Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190207

Dossier : T‑554‑16

Référence : 2019 CF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2019

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

PLITEQ, INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

WILREP LTD.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour a été saisie d’une requête présentée par la demanderesse, Pliteq, en vue de la délivrance d’une ordonnance préventive comportant des dispositions permettant d’attribuer à certains documents la désignation « consultation restreinte aux avocats », et d’autres mesures de redressement.

[2]  La principale question en litige entre les parties est de savoir s’il est approprié pour Pliteq d’être autorisée à apporter la désignation [traduction« Hautement confidentiel – Consultation restreinte aux avocats », de sorte que l’avocat de la défenderesse, Wilrep, serait incapable de les montrer à sa cliente ou de discuter de leur contenu avec cette dernière. Selon la compréhension que la Cour a des positions des parties, cette question constitue le seul motif justifiant l’intervention de la Cour et la délivrance d’une ordonnance formelle. Si la Cour refuse d’autoriser l’utilisation de la désignation « consultation restreinte aux avocats », il semble qu’il n’y ait pas de raison que la façon dont les parties doivent manipuler et traiter les documents et les renseignements échangés entre elles, y compris les renseignements qu’elles jugent confidentiels, ne puisse être régie adéquatement par la règle d’engagement implicite et, au besoin, par une entente de confidentialité. Aucune des parties n’a fait valoir que ces mesures pourraient être impossibles à mettre en œuvre, insuffisantes ou inapplicables dans le cas présent.

I.  LE DROIT APPLICABLE

[3]  Il n’y a pas de désaccord substantiel entre les parties quant au critère à respecter pour que la Cour permette l’utilisation de la désignation « consultation restreinte aux avocats ». Les parties ont cité un certain nombre d’affaires dans le cadre desquelles les tribunaux ont examiné et expliqué les circonstances dans lesquelles il pourrait être approprié de rendre une telle ordonnance. Toutefois, il est juste de dire que toutes les décisions rendues dans des affaires particulières respectent le critère concis, mais exhaustif, énoncé ainsi au paragraphe 53 de l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[4]  La jurisprudence, et en particulier le paragraphe 15 de la décision rendue dans l’affaire Bard Peripheral Vascular Inc. c WL Gore & Associates, Inc., 2017 CF 585, fait également mention des trois facteurs suivants à titre de « facteurs que la Cour considère habituellement comme militant en faveur du prononcé d’une ordonnance de consultation restreinte aux avocats »:

1)  l’ordonnance proposée va dans le même sens que les ordonnances de confidentialité rendues par consentement des parties dans les instances parallèles aux États‑Unis auxquelles les parties sont directement ou indirectement parties;

2)  l’ordonnance doit permettre à la partie adverse de s’opposer à la désignation de tel ou tel document comme confidentiel;

3)  la partie qui réclame l’ordonnance de consultation restreinte aux avocats pense en toute bonne foi que ses intérêts commerciaux et scientifiques pourraient être gravement compromis par une divulgation publique.

[5]  Toutefois, ces facteurs ne constituent pas des motifs supplémentaires ou indépendants justifiant le prononcé d’une ordonnance préventive de consultation restreinte aux avocats. Il s’agit plutôt de facteurs qui peuvent aider la Cour à déterminer si le critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club a été respecté.

[6]  Par exemple, l’existence d’ordonnances préventives accordées sur consentement dans le cadre de procédures parallèles aux États‑Unis serait un facteur indiquant que les effets préjudiciables d’une ordonnance – en l’espèce, sur la capacité d’une partie de donner des directives éclairées à son avocat – ne sont pas d’une importance considérable pour les parties, car elles avaient déjà consenti à des restrictions semblables dans des circonstances similaires. L’inclusion de modalités permettant de contester la désignation est une question d’équilibre entre les effets salutaires et préjudiciables découlant de l’application d’une telle ordonnance. Enfin, la croyance de bonne foi de la partie désignante que la divulgation pourrait porter gravement atteinte à ses intérêts commerciaux ou scientifiques n’est rien d’autre que l’un des nombreux éléments qui pourraient aider à établir si le premier volet du critère de l’arrêt Sierra Club est respecté, soit une démonstration, fondée sur des données probantes, qu’il existe un risque réel de préjudice grave à un intérêt important. Pliteq ne laisse pas entendre que l’affirmation d’une croyance de bonne foi d’une partie est, en soi, suffisante pour satisfaire à ce volet du critère si une telle croyance n’est pas autrement raisonnable ou soutenue par des faits objectifs.

[7]  Il n’est pas rare qu’une ordonnance de consultation restreinte aux avocats soit demandée lors de litiges opposant des entreprises concurrentes si l’on craint que les renseignements commerciaux ou techniques confidentiels d’une partie, s’ils sont connus de l’autre partie, soient utilisés de façon à porter atteinte au positionnement concurrentiel de la partie qui les a produits. Toutefois, dans les actions en justice, les renseignements échangés au cours de la communication préalable sont automatiquement assujettis à la règle de l’engagement implicite, qui interdit à la partie destinataire d’utiliser les renseignements fournis dans la communication préalable à d’autres fins que le litige pour lequel ils sont produits [Juman c Doucette, 2008 CSC 8, Canada (Procureur général) c Amalki, 2010 CF 733, Merck &Co Inc. c Brantford Chemicals, 2005 CF 1360]. Ainsi, le risque que la partie destinataire utilise les renseignements de façon à nuire au caractère concurrentiel de la partie qui a produit ces documents ne peut se concrétiser que de deux façons : délibérément ou par négligence, notamment par la violation de la règle de l’engagement implicite; ou bien involontairement ou non, si un employé ou un dirigeant de la partie destinataire qui a eu connaissance de certains renseignements confidentiels ne peut faire autrement que d’être influencé dans ses décisions commerciales par ces renseignements dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, et ce, de manière à nuire à la partie qui communique les renseignements (voir, à titre d’exemple, le paragraphe 39 de la décision Rivard Instruments Inc c Ideal Instruments Inc, 2006 CF 1338).

[8]  L’existence de tels risques ne peut être simplement présumée à partir du fait que les parties sont des concurrentes. Si tel était le cas, chaque action en justice opposant des concurrents comporterait des documents avec la désignation « consultation restreinte aux avocats ».

[9]  Le manquement par une partie à ses obligations découlant de la règle de l’engagement implicite est un problème grave qui peut être sanctionné par des procédures pour outrage au tribunal et avoir des conséquences sérieuses pour l’entreprise et les particuliers qui agissent en son nom. L’existence d’un risque sérieux que l’entreprise, ses employés ou ses dirigeants contreviennent délibérément ou par négligence à la règle de l’engagement implicite doit être établie au moyen d’une preuve objective. La croyance sincère d’une partie, fondée sur une méfiance générale, n’est pas suffisante.

[10]  Dans la même veine, le risque sérieux que les personnes qui reçoivent des renseignements au cours de la communication préalable aux fins du litige se trouvent dans une situation où elles ne pourraient faire autrement que d’être influencées par ces renseignements dans l’exercice de leurs fonctions normales, au préjudice de la partie qui les divulgue, doit également être démontré à l’aide d’une preuve objective. La partie requérante ne peut pas simplement s’appuyer sur la présomption que la connaissance par un concurrent de renseignements commerciaux privés la concernant aura nécessairement une incidence sur les décisions commerciales de ce concurrent, et d’une manière qui lui cause un préjudice grave. L’examen doit être fait au cas par cas, en tenant compte de la nature des renseignements confidentiels à divulguer, de l’identité et des fonctions de la personne ou des personnes qui donnent des instructions à l’avocat au nom de la partie destinataire, de la façon dont une telle connaissance pourrait influer sur les décisions de ces personnes et de la gravité de tout préjudice qui pourrait en découler (voir les paragraphes 38 et 39 de la décision Rivard, précitée).

II.  LA PREUVE

[11]  Pliteq a déposé un affidavit préparé par son chef de la direction, Paul Downey, dans lequel ce dernier affirme que les parties ont travaillé ensemble pendant une période d’une dizaine d’années, soit jusqu’en 2016, année à laquelle la relation d’affaires a pris fin. Wilrep fabriquait certains produits de marque privée de Pliteq et distribuait certains produits de marque Pliteq. Dans l’affidavit, M. Downey affirme que les entreprises Pliteq et Wilrep sont désormais concurrentes, puisqu’elles distribuent leurs produits à la même clientèle canadienne et qu’elles [traduction« pourraient » soumissionner afin de décrocher les mêmes contrats.

[12]  L’affidavit de M. Downey fait également référence à une autre entreprise, Ecore International Inc., qui est décrite comme étant une concurrente de Pliteq au Canada [traduction« et à l’étranger », et avec laquelle Pliteq est engagée dans un litige aux États‑Unis. Une ordonnance préventive sur consentement a été rendue dans le cadre de ce litige qui permettait que des documents portent la désignation « consultation restreinte aux avocats ». Wilrep distribuerait les produits d’Ecore au Canada, mais ne serait pas autrement liée à Ecore ou partie prenante dans le litige américain.

[13]  Par ailleurs, l’affidavit de M. Downey ne précise pas la taille du marché canadien, la proportion des activités canadiennes de l’entreprise dans son chiffre d’affaires, l’ampleur des activités menées par l’entreprise au Canada, le nombre de concurrents présents sur le marché, la taille et l’importance relative de Pliteq et de Wilrep sur le marché ou leurs parts de marché respectives.

[14]  L’affidavit de M. Downey décrit ensuite les mesures prises par Pliteq pour protéger la confidentialité de ses [traduction« renseignements financiers, y compris les dépenses de publicité et de mise en marché, les prix, les chiffres de vente, les redevances, les coûts, les bénéfices, les coûts associés à la recherche et au développement ainsi que les renseignements sur les clients ». L’affidavit stipule également ceci :

[traduction]

29.  La divulgation de renseignements hautement confidentiels de Pliteq à ses concurrents, comme Wilrep, causerait un préjudice commercial important à Pliteq.

30.  Entre autres choses, de tels renseignements permettraient aux concurrents de connaître les revenus, les dépenses, les marges bénéficiaires, les coûts liés à la recherche et au développement, les dépenses de publicité et de mise en marché ainsi que les clients de Pliteq. De tels renseignements permettraient aux concurrents d’avoir un aperçu de la stratégie commerciale globale de Pliteq et de sa santé financière. Les concurrents pourraient facilement utiliser cette information pour modifier stratégiquement leurs prix afin de couper l’herbe sous le pied de Pliteq, ce qui causerait un préjudice financier important à Pliteq.

31.  L’accès aux renseignements sur les clients de Pliteq permettrait spécifiquement à Wilrep de cibler les clients de Pliteq, ce qui causerait un préjudice important à Pliteq.

[15]  En ce qui concerne les [traduction« stratégies d’affaires et de mise en marché » de Pliteq, l’affidavit indique ce qui suit :

[traduction]

33.  La stratégie d’affaires hautement confidentielle élaborée et mise en œuvre par Pliteq pour cibler certains marchés et certaines administrations, qui se reflète dans sa publicité, sa mise en marché, ses commandites et sa participation à des salons professionnels, est hautement confidentielle. Si elle devait être divulguée, la stratégie commerciale hautement confidentielle de Pliteq fournirait injustement à un concurrent le plan directeur qui lui permettrait de cibler injustement les clients potentiels de Pliteq.

34.  Les documents produits par Pliteq concernant sa stratégie commerciale, publicitaire et de mise en marché fournissent une feuille de route des marchés, compétences et clients actuels et cibles de Pliteq.

35.  Si la stratégie de mise en marché de Pliteq est communiquée à ses concurrents, notamment Wilrep, ils pourraient utiliser l’information pour cibler les clients, les marchés émergents et les secteurs d’activités courtisés par Pliteq, ce qui causerait un préjudice commercial important à Pliteq.

[16]  Au sujet des renseignements techniques confidentiels de Pliteq, l’affidavit décrit les précautions que Pliteq prend pour protéger ses données de recherche et de développement et décrit le préjudice qu’elle subirait si ces données étaient divulguées à ses concurrents. Elle énonce notamment qu’une telle divulgation pourrait avoir une incidence sur la validité des brevets demandés par Pliteq, ce qui permettrait aux concurrents de fabriquer des produits concurrents avant que ses propres produits soient lancés ou de copier ses installations et méthodes de mise à l’essai. L’affidavit reconnaît que Wilrep, en tant que distributeur, avait accès à certains rapports d’essais de Pliteq dans le passé concernant les produits qu’elle distribuait, mais qu’en tant que concurrent, elle n’a plus de raison légitime d’accéder aux rapports d’essais courants de Pliteq.

[17]  Enfin, l’affidavit de M. Downey indique que Wilrep a déjà [traduction« fait un mauvais usage » des renseignements confidentiels de Pliteq en reproduisant les données d’un rapport d’essais de Pliteq dans une brochure annonçant un produit fabriqué par Ecore. L’affidavit indique qu’après que Pliteq eut [traduction« confronté » Wilrep, la brochure a été modifiée pour inclure différentes données de mise à l’essai [traduction« démontrant un rendement nettement inférieur ». Ces faits sont présentés comme le fondement de la croyance de M. Downey qu’il existe [traduction« un risque important que Wilrep puisse faire un mauvais usage des renseignements confidentiels fournis dans le cadre d’un litige ».

[18]  En réponse, Wilrep a produit l’affidavit de William Wilkinson Jr., son vice‑président et secrétaire‑trésorier. M. Wilkinson affirme qu’il a son mot à dire dans tous les aspects des activités de Wilrep, activités dont il a d’ailleurs la responsabilité, et qu’il est directement responsable des directives données aux avocats dans cette affaire, car Wilrep, qui une petite entreprise familiale employant 14 personnes, ne compte pas au sein de son effective un avocat interne.

[19]  L’affidavit de M. Wilkinson décrit comment M. Downey et lui ont collaboré à l’élaboration d’un cavalier antivibratoire résilient qui a donné lieu à une invention brevetée portant leurs deux noms en tant que co‑inventeurs, et indique que Wilrep et Pliteq ont collaboré à la création du matériel promotionnel et à la commercialisation de ce cavalier, sous la marque « GenieClip ». L’affidavit stipule également qu’avant avril 2016, Wilrep et Pliteq achetaient et vendaient des produits fabriqués par l’un et par l’autre et échangeaient aussi des données sur la mise à l’essai de produits et des documents promotionnels. Selon l’affidavit de M. Wilkinson, il s’agirait d’une pratique courante dans l’industrie.

[20]  M. Wilkinson reconnaît que Wilrep a inclus les données d’essais reçues de Pliteq dans l’une de ses brochures concernant un produit fourni par Ecore, mais affirme que cela a été fait par erreur lorsque la brochure a été modifiée après que Wilrep eut changé de fournisseur pour passer de Pliteq à Ecore. En outre, il affirme que les données d’essai mentionnées dans l’affidavit de M. Downey ont été fournies par Pliteq à Wilrep, conformément à la pratique de l’industrie décrite précédemment, dans le but précis de les inclure dans des documents promotionnels n’étant assujettis à aucune restriction en matière de confidentialité. M. Wilkinson fait valoir dans son affidavit que de telles données d’essais ont été régulièrement fournies à Wilrep ainsi qu’aux autres clients de Pliteq, et ce, sans restriction.

[21]  L’affidavit de M. Wilkinson confirme ensuite sa compréhension des obligations imposées par la règle de l’engagement implicite et des conséquences d’une violation de cette règle, son intention de prendre ces obligations au sérieux, la volonté de Wilrep de conclure une entente de confidentialité (autre que la désignation « consultation restreinte aux avocats ») et que Wilrep elle‑même ne mentionne aucun document dans son affidavit de documents qui, selon elle, nécessiterait un niveau de protection supérieur.

[22]  Ni M. Downey ni M. Wilkinson n’ont été contre‑interrogés au sujet de leurs affidavits respectifs.

[23]  Les actes de procédure et les affidavits de documents échangés par les parties sont également inclus dans le dossier de la présente requête. L’affidavit de documents de Pliteq comprend quelque 80 documents désignés portant la mention : [traduction« Hautement confidentiel – Consultation restreinte aux avocats ». La grande majorité de ces documents sont des rapports d’essais. Seulement sept (7) documents ne sont pas, à première vue, des rapports d’essais et sont décrits ainsi : [traduction« Pliteq Inc. – Coûts liés à la recherche et au développement »; « Commandites et adhésions de Pliteq »; « Pliteq – Publicité (septembre 2011 à juin 2017) »; « Pliteq – Mise en marché et échantillons (septembre 2011 à juin 2017) »; « Pliteq – Publicité (septembre 2011 à juin 2017) »; « Sommaire des salons professionnels et des conférences auxquels Pliteq a participé »; « Sommaire des publicités de Pliteq ». Les documents portant la désignation « consultation restreinte aux avocats » n’ont pas été fournis à l’avocat de Wilrep, et il n’y a aucune autre description du contenu de ces documents.

III.  ANALYSE

[24]  Le fondement factuel avancé par M. Downey et qui le porte à croire que Wilrep pourrait faire un mauvais usage des renseignements confidentiels fournis dans le cadre du litige a été largement discrédité par la preuve fournie par M. Wilkinson. Non seulement ce dernier a démontré que l’utilisation fautive de données d’essai résultait d’une erreur qui ne constituait pas un [traduction« mauvais usage », mais l’affirmation même de M. Downey selon laquelle les renseignements utilisés par erreur étaient « confidentiels » s’est révélée être fausse. Pliteq a choisi de ne pas contre‑interroger M. Wilkinson au sujet des faits précis énoncés dans son affidavit qui contredisent les conclusions générales tirées par M. Downey dans son affidavit. J’accepte la preuve déposée par M. Wilkinson que je juge crédible et je la préfère à celle de M. Downey, lorsque les éléments de preuve se contredisent.

[25]  Dans son affidavit, M. Downey reconnaît que Wilrep [traduction« en tant que distributeur » avait accès aux rapports de mise à l’essai dans le passé. Cela est conforme à la preuve par affidavit de M. Wilkinson selon laquelle les fournisseurs de l’industrie transmettent à leurs distributeurs des données d’essais qui sont destinées à être partagées avec les clients potentiels. En effet, lorsqu’on fait abstraction des énoncés généraux contenus dans l’affidavit de M. Downey et que l’on considère les faits spécifiques énoncés, on constate que ce ne sont que les [traduction« aspects des rapports d’essai, comme les configurations et les procédures de mise à l’essai spécifiques » qui [traduction« sont considérées par Pliteq comme étant hautement confidentiels et qui ne sont communiquées qu’aux consultants spécialistes de l’acoustique ». Il n’y a aucune raison de croire que les résultats d’essais ou les données transmises par Pliteq à un distributeur au sujet de ses produits pourraient être considérés comme étant confidentiels.

[26]  La Cour conclut que Pliteq n’a pas réussi à établir qu’il existait un risque que Wilrep utilise à mauvais escient, volontairement ou par négligence, l’information divulguée dans le cadre d’un litige, de sorte que la désignation « consultation restreinte aux avocats » serait justifiée. En fait, les déclarations contenues dans l’affidavit de M. Downey concernant le mauvais usage de renseignements confidentiels par Wilrep ne peuvent être qualifiées que de trompeuses. Les accusations [traduction« d’utilisation abusive de renseignements confidentiels » portées contre Wilrep dans l’affidavit de M. Downey sont, dans les circonstances de la présente requête, très graves et n’auraient pas dû être portées sans un examen approfondi des faits sous‑jacents et des mots utilisés pour les décrire. Cela mine sérieusement la crédibilité des déclarations de M. Downey quant à la nature confidentielle des renseignements devant être divulgués par Pliteq dans le cadre de ce litige et son appréciation du risque de préjudice qui découlerait de leur divulgation à Wilrep, et ce fait aura des répercussions sur la façon dont la Cour examinera les questions restantes.

[27]  Ayant conclu qu’il n’y avait aucune raison de croire que Wilrep violerait ses obligations découlant de la règle de l’engagement implicite et utiliserait délibérément l’information obtenue lors de la communication préalable à d’autres fins que le litige, notamment pour obtenir un avantage concurrentiel sur Pliteq, il faut maintenant examiner si la preuve révèle qu’il existe un risque que M. Wilkinson, à titre de personne à qui les renseignements doivent être communiqués pour qu’il puisse donner des directives à son avocat, puisse être dans une situation où il serait, sans le savoir ou involontairement, influencé par les renseignements divulgués lorsque viendra le temps de prendre des décisions d’affaires, et ce, d’une façon qui porterait préjudice à Pliteq.

[28]  L’affidavit de M. Downey ne traite pas directement de cette question. Toutes les formes de préjudice auxquelles son affidavit fait allusion présupposent une modification délibérée de la conduite commerciale des concurrents afin de [traduction« modifier stratégiquement leurs prix pour couper l’herbe sous le pied de Pliteq », de [traduction« cibler » les clients, les marchés émergents, les industries ou les administrations avec qui Pliteq fait des affaires, de [traduction« fabriquer des produits concurrents » ainsi que de [traduction« copier » les configurations et les procédures de mise à l’essai utilisées par Pliteq. Rien n’indique qu’il existe beaucoup de concurrence dans ce secteur, et plus particulièrement entre Pliteq et Wilrep, que les concurrents doivent par conséquent adapter leurs pratiques et qu’un avantage concurrentiel même infime puisse entraîner un préjudice commercial important, que ce soit en ce qui a trait à la conception de produits, aux méthodes de mise à l’essai, aux structures tarifaires, à la recherche de nouveaux clients ou à la publicité.

[29]  Un examen minutieux de la preuve présentée ne révèle pas qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’utilisation préjudiciable et involontaire de renseignements confidentiels est susceptible de se produire dans les circonstances actuelles.

[30]  Sous la rubrique [traduction« Renseignements financiers et sur la clientèle », la preuve indique que Pliteq et Wilrep ont déjà la même clientèle au Canada et elle ne fait que laisser entendre que les deux sociétés [traduction« pourraient » soumissionner pour les mêmes contrats. De plus, le préjudice appréhendé d’une modification [traduction« stratégique » de la tarification prévoit qu’un concurrent obtiendrait [traduction« un aperçu de la stratégie commerciale globale de Pliteq et de sa santé financière », en compilant des connaissances sur les revenus, les dépenses, la marge bénéficiaire, les frais de recherche et de développement, les dépenses publicitaires et de mise en marché ainsi que les clients de Pliteq. Or, à l’heure actuelle, Pliteq n’a énuméré qu’un seul document financier dans son affidavit de documents, soit un document relatif aux frais de recherche et de développement; les actes de procédure des deux parties laissent entendre qu’elles ont l’intention de faire évaluer les dommages‑intérêts après renvoi. Il est également noté que l’action en justice porte sur des infractions alléguées de contrefaçon de marque de commerce, de tromperie commerciale et de déclarations fausses et trompeuses à l’égard de deux produits seulement : les coussinets d’amortissement des vibrations et le « GenieClip », et que la demande reconventionnelle porte sur la violation des droits liés à la propriété intellectuelle et sur la contrefaçon de marque de commerce pour ces mêmes produits. Il est difficile d’imaginer comment l’information financière relative à deux produits, si elle devait être transmise et même si elle devait inclure des produits connexes, permettrait à Wilrep d’avoir un aperçu complet [traduction« de la stratégie commerciale globale et de la santé financière » de Pliteq.

[31]  Pliteq n’a donc pas établi l’existence d’un fondement factuel suffisant pour étayer le motif raisonnable que la simple connaissance de l’information financière qui pourrait être pertinente et produite dans le cadre de ce litige influencerait ou pourrait influencer bien involontairement les décisions prises par M. Wilkinson dans le cours normal de ses activités, ou que cette influence pourrait causer un préjudice grave à Pliteq.

[32]  En ce qui concerne les documents relatifs aux [traduction« Stratégies d’affaires et de mise en marché », la preuve au dossier n’établit même pas que la question de la confidentialité se pose en ce qui a trait aux documents produits ou à produire. La preuve n’indique pas qu’il existe réellement des documents exposant les stratégies d’affaires, de mise en marché ou de publicité de Pliteq. L’affidavit de M. Downey indique plutôt que sa stratégie d’affaires [traduction« se reflète dans sa publicité, sa mise en marché, ses commandites et sa participation à des salons professionnels ». Aucun des documents énumérés dans l’affidavit de Pliteq n’est décrit comme étant un plan stratégique, en fait, les documents décrits semblent plutôt être une compilation des activités de publicité et de mise en marché menées par Pliteq au cours des huit dernières années. Bien qu’une entreprise puisse prétendre que ses plans stratégiques internes sont confidentiels, aucune demande de confidentialité ne peut raisonnablement être faite à l’égard de campagnes publicitaires déjà mises en œuvre, de campagnes de mise en marché qui ont été exécutées, de participations à des foires commerciales, de commandites qui ont été accordées et d’adhésions actuelles ou antérieures à des organisations commerciales. Enfin, compte tenu des questions soulevées dans les actes de procédure, on ne sait pas très bien quelle pertinence pourraient avoir les stratégies commerciales ou de mise en marché passées ou actuelles, ni pourquoi des documents allant au‑delà des publicités publiées ou des documents de mise en marché pourraient même être produits.

[33]  La dernière catégorie de renseignements qui seraient [traduction« hautement confidentiels » comprend les renseignements techniques. Comme dans le cas des documents sous la rubrique [traduction« Affaires et mise en marché », la preuve au dossier n’établit pas de façon satisfaisante que ces documents sont, en fait, confidentiels. En outre, rien ne prouve que la divulgation à Wilrep de l’information contenue dans ces documents serait préjudiciable à Pliteq.

[34]  Tous les documents énumérés dans l’affidavit de documents de Pliteq sont décrits comme étant des [traduction« mesures », des « essais et classifications », des « essais » ainsi que des « rapports d’essais » datant de 2008 à 2015. Comme il a été déterminé précédemment, M. Downey a déjà invoqué la confidentialité d’un rapport d’essai qui avait déjà été communiqué sans restriction à Wilrep, et il est admis que, en tant que distributeur, Wilrep aurait reçu des rapports d’essais concernant les produits qu’elle distribuait. Rien ne permet à la Cour de conclure que les rapports énumérés dans l’affidavit de documents de Pliteq diffèrent des rapports techniques que Pliteq a volontairement communiqués aux distributeurs dans le passé. Étant donné la nature des questions en litige, il n’y a aucune raison de croire que d’autres types de rapports d’essai se révéleraient pertinents. De plus, les allégations formulées dans l’acte de procédure de Wilrep, et appuyées par les éléments de preuve non sollicités de M. Wilkinson, concernent la collaboration de M. Wilkinson et de M. Downey à l’élaboration du cavalier antivibratoire « GenieClip ». Il n’y a aucune raison de croire que même les aspects prétendument « hautement confidentiels » des essais relatifs à ce produit ne seraient pas déjà connus de M. Wilkinson.

[35]  Quoi qu’il en soit, l’affidavit de M. Downey n’explique pas la nature du préjudice que la divulgation de ces documents à Wilrep causerait à Pliteq, en supposant que les documents n’ont pas déjà été communiqués à Wilrep. L’affidavit de M. Downey parle d’un concurrent capable de [traduction« fabriquer des produits concurrents avant que les nouveaux produits de Pliteq ne soient lancés » et d’une divulgation ayant des répercussions sur [traduction« la validité des brevets déposés par Pliteq », mais il est clair qu’aucune de ces situations ne peut s’appliquer aux produits qui sont déjà lancés et qui sont en cause dans la présente action. La seule autre conséquence alléguée de la divulgation même de ces aspects confidentiels des rapports d’essai, comme une configuration et une procédure d’essais en particulier, est que celle‑ci permettrait à un concurrent d’être en mesure de les copier. L’affidavit n’indique toutefois pas comment Pliteq pourrait subir un préjudice à la suite d’une telle chose.

IV.  CONCLUSION ET DÉPENS

[36]  Pliteq n’a pas réussi à établir le premier volet du critère de l’arrêt Sierra Club et n’a même pas réussi à établir la nature confidentielle de la plupart des renseignements nécessitant, selon elle, la désignation « consultation restreinte aux avocats » et, par conséquent, sa requête sera rejetée.

[37]  Il est à noter que l’affidavit de M. Downey contient un grand nombre de renseignements et de déclarations qui ne s’appliquent pas aux circonstances de la présente affaire et qui ne sont finalement pas pertinents, comme ceux concernant l’existence d’une ordonnance préventive de consultation restreinte aux avocats dans un litige américain entre Pliteq et un autre concurrent non lié à Wilrep, ainsi que sur la confidentialité d’un large éventail de documents financiers qui ne seront vraisemblablement pas produits dans le cadre de ce litige, de documents stratégiques inexistants ainsi que de documents sur la recherche et le développement de produits futurs non pertinents dans cette affaire. Ces renseignements superflus semblent avoir pour objet de permettre à M. Downey de formuler des affirmations générales concernant un éventuel préjudice commercial grave, alors qu’il n’y a aucun risque réel de préjudice découlant de la divulgation à Wilrep des documents pertinents à la présente instance. Cela laisse supposer qu’il est conscient que le fondement de la requête était douteux et qu’il s’est efforcé de la renforcer, pour pouvoir présenter une cause défendable. La Cour est convaincue que la requête n’aurait pas dû être présentée et que, par conséquent, les dépens devraient être payables immédiatement.

[38]  Comme nous l’avons mentionné plus haut, Pliteq a également formulé à l’encontre de Wilrep des allégations non fondées et graves d’utilisation abusive de renseignements confidentiels. Une telle conduite mérite d’être sanctionnée sous la forme de dépens majorés. Le montant de 4 000 $, qui comprend les frais de déplacement de l’avocat de Wilrep de Toronto pour l’audience, semble raisonnable aux yeux de la Cour dans les circonstances.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.