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Date : 20190329


Dossier : IMM-1124-18

Référence : 2019 CF 384

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MUSILI AMOKE IDAHOSA

EHIZEME JAYDEN IDAHOSA

ESEOSA JASON IDAHOSA

OSARUMEN JARREL DAHOSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 13 février 2018 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). En appel, la SAR a confirmé la décision, en date du 23 février 2017, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile conjointe des demandeurs. Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse principale est Musili Amoke Idahosa. Les demandeurs secondaires sont ses trois fils. Ils sont tous citoyens du Nigéria. La demanderesse principale affirme qu’elle risque de subir une mutilation génitale au Nigéria.

[3]  Les événements allégués suivants constituent le fondement de la demande d’asile. Après que la demanderesse principale eut fait des avances non sollicitées à une ancienne amante en juin 2016, cette dernière a contacté la police, qui s’est rendue à son domicile pour l’interroger concernant ces avances. Les villageois ont appris que la demanderesse principale était bisexuelle et ont décidé qu’elle et ses fils devaient [traduction] « se soumettre à une purification spirituelle, sinon ils [feraient] tout pour aider la police ». Les villageois étaient d’avis que l’orientation sexuelle de la demanderesse principale était attribuable au fait qu’elle n’avait pas été excisée. La police s’est rendue une deuxième fois à son domicile. À ce moment-là, elle se cachait chez une autre de ses anciennes amantes.

[4]  L’époux de la demanderesse principale lui a conseillé de quitter le pays. C’est ainsi que, le 31 août 2016, tous les demandeurs ont fui le Nigéria pour aller aux États-Unis (É.-U.) afin de se réfugier chez un neveu. À leur arrivée, le neveu a refusé de les héberger chez lui en raison de l’orientation sexuelle de la demanderesse principale. D’autres membres de la famille l’ont insultée et menacée de signaler sa présence aux autorités de l’immigration afin qu’elle soit renvoyée au Nigéria et qu’elle réponde aux questions de la police. En raison de la réaction de sa famille à l’égard de sa bisexualité et après avoir appris que l’administration américaine était défavorable aux réfugiés, les demandeurs sont entrés au Canada le 20 décembre 2016 et y ont présenté une demande d’asile.

III.  Décision contestée

[5]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Aux yeux de la SAR, la question déterminante était celle de la crédibilité. Les parties pertinentes de la décision de la SAR seront analysées ci-dessous.

[6]  La SAR a d’abord examiné les raisons pour lesquelles la demanderesse principale n’a pas présenté une demande d’asile aux É.-U. en temps opportun. La SAR a examiné les affirmations de la demanderesse principale selon lesquelles elle ne savait pas qu’elle pouvait présenter une demande d’asile, plusieurs membres de sa famille résidant aux É.-U. n’approuvaient pas son mode de vie et la position des É.-U. envers les réfugiés était défavorable, avant de conclure que son incapacité de vivre aux É.-U. pendant trois mois et demi a nui à sa crédibilité.

[7]  La SAR a ensuite tenu compte du défaut de la demanderesse principale de fournir quelque documentation que ce soit concernant ses demandes de visa aux É.-U. La SAR a constaté qu’elle avait été en mesure d’obtenir la documentation liée à sa demande de visa présentée en 2014 aux É.-U., mais pas celle liée à sa demande de 2016. La SAR a estimé que la documentation manquante constituait une partie importante de son récit. La SAR a tiré une conclusion défavorable de l’absence de la documentation liée à la demande de visa présentée en 2016 aux É.-U., ce qui a nui à la crédibilité de la demanderesse principale.

[8]  La SAR a finalement conclu à la lumière de tous les éléments de preuve, y compris la transparence de la demanderesse principale quant à son attirance envers les personnes du même sexe, que la crédibilité de cette dernière était sérieusement compromise. La SAR a ensuite examiné les conclusions de la SPR quant au poids accordé au rapport du psychothérapeute et souligné le fait que la demanderesse principale n’a pas contesté la conclusion de la SPR. La SAR s’est par la suite penchée sur la façon dont la SPR avait traité la lettre de l’ancienne amante de la demanderesse principale et a conclu que la SPR a fait erreur en ne lui accordant aucun poids. La SAR lui a plutôt accordé un poids limité. En ce qui concerne les communications avec une organisation LGBT, la SAR a estimé que ces échanges étaient de peu d’utilité. La SAR a conclu que la preuve documentaire n’était pas suffisamment convaincante pour réfuter les conclusions en matière de crédibilité qu’elle a tirées.

[9]  Par conséquent, la SAR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était bisexuelle, qu’elle risquait de subir une mutilation génitale ou qu’elle ou ses enfants seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution advenant un retour au Nigéria. La demanderesse principale n’a pas non plus réussi à établir qu’elle était une personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. 

IV.  Norme de contrôle

[10]  Comme l’ont reconnu les deux parties, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration c Huruglica, 2016 CAF 93, paragraphe 53; Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667, paragraphe 24). Par conséquent, la Cour interviendra seulement si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47).

V.  Questions en litige

[11]  La Cour évaluera le caractère raisonnable de la décision rendue le 23 février 2017 par la SAR et, plus précisément, la façon dont la SAR avait traité 1) les questions de crédibilité et 2) la preuve documentaire.

VI.  Dispositions pertinentes

[12]  Les articles 96 et 97 de la LIPR sont ainsi libellés :

Définition de réfugié

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.  Observations des parties

A.  Questions de crédibilité

(1)  Les observations des demandeurs

[13]  Les demandeurs soutiennent qu’il y a quatre raisons pour lesquelles ils estiment que la SAR a tiré une conclusion négative déraisonnable au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale en raison du fait qu’elle n’a pas cherché à demander l’asile aux É.-U. Premièrement, l’affirmation de la SAR selon laquelle la demanderesse principale devait en quelque sorte comprendre qu’elle serait protégée aux É.-U relevait de la conjecture. Selon les demandeurs, la seule inférence raisonnable qui peut être tirée de l’obtention d’un visa américain par la demanderesse principale est qu’elle avait l’intention de quitter le Nigéria.

[14]  De plus, les conclusions que la SAR a tirées quant à la crédibilité de la demanderesse principale du défaut de présenter une demande d’asile aux É.-U. reposaient sur la présomption qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que le président Trump soit élu. Cette présomption n’a aucun fondement probatoire. Objectivement, les politiques américaines, perçues comme étant anti-immigration et anti-asile, sont un motif tout à fait raisonnable que la demanderesse principale est en droit d’invoquer pour justifier le fait qu’elle n’a pas présenté une demande d’asile aux É-U. De plus, seuls les sentiments subjectifs de la demanderesse principale comptent dans cette affaire. Les demandeurs ajoutent accessoirement que ces sentiments n’ont jamais été mis en doute ou contestés.

[15]  De plus, les demandeurs soutiennent que la SAR a bien mal compris les raisons pour lesquelles la demanderesse principale a voulu quitter les É.-U. La SAR a affirmé que la demanderesse principale a fui le pays parce qu’elle craignait que des membres de sa famille l’approchent et s’en prennent à elle, ce qui est faux selon eux. La demanderesse principale ne voulait tout simplement plus être près d’eux depuis qu’ils ont commencé à la harceler en raison de son orientation sexuelle.

[16]  Enfin, la SAR n’a pas tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse principale, laquelle justifie son retard à demander l’asile. La demanderesse principale était seule aux É.-U., sans le soutien de son époux. Elle était en état de choc et avait trois enfants de moins de cinq ans sous sa garde. Elle a vécu dans une église pendant quelque temps et son statut de visiteur était seulement valable jusqu’en février 2017.

[17]  Les demandeurs soutiennent également qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se basant sur l’absence de documentation liée à la demande de visa américain de 2016. Les demandeurs soutiennent qu’une note figurant sur la demande de visa présentée en 2014 – [traduction« n’imprimez la demande que si vous voulez en conserver une copie pour vos dossiers » – démontre qu’à moins d’imprimer la demande, obtenir une copie d’une demande de visa est un processus difficile. Les demandeurs rappellent à la Cour qu’elle ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, paragraphe 7). L’incapacité de la demanderesse principale à accéder à la demande de visa qu’elle a présentée aux É.-U. en 2016 ne satisfait pas à ce critère élevé.

[18]  Dans sa plaidoirie, l’avocate des demandeurs a fait valoir que le témoignage de la demanderesse principale quant à son orientation sexuelle permettrait à lui seul de régler l’affaire. Elle a souligné que la lettre de l’ancienne amante et celle de l’époux n’ont pas été traitées adéquatement par la SAR.

(2)  Les observations du défendeur

[19]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en indiquant qu’ils n’avaient pas présenté de demande d’asile aux É.-U. parce qu’ils avaient peur de leur famille, mais le défendeur fait valoir que l’autre motif invoqué par les demandeurs (la demanderesse principale ne voulait plus se trouver près de sa famille depuis qu’ils avaient commencé à la harceler) n’est pas une raison plus valable de retarder la présentation de la demande d’asile. Il est difficile de croire au besoin de protection alors que la demanderesse principale était prête à renoncer à l’éventuelle protection d’un pays aussi vaste et populeux que les É.-U. simplement parce qu’elle ne voulait pas être près de personnes se trouvant dans deux États des É.-U.

[20]  Quant aux conclusions de la SAR liées à l’élection du président Trump comme motif pour justifier la décision de ne pas présenter une demande d’asile aux É.-U., le défendeur soutient qu’elles sont raisonnables. La SAR a tenu compte de la période que les demandeurs ont passée aux États-Unis avant et après les élections américaines. En outre, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que l’affirmation de la demanderesse principale concernant sa rencontre avec un chauffeur de taxi qui lui a conseillé de présenter une demande d’asile au Canada n’était pas crédible.

[21]  Le défendeur offre une interprétation différente de celle des demandeurs de la déclaration se trouvant sur la demande de visa présentée aux É.-U. en 2014. Selon lui, elle n’indique pas nécessairement qu’il pourrait être difficile d’obtenir une copie si la demande n’est pas imprimée. Pour appuyer cette observation, il renvoie la Cour à la déclaration précédant celle relevée par la demanderesse : [traduction] « Nous n’avons besoin d’une copie imprimée de votre demande à aucun moment pour le processus d’entrevue. » De plus, la SAR a souligné que rien  ne prouve que l’accès en ligne aux renseignements relatifs aux demandes de visa présentées aux É.-U. a changé entre 2014 et 2016.

B.  Preuve documentaire

(1)  Les observations des demandeurs

[22]  Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable en raison de la façon dont elle a traité trois éléments de la preuve documentaire.

[23]  Le premier élément de preuve documentaire est une lettre corroborante de l’ancienne amante de la demanderesse principale qui l’aurait hébergée chez elle lorsque la police était à sa recherche. Les demandeurs soutiennent qu’il était injustifiable que la SAR n’accorde aucun poids à la lettre au motif qu’elle constitue du ouï-dire. De plus, ils affirment que la SAR n’a pas tenu compte du fait que l’auteure de la lettre a personnellement vécu et observé certains événements, dont les expériences sexuelles qu’elle a eues avec la demanderesse principale. Selon les demandeurs, le rejet de cette lettre par la SAR constitue une erreur fatale, car son acceptation aurait augmenté de façon significative les chances des demandeurs d’obtenir gain de cause. De plus, les demandeurs font valoir que la crédibilité de cette femme n’a jamais été remise en question.

[24]  En plus de dénoncer le traitement réservé à la lettre, les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable de la part de SAR de n’accorder aucun poids aux échanges de courriel entre la demanderesse principale et le 519, une organisation LGBT, au motif qu’il ne s’agissait pas d’affirmations solennelles et qu’ils ne faisaient que réitérer la déclaration de la demanderesse principale voulant qu’elle soit bisexuelle.

[25]  Les demandeurs ont également fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de la déclaration assermentée de l’époux de la demanderesse principale consentant à ce qu’elle quitte le Nigéria en raison du harcèlement auxquels ils faisaient face, ni ne l’a mentionnée. Selon eux, cela est contraire au principe que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35 (CFPI), paragraphe 17).

(2)  Les observations du défendeur

[26]  Le défendeur affirme également que la décision de la SAR et son traitement de la preuve étaient raisonnables. Il soutient que les demandeurs ont mal décrit la façon dont la SAR a traité la preuve. En fait, la SAR était en désaccord avec deux des motifs énoncés par la SPR pour justifier le fait d’accorder « peu de poids » à la lettre, soit qu’il ne s’agissait pas d’une affirmation solennelle et le fait que la demanderesse principale a demandé à cette femme d’écrire la lettre. La SAR a toutefois accordé « peu de poids » au contenu de lettre ayant trait à la façon dont la police a cherché à arrêter la demanderesse principale pour avoir sollicité une relation homosexuelle, ce qui est raisonnable parce que cette partie de la lettre constitue du ouï-dire.

[27]  Selon le défendeur, les échanges de courriel avec l’organisation 519 ne renforcent pas la déclaration de la demanderesse principale voulant qu’elle soit bisexuelle.

[28]  De façon générale, le défendeur soutient que l’analyse de la SAR n’était pas « déraisonnable au point d’attirer [une] intervention » (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no732 (CAF)). Le défendeur soutient également que la SAR « ne peut être convaincu[e] que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu[e] qu’il est probable qu’ils le sont, et non seulement possible » (Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 592 (CA), au paragraphe 20).

VIII.  Analyse

[29]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[30]  À titre préliminaire, la Cour fait remarquer le défendeur est désigné incorrectement dans l’intitulé de la cause. La Cour ordonne que l’intitulé de la cause soit modifié de façon à désigner correctement le défendeur comme étant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

A.  Questions de crédibilité

[31]  La SAR a attentivement examiné les éléments de preuve et formulé des motifs valables et détaillés pour rejeter l’appel. Si la SAR a rejeté des faits véridiques, c’est simplement dû au fait que la demanderesse principale n’était pas crédible. La Cour fait remarquer que le dossier indique qu’elle a fait des déclarations contradictoires sur sa connaissance des lois et des politiques américaines. D’une part, elle défend sa décision de venir au Canada qui est fondée en partie sur ses inquiétudes quant aux changements qui seront apportés aux politiques des É.-U. à l’égard des réfugiés. Elle affirme que ces inquiétudes sont raisonnables, puisqu’elle est une [traduction] « intellectuelle » et une [traduction] « femme très éduquée qui parle couramment anglais ». D’autre part, la demanderesse principale a dit ne pas savoir qu’elle aurait pu présenter une demande d’asile aux É.-U. et qu’il était hypothétique de présumer qu’elle devait savoir dans une certaine mesure que les réfugiés ont droit à une protection aux É.-U. Ces deux points de vue sont incompatibles. L’argument des demandeurs selon lequel la SAR a fait des suppositions en s’attendant à ce que la demanderesse principale sache dans une certaine mesure que les É.-U. assureraient la protection des réfugiés est sans fondement.

[32]  Ce qui est encore plus troublant, c’est l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle avait une trace écrite de messages suggestifs à caractère sexuel envoyés à une ancienne amante qui, elle le savait, était devenue pasteure. La SAR a conclu que cette prétention était invraisemblable puisque ses avances explicites auraient facilement pu se retourner contre elle. Les avances sexuelles que la demanderesse principale a faites à la pasteure constituent l’événement qui aurait mené à sa persécution. Les demandeurs n’ont pas contesté la description de cette conclusion devant la SAR ni la Cour.

[33]  Dans ces circonstances, il était raisonnable de la part de la SAR d’être tentée de conclure que d’autres parties du récit de la demanderesse principale sont fabriquées de toutes pièces. Comme l’a déclaré le juge Michel Shore, « [l]e demandeur qui se joue de la vérité dans des poursuites judiciaires ne peut s’attendre à connaître le succès; ainsi, il se pourrait que le tribunal écarte même les déclarations qui sont vraies, ignorant comment départager le vrai du faux, ce qui crée alors un climat d’incertitude » (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856, paragraphe 1).

[34]  La Cour souscrit à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a commis une erreur en affirmant, sans s’appuyer sur des éléments de preuve documentaire, qu’on ne s’attendait, de façon générale, pas à la victoire électorale du président Trump. La conclusion générale de la SAR est néanmoins raisonnable. La SAR a également conclu que la décision de la demanderesse principale de ne pas présenter une demande d’asile après les élections (du 8 novembre 2016 au 20 décembre 2016) est incompatible avec une véritable crainte de persécution.

[35]  De plus, l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a fait erreur en énonçant la raison pour laquelle la demanderesse principale a quitté les É.-U. n’est pas pertinent. Les demandeurs allèguent que la demanderesse principale a quitté les É.-U. – pays susceptible de  lui offrir un refuge contre la persécution – non parce qu’elle craignait des membres de sa famille, mais parce qu’elle ne voulait tout simplement pas se trouver à proximité des proches qui n’approuvaient pas son mode de vie. Comme le défendeur, la Cour estime que cet argument ne fait que compromettre davantage la crédibilité de la crainte subjective de persécution de la demanderesse principale.

[36]  Quant à l’argument des demandeurs voulant que la SAR ait omis de tenir compte de la situation personnelle de la demanderesse principale, il est dénué de fondement. La SAR a reconnu que la demanderesse principale a sans doute « eu à surmonter de nombreux obstacles pendant son séjour de trois mois et demi aux États-Unis, mais aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer qu’elle était sous le choc au point de na pas être en mesure de demander l’aide des autorités américaines ».

[37]  De plus, la Cour conclut qu’il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable de l’incapacité de la demanderesse principale à produire la documentation liée à sa demande de visa présentée aux États-Unis en 2016 et à expliquer pourquoi elle ne pouvait pas l’obtenir. Les demandeurs n’ont fait aucun effort entre la première et la deuxième séance pour obtenir la documentation demandée. En outre, la Cour souscrit à l’argument du défendeur quant à l’interprétation de la note figurant sur la demande de visa présentée aux É.-U. en 2014.

[38]  Le demandeur d’asile doit transmettre des documents acceptables qui permettent d’établir les éléments de sa demande d’asile. « S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents » (article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256). Par conséquent, la SAR a le droit « de tenir compte du peu d’efforts que le demandeur avait déployés pour obtenir une preuve corroborant [certains éléments de sa demande d’asile] et de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité pour cette raison » (Samseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542, paragraphe 30).

B.  Preuve documentaire

[39]  Les demandeurs présentent sous un faux jour l’évaluation de la SAR de la lettre de la prétendue amante de la demanderesse principale qui aurait caché cette dernière chez elle en août 2016. Les demandeurs soutiennent que la SAR n’y a essentiellement accordé [traduction« aucun poids » parce que certains de ses éléments constituent du ouï-dire. C’est inexact. Premièrement, la SAR y accorde « peu de poids » et non « aucun poids ». Deuxièmement, la SAR fait la distinction entre les aspects de la lettre qui constituent des témoignages directs et ceux qui se fondent sur la version des faits de la demanderesse principale. L’évaluation de la SAR de la force probante de la lettre est raisonnable.

[40]  Son évaluation des courriels échangés en 2015 avec le 519, une organisation LGBT, est également raisonnable. Contrairement à ce que prétend la demanderesse principale, la SAR n’a pas rejeté les courriels parce qu’il ne s’agissait pas d’affirmations solennelles. Elle a plutôt conclu que les courriels n’ajoutent rien de nouveau aux éléments de preuve déjà présentés.

[41]  Bien que la SAR ne fasse aucune mention de la déclaration sous serment de l’époux, cela ne signifie pas qu’elle ne l’a pas prise en considération. Les tribunaux administratifs sont présumés avoir pris en compte tous les éléments de preuve qui leur ont été présentés, mais ils ne sont pas tenus de tirer une conclusion explicite sur chaque élément de preuve (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphe 16). Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, paragraphe 54).

[42]  Plus important encore, les demandeurs n’ont pas démontré en quoi la déclaration sous serment de l’époux appuie leur demande. Ils ont même reconnu que certains des énoncés qu’elle comporte sont faux. Alors que la lettre indique que les demandeurs [traduction] « devraient fuir au Canada pour des raisons de sécurité à cause du harcèlement et des menaces à leur endroit par les membres de notre famille au Nigéria et par les proches de la demanderesse principale aux États-Unis en raison de son orientation sexuelle et de son refus de se faire exciser », la demanderesse principale explique qu’elle craint uniquement d’être persécutée au Nigéria et non aux É.-U.

[43]  La décision de la SAR est raisonnable et appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

IX.  Conclusion

[44]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1124-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier. L’intitulé de la cause est modifié afin de désigner correctement le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1124-18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MUSILI AMOKE IDAHOSA, EHIZEME JAYDEN IDAHOSA, ESEOSA JASON IDAHOSA,

OSARUMEN JARREL IDAHOSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2019

 

COMPARUTIONS :

Ashley Fisch

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfiel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker et Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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