environs de 2017, avec l’accord de Google Inc., d’un successeur de Google Inc. ou d’une entité liée à Google Inc., a établi un lien juridique avec Google Inc., le successeur ou l’entité qui a permis la création d’un service Internet en nuage notamment à des fins de promotion des services offerts par la défenderesse au moyen d’une marque de commerce, à savoir les mots « IT Essentials », contrairement aux alinéas 7b) et 7c) ainsi qu’aux articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce;

8.  Le demandeur sait que la défenderesse a déclaré qu’elle utilisait depuis 2002 environ l’expression « IT essentials » dans des documents d’information relatifs à l’une ou plusieurs des formations qu’elle offre au Canada et à l’étranger. Le demandeur dit que l’utilisation de cette expression ne constituait pas un emploi d’une marque de commerce, mais uniquement une utilisation d’un nom ou d’un adjectif, et que par sa défense et sa demande reconventionnelle, datée du 19 septembre 2017 et modifiée le 13 octobre 2017, la défenderesse a admis que cette utilisation ne constituait pas un emploi de l’expression comme marque de commerce de la défenderesse.

[6]  Au terme d’une audience, la protonotaire a rendu l’ordonnance faisant l’objet du présent appel, dans laquelle elle rejette la requête de M. Williams en modification de sa déclaration.

III.  L’ordonnance de la protonotaire

[7]  Il était mentionné dans l’ordonnance de la protonotaire que l’avocat de M. Williams avait convenu, lors de l’audience, que le fondement factuel des prétentions que M. Williams souhaite faire valoir au nouveau paragraphe 7 de la déclaration peut se résumer aux allégations suivantes :

  1. Cisco a utilisé les mots « IT Essentials » lorsqu’elle a fait affaire avec des entités Google ou d’autres entités qui exploitent ou gèrent des moteurs de recherche sur Internet de manière à les amener à orienter le trafic vers le site Web de Cisco;

  2. Cisco a fait en sorte que le marqueur d’emplacement associé à l’entreprise de M. Williams apparaissant sur une page de résultats de Google indique un lieu au Nunavut, même si l’entreprise de M. Williams est située en Nouvelle-Écosse.

[8]  La protonotaire a souligné que M. Williams avait admis n’être au courant d’aucun fait qui pourrait établir ou démontrer ce que Cisco a exactement fait pour parvenir au résultat allégué, ne pas savoir qui, dans l’organisation de Cisco, a fait ces actes non précisés ni même à quel moment ou à quel endroit ces actes ont été faits. La preuve se résumait plutôt à la croyance de M. Williams que Cisco a fait ces actes non précisés, croyance fondée uniquement sur des déductions tirées de certains faits : il a observé qu’il y avait, depuis environ 2014, certains changements dans les résultats obtenus après une recherche effectuée sur Google au moyen des noms de ses marques de commerce, de sorte que les résultats d’une recherche effectuée à l’aide des mots « IT ESSENTIALS » affichaient des liens vers le site Web de Cisco (www.netacad.com) plutôt que vers le site Web de M. Williams (www.itessentials.ca); Cisco a reconnu avoir acheté des droits relatifs à un index de mots-clés ainsi que des services de publicité de Google; Google a refusé de fournir à M. Williams de l’information à propos du rôle qu’aurait pu jouer Cisco dans la modification des résultats de recherche.

[9]  La protonotaire a conclu que les modifications proposées ne comportaient pas suffisamment de faits substantiels pour fonder une cause d’action contre Cisco et qu’elles étaient vouées à l’échec et constituaient un abus de procédure. La protonotaire a ajouté que les modifications ont été apportées dans l’espoir d’effectuer une recherche à l’aveuglette, dans le cadre d’une enquête préalable, des faits substantiels pouvant fonder une cause d’action, faits sur lesquels M. Williams n’a actuellement aucun renseignement ou qu’il n’est pas fondé à déduire de façon raisonnable.

[10]  En ce qui concerne l’indicateur d’emplacement, la protonotaire a jugé que les allégations étaient le produit d’une pure hypothèse, étant donné qu’aucun des faits connus de M. Williams ne pouvait raisonnablement mener à la conclusion que Cisco avait joué un rôle quelconque dans les changements qu’il a observés.

[11]  En ce qui concerne la prétendue manipulation du trafic Internet par l’utilisation des mots « IT Essentials », la protonotaire a admis que les faits connus de M. Williams pourraient mener de façon raisonnable à la conclusion que Cisco a acheté des droits relatifs à un index de mots-clés et des services de publicité qui utilisent les mots « IT Essentials ». Cependant, même en présumant de la véracité de ce fait, la protonotaire a conclu que les modifications proposées n’exposaient tout de même pas suffisamment de faits substantiels pour fonder une cause d’action en ce qui concerne une commercialisation trompeuse ou une usurpation de marque de commerce.

[12]  D’abord, en ce qui concerne les allégations d’usurpation d’une marque de commerce à des fins d’exécution de services ou de dépréciation de l’achalandage, fondées respectivement sur les articles 20 et 22 de la Loi, la protonotaire a fait remarquer que de telles causes d’action doivent reposer sur une allégation selon laquelle la marque de commerce en cause a été employée par la défenderesse en liaison avec l’exécution ou l’annonce d’un service. Or, M. Williams avait admis, et l’acte de procédure proposé en témoignait, que l’utilisation par Cisco des mots « IT Essentials » pour décrire des formations offertes par Cisco au Canada ne constitue pas une usurpation de la marque. La protonotaire a fait remarquer que l’acte de procédure proposé ne contenait aucune allégation concernant tout autre emploi de la marque de commerce en liaison avec l’exécution ou l’annonce d’un quelconque service.

[13]  En ce qui a trait aux causes d’action relatives à la commercialisation trompeuse fondées sur les alinéas 7b) ou 7c) de la Loi, la protonotaire a également fait remarquer que la confusion réelle ou probable du public est un élément essentiel de la cause d’action et doit nécessairement être plaidée. Selon la protonotaire, même si Cisco avait agi de façon à ce qu’une recherche sur Internet des mots « IT Essentials » produise des liens menant vers son site Web plutôt que vers celui de M. Williams, aucune allégation dans l’acte de procédure proposé ne portait sur la manière dont la présentation de ces liens causerait une confusion réelle ou probable entre les parties ou en ce qui concerne leurs offres respectives de services. La protonotaire a conclu qu’il n’y a, dans l’acte de procédure proposé, aucune allégation portant qu’une recherche dans Google des mots « IT Essentials », menant à des résultats qui affichent le site de Cisco plutôt que celui de M. Williams, a été ou pourrait être la source d’une confusion quelconque entre les parties ou en ce qui concerne leurs services respectifs, et que personne ne peut non plus raisonnablement le déduire.

[14]  La protonotaire a estimé que ces conclusions étaient déterminantes pour l’issue de la requête et a par conséquent rejeté celle-ci et adjugé à Cisco des dépens de 4 000 $ ainsi que des débours raisonnables en lien avec la requête de M. Williams et les requêtes qui ont mené à l’ordonnance du 5 avril 2018.

  1. Questions à trancher

[15]  Dans ses observations écrites, M. Williams formule dix questions qu’il demande à la Cour d’examiner dans le cadre de la présente requête :

  • A. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en confondant la requête du demandeur avec une requête en jugement sommaire fondée sur l’article 213 des Règles?

  • B. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure proposé par le demandeur ne révélait aucune cause d’action à l’encontre de la défenderesse, que les modifications proposées sont vouées à l’échec et qu’elles constituent un abus de procédure?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les faits connus du demandeur ne permettaient pas d’inférer de façon raisonnable que la défenderesse a joué un quelconque rôle dans les modifications apportées aux inscriptions d’établissement local du demandeur, comme il est allégué dans la déclaration proposée, conclusion qui n’était appuyée par aucun élément de preuve et était déraisonnable?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la manipulation du trafic Internet par la défenderesse par l’utilisation du terme « IT Essentials » ne pouvait pas fonder une cause d’action en ce qui concerne une commercialisation trompeuse ou une usurpation d’une marque de commerce?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé par le demandeur ne contenait aucune allégation d’utilisation du terme « IT Essentials » par la défenderesse, à l’exception d’une utilisation à des fins de description d’une ou de plusieurs formations offertes par la défenderesse au Canada?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé comportait des lacunes, car on n’y alléguait pas comment l’utilisation du terme « IT Essentials » par la défenderesse pour détourner le trafic Internet du site Web du demandeur vers son propre site Web pouvait causer de la confusion entre les parties ou en ce qui concerne leurs offres respectives de services?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé comportait des lacunes et qu’on n’y alléguait pas que le remplacement, dans les inscriptions d’établissement local du demandeur, d’un site Web exploité par le demandeur, à savoir www.itessentials.ca, par un site Web exploité la défenderesse, à savoir www.netacad.com, a été ou pourrait être une source probable de confusion entre le demandeur et la défenderesse ou en ce qui concerne leurs offres respectives de services?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en rejetant la requête sans avoir tenu compte de la preuve négative présentée par la défenderesse découlant de son omission de nier la véracité des allégations figurant dans l’acte de procédure proposé par le demandeur?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas de distinction entre les allégations de fait essentielles pouvant être raisonnablement connues d’une personne dans la situation du demandeur et la preuve par laquelle de telles allégations pourraient être prouvées lors de l’instruction des questions?

  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en tranchant la requête sans tenir compte de l’ensemble de la procédure, et en particulier du fait que le rejet de la requête était lié à la demande reconventionnelle de la défenderesse et ne pouvait pas en fait en être dissocié?

[16]  Dans sa plaidoirie, l’avocat de M. Williams a soulevé d’autres arguments qui ne se trouvent pas dans ses observations écrites. Il est toutefois possible de les examiner dans le cadre des questions énumérées ci-dessus.

V.  Norme de contrôle

[17]  Je remarque que, dans ses observations écrites, M. Williams décrit chacune des questions qu’il présente à la Cour comme soulevant une erreur de droit qui peut être contrôlée selon la norme de la décision correcte.

[18]  Dans ses observations écrites, Cisco se fonde sur l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], pour faire valoir qu’il convient de qualifier les questions soulevées par M. Williams d’erreurs de fait ou d’erreurs mixtes de fait et de droit et qu’il est donc possible de les contrôler selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[19]  Je partage l’avis de Cisco, à une exception près. Comme il a été discuté avec les avocats lors de l’audience relative au présent appel et que, si j’ai bien compris, l’avocat de Cisco l’a alors reconnu, les arguments avancés par M. Williams en lien avec la première question susmentionnée soulèvent ce que je considère être une question de droit isolable. Il s’agit de savoir si la protonotaire a appliqué le mauvais critère pour décider si elle accueillait la requête de M. Williams en modification de son acte de procédure. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[20]  Par ailleurs, je considère que les questions soulèvent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit tranchées par la protonotaire, sans qu’un principe juridique isolable soit en jeu, de sorte que le juge siégeant en révision des conclusions tirées à ces égards devrait uniquement intervenir si la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante (voir Hospira, paragraphes 66, 69 et 79). Je formulerai plus loin d’autres observations sur la norme de contrôle en réponse aux arguments de M. Williams au sujet des questions individuelles.

VI.  Analyse

[21]  À titre préliminaire, je remarque que l’avocat de M. Williams soutient que la protonotaire a omis de trancher une objection qu’il avait soulevée, dans le cadre des requêtes ayant donné lieu à l’ordonnance datée du 5 avril 2018, relativement au fait que Cisco avait irrégulièrement présenté [traduction] « sous toutes réserves » de la correspondance en preuve. L’avocat soutient que cette question n’est toujours pas tranchée, car cette ordonnance, qui a permis à M. Williams de présenter une requête en modification de son acte de procédure, prévoyait que le dossier portant sur le premier ensemble de requêtes présenté par les parties pourrait être utilisé aux fins de la requête en modification.

[22]  Je suis d’accord avec la position de Cisco sur cette question, à savoir que cette plainte est liée aux requêtes qui ont donné lieu à l’ordonnance du 5 avril 2018, laquelle n’a pas fait l’objet d’un appel. De plus, même si M. Williams affirme que la procédure adoptée dans le cadre de cette ordonnance a entraîné l’inclusion des éléments de preuve auxquels il s’oppose dans le dossier relatif à la requête ayant donné lieu à l’ordonnance rendue par la protonotaire le 22 octobre 2018, laquelle fait l’objet de l’appel, il n’a pas soutenu que la protonotaire s’était d’une quelconque manière fondée sur ces éléments de preuve. Rien ne justifie, à mon avis, que la Cour tienne davantage compte de cette question.

[23]  Pour ce qui est des questions de fond, je remarque qu’au moment de la présentation de ses arguments écrits dans le cadre du présent appel, M. Williams a regroupé certaines questions. Par conséquent, mon analyse suit sa façon de faire.

A.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en confondant la requête du demandeur avec une requête en jugement sommaire fondée sur l’article 213 des Règles?

B.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure proposé par le demandeur ne révélait aucune cause d’action à l’encontre de la défenderesse, que les modifications proposées sont vouées à l’échec et qu’elles constituent un abus de procédure?

[24]  Comme je l’ai déjà souligné, le premier argument avancé par M. Williams est que la protonotaire a confondu sa requête avec une requête en jugement sommaire, à laquelle la norme de la décision correcte s’applique. Dans ses observations écrites, M. Williams fait valoir qu’une conclusion selon laquelle l’acte de procédure est voué à l’échec peut uniquement découler d’une instruction complète ou sommaire des questions en litige ou d’une requête en jugement sommaire accueillie en vertu de l’article 213 des Règles.

[25]  Cependant, je comprends que l’avocat de M. Williams reconnaît dans sa plaidoirie l’applicabilité des précédents selon lesquels, lors de l’examen d’une requête en modification d’une déclaration, la modification ne sera pas autorisée si elle ne peut résister à une requête en radiation parce que les allégations ne révèlent aucune cause d’action valable et que la demande est vouée à l’échec (voir Bauer Hockey Corp. c Sport Maska Inc., 2014 CAF 158, paragraphes 12 à 16; Teva Canada Limited c Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, paragraphes 28 à 31). Lorsqu’elle a décidé de rejeter la requête en autorisation de modification, la protonotaire a tenu compte des motifs justifiant la radiation d’un acte de procédure prévus à l’article 221 des Règles, conformément à la jurisprudence établie. L’ordonnance de la protonotaire ne contrevient pas à l’article 213 des Règles, qui s’applique aux requêtes en jugement sommaire. Je ne vois aucun motif de conclure que la protonotaire a rendu une décision fondée sur un critère inapproprié.

[26]  M. Williams a également soutenu que la protonotaire n’a fourni aucune explication concernant la conclusion que les modifications proposées constituaient un abus de procédure. J’estime que cette observation est dénuée de fondement, étant donné que la protonotaire a déclaré, dans la phrase suivant immédiatement cette conclusion, que les modifications ont été apportées pour permettre à M. Williams, grâce à l’enquête préalable, d’aller à la pêche aux faits substantiels susceptibles d’appuyer une cause d’action, faits dont il n’avait aucune connaissance ou qu’il n’était pas fondé à déduire de façon raisonnable. Comme l’a soutenu Cisco, une telle observation est un motif de radier un acte de procédure pour cause d’abus de procédure (voir par exemple Eli Lilly Canada Inc. c Nu-Pharm Inc., 2011 CF 255, paragraphes 7 à 9).

[27]  Lors de l’audience relative au présent appel, l’avocat de M. Williams a également soutenu que la protonotaire a erronément conclu dans son ordonnance, en lien avec la question d’un principe juridique isolable, que les modifications proposées ont été apportées pour permettre à M. Williams d’effectuer une recherche à l’aveuglette au moyen d’une enquête préalable. M. Williams soutient que le terme « recherche à l’aveuglette » signifie « une recherche dans laquelle se lance une partie ne disposant d’aucun élément et tentant désespérément de s’accrocher à quelque chose » (voir Imperial Manufacturing Group Inc. c Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100 [Imperial], paragraphe 38); il soutient également que la protonotaire a commis une erreur en donnant à ce terme une autre signification.

[28]  Cependant, l’avocat de M. Williams a expliqué qu’il ignorait la signification donnée à ce terme par la protonotaire et que le point qu’il veut faire valoir, c’est que les faits soulevés en l’espèce n’indiquent pas que les modifications ont été apportées pour effectuer une « recherche à l’aveuglette » au sens donné dans l’arrêt Imperial. Cet argument ne soulève aucun principe juridique isolable, mais plutôt une question mixte de fait et de droit. Conformément à la conclusion énoncée au paragraphe 38 de l’arrêt Imperial, cette question est susceptible d’être contrôlée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[29]  Pour ce qui est de savoir si la conclusion de la protonotaire que M. Williams cherchait à effectuer une recherche à l’aveuglette constitue une erreur manifeste et dominante, je remarque que M. Williams ne s’est pas opposé à l’observation factuelle de la protonotaire selon laquelle que ce dernier n’a actuellement aucune connaissance de faits pouvant établir ou exposer avec exactitude les mesures que Cisco a prises pour aboutir aux résultats allégués dans l’acte de procédure et il ne sait pas qui, dans l’organisation de Cisco, a mené à bien ces mesures non précisées ni à quel endroit ou à quel moment ces mesures non précisées ont été prises. M. Williams a indiqué l’absence de motif sur lequel peut se fonder la Cour pour établir que la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante en tirant ces conclusions.

[30]  Les arguments de M. Williams, selon lesquels la protonotaire a commis une erreur dans son analyse du caractère raisonnable des inférences à tirer des faits connus de M. Williams, sont abordés dans d’autres questions, décrites ci-dessous.

C.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les faits connus du demandeur ne permettaient pas d’inférer de façon raisonnable que la défenderesse a joué un quelconque rôle dans les modifications apportées aux inscriptions d’établissement local du demandeur, comme il est allégué dans la déclaration proposée, conclusion qui n’était appuyée par aucun élément de preuve et était déraisonnable?

D.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la manipulation du trafic Internet par la défenderesse par l’utilisation du terme « IT Essentials » ne pouvait pas fonder une cause d’action en ce qui concerne une commercialisation trompeuse ou une usurpation d’une marque de commerce?

[31]  M. Williams soutient que les conclusions auxquelles renvoient les deux questions susmentionnées sont des conclusions de droit et non de fait, car elles ont été tirées dans le contexte du nouveau cadre juridique de la prétention exposée. Je ne suis pas d’accord. Les conclusions de la protonotaire touchant les inférences qu’il est possible de tirer des faits connus du demandeur et la question de savoir si la manipulation du trafic Internet pouvait fonder une cause d’action en ce qui concerne une commercialisation trompeuse ou une usurpation d’une marque de commerce, mettent manifestement en jeu – du moins en partie – des questions de fait. Cette réalité n’est pas modifiée par les prétentions de M. Williams relatives à l’utilisation d’Internet ou par la possibilité qu’un tel contexte puisse soulever de nouvelles questions de droit. Les arguments de M. Williams concernant ces conclusions sont donc susceptibles de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[32]  La conclusion de la protonotaire selon laquelle les faits connus de M. Williams ne pouvaient mener à une inférence raisonnable d’un rôle quelconque que Cisco aurait joué dans les modifications apportées à son inscription d’établissement local concerne le marqueur d’emplacement qui aurait été déplacé pour indiquer un lieu au Nunavut plutôt qu’en Nouvelle-Écosse. Même si ce n’est pas exprimé de façon explicite dans l’ordonnance de la protonotaire, il semble que l’allégation proposée par M. Williams au titre de l’alinéa 7d) de la Loi devrait être rejetée en raison de cette conclusion. M. Williams n’a pas expliqué comment Cisco pourrait bénéficier du déplacement du marqueur d’emplacement ni pourquoi elle souhaiterait effectuer ce déplacement. Il n’a pas non plus expliqué en quoi la conclusion de la protonotaire comporte une erreur manifeste et dominante. La protonotaire a décrit l’allégation selon laquelle Cisco était responsable de ce changement comme étant le résultat d’une pure hypothèse, et j’estime qu’elle n’a pas commis d’erreur à cet égard.

[33]  En ce qui a trait à l’allégation de manipulation du trafic Internet par l’utilisation du terme « IT Essentials », la protonotaire a admis que les faits connus de M. Williams pouvaient raisonnablement mener à la conclusion que Cisco a acheté des droits relatifs à un index de mots-clés et des services de publicité qui utilisent ce terme. Cependant, même en présumant de la véracité de ce fait, la protonotaire a conclu que les modifications proposées ne révélaient tout de même pas suffisamment de faits substantiels pour fonder une cause d’action en ce qui concerne une commercialisation trompeuse ou une usurpation de marque de commerce. L’analyse effectuée par la protonotaire à l’appui de cette conclusion est examinée ci-après avec d’autres questions soulevées par M. Williams.

[34]  M. Williams soutient que la protonotaire a commis une erreur lorsqu’elle a tenté de déterminer si des éléments de preuve avaient été produits ou si le demandeur disposait d’éléments de preuve pour appuyer des faits de nature à étayer les causes d’action alléguées. Je ne pense pas que l’analyse de la protonotaire puisse être décrite de cette manière. Au contraire, la protonotaire a examiné les faits allégués et a appliqué le contexte factuel aux éléments constitutifs des causes d’action. J’estime qu’elle n’a commis aucune erreur à cet égard.

[35]  L’avocat de M. Williams a également déclaré dans sa plaidoirie, peut-être relativement à cet argument, que le paragraphe 221(2) des Règles prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation d’un acte de procédure au motif qu’il ne divulgue aucune cause d’action valable. Dans la mesure où M. Williams soulève une préoccupation à l’égard de la prise en compte inadéquate par la protonotaire d’éléments de preuve relatifs à la requête portée en appel, je suis d’accord avec Cisco pour dire que les éléments de preuve étaient admissibles pour l’examen de la protonotaire visant à savoir si l’acte de procédure devait être radié pour cause d’abus de procédure. Toutefois, la conclusion de la protonotaire selon laquelle M. Williams n’avait pas plaidé suffisamment de faits substantiels pour fonder les causes d’action soulevées dans la déclaration modifiée reposait sur l’analyse de l’acte de procédure.

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé par le demandeur ne contenait aucune allégation d’utilisation du terme « IT Essentials » par la défenderesse, à l’exception d’une utilisation à des fins de description d’une ou de plusieurs formations offertes par la défenderesse au Canada?

[36]  La conclusion de la protonotaire que cet argument attaque est que, mis à part l’utilisation par Cisco des mots « IT Essentials » pour décrire les formations offertes par Cisco, les modifications proposées ne contenaient aucune allégation de tout autre emploi par Cisco de la marque de commerce en liaison avec l’exécution ou l’annonce qu’un quelconque service. Cette conclusion a amené la protonotaire à conclure que l’acte de procédure ne pouvait fonder une cause d’action relative à une usurpation d’une marque de commerce à des fins d’offre de services ou de dépréciation de l’achalandage aux termes des articles 20 et 22 de la Loi, étant donné que les deux causes d’action exigent la présentation d’une allégation d’emploi de la marque par le défendeur en liaison avec l’exécution ou l’annonce d’un service.

[37]  Le contexte de l’analyse est le suivant : M. Williams a admis dans son acte de procédure que l’utilisation des mots « IT Essentials » par Cisco pour décrire ses formations ne constituait pas un emploi d’une marque de commerce. M. Williams a fait cette admission au paragraphe 8 de la déclaration modifiée qu’il propose, en réponse aux affirmations faites dans la défense de Cisco sur cette question. Il semble que M. Williams a adopté cette position pour se défendre contre la thèse subsidiaire mentionnée dans la défense de Cisco, selon laquelle elle était la première utilisatrice de la marque « IT Essentials », ce qui a entraîné le dépôt d’une demande reconventionnelle visant l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que l’enregistrement de la marque de M. Williams est invalide.

[38]  Dans ses observations écrites, M. Williams soutient que, malgré l’admission figurant au paragraphe 8 de la déclaration modifiée qu’il propose, il affirme également aux paragraphes 6 et 7 que Cisco a utilisé le terme « IT Essentials » de manière usurpatoire.

[39]  Le paragraphe 6 contient effectivement une allégation d’utilisation du terme « IT Essentials » par Cisco comme marque de commerce en liaison avec une partie ou la totalité des services visés dans l’enregistrement obtenu par M. Williams. Cependant, il s’agit d’une simple allégation sans faits à l’appui qui n’aide pas M. Williams à établir que la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante dans le cadre de son analyse.

[40]  Au paragraphe 7, il est allégué que Cisco a acheté des droits relatifs à un index de mots-clés et des services de publicité de Google Inc. et d’autres fournisseurs de services de moteur de recherche sur Internet. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une violation au titre des articles 19 et 20 de la Loi. À mon avis, bien trop peu de faits sont allégués dans cette affirmation pour illustrer l’utilisation par Cisco du terme « IT Essentials » comme marque de commerce. Dans la mesure où cette allégation peut être considérée comme faisant état des mesures prises par Cisco pour qu’une recherche sur Internet du terme « IT Essentials » renvoie au lien vers le site Web de Cisco (www.netacad.com) plutôt que vers le site Web de M. Williams (www.itessentials.ca), il m’est difficile de conclure que cette présumée utilisation échappe à la portée de l’admission faite au paragraphe 8. Selon ce que je comprends de l’élément de preuve par affidavit présenté par Wadih Zaatar, responsable du partenariat entre les services extérieurs mondiaux de la Networking Academy et le programme DevNet de Cisco, l’adresse www.netacad.com mène au site Web du programme NetAcad (abréviation de Networking Academy) de Cisco, le programme dans le cadre duquel Cisco offre des formations, dont celles qui sont décrites sous l’expression IT Essentials. De toute évidence, la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que les modifications proposées ne contenaient aucune allégation d’utilisation par Cisco du terme « IT Essentials » comme marque de commerce en liaison avec l’exécution ou l’annonce d’un quelconque service, autre que l’emploi du terme pour décrire les formations offertes par Cisco.

[41]  M. Williams ne l’a pas fait valoir, mais je note que cette partie de l’analyse de la protonotaire a traité des prétentions relatives aux articles 20 et 22 de la Loi sans renvoyer expressément à l’article 19. Cela importe toutefois peu, étant donné que l’article 19, tout comme les articles 20 et 22, exige qu’une marque de commerce soit employée pour qu’il y ait violation.

F.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé comportait des lacunes car on n’y alléguait pas comment l’emploi du terme « IT Essentials » par la défenderesse pour détourner le trafic Internet du site Web du demandeur vers son propre site Web pouvait causer de la confusion entre les parties ou en ce qui concerne leurs offres respectives de services?

G.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en jugeant que l’acte de procédure proposé comportait des lacunes et qu’on n’y alléguait pas que le remplacement, dans les inscriptions d’établissement local du demandeur, d’un site Web exploité par le demandeur, à savoir www.itessentials.ca, par un site Web exploité la défenderesse, à savoir www.netacad.com, a été ou pourrait être une source probable de confusion entre le demandeur et la défenderesse ou en ce qui concerne leurs offres respectives de services?

[42]  Ces arguments ont trait à l’analyse de la protonotaire selon laquelle M. Williams n’a pas allégué des faits de nature à établir les éléments constitutifs d’une cause d’action au titre des alinéas 7b) et 7c) de la Loi. L’analyse de la protonotaire a essentiellement porté sur la confusion comme élément essentiel d’une cause d’action relative à une commercialisation trompeuse. Selon M. Williams, les règles régissant les actes de procédure ne l’obligent pas à déclarer des faits qui, selon lui, tombent sous le sens, à savoir qu’une recherche de son site Web effectuée à l’aide du nom de sa marque de commerce enregistrée, « IT Essentials », sèmerait la confusion dans l’esprit d’un consommateur puisque cette recherche mène vers le lien du site Web de Cisco.

[43]  M. Williams n’a cité aucun précédent à l’appui de sa prétention concernant les règles régissant les actes de procédure. Il renvoie cependant la Cour à un arrêt récent de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, Vancouver Community College c Vancouver Career College (Burnaby) Inc., 2017 BCCA 41 [Vancouver], qui portait sur la pratique des offres d’achat ou d’achat de mots-clés utilisés dans des recherches sur Internet et l’emploi de marques enregistrées dans des noms de domaine. Dans l’arrêt Vancouver, la juge a conclu que l’appelant avait démontré la confusion nécessaire à l’établissement d’une cause d’action pour une commercialisation trompeuse.

[44]  Je reconnais que la pratique qui consiste à présenter une offre d’achat de mots-clés ou à acheter des mots-clés (expliquée de façon beaucoup plus détaillée dans l’arrêt Vancouver comme ayant pour but d’afficher un résultat contenant un lien vers le site Web de l’acheteur lorsque le mot-clé est saisi dans le moteur de recherche) pourrait se comparer en l’espèce aux ententes commerciales que Cisco aurait conclues avec Google ou d’autres exploitants de moteurs de recherche. Toutefois, la conclusion de confusion, exposée aux paragraphes 70 et 71 de l’arrêt Vancouver, ne concernait pas cette pratique. Elle portait plutôt sur l’utilisation par l’intimée, Vancouver Career College Inc., du nom de domaine « VCCollege.ca », lequel comprenait la marque « VCC » enregistrée par l’appelant, Vancouver Community College, et n’établissait pas non plus de distinction entre le titulaire de ce nom de domaine et l’appelant. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la confusion avait été établie par la preuve que le nom de domaine de l’intimée décrivait également l’appelant et contenait l’acronyme associé à ce dernier. Elle a à l’inverse conclu, au paragraphe 72 que la pratique consistant à présenter des offres d’achat sur des mots-clés ne suffisait pas à démontrer qu’il y avait confusion :

[TRADUCTION]

[72]  L’appelant nous demande d’aller plus loin et de conclure que la pratique de l’intimée consistant à présenter des offres d’achat sur des mots-clés, notamment « VCC » et « Vancouver Community College », suffit à établir l’existence du deuxième élément de la commercialisation trompeuse. Il invoque Orkin Exterminating Co. c. Pestco Co. of Canada (1985), 5 C.P.R. (3d) 433 (C.A. Ont.) pour appuyer cette proposition. Toutefois, contrairement à l’affaire qui occupe, l’arrêt Orkin portait sur un cas clair de fausse déclaration puisque Pestco avait mis son numéro de téléphone dans une publicité contenant le nom d’Orkin. Plus important encore, le message communiqué par la défenderesse constitue un facteur essentiel de l’élément de confusion. Le simple fait de présenter une offre d’achat sur des mots n’est pas en soi un envoi de message. Ce qui importe est la manière dont la défenderesse s’est présentée et, à mon avis, une offre d’achat sur un mot-clé ne suffit pas, en l’espèce, à établir l’élément de la commercialisation trompeuse.

[45]  Quoi qu’il en soit, l’analyse et la conclusion dans l’arrêt Vancouver, selon lesquelles une offre d’achat sur des mots-clés ne suffit pas pour semer la confusion, appuient, d’une part, la conclusion de la protonotaire que l’allégation de confusion figurant dans la déclaration modifiée proposée par M. Williams ne comportait pas de fondement factuel pour une allégation de confusion et, d’autre part, la conclusion que la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans le cadre son analyse.

[46]  Enfin, en ce qui a trait à cet aspect de l’analyse de la protonotaire, je note que, même si M. Williams n’a pas soulevé cet argument, il serait plus exact de décrire la cause d’action visée à l’alinéa 7c), qui interdit l’acte de faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés, comme requérant une substitution plutôt qu’une confusion . Comme l’indique le paragraphe 96 de la décision Diageo Canada Inc c Heaven Hill Distilleries Inc, 2017 CF 571, l’alinéa 7c), contrairement à l’alinéa 7b), porte essentiellement sur la substitution de biens ou de services plutôt que sur la confusion créée entre ceux-ci. Toutefois, à mon avis, l’analyse de la protonotaire s’applique également à la prétention fondée sur l’alinéa 7c), en ce sens que la déclaration modifiée proposée ne faisait état d’aucun fondement factuel susceptible d’appuyer une allégation de remplacement des services de M. Williams par ceux de Cisco.

H.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en rejetant la requête sans avoir tenu compte de la preuve négative présentée par la défenderesse découlant de son omission de nier la véracité des allégations figurant dans l’acte de procédure proposé par le demandeur?

[47]  M. Williams soutient que la preuve déposée par Cisco dans le cadre de la requête dont était saisie la protonotaire ne nie pas la véracité des allégations faites par M. Williams dans l’acte de procédure qu’il propose. Il déclare que la protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce facteur.

[48]  Cisco conteste la manière dont M. Williams qualifie la preuve. Elle renvoie à la déclaration de M. Zaatar, qui affirme que Cisco n’avait aucune connaissance de M. Williams ou de son entreprise avant de recevoir de ce dernier une lettre de mise en demeure en novembre 2016 et que Cisco ne pouvait donc pas avoir modifié son inscription Google en 2014 comme il a été allégué. M. Williams fait à son tour valoir que M. Zaatar se contente de déclarer qu’il n’avait pas personnellement connaissance de son existence ni de celle de son entreprise.

[49]  À mon avis, la preuve sur cette question importe peu. M. Williams ne s’appuie sur rien lorsqu’il affirme que la protonotaire était obligée de tenir compte de la mesure dans laquelle la preuve présentée par Cisco nie ses allégations, tout particulièrement pour déterminer si l’acte de procédure divulguait une cause d’action valable étant donné que, comme il a été expliqué précédemment dans les présents motifs, cette conclusion doit être tirée sans tenir compte de la preuve. Une fois de plus, j’estime que l’ordonnance de la protonotaire ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

I.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas de distinction entre les allégations de fait essentielles pouvant être raisonnablement connues d’une personne dans la situation du demandeur et la preuve par laquelle de telles allégations pourraient être prouvées lors de l’instruction des questions?

[50]  M. Williams soutient que l’ordonnance de la protonotaire soulève une question d’accès à la justice. Si j’ai bien compris son argument, il affirme se voir refuser la possibilité d’intenter une poursuite parce qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant l’existence d’ententes conclues entre Cisco et Google, alors que de tels éléments de preuve devraient être en la possession de Cisco et ne peuvent être obtenus qu’au moyen de la production de documents et par leur communication dans le cadre de l’action.

[51]  La nature de la préoccupation soulevée par M. Williams a récemment été décrite dans les termes suivants par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 FCA 215 [Enercorp], aux paragraphes 34 à 37 :

[TRADUCTION]

[34]  À ce stade-ci, il importe de mettre en contexte la question de la précision des actes de procédure. L’article 174 des Règles exige que les actes de procédure d’une partie contiennent une déclaration précise des faits substantiels sur lesquels se fonde la partie, et non les éléments de preuve qui permettent de prouver ces faits. La définition de « faits substantiels » a été examinée dans Mancuso c. Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 (Mancuso) aux paragraphes 18 à 20, 476 N.R. 219. Dans cet arrêt, la Cour a souligné qu’il n’existe pas de démarcation nette « entre les faits matériels et les simples allégations ni entre l’exposé de faits matériels et l’interdiction de plaider certains éléments de preuve ». Le juge chargé d’évaluer le caractère suffisant des actes de procédure doit plutôt examiner ceux-ci dans leur ensemble et « voir à ce que les actes de procédure cernent les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction ».

[35]  À mon avis, pour déterminer le caractère suffisant d’un acte de procédure, il faut d’abord déterminer s’il est de nature à assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction, tout particulièrement en l’absence d’un critère de démarcation nette permettant de faire la distinction entre les faits substantiels et les simples allégations.

[36]  Pour déterminer si un acte de procédure est de nature à assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction, la Cour devrait tenir compte de l’ensemble des circonstances, notamment des connaissances respectives des parties et de leurs sources d’information. Les règles concernant le caractère suffisant des actes de procédure ne doivent pas devenir des instruments d’oppression aux mains des personnes qui ont connaissance de faits substantiels au détriment des personnes qui cherchent à fonder leurs allégations sur des faits, sans toutefois avoir les moyens de connaître ces faits avec précision afin de les plaider.

[37]  La déclaration, au paragraphe 19 de l’arrêt Mancuso, portant que « [l]’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée », doit être comprise à la lumière de l’exigence relative à la saine gestion et à l’équité de l’instruction. Lorsque, comme en l’espèce, une partie cherche à invoquer une opération qui lui est étrangère, elle doit pouvoir décrire l’opération avec suffisamment de précision pour permettre à l’autre partie de reconnaître l’opération en question. Si ce critère est respecté, la question de savoir si un acte de procédure est suffisant doit être étudiée à la lumière de toutes les circonstances, y compris les sources d’information de chaque partie.

[52]  La protonotaire n’aurait pas pu tenir compte de l’arrêt Enercorp puisqu’il est ultérieur à son ordonnance. Me fondant sur les principes qui y sont énoncés, je reconnais que M. Williams ne serait pas tenu de connaître en détail les ententes commerciales conclues entre Cisco et Google ou d’autres exploitants de moteurs de recherche sur Internet. En ce qui concerne les parties au présent litige, Cisco serait de toute évidence au courant d’une opération entre Google et elle. Toutefois, même si l’acte de procédure proposé par M. Williams pourrait être considéré comme contenant une description suffisamment précise d’une telle opération pour que Cisco puisse la reconnaître, cela n’explique pas les lacunes de l’acte de procédure relevées par la protonotaire.

[53]  La protonotaire fait plutôt remarquer que, même si Cisco avait acheté les droits relatifs à un index de mots-clés et des services de publicité qui utilisent les mots « IT Essentials », il demeure que les modifications proposées ne font valoir aucun fait substantiel de nature à appuyer, conformément à la Loi, les causes d’action dont fait état M. Williams. En l’absence d’allégations quant à l’emploi de la marque de commerce ou à la confusion, qui sont requises, l’acte de procédure de M. Williams ne pouvait être retenu. Autrement dit, l’incapacité de M. Williams à convaincre la protonotaire que les modifications proposées lui conféraient une chance raisonnable d’avoir gain de cause ne découlait pas de son incapacité à réunir des faits ou une preuve concernant les ententes conclues entre Cisco et Google, mais plutôt de l’absence de faits, dont il avait connaissance ou qu’il pouvait raisonnablement inférer, constituant une cause d’action en droit.

[54]  Par conséquent, j’estime que ce volet de l’analyse de la protonotaire ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

J.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en tranchant la requête sans tenir compte de l’ensemble de la procédure, et en particulier du fait que le rejet de la requête était lié à la demande reconventionnelle de la défenderesse et ne pouvait pas en fait en être dissocié?

[55]  Cet argument concerne sur le fait que, dans la présente instance, les actes de procédure comprennent une demande reconventionnelle présentée par Cisco, laquelle, comme il a été mentionné précédemment, comprend une demande visant l’obtention d’une déclaration d’invalidité de l’enregistrement des marques de M. Williams. Ce dernier souligne que l’ordonnance de la protonotaire n’a eu aucune conséquence sur la demande reconventionnelle, qui est demeurée intacte, et que Cisco a donc mis en péril ses marques enregistrées sans qu’il puisse faire valoir sa demande à l’encontre de Cisco. Il affirme que la protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet argument.

[56]  J’estime que cet argument est dénué de fondement. Comme l’a déclaré l’avocat de Cisco, lors de l’audience relative au présent appel, Cisco devra décider si elle donne suite ou non à la demande reconventionnelle, et il se peut qu’au moins certains fondements de la demande de déclaration d’invalidité soient affaiblis en raison de l’admission des deux parties que l’utilisation du terme « IT Essentials » ne constituait pas un emploi d’une marque de commerce. Je suis toutefois d’accord avec Cisco pour dire que la demande reconventionnelle constitue une cause d’action distincte qui doit être tranchée en fonction de son propre fondement. À mon avis, rien ne permet de conclure que la protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que la demande reconventionnelle résisterait à la radiation de la déclaration modifiée.

VII.  Dépens

[57]  Les deux parties ont demandé les dépens de l’appel et ont proposé à l’audience qu’ils s’élèvent à 2 000 $. Selon Cisco, des débours s’ajoutent à ce montant et elle exige qu’ils soient fixés au montant forfaitaire de 4 500 $ pour éviter des litiges concernant la taxation. La Cour ne dispose toutefois d’aucun élément de preuve quant aux débours engagés par Cisco. Puisque Cisco a obtenu gain de cause dans le présent appel, elle a droit aux dépens, que je fixe au montant forfaitaire de 2 000 $, plus les débours raisonnables engagés par Cisco; le montant de tels débours sera taxé si les parties ne s’entendent pas à ce sujet.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1304‑17

LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur, portant en appel l’ordonnance de la protonotaire datée du 22 octobre 2018, soit rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse au montant de 2 000 $, plus les débours raisonnables engagés par cette dernière.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1304‑17

INTITULÉ :

PAUL WILLIAMS COB IT ESSENTIALS c CISCO SYSTEMS, INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

David A. Copp

POUR LE DEMANDEUR

Frédéric Lussier

Jay Zakaïb

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David A Copp

Avocat

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DEMANDEUR

Gowling WLG LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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