Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190325


Dossier : T‑362‑18

Référence : 2019 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

 GARY HAGERTY

demandeur

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Gary Hagerty (le « demandeur ») sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), rendue aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la « Loi »). Dans sa décision, datée du 31 janvier 2018, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte, au motif que la procédure de règlement des griefs sous le régime de la convention collective du demandeur lui était normalement ouverte.

II.  LES FAITS

[2]  Les faits suivants sont tirés du dossier certifié du tribunal (le « DCT ») et des affidavits déposés par les parties. Le demandeur a déposé un affidavit le 2 mars 2018. La défenderesse a déposé un affidavit sous la signature de Jamie Riddle, gestionnaire des opérations de la Société canadienne des postes à St. John’s, le 31 mai 2018. Les pièces jointes à ces affidavits font également partie de la preuve.

[3]  Les autres documents présentés par les parties le 26 novembre 2018, le 28 janvier 2019 et en février 2019 ont été abordés dans une directive émise le 22 mars 2019. Ces documents n’ont pas été pris en compte dans la disposition de la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]  Le demandeur occupe un poste de facteur à la Société canadienne des postes (la « défenderesse ») depuis 1987. Il n’a pas travaillé depuis le 2 juillet 2014.

[5]  Le demandeur s’est informé en 2015 au sujet du dépôt d’une plainte auprès de la Commission. Selon le rapport d’enquête (le « rapport ») établi au titre des articles 40 et 41 de la Loi, la Commission a avisé le demandeur et la défenderesse le 30 mars 2015 que la Commission pouvait décider de ne pas statuer sur une plainte aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi, si une autre procédure de règlement des griefs était ouverte.

[6]  Le demandeur a déposé sa plainte, datée du 6 mars 2015, le 21 février 2017.

[7]  Dans sa plainte, le demandeur a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination contre lui au travail pour un motif fondé sur la déficience en le défavorisant. Plus précisément, il a allégué que la défenderesse avait refusé de lui permettre de retourner au travail ou de répondre à ses besoins afin de faciliter un retour au travail parce qu’il a une déficience.

[8]  Le demandeur est membre du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le « STTP » ou le « syndicat »). Le syndicat a déposé quatre griefs en son nom.

[9]  Le premier grief déposé le 23 juillet 2014 alléguait que le demandeur avait fait l’objet de mesures disciplinaires sans cause juste, raisonnable ou suffisante, en contravention de l’article 10 de la convention collective. Selon le demandeur, cette mesure disciplinaire lui a été communiquée dans une lettre datée du 2 juillet 2014.

[10]  Deux autres griefs ont été déposés le 22 avril 2015. Dans le premier grief, daté du 22 avril 2015, le demandeur a allégué que la défenderesse avait manqué à son obligation de lui fournir un milieu de travail exempt de violation, de harcèlement et de discrimination, en contravention des articles 5 et 33 de la convention collective.

[11]  Le deuxième grief, daté du 22 avril 2015, alléguait que la défenderesse avait omis de fournir un programme de tâches modifiées, en contravention des articles 20, 24, 33, 54 et 56 de la convention collective.

[12]  Le syndicat a déposé un autre grief au nom du demandeur le 5 avril 2017.

[13]  Deux de ces griefs ont été renvoyés à l’arbitrage.

[14]  Dans une tentative de fixer des dates pour l’arbitrage de ses griefs, le demandeur a déposé trois plaintes auprès du Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI »). Selon la plainte du demandeur, le CCRI a rendu des décisions le 26 août 2015 et le 23 novembre 2015 afin d’encourager les parties à procéder à l’arbitrage le plus tôt possible.

[15]  Le 21 février 2017, le demandeur a demandé à la Commission de [traduction« réactiver » sa plainte.

[16]  Le 28 mars 2017, la Commission a avisé le demandeur que l’alinéa 41(1)a) de la Loi pouvait s’appliquer. L’alinéa 41(1)a) de la Loi prévoit ce qui suit :

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

[17]  Dans le rapport daté du 7 novembre 2017, un agent des droits de la personne a fait remarquer que les dates d’arbitrage des griefs n’avaient pas encore été fixées et qu’il n’était pas clair quand cela pourrait être fait. L’agent des droits de la personne a recommandé que la Commission statue sur la plainte du demandeur, parce que la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective n’était peut‑être plus [traduction« normalement ouverte » au demandeur.

[18]  Le demandeur et la défenderesse ont eu la possibilité de répondre à ce rapport.

[19]  Le demandeur a répondu par lettre datée du 30 novembre 2017. Dans sa lettre, il a souligné le fait qu’aucune stipulation de la convention collective ne permettait à la défenderesse d’exercer des représailles.

[20]  Dans ses observations en réponse au rapport, datées du 6 décembre 2017, la défenderesse a fait valoir que c’était l’arbitre du travail qui avait compétence pour instruire la plainte au titre de l’article 9.33 de la convention collective, et que la procédure de règlement des griefs demeurait [traduction« normalement ouverte » au demandeur et qu’elle devait être épuisée avant de recourir au processus prévu par la Loi.

[21]  Dans une lettre datée du 10 janvier 2018, le demandeur a fait des remarques sur la lettre de la défenderesse. Il a prétendu que la défenderesse était responsable du retard, parce qu’elle ne s’était pas munie de mécanismes de règlement des griefs autres que l’arbitrage, et il a souligné que l’article 9.50 de la convention collective prévoyait un mécanisme accéléré pour faciliter le règlement rapide des griefs.

[22]  Le 31 janvier 2018, la Commission a décidé, aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi, de ne pas statuer sur la plainte du demandeur. Après avoir examiné le formulaire de plainte, le rapport et les observations des parties, la Commission a conclu que, malgré le retard, la procédure de règlement des griefs demeurait normalement ouverte au demandeur. La décision de la Commission a été communiquée aux parties, accompagnée d’une lettre datée du 16 février 2018.

III.  LES OBSERVATIONS

A.  Les observations du demandeur

[23]  Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle la procédure de règlement des griefs lui demeurait normalement ouverte était déraisonnable. Il fait valoir que la Commission a fait fi du retard à fixer la date de l’arbitrage et n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle la procédure de règlement des griefs était déraisonnable.

[24]  Le demandeur allègue que la Commission a commis des erreurs en exhortant les parties à régler le grief par la voie de l’arbitrage le plus tôt possible et en l’informant qu’il pouvait demander à la Commission de réactiver sa plainte si les griefs n’avaient pas été l’objet d’un arbitrage dans un délai raisonnable, sans définir ce qui constituait un délai raisonnable. Il fait également valoir que la Commission a agi de façon illogique.

B.  Les observations de la défenderesse

[25]  La défenderesse aborde d’abord la norme de contrôle applicable en l’espèce. Elle soutient que la décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, en se fondant sur l’arrêt Bagnato c Société canadienne des postes (2016), 482 NR 325 (CAF).

[26]  La défenderesse soutient que la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte du demandeur aux termes de l’alinéa 41(1)a) est raisonnable. Elle fait valoir que la Loi prévoit que la Commission peut refuser de statuer sur une plainte lorsque d’autres procédures pour régler le litige sont normalement ouvertes.

[27]  La défenderesse soutient que la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun doute que la plainte était visée par l’un des motifs prévus à l’article 41.

[28]  La défenderesse fait également valoir que la Commission a raisonnablement décidé que le demandeur devrait suivre la procédure de règlement des griefs dans la présente affaire. Elle soutient que la question de savoir si un plaignant devrait épuiser une telle procédure est une question d’opinion ou de pouvoir discrétionnaire, en s’appuyant sur l’arrêt Latif c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1979), [1980] 1 CF 687 (CAF).

[29]  La défenderesse fait valoir que, en l’espèce, la Commission a pris acte du retard et a déclaré que [traduction« malgré le retard », la procédure de règlement des griefs demeurait ouverte, et elle a pressé les parties de procéder par voie d’arbitrage. La défenderesse soutient que, dans les circonstances, la Commission a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire.

[30]  Enfin, la défenderesse fait valoir qu’une décision rendue par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)a) de la Loi est subjective et que la portée du contrôle judiciaire d’une telle décision est étroite, s’appuyant sur la décision Société canadienne des postes c Commission canadienne des droits de la personne (1997), 130 FTR 241 (CF).

IV.  ANALYSE ET DISPOSITION

[31]  La première question à trancher est celle de la norme de contrôle applicable.

[32]  Je souscris aux observations de la défenderesse selon lesquelles la décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[33]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, rendu par la Cour suprême du Canada, le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité, ainsi qu’à son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[34]  La Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Bagnato, précité, au paragraphe 4, ainsi :

Il est bien établi en droit que les décisions du genre sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Le juge a donc été appelé à établir si la décision était justifiable, intelligible et transparente, et si elle faisait partie des issues raisonnables. Dans l’affirmative, le juge devait rejeter la requête, même s’il serait parvenu à une autre conclusion que celle de la Commission.

[35]  J’adopte les observations de la défenderesse au sujet du rôle que confère à la Commission l’alinéa 41(1)a) de la Loi, c’est-à-dire qu’elle décide d’abord, au moment de rendre une décision au titre de l’alinéa 41(1)a), si un autre processus était « normalement ouvert » et, dans l’affirmative, si le plaignant « devrait » épuiser ce processus avant de déposer une plainte.

[36]  Je suis d’accord pour dire qu’en l’espèce, la Commission a raisonnablement conclu que la procédure de règlement des griefs était [traduction« normalement ouverte » au demandeur.

[37]  Le demandeur se plaint que la décision de la Commission, dans la mesure où elle contribue à retarder l’arbitrage de ses griefs, compromet sa capacité de cotiser à sa pension.

[38]  La question de la pension du demandeur outrepasse la compétence de la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[39]  La Commission, aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi, a décidé de ne pas statuer sur la plainte du demandeur à l’heure actuelle, parce que [traduction« la procédure de règlement des griefs demeur[ait] normalement ouverte au plaignant [demandeur] à l’heure actuelle ».

[40]  La Commission avait le pouvoir de rendre cette décision. Rien n’indique que la Commission ait agi de façon inappropriée ou injuste en rendant sa décision ou qu’elle ait considéré des facteurs non pertinents ou sans importance.

[41]  Le demandeur n’a pas démontré que la décision ne satisfaisait pas au critère juridique de la « décision raisonnable » ou que la Commission avait autrement commis une erreur susceptible de contrôle. Il n’y a aucun fondement à une intervention de la Cour.

[42]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43]  La défenderesse demande que les dépens lui soient adjugés pour les frais qu’elle a engagés à l’égard de la présente demande si elle obtient gain de cause.

[44]  Selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles »), les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’adjuge à la défenderesse des dépens de 500 $, TVH comprise, ainsi que les débours.


JUDGMENT dans le dossier T‑362‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, des dépens de 500 $, TVH comprise, ainsi que les débours, sont adjugés à la défenderesse.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de mai 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑362‑18

 

INTITULÉ :

GARY HAGERTY c SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Gary Hagerty

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Michelle Willette

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox et Palmer

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.