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Date : 20190322


Dossier : IMM‑2509‑18

Référence : 2019 CF 345

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

TESFALDET KALAEB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Tesfaldet Kalaeb, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 9 mai 2018 par laquelle le conseiller aux audiences [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a conclu qu’il était inadmissible à un renvoi à la Section de la protection des réfugiés [la SPR] en vue d’un examen de sa demande d’asile, en application de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la Loi].

[2]  Le demandeur fait valoir qu’il a le droit de présenter une demande d’asile au Canada. Il soutient que la « protection subsidiaire » qui lui a été accordée en Italie est distincte du statut de réfugié au sens de la Convention et que, de ce fait, l’agent a commis une erreur en concluant que cette protection équivalait à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention.

I.  Le contexte

A.  La demande d’asile du demandeur

[3]  Le demandeur est citoyen de l’Érythrée. Il raconte qu’en 2007 il a abandonné le service militaire et s’est enfui au Soudan. En 2008, il s’est rendu en Italie en passant par la Libye et a présenté une demande de protection. En Italie, on lui a accordé une « protection subsidiaire », assortie d’un permis de séjour de trois ans, qu’il a renouvelé par la suite pour une autre période de trois ans. Ce permis a expiré en 2014.

[4]  Le demandeur raconte qu’à l’époque où il vivait en Érythrée il a rencontré une Américaine, qui est rentrée ultérieurement aux États‑Unis. Ils sont restés en contact et, plus tard, se sont fiancés. En janvier 2012, il est arrivé aux États‑Unis muni d’un [traduction« visa de fiancé » et, en mars 2015, ils se sont mariés. Il ajoute que leur union a été provisoirement rompue en 2015, période au cours de laquelle ils ont vécu séparément. Sa demande de résidence permanente aux États‑Unis a été rejetée à cause d’une preuve insuffisante de sa relation conjugale. Il s’est plus tard réconcilié avec son épouse et a présenté des observations supplémentaires à l’appui de sa demande de résidence permanente. Toutefois, la demande a été rejetée de nouveau en février 2016 et on lui a demandé de quitter les États‑Unis.

[5]  Le demandeur est arrivé au Canada en 2016 et on l’a autorisé à entrer au pays parce que sa sœur y vit. Il a demandé l’asile. L’ASFC a tout d’abord renvoyé sa demande à la SPR. En novembre 2016, l’ASFC a mis fin à sa demande d’asile après avoir conclu qu’il était inadmissible parce qu’on lui avait accordé en Italie la qualité de réfugié au sens de la Convention.

[6]  Le demandeur a contesté la décision de l’ASFC, un règlement a été conclu et sa demande d’asile a été réexaminée. Le 17 septembre 2017, l’ASFC l’a informé que le ministre avait une preuve qu’il avait en Italie la qualité de réfugié au sens de la Convention et lui a demandé de fournir des observations supplémentaires.

[7]  Dans ses observations, le demandeur a souligné qu’il ne bénéficiait que d’une « protection subsidiaire » en Italie et il a fait état des différences marquées qui existent entre ce type de protection et la protection des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951, 189 RTNU 150 et de son Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967, 606 RTNU 267 [collectivement, la Convention sur les réfugiés]. Il a également fourni une opinion juridique émanant de Chiara Favilli, avocate et professeure de droit italienne.

B.  La preuve d’expert

[8]  Dans son opinion, la professeure Favilli décrit le régime de protection subsidiaire qu’applique l’Italie comme une protection complémentaire au statut de réfugié au sens de la Convention que prévoit la Convention sur les réfugiés. Ce régime s’applique lorsqu’une personne ne répond pas aux exigences en matière de protection des réfugiés mais qu’elle risque d’être victime d’[traduction] « atteintes graves » en cas de retour.

[9]  L’opinion indique, notamment : [traduction« [c]ette protection subsidiaire vise n’importe quelle situation dans laquelle une personne est admissible à une protection afin d’éviter que l’on porte atteinte à un droit reconnu par des conventions internationales qui s’ajoute à ceux qui sont énoncés dans la Convention sur les réfugiés de Genève ». La professeure Favilli fait référence aux articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 213 RTNU 221, qui consacrent le droit à la vie et l’interdiction de la torture. Elle fait remarquer que la protection ressemble de près à celle qu’accorde l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, 1465 RTNU 85, mais qu’elle est différente de ce que prévoit la Convention sur les réfugiés, [traduction« laquelle envisage que l’existence d’une persécution individuelle détermine le droit d’asile ».

[10]  La professeure Favilli signale qu’il n’y a pas beaucoup de différences entre la protection subsidiaire et le statut de réfugié au point de vue du contenu. Les deux donnent accès à des emplois, à des études et à des services sociaux et ils autorisent la réunification des familles et la délivrance d’un document de voyage. Après cinq années de résidence ininterrompue (ce qui veut dire moins de six mois d’absence), un permis de résidence de l’Union européenne [UE] peut être délivré. Selon la professeure Favilli, les personnes à qui l’on accorde une protection subsidiaire reçoivent un permis de résidence qui est valide pendant cinq ans et qui est renouvelable. La demande de renouvellement est évaluée par la police à la suite d’une opinion de la Commission de protection internationale au sujet du besoin réel de protection. Elle ajoute qu’une opinion défavorable n’est émise que s’il est survenu un changement radical dans le pays d’origine et s’il n’existe aucun motif d’ordre humanitaire [traduction] « contre » l’expulsion de la personne. Elle soutient que l’intégration efficace des personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire est une question qui suscite quelques préoccupations.

[11]  La professeure Favilli laisse entendre qu’une demande officielle de la part du Canada en vue du retour du demandeur serait vraisemblablement rejetée car son permis de séjour est expiré.

C.  La lettre du 5 avril 2018 de l’ASFC

[12]  La décision préliminaire, datée du 5 avril 2018, inclut le passage suivant :

[traduction]

La preuve du ministre comprend une carte d’identité de l’Italie qui indique que Tesfaldet KALAEB ICU : 9617‑4978 a le statut de réfugié au sens de la Convention en Italie. La réponse du gouvernement italien, datée du 16 février 2018, […] confirme également que ce gouvernement autorisera votre réadmission en Italie. En conséquence, compte tenu de ces informations, vous n’êtes pas admissible à un renvoi à la Section de la protection des réfugiés […] en application de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR.

[13]  Le demandeur a été invité à présenter des observations supplémentaires avant le prononcé de la décision finale, ce qu’il a fait. Dans ses observations supplémentaires, datées de mai 2018, il a mis l’accent sur la différence qui existe entre le statut de réfugié au sens de la Convention et le régime de protection subsidiaire.

D.  La lettre du ministre de l’Intérieur de l’Italie

[14]  La lettre, datée du 16 février 2018, n’indique pas que le demandeur a le statut de réfugié au sens de la Convention en Italie. On peut y lire ce qui suit :

[traduction]

« Veuillez prendre note que les autorités italiennes ont reconnu que cet étranger a droit à la protection internationale, et qu’il peut donc retourner en Italie.

Nous demandons de communiquer suffisamment à l’avance à notre Direction centrale les détails concernant le vol par lequel le transfert aura lieu. Cette mesure a pour but de faire part au bureau de la police frontalière situé au point d’entrée ainsi qu’au quartier général de la police de Bari, qui a délivré à l’étranger en question le permis de résidence à des fins de protection subsidiaire, des détails suivants : Tesfaldet KALAEB, né le 1er janvier 1985 en Érythrée. Le permis a expiré le 11 novembre 2014 et n’a jamais été renouvelé.

[Non souligné dans l’original.]

II.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[15]  La décision de l’agent, datée du 9 mai 2018, énonce les dispositions législatives pertinentes — l’alinéa 101(1)d) et des extraits des paragraphes 104(1) et 104(2) —et elle indique que [traduction« [l]e ministre a passé en revue et pris en considération les observations et les informations communiquées. La décision n’a toutefois pas changé. Vous n’êtes pas admissible à un renvoi à la Section de la protection des réfugiés de la CISR, en application de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR ».

III.  La question en litige

[16]  La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable — c’est‑à‑dire si celui‑ci a conclu de manière raisonnable que le demandeur, ayant reçu une protection subsidiaire en Italie, n’est pas admissible à présenter une demande d’asile au Canada, en application de l’alinéa 101(1)d). Autrement dit, cet agent a‑t‑il conclu de manière raisonnable que le régime de protection subsidiaire équivaut à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention?

IV.  La norme de contrôle applicable

[17]  Le demandeur soutient que la question de savoir si le régime de protection subsidiaire équivaut à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention est une question d’interprétation du droit international et qu’elle devrait être susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (citant Hernandez Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 22 à 25, [2014] 2 RCF 224).

[18]  Le défendeur conteste l’argument du demandeur selon lequel les questions de droit international doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (citant Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274, au paragraphe 5, [2016] ACF no 1273 [Majebi]). Il soutient en outre que l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, car elle comporte l’interprétation de la loi constitutive du décideur.

[19]  La Cour signale que la jurisprudence relative à la norme de contrôle applicable a évolué. Dans l’arrêt Majebi, la Cour d’appel fédérale a déclaré, aux paragraphes 5 et 6 :

Comme la Cour fédérale l’a relevé à juste titre, la Cour a exprimé des opinions différentes sur la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur l’interprétation d’instruments internationaux. Toutefois, la jurisprudence antérieure à l’articulation de l’examen de la présomption du caractère raisonnable énoncée dans des arrêts comme Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, 2011 CSC 61 doit être abordée avec prudence. Dans le cas en l’espèce, nous sommes d’accord avec la Cour fédérale que rien dans le contexte législatif ne révèle l’intention du législateur de « ne pas protéger la compétence du tribunal » (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16, au paragraphe 46). L’interprétation de la Convention ne relève pas non plus d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, tel qu’il est expliqué dans l’arrêt Alberta Teachers’, au paragraphe 30. Cette conclusion est conforme à la décision plus récente rendue par la Cour dans l’arrêt B010 c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, aux paragraphes 58 à 72.

Il s’ensuit que l’interprétation de la Section d’appel de la Convention a été correctement examinée selon la norme de contrôle du caractère raisonnable.

[20]  Dans la décision Aghazadeh c Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2019 CF 99, [2019] ACF no 125 (QL) [Aghazadeh], le juge Gleeson a analysé la norme de contrôle applicable dans le cadre d’une affaire semblable. Il a pris acte de la jurisprudence, qui fait état d’une distinction entre un tribunal administratif interprétant sa loi constitutive et un décideur administratif unique, non habilité à trancher une question de droit (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tobar Toledo, 2013 CAF 226, aux paragraphes 42 et 43, [2015] 1 RCF 215). Il a toutefois conclu, au paragraphe 22, que l’orientation de la jurisprudence favorisait l’application de la norme de la décision raisonnable. Au vu des faits dont il était question dans Aghazadeh, le juge Gleeson a conclu, au paragraphe 22, que l’issue aurait été la même, que l’on ait appliqué la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte.

[21]  En me fondant sur la jurisprudence applicable, je conclus que la décision de l’agent quant au fait de savoir si le demandeur est inadmissible en application de l’alinéa 101(1)d) oblige à prendre en compte les faits, la loi constitutive (la Loi) et des conventions internationales, des aspects qui sont tous contrôlés selon la norme de la décision raisonnable.

[22]  La norme de la décision raisonnable oblige la Cour à s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La déférence s’impose à l’endroit du décideur.

V.  Les observations du demandeur

[23]  Le demandeur a tout d’abord fait valoir que la décision de l’agent était fondée sur une erreur de fait importante : qu’on lui avait accordé en Italie le statut de réfugié au sens de la Convention. Il signale qu’il ressort clairement de la preuve qu’il bénéficiait d’une protection subsidiaire en Italie. Si l’on se fonde sur le libellé plus général de la décision rendue en mai 2018, qui indique que les observations du demandeur ont été prises en considération et qui mentionne seulement qu’il n’est pas admissible, le demandeur n’a pas poursuivi l’argument fondé sur une erreur de fait importante.

[24]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il ne peut pas demander l’asile au Canada parce que la protection subsidiaire dont il bénéficiait en Italie n’équivaut pas au statut de réfugié au sens de la Convention.

[25]  Le demandeur signale que pour évaluer si d’autres formes de protection équivalent au statut de réfugié au sens de la Convention pour l’application de l’alinéa 101(1)d), le facteur déterminant consiste à savoir si une personne est protégée contre les mêmes risques (Wangden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230, aux paragraphes 65 et 72, [2009] 4 RCF 46, conf. par 2009 CAF 344 [Wangden]). Il soutient que dans les cas où la protection accordée vise et évalue les mêmes risques que celle que procure la qualité de réfugié au sens de la Convention, même si elle implique des avantages différents, elle est équivalente. Il fait valoir que la protection subsidiaire qui lui a été accordée par l’Italie ne le protège pas contre les mêmes risques que le statut de réfugié au sens de la Convention.

[26]  Le demandeur soutient que la protection subsidiaire n’est pas fondée sur la Convention sur les réfugiés, mais sur la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection de la Communauté européenne [2011] JO, L 337, à la page 9 [la Directive sur les conditions à remplir]. Il soutient que la Directive sur les conditions à remplir traite les deux formes de protection de manière différente.

[27]  Le demandeur fait valoir que la protection subsidiaire a une portée plus restreinte que celle du statut de réfugié au sens de la Convention, et ce de trois façons.

[28]  Premièrement, le demandeur soutient que, en raison de la définition des « atteintes graves » qui figure dans la Directive sur les conditions à remplir, les mesures de protection subsidiaire protègent principalement contre la torture et la mort. Il ajoute que cette directive ne peut pas offrir une protection contre les restrictions concernant les libertés fondamentales, comme la liberté de religion, ou les formes de discrimination assimilables à de la persécution. Contrairement à la protection des réfugiés, cette définition des atteintes graves n’évolue pas de pair avec les normes relatives aux droits de la personne.

[29]  Deuxièmement, le demandeur soutient que, contrairement au statut de réfugié au sens de la Convention, la norme de preuve qui s’applique au régime de protection subsidiaire est de nature purement objective (c’est‑à‑dire que la crainte subjective n’est pas un facteur). Il laisse entendre qu’à cause de cela il est plus difficile de faire la preuve d’actes cumulatifs de discrimination ou de harcèlement qui constituent de la persécution.

[30]  Troisièmement, le demandeur soutient que les dispositions d’exclusion qui s’appliquent au régime de protection subsidiaire sont d’une portée plus large que celles qui concernent les réfugiés au sens de la Convention. Par exemple, une personne est exclue du statut de réfugié au sens de la Convention s’il y a des motifs sérieux de considérer qu’elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil avant son admission, ou qu’elle est coupable d’agissements contraires à l’objet et aux principes des Nations Unies. La Directive sur les conditions à remplir, qui vise les personnes à qui l’on a accordé une protection subsidiaire, exclut des personnes pour des raisons semblables. Toutefois, elle exclut également des personnes pour d’autres raisons, dont le fait de constituer un danger pour la société ou pour la sécurité de l’État membre où ces personnes sont présentes.

[31]  Le demandeur soutient en outre que le régime de protection subsidiaire peut exposer une personne à une possibilité de refoulement, ce qui est le cas si cette personne a une crainte fondée d’être persécutée, mais a été exclue en vertu de la Directive sur les conditions à remplir (par exemple, si cette personne constitue un danger) ou n’est plus exposée à un risque réel d’« atteintes graves ». Il signale que la majorité des États membres de l’UE reconnaissent de façon générale que les demandeurs d’asile de l’Érythrée sont des réfugiés, mais pas l’Italie.

[32]  Le demandeur signale aussi que l’objet de la Loi, relativement aux réfugiés, est de protéger les personnes qui craignent avec raison d’être persécutées. Il soutient que le régime de protection subsidiaire n’atteint pas cet objectif.

[33]  Le demandeur fait valoir que les faits qui le concernent sont analogues à ceux dont il est question dans la décision Aghazadeh, où le demandeur s’était vu accorder une protection subsidiaire en Hongrie, un autre État membre de l’UE. Il signale que, dans cette affaire, le juge Gleeson a suivi la même démarche que dans l’affaire Wangden pour conclure que la protection subsidiaire n’équivaut pas à la protection des réfugiés.

[34]  Le demandeur souligne le paragraphe 38 de la décision Aghazadeh, où le juge Gleeson a fait remarquer qu’en ce qui concerne l’alinéa 101(1)d) la question déterminante est celle de savoir si les mesures de protection accordées par un pays autre que le Canada découlent du fait que l’État en question a accordé à la personne le statut de réfugié au sens de la Convention. Cette reconnaissance déclenche le respect des obligations juridiques internationales de l’État en tant que signataire de la Convention sur les réfugiés. Le juge Gleeson a conclu qu’il s’agit là de la circonstance que l’alinéa 110(1)d) vise à englober.

[35]  Le demandeur souligne également le paragraphe 41 de la décision Aghazadeh, où le juge Gleeson a fait remarquer que les objectifs de la Loi ne sont pas favorisés par une interprétation de l’alinéa 101(1)d) qui a pour effet d’exclure les demandes d’asile que présentent des personnes qui se sont vu refuser le statut de réfugié dans un autre pays. Il soutient que, à l’instar du demandeur dans l’affaire Aghazadeh, il s’est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention en Italie. On ne peut donc pas considérer que sa protection subsidiaire est équivalente.

[36]  Le demandeur soutient que dans les deux décisions Wangden et Aghazadeh la Cour a mis l’accent sur le fait de savoir si les demandeurs d’asile étaient protégés contre les mêmes risques. Il soutient qu’il n’est pas protégé contre les mêmes risques qu’un réfugié au sens de la Convention; il a demandé ce statut, mais celui‑ci lui a été refusé.

[37]  Le demandeur fait valoir que la protection subsidiaire — même si elle est semblable ou analogue à la protection que confère l’article 97 de la Loi — n’est pas équivalente. On ne peut pas faire abstraction des différences entre les articles 96 et 97; l’article 97 ne porte pas sur la persécution.

[38]  Le demandeur signale également qu’en Italie le régime de protection subsidiaire exige qu’on évalue sa situation chaque fois qu’il présente une demande de renouvellement de son permis de séjour. Il soutient que même la protection conférée par l’article 97 au Canada mènerait au statut de résident permanent, sans évaluations de risque supplémentaires.

VI.  Les observations du défendeur

[39]  Le défendeur fait valoir que l’agent a conclu de manière raisonnable, en se fondant sur la preuve, que le demandeur s’était vu accorder une protection internationale et qu’il pouvait retourner en Italie. L’agent s’est fondé de manière raisonnable sur la preuve que le statut du demandeur en Italie signifiait qu’il ne serait pas expulsé vers l’Érythrée s’il avait encore besoin d’une protection internationale. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur était inadmissible à un renvoi à la SPR était donc raisonnable.

[40]  Le défendeur souligne la décision Wangden, dans laquelle la Cour a souligné que l’inadmissibilité d’un demandeur en vertu de l’alinéa 101(1)d) a trait à la question de savoir si ce dernier est protégé contre les risques. La terminologie que l’on emploie pour décrire le statut du demandeur d’asile n’est pas déterminante. Le défendeur signale que dans la décision Wangden, le demandeur a été jugé inadmissible même si ce dernier faisait l’objet aux États‑Unis du « retrait du statut de personne à renvoyer » plutôt que celui de réfugié au sens de la Convention.

[41]  Le défendeur soutient que l’alinéa 101(1)d) doit être lu dans son juste contexte, en tenant compte des objectifs de la Loi. Il signale que les objectifs relatifs aux réfugiés, qui sont énoncés au paragraphe 3(2), incluent le fait que le « programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution » et à « offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés […] ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités ».

[42]  Le défendeur souligne l’opinion de la professeure Favilli, qui fait remarquer que le régime de protection subsidiaire protège les personnes qui ne sont pas admissibles au statut de réfugié au sens de la Convention, mais qui risquent d’être victimes d’atteintes graves. Selon le défendeur, la protection est analogue à celle qu’accorde le paragraphe 97(1) de la Loi, qui prévoit qu’une personne à protéger est celle dont le renvoi l’exposerait au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Il ajoute que même si une personne à protéger en vertu de l’article 97 n’est pas un réfugié au sens de la Convention, l’alinéa 101(1)d) devrait s’interpréter de façon à inclure les personnes à protéger.

[43]  Le défendeur signale aussi que, dans son opinion, la professeure Favilli reconnaît qu’il y a peu de différences entre la protection subsidiaire et la protection des réfugiés.

[44]  Le défendeur invoque la décision De Melo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1094, au paragraphe 22, 468 FTR 178 [De Melo], pour faire valoir que l’article 97 offre la « protection à titre de réfugié » à un demandeur d’asile. Dans cette décision, la Cour a écrit, au paragraphe 22 :

L’article 96 de la LIPR intègre au droit interne canadien la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, dont le Canada est un pays signataire. L’article 97, en intégrant les obligations découlant de traités qui incombent au Canada en vertu de la Convention contre la torture [la CCT] et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, offre ce qu’on entend en droit international par protection « complémentaire » ou « auxiliaire » : Martin Jones et Sasha Baglay, Refugee Law (2007), à la page 166. En d’autres termes, l’article 97 permet d’accorder l’asile à des personnes à protéger même s’il ne s’agit pas de réfugiés au sens de la Convention.

[45]  D’après le défendeur, il n’existe aucune preuve que le demandeur risque d’être refoulé. Il signale que l’Italie est liée par la Directive sur les conditions à remplir, laquelle assure à l’article 21 une protection contre le refoulement. Cet article dispose que « [l]es États membres respectent le principe de non‑refoulement en vertu de leurs obligations internationales ». L’article 21 n’autorise le refoulement que s’il n’est pas interdit par des obligations internationales et s’il y a des motifs raisonnables de considérer que la personne constitue un danger pour la sécurité de l’État membre ou si, ayant été condamnée pour un crime grave, elle constitue une menace pour la société de cet État membre.

[46]  Le défendeur soutient qu’au vu de la lettre du ministre de l’Intérieur de l’Italie, qui indique clairement que ce pays autorisera le demandeur à y retourner, et étant donné que l’Italie est liée par la Directive sur les conditions à remplir, rien ne donne à penser que ce pays retournerait le demandeur en Érythrée.

[47]  Le défendeur soutient que la décision Aghazadeh n’est pas analogue à la présente espèce. Dans cette décision, la Cour n’a fait référence à aucune preuve d’expert au sujet de la portée du régime de protection subsidiaire en Hongrie ou à des preuves concernant les dispositions de la Directive sur les conditions à remplir qui lie les pays membres de l’UE.

[48]  Le défendeur laisse entendre que le demandeur est en quête du meilleur pays d’asile. Il ajoute que ce dernier était protégé en Italie, qu’il a demandé l’asile aux États‑Unis et qu’on le lui a refusé, et qu’il est ensuite venu au Canada plutôt que de retourner en Italie. Il signale que lorsque le demandeur a demandé l’asile à son arrivée au Canada, il a indiqué non pas qu’il s’exposait à des menaces en Érythrée ou en Italie, mais qu’il espérait trouver ici un meilleur emploi. Le défendeur soutient que la Convention sur les réfugiés a pour objet de protéger des personnes, et pas d’aider les personnes qui préfèrent obtenir l’asile dans un pays particulier (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1997), 127 FTR 241; [1997] ACF no 400 (QL), au paragraphe 9).

VII.  La décision n’est pas raisonnable

[49]  Dans la décision de mai 2018, l’agent a déclaré : [traduction« [v]ous n’êtes pas admissible à un renvoi à la Section de la protection des réfugiés de la CISR en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR ». L’agent a reproduit le texte de l’alinéa 101(1)d), qui prévoit qu’une demande d’asile est « irrecevable » s’il y a eu « reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel [le demandeur d’asile] peut être renvoyé ». L’agent doit donc avoir conclu que le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention en Italie.

[50]  Les deux parties se fondent sur l’affaire Wangden pour guider l’interprétation de l’alinéa 101(1)d). Dans cette affaire, le demandeur avait retiré sa demande d’asile aux États‑Unis et avait plutôt demandé et obtenu le « retrait du statut de personne à renvoyer », ce qui, d’après le juge Mosley, équivalait à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention.

[51]  Dans la décision Wangden, le juge Mosley s’est fondé sur une preuve d’expert qui expliquait que l’asile et le « retrait du statut de personne à renvoyer » sont deux moyens différents par lesquels un « étranger passible d’expulsion » (pour reprendre la terminologie employée aux États‑Unis) qui craint d’être persécuté peut solliciter une mesure de protection (au paragraphe 60). Le juge Mosley a ensuite analysé si les deux formes de protection étaient équivalentes au statut de réfugié au sens de la Convention.

[52]  Le juge Mosley a fait remarquer que l’opinion d’expert décrivait l’asile de la même façon que la protection visée par l’article premier de la Convention sur les réfugiés et par l’article 96 de la Loi. Pour ce qui était du « retrait du statut de personne à renvoyer », le juge Mosley a signalé, au paragraphe 63:

Le retrait du statut de personne à renvoyer protège les demandeurs admissibles contre le renvoi ou l’expulsion vers un pays dans lequel ils sont à risque, mais n’empêche pas l’exclusion ou l’expulsion vers un autre pays sûr et accueillant disposé à accepter ou à prendre le réfugié. Le retrait du statut de personne à renvoyer n’est pas une mesure discrétionnaire. Un droit à celle‑ci existe pour la sous‑catégorie de réfugiés qui peuvent démontrer que, selon toute vraisemblance, ils seraient menacés à leur retour dans leur pays d’origine : INS c. Cardoza‑Fonseca, précité.

[53]  Le juge Mosley a pris en considération l’opinion d’expert et la jurisprudence américaine qui y était citée, laquelle signalait que la norme de preuve relative à l’octroi du « retrait du statut de personne à renvoyer » est plus exigeante que la norme qui s’applique à l’asile. Le demandeur d’asile doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté. Le juge Mosley a conclu qu’en dépit de la différence de statut, les personnes faisant l’objet du « retrait du statut de personne à renvoyer » sont forcément des réfugiés au sens de la Convention parce qu’elles ont établi qu’elles craignaient avec raison d’être persécutées dans le pays dont elles avaient la nationalité, et ce, pour un motif prévu dans la Convention (Wangden, aux paragraphes 61 à 65).

[54]  Le juge Mosley a fait remarquer que l’interprétation de l’expression « réfugié au sens de la Convention » à l’article premier et au sens de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR se situait au cœur de la question à trancher. Il a reconnu que le sens ordinaire des mots de cette disposition semblait restreindre l’inadmissibilité à un renvoi à la SPR aux demandeurs qui avaient obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention dans un autre pays et qui pouvaient y être renvoyés (Wangden, au paragraphe 68). Cependant, il a signalé qu’il était tenu de prendre en considération les mots de la disposition dans leur contexte tout entier ainsi que dans leur sens ordinaire et grammatical, qui s’harmonisait avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur (Wangden, au paragraphe 69). Ce faisant, il a pris en compte les ententes réciproques entre le Canada et les États‑Unis, de même que les objectifs de la Loi.

[55]  Dans la décision Wangden, les caractéristiques et les conclusions clés comprennent le fait que le demandeur ne s’était pas fait refuser l’asile (ce qui reflète le statut de réfugié au sens de la Convention); il avait plutôt retiré cette demande et s’était vu accorder le « retrait du statut de personne à renvoyer ». Le juge Mosley a conclu que ce retrait avait été accordé parce que le demandeur avait établi qu’il craignait avec raison d’être persécuté dans le pays dont il avait la nationalité, et ce, pour un motif prévu dans la Convention. Autrement dit, les risques de persécution avaient été évalués. Il a reconnu que le « retrait du statut de personne à renvoyer » ne prévoyait pas le même éventail de droits que l’asile, mais il a conclu que la question clé était celle de savoir si la personne était protégée contre les risques (au paragraphe 72). L’asile aurait procuré plus d’avantages, mais le « retrait du statut de personne à renvoyer » protégeait le demandeur contre les risques. Ce fait ne minait pas la conclusion selon laquelle le « retrait du statut de personne à renvoyer » équivalait à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention (au paragraphe 75).

[56]  Dans la récente décision Aghazadeh, le juge Gleeson a examiné si une personne à qui l’on avait accordé une protection subsidiaire en Hongrie était admissible à solliciter l’asile au Canada. Suivant la même démarche que dans la décision Wangden, le juge Gleeson a conclu que le régime de protection subsidiaire n’équivalait pas à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention (au paragraphe 37).

[57]  Le juge Gleeson a convenu que la terminologie employée n’était pas déterminante pour l’application de l’alinéa 101(1)d). Il a plutôt déclaré, au paragraphe 38 :

Ce qui est déterminant pour l’application de l’alinéa 101(1)d) est la question de savoir si les protections accordées par un pays autre que le Canada découlent du fait que l’État en question a accordé à la personne le statut de réfugié au sens de la Convention. Cette reconnaissance du statut de réfugié, peu importe la terminologie utilisée, entraîne le respect des obligations juridiques internationales d’un État en tant que partie à la Convention sur les réfugiés. À mon avis, il s’agit là de la circonstance que l’alinéa 101(1)d) vise à englober, à savoir si le respect des obligations internationales d’un pays a été déclenché.

[58]  Le juge Gleeson a fait remarquer que, comme dans la décision Wangden, la question consistait à savoir comment interpréter l’expression « réfugié au sens de la Convention », à l’alinéa 101(1)d). Il a pris en considération les principes d’interprétation législative ainsi que les principes et les objectifs de la Loi et a conclu, au paragraphe 41 :

Ces principes ne concordent pas avec une interprétation de l’alinéa 101(1)d) et ne sont pas mis de l’avant par une interprétation qui a pour effet de rendre irrecevables des demandes d’asile présentées par des personnes qui se sont vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention dans un autre pays, mais qui se sont vu accorder une autre forme de protection. Le fait de rendre une demande irrecevable au motif qu’une autre forme de protection a été accordée, protection que l’État qui l’accorde n’a pas l’obligation juridique internationale d’accorder ou de maintenir, même lorsque ces protections pourraient être semblables à celles qu’un État est tenu d’offrir lorsqu’une personne obtient le statut de réfugié au sens de la Convention, est incompatible avec les objectifs énoncés dans la LIPR.

[Souligné dans l’original.]

[59]  Le juge Gleeson a fait remarquer que dans la décision Wangden le juge Mosley avait comparé le « retrait du statut de personne à protéger » et l’asile et avait conclu que les mesures de protection accordées aux États‑Unis reposaient sur le fait que l’État reconnaissait à M. Wangden la qualité de réfugié au sens de la Convention. Toutefois, dans la décision Aghazadeh, le juge Gleeson a estimé que « [l]es protections accordées aux demandeurs par l’octroi d’une protection subsidiaire ne découlent pas du fait que les demandeurs ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention » (au paragraphe 48).

[60]  L’affaire Aghazadeh soulève les mêmes questions que celles qui se posent dans la présente affaire, en ce sens que les demandeurs dans cette affaire et le demandeur en l’espèce, M. Kaleab, se sont vus refuser le statut de réfugié, mais ont obtenu une autre forme de protection — une protection subsidiaire — dans un État membre de l’UE.

[61]  Il y a quelques différences entre l’affaire Aghazadeh et celle dont il est question en l’espèce. Il semble que l’on n’ait pas fourni au juge Gleeson une preuve d’expert sur la portée de la protection subsidiaire ou sur les différences qu’il y avait en matière de protection contre les risques.

[62]  En l’espèce, le dossier contient la preuve d’expert de la professeure Favilli, qui explique qu’il y a peu de différences en Italie entre la teneur de la protection subsidiaire et celle du statut de réfugié. Cependant, cette preuve est principalement axée sur les avantages ou les droits qui sont conférés. La jurisprudence établit qu’il convient de mettre l’accent sur les risques auxquels fait face le demandeur et qui sont évalués par l’autre pays, plutôt que sur les étiquettes que l’on donne au statut.

[63]  La preuve étaye le point de vue selon lequel le demandeur peut retourner en Italie et ne s’exposera pas à son renvoi et à un  risque d’atteintes graves en Érythrée. Cependant, la professeure Favilli explique dans son opinion que le régime de protection subsidiaire s’applique aux étrangers non membres de l’UE ou aux apatrides qui ont présenté une demande de protection internationale et qui ne répondent pas aux exigences relatives à l’obtention du statut de réfugié, mais qui sont susceptibles d’être victimes d’atteintes graves si elles sont renvoyées dans leur pays d’origine. La protection subsidiaire ne reflète pas la reconnaissance du fait que le demandeur en l’espèce avait établi qu’il craignait avec raison d’être persécuté en Érythrée. S’il l’avait fait, on lui aurait vraisemblablement accordé le statut de réfugié en Italie, mais sa demande a été refusée.

[64]  Le demandeur serait protégé contre les atteintes graves, mais il est possible qu’il ne soit pas protégé contre une crainte fondée de persécution pour des motifs prévus dans la Convention parce que ces risques n’ont pas été évalués ou établis.

[65]  Dans la décision Aghazadeh, le juge Gleeson a conclu, pour les raisons susmentionnées, qu’on ne peut pas logiquement considérer qu’un demandeur a été reconnu réfugié au sens de la Convention si on lui a refusé la protection à titre de réfugié. C’est la même conclusion qu’il faut tirer en l’espèce.

[66]  Pour ce qui est du fait que le défendeur a invoqué la décision De Melo à l’appui de l’argument selon lequel l’article 97 accorde à un demandeur d’asile la « protection à titre de réfugié » et qu’il faut considérer que l’alinéa 101(1)d) inclut les réfugiés au sens de la Convention (comme à l’article 96), de même que les personnes ayant la qualité de personnes à protéger (comme à l’article 97), je ne suis pas d’accord. Le défendeur a étiré le passage invoqué au‑delà de son juste contexte. Le juge Diner a déclaré, au paragraphe 22 : « [e]n d’autres termes, l’article 97 permet d’accorder l’asile à des personnes à protéger même s’il ne s’agit pas de réfugiés au sens de la Convention ». Certes, l’article 97 peut assurer une protection à une personne, mais cela ne veut pas dire que celle‑ci a le statut de « réfugié au sens de la Convention ». Si c’était le cas, les deux dispositions distinctes ne seraient pas nécessaires.

[67]  Je suis consciente que le défendeur s’inquiète du fait que le demandeur est peut‑être « en quête du meilleur pays d’asile » parce qu’il n’a pas renouvelé son statut en Italie et qu’il a tenté, sans succès toutefois, d’obtenir le statut de résident permanent aux États‑Unis. En agissant ainsi, il s’expose peut‑être à un risque différent — celui de ne pas obtenir ce qu’il souhaite au Canada. Cependant, la question consiste à savoir si l’agent a conclu de manière raisonnable que le régime de protection subsidiaire équivaut à la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention pour ce qui est de considérer qu’une personne est inadmissible en application de l’alinéa 101(1)d).

[68]  En l’espèce, la décision de l’agent est très succincte et ne dénote pas qu’il a analysé l’opinion de la professeure Favilli, les dispositions de la Directive sur les conditions à remplir ou d’autres instruments internationaux. J’admets que la jurisprudence reconnaît qu’un agent a pour rôle d’effectuer un examen préalable et qu’une analyse détaillée de la question de savoir si le statut accordé par un État étranger équivaut à la définition de « réfugié » selon la Convention devrait être laissée aux soins de la SPR (Wangden, au paragraphe 76). Cependant, dans les cas où l’on décide que la personne est inadmissible, il n’existe aucun recours auprès de la SPR. De plus, le rôle que joue la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire est de déterminer si la décision de l’agent est raisonnable. Cela est quasi impossible lorsque les seuls motifs exposés consistent à signaler les dispositions législatives applicables et à indiquer qu’on a pris en compte les observations fournies. De ce fait, le tribunal se doit d’examiner le dossier pour déterminer si la décision de l’agent est raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15, [2011] 3 RCS 708). Il serait peut‑être bon que le défendeur vérifie s’il n’y aurait pas lieu de fournir des motifs succincts dans les cas où l’on conclut que le demandeur d’asile n’est pas admissible en application de l’alinéa 101(1)d).

[69]  Compte tenu de l’examen que j’ai fait du dossier en l’espèce, il me faut conclure que le demandeur, qui s’est vu refuser la protection à titre de réfugié et a obtenu une protection subsidiaire en Italie, ne peut raisonnablement pas être reconnu comme ayant la qualité de « réfugié au sens de la Convention » pour l’application de l’alinéa 101(1)d).

VIII.  Une question à certifier

[70]  Le défendeur propose la question suivante :

La demande d’un demandeur d’asile au Canada qui bénéficie d’une « protection subsidiaire » dans un pays signataire de la Convention de 1951, [qui] est protégé contre le refoulement et [qui] se voit accorder un droit de retour est‑elle irrecevable pour examen par la Section de la protection des réfugiés en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR?

[71]  Le défendeur fait valoir que la réponse à la question proposée, dans laquelle il est fait expressément référence au refoulement, trancherait un appel. Il soutient une fois de plus que le demandeur bénéficie en Italie d’une protection contre le refoulement. Que la Cour décide que la décision de l’agent est raisonnable ou non, l’issue d’un appel déterminera la portée véritable de l’alinéa 101(1)d), ce qui transcende les intérêts des parties.

[72]  Le demandeur s’oppose à ce que l’on certifie la question. Il soutient que la loi est claire, signalant que la décision Wangden a été confirmée par la Cour d’appel fédérale et que la décision Aghazadeh appliquait la décision Wangden. La réponse à la question de savoir si l’agent a rendu une décision raisonnable repose sur une évaluation des faits ainsi que sur l’application des règles de droit établies à ces faits.

[73]  Le demandeur estime que si la Cour en vient à certifier une question quelconque, celle qui suit conviendrait mieux :

Une demande est‑elle irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si son auteur bénéficie d’une protection subsidiaire dans un État membre de l’Union européenne?

[74]  Pour que la Cour certifie une question en vue d’un appel, cette question « doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été discutée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non des motifs du juge (ou de la manière dont la Cour fédérale peut avoir tranché l’affaire) » (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 36, [2018] 2 RCF 229).

[75]  Dans la présente affaire, la Cour a conclu que le demandeur, qui s’est fait refuser la protection à titre de réfugié dans un autre pays et accorder une autre forme de protection, ne peut pas être reconnu comme ayant la qualité de réfugié au sens de la Convention dans cet autre pays. Cette conclusion repose sur un examen de la preuve fournie en l’espèce, laquelle montre, notamment, qu’on n’a pas évalué les mêmes risques au moment d’accorder la protection subsidiaire. Même si le demandeur ne s’expose pas de nouveau à un risque d’atteintes graves, à moins de tomber sous le coup de l’une des quelques exceptions prévues, son statut diffère de celui d’un réfugié au sens de la Convention. Il serait utile pour les agents et la Cour que la portée de l’alinéa 101(1)d) soit plus claire, mais la décision est fondée sur les faits de l’espèce. Cela étant, il n’est pas nécessaire de certifier l’une ou l’autre des deux questions.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2509‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie.

  2. L’admissibilité du demandeur à un renvoi à la Section de la protection des réfugiés, conformément à l’article 101 de la Loi, doit être réexaminée.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2509‑18

 

INTITULÉ :

TESFALDET KALAEB c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA POTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Reni Chang

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

Norah Dorcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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