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Date : 20190214


Dossiers : T-1960-18

T-2093-18

Référence : 2019 CF 191

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2019

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

Dossier : T-1960-18

ENTRE :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

TEVA CANADA LIMITÉE

défenderesse

Dossier : T-2093-18

ET ENTRE :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie de la question de savoir si certaines des questions soulevées dans deux actions distinctes intentées par les mêmes demanderesses contre deux fabricants de génériques différents en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), devraient être instruites conjointement et si le fait de procéder ainsi va à l’encontre de l’interdiction de réunir des actions énoncée à l’article 6.02 du Règlement. Pour les motifs qui suivent, la Cour juge qu’en l’espèce il est dans l’intérêt de la justice d’ordonner que les questions d’invalidité communes aux deux actions soient instruites en même temps et que cela ne constitue pas une réunion des actions.

[2]  Les demanderesses dans les deux actions, Bayer Inc. et Bayer Intellectual Property GmbH (collectivement appelées « Bayer » dans les présents motifs), ont intenté la première action (dossier T‑1960‑18) contre Teva Canada Limitée le 9 novembre 2018 en réponse à un avis d’allégation dans lequel Teva affirmait que le produit qu’elle proposait – le rivaroxaban – ne contreferait aucune des revendications valides des brevets nos 2 547 113, 2 624 310 et 2 823 159 de Bayer. Moins d’un mois plus tard, le 7 décembre 2018, Bayer a intenté la deuxième action (dossier T‑2093‑18) contre Apotex Inc. en réponse à trois avis d’allégation portant que le produit générique qu’elle proposait – le rivaroxaban – ne contreferait aucune des revendications valides des mêmes brevets.

[3]  Selon le Règlement, la Cour fédérale est tenue d’instruire et de trancher les actions de ce genre dans les 24 mois suivant la date à laquelle elles ont été déposées. La Cour a publié des lignes directrices sur le traitement de ces actions et le respect du délai serré dans un avis aux parties et à la communauté juridique daté du 21 septembre 2017. Conformément à ces lignes directrices, la soussignée a été rapidement désignée juge responsable de la gestion de l’instance dans l’action mettant en cause Teva et, par une ordonnance datée du 13 décembre 2018, un calendrier prévoyant toutes les étapes importantes de l’action a été établi et deux semaines ont été réservées à partir du 14 septembre 2020 pour le procès.

[4]  La soussignée a également été nommée juge responsable de la gestion de l’instance dans l’action mettant en cause Apotex. La première conférence de gestion d’instance dans cette action a eu lieu le 8 janvier 2019 et un calendrier a alors été fixé. Selon celui-ci, toutes les étapes importantes devraient être terminées d’ici la fin de juillet 2020, à temps pour que le procès se tienne en même temps que celui de Teva.

[5]  La situation ainsi créée est semblable à celle qui a donné lieu à la décision dans l’affaire Biogen Canada Inc. c Taro Pharmaceuticals Inc., 2018 CF 1034. Dans cette affaire, le même innovateur, Biogen, avait intenté deux actions en vertu du Règlement contre différents fabricants de génériques, Taro et Apotex, à l’égard du même médicament et du même brevet, à environ un mois d’intervalle. Au moment où la Cour a été prête à fixer un calendrier et une date de procès dans l’affaire mettant en cause Apotex, la date du procès dans l’affaire mettant en cause Taro avait déjà été fixée. Biogen et Apotex ont consenti à une ordonnance portant que les questions d’invalidité communes aux deux actions soient instruites en même temps durant le procès de Taro, dont la date avec déjà été fixée, et que les allégations de contrefaçon visant Apotex soient entendues séparément à une date ultérieure.

[6]  Dans l’affaire Biogen, il n’y avait guère de désaccord entre les parties sur le fait que l’instruction conjointe des questions d’invalidité communes permettrait d’éliminer le dédoublement des efforts, constituait une bonne utilisation des ressources judiciaires et permettrait de régler de manière juste et de la façon la plus expéditive et la moins coûteuse les questions qui étaient en litige dans les deux actions. La Cour a expliqué ces avantages ainsi :

[7]  Dans les litiges en matière de brevets pharmaceutiques, il est d’usage que la Cour, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire, désigne le même juge pour instruire des affaires qui mettent en cause le même brevet et le même médicament. Les aspects scientifiques et techniques que comportent ces litiges sont si complexes qu’il faut un temps et des efforts considérables avant qu’un juge acquière une connaissance pratique des concepts scientifiques non litigieux de base qui seront nécessaires pour trancher les questions de fait en litige. Quand la Cour met ses connaissances durement acquises au service d’autres affaires qui l’exigent, elle ne fait qu’utiliser au mieux ses ressources judiciaires. Un juge qui a une excellente connaissance des éléments de preuve produits dans une affaire aura également une meilleure idée des situations où des différences entre les éléments de preuve produits dans une affaire différente pourraient justifier un résultat différent, et ce, sans contrevenir aux principes de la courtoisie judiciaire et de la prévisibilité.

[8]  Conformément à cet usage, la Cour désignerait donc en général le même juge pour l’instruction des deux actions de Taro et d’Apotex.

[9]  Étant donné que les questions d’invalidité soulevées dans les deux actions sont essentiellement les mêmes, que les avocats représentant Biogen sont les mêmes, que les mêmes inventeurs seront appelés à témoigner sur les mêmes questions de fait, que les deux actions seront instruites au même moment et qu’il faudrait que le juge soit le même, l’utilisation efficace du temps de la Cour et de celui des parties commande que les questions d’invalidité qui sont en litige dans les deux actions soient instruites ensemble.

[7]  Aucune des parties dans l’affaire Biogen n’a soutenu que l’instruction conjointe de certaines des questions en litige constituait une réunion des actions, qui est interdite par l’article 6.02 du Règlement. Cependant, Taro s’est opposée à l’audience commune proposée au motif que cela pourrait mener à des jugements concordants et lui faire perdre l’avantage commercial d’être la première à commercialiser une version générique de son produit. La Cour a examiné les arguments de Taro et a conclu qu’une ordonnance prescrivant la tenue d’une audience commune pour les questions d’invalidité ne voulait pas nécessairement dire qu’Apotex obtiendrait un jugement en même temps que Taro, tout comme l’inverse ne garantissait pas que Taro soit la première à commercialiser le produit. Dans tous les cas, la Cour a conclu que rien dans le Règlement ne donnait au fabricant de génériques qui est le premier à envoyer un avis d’allégation au sujet d’un médicament en particulier le droit d’être le premier à obtenir un jugement dans une action intentée en vertu du Règlement.

[8]  En l’espèce, les deux fabricants de génériques reconnaissent que l’intérêt de la justice et une bonne utilisation des ressources commandent un résultat similaire. C’est plutôt l’innovateur, Bayer, qui s’oppose à une audience commune.

[9]  Étant donné l’objection de Bayer, la Cour a demandé et reçu des observations écrites de Bayer et d’Apotex, et a tenu une audience par conférence téléphonique durant laquelle toutes les parties, y compris Teva, ont comparu et présenté des observations de vive voix.

[10]  Bien que la Cour ait demandé aux parties de présenter des observations sur [traduction] « le calendrier du procès » et ait mentionné l’ordonnance rendue dans l’affaire Biogen lors d’une conférence préparatoire précédente, dans ses observations écrites, Bayer n’a fait qu’aborder la proposition de réunir les actions plutôt que de les instruire partiellement en même temps. Elle s’est peu attardée sur les avantages et les inconvénients d’une audience commune, et s’est exprimée longuement sur les critères jurisprudentiels à satisfaire pour rendre une ordonnance de réunion et sur le préjudice qui pourrait découler d’une réunion complète des actions et des incertitudes quant aux modalités de cette réunion. La façon dont Bayer présente la question comme un choix entre la réunion des actions et l’instruction de deux procès pleinement indépendants sert également de fondement à son argument selon lequel cette « jonction » constitue une réunion d’actions et est donc interdite par l’article 6.02 du Règlement.

[11]  Le pouvoir de la Cour de déterminer comment deux ou plusieurs instances dont elle est saisie doivent être instruites l’une par rapport à l’autre est énoncé à l’article 105 des Règles des Cours fédérales :

105 La Cour peut ordonner, à l’égard de deux ou plusieurs instances :

a) qu’elles soient réunies, instruites conjointement ou instruites successivement;

b) qu’il soit sursis à une instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une autre instance;

c) que l’une d’elles fasse l’objet d’une demande reconventionnelle ou d’un appel incident dans une autre instance.

105 The Court may order, in respect of two or more proceedings,

(a) that they be consolidated, heard together heard one immediately after the other;

(b) that one proceeding be stayed until another proceeding is determined; or

(c) that one of the proceedings be asserted as a counterclaim or cross-appeal in another proceeding.

[12]  Même s’il est fait mention d’instances réunies et d’instances instruites conjointement dans la même phrase et même si ces mécanismes sont souvent considérés comme étant équivalents sur le plan fonctionnel, il s’agit de concepts très différents qui ont des conséquences très différentes. La Cour d’appel fédérale explique la distinction aux paragraphes 7 et 8 de l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 176 et aux paragraphes 7 à 9 de l’arrêt Venngo Inc. c Concierge Connection Inc., 2016 CAF 209, citant avec approbation l’affaire Wood c Farr Ford Ltd., [2008] O.J. No. 4092, 67 C.P.C. (6th) 23. La décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Wood concerne l’application du paragraphe 6.01(1) des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, qui, comme l’article 105 de nos Règles, prévoit la réunion d’actions ou l’instruction simultanée ou consécutive dans les termes suivants :

6.01(1) Si plusieurs instances sont en cours devant le tribunal et qu’il appert au tribunal, selon le cas :

a) qu’elles ont en commun une question de droit ou de fait;

b) que les mesures de redressement demandées sont reliées à la même opération ou au même événement ou à la même série d’opérations ou d’événements;

c) qu’il est par ailleurs nécessaire de rendre une ordonnance en application de la présente règle,

le tribunal peut ordonner :

d) soit la réunion des instances ou leur instruction simultanée ou consécutive;

e) soit, l’une des mesures suivantes :

(i) qu’il soit sursis à une instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de l’une des autres,

(ii) qu’une instance fasse l’objet d’une demande reconventionnelle dans l’une des autres

6.01(1) Where two or more proceedings are pending in the court and it appears to the court that,

(a) they have a question of law or fact in common;

(b) the relief claimed in them arises out of the same transaction or occurrence or series of transactions or occurrences; or

(c) for any other reason an order ought to be made under this rule,

the court may order that,

(d) the proceedings be consolidated, or heard at the same time or one immediately after the other; or

(e) any of the proceedings be,

(i) stayed until after the determination of any other of them, or

(ii) asserted by way of counterclaim in any other of them

 

[13]  La Cour supérieure de justice de l’Ontario a expliqué la distinction entre la réunion d’actions et l’instruction conjointe de la manière suivante, aux paragraphes 24 à 27 de l’affaire Wood :

[traduction]

[24]  Lorsque deux actions sont réunies, elles deviennent une seule action et sont traitées comme tel. Ainsi, il n’y a « qu’un seul acte de procédure, une seule série d’interrogatoires préalables, un seul jugement et un seul mémoire de frais » : voir The Civil Litigation Process, précité, p. 420.

[25]  S’il est ordonné que deux actions soient instruites conjointement, « les actions conservent leur identité distincte et il y a des actes de procédure, des interrogatoires préalables, des jugements et des mémoires de frais distincts. Par contre, les actions sont inscrites au rôle l’une après l’autre afin d’être “instruites conformément aux directives de la Cour”. Habituellement, le juge du procès ordonne que la preuve déposée dans le cadre d’une action soit admise comme preuve dans l’autre action (ou les autres actions). De cette façon, les deux actions (ou toutes les actions) sont instruites conjointement par le même juge ou jury » : voir The Civil Litigation Process, ibid.

[26]  Bien qu’il ait été souligné que « [l]a différence entre la réunion d’actions et l’ordonnance rendue à l’égard de l’instruction conjointe d’actions est plus technique que réelle » (voir The Civil Litigation Process, ibid.), je suis d’avis que la différence peut être bien réelle si la décision est prise rapidement. Les actions instruites conjointement permettent essentiellement d’économiser temps et argent à l’étape du procès et sont plus pratiques. Cependant, la réunion d’actions offre ces mêmes avantages plus tôt dans l’instance : un seul acte de procédure, un seul affidavit de documents, un seul interrogatoire préalable, un seul mémoire relatif à la conférence préparatoire et une seule conférence préparatoire.

[27]  L’existence d’une deuxième action entraîne également le risque que les deux progressent à un rythme différent, causant ainsi un retard pendant que les parties attendent que le procès qui se déroule plus lentement rattrape l’autre.

[14]  La distinction entre la réunion d’actions, telle qu’elle est envisagée par Bayer dans ses observations, et l’instruction conjointe des questions d’invalidité, telle qu’elle est ordonnée dans l’affaire Biogen et envisagée en l’espèce, est donc la suivante : si elles sont réunies, les deux actions deviendraient une seule action et il n’y aurait qu’une seule série d’interrogatoires préalables, un seul procès, et, peut-être ce qui importe plus, un seul jugement. S’il y a instruction conjointe des questions d’invalidité, il y aura deux actions distinctes. Les interrogatoires préalables pourront être coordonnés si les parties y consentent, mais cela n’est pas nécessaire. Les deux actions seraient instruites conjointement, mais seulement pour ce qui est des questions communes, à savoir les questions liées à l’interprétation des revendications et à l’invalidité, pour lesquelles la preuve ne serait déposée qu’une seule fois aux fins des deux actions. Pour toutes les autres questions, y compris celles touchant la contrefaçon, les procès se dérouleraient séparément. Enfin, et ce point est tout aussi important, il y aurait nécessairement deux jugements, chacun ayant un effet contraignant seulement sur les parties auxquelles il se rapporte. Ces jugements pourraient même être rendus à des moments différents. Dans l’affaire Biogen, les dates précises et le mécanisme d’instruction des procès ont entraîné un délai de plusieurs semaines entre la fin du premier procès et la reprise du deuxième, ce qui donnait lieu à la possibilité que les jugements soient rendus à des moments différents :

[17]  En fait, une ordonnance portant que les procès se déroulent en même temps à l’égard des questions d’invalidité ne scindera pas les questions en jeu dans le procès d’Apotex; elle prévoira simplement que l’instruction des questions d’invalidité commune débutera, dans le procès d’Apotex, en même temps que celle de Taro. Pour ce qui est de toutes les autres questions en litige, le procès d’Apotex sera alors reporté en avril 2020, tandis que le procès de Taro se poursuivra jusqu’à sa conclusion prévue, le 13 mars 2020. Ainsi, la juge du procès serait en mesure, si elle le décide ou si elle le peut, de rendre un jugement dans le procès de Taro avant de conclure le procès d’Apotex. Étant donné que les éléments de preuve relatifs à l’invalidité auront été les mêmes, Apotex et Biogen pourraient connaître l’issue probable du procès d’Apotex sur les questions d’invalidité quand le jugement relatif à Taro sera rendu, mais ce jugement ne sera pas en vigueur ou exécutoire, en soi, à l’égard de l’action d’Apotex.

[15]  En bref, une ordonnance de réunion donne lieu à la jonction de deux actions et, nécessairement, à un seul procès, tandis qu’une ordonnance portant que deux actions soient instruites conjointement donne lieu à un procès conjoint, mais pas à la jonction des actions. L’interdiction générale de réunir des actions est énoncée à l’article 6.02 du Règlement :




6.02  Aucune action ne peut être réunie à une action donnée intentée en vertu du paragraphe 6(1) durant la période pendant laquelle le ministre ne peut délivrer d’avis de conformité en raison de l’alinéa 7(1)d), sauf :

a) une autre action intentée en vertu de ce paragraphe relativement à la présentation ou au supplément visé dans cette action donnée;

b) toute action relative à un certificat de protection supplémentaire ajouté au registre après le dépôt de la présentation ou du supplément visé dans cette action donnée, si le brevet mentionné dans ce certificat de protection supplémentaire est en cause dans cette action donnée.

6.02  No action may be joined to a given action brought under subsection 6(1) during any period during which the Minister shall not issue a notice of compliance because of paragraph 7(1)(d) other than:

(a) another action brought under that subsection in relation to the submission or supplement in that given action; and

(b) an action brought in relation to a certificate of supplementary protection that is added to the register after the filing of the submission or supplement in that given action, if the patent that is set out in that certificate of supplementary protection is at issue in that given action.

[16]  Selon le sens clair de la disposition, son application se limite à la jonction d’actions. Pour interpréter la disposition comme interdisant l’instruction conjointe d’une ou de plusieurs actions, il faudrait interpréter le mot « action » comme désignant l’action dans son ensemble et l’instruction de l’action comme un élément dissociable de sorte que la disposition se lirait ainsi : « Aucune action ni instruction d’une action ne peut être réunie à une action ou à l’instruction d’une action donnée [...] ». Non seulement cela élargirait indûment le sens ordinaire des mots utilisés, mais cela n’est pas justifié dans le but de donner effet à l’objet ou à l’intention du régime de réglementation.

[17]  Les raisons derrière l’interdiction de joindre des actions sont expliquées ainsi dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié avec le Règlement modifié (Gazette du Canada, partie I, vol. 151, no 28, à la page 3321) :

Les restrictions quant à la réunion d’actions sont nécessaires afin de limiter le nombre de questions en litige et faciliter la résolution de l’affaire dans le délai de 24 mois. Il est aussi nécessaire d’éviter de compliquer davantage l’évaluation des dommages-intérêts découlant du report de l’entrée sur le marché du produit.

[18]  Dans le cadre d’actions ordinaires, les caractéristiques de la jonction d’actions (ou de la réunion ultérieure de celles-ci), comme le faire d’avoir un seul acte de procédure, une seule série d’interrogatoires préalables et un seul jugement, peuvent être jugées avantageuses, mais dans le contexte d’actions intentées en vertu du Règlement, elles sont plus susceptibles d’être une source de complications qui, selon Bayer, sont préjudiciables et que l’article 6.02 du Règlement tente d’éviter. Étant donné la rapidité avec laquelle les actions sont instruites sous le régime du Règlement, il faut apporter des modifications aux actes de procédures existants pour obtenir un seul acte de procédure après la réunion d’actions. Chaque fabricant de génériques aura fort probablement ses propres avocats et ses propres opinions sur les questions d’interprétation et d’invalidité, ce qui fait qu’il est difficile de préparer une réponse unique et finalement, de rendre un seul jugement. La nécessité de coordonner les disponibilités de trois groupes d’avocats pour tous les interrogatoires préalables et toutes les procédures interlocutoires peut représenter un lourd fardeau et être inefficace, et l’imposition de dispositions de confidentialité conflictuelles par chaque fabricant de génériques concernant les données techniques ou scientifiques relatives à son produit peut compliquer énormément l’échange de la preuve présentée à l’interrogatoire et des rapports d’experts, ainsi que la conduite du procès. Les questions accessoires ou procédurales soulevées par un fabricant de génériques, mais pas par l’autre peuvent également entraîner des retards cumulatifs. Le fait que les actions réunies doivent être instruites conjointement et faire l’objet d’un seul jugement donne aussi naissance à un risque important que la décision à l’égard des observations d’un fabricant de génériques soit indûment reportée en raison de complications attribuables à un autre fabricant de génériques, ce qui complique l’évaluation des dommages-intérêts découlant du report de la mise en marché dont il est question dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation.

[19]  À l’inverse, le simple fait d’ordonner l’instruction conjointe de certaines questions n’entraîne pas les mêmes complications, et le fait d’interpréter l’article 6.02 comme interdisant aussi la tenue de procès conjoints n’aurait pas pour effet de limiter le nombre de questions en litige ni de faciliter la résolution de l’affaire en 24 mois.

[20]  Puisqu’une ordonnance de procès conjoint n’a pas par ailleurs pour effet de joindre les actions, les inconvénients de la réunion d’actions sont évités. Les actions demeurent distinctes, il n’est pas nécessaire d’apporter des modifications et le nombre de questions en litige reste le même dans chaque action. Étant donné que chaque action sera tranchée séparément, chacune peut être tranchée sur la base unique des questions soulevées dans celle-ci, sans qu’il y ait un risque de compliquer l’évaluation des dommages-intérêts découlant d’un report de la mise en marché. Les avocats n’ont pas besoin de coordonner les interrogatoires préalables et les requêtes interlocutoires, et les restrictions en matière de confidentialité sont respectées. Chaque action peut progresser à son propre rythme jusqu’à la date du procès conjoint et aborder les questions uniques qui peuvent être soulevées, sans entraîner de retards cumulatifs. De plus, comme les actions demeurent distinctes et ne sont pas inextricablement liées comme le sont les actions réunies, si des complications surviennent dans l’une d’elles et que le procès doit être reporté, cela n’a pas d’incidence sur l’autre action qui demeure sur la bonne voie en vue d’être prête pour la date fixée du procès.

[21]  Il peut même être contre-productif d’interpréter le Règlement comme supprimant la capacité de la Cour d’instruire conjointement certaines parties du procès et cela peut nuire à l’objectif du Règlement qui est de résoudre les actions en 24 mois.

[22]  Comme il est mentionné dans le passage précité de l’affaire Biogen, l’instruction conjointe des questions communes dans ces cas complexes constitue l’utilisation la plus efficace du temps et des ressources de la Cour et des parties. Par contre, comme en l’espèce, lorsque deux actions qui soulèvent les mêmes questions d’invalidité concernant les mêmes brevets sont intentées et doivent être réglées dans un intervalle d’à peine un mois, interdire à la Cour d’ordonner l’instruction conjointe de ces questions obligerait la Cour à instruire deux procès essentiellement identiques dans un intervalle d’un mois, ce qui nécessiterait que les mêmes avocats, les mêmes inventeurs et peut-être les mêmes experts soient disponibles pour deux procès, donc pour une durée deux fois plus longue que si le procès était conjoint. Il sera alors plus difficile de trouver des dates de disponibilité communes et il pourrait y avoir des retards inutiles. Il pourrait également être impossible de s’assurer que le même juge soit disponible pour les deux procès dans les délais précisés par le Règlement, ce qui entraînerait une perte d’efficacité et pourrait prolonger le temps requis pour rendre une décision. La perspective d’un procès conjoint sert également à inciter les parties dans les deux actions à coordonner et à mener des interrogatoires préalables conjoints des inventeurs, éliminant ainsi le risque de retards qu’entraînerait la participation répétée de multiples inventeurs à deux séries d’interrogatoires préalables.

[23]  En conclusion, la Cour est convaincue que le fait d’ordonner l’instruction conjointe des questions d’invalidité dans les deux actions ne va pas à l’encontre du libellé, de l’objet ou de l’intention de l’article 6.02 du Règlement.

[24]  Les motifs susmentionnés mènent également à la conclusion inévitable qu’une telle ordonnance permettra de régler sur le fond de manière juste et de la façon la plus expéditive et la moins coûteuse les questions en litige dans les deux actions, et qu’elle est dans l’intérêt de la justice.

[25]  Les arguments formulés par Bayer dans ses observations écrites selon lesquels la « réunion » des actions lui causerait un préjudice ne s’appliquent tout simplement pas à un procès conjoint. Son argument selon lequel le fait d’ordonner l’instruction conjointe des questions lui causerait préjudice parce que cela accorderait un avantage [traduction] « injuste » à Teva et à Apotex et leur offrirait la possibilité de mettre leurs ressources en commun alors qu’elle se retrouverait à devoir lutter contre deux opposants en même temps n’est pas convaincant, particulièrement venant d’une société multinationale bien établie représentée par des avocats chevronnés.

[26]  Bien que le procès de Teva soit censé débuter le 14 septembre et durer deux semaines, ces dates ne sont que provisoires pour l’instant. Aucun juge du procès n’a encore été désigné et les disponibilités de Bayer et d’Apotex durant la période précédant et suivant le procès de Teva doivent être examinées. Par conséquent, bien que la Cour ordonne l’instruction conjointe des questions d’invalidité communes aux deux actions, les dates précises du début, de l’ajournement, de la reprise et de la fin des parties communes et individuelles des procès seront fixées par l’administrateur judiciaire, en consultation avec les parties et la juge responsable de la gestion de l’instance.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Le procès dans le dossier T-1960-18 se déroulera en même temps que le procès dans le dossier T-2093-18 relativement à toutes les questions d’invalidité communes, à la date, à l’endroit et pour la durée fixés par l’administrateur judiciaire, en consultation avec les parties et la juge responsable de la gestion de l’instance.

  2. Les procès dans les dossiers T-1960-18 et T-2093-18 relativement à toutes les autres questions se dérouleront séparément à la date, à l’endroit et pour la durée fixés par l’administrateur judiciaire, en consultation avec les parties et la juge responsable de la gestion de l’instance.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mars 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-1960-18

 

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c TEVA CANADA LIMITÉE

 

ET DOSSIER :

T-2093-18

 

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

lE 14 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

MELISSA BINNS

WILL BOYER

CHRISTOPHER VAN BARR

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

LILIANE WALLACE

J. BRADLEY WHITE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

tEVA CANADA LIMITÉE

 

HARRY RADOMSKI

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA CANADA LIMITÉE

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

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