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Date : 20190311


Dossiers : T‑1969‑17

T‑1970‑17

T‑1971‑17

Référence : 2019 CF 293

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2019

En présence de la juge responsable de la gestion de l’instance Mandy Aylen

ENTRE :

GENENTECH, INC. ET HOFFMANN‑LA ROCHE LIMITÉE

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE

[1]  Les demanderesses / défenderesses reconventionnelles Genentech, Inc. et Hoffmann‑La Roche Limitée [les demanderesses] demandent l’autorisation d’ajouter Teva Pharmaceuticals International GmbH, Teva Canada Ltée, Teva Canada Innovation et Celltrion, Inc. [les défenderesses additionnelles] comme défenderesses dans les actions intentées dans les dossiers T‑1969‑17, T‑1970‑17 et T‑1971‑17. Elles demandent également l’autorisation de modifier leur déclaration dans chacune des actions de façon à :

  1. invoquer des faits supplémentaires concernant la mise en marché de HERZUMA au Canada, conformément aux paragraphes 5, 6, 8, 13A à 13F, 44 à 48, 55, 56, 57A à 69, 71 à 76, 78 à 89, 92, 94 et 96 de chacun des actes de procédure modifiés proposés;

  2. mettre en cause les défenderesses additionnelles en tant que parties et demander réparation contre elles, conformément à l’intitulé et aux paragraphes 1 à 3 de chacun des actes de procédure modifiés proposés;

  3. retirer le brevet 596 de l’action sur consentement, conformément aux paragraphes 5, 6, 8, 10, 12, 21, 28, 30 à 32, 49 à 54, 78, 79, 81, 84, 88, 94 et 96 et aux alinéas 1a), 2a) et 76a) de chacun des actes de procédure modifiés proposés.

[2]  Comme Celltrion consent aux modifications proposées pour le retrait du brevet 596, les demanderesses peuvent, en vertu de l’article 200 des Règles des Cours fédérales, modifier de plein droit leurs actes de procédure conformément au point C du paragraphe précédent.

[3]  Celltrion s’oppose à ce que les demanderesses soient autorisées à ajouter les défenderesses additionnelles et à effectuer la majorité des autres modifications proposées à leurs actes de procédure.

Analyse

(a)  L’autorisation d’ajouter les défenderesses additionnelles et d’apporter les modifications connexes

[4]  Les requêtes en autorisation de modifier des actes de procédure sont régies par l’article 75 des Règles des Cours fédérales. Comme critère préliminaire, les demanderesses doivent convaincre la Cour que la modification proposée a une possibilité raisonnable d’être accueillie; ce serait effectivement un gaspillage de ressources que d’autoriser une modification vouée à l’échec [voir les arrêts Bauer Hockey Corp. c Sport Maska inc. (Reebok-CCM Hockey), 2014 CAF 158, au paragraphe 13, et Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, aux paragraphes 29 à 31]. Si la Cour juge que le critère préliminaire est respecté, elle examine ensuite d’autres facteurs, comme la question de savoir si le fait d’autoriser la modification entraînerait (i) une injustice envers l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer et (ii) servirait les intérêts de la justice [voir l’arrêt Canderel Ltée c Canada [1994] 1 CF 3 (CA), au paragraphe 10, et l’arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c Teva Canada Limited, 2014 CAF 65, au paragraphe 13]. En fin de compte, cela se résume à un examen de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite [voir les arrêts Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2003 CAF 488, au paragraphe 30, et Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242, au paragraphe 3]. Pour déterminer s’il y a lieu ou non d’autoriser des modifications, la Cour doit présumer que les faits allégués dans les modifications proposées sont véridiques [voir l’arrêt VISX Inc c Nidek Co, [1996] ACF no 1721, au paragraphe 16].

[5]  L’article 104 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut ordonner qu’une personne dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance soit constituée comme partie à l’instance.

[6]  Toutefois, les circonstances des présentes actions sont uniques, en ce sens que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement] crée une dérogation législative au critère énoncé à l’article 104. Par conséquent, la question dont la Cour est saisie consiste à savoir si le Règlement permet que les demandes présentées contre les défenderesses additionnelles, telles qu’elles sont énoncées dans les actes de procédure proposés, soient introduites dans les présentes actions.

[7]  Le droit canadien sur les brevets est issu de la loi. Par conséquent, toute cause d’action doit être fondée sur la Loi sur les brevets ou le Règlement [voir l’arrêt Apotex c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, [2008] 3 RCS 265, au paragraphe 12]. En l’espèce, Celltrion Healthcare Co, Ltd [CTHC] a déposé plusieurs présentations de drogues nouvelles [PDN] en vue d’obtenir l’approbation réglementaire de son médicament HERZUMA et a signifié des avis d’allégations correspondants à Roche Canada. Le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets prévoit que les activités visant à obtenir l’approbation réglementaire ne peuvent faire l’objet d’une action en contrefaçon de brevet. Toutefois, le Règlement crée un droit d’action, à savoir l’action visée au paragraphe 6(1) du Règlement, dont peuvent se prévaloir les premières personnes et les titulaires de brevets pendant qu’un médicament est en attente d’approbation réglementaire de Santé Canada.

[8]  Chacune des présentes actions qui nous occupent a été intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :

La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante-cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.

The first person or an owner of a patent who receives a notice of allegation referred to in paragraph 5(3)(a) may, within 45 days after the day on which the first person is served with the notice, bring an action against the second person in the Federal Court for a declaration that the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submissions or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) would infringe any patent or certificate of supplementary protection that is the subject of an allegation set out in that notice.

[9]  Le Règlement définit une « seconde personne » au paragraphe 2(1) comme « la personne visée aux paragraphes 5(1) ou (2) qui dépose la présentation ou le supplément qui y sont prévus ». Le paragraphe 5(1) est libellé comme suit :

Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne inclut dans sa présentation les déclarations ou allégations visées au paragraphe (2.1).

If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or make reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall include in the submission the required statements or allegations set out in subsection (2.1).

[10]  Le paragraphe 5(2) prévoit que :

Dans le cas où la seconde personne dépose un supplément à la présentation visée au paragraphe (1), en vue d’obtenir un avis de conformité à l’égard d’une modification de la formulation, d’une modification de la forme posologique ou d’une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, lequel supplément, directement ou indirectement, compare la drogue pour laquelle le supplément est déposé à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes de l’avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne inclut dans son supplément les déclarations ou allégations visées au paragraphe (2.1).

If a second person files a supplement to a submission referred to in subsection (1) seeking a notice of compliance for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient and the supplement directly or indirectly compares the drug for which the supplement is filed with, or makes reference to, another drug that has been marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall include in the supplement the required statements or allegations set out in subsection (2.1).

[11]  Les demanderesses soutiennent que le Règlement n’empêche pas la constitution comme parties des défenderesses additionnelles. Elles font valoir à cet égard ce qui suit :

  1. Le paragraphe 6(1) prévoit simplement qu’une seconde personne doit être désignée comme défenderesse dans une action. Une fois cette étape franchie, il n’est pas interdit d’ajouter d’autres parties comme défenderesses.

  2. À titre subsidiaire, on peut considérer que les défenderesses additionnelles sont des secondes personnes au sens de la loi étant donné que :

    1. La définition de seconde personne n’englobe pas seulement la personne désignée dans la présentation, mais également la personne qui dépose une présentation. Comme les défenderesses additionnelles ont participé au processus réglementaire, notamment au dépôt des présentations, chacune d’entre elles pourrait être considérée comme une seconde personne;
    2. La définition de « seconde personne » est suffisamment souple pour inclure les défenderesses additionnelles en application des concepts du mandat, du contrôle des sociétés, de l’incitation et du but commun de la common law.

[12]  Les demanderesses allèguent en outre qu’en cas de doute, les questions de savoir s’il est possible d’intenter une action en vertu du paragraphe 6(1) contre des personnes autres que des secondes personnes et si les défenderesses additionnelles sont des secondes personnes devraient être tranchées par le juge du procès.

[13]  CTHC affirme qu’il ressort de l’interprétation correcte du Règlement, fondée sur son objet et tenant compte des divers droits et obligations qui y sont prévus, qu’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être engagée que contre une seconde personne et qu’il n’existe aucun droit d’action contre toute autre personne. De plus, CTHC soutient que les défenderesses additionnelles ne peuvent pas, comme les demanderesses l’ont fait valoir, être considérées comme des secondes personnes au sens du Règlement.

[14]  La première question à trancher consiste à savoir si le Règlement permet qu’une action introduite en vertu du paragraphe 6(1) soit intentée contre une personne qui n’est pas une seconde personne.

[15]  Selon son sens clair, le paragraphe 6(1) crée un droit d’action contre une seconde personne seulement. Si le législateur avait voulu que ce droit d’action s’étende à d’autres personnes que des secondes personnes, il aurait certainement pu le mentionner dans cette disposition. Il n’est pas loisible à la Cour d’interpréter le sens clair de cette disposition comme constituant une exception au droit d’action, ou un élargissement du droit d’action, que le législateur aurait pu expressément prévoir s’il en avait eu l’intention [voir la décision American Cyanamid Co c Novopharm Ltd, [1972] CF 739, au paragraphe 62].

[16]  Le régime réglementaire créé par le Règlement est exhaustif. Tous les droits et obligations procéduraux et fondamentaux sont accordés à une première personne, à une seconde personne, aux propriétaires de brevets et au ministre de la Santé seulement. Le Règlement ne vise pas toutes les actions en contrefaçon de brevet qui pourraient découler de l’entrée d’un médicament générique sur le marché canadien. Il vise plutôt à prévenir la contrefaçon par les producteurs de médicaments génériques, ou l’incitation par ceux-ci à la contrefaçon, qui déposent des PDN contenant une comparaison avec un produit médicamenteux existant pour lequel il existe un brevet déposé.

[17]  Je remarque que le Règlement tient expressément compte du fait qu’il peut exister des droits d’action pour contrefaçon de brevet en vertu de la Loi sur les brevets et en dehors du régime de réglementation pendant la période de sursis de 24 mois prévue par la loi. L’article 6.02 du Règlement interdit expressément la réunion de telles actions avec une action intentée en vertu de l’article 6 :

Aucune action ne peut être réunie à une action donnée intentée en vertu du paragraphe 6(1) durant la période pendant laquelle le ministre ne peut délivrer d’avis de conformité en raison de l’alinéa 7(1)d), sauf :

a) une autre action intentée en vertu de ce paragraphe relativement à la présentation ou au supplément visé dans cette action donnée;

b) toute action relative à un certificat de protection supplémentaire ajouté au registre après le dépôt de la présentation ou du supplément visé dans cette action donnée, si le brevet mentionné dans ce certificat de protection supplémentaire est en cause dans cette action donnée

No action may be joined to a given action brought under subsection 6(1) during any period during which the Minister shall not issue a notice of compliance because of paragraph 7(1)(d) other than

(a) another action brought under that subsection in relation to the submission or supplement in that given action; and

(b) an action brought in relation to a certificate of supplementary protection that is added to the register after the filing of the submission or supplement in that given action, if the patent that is set out in that certificate of supplementary protection is at issue in that given action

[18]  Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié avec le Règlement modifié [La Gazette du Canada, Partie I : volume 151 no 28, 3321] explique de la façon suivante la raison d’être de l’interdiction de la réunion d’actions :

Les restrictions quant à la réunion d’actions sont nécessaires afin de limiter le nombre de questions en litige et faciliter la résolution de l’affaire dans le délai de 24 mois. Il est aussi nécessaire d’éviter de compliquer davantage l’évaluation des dommages-intérêts découlant du report de l’entrée sur le marché du produit.

The limit on joinder is necessary to restrict the number of issues in dispute to facilitate resolution within 24 months. It is also necessary to avoid further complicating the assessment of damages arising from delayed market entry.

[19]  Bien que la constitution comme parties des défenderesses additionnelles puisse, comme le font valoir les demanderesses, très bien donner lieu à des économies, les restrictions quant aux demandes qui peuvent être présentées dans le contexte du Règlement reposent sur une considération essentielle, à savoir la rapidité avec laquelle de telles actions doivent être tranchées. Le fait de permettre que des actions fondées sur l’article 6 soient intentées contre une liste éventuellement interminable de défendeurs qui n’ont pas présenté les PDN, mais qui ont joué ou joueront un certain rôle dans la fabrication, l’utilisation ou la vente du médicament générique conformément à la PDN, rendrait difficile, voire impossible, de mener à bien les actions dans le délai requis de 24 mois. Le législateur l’a expressément reconnu en rédigeant le Règlement et en limitant la portée des demandes (et des actions) qui pourraient être réunies.

[20]  Toutefois, ce faisant, le législateur a créé une procédure par laquelle les demanderesses pourraient élargir la portée des demandes faites relativement aux PDN et aux brevets sous-jacents en cause dans les présentes actions en permettant, conformément au paragraphe 7(1)(6) du Règlement, aux demanderesses de se retirer du régime établi par le Règlement (ce qui annulerait le sursis légal de 24 mois) et d’intenter une action globale contre CTHC et toute autre entité contre laquelle elles voudraient intenter une action en contrefaçon de brevet en vertu de la Loi sur les brevets.

[21]  Il convient également de noter que le Règlement impose un ensemble important d’obligations à la première personne, au propriétaire du brevet ou à la seconde personne. L’une de ces obligations est décrite en détail à l’article 6.09 du Règlement, qui est ainsi libellé :

Les premières personnes, secondes personnes et propriétaires de brevets sont tenus d’agir avec diligence en remplissant les obligations qui leur incombent au titre du présent règlement et, s’ils sont parties à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ou à une demande reconventionnelle faite en vertu du paragraphe 6(3), de collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de celle-ci.

Every first person, second person and owner of a patent shall act diligently in carrying out their obligations under these Regulations and shall reasonably cooperate in expediting any action brought under subsection 6(1) or a counterclaim brought under subsection 6(3) to which they are a party.

[22]  Vu l’article 6.09, il serait absurde de conclure que le paragraphe 6(1) autorise l’introduction d’actions contre des parties qui ne sont pas des secondes personnes, puisque l’article 6.09 n’impose aucune obligation de coopération à ces personnes pour accélérer une action intentée en vertu de l’article 6. Pour que l’obligation de coopération atteigne le résultat souhaité, toutes les parties à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) devraient être liées de la même façon.

[23]  Je suis d’accord avec CTHC pour dire que le droit d’action contre une seconde personne prévu au paragraphe 6(1) est une exception réglementaire à une exception légale aux règles régissant la contrefaçon de brevets, édictée dans le but restreint d’empêcher la contrefaçon par une personne qui tire parti des exceptions relatives aux travaux préalables et à l’emmagasinage [voir l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, aux paragraphes 12 à 16]. Il serait inapproprié d’interpréter la portée de l’exception réglementaire créée par le paragraphe 6(1) de façon plus large que nécessaire pour assurer le respect des valeurs sur lesquelles elle repose [voir l’arrêt Air Canada c Colombie‑Britannique, [1989] 1 RCS 1161, aux pages 1207 et 1208]. Le fait d’élargir le droit d’action prévu au paragraphe 6(1) de façon à ne pas le restreindre aux demandes présentées contre une seconde personne irait clairement au-delà de cet objectif, puisque la contrefaçon est adéquatement encadrée par le régime législatif. En plus du sursis légal pendant l’attente d’une décision sur l’action, toute PDN faisant l’objet d’une déclaration de contrefaçon ne sera, par l’effet du paragraphe 7(1) du Règlement, pas approuvée avant l’expiration du brevet qui a été déclaré contrefait. Comme une PDN non approuvée ne peut être commercialisée, il n’est pas nécessaire de viser des personnes qui ne sont pas des secondes personnes et qui pourraient avoir un rôle à jouer dans la mise en marché du médicament générique en question.

[24]  Par conséquent, je conclus qu’il est manifeste à la lecture du libellé clair du Règlement, examiné dans son ensemble et à la lumière de l’objet du Règlement, qu’une action engagée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être intentée contre des parties qui ne sont pas des secondes personnes.

[25]  La deuxième question à trancher consiste à savoir si une interprétation appropriée de l’expression « seconde personne » pourrait inclure les défenderesses additionnelles et, le cas échéant, si les actes de procédure proposés par les demanderesses sont suffisants pour que les défenderesses additionnelles soient visées par l’interprétation de l’expression « seconde personne » que proposent les demanderesses.

[26]  En ce qui concerne la deuxième question, les demanderesses s’appuient sur l’arrêt Apotex Inc c Eli Lilly and Co, 2004 CAF 358 [l’arrêt Eli Lilly], où la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si la définition de « première personne » dans le contexte d’une instance fondée sur l’article 8 pouvait inclure l’entité américaine de Lilly Canada, même si c’était Lilly Canada qui avait présenté la liste des brevets en cause conformément à l’article 4 du Règlement. Lilly US avait présenté une requête en jugement sommaire visant à faire rejeter la demande au motif que seule Lilly Canada pouvait être considérée comme une première personne. Dans l’action, Apotex avait affirmé que Lilly Canada était une filiale en propriété exclusive de Lilly US et que Lilly US exerçait un contrôle total sur les activités de Lilly Canada. Le juge des requêtes a conclu que l’affirmation selon laquelle Lilly US exerçait un contrôle sur Lilly Canada n’était pas pertinente pour trancher la question concernant la première personne, puisque la requête d’Apotex était fondée sur la législation plutôt que sur la common law.

[27]  La Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

[11] L’idée que les concepts de la common law, par exemple celui du mandat, ne sont jamais pertinents pour l’interprétation de la législation est une proposition très générale, que la juge n’a étayée d’aucune jurisprudence. En fait, il ressort à l’évidence de la jurisprudence invoquée par Apotex que, dans certains cas du moins, le point de savoir si une filiale en propriété exclusive a agi dans les faits comme mandataire de sa société mère peut se révéler pertinent aux fins d’établir la responsabilité de cette dernière sous le régime d’une loi fiscale; voir en particulier Aluminum Company of Canada Ltd. c. City of Toronto, [1944] R.C.S. 267, aux pages 271 et 272.

[12] À mon avis, les faits qu’invoque Apotex dans ses conclusions écrites pour illustrer le contrôle intégral qu’exerce Lilly U.S. sur Lilly Canada témoignent d’une relation plus étroite que celle qui existe inévitablement entre une société et son actionnaire unique. La communication préalable pourrait révéler que Lilly U.S. contrôlait Lilly Canada dans une mesure suffisante pour faire de Lilly U.S. la « première personne ».

[13] Si tel était le cas, les mesures nominalement prises par Lilly Canada, y compris la présentation au ministre d’une liste de brevets relatifs à la nizatidine, pourraient être considérées comme des mesures prises à la fois par Lilly Canada et Lilly U.S. Ainsi, Lilly U.S. pourrait être la « première personne » et donc être considérée à bon droit comme défenderesse dans l’action intentée par Apotex sous le régime de l’article 8, ce point comportant des questions de droit et de fait qui ne peuvent être tranchées sans un procès. Qui plus est, comme le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21 dispose que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité », le fait que l’article 8 parle de « la » première personne n’exclut pas nécessairement la possibilité que Lilly U.S. et Lilly Canada soient déclarées être toutes deux « la première personne » dans ce contexte.

[14] Il me paraît donc, soit dit en toute déférence, que la juge des requêtes a commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que le point de savoir si Lilly U.S. contrôlait Lilly Canada aussi étroitement qu’Apotex l’affirme dans ses conclusions écrites n’était pas pertinent aux fins d’établir si Lilly U.S. était la « première personne », au motif du fondement législatif de la cause d’action d’Apotex. Le point de savoir si, pour l’application de l’article 8, peut être considérée comme la « première personne » la société qui a ordonné la présentation au ministre de la liste de brevets soumise nominalement par sa filiale est une question de droit assez difficile pour exiger un procès.

[28]  Les demanderesses soutiennent que l’arrêt Eli Lilly démontre que des concepts de common law comme le mandat et le contrôle peuvent être pertinents pour interpréter l’expression « seconde personne » au sens du Règlement et que la Cour d’appel fédérale a laissé la porte ouverte à plus d’une interprétation de cette expression. Appliquant ces principes aux actes de procédure proposés, les demanderesses affirment qu’il est au moins possible de soutenir que l’expression « seconde personne » pourrait englober les défenderesses additionnelles, en application des concepts du mandat, du contrôle des sociétés, de l’incitation et du but commun de la common law qui entrent en jeu, selon les demanderesses, pour les modifications demandées.

[29]  À l’audition de la requête, j’ai porté à l’attention des parties d’autres précédents où le sens de « première personne » a été examiné dans le cadre d’une action fondée sur l’article 8, et je leur ai demandé leurs observations à ce sujet. Dans la décision Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CF 150, au paragraphe 27, la protonotaire Milczynski a écrit :

La question à savoir si une « première personne » en vertu du Règlement peut comprendre des personnes autres que la personne qui a soumis la PDN et la liste de brevets (ou ne peut les inclure sans modifier le Règlement) n’a pas encore été examinée en détail et une décision finale doit être rendue. Ainsi, il est clair que cette question ne doit pas être tranchée dans le contexte d’une requête en radiation, alors que des faits substantiels ont été autrement invoqués pour soutenir la revendication. C’est ce que Novopharm a fait par rapport à Sanofi Allemagne. Toutefois, même si l’interprétation plus large de « première personne » établie par Novopharm est acceptée, les allégations formulées contre Schering ne satisfont pas au critère de présentation de faits suffisamment substantiels qui, si la preuve en était faite, permettrait à la Cour de conclure que Sanofi Canada est un mandataire, agissant à titre de première personne nominale, dirigée et contrôlée par Schering. Schering et Sanofi Canada sont des parties indépendantes. Novopharm n’a pas plaidé que Schering est une « première personne » qui exerce un « contrôle total » sur Sanofi Canada. Quoi qu’il en soit, je conclus que peu importe le règlement de la question sur la première personne, il est évident et manifeste que la réclamation pour dommages-intérêts de Novopharm en vertu de l’article 8 est clairement irrecevable.

[30]  Dans la décision Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc, 2014 CF 69, le juge de Montigny a conclu que l’arrêt Eli Lilly laissait la porte ouverte à d’autres considérations éventuellement pertinentes pour trancher la question de savoir si chaque demandeur d’une ordonnance d’interdiction était également une première personne.

[31]  Dans la décision Actavis Pharma Co c Alcon Canada Inc, [2016] OJ No 5965, la juge Akbarali de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a examiné une requête en radiation fondée sur la prétention que le défendeur en cause ne pouvait pas être considéré comme une première personne au sens du Règlement. Elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[25] Le droit servant à déterminer qui peut être une première personne est donc incertain. Toutefois, lorsque des allégations de contrôle total d’une première personne ont été formulées contre une partie qui est également présentée comme étant une première personne, on a permis que soit donné suite aux demandes déposées. Ni l’une ni l’autre des parties en l’espèce n’a pu me référer à une affaire qui portait directement sur une première personne qui exercerait un contrôle sur un groupe de sociétés différent. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est l’affaire Sanofi-Aventis qui se rapproche le plus de la question qui nous occupe; toutefois, l’acte de procédure présenté contre Schering était défectueux.

[26] Essentiellement, la question est de savoir si le « contrôle » conférant la qualité de première personne aux fins de l’article 8 du Règlement ne peut que viser le « contrôle » au sens traditionnel de la structure organisationnelle, ou si le « contrôle » peut avoir un sens plus large dans ce contexte. Autrement dit, si une société contrôle une société qui est une première personne en raison d’autre chose que sa structure organisationnelle, est-il frivole de prétendre que la société contrôlante est également une première personne?

[27] Dans son acte de procédure, la demanderesse allègue que Kyowa a exercé un contrôle total sur Alcon Canada, en ce sens qu’elle contrôlait plusieurs questions liées à la commercialisation et à la vente de produits pharmaceutiques, à l’inscription de produits sur la liste des brevets et à la procédure qui est ou peut être entreprise en vertu du Règlement. Les allégations de la demanderesse ressemblent étrangement à celles qui ont été faites dans Apotex Inc. c Eli Lilly and Co. et Eli Lilly Canada Inc., 2004 CAF 358, au paragraphe 9. La requête en jugement sommaire de Lilly US a été rejetée et les allégations faites à son encontre ont été maintenues. Bien que les allégations de contrôle aient été faites contre une société affiliée, rien de ce dont j’ai été saisie ne me porte à croire qu’un contrôle complet ne peut être exercé que lorsque des sociétés sont affiliées.

[28] Il est certain que lorsque des sociétés sont affiliées, il est plus facile d’exercer un contrôle total, mais il ne s’agit pas en l’espèce d’un procès sur le fond de cette question. Je ne suis pas disposée à conclure, à ce stade précoce, compte tenu des arguments selon lesquels Kyowa a exercé un contrôle total sur Alcon Canada en ce qui concerne les questions pertinentes au titre du Règlement, qu’il est frivole de prétendre que Kyowa est également une première personne.

[32]  À l’audition de la requête, aucune des parties n’a été en mesure de me référer à une décision où la question de la portée du terme « première personne » au titre du Règlement a été tranchée de façon définitive. Cette question n’est donc toujours pas réglée. À la lumière de la jurisprudence susmentionnée, je conclus que la Cour pourrait adopter une approche semblable pour déterminer si une « seconde personne », aux fins d’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1), peut inclure quelqu’un d’autre que la personne qui a déposé la PDN. Par conséquent, je dois envisager la possibilité que l’argument conceptuel des demanderesses, selon lequel une seconde personne pourrait inclure une autre personne, pourrait être retenu.

[33]  Toutefois, peu importe la décision qui sera prise quant à savoir si une seconde personne peut inclure une autre personne, je conviens et conclus que la demande des demanderesses contre les défenderesses additionnelles est vouée à l’échec. Il est allégué ce qui suit dans chacun des actes de procédure :

  • CTHC a déposé les PDN et a signifié les avis d’allégations en cause dans les présentes actions [paragraphes 1, 5, 6, 8, 44, 76, 80, 81, 84 et 88].

  • CTHC, Celltrion, Inc. [CT], Teva Pharmaceuticals International GmbH [Teva International], Teva Canada Ltée [TCL] et Teva Canada Innovation [TCI] [traduction« ont conclu un partenariat exclusif pour commercialiser HERZUMA aux termes d’une entente de collaboration commerciale [ECC]. TCL et TCI sont affiliées à Teva International aux termes de l’ECC » [paragraphe 13F].

  • [traduction« [CTHC et CT, collectivement Celltrion] ont conclu une ECC avec Teva International, dont les sociétés affiliées canadiennes TCL et TCI ont été désignées en tant que partenaires commerciaux exclusifs de celle-ci au Canada. Celltrion a déclaré publiquement qu’en vertu de cette entente, Celltrion s’est associée à [Teva International, TCL et TCI, collectivement Teva] pour commercialiser HERZUMA au Canada. Dans sa déclaration concernant cette entente, Celltrion place HERZUMA au même niveau que HERCEPTIN, sans restrictions quant à ses utilisations » [paragraphe 45].

  • [traduction« Conformément à l’ECC, Celltrion et Teva sont chargées de faire la mise en marché de HERZUMA au Canada » [paragraphe 45A].

  • [traduction« Celltrion et Teva ont toutes deux participé à la préparation des PDN de HERZUMA, notamment à la décision de présenter les mêmes indications pour HERZUMA que pour HERCEPTIN. Celltrion et Teva participent toutes deux aux négociations avec Santé Canada au sujet de l’étiquetage de HERZUMA, notamment concernant le libellé de la monographie du produit » [paragraphe 45B].

  • [traduction« Celltrion et Teva étaient chargées de décider des indications afférentes à chacune des PDN de HERZUMA »[paragraphe 82].

  • [traduction« Après l’approbation réglementaire de HERZUMA, Celltrion et Teva travailleront conjointement pour fabriquer HERZUMA, l’importer au Canada et le vendre à des patients canadiens. Par exemple : a) CT fabriquera HERZUMA à des fins d’utilisation au Canada; b) TCHC distribuera HERZUMA à TCL; c) TCL importera HERZUMA au Canada; d) TCI commercialisera HERZUMA des fins d’utilisation au Canada. Ces rôles et responsabilités ont été établis pour faciliter l’objectif commun de promouvoir l’utilisation de HERZUMA au Canada » [paragraphe 45D].

  • [traduction« Celltrion et Teva agissent conjointement au Canada en ce qui concerne HERZUMA. Par conséquent, en fait et en droit, Celltrion et Teva sont mutuellement responsables de leurs actes respectifs, notamment de tout acte qui entraîne la contrefaçon des [revendications des divers brevets], directement ou indirectement, ou par voie d’incitation » [paragraphes 57A, 64A et 72A].

[34]  Bien que les demanderesses aient affirmé dans leurs observations écrites que la définition de « seconde personne » est suffisamment souple pour inclure les défenderesses additionnelles en application des concepts du mandat, du contrôle des sociétés, de l’incitation et du but commun de la common law, les demanderesses n’ont en fait pas fait valoir que : (i) CTHC agissait à titre de mandataire des défenderesses additionnelles; (ii) la structure organisationnelle liant CTHC et les défenderesses additionnelles fait en sorte que CTHC est contrôlée par les défenderesses additionnelles; (iii) CTHC a été incitée par les défenderesses additionnelles à déposer les PDN. Les demanderesses plaident plutôt uniquement que CTHC et les défenderesses additionnelles travaillent dans le but commun de mettre HERZUMA sur le marché. Toutefois, la jurisprudence actuelle qui laisse la porte ouverte à une interprétation définitive de la portée appropriée du terme « première personne » au titre du Règlement repose sur le fait que la première personne est contrôlée par la première personne additionnelle proposée, que ce soit par l’entremise d’une structure organisationnelle ou autrement. En l’espèce, il n’existe aucune allégation dans l’acte de procédure portant que CTHC était contrôlée par chacune des défenderesses additionnelles, conformément à l’ECC, aux structures organisationnelles ou autrement. Les demanderesses ne font pas valoir que, pour la poursuite de leur but commun, les défenderesses additionnelles exercent un contrôle sur CTHC.

[35]  Par conséquent, je conclus que les allégations proposées à l’encontre des défenderesses additionnelles ne satisfont pas à l’exigence de la présentation de faits substantiels suffisants qui, s’ils étaient prouvés, permettraient à la Cour de conclure que CTHC était une mandataire, agissant à titre de seconde personne symbolique, dirigée et contrôlée par les défenderesses additionnelles.

[36]  En ce qui concerne l’autre argument avancé par les demanderesses sur la deuxième question – à savoir qu’étant donné que les défenderesses additionnelles ont participé au processus réglementaire, notamment au dépôt des présentations, chacune d’entre elles pourrait être considérée comme une seconde personne – je remarque que les demanderesses n’ont pas fait valoir que les défenderesses additionnelles sont des secondes personnes parce qu’elles ont déposé les présentations. En fait, il n’y a aucune référence au fait que les défenderesses additionnelles ont « déposé » l’une ou l’autre des présentations – l’acte de procédure proposé est plutôt limité aux défenderesses additionnelles qui participent à la « préparation » des présentations. Pour cette raison, j’estime que cet argument supplémentaire est également voué à l’échec.

[37]  Par conséquent, la requête des demanderesses en autorisation de modifier leurs actes de procédure pour ajouter les défenderesses additionnelles est rejetée. Bien que les demanderesses aient laissé entendre à l’audience sur la requête qu’il serait peut-être possible d’apporter d’autres modifications pour remédier à toute insuffisance importante quant aux faits substantiels, ces autres modifications ne m’ont pas été présentées et, par conséquent, je ne tranche pas la question de savoir si l’autorisation d’apporter d’autres modifications devrait être accordée.

(b)  Les modifications concernant le contexte factuel

[38]  Les demanderesses cherchent à apporter un certain nombre de modifications factuelles supplémentaires à leurs actes de procédure concernant la mise en marché de HERZUMA (dont plusieurs se rapportent aux défenderesses additionnelles) et à alléguer contre CTHC la contrefaçon découlant d’un but commun ou d’un agissement concerté.

[39]  Les observations écrites de CTHC aident peu la Cour à comprendre sa position à l’égard de ces modifications, puisque ces dernières font l’objet de peu de remarques (sauf en ce qui concerne l’allégation de contrefaçon découlant d’un but commun). À l’audition de la requête, CTHC a confirmé qu’elle ne s’opposerait pas à une modification factuelle mineure la concernant ou à une nouvelle allégation contre elle, pourvu que cette modification soit adéquatement formulée. CTHC affirme que l’allégation d’action concertée ou dans la poursuite d’un but commun n’a pas été correctement formulée.

[40]  Notre Cour a déjà conclu que, bien que le concept de la contrefaçon découlant d’un but commun n’ait pas été appliqué dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet, son existence en droit canadien a été reconnue. Dans la décision Bauer Hockey Corp. c Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361, la juge Gauthier a déclaré ce qui suit :

[205] Le cas à l’étude est très différent de tous ceux auxquels se sont référés les avocats d’Easton, et il facile de distinguer les faits de l’espèce de ceux de ces affaires. La présente instance n’a rien à voir avec une partie qui inciterait ou amènerait une autre personne à utiliser une combinaison en procurant un élément de la combinaison. En l’espèce, à la faveur de la participation de M. Laferrière (ainsi que celle, plus tard, de M. Daniel Chartrand, Easton prenait réellement part à la fabrication des patins qui sont maintenant jugés constituer une contrefaçon.

[206] À cet égard, bien qu’il ne soit pas nécessaire de tirer une conclusion en l’espèce, il est utile de mentionner pour examen ultérieur qu’en Angleterre, les tribunaux ont appliqué le concept de la contrefaçon découlant d’une [traduction] « intention commune », concept qui existe aussi au Canada même s’il n’a pas été appliqué dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet. Dans l’arrêt Unilever plc v. Gillette (UK) Limited, [1989] R.P.C. 583 (C.A. du R.‑U.), à la page 609, lord Mustill, alors juge à la Cour d’appel d’Angleterre, a fait observer :

[traduction]

J’emploie les mots « intention commune » parce qu’ils sont facilement accessibles, mais il y a dans la jurisprudence d’autres expressions, comme « action concertée » ou « action commune convenue », qui conviennent tout aussi bien. Ces mots ne doivent pas être interprétés comme s’ils faisaient partie d’une loi. Ils transmettent tous la même idée. Cette idée n’exige pas, me semble‑t‑il, que l’on conclue que la partie secondaire a explicitement élaboré un plan avec le contrevenant principal. L’entente tacite des parties suffit. Il n’est pas non plus nécessaire, à mon avis, d’avoir une intention commune de contrefaire. Il est suffisant que les parties s’unissent pour réaliser des actions qui s’avèrent éventuellement constituer contrefaçon.

[41]  Dans la décision Hoffmann-La Roche et al c Sandoz Canada Inc (ordonnance datée du 15 novembre 2018), j’ai conclu que l’utilisation de l’expression [traduction« action concertée » tomberait sous le coup du concept de la contrefaçon découlant d’un but commun, puisqu’elles ne sont pas différentes sur le plan conceptuel. Comme il s’agissait d’une nouvelle demande, j’ai conclu qu’elle ne devrait pas être radiée dans le cadre d’une requête portant sur un acte de procédure.

[42]  En l’espèce, les demanderesses cherchent à faire valoir que CTHC agissait de façon concertée avec les défenderesses additionnelles dans le but commun de commercialiser HERZUMA, les défenderesses additionnelles et CTHC prenant diverses mesures pour la poursuite d’un but commun, comme on l’explique en détail dans l’acte de procédure et comme on l’a évoqué précédemment.

[43]  CTHC affirme que les faits substantiels allégués dans les actes de procédure modifiés proposés ne sont pas suffisants, car les actes de procédure proposés ne précisent pas adéquatement les mesures que CTHC et les défenderesses additionnelles prendront ou ont prises pour réaliser leur but commun. Je rejette cette affirmation. Je suis convaincue qu’en délimitant les rôles de CTHC et des défenderesses additionnelles dans la mise en marché de HERZUMA, les demanderesses ont fait valoir un niveau minimal de faits substantiels, lesquels sont suffisants pour appuyer la cause d’action contre CTHC et me permettre de conclure que l’allégation proposée n’est pas vouée à l’échec. Pour arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit que cette allégation repose en grande partie sur des actes qui ne se sont pas encore produits, ce qui n’est pas étonnant dans une action intentée en vertu du Règlement. Fixer un seuil trop élevé quant aux faits substantiels suffisants serait à bien des égards injuste dans les circonstances.

[44]  Je suis également convaincue que l’allégation d’action concertée devrait être maintenue contre CTHC, malgré le fait que les défenderesses additionnelles n’ont pas été constituées comme parties aux actions, puisque rien dans la jurisprudence sur laquelle se fondent les parties ne laisse entendre que tous les éventuels auteurs conjoints du délit doivent être mis en cause pour justifier un droit d’action contre l’un d’entre eux.

[45]  J’ai examiné la question de savoir si l’allégation relative à l’action concertée occasionnerait une injustice ou un préjudice pour CTHC qui ne pourrait pas être indemnisé par l’adjudication de dépens. Les observations écrites de CTHC sur la question du préjudice portaient presque entièrement sur l’incidence qu’auraient toutes les modifications demandées sur l’instruction, dont la durée est limitée. Toutefois, dans la mesure où l’ajout d’une allégation d’action concertée peut élargir la preuve nécessaire devant être présentée au procès, la Cour pourrait, dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs de gestion de l’instance, prolonger le procès. Par ailleurs, dans la mesure où CTHC est d’avis que l’allégation d’action concertée n’est pas assez détaillée, il demeure loisible à CTHC d’explorer davantage la question lors de l’interrogatoire préalable ou de demander des précisions aux demanderesses. Par conséquent, je suis convaincue que les modifications proposées ne causeront aucun préjudice non indemnisable à CTHC.

[46]  Je suis également convaincue que la modification proposée visant à inclure une allégation d’action concertée contre CTHC servira les intérêts de la justice.

[47]  Je conclus que la demanderesse devrait être autorisée à effectuer les autres modifications proposées aux paragraphes 5, 6, 8, 13A à 13F, 44 à 48, 55, 56, 57A à 69, 71 à 76, 78 à 89, 92, 94 et 96 des actes de procédure proposés (sous réserve de toute modification mineure pour tenir compte des défenderesses additionnelles qui ne sont pas constituées comme parties aux présentes actions), car ces modifications ne seraient pas susceptibles d’être radiées, ne causeraient pas une injustice non indemnisable par l’adjudication de dépens à CTHC et serviraient les intérêts de la justice puisqu’elles rationaliseraient les actes de procédure et incluraient des allégations factuelles pertinentes.

Dépens

[48]  Comme la requête a été accueillie en partie, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour adjuger des dépens.

LA COUR ORDONNE :

  1. Avec le consentement des parties, les demanderesses sont autorisées à modifier leurs déclarations dans chacun des dossiers T‑1969‑17, T‑1970‑17 et T‑1971‑17 pour retrancher le brevet 596 des actions, conformément aux alinéas 1a), 2a) et 76a) ainsi qu’aux paragraphes 5, 6, 7, 8, 10, 12, 21, 28, 30, 31, 32, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 78, 79, 81, 84, 88, 94 et 96 des déclarations modifiées proposées.

  2. Les demanderesses sont autorisées à modifier leurs déclarations dans chacun des dossiers T‑1969‑17, T‑1970‑17 et T‑1971‑17 afin de faire valoir, à l’encontre de CTHC, une allégation d’action concertée et des faits supplémentaires concernant la mise en marché de HERZUMA au Canada, conformément aux paragraphes 5, 6, 8, 13A et 13F, 44 à 48, 55, 56, 57A à 69, 71 à 76, 78 à 89, 92, 94 et 96 des actes de procédure modifiés proposés, sous réserve de toute modification mineure pour tenir compte des défenderesses additionnelles qui ne sont pas constituées comme parties aux présentes actions.

  3. Le reste de la requête est rejeté.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne la présente requête.

  5. Les parties doivent proposer dans un délai de 10 jours à la Cour un échéancier pour la remise d’une déclaration modifiée dans chaque action ainsi que des actes de procédure déposés en réponse modifiés.

« Mandy Aylen »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’avril 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.

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