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Date : 20190128

Dossier : T‑1460‑18

Référence : 2019 CF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

RMI MARINE LIMITED

demanderesse

et

LE NAVIRE « SCOTIA TIDE » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « SCOTIA TIDE » ET OPENHYDRO TECHNOLOGY CANADA LIMITED

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision porte sur deux requêtes, qui ont été plaidées ensemble le 15 janvier 2019, dans le cadre de l’action intentée par la demanderesse, RMI Marine Limited (RMI), contre les défendeurs, le navire « Scotia Tide » (le navire ou le navire en cause) et son propriétaire, OpenHydro Technology Canada Ltd. (OHTC). La première requête a été introduite par RMI, qui sollicite un jugement par défaut contre les défendeurs, une ordonnance en vue de la vente du navire suivant le processus de la Cour fédérale, et des mesures accessoires. La deuxième requête a été introduite par OHTC, qui sollicite la suspension de l’action réelle de RMI contre le navire et la mainlevée de la saisie du navire ou, subsidiairement, la radiation de l’acte de procédure de RMI et la mainlevée de la saisie du navire, ou, subsidiairement encore, la prorogation du délai pour déposer une défense.

[2]  La requête d’OHTC s’inscrit dans le contexte d’une instance qui a été introduite sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 (la LACC), devant la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse et qui découle de l’insolvabilité d’OHTC. Dans le cadre de cette instance, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a ordonné la suspension des autres procédures engagées contre OHTC.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête de RMI et j’accueille la requête d’OHTC aux conditions précises que j’estime appropriées en l’espèce. Je suspens l’action intentée par RMI pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente ordonnance ou jusqu’à ce que la suspension ordonnée par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse soit levée, selon la première occurrence. RMI sera autorisée à présenter une requête en vue de faire lever la suspension prononcée par la Cour fédérale plus tôt en cas de changement important des circonstances. J’ordonne aussi la mainlevée de la saisie du navire. Vu les caveat déposés à cet égard, la mainlevée de la saisie du navire prendra effet dix jours après la date de la présente ordonnance.

II.  Le contexte

[4]  La demanderesse, RMI, est une société constituée en personne morale en Nouvelle‑Écosse qui exerce des activités à titre d’agent d’affrètement et de fournisseur de services maritimes et de navires.

[5]  La défenderesse dans l’action personnelle, OHTC, est elle aussi une société constituée en personne morale en Nouvelle‑Écosse. Sa société mère est OpenHydro Technology Ltd. (OHT), établie en Irlande, qui, elle, a pour société mère Naval Energies, établie en France. OHTC a été constituée en personne morale dans le but de fournir des services à Cape Sharpe Tidal Ventures Ltd. (CSTV), une coentreprise entre OHT et Emera Inc., en vue de la réalisation d’un projet de démonstration de l’énergie marémotrice mis en œuvre sur le site du Fundy Ocean Research Centre for Energy (FORCE), situé dans le bassin Minas de la baie de Fundy (le projet).

[6]  CSTV a élaboré le projet en vertu d’un permis relatif à l’énergie renouvelable marine délivré par le gouvernement de la Nouvelle‑Écosse conformément à la Marine Renewable-energy Act, SNS 2015, c 32. Au départ, OHTC avait conclu un sous‑bail avec le FORCE pour l’utilisation d’un poste d’amarrage sur le site du FORCE (le poste d’amarrage D). Le 22 décembre 2014, le sous-bail a été transféré à CSTV, qui a ainsi assumé les droits et les obligations qu’avait OHTC aux termes du sous-bail.

[7]  OHTC est la propriétaire du navire, qui est immatriculé sous le régime de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26, et dont le port d’immatriculation est à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le navire est un catamaran à coque rigide construit sur mesure pour permettre l’assemblage, la mise en œuvre, la mise à l’essai, l’entretien et la récupération de la turbine marémotrice sous-marine que possède OHTC et qu’elle utilise dans le cadre du projet (la turbine).

[8]  L’exploitation du navire en cause dans le cadre du projet nécessitait l’aide de navires de soutien et d’équipes de plongeurs. Le 18 août 2015, ou vers cette date, OHTC et RMI ont conclu un contrat d’affrètement par charte-partie fondé sur le formulaire « Supplytime 2005 » (la charte-partie) pour l’affrètement du navire « Tidal Runner » appartenant à RMI et pour la fourniture de services accessoires. Selon la charte-partie, OHTC pouvait émettre des bons de commande supplémentaires pour [traduction] « commander » le navire et obtenir des services accessoires à des tarifs convenus à l’avance, ce qu’OHTC a fait à quelques reprises. RMI réclame maintenant 444 719,54 $ aux défendeurs pour le loyer d’affrètement des navires de RMI, les réparations et l’entretien du navire en cause, ainsi que les approvisionnements nécessaires fournis par RMI aux défendeurs.

[9]  La turbine a été installée au fond du bassin Minas le 22 juillet 2018. Toutefois, le 26 juillet 2018, des représentants de Naval Energies ont annoncé que la société n’investirait plus dans les technologies marémotrices. En conséquence, la Haute Cour de justice de l’Irlande a nommé la firme Grant Thornton comme liquidateur provisoire de la société mère d’OHTC, OHT. Cette société est actuellement insolvable et en liquidation en Irlande.

[10]  En conséquence, OHTC est elle aussi devenue insolvable, et un certain nombre de ses fournisseurs ont intenté des actions devant la Cour fédérale contre le navire en cause, la turbine ou le centre de contrôle de la turbine. RMI a intenté la présente action le 1er août 2018; un avis a été signifié et le navire en cause a été saisi à son poste d’amarrage à Saint John, au Nouveau‑Brunswick, le 2 août 2018. L’avocat d’OHTC a accepté la signification au nom d’OHTC le 7 août 2018. Plusieurs des autres fournisseurs du navire en cause ont déposé des caveat pour empêcher la mainlevée de la saisie du navire dans le cadre de l’action intentée par RMI, mais RMI est le seul créancier qui a saisi le navire.

[11]  Après la signification de la déclaration aux défendeurs, l’avocat de RMI a accordé une prorogation de délai à OHTC, lui laissant jusqu’au 14 septembre 2018 pour déposer sa défense. Aucune défense n’a été déposée et, en conséquence, RMI a déposé la présente requête sollicitant un jugement par défaut et une ordonnance de vente du navire. À titre subsidiaire, si la Cour n’est pas disposée à accorder un jugement par défaut, RMI sollicite une ordonnance de vente du navire en cours d’instance afin d’éviter qu’il perde sa valeur pendant les procédures.

[12]  En septembre 2018, des anciens employés d’OHTC ont déterminé que la turbine avait subi des dommages irréparables. Elle demeure au fond du bassin Minas, au poste d’amarrage D.

[13]  Le 24 septembre 2018, OHTC a déposé un avis de son intention de faire une proposition à ses créanciers au titre du paragraphe 50.4(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑3 (la LFI). Par la suite, le 23 octobre 2018, OHTC a présenté une requête pour que la procédure de faillite soit traitée sous le régime de la LACC, au titre de l’article 11.6 de la LACC, afin d’entreprendre la liquidation ordonnée de l’entreprise sous la surveillance des tribunaux. OHTC a énoncé comme suit les éléments principaux de son plan de liquidation ordonnée :

  1. s’assurer que la turbine continue de respecter la réglementation environnementale jusqu’à ce qu’elle puisse être récupérée;

  2. maintenir et assurer la sécurité du navire en cause durant le processus de vente;

  3. planifier le retrait de la turbine du bassin Minas;

  4. réaliser ou recouvrer les autres éléments d’actif de l’entreprise au bénéfice des parties intéressées et des créanciers.

[14]  Le plan d’OHTC prévoit l’utilisation du navire en cause pour retirer la turbine du fond du bassin Minas, ce qui, selon OHTC, ne sera pas possible avant mai 2019 en raison des conditions hivernales. OHTC précise qu’elle a fourni 1 020 000 $ au gouvernement de la Nouvelle‑Écosse en garantie du respect par CSTV de ses obligations en matière environnementale, notamment en ce qui concerne la récupération de la turbine. Après la récupération de la turbine, OHTC pourra recouvrer la somme déposée en garantie, et elle prévoit vendre ses éléments d’actif, y compris le navire en cause, au bénéfice de ses créanciers. OHTC prévoit avoir recours à un processus de vente surveillé par le contrôleur nommé au titre de la LACC, sous réserve de l’approbation par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse

[15]  Le 13 novembre 2018, l’honorable juge Michael Wood de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a prononcé une ordonnance initiale accueillant la requête de la défenderesse pour que la procédure de faillite soit traitée sous le régime de la LACC (l’ordonnance initiale). L’ordonnance initiale désignait la firme Grant Thornton comme contrôleur nommé au titre de la LACC (le contrôleur) pour assurer la gestion des affaires financières d’OHTC et préparer et surveiller le processus de vente des éléments d’actif d’OHTC, sous réserve de l’approbation de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, et approuvait le financement de débiteur-exploitant (DE) par une entreprise appelée OpenHydro Group Limited (le prêteur DE) pour la somme de 500 000 $ afin de soutenir les activités d’OHTC pendant la liquidation. Dans l’ordonnance initiale, le juge a aussi suspendu jusqu’au 7 décembre 2018 toutes les procédures engagées contre OHTC ou ses éléments d’actif, à l’exclusion des actions réelles intentées devant la Cour fédérale :

[TRADUCTION]

11A.  Compte tenu du fait que des actions réelles ont été intentées devant la Cour fédérale à l’égard du navire « Scotia Tide », du centre de contrôle de la turbine OTC03 et de la turbine de Cape Sharp Tidal, tel qu’il est décrit dans le dossier T‑1578‑18 de la Cour fédérale, la présente ordonnance ne s’applique pas à ces procédures (ni aux personnes ayant déposé un caveat), sauf décision contraire de la Cour fédérale dans l’exercice de sa compétence et de son pouvoir discrétionnaire absolus. La Cour demande expressément l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale aux fins de l’exécution de la présente ordonnance, au besoin.

[16]  Le juge Wood a aussi rendu une ordonnance constitutive de charge le 13 novembre 2018, et a notamment autorisé le prêteur DE à constituer une charge à l’égard des éléments d’actif d’OHTC pour soutenir le financement DE (l’ordonnance constitutive de charge).

[17]  Le 6 décembre 2018, OHTC a comparu devant l’honorable juge C. Richard Coughlan de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse pour demander une ordonnance en vue de proroger la suspension des procédures jusqu’au printemps 2019 et une augmentation du financement DE approuvé (de 500 000 $ à 750 000 $) afin de soutenir ses activités pendant la période de la suspension prolongée. Le juge Coughlan a reconduit l’ordonnance initiale, qui est donc maintenant en vigueur jusqu’au 6 mars 2019, et a approuvé l’augmentation du financement DE. OHTC affirme qu’elle a pris des dispositions pour attacher, aménager pour l’hiver et entretenir le navire en cause, afin de conserver sa valeur, et qu’une partie du financement DE servira à ces fins.

[18]  Le principal argument d’OHTC en réponse à la requête de RMI visant l’obtention d’un jugement par défaut et la vente du navire en cause est que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, pour suspendre l’action réelle de RMI à l’encontre du navire et accorder la mainlevée de la saisie du navire, en réponse à la demande d’aide formulée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, vu que l’utilisation du navire pour récupérer la turbine est essentielle à la viabilité du plan élaboré par OHTC dans le cadre de la LACC, et qu’il est dans l’intérêt de tous les créanciers d’OHTC et de toutes les autres parties intéressées de réaliser la liquidation et la distribution ordonnées des éléments d’actif d’OHTC selon ce plan.

[19]  Subsidiairement, OHTC fait valoir qu’il faudrait radier la déclaration de RMI et accorder la mainlevée de la saisie du navire au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence. OHTC fonde cet argument sur la disposition de la charte-partie concernant le choix du tribunal, qui, selon elle, confère la compétence exclusive à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse.

[20]  Enfin, si sa demande de suspension ou de radiation de l’action intentée par RMI est rejetée, OHTC sollicite une prorogation du délai pour déposer une défense.

[21]  Même si plusieurs créanciers ont déposé des caveat pour empêcher la mainlevée de la saisie du navire en cause dans la présente action, un seul d’entre eux, DP World Saint John Inc. (DP World), a déposé des observations écrites et a comparu à l’audition des présentes requêtes. DP World est l’exploitant du terminal de Saint John, au Nouveau‑Brunswick, où le navire est amarré depuis sa saisie. DP World réclame les sommes dues pour l’amarrage et d’autres services fournis relativement au navire en cause. DP World est aussi la demanderesse dans le dossier T‑1480‑18 de la Cour fédérale, dans lequel elle fait valoir ses réclamations de nature réelle contre OHTC et le navire en cause.

[22]  DP World appuie la requête de RMI sollicitant un jugement par défaut et la vente du navire. Toutefois, elle propose d’apporter certaines modifications à la forme de l’ordonnance proposée par RMI, modifications que RMI a approuvées. DP World s’oppose aux requêtes déposées par OHTC.

III.  Les questions à trancher

[23]  Selon RMI, les questions à trancher relativement à sa requête sollicitant un jugement par défaut et la vente du navire en cause sont les suivantes :

  1. Les défendeurs sont-ils en défaut?

  2. La Cour devrait-elle accorder un jugement par défaut à l’encontre des défendeurs, et quelle somme devrait-elle accorder?

  3. La Cour devrait-elle ordonner la vente du navire?

  4. RMI devrait-elle se voir accorder les dépens de la présente requête et, dans l’affirmative, sur quel fondement?

[24]  OHTC soutient que les questions à trancher relativement à sa requête sont les suivantes :

  1. L’action intentée par RMI devrait-elle être suspendue et la mainlevée de la saisie du navire devrait-elle être accordée?

  2. Subsidiairement, la réclamation de RMI devrait-elle être radiée et la mainlevée de la saisie du navire devrait-elle être accordée?

  3. Subsidiairement, les défendeurs devraient-ils se voir accorder une prorogation du délai pour déposer une défense?

[25]  Les observations écrites de RMI déposées en réponse à la requête présentée par OHTC soulèvent une question préliminaire additionnelle, soit celle de l’admissibilité de certains affidavits contenus dans le dossier de requête d’OHTC.

IV.  Analyse

A.  La question préliminaire

[26]  La requête d’OHTC repose principalement sur l’affidavit du contrôleur, à savoir le vice-président principal de Grant Thornton Limited, Peter Wedlake. Toutefois, deux autres affidavits sont joints à celui de M. Wedlake : un affidavit souscrit le 23 octobre 2018 par l’unique administrateur d’OHTC, Laurent Schneider-Manoury (l’affidavit de M. Schneider-Manoury), et un affidavit souscrit le 28 novembre 2018 par un associé chez Grant Thornton à Dublin, en Irlande, Michael MacAteer (l’affidavit de M. MacAteer). L’affidavit de M. Schneider-Manoury a été déposé dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse à l’appui de la requête ayant mené à l’ordonnance initiale et à l’ordonnance constitutive de charge. L’affidavit de M. MacAteer a été déposé dans le cadre de la même instance à l’appui de la demande visant la prorogation de la suspension des procédures jusqu’au 6 mars 2019 et l’augmentation du financement DE.

[27]  RMI et DP World soulèvent toutes deux le fait que ni l’affidavit de M. Schneider-Manoury ni celui de M. MacAteer n’ont été déposés de façon distincte en l’espèce et que M. Wedlake n’a pas attesté dans son affidavit la foi qu’il accordait au contenu des deux affidavits joints au sien.

[28]  Durant l’audition des requêtes en l’espèce, les avocats de RMI et de DP World ont fait valoir des arguments quelque peu différents relativement à ces affidavits. RMI a fait valoir qu’ils n’étaient pas admissibles, alors que DP World a fait valoir qu’ils pouvaient être admis, mais que le tribunal ne devrait leur accorder que peu ou pas d’importance. Toutefois, l’avocat d’OHTC a déclaré que sa cliente n’avait pas l’intention de s’appuyer sur l’affidavit M. Schneider-Manoury ni sur celui de M. MacAteer comme preuve de la véracité de leur contenu. La présentation en preuve de ces documents visait plutôt à montrer à la Cour fédérale le dossier dont disposait la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse au moment où elle a rendu sa décision relative à l’instance engagée au titre de la LACC. OHTC a invoqué la décision AB Hassle c Apotex Inc., 2002 CFPI 222, au paragraphe 29, où la Section de première instance de la Cour fédérale a refusé de radier les documents joints à un affidavit et présentés non pas comme preuve de la véracité du contenu, mais plutôt pour démontrer le contexte dans lequel la procédure s’était déroulée. La Cour a souligné qu’il appartenait au juge chargé de l’audience de décider quel poids accorder à ces éléments de preuve.

[29]  D’après ce que j’ai compris, les avocats de RMI et de DP World ont reconnu à l’audience que l’affidavit de M. Schneider-Manoury et celui de M. MacAteer étaient admissibles pour les fins invoquées par l’avocat d’OHTC. Par contre, ils ont aussi souligné que certaines parties des observations écrites d’OHTC s’appuyaient de fait sur la véracité du contenu de ces affidavits, et ils ont fait valoir que la Cour ne devrait accorder que peu ou pas d’importance aux éléments de preuve contenus dans ces affidavits dans la mesure où ils ont été utilisés à cette fin. J’ai informé les parties lors de l’audience que j’examinerais cette préoccupation au moment d’analyser les éléments de preuve en vue de rendre ma décision en l’espèce. Dans l’analyse qui suit, je cerne les circonstances dans lesquelles j’estime que cette préoccupation est soulevée.

B.  Le cadre jurisprudentiel

[30]  La réponse d’OHTC à la requête déposée par RMI repose entièrement sur sa propre requête visant la suspension ou la radiation de l’action intentée par RMI ou la prorogation du délai pour déposer une défense. Ainsi, l’issue des deux requêtes déposées devant la Cour dépend essentiellement de la question de savoir si OHTC réussit à obtenir les mesures de réparation qu’elle a demandées.

[31]  En ce qui concerne l’argument principal d’OHTC, selon lequel l’action intentée par RMI devrait être suspendue et que la mainlevée de la saisie du navire en cause devrait être accordée, je fais remarquer tout d’abord que toutes les parties s’appuient largement sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Holt Cargo Systems Inc. c ABC Containerline N.V. (Syndics de), 2001 CSC 90 (Holt), et l’arrêt connexe Antwerp Bulkcarriers, N.V. (Re), 2001 CSC 91 (Antwerp). Ces arrêts découlent de la faillite d’un transporteur par conteneur belge, qui a mené à la saisie d’un de ses navires, le « Brussel », au port d’Halifax dans le cadre d’une action réelle engagée devant la Cour fédérale.

[32]  À la suite de la saisie, le tribunal de la faillite de la Belgique a prononcé la faillite du propriétaire du navire, et les syndics de faillite ont obtenu de la Cour supérieure du Québec une ordonnance reconnaissant la décision rendue par le tribunal belge, puis une ordonnance suivant laquelle le produit de la vente du navire ou le navire lui-même devait être confié aux syndics à des fins de distribution dans le cadre de la procédure de faillite en Belgique (l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec). Cette ordonnance n’était pas conforme au cadre procédural établi par la Cour fédérale pour la vente du navire et la distribution du produit de la vente. S’appuyant en partie sur l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec, les syndics ont demandé à la Cour fédérale de suspendre les procédures et de lui verser le produit de la vente. L’honorable juge MacKay de la Cour fédérale a rejeté la demande des syndics (l’ordonnance de la Cour fédérale).

[33]  L’ordonnance de la Cour supérieure du Québec et l’ordonnance de la Cour fédérale ont toutes deux été portées en appel, et les décisions rendues en appel ont ensuite fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt Antwerp, qui portait sur l’appel de l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec, la Cour suprême a conclu (aux paragraphes 37 et 40) que, une fois que son exercice a été régulièrement déclenché par l’introduction de l’action réelle et la saisie du navire, la compétence de la Cour fédérale en matière de droit maritime n’était pas perdue en raison de la faillite subséquente du propriétaire du navire. La Cour suprême a aussi expliqué (aux paragraphes 37 et 45 à 47) que le tribunal de faillite n’était pas habilité à s’occuper du navire, déjà visé par une ordonnance valide de la Cour fédérale, et a ajouté (aux paragraphes 48 à 53) que la délivrance de ce qui constituait une injonction anti‑poursuites visait à tort à restreindre la capacité de la Cour fédérale d’exercer sa compétence. En conclusion, la Cour suprême a déclaré (aux paragraphes 54 et 55) que le juge de la Cour fédérale pouvait ordonner une suspension s’il jugeait opportun de le faire, ou encore rejeter la demande des syndics, comme il l’a fait, et que, si la faillite était survenue au Canada plutôt qu’en Belgique, la situation aurait été la même.

[34]  Dans l’arrêt Holt, qui portait sur l’appel de l’ordonnance de la Cour fédérale, la Cour suprême a affirmé (aux paragraphes 41 à 44) que, en vertu des principes de conflit des lois applicables au Canada, la demanderesse, qui avait saisi le navire par l’entremise de la Cour fédérale, avait droit à la reconnaissance par la Cour fédérale de son privilège maritime, conféré en vertu du droit en vigueur aux États‑Unis, où la demanderesse a fourni des services d’acconage au navire. La Cour suprême a de plus conclu (aux paragraphes 46 à 50) que, en vertu de ce privilège maritime, la demanderesse bénéficiait au Canada d’un avantage juridique qui serait compromis si les procédures engagées devant la Cour fédérale étaient suspendues par déférence pour le tribunal de faillite belge. Cette conclusion reposait sur le fait que le droit belge ne reconnaîtrait pas le privilège maritime acquis par la demanderesse en vertu du droit américain. Aux paragraphes 51 à 53, la Cour suprême a conclu que le privilège maritime de la demanderesse lui conférait le statut de créancier garanti dans le cadre de la faillite, et que le juge MacKay était tout à fait justifié d’accorder une importance considérable à ce facteur au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire de suspendre l’instance devant la Cour fédérale à la demande des syndics au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

[35]  Tout comme dans l’arrêt Antwerp, la Cour suprême a noté dans l’arrêt Holt, aux paragraphes 60 à 66, que la Cour fédérale n’avait pas perdu compétence à la suite des ordonnances délivrées par la Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite. La Cour suprême a ensuite examiné la question de savoir si la Cour fédérale aurait dû néanmoins s’en remettre au tribunal de faillite belge au nom de la courtoisie internationale. Elle a conclu (aux paragraphes 85 à 87) que la coordination internationale est un facteur important, mais qu’elle ne constitue pas nécessairement un facteur déterminant. Elle a recommandé à la Cour fédérale d’être consciente des difficultés que présentent les faillites internationales, y compris de l’intérêt de réduire au minimum la multiplicité des procédures et les décisions incompatibles, ainsi que la nécessité de rendre justice aux parties qui se présentent devant elle. Aucune considération ne doit à elle seule être qualifiée de déterminante par la Cour fédérale lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre ses procédures.

[36]  Enfin, à la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande de suspension des procédures présentée par les syndics, la Cour suprême a souligné (aux paragraphes 80 à 98) que les principes qui doivent sous-tendre l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans ce type d’affaire ont été établis péremptoirement dans l’arrêt Amchem Products Inc. c Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 RCS 897. Dans cet arrêt, le tribunal a expliqué que la question pertinente était de savoir si un autre tribunal serait plus approprié, compte tenu des facteurs pertinents, et qu’il faut établir clairement qu’un autre tribunal est plus approprié pour que soit écarté celui qu’a choisi le demandeur. Après avoir pris note des considérations de politique générale qui s’appliquent dans le contexte des faillites internationales, la Cour suprême a décrit (au paragraphe 91 de l’arrêt Holt) les facteurs dont il faut tenir compte pour rendre une décision discrétionnaire :

Le « ressort logique » est celui avec lequel l’action a le lien le plus réel et le plus important (Amchem, précité, p. 916 et 935). Les circonstances pertinentes comprennent non seulement les questions de politique générale (comme en l’espèce) mais également la possibilité que la suspension des procédures fasse perdre au demandeur un avantage juridique à tel point qu’il en résulterait une injustice, le ou les endroits où les parties exploitent leur entreprise, l’avantage de soumettre un litige dans un ressort ou un autre et les frais qui s’y rattachent, et la nécessité de dissuader les parties de rechercher un tribunal favorable. Bref, dans le contexte global d’une politique générale, toute injustice que subirait le demandeur si son action était suspendue doit être appréciée en fonction de toute injustice qui serait causée au défendeur si l’action pouvait suivre son cours. Ces facteurs doivent soigneusement être soupesés.

[37]  La Cour suprême a conclu que la Cour fédérale avait tenu compte des facteurs pertinents pour arriver à sa décision. Le juge MacKay a reconnu l’importance de la courtoisie et de la coordination internationale lorsqu’une affaire s’y prête, mais il a insisté principalement sur le fait qu’il était saisi d’une action réelle intentée par des créanciers garantis contre un navire dont la Cour fédérale avait déjà ordonné la saisie au moment de la faillite, et dont il avait déjà ordonné l’évaluation et la vente au moment de l’intervention du tribunal de faillite canadien. La Cour suprême a rejeté l’argument des syndics selon lequel la demanderesse était à la recherche d’un tribunal favorable en obtenant la saisie du navire au Canada et a reconnu que le juge MacKay avait accordé le degré d’importance approprié à l’avantage juridique accordé à la demanderesse au Canada en raison de la reconnaissance du caractère garanti de son privilège maritime.

[38]  Comme je l’expliquerai dans les présents motifs, il existe des facteurs qui permettent de distinguer le litige visant le navire « Brussel » et l’espèce. Toutefois, je comprends que les parties s’entendent sur le fait que les arrêts Holt et Antwerp fournissent en grande partie le cadre qui régit l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire au moment d’examiner la requête d’OHTC sollicitant la suspension des procédures au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

[39]  Une des différences factuelles évidentes tient au fait que la faillite en l’espèce, du moins en ce qui concerne OHTC, survient dans un contexte canadien, et non international. Toutefois, comme dans le litige visant le navire « Brussel », la Cour doit examiner l’effet d’une ordonnance prononcée par une cour supérieure provinciale dans un contexte d’insolvabilité, ce qui constitue un facteur important, mais pas nécessairement déterminant. Je suis aussi conscient de la décision Always Travel Inc. c Air Canada, 2003 CFPI 707 (Always Travel), rendue par la Cour fédérale dans le contexte d’une instance engagée au titre de la LACC devant une cour supérieure provinciale. Cette affaire portait sur un recours collectif que les demanderesses envisageaient d’exercer devant la Cour fédérale contre un certain nombre de transporteurs aériens, y compris Air Canada, qui, à l’époque, avait obtenu de la Cour supérieure de justice de l’Ontario au titre de la LACC une ordonnance de protection contre des poursuites dans le cadre d’une restructuration prévue. Pour cette raison, Air Canada a présenté une requête à la Cour fédérale visant à obtenir la suspension des procédures.

[40]  Dans l’affaire Always Travel, l’ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait pour effet de suspendre toutes les procédures engagées contre Air Canada et sollicitait l’aide et la reconnaissance de tout tribunal au Canada, y compris la Cour fédérale, pour mettre à exécution l’ordonnance. Le juge Hugessen de la Cour fédérale a accordé une suspension des procédures pour une période de trois mois, ou jusqu’à ce que la suspension ordonnée par la Cour supérieure de justice de l’Ontario soit levée, selon la première occurrence. Se penchant sur le rôle de la Cour fédérale au moment d’examiner une ordonnance prononcée en vertu de la LACC par une cour supérieure provinciale, le juge Hugessen s’est appuyé en partie sur les arrêts Holt et Antwerp et a offert, aux paragraphes 10 à 12, l’explication suivante :

[10]  Les cours supérieures ne se donnent pas mutuellement des ordres ni ne s’ingèrent, par ordonnances, dans leurs procédures respectives. Leur coopération est plutôt essentielle. Les conflits entre tribunaux ou avec d’autres organismes qui exercent un pouvoir judiciaire de dernier ressort, peuvent avoir de sérieuses répercussions allant peut-être jusqu’à la privation de liberté. Au Canada, les cours supérieures ne se livrent pas concurrence, mais s’accordent l’une à l’autre une « reconnaissance totale », comme on l’a dit dans Morguard Investments Ltd. c. De Savoye et répété dans les arrêts dits de Bruxelles. Le juge Farley a expressément demandé dans son ordonnance que, par courtoisie, et plus encore en reconnaissance du fait que les deux cours appliquent le même système d’administration de la justice au Canada, notre Cour prête son aide au regard de l’ordonnance de la Cour supérieure de l’Ontario concernant la suspension de procédure.

[11]  On m’a dit ce matin que je ne devrais pas rendre une ordonnance de suspension fondée sur celles du juge Farley, en premier lieu parce qu’aucune preuve ne m’a été présentée et, en second lieu, parce que personne n’a tenté de justifier une suspension en s’appuyant sur les trois critères types énoncés pour la première fois par la Cour suprême dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., et, ultérieurement repris dans RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général). À cela, je réponds qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une suspension ordinaire et qu’il n’est pas nécessaire qu’une telle mesure, consentie par courtoisie, réponde aux exigences des trois critères en question, pas plus qu’elle n’a besoin d’être étayée par des preuves. Je suis d’avis que la coopération respectueuse que cette Cour devrait, à juste titre, accorder, et qu’elle accorde en fait, en ce qui a trait aux jugements de la Cour supérieure de l’Ontario, exigera tout naturellement de notre Cour, et sur demande conforme, qu’elle prête son concours dans pratiquement tous les cas où une cour provinciale rendra une ordonnance dans l’exercice de sa juridiction touchant la LACC et réclamera l’aide de notre Cour.

[12]   Ce n’est pas tout. Si une partie à une instance dont la Cour est saisie estime qu’une suspension ne devrait pas être accordée à titre de courtoisie pour venir en aide à une cour supérieure provinciale au regard d’une ordonnance, il lui est loisible de s’opposer à cette suspension ou, si elle est déjà accordée, de demander à la Cour de la lever. Il eut été loisible alors aux demanderesses de me présenter aujourd’hui des preuves et des observations disant que, pour certaines raisons ou autres considérations, il ne faudrait pas surseoir à la présente instance; mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Que je le dise bien clairement. Le fardeau incombe à toute personne qui s’adresse à cette Cour en vue de se soustraire aux conséquences de l’aide prêtée à une cour supérieure provinciale qui exerce sa juridiction en vertu de la LACC, de dissuader la Cour de consentir cette aide. Rien de ce que je dis ou fais aujourd’hui n’interdit aux demanderesses de présenter une demande si elles le désirent. Je dis simplement que, de la façon dont l’actuelle procédure a évolué, les avocats et la Cour ont convenu qu’il faudrait strictement se limiter aujourd’hui aux questions de droit quitte à remettre à plus tard, au besoin, les questions de fait.

[Non souligné dans l’original]

[41]  RMI cherche à distinguer l’affaire Always Travel de la présente affaire en soutenant que l’ordonnance de suspension rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans cette affaire n’excluait aucune instance, contrairement à l’ordonnance initiale du juge Wood, qui exclut expressément les actions réelles devant la Cour fédérale.

[42]  Avant d’examiner cet argument, je souligne que j’estime que le principe de la coopération respectueuse entre les tribunaux décrit par le juge Hugessen est cohérent avec les directives données par la Cour suprême du Canada dans le litige visant le navire « Brussel » quant à l’importance de la courtoisie et de la coopération, même si le juge Hugessen a appliqué ces directives dans un contexte canadien plutôt qu’international. Je remarque que le juge Hugessen s’est appuyé sur les décisions portant sur le navire « Brussel », et je suis aussi conscient que la décision Always Travel ne devrait pas être interprétée comme portant atteinte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale dans le cadre de l’examen d’une requête en suspension des procédures ou à l’exigence de tenir compte des autres directives et facteurs énoncés dans l’arrêt Holt.

C.  Interprétation de l’ordonnance initiale rendue par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse

[43]  Ayant cerné les principes jurisprudentiels directeurs, je me pencherai maintenant sur les modalités particulières de l’ordonnance initiale rendue par le juge Wood. Pour tenter de distinguer la présente affaire de l’affaire Always Travel et de façon générale, RMI fait valoir que l’exclusion des procédures devant la Cour fédérale contenue dans l’ordonnance initiale appuie son argument selon lequel la demande de suspension d’OHTC devrait être rejetée. Il appert des observations écrites et de vive voix des parties à la requête que l’interprétation que donnent RMI et DP World à l’ordonnance initiale est nettement différente de celle avancée par OHTC. RMI et DP World font valoir que l’effet recherché par l’ordonnance initiale, mis en évidence au paragraphe 11A (reproduit ci-dessus), était de permettre à l’action intentée par RMI devant la Cour fédérale et aux autres procédures devant la Cour fédérale visant les éléments d’actif d’OHTC de suivre leur cours sans être touchées par l’ordonnance initiale ou par l’instance engagée au titre de la LACC. Elles ont expliqué que c’est ce qu’elles avaient demandé au moment de comparaître devant le juge Wood relativement à la requête initiale d’OHTC déposée au titre de la LACC.

[44]  En revanche, OHTC est d’avis que l’effet recherché par l’ordonnance initiale était de faire en sorte qu’elle ait la pleine possession et le plein contrôle de ses éléments d’actif, dont le navire en cause, sous réserve de la surveillance exercée par le contrôleur et la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, et, en conséquence, de suspendre toutes les procédures engagées contre OHTC et ses éléments d’actif, notamment les procédures devant la Cour fédérale. OHTC soutient que le libellé relatif à l’exclusion figurant au paragraphe 11A de l’ordonnance initiale vise à reconnaître les principes qui gouvernent la relation entre différents tribunaux canadiens, selon lesquels un tribunal devrait solliciter l’aide d’un autre tribunal à l’égard de questions relevant de la compétence de cet autre tribunal, au lieu de tenter d’appliquer son ordonnance à ces questions. OHTC fait valoir que l’ordonnance initiale visait à donner effet au plan qu’elle a présenté à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse au moment où elle a sollicité cette ordonnance, qui prévoyait en particulier l’utilisation du navire pour retirer la turbine du fond du bassin Minas, et qu’il serait complètement contraire à cette intention que les actions devant la Cour fédérale suivent leur cours et que la Cour autorise la vente du navire en cause avant la réalisation de ce plan.

[45]  J’estime, pour les motifs qui suivent, que l’ordonnance initiale ne peut être interprétée que de la manière décrite par OHTC. Au moment d’établir l’interprétation à donner à l’ordonnance initiale, il est utile d’examiner les modalités de l’ordonnance initiale, la nature de la requête ayant mené à cette ordonnance et la décision datée du 7 novembre 2018 dans laquelle le juge Wood a exposé les motifs de l’ordonnance initiale (voir OpenHydro Technology Canada Ltd. (Re), 2018 NSSC 283) (la décision du juge Wood).

[46]  Tout d’abord, en ce qui concerne les modalités de l’ordonnance initiale, je fais remarquer qu’il est énoncé ce qui suit au paragraphe 4 :

[traduction]

4.  La demanderesse conservera la possession et le contrôle de ses éléments d’actif actuels et futurs, de ses engagements et de ses biens de quelque nature que ce soit, peu importe où ils sont situés, y compris tous les produits en découlant (les biens). Jusqu’à nouvelle ordonnance de la Cour, la demanderesse continuera d’exercer ses activités de façon à préserver son entreprise (l’entreprise) et ses biens […]

[47]  Le paragraphe 11 de l’ordonnance initiale, qui donne effet à la suspension des procédures, s’applique à toute instance introduite contre OHTC ou le contrôleur ou ayant une incidence sur l’entreprise ou les biens (au sens du paragraphe 4). Bien entendu, les paragraphes 4 et 11 sont assujettis au paragraphe 11A, que je reproduis ici par souci de commodité :

[traduction]

11A.  Compte tenu du fait que des actions réelles ont été intentées devant la Cour fédérale à l’égard du navire « Scotia Tide », du centre de contrôle de la turbine OTC03 et de la turbine de Cape Sharp Tidal, tel qu’il est décrit dans le dossier T‑1578‑18 de la Cour fédérale, la présente ordonnance ne s’applique pas à ces procédures (ni aux personnes ayant déposé un caveat), sauf décision contraire de la Cour fédérale dans l’exercice de sa compétence et de son pouvoir discrétionnaire absolus. La Cour demande expressément l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale aux fins de l’exécution de la présente ordonnance, au besoin.

[48]  Je comprends l’argument soulevé par RMI et DP World selon lequel le paragraphe 11A prévoit que l’ordonnance initiale ne s’applique pas aux actions réelles engagées devant la Cour fédérale, et je conviens que ce paragraphe fait en sorte que l’ordonnance initiale en soi ne suspend pas les procédures devant la Cour fédérale. Toutefois, le paragraphe 11A dispose aussi que l’ordonnance initiale peut s’appliquer aux procédures devant la Cour fédérale si celle-ci exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard, et la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse demande expressément l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale aux fins de l’exécution de l’ordonnance initiale, au besoin. J’estime que cette demande ne peut être interprétée que comme l’expression de l’intention de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse de suspendre toutes les procédures, y compris celles devant la Cour fédérale, tout en reconnaissant qu’un tel résultat ne peut être atteint sans l’aide de la Cour fédérale, qui a le pouvoir de suspendre ses procédures.

[49]  Cette interprétation est étayée par le contenu des documents soumis par OHTC au juge Wood dans le cadre de sa requête visant à obtenir l’ordonnance initiale. Il paraît évident, à la lecture de l’affidavit de M. Schneider-Manoury et du rapport de la firme Grant Thornton daté du 23 octobre 2018 (qui est annexé à l’affidavit de M. Wedlake en tant que pièce), que, même si OHTC a demandé la protection au titre de la LACC afin de réaliser divers objectifs, dont le recouvrement de différents crédits d’impôt, l’un des objectifs principaux était de lui permettre d’utiliser le navire pour retirer la turbine du bassin Minas avant de procéder à la vente du navire. À mon avis, rien dans l’ordonnance initiale ne montre que la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, en accueillant la requête, n’avait pas l’intention que l’ordonnance initiale facilite l’atteinte de cet objectif ou, de façon plus précise, qu’elle accorde à OHTC le temps prévu dans l’ordonnance initiale pour élaborer un plan visant notamment cet objectif.

[50]  À mon avis, cette interprétation est de plus appuyée par la décision du juge Wood. Au paragraphe 10, le juge Wood a déclaré qu’il avait examiné les documents déposés et qu’il était disposé à accorder l’ordonnance initiale et l’ordonnance constitutive de charge suivant les modalités proposées, sous réserve de sa décision quant à la portée de la suspension temporaire. Il a déclaré que la suspension des procédures était appropriée, parce qu’OHTC l’avait convaincu qu’elle devrait se voir octroyer une courte période de temps pour examiner la possibilité d’élaborer un plan d’arrangement raisonnable. Le juge Wood a conclu qu’une suspension de 30 jours permettrait à OHTC et au contrôleur d’effectuer une évaluation de faisabilité initiale et a déclaré qu’il serait nécessaire de déposer une autre requête et des éléments de preuve pour proroger la période de suspension.

[51]  Lorsqu’il a examiné les arguments des parties souhaitant que les procédures devant la Cour fédérale suivent leur cours et pour arriver à la décision d’inclure le paragraphe 11A dans l’ordonnance initiale, le juge Wood a procédé à l’analyse suivante :

[traduction]

[11]  Les défendeurs soutiennent que la Cour ne devrait pas rendre une ordonnance qui permet de suspendre les actions réelles devant la Cour fédérale. Selon eux, si les procédures doivent être suspendues, la décision devrait être prise par la Cour fédérale dans le contexte de la requête présentée par OpenHydro, et non par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse.

[12]  Les défendeurs s’appuient sur les arrêts connexes de la Cour suprême du Canada Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), 2001 CSC 90 (CanLII) et Antwerp Bulkcarriers, N.V. (Re), 2001 CSC 91 (CanLII). Ces arrêts découlent de la faillite d’un propriétaire de navire belge dont les navires ont été saisis et ont fait l’objet d’une action réelle devant la Cour fédérale du Canada. Dans l’arrêt Holt, la question à trancher était celle de savoir si la Cour fédérale aurait dû s’en remettre à la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière faillite) et suspendre les procédures devant la Cour fédérale. La Cour suprême a affirmé que la Cour fédérale avait compétence pour régler les réclamations et, après avoir effectué une analyse relative au forum non conveniens, elle a conclu que la Cour fédérale n’avait pas commis d’erreur en décidant de ne pas ordonner la suspension.

[13]  Dans l’affaire Antwerp, la Cour supérieure du Québec avait délivré une injonction interdisant à la Cour fédérale d’exercer sa compétence dans le cadre d’une action réelle intentée à l’encontre des navires. La Cour suprême a conclu que la Cour supérieure du Québec n’avait pas le pouvoir de rendre l’ordonnance, parce que la Cour fédérale avait compétence pour régler les réclamations et que l’élément d’actif en question (c.‑à‑d. le navire) était visé par les ordonnances rendues par la Cour fédérale.

[14]  Même si ces affaires portent sur la relation entre la compétence des cours supérieures siégeant en matière de faillite et la compétence de la Cour fédérale en matière de droit maritime, je suis convaincu que les principes s’appliquent dans une certaine mesure aux instances visées par la LACC. En me fondant sur ces arrêts, il est clair que la Cour fédérale a toujours compétence relativement aux actions réelles intentées par les défendeurs. En me fondant sur l’arrêt Antwerp, je suis aussi convaincu que la Cour ne devrait pas délivrer ce qui constitue une injonction anti-poursuites interdisant à la Cour fédérale de régler ces réclamations.

[15]  Pour déterminer comment traiter l’interaction entre l’instance engagée au titre de la LACC et les actions intentées devant la Cour fédérale, j’adopterais l’approche appliquée dans deux décisions rendues récemment par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Dans l’affaire Sargeant III c. Worldspan Marine Inc., 2011 BCSC 767 (CanLII), les circonstances étaient presque identiques à celles de l’espèce. La Cour était saisie d’une demande visant l’obtention d’une ordonnance initiale au titre de la LACC et d’une suspension temporaire connexe. Les créanciers avaient entamé des procédures devant la Cour fédérale et obtenu des jugements in rem à l’encontre du navire de la société. La Cour a conclu qu’elle ne devait pas rendre une ordonnance enjoignant à la Cour fédérale de prendre une mesure quelconque et que les tribunaux devraient plutôt exercer leur compétence respective en collaboration. La Cour a expliqué la question de la façon suivante :

  40 J’estime que, pour des motifs liés à la courtoisie entre deux cours supérieures canadiennes exerçant chacune leurs compétences respectives, une ordonnance prononcée par notre cour dictant à la Cour fédérale de suspendre ses procédures n’est pas appropriée ni nécessaire.

  41 Dans l’arrêt Antwerp Bulkcarriers, N.V. (Re), 2001 CSC 91 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 951, au paragraphe 51, la Cour suprême du Canada a mentionné que les tribunaux canadiens se doivent une reconnaissance mutuelle lorsqu’ils agissent convenablement dans les limites de leurs compétences respectives.

  42 Dans la décision Always Travel Inc. c. Air Canada, 2003 CFPI 707 (CanLII), 2003 A.C.F. no 933, rendue après l’arrêt Antwerp et son arrêt connexe, Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), 2001 CSC 90 (CanLII), le juge Hugessen de la Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli une demande de suspension des procédures devant la Cour fédérale présentée par Air Canada, qui avait précédemment obtenu de la Cour supérieure de justice de l’Ontario une ordonnance de protection au titre de la LACC.

  43 Le juge Hugessen a déclaré que, à son avis, une ordonnance rendue en vertu des articles 11.3 et 11.4 de la LACC n’entraîne pas automatiquement la suspension des procédures devant la Cour fédérale. Au moment de tirer cette conclusion, il a fait référence aux dispositions applicables de la LACC, y compris celles qui prévoient que le mot « cour » s’entend notamment des cours supérieures provinciales et l’article 16 de la LACC, dont voici le libellé :

Toute ordonnance rendue par le tribunal d’une province dans l’exercice de la juridiction conférée par la présente loi à l’égard de quelque transaction ou arrangement a pleine vigueur et effet dans les autres provinces, et elle est appliquée devant le tribunal de chacune des autres provinces de la même manière, à tous égards, que si elle avait été rendue par le tribunal la faisant ainsi exécuter.

  44 Au paragraphe 9, le juge Hugessen s’est exprimé ainsi :

Il me paraît bien évident des dispositions législatives, que le législateur n’entendait pas que les ordonnances rendues par les cours supérieures provinciales dans l’exercice de leur compétence touchant la LACC, puissent s’étendre au point d’obliger notre Cour à suspendre ses procédures sur toute question entrant dans le cadre de sa juridiction. On en trouve des exemples, notamment l’article 16 de la LACC où le législateur a donné compétence à une cour supérieure de suspendre une instance portée devant une autre cour supérieure. À mon avis, une telle disposition doit être expressément.

  45 Le juge Hugessen a ajouté ce qui suit au paragraphe 10 :

Les cours supérieures ne se donnent pas mutuellement des ordres ni ne s’ingèrent, par ordonnances, dans leurs procédures respectives. Leur coopération est plutôt essentielle. Les conflits entre tribunaux ou avec d’autres organismes qui exercent un pouvoir judiciaire de dernier ressort, peuvent avoir de sérieuses répercussions allant peut-être jusqu’à la privation de liberté. Au Canada, les cours supérieures ne se livrent pas concurrence, mais s’accordent l’une à l’autre une « reconnaissance totale », comme on l’a dit dans Morguard Investments Ltd. c. De Savoye et répété dans les arrêts dits de Bruxelles. Le juge Farley a expressément demandé dans son ordonnance que, par courtoisie, et plus encore en reconnaissance du fait que les deux cours appliquent le même système d’administration de la justice au Canada, notre Cour prête son aide au regard de l’ordonnance de la Cour supérieure de l’Ontario concernant la suspension de procédure.

  46 Le juge Hugessen a ensuite analysé ce qu’il a appelé la coopération respectueuse que la Cour fédérale devrait, à juste titre, accorder, et qu’elle accorde en fait, en ce qui a trait aux jugements rendus par une cour supérieure provinciale, et il a déclaré que cette coopération exige :

  [...] tout naturellement de notre Cour, et sur demande conforme, qu’elle prête son concours dans pratiquement tous les cas où une cour provinciale rendra une ordonnance dans l’exercice de sa juridiction touchant la LACC et réclamera l’aide de notre Cour.

  47 Je souscris aux propos du juge Hugessen concernant les principes de courtoisie qui doivent s’appliquer entre une cour supérieure provinciale exerçant sa compétence sous le régime de la LACC et la Cour fédérale exerçant son pouvoir de compétence, en l’espèce, en matière de droit maritime. À mon avis, pour les motifs que je m’apprête à expliquer, notre Cour et la Cour fédérale du Canada, agissant en collaboration et exerçant respectivement leur compétence, devraient être en mesure d’éviter des conflits insurmontables entre leurs compétences respectives.

[16]  La Cour a résumé ainsi sa conclusion à l’égard de cette question :

  58 Dans le cas qui nous occupe, qui est encore, je le répète, au stade préliminaire, il convient à mon avis que la présente cour demande, par courtoisie judiciaire, la reconnaissance et l’aide de la Cour fédérale à l’égard de l’ordonnance initiale prononcée au titre de la LACC. Bien entendu, la Cour fédérale a le pouvoir, en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, d’accorder une suspension.

[…]

  60 Les requérantes devraient se voir offrir l’occasion de présenter un plan viable en vue de la restructuration et du paiement ordonné des sommes dues à leurs créanciers. Je suis convaincu en l’espèce qu’il est approprié pour la cour de rendre une ordonnance initiale prévoyant une suspension temporaire jusqu’au 23 juin 2011 selon les clauses standards de l’ordonnance type et demandant expressément l’aide de la Cour fédérale pour reconnaître la suspension initiale. Des questions relatives à la priorité seront soulevées, notamment en ce qui a trait à la priorité de toute charge financière relative aux sommes pouvant être avancées pour achever la construction du navire, de même que la priorité des créanciers bénéficiant d’un privilège maritime. Encore une fois, à ce stade, je n’ai pas à trancher ces questions. J’estime que toutes ces questions peuvent être réglées de façon collaborative par les deux cours.

[17]  Dans l’affaire Hanjin Shipping Co. (Re), 2016 BCSC 2213 (CanLII), la Cour a reçu une demande de reconnaissance d’une instance étrangère au titre des articles 46 à 49 de la LACC, qui comprenait une demande de suspension des procédures. Comme c’est le cas en l’espèce, des actions réelles avaient été intentées devant la Cour fédérale. La Cour a souscrit aux commentaires du juge Pearlman dans la décision Sargeant III, cités ci-dessus, et a ajouté une disposition dans l’ordonnance pour tenir compte des procédures engagées devant la Cour fédérale. Voici le libellé de cette disposition :

  19.  […]

Compte tenu du fait que des actions réelles ont été intentées devant la Cour fédérale à l’égard des navires Hanjin Vienna, Hanjin Scarlet et Hanjin Marine, la présente ordonnance ne s’applique pas à ces procédures (ni aux personnes ayant déposé un caveat), sauf décision contraire de la Cour fédérale dans l’exercice de sa compétence et de son pouvoir discrétionnaire absolus.

[18]  Six semaines après avoir rendu l’ordonnance initiale, la Cour a rendu une autre ordonnance énonçant la procédure de réclamation. Dans cette ordonnance, la Cour a expressément exclu les réclamations de nature réelle, qui devaient être réglées par la Cour fédérale. L’ordonnance comprenait une disposition par laquelle la Cour demandait l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale.

[19]  À la lumière de ces décisions, il me semble clair que le résultat approprié consiste à soustraire les réclamations de nature réelle que les défendeurs ont présentées devant la Cour fédérale à la suspension prévue par l’ordonnance initiale et à demander l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale à cet égard. Ainsi, il appartiendrait à la Cour fédérale de déterminer si elle devrait suspendre les réclamations de nature réelle et, le cas échéant, selon quelles conditions. Pour donner effet à cette décision, j’ordonne que la disposition suivante soit ajoutée à l’ordonnance initiale :

  Compte tenu du fait que des actions réelles ont été intentées devant la Cour fédérale à l’égard du navire « Scotia Tide », du centre de contrôle de la turbine OTC03 et de la turbine de Cape Sharp Tidal, tel qu’il est décrit dans le dossier T‑1578‑18 de la Cour fédérale, la présente ordonnance ne s’applique pas à ces procédures (ni aux personnes ayant déposé un caveat), sauf décision contraire de la Cour fédérale dans l’exercice de sa compétence et de son pouvoir discrétionnaire absolus. La Cour demande expressément l’aide et la reconnaissance de la Cour fédérale aux fins de l’exécution de la présente ordonnance, au besoin.

[52]  Selon moi, la décision du juge Wood n’appuie pas l’interprétation que RMI et DP World cherchent à donner à l’ordonnance initiale. Le juge Wood a pris soin de reconnaître que la Cour fédérale conserve sa compétence en matière réelle et qu’il serait inapproprié de prononcer ce qui constituerait une injonction anti-poursuites applicable aux procédures devant la Cour fédérale. Cependant, il a expliqué que le résultat approprié consistait donc à soustraire à la suspension les réclamations de nature réelle et à inclure dans l’ordonnance une demande d’aide et de reconnaissance à l’intention de la Cour fédérale. Comme pour les modalités de l’ordonnance initiale elle-même, cela ne peut être interprété que comme une demande visant à obtenir l’aide de la Cour fédérale en vue d’atteindre les objectifs de l’ordonnance initiale, à savoir l’arrêt de toutes les procédures pendant la courte période accordée à OHTC pour examiner la possibilité d’élaborer un plan d’arrangement raisonnable.

[53]  RMI et DP World soutiennent que leur interprétation du paragraphe 11A de l’ordonnance initiale est étayée par le fait que le juge Wood s’est fondé sur l’analyse énoncée dans les décisions Sargeant III c Worldspan Marine Inc., 2011 BCSC 767 (Sargeant III) et Hanjin Shipping Co. (Re), 2016 BCSC 2213 (Hanjin), et qu’il a adopté le libellé de l’ordonnance découlant de la décision Hanjin pour élaborer le paragraphe 11A. Elles renvoient aux ordonnances et aux décisions interlocutoires rendues ultérieurement dans ces affaires pour démontrer que, dans les deux cas, les créanciers dans l’action réelle ont finalement été autorisés à présenter leurs réclamations devant la Cour fédérale. Je conviens que ces affaires semblent avoir évolué de la sorte. Toutefois, ces développements ont eu lieu à un stade ultérieur des procédures, alors que le tribunal chargé de l’application de la LACC s’employait à mettre au point le processus en vue de la présentation et du règlement des réclamations. Cette approche n’avait pas été établie au préalable à l’étape antérieure, au moment où le tribunal chargé de l’application de la LACC a rendu une ordonnance équivalant à une ordonnance initiale accordant à la société insolvable une suspension des procédures afin de lui donner la possibilité d’exécuter un plan d’arrangement viable.

[54]  Cela est particulièrement évident si l’on compare les motifs rendus par le juge Pearlman dans la décision Sargeant III, le 6 juin 2011, à l’appui de l’ordonnance de suspension (motifs qui ont été cités dans la décision du juge Wood) et la décision ultérieure du tribunal chargé de l’application de la LACC relativement au processus de réclamation, comme il est expliqué aux paragraphes 25 à 27 des motifs du jugement rendus oralement par le juge Pearlman le 22 juillet 2011 :

[traduction]

[25]  De même, à mon avis, l’affirmation par la présente Cour de sa compétence en vertu de la LACC n’écarte pas la compétence de la Cour fédérale en matière de droit maritime. Nous en sommes maintenant à un stade des procédures où l’on comprend mieux le problème cerné au début des procédures : faire en sorte que la présente Cour et la Cour fédérale puissent exercer leur compétence respective, et ce, d’une manière compatible avec la courtoisie qui existe entre les cours supérieures du pays qui exercent des compétences différentes.

[26]  Je reste d’avis que cet objectif peut être atteint et qu’une ordonnance relative à la procédure qui prévoit, en vertu de la LACC, l’identification des créanciers qui font valoir une réclamation de nature réelle en vertu du droit maritime canadien à l’égard du navire, n’empiétera pas sur la compétence de la Cour fédérale ou ne contreviendra pas à celle-ci. Cependant, la décision relative aux créances maritimes à l’égard du navire et la décision relative à l’ordre de priorité de ces créances que je suis tenu, à la lumière des décisions Nanaimo Harbour Link et Splash Holdings, d’appliquer doivent être traitées par la Cour fédérale du Canada.

[27]  Dans mes motifs de jugement initiaux, j’ai laissé entendre qu’il pourrait être nécessaire que la présente Cour et la Cour fédérale du Canada communiquent ensemble afin de coordonner leurs processus respectifs. Je suis certainement d’avis qu’une telle communication sera nécessaire. À ce stade-ci, afin de faire avancer l’instance engagée au titre de la LACC et d’entamer le processus de réclamation, je suis prêt à approuver l’ordonnance relative à ce processus. Cependant, il faudra modifier les paragraphes 18a) et 19 afin qu’il soit clairement indiqué que les réclamations qui seront tranchées par la Cour fédérale du Canada sont les réclamations de nature réelle des créanciers en vertu du droit maritime canadien. Je n’ai pas formulé cela de manière particulièrement élégante et je suis prêt à recevoir d’autres observations de la part des avocats en vue de la reformulation de ces paragraphes.

[55]  Dans cet extrait, lorsqu’il fait référence au problème cerné au début des procédures, le juge Pearlman renvoie aux paragraphes 53 et 54 de sa décision antérieure dans l’affaire Sargeant III :

[traduction]

[53]  Dans la décision Nanaimo Harbour Link Corporation, au paragraphe 53, la Cour a résumé ses conclusions en déclarant que les réclamations garanties des titulaires d’un privilège maritime sont des réclamations garanties au sens de l’art. 136 et de l’art. 2 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et, par conséquent, le plan de distribution établi en vertu de cette loi ne s’appliquerait pas aux réclamations fondées sur un privilège garanti si la preuve en est faite devant la Cour fédérale. La Cour a également conclu que l’ordre de priorité et la preuve des réclamations maritimes relevaient de la compétence de la Cour fédérale du Canada, conformément aux principes du droit maritime canadien.

[54]  À ce stade, on demande simplement à la Cour de rendre une ordonnance initiale et d’ordonner une suspension d’une durée limitée. L’ordre de priorité des divers créanciers devra être établi. Il se peut que cet ordre, en ce qui concerne les créanciers faisant valoir un privilège maritime, doive être établi par la Cour fédérale du Canada. Toutefois, c’est une question qui, selon moi, pourra être réglée à un stade ultérieur. Il pourrait également être nécessaire que les cours communiquent entre elles afin de veiller à ce que la question soit réglée d’une manière qui permette aux deux cours d’exercer leur compétence et leurs fonctions. Cependant, à ce stade-ci, le fait que l’ordre de priorité devra être établi n’empêche pas, à mon avis, la Cour de rendre une ordonnance initiale.

[56]  Je note également que, dans l’un des derniers paragraphes de la décision Sargeant III, le juge Pearlman a déclaré :

[traduction]

[62]  La demande d’Offshore qui vise l’obtention d’une ordonnance prévoyant expressément que son action intentée en Cour fédérale n’est pas visée par l’ordonnance de suspension et interdisant que toute nouvelle ordonnance soit rendue à l’encontre du navire dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC, est rejetée.

[57]  Plus loin, lorsque je traiterai de la durée de la suspension demandée par OHTC, je reviendrai sur la question du processus de règlement des réclamations contre le navire. Cependant, aux fins de l’espèce, je conclus, après avoir examiné la décision Sargeant III et la décision ultérieure du juge Pearlman relative au processus de réclamation que, bien que le juge Pearlman ait anticipé, lorsqu’il a tranché la décision Sargeant III, qu’il pourrait ultérieurement se révéler approprié que la Cour fédérale demeure chargée du règlement des réclamations de nature réelle, son intention au moment de rendre l’ordonnance découlant de l’affaire Sargeant III était de suspendre les procédures contre la société insolvable, y compris celles devant la Cour fédérale. Le paragraphe 62 de la décision Sargeant III montre que l’ordonnance qui en a découlé ne soustrait pas expressément à la suspension les procédures engagées devant la Cour fédérale, mais les paragraphes 58 et 60 (reproduits dans la décision du juge Wood) montrent que le juge Pearlman voulait que la Cour fédérale reconnaisse la suspension et suspende les actions intentées devant elle, en réponse à la demande d’aide formulée à son intention.

[58]  La décision Hanjin s’appuyait expressément sur la décision Sargeant III, mais l’ordonnance de suspension rendue dans cette affaire tenait également compte du libellé proposé par les avocats, libellé qui a ensuite été adopté dans la décision du juge Wood dans le contexte de l’ajout du paragraphe 11A de l’ordonnance initiale. En conclusion sur ce point, je considère que les décisions Sargeant III et Hanjin ainsi que la décision du juge Wood démontrent tous la même intention de la part du tribunal chargé de l’application de la LACC, à savoir que toutes les procédures contre la société insolvable soient suspendues brièvement pour permettre l’élaboration d’une proposition de plan d’arrangement, mais reconnaissent que la suspension des procédures devant la Cour fédérale ne peut être obtenue que par la voie d’une requête présentée à la Cour fédérale par la société insolvable dans le contexte de la demande formulée par le tribunal chargé de l’application de la LACC pour que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire en ce sens en vue de contribuer à l’atteinte des objectifs poursuivis en vertu de la LACC. Je considère cette demande de la part de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse comme un facteur important à prendre en considération dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de suspendre ou non l’instance devant la Cour fédérale.

D.  Les autres facteurs à prendre en considération

[59]  Ayant tiré la conclusion qui précède quant à l’interprétation correcte à donner à l’ordonnance initiale, je reviens aux autres facteurs que la Cour doit prendre en considération lorsqu’elle examine une requête de cette nature au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, conformément à l’orientation établie dans l’arrêt Holt, et aux arguments avancés par les parties à ce sujet.

[60]  Comme dans l’arrêt Holt, j’estime que des questions de politique générale sont en jeu en l’espèce. Outre l’importance de la courtoisie et de la coopération entre les tribunaux, il y a aussi la question, étroitement liée, du respect de l’objet de la LACC. DP World souligne que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a expliqué cet objet de la façon suivante dans l’arrêt Cliffs Over Maple Bay Investments Ltd. c Fisgard Capital Corp., 2008 BCCA 327 :

[traduction]

[27]  L’objectif fondamental de la LACC est exprimé dans le long titre de la loi :

Loi facilitant les transactions et arrangements entre les compagnies et leurs créanciers.

[28]  Cet objectif fondamental a été exposé, entre autres, dans deux décisions citées et approuvées par la Cour dans l’arrêt Re United Used Auto & Trucks Parts Ltd., 2000 BCCA 146, 16 C.B.R. (4th) 141. La première est A.G. Can. c. A.G. Que. (sub nom. Reference Companies’ Creditors Arrangement Act), [1934] S.C.R. 659, 16 C.B.R. 1, à la p. 2, [1934] 4 D.L.R. 75, où la Cour suprême s’est exprimée comme suit :

[…] le but de la loi est de traiter de la condition d’insolvabilité existante en soi pour permettre que des arrangements soient pris eu égard à la condition d’insolvabilité de la société sous l’autorité judiciaire qui, autrement, pourrait ne pas être valides avant le début de la procédure en matière de faillite. De prime abord, il semblerait qu’un tel régime, en principe, ne s’écarte pas fondamentalement du caractère normal de la législation sur la faillite.

La législation est censée avoir une large portée et permettre à un juge de rendre des ordonnances qui maintiendront effectivement le statu quo pendant une certaine période tandis que la société insolvable tente de faire approuver par ses créanciers un arrangement proposé qui permettrait à la société de poursuivre ses activités au profit, on l’espère, et de la société et de ses créanciers.

[61]  Bien que la Cour fédérale n’ait pas compétence au titre de la LACC, à mon avis, il convient qu’elle tienne compte des objectifs de la législation en tant que considération de politique générale lorsqu’elle décide d’accorder ou non une suspension au titre de l’article 50. Dans la mesure où une cour supérieure, exerçant sa compétence au titre de la LACC, a décidé qu’il convient de demander l’aide de la Cour fédérale pour atteindre les objectifs de la LACC, la Cour devrait accéder à cette demande pour des motifs fondés sur la politique générale, en plus de la courtoisie.

[62]  Je prends note des arguments de RMI et de DP World selon lesquels ces motifs fondés sur la politique générale ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce, car OHTC n’a pas invoqué la LACC pour trouver un moyen de procéder à un refinancement et à une restructuration et, ainsi, poursuivre ses activités en tant qu’entreprise en exploitation. Son intention est plutôt de liquider ses éléments d’actif, et la société a demandé la protection de la LACC uniquement afin de pouvoir exercer temporairement ses activités, de percevoir des crédits d’impôt et d’utiliser le navire en cause pour récupérer la turbine. En réponse, OHTC soutient que la LACC ne l’empêche pas de demander une protection pour poursuivre temporairement l’exploitation de son entreprise. OHTC soutient que, même si elle a de fait l’intention de liquider ses éléments d’actif, elle a besoin de l’avantage que lui procure la LACC afin de pouvoir exercer ses activités avant la liquidation dans le but d’atteindre les objectifs qu’elle a présentés à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse lorsqu’elle a demandé l’ordonnance initiale.

[63]  J’ai examiné cet argument. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, la décision du juge Wood à l’appui de l’ordonnance initiale indique que la suspension des procédures est appropriée, parce qu’OHTC a convaincu la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qu’elle devrait disposer d’un court délai pour étudier la possibilité d’élaborer un plan d’arrangement raisonnable. Dans la mesure où RMI, DP World ou d’autres créanciers sont d’avis que les objectifs d’OHTC ne sont pas compatibles avec l’objet de la LACC, en particulier une fois qu’OHTC aura élaboré un plan plus détaillé en vue de l’atteinte de ses objectifs, ils devraient présenter leurs arguments à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse au moment où celle-ci exercera sa compétence au titre de la LACC et examinera la possibilité de proroger la suspension.

[64]  Je note également que RMI conteste les observations présentées par OHTC selon lesquelles elle demande réparation à la Cour fédérale à l’appui d’un plan qui a été approuvé par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. RMI affirme qu’il ressort clairement du dossier que, bien qu’OHTC ait l’intention d’adopter une ligne de conduite pouvant être généralement définie comme un plan, à savoir la récupération de la turbine et la liquidation ultérieure de ses éléments d’actif, aucun plan d’arrangement n’a été présenté par OHTC à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ou approuvé par celle-ci à ce jour.

[65]  Je suis d’accord avec la description faite par RMI de l’état de l’instance engagée au titre de la LACC. Il ressort clairement de l’ordonnance initiale et de la décision du juge Wood que, à ce jour, la suspension accordée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse visait à donner à OHTC la possibilité de préparer et de présenter à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse un plan d’arrangement détaillé. Cela ne signifie pas qu’un tel plan a été approuvé. Cependant, il reste que la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse était disposée à accorder une suspension des procédures pour lui permettre de le faire. Le « plan » d’OHTC, tel qu’il a été présenté et approuvé à ce jour par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, traduit une intention d’élaborer un plan détaillé prévoyant le recours au navire pour récupérer la turbine, recouvrer la garantie, obtenir divers crédits d’impôt, puis liquider ses éléments d’actif. La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse était disposée à accorder à OHTC la protection en vertu de la LACC pour une courte période, afin de lui permettre de rassembler et de présenter des renseignements plus détaillés à l’appui de ces objectifs.

[66]  Une fois qu’OHTC aura présenté à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse une proposition de plan d’arrangement détaillé, il se peut que celle-ci n’y fasse pas droit et que la suspension accordée dans l’ordonnance initiale ne soit pas maintenue. Cependant, il est impossible à l’heure actuelle d’émettre des hypothèses quant à l’issue de l’instance à ce stade-là. C’est là que réside la difficulté d’aborder certains des arguments (expliqués ci-dessous) avancés à ce point-ci par RMI à l’encontre du bien-fondé du plan d’OHTC.

[67]  À l’appui de son opposition à la requête d’OHTC, RMI a déposé un affidavit souscrit par sa directrice commerciale, Mme Kim Gregg, qui affirme que, compte tenu de son expérience dans le secteur des services maritimes, y compris dans le contexte de l’installation de la turbine, elle estime que le coût de la récupération de la turbine dépassera de loin le montant de la garantie d’environ un million de dollars qu’OHTC souhaite recouvrer en utilisant le navire pour récupérer la turbine. Mme Gregg n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire concernant son affidavit, et RMI souligne qu’OHTC n’a présenté aucun élément de preuve quant au coût de l’opération de récupération de la turbine. Je souscris à la position de RMI selon laquelle, à ce stade-ci de l’instance, la seule preuve dont dispose la Cour est celle de Mme Gregg, qui laisse entendre que la récupération de la turbine n’est pas dans l’intérêt financier des créanciers d’OHTC.

[68]  Cependant, il est difficile d’accorder beaucoup de poids à la preuve présentée par Mme Gregg, car celle-ci n’a pas étayé son opinion autrement qu’en faisant référence à son expérience. Fait plus important, il n’est peut-être pas étonnant qu’OHTC n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve sur cette question, étant donné que l’ordonnance initiale repose, du moins en partie, sur le fait qu’OHTC demande un peu de temps, à l’heure actuelle jusqu’au 6 mars 2019, pour élaborer son plan de récupération de la turbine et probablement établir le coût de la démarche. À mon avis, la question de savoir si OHTC devrait ou non être autorisée à utiliser le navire pour récupérer la turbine doit reposer, du moins en partie, sur la question de savoir si l’opération est à l’avantage financier de ses créanciers, et il est actuellement trop tôt pour le savoir.

[69]  RMI soutient également que le plan d’OHTC devrait être rejeté, car il incombe à CSTV, et non à OHTC, de récupérer la turbine. En réponse, OHTC souligne qu’elle profitera de la récupération de la turbine, et donc ses créanciers aussi, parce qu’elle est la débitrice de la garantie. Encore une fois, le bien-fondé de cet argument repose, du moins en partie, sur les coûts liés à la récupération de la turbine, qu’il est prématuré d’évaluer.

[70]  J’aborderai maintenant les autres arguments avancés par RMI et DP World concernant le préjudice qu’elles subiraient advenant la suspension des procédures devant la Cour fédérale. RMI fait valoir que les autres créanciers dans les actions réelles perdraient l’avantage de la compétence en matière réelle et des procédures de la Cour fédérale à l’égard de la vente du navire, du règlement des réclamations maritimes et des priorités concurrentes, y compris l’avantage possible de l’établissement équitable de l’ordre des priorités. Elle se fonde sur les conclusions énoncées dans les décisions Nanaimo Harbour Link Corp. c Abakhan & Associates Inc., 2007 BCSC 109, au paragraphe 53, et Sargeant III, au paragraphe 53, selon lesquelles il appartient à la Cour fédérale de statuer sur la preuve des réclamations maritimes et leur ordre de priorité, conformément aux principes du droit maritime canadien.

[71]  Je constate que RMI ne prétend pas que le droit substantiel qui serait appliqué par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse si elle statuait sur les réclamations et l’ordre de priorité des créanciers maritimes serait différent de celui qui serait appliqué par la Cour fédérale. DP World a formulé cet argument, mais elle n’a pas été en mesure de présenter de la jurisprudence à l’appui. À mon avis, il s’agit d’un facteur qui distingue de façon importante la présente affaire de l’affaire Holt. Comme il a été mentionné précédemment, dans l’arrêt Holt, la demanderesse bénéficiait d’un privilège maritime sur les approvisionnements nécessaires sous le régime du droit américain, privilège qui lui était accordé conformément aux principes canadiens en matière de conflits des lois appliqués par la Cour fédérale, mais elle aurait été privée de ce privilège si sa réclamation avait été instruite par le tribunal de faillite belge. Les parties n’ont relevé aucun motif justifiant une préoccupation similaire en l’espèce.

[72]  Je fais également remarquer que j’ai tenu compte du fait que RMI et DP World affirment toutes deux qu’elles sont en droit de revendiquer un privilège à l’égard du navire en cause. RMI s’appuie sur la clause suivante de la charte-partie, qui lui confère un privilège créé par contrat :

[traduction]

19 Privilège

Les propriétaires bénéficient d’un privilège sur l’ensemble des cargaisons et de l’équipement pour toute réclamation à l’encontre des affréteurs aux termes de la présente charte-partie, et les affréteurs bénéficient d’un privilège sur le navire à l’égard de toute somme payée à l’avance mais non gagnée. […]

[73]  Dans cette clause, le terme « propriétaires » désigne RMI, la propriétaire du navire « Tidal Runner », et le terme « affréteurs » désigne OHTC. L’argument de RMI est que le renvoi à « l’équipement » inclut le navire, c’est-à-dire le « Scotia Tide », car il fait partie de l’équipement d’OHTC auquel RMI a rendu des services sous le régime de la charte‑partie. OHTC conteste cette interprétation. Selon elle, le terme « équipement », tel qu’il est utilisé dans cette clause, désigne un équipement qui, à l’instar des cargaisons, a été transporté ou transféré par le « Tidal Runner ».

[74]  DP World soutient qu’elle est en droit de revendiquer un privilège possessoire à l’appui de sa réclamation qui, selon la description donnée dans la déclaration qu’elle a déposée devant la Cour fédérale, concerne la fourniture d’un poste d’attente, de services de lignes, de sécurité et d’acconage, et d’autres approvisionnements nécessaires au navire. Elle s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Verreault Navigation Inc. c 662901 N.B. Ltd., 2016 CF 1281.

[75]  La question de savoir si l’une ou l’autre de ces demanderesses a droit au privilège qu’elle revendique devrait être tranchée par la cour qui statuera en fin de compte sur les réclamations concurrentes à l’égard du navire, sur le fondement de la preuve et des arguments présentés par les parties à ce stade-là de l’instance pertinente. Il n’est pas nécessaire pour la Cour de tirer des conclusions sur ces questions à ce point-ci, car elles n’ont pas d’incidence importante sur l’analyse fondée sur l’article 50.

[76]  En tirant cette conclusion, je suis conscient que, dans l’arrêt Holt, la possibilité pour la demanderesse de bénéficier d’un privilège maritime, conférant à celle-ci le statut de créancier garanti, constituait un facteur important. La Cour suprême du Canada a évoqué les considérations de politique générale découlant du fait que, dans le contexte d’une faillite au Canada, la LFI soustrait à la suspension légale les procédures engagées par les créanciers garantis en vue de réaliser leur garantie (voir l’arrêt Holt, au paragraphe 35). À cet égard, la présente affaire se distingue à la fois de l’arrêt Holt et de la récente décision dans l’affaire BBC Chartering Carriers GMBH & Co. KG c OpenHydro Technology Canada Limited, 2018 CF 1098 (BBC Chartering), où la Cour fédérale a accordé un jugement par défaut dans une action réelle contre le centre de contrôle de la turbine, en faveur de l’exploitant du navire ayant transporté le centre de contrôle de l’Irlande à Saint John, au Nouveau-Brunswick, et revendiqué un privilège d’origine contractuelle à l’égard du centre de contrôle aux termes de la charte‑partie applicable. Dans la décision BBC Chartering, la juge McDonald a estimé qu’OHTC avait déjà déposé un avis d’intention, ce qui avait entraîné une suspension légale au titre du paragraphe 69(1) de la LFI. Cependant, la juge McDonald a examiné les arrêts Holt et Antwerp et s’est appuyée sur le fait que la demanderesse revendiquait le statut de créancier garanti, en raison du privilège d’origine contractuelle, et sur l’alinéa 69(2)a) de la LFI, qui soustrait les créanciers garantis à la suspension légale.

[77]  En l’espèce, la protection offerte à OHTC découle de la LACC plutôt que de la LFI, et la LACC ne prévoit aucune exemption comparable pour les créanciers garantis. En outre et peut-être de manière plus importante, comme il est expliqué ci-dessus, les parties n’ont fourni à la Cour aucun motif permettant de conclure que le statut de créancier garanti ou prioritaire que pourraient revendiquer RMI, DP World ou tout autre créancier maritime serait différent si l’affaire était instruite par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse plutôt que par la Cour fédérale.

[78]  RMI fait également valoir que le navire perdra de la valeur si aucun jugement par défaut n’est rendu en sa faveur et si aucune ordonnance n’est rendue en vue d’engager le processus de vente du navire à ce point-ci. Elle fait référence aux coûts permanents qui seraient engagés pour entretenir le navire en attendant qu’il soit utilisé pour récupérer la turbine, ce qui, selon OHTC, ne pourra avoir lieu avant mai 2019 ou, selon RMI, probablement même plus tard. Sur ce point, je constate que, bien que la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve à ce sujet, l’avocat de DP World a reconnu à l’audience que, par suite de l’ordonnance initiale et du financement DE, les charges de DP World s’élevant à environ 20 000 $ par mois pour l’amarrage du navire sont maintenant payées par OHTC. Toutefois, selon RMI, même si c’est le cas, ces coûts (qui seront peut-être plus élevés, le budget soumis par OHTC à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse prévoyant des coûts prévus d’environ 28 000 $ par mois pour « l’amarrage/la sécurité », ce qui inclut peut-être les charges de DP World et les droits de port) continuent à être portés au compte du navire en vertu de l’ordonnance constitutive de charge. L’avocat d’OHTC s’appuie sur ce budget et sur le calendrier des coûts individuels qui y sont détaillés pour affirmer que la plupart des coûts pour aménager le navire pour l’hiver ont déjà été engagés.

[79]  Je suis conscient qu’il est difficile de s’en remettre au budget d’OHTC en ce qui concerne la véracité de son contenu, à la fois en raison de la valeur probante limitée associée aux affidavits d’OHTC, tel qu’il est mentionné ci-dessus, et parce que le budget représente une projection plutôt que la confirmation d’un paiement effectué. Toutefois, compte tenu du fait que l’avocat de DP World a reconnu que la société recevait les paiements d’amarrage prévus dans le budget, la Cour n’a aucune raison de conclure que le navire n’est pas entretenu ou qu’il continue d’accumuler des dettes. Par ailleurs, j’admets l’argument de RMI selon lequel, si les coûts permanents du navire sont payés grâce au financement DE, il s’agit d’une créance croissante que le prêteur DE invoquera contre les éléments d’actif d’OHTC, y compris éventuellement le navire, en vertu de l’ordonnance constitutive de charge. À cet égard, il est juste de dire que le navire est susceptible de perdre une certaine valeur avec le temps. Ce facteur justifie l’opposition des créanciers maritimes à la requête en suspension présentée par OHTC.

[80]  RMI soutient également que le navire devrait être vendu rapidement et, quoi qu’il arrive, avant d’être utilisé par OHTC pour récupérer la turbine, car sa valeur est plus élevée s’il est encore nécessaire pour effectuer cette opération. OHTC s’appuie sur l’affidavit de Mme Gregg, qui déclare que, depuis le début des procédures devant la Cour fédérale, RMI et son avocat ont reçu des demandes de renseignements de deux acheteurs potentiels, qui ont tous les deux affirmé qu’ils souhaitaient acheter le navire en vue de participer à la récupération de la turbine. Selon la déposition de Mme Gregg, ces parties ont déclaré, et elle croit, que le navire leur serait beaucoup moins utile après la récupération de la turbine, car il faudrait entreprendre des travaux de conversion importants et coûteux pour qu’il soit utile à d’autres fins.

[81]  Les seuls éléments de preuve fournis par OHTC concernant les perspectives de vente du navire sont contenus dans l’affidavit de M. McAteer, daté du 28 novembre 2018. M. McAteer déclare ce qui suit :

[traduction]

  1. un évaluateur a été engagé pour effectuer une évaluation indépendante du navire, celle-ci devant être achevée au cours de la semaine se terminant le 7 décembre 2018;

  2. avec l’aide du contrôleur, OHTC a communiqué avec douze sociétés de courtage maritime pour discuter de la vente du navire; sept d’entre elles ont manifesté leur intérêt à mettre le navire en vente;

  3. OHTC a l’intention de demander à trois des sociétés de courtage de lui présenter une proposition d’inscription à des fins d’examen; le navire sera mis en vente une fois qu’OHTC aura reçu les résultats de l’évaluation.

[82]  Encore une fois, il faut accorder peu de poids au témoignage de M. McAteer, à la fois en raison de la valeur probante limitée des affidavits présentés par OHTC et du fait que cet élément de preuve contient peu de renseignements pertinents quant aux perspectives de vente du navire, à sa valeur probable ou à tout effet du moment de la vente sur celle-ci. On peut accorder un peu plus de poids à la preuve présentée par Mme Gregg. Cependant, cette preuve ne représente que les intentions et les points de vue exprimés en termes généraux par deux acheteurs éventuels. Elle ne permet donc guère à la Cour de prendre une décision éclairée quant aux perspectives, au processus ou au moment de la vente du navire. Sous réserve de ces limites, cette preuve est un facteur qui justifie l’opposition de RMI à la suspension.

[83]  J’ai également examiné les arguments respectifs des parties concernant la décision des créanciers maritimes de choisir la Cour fédérale pour le règlement des réclamations de nature réelle. Ce choix n’équivaut pas à une recherche du tribunal le plus favorable de la part de ces créanciers. À l’instar de la demanderesse dans le litige relatif au navire « Brussel », RMI a eu recours à la compétence en matière réelle de la Cour fédérale pour faire saisir le navire là où il se trouvait, lorsqu’il est devenu évident que ses factures n’étaient pas payées. Je note également que RMI avait invoqué la compétence de la Cour fédérale avant qu’OHTC ne dépose son avis d’appel sous le régime de la LFI ou une demande de protection au titre de la LACC.

[84]  DP World fait valoir que la chronologie des étapes dans le présent litige est comparable à celle du litige relatif au navire « Brussel » et, partant, que cela milite en faveur du rejet de la demande de suspension. Je conviens qu’il y a des similitudes. Cependant, il existe également une différence importante, comme en témoigne la séquence des événements décrite dans les arrêts Holt et Antwerp. Au moment où les syndics de faillite ont demandé à la Cour fédérale de suspendre ses procédures dans l’affaire relative au navire « Brussel », la Cour fédérale avait déjà rendu un jugement par défaut en faveur de la demanderesse et ordonné l’évaluation et la vente du navire. Même si je constate, à la lecture des décisions, que la vente n’avait pas été approuvée par la Cour fédérale ni conclue à ce moment-là, lorsque la requête en suspension des procédures a été présentée au juge MacKay, l’instance devant la Cour fédérale était plus avancée qu’elle ne l’est en l’espèce.

[85]  Enfin, il est important de mettre l’accent sur la durée de la suspension demandée par OHTC, ainsi que sur les solutions de rechange que la Cour pourrait envisager dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. OHTC demande une suspension qui resterait en vigueur tant que la suspension accordée dans l’ordonnance initiale est renouvelée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Bien que cette suspension ne soit en vigueur que jusqu’au 6 mars 2019, OHTC a l’intention de retourner devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse avant cette date, de présenter des éléments de preuve relatifs à son plan d’arrangement proposé ou à l’état de celui-ci, et de demander une prorogation de cette suspension. OHTC demande à la Cour fédérale d’imposer une suspension qui ne serait actuellement en vigueur que jusqu’au 6 mars 2019, mais qui serait automatiquement prolongée advenant la prorogation de la suspension ordonnée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse sans qu’elle ait à retourner devant la Cour fédérale pour le demander. OHTC fait observer qu’il demeure bien entendu loisible à RMI de présenter à tout moment une requête devant la Cour fédérale en vue de faire lever la suspension en cas de changement important des circonstances. OHTC reconnaît également que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension aux conditions qu’elle estime appropriées, ce qui pourrait inclure une suspension d’une durée plus limitée.

E.  Conclusion au sujet de la requête en suspension des procédures

[86]  Comme il est souligné dans l’arrêt Holt, au paragraphe 89, la partie qui demande une suspension au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales après qu’un demandeur a invoqué à juste titre la compétence de la Cour fédérale est tenue d’établir clairement qu’un autre tribunal est plus approprié. À ce stade-ci de l’instance devant la Cour fédérale et la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, j’estime qu’OHTC s’est acquittée du fardeau qui lui incombe pour obtenir la suspension de l’action intentée devant la Cour fédérale par RMI, mais seulement pour une durée limitée. Comme je l’ai déjà expliqué, j’estime que la courtoisie et la coopération avec la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse constituent un facteur important, auquel s’ajoutent les considérations de politique générale liées à l’objet de la LACC. La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a prononcé une suspension afin de donner à OHTC le temps d’élaborer une proposition de plan d’arrangement prévoyant la possibilité que le navire soit utilisé pour retirer la turbine, et la Cour fédérale devrait faciliter cette démarche.

[87]  Toutefois, comme le fait valoir RMI, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse n’a pas encore examiné ni approuvé un plan détaillé pour l’utilisation du navire afin de récupérer la turbine; elle n’a pas non plus examiné ni approuvé les coûts ou la logistique associés à cette opération. La question de savoir si la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse prorogera la suspension jusqu’au stade où le navire sera utilisé pour récupérer la turbine dépendra vraisemblablement de l’évaluation par cette cour du bien-fondé de ce plan une fois qu’il aura été présenté. Comme il ressort clairement de l’ensemble de la jurisprudence examinée ci-dessus, la Cour fédérale est tenue de décider elle-même de suspendre ou non ses procédures et, à mon avis, il serait inapproprié d’accorder une suspension qui s’étendrait automatiquement à un stade que la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse n’a pas encore analysé et qui ne peut pas encore être analysé par la Cour fédérale.

[88]  Par conséquent, je décide d’accorder une suspension de 90 jours à compter de la date de mon ordonnance (ou jusqu’à ce que la suspension accordée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse soit levée, si cela devait arriver plus tôt). Il s’agit de couvrir la période visée par la suspension accordée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (jusqu’au 6 mars 2019) et une période supplémentaire pour permettre aux parties de retourner devant la Cour fédérale après avoir pris connaissance de l’issue de la requête d’OHTC visant la prorogation de cette suspension. Comme l’avocat d’OHTC l’a indiqué lors de l’audition des présentes requêtes, si la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse décide, au plus tard le 6 mars 2019, de proroger la suspension, il pourrait s’écouler un certain temps avant qu’elle ne rende les motifs de sa décision, et les parties pourraient ensuite avoir besoin d’un peu de temps pour préparer leurs arguments respectifs en vue de présenter une autre requête devant la Cour fédérale et pour obtenir une date d’audience. Toutefois, étant donné que la suspension octroyée par la Cour fédérale expirera avant la fin d’avril 2019 et que l’opération de récupération de la turbine n’est pas censée avoir lieu avant mai 2019, OHTC devra retourner devant la Cour fédérale, une fois que sera connue l’issue de l’instance devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, afin de procéder à cette opération. RMI peut également demander la levée de la suspension plus tôt en cas de changement important des circonstances.

[89]  Parmi les diverses considérations évoquées ci-dessus relativement aux facteurs dont il faut tenir compte au moment de décider d’accorder ou non la suspension demandée, un seul facteur pourrait causer un préjudice à RMI, à DP World et aux autres créanciers maritimes si une suspension de durée limitée était accordée avant l’utilisation prévue du navire pour récupérer la turbine. Des frais d’amarrage et d’entretien permanents seront engagés et seront probablement assujettis à l’ordonnance constitutive de charge au-delà pendant la suspension de 90 jours. Cependant, rien ne me permet de conclure que l’ampleur de ces coûts l’emporte sur la courtoisie et la politique générale visant à favoriser l’atteinte des objectifs de la LACC.

[90]  En conséquence, comme lorsque le juge Pearlman a rendu sa décision dans l’affaire Sargeant III, il n’est pas nécessaire à ce stade-ci de régler la question de savoir qui, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ou de la Cour fédérale, doit statuer sur les réclamations des créanciers maritimes. À ce stade-ci, l’avocat d’OHTC s’est opposé à la disjonction du processus de réclamation comme ce fut le cas dans les instances qui ont suivi les décisions Sargeant III et Hanjin. Cependant, je fais remarquer que l’argument soulevé dans la présente requête selon lequel, dans l’arrêt Antwerp, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a déclaré que, étant donné que le navire était « visé » par les procédures de la Cour fédérale, le tribunal de faillite canadien ne pouvait retourner en Belgique ni le navire lui-même ni le produit de sa vente. Au paragraphe 37 de l’arrêt Antwerp, ce principe est énoncé différemment, à savoir que le tribunal de faillite canadien n’était pas habilité à s’occuper du navire déjà visé par l’ordonnance valide de la Cour fédérale. Il est donc peut-être significatif que, dans le litige relatif au navire « Brussel », non seulement le navire avait été saisi, mais il faisait également l’objet d’une ordonnance de la Cour fédérale en vue de son évaluation et de sa vente au moment où l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec a été rendue. Ce point devra être abordé à un stade ultérieur de la présente instance, à la lumière des observations qui auront été présentées à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ou à la Cour fédérale.

F.  La mainlevée de la saisie du navire

[91]  En ce qui a trait à la mainlevée de la saisie du navire, j’estime que la décision d’y procéder découle de la décision de suspendre l’action intentée par RMI, parce que la suspension est accordée pour aider la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse et que le paragraphe 4 de l’ordonnance initiale prévoit qu’OHTC conservera la possession et le contrôle de ses éléments d’actif. Je fais également remarquer qu’il n’existe aucun risque évident en l’espèce que le navire soit conduit à l’extérieur du territoire canadien après la mainlevée de sa saisie étant donné qu’il s’agit d’un navire canadien appartenant à une société de la Nouvelle-Écosse, d’autant plus que le propriétaire a l’intention de l’utiliser pour récupérer la turbine dans les eaux canadiennes.

[92]  Toutefois, DP World a soulevé des préoccupations quant à l’incidence, sur les personnes ayant déposé un caveat, de la décision de la Cour de donner mainlevée de la saisie du navire. DP World fait remarquer que l’idée est de donner un avis aux personnes ayant déposé un caveat avant la mainlevée de la saisie d’un navire afin que ces personnes aient la possibilité de prendre d’autres mesures si elles le souhaitent. Lors de l’audition des présentes requêtes, DP World a fait valoir que, si la Cour décidait de donner mainlevée de la saisie du navire, il conviendrait de prévoir que cette mainlevée n’entrerait en vigueur qu’après une certaine période, peut-être 10 jours, pour donner aux personnes ayant déposé un caveat la possibilité d’envisager de prendre d’autres mesures.

[93]  L’avocat d’OHTC a convenu qu’il serait convenable d’accorder un court délai à cette fin, mais il a soutenu que la possibilité de prendre d’autres mesures ne devrait être offerte qu’aux personnes qui ont déposé un caveat et qui ont déjà entamé une action réelle distincte à l’appui de leurs réclamations. Il a fait valoir que l’application plus générale de cette possibilité serait contraire à l’intention de l’ordonnance initiale et incompatible avec l’attention qui, selon l’arrêt Holt, devrait être accordée à l’état d’avancement de l’instance devant la Cour fédérale.

[94]  Étant donné qu’OHTC a reconnu le bien-fondé potentiel de l’argument de DP World, j’inclurai cet élément dans mon ordonnance. Cependant, j’estime qu’il n’existe pas de fondement rationnel à ce stade-ci pour établir une distinction entre les différentes catégories de personnes ayant déposé un caveat, comme le préconise OHTC. L’exclusion figurant au paragraphe 11A de l’ordonnance initiale s’applique expressément aux instances devant la Cour fédérale, y compris aux personnes ayant déposé un caveat. À mon avis, le fait de traiter de la même manière toutes les personnes ayant déposé un caveat dans l’action intentée par RMI n’est pas incompatible avec l’esprit de l’ordonnance initiale. Si l’une des personnes ayant déposé un caveat décide de prendre d’autres mesures et qu’OHTC s’oppose à ces mesures, la pertinence, le cas échéant, du fait que certaines personnes ayant déposé un caveat seraient alors moins avancées sur le plan procédural pourrait être examinée à ce moment-là.

[95]  Comme j’ai décidé d’accueillir la requête en suspension des procédures présentée par OHTC et de procéder à la mainlevée de la saisie du navire, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres réparations demandées par OHTC. Cette conclusion est également déterminante en ce qui concerne la requête de RMI en vue d’obtenir un jugement par défaut et une ordonnance de vente du navire, qui doit être rejetée.

V.  Les dépens

[96]  RMI n’a pas eu gain de cause dans sa requête. OHTC a eu gain de cause dans sa requête, sauf que j’ai accordé une suspension d’une durée plus limitée que ce qu’elle aurait préféré. OHTC devrait donc se voir adjuger les dépens, payables par RMI et DP World. Lors de l’audition des présentes requêtes, les avocats ont convenu que les dépens devraient être fixés au montant forfaitaire de 3 500 $, montant qui, dans l’éventualité où OHTC aurait gain de cause, serait payé à raison de 1 750 $ par RMI et 1 750 $ par DP World. Mon ordonnance en tiendra compte.


ORDONNANCE dans le dossier T-1460-18

LA COUR ORDONNE :

  1. L’action de la demanderesse est suspendue jusqu’à la première des dates suivantes :

    1. 90 jours à compter de la date de la présente ordonnance;

    2. la date à laquelle la suspension accordée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l’instance intitulée « In the Matter of the Proposal of OpenHydro Technology Canada Ltd. » est levée.

  2. La demanderesse est autorisée à demander que la suspension de son action soit levée plus tôt en cas de changement important des circonstances.

  3. La saisie du navire est levée, mais, compte tenu des caveat déposés dans la présente action pour empêcher la mainlevée de la saisie du navire, celle-ci entrera en vigueur le dixième jour suivant la date de la présente ordonnance.

  4. Les dépens sont adjugés à la défenderesse OpenHydro Technology Canada Ltd. sous la forme d’un montant global de 3 500 $, dont 1 750 $ seront payés par la demanderesse et 1 750 $ par DP World Saint John Inc., qui a déposé un caveat.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de mars 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1460-18

INTITULÉ :

RMI MARINE LIMITED C LE NAVIRE « SCOTIA TIDE » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « SCOTIA TIDE » ET OPENHYDRO TECHNOLOGY CANADA LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2019

OrDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Eric Machum

POUR LA DEMANDERESSE

W. Harry Thurlow

Sian Laing

POUR LES DÉFENDEURS

Jakub Vodsedalek

POUR dp world saint john inc.,

QUI A DÉPOSÉ UN CAVEAT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metcalf & Company

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LA DEMANDERESSE

Cox & Palmer

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LES DÉFENDEURS

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR dp world saint john inc.,

QUI A DÉPOSÉ UN CAVEAT

 

 

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