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Date : 20190321


Dossier : IMM‑3141‑18

Référence : 2019 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE ]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2019

En présence de monsieur le juge Bell

 

ENTRE :

NELLY NSEKELE TSHIENDELA, MARIE‑ANGE KALUBI TSHIENDELA, NAOMI BUBANJI TSHIENDELA et SHEKINA NSEKELE TSHIENDELA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 [la LIPR], d’une décision datée du 1er juin 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a décidé, après deux jours d’audience, que Nelly Nsekele Tshiendela [Mme Tshiendela] n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150 [la Convention sur les réfugiés], et que ses trois filles, Marie‑Ange Kalubi Tshiendela, Naomi Bubanji Tshiendela et Shekina Nsekele Tshiendela [les demanderesses d’âge mineur] n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. Pour les motifs énoncés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits relatifs à la demanderesse principale

[2]  Mme Tshiendela est née en République démocratique du Congo [le Congo] et elle est citoyenne de ce pays. Le ou vers le 25 août 2001, elle a fui le Congo et s’est installée en Afrique du Sud, où elle a obtenu le statut de réfugié. En 2005, elle a obtenu un permis d’études en Afrique du Sud, ce qui a eu pour effet de remplacer son statut de réfugié.

[3]  Le 13 août 2009, elle a épousé Jean‑Paul Tshiendela, un citoyen d’Afrique du Sud d’origine congolaise. Ce dernier travaille à l’heure actuelle au Congo, en vertu d’un permis de travail, et il est également le père des demanderesses d’âge mineur. À la suite de son mariage, le statut d’immigration de Mme Tshiendela en Afrique du Sud s’est amélioré. Comme son époux est sud‑africain, elle a pu obtenir un visa de membre de la famille. Son visa le plus récent a été délivré en 2016 et il était valide jusqu’au 30 avril 2018.

[4]  La SPR décrit de manière succincte les faits qui ont amené Mme Tshiendela à craindre d’être victime de persécution en Afrique du Sud :

[5] La demandeure d’asile principale affirme qu’elle possédait son propre petit commerce dans le district de Yeoville à Johannesburg, et qu’elle travaillait également pour une organisation appelée autonomisation et projets mondiaux de commercialisation africains (AMAGEP). La demandeure d’asile prétend que les membres de sa famille ont été victimes d’agressions à caractère xénophobe en Afrique du Sud, parce qu’elle est étrangère et que son époux est originaire de la RDC. Elle soutient avoir reçu des menaces par téléphone en raison de son travail à un documentaire portant sur la xénophobie.

[6] La demandeure d’asile affirme aussi que des inconnus sont entrés plusieurs fois chez elle par effraction. Son commerce était situé dans le secteur de Yeoville à Johannesburg, et elle prétend que c’est là où elle a également été menacée et giflée par des inconnus à trois occasions distinctes. Ces personnes lui ont dit de quitter le pays, et la dernière fois, sa vie était menacée. Elle a porté plainte à la police, en vain. La demandeure d’asile ajoute que les demandeures d’asile mineures étaient traitées comme des étrangères à l’école parce que leurs parents sont originaires de la RDC.

[5]  Le 15 juin 2017, à la suite du troisième incident survenu dans son commerce, Mme Tshiendela a cherché refuge à l’église de son pasteur. Elle y est restée jusqu’au 10 juillet 2017, date à laquelle elle s’est enfuie aux États‑Unis, avec les demanderesses d’âge mineur. Elles se sont finalement rendues au Canada, où elles ont demandé l’asile.

III.  Les faits relatifs aux demanderesses d’âge mineur

[6]  Les demanderesses d’âge mineur sont nées en Afrique du Sud et sont citoyennes de ce pays.

[7]  En vertu du paragraphe 167(2) de la LIPR, les demanderesses d’âge mineur se sont vu commettre d’office une représentante désignée [la représentante]. Celle‑ci a longuement parlé des conversations qu’elle avait eues avec les demanderesses d’âge mineur, et surtout les deux filles les plus âgées, Marie‑Ange et Naomi.

[8]  La représentante a indiqué que Naomi est l’enfant la plus touchée par la discrimination exercée contre les personnes d’origine congolaise. Naomi l’a informée qu’elle avait été la victime constante d’actes de harcèlement quotidiens de la part d’un camarade de classe non désigné nommément. Ce harcèlement l’a affectée au point où elle ne voulait plus fréquenter l’école. Malgré plusieurs interventions de la part de Mme Tshiendela, l’enseignant a dit à Naomi qu’il n’y avait rien à faire au sujet du harcèlement. Mme Tshiendela a tenté, sans succès toutefois, de rencontrer le directeur de l’école pour discuter de la situation. Naomi a ajouté que son enseignant lui avait reproché à maintes reprises des actes que d’autres élèves avaient commis.

[9]  Tant Marie‑Ange que Naomi ont déclaré à la représentante que même si elles sont sud‑africaines de naissance, on les traite comme des étrangères parce que leurs parents sont d’origine congolaise. Elles craignent que si on les renvoie en Afrique du Sud, les actes d’intimidation se poursuivront.

IV.  La décision contestée

[10]  La SPR a conclu que les questions déterminantes à propos de Mme Tshiendela étaient son exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, ainsi que l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Quant aux demanderesses d’âge mineur, la question déterminante était l’existence d’une PRI.

[11]  Pour ce qui est de la question de l’exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, la SPR a appliqué les principes établis dans la décision Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1537, 59 ACWS (3d) 494 [Shamlou] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng].

[12]  La SPR a fait remarquer qu’au cours de la dernière décennie, Mme Tshiendela avait accès à la résidence permanente grâce à la fois à son statut d’épouse et à celui de mère de ses enfants sud‑africains. Malgré ces possibilités, elle n’a jamais demandé ce statut. Après avoir pris en considération les critères énoncés dans la décision Shamlou et dans l’arrêt Zeng, la SPR a conclu que Mme Tshiendela avait accès à la résidence permanente en Afrique du Sud, que ce statut est essentiellement le même que celui des ressortissants de ce pays et qu’elle n’avait pas obtenu ce statut parce qu’elle avait décidé de ne pas en faire la demande.

[13]  La SPR s’est ensuite penchée sur la question de savoir si Mme Tshiendela et les demanderesses d’âge mineur craignaient avec raison d’être persécutées au sens de l’article 96 de la LIPR ou si elles étaient exposées à un risque de préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR dans le pays visé à la section E de l’article premier (l’Afrique du Sud).

[14]  La SPR a examiné si les allégations de risque en Afrique du Sud de Mme Tshiendela et des demandeuses mineures avaient un lien avec la xénophobie. Elle a pris en considération la preuve des prétendues introductions par effraction au domicile familial, des menaces reçues par téléphone et des incidents survenus au commerce que possédait Mme Tshiendela, et elle a conclu que ces incidents n’étaient pas motivés par la xénophobie ou imputables à une inaction policière à caractère xénophobe. Selon la SPR, ils étaient plutôt attribuables à la criminalité généralisée qui régnait à Johannesburg.

[15]  En ce qui concerne les demanderesses d’âge mineur, la SPR a examiné les éléments de preuve concernant les mauvais traitements qu’elles avaient subis à l’école. Elle a conclu que ni les demanderesses d’âge mineur, ni leur mère, n’avaient vécu en paix en Afrique du Sud, mais elle était d’avis qu’il était possible de régler les problèmes qu’elles subissaient à Johannesburg si elles déménageaient au Cap ou à Port Elizabeth. La SPR a conclu que cette mesure permettrait aux demanderesses d’âge mineur de poursuivre leurs études dans une ville située à grande distance de leur école de la région de Johannesburg, soit l’école publique d’Eastleigh.

[16]  Pour déterminer que les villes du Cap et de Port Elizabeth étaient des PRI viables, la SPR a appliqué le critère établi dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) [Rasaratnam] : 1) la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI, et 2) la situation dans cette partie du pays doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier.

[17]  La SPR a conclu que Mme Tshiendela n’avait pas démontré qu’elle risquait sérieusement d’être découverte si elle déménageait dans l’une des villes proposées comme PRI. La SPR a fondé sa conclusion sur le fait que Mme Tshiendela n’avait jamais identifié les personnes qui l’avaient agressée. Elle a également fait remarquer que les membres de la famille de Mme Tshiendela (son frère, deux sœurs, sa mère et leur famille respective) vivent tous au Cap. Selon la preuve, la famille de Mme Tshiendela vit à cet endroit depuis de nombreuses années sans être victime d’incidents xénophobes. Mme Tshiendela avait produit une preuve documentaire portant sur des agressions xénophobes en Afrique du Sud, notamment au Cap, mais la SPR a jugé que cette preuve n’était pas convaincante. Elle a conclu que la documentation produite, de pair avec les témoignages entendus, n’établissaient pas que Mme Tshiendela ou les demanderesses d’âge mineur s’exposeraient à un risque sérieux de violence xénophobe dans les villes proposées comme PRI, soit Le Cap et Port Elizabeth.

[18]  La SPR a fait remarquer que l’Afrique du Sud est un pays qui n’est assujettie à aucune restriction portant sur la liberté de circulation, ce qui fait en sorte que les femmes peuvent se déplacer où bon leur semble dans le pays. De plus, la SPR a conclu que Mme Tshiendela est une personne compétente qui a travaillé en Afrique du Sud et qui a exploité son propre commerce. Elle a également fait remarquer que Mme Tshiendela s’est rendue seule au Canada avec les demanderesses d’âge mineur. Au vu de la preuve objective qui lui a été soumise, la SPR a conclu que Mme Tshiendela et les demanderesses d’âge mineur ne subiraient pas de difficultés excessives si elles s’installaient dans l’une ou l’autre des deux villes proposées comme PRI.

V.  Les dispositions applicables

[19]  Les dispositions applicables de la LIPR et de la Convention sur les réfugiés sont reproduites dans l’annexe ci‑jointe.

VI.  Les questions en litige

[20]  Les seules questions de fond à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

  1. La SPR a‑t‑elle conclu de manière raisonnable que Mme Tshiendela est exclue de la protection au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés?

  2. Les conclusions relatives aux PRI, relativement aux demanderesses d’âge mineur, sont‑elles raisonnables?

VII.  Analyse

A.  La norme de contrôle applicable

[21]  La question de savoir si des faits donnent lieu à une exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est une question qui implique une « grande retenue à l’égard de la SPR » (Zeng, au paragraphe 11). L’application du critère d’exclusion à ces faits comporte une question mixte de fait et de droit et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Omar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 458, au paragraphe 10; Rrotaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 152, au paragraphe 10 [Rrotaj]).

[22]  La question de savoir si la SPR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à une PRI est également une question mixte de fait et de droit et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Danchenko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1099, au paragraphe 20; Okohue c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305, aux paragraphes 8-9).

[23]  Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’au fait de savoir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

B.  La SPR a‑t‑elle conclu de manière déraisonnable que Mme Tshiendela est exclue de la protection au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés?

[24]  La section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est incorporée au droit interne canadien par application de l’article 98 de la LIPR, dont le texte est le suivant :

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[25]  Le paragraphe 2(1) de la LIPR définit la « Convention sur les réfugiés » à laquelle fait référence l’article 98 de la LIPR :

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

Convention sur les réfugiés La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, dont les sections E et F de l’article premier sont reproduites en annexe et le protocole afférent signé à New York le 31 janvier 1967. (Refugee Convention)

[26]  L’annexe de la LIPR cite les sections E et F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés :

ANNEXE (paragraphe 2(1))

Sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

E Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  La section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés a pour objet de protéger l’intégrité du système d’octroi de l’asile contre toute forme de « course au droit d’asile » (Rrotaj, au paragraphe 13). Cette disposition « empêche que l’asile soit accordé à une personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays » (Zeng, au paragraphe 1).

[28]  Dans l’arrêt Zeng, qui fait autorité, la juge Layden‑Stevenson énonce le critère d’exclusion qu’il convient d’appliquer quand on examine l’application de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés (Zeng, au paragraphe 12) :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Dans les circonstances de l’espèce, la SPR avait affaire à une situation dans laquelle une demandeur d’asile pouvait obtenir le statut de résident permanent en Afrique du Sud, mais s’est volontairement abstenue de le faire. La SPR a alors eu pour tâche de déterminer si ce statut (la résidence permanente) est essentiellement semblable aux droits dont jouissent les ressortissants de l’Afrique du Sud.

[30]  Les commentaires du juge Diner, dans la décision Rrotaj, sont instructifs. Le juge Diner confirme que la résidence permanente est le statut qui, comme la jurisprudence le reconnaît, répond à l’exigence de la section E de l’article premier (Rrotaj, au paragraphe 22) :

[22] […] À mon avis, le texte clair de la disposition indique que les personnes ne seront pas exclues si le statut qui leur a été accordé par le pays tiers leur confère moins que les droits fondamentaux des ressortissants de ce pays, et je n’irais pas jusqu’à affirmer que le droit canadien associe la « nationalité », dont il est question à la section E de l’article premier de la Convention, à la citoyenneté. La section E de l’article premier de la Convention n’indique pas que les demandeurs exclus doivent devenir des ressortissants au sens légal véritable; ils doivent seulement avoir les droits et obligations « rattachés à la nationalité ». Compte tenu de tout ce qui précède, cela devrait signifier des droits et obligations « semblables » à ceux des ressortissants du pays, c’est‑à‑dire les droits et obligations généralement associés au statut de résident permanent, lequel statut a été jugé satisfaisant au titre de la section E de l’article premier de la Convention dans la jurisprudence. Si les auteurs de la Convention avaient voulu dire que les demandeurs devaient avoir obtenu la nationalité ou la citoyenneté du pays tiers, ils l’auraient dit clairement dans ces termes.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Mme Tshiendela a eu accès à la résidence permanente dès le 28 mars 2006, il y a donc plus de 11 ans, quand elle a accouché de sa fille aînée en Afrique du Sud. Une autre façon d’obtenir la résidence permanente s’est offerte à elle quand elle a marié son époux sud‑africain le 13 août 2009.

[32]  Selon la décision Shamlou, les droits et les obligations des ressortissants comprennent les suivants :

  1. le droit de retourner dans le pays de résidence;

  2. le droit de travailler sans restriction aucune;

  3. le droit d’étudier;

  4. le droit d’utiliser sans restriction les services sociaux du pays de résidence.

[33]  Je suis d’avis que la SPR a cerné correctement le critère adopté dans la décision Shamlou. Je considère également que la SPR n’a pas commis d’erreur dans la manière dont elle a appliqué ce critère aux faits en cause. La SPR avait en main de nombreux éléments de preuve confirmant que Mme Tshiendela avait accès à de tels droits. Par exemple, elle avait travaillé pour l’AMAGEP, exploitait son propre commerce et avait fréquenté l’Université de technologie de Vaal, et ce, tout en étant munie d’un visa de membre de la famille. La preuve soumise à la SPR indiquait que Mme Tshiendela aurait eu un meilleur accès aux services sociaux si elle avait demandé le statut de résident permanent. Il était raisonnable, voire correct, que la SPR conclue qu’elle aurait davantage de droits si elle avait demandé et obtenu la résidence permanente.

[34]  Comme il a été mentionné plus tôt, le visa de membre de la famille le plus récent que détenait Mme Tshiendela a expiré le 30 avril 2018. C’est donc dire qu’à l’époque où elle a demandé l’asile, ainsi qu’au moment de la première audience devant la SPR, ce visa était en vigueur et valide. Il était toutefois expiré au moment de la deuxième audience devant la SPR. Dans l’arrêt Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale a récemment conclu que le statut d’un demandeur doit être examiné au dernier jour de l’audience devant la SPR. Cependant, en l’espèce, Mme Tshiendela a délibérément fait en sorte que son visa expire en omettant expressément de le faire renouveler. Je suis donc d’avis que l’expiration du visa ne peut être invoquée à son avantage. Elle était au courant de son expiration imminente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, 2002 CFPI 573 [Choovak], au paragraphe 40). La Cour a décrété à plusieurs reprises (voir, par exemple, Nepete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1640, ainsi que les affaires qui y sont citées), que le fait que le visa de réadmission ou le document de voyage soit expiré au moment où l’audience a lieu n’est pas un obstacle à une exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

[35]  Compte tenu de tout ce qui précède, il y avait devant la SPR une preuve suffisante, à première vue, que la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés s’appliquait dans les circonstances. Il incombait dans ce cas à Mme Tshiendela de montrer pourquoi, après avoir laissé expirer son visa de membre de la famille, elle n’aurait pas pu présenter une nouvelle demande et obtenir un nouveau visa (Choovak, au paragraphe 41). De plus, il lui incombait également de montrer pourquoi elle ne pouvait pas retourner en Afrique du Sud (Hassanzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1494, au paragraphe 27). Mme Tshiendela n’a rien fait pour s’acquitter de l’une ou l’autre de ces deux obligations, à part émettre des hypothèses sur divers scénarios possibles.

[36]  Il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que Mme Tshiendela n’avait pas établi que si elle avait présenté une nouvelle demande, avant ou après l’expiration de son visa de membre de la famille, on lui aurait refusé le retour au pays, la résidence permanente ou un autre visa de membre de la famille.

[37]  Après avoir décidé que Mme Tshiendela pouvait retourner en Afrique du Sud, la SPR a ensuite analysé le risque qu’elle courrait en Afrique du Sud, de même que l’existence d’une PRI. Cette démarche concorde avec le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Zeng. Voir aussi Kroon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 11, une décision dans laquelle le juge MacKay a fait remarquer que si un demandeur est exposé à une menace de persécution dans l’éventuel pays visé par la section E de l’article premier, il s’ensuit que ce pays ne peut pas être considéré comme étant visé par cette section.

[38]  La SPR a examiné les éléments de preuve relatifs aux prétendues introductions par effraction au domicile familial, aux menaces reçues par téléphone et aux incidents survenus dans le commerce que possédait Mme Tshiendela. Elle a expliqué pourquoi elle n’était pas convaincue que ces incidents étaient à caractère xénophobe. Mme Tshiendela ne souscrit pas à cette conclusion, et cela se comprend. Cependant, notre Cour a déclaré à maintes reprises que le simple fait de ne pas souscrire aux conclusions de la SPR ne permet pas de considérer qu’elles sont déraisonnables (Omorogie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1255, au paragraphe 58). Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve ou de réévaluer le poids que la SPR lui a accordé. Le poids à accorder à la preuve est une question qui relève de la SPR. La Cour n’interviendra que si la SPR a tiré ses conclusions de manière arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments qui lui ont été soumis (Eker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1226, au paragraphe 9).

[39]  Quoi qu’il en soit, si l’on présume que Mme Tshiendela est victime d’un motif d’asile énoncé dans la Convention ou qu’elle satisfait aux exigences de l’article 97 de la LIPR, la SPR a appliqué correctement le droit qui se rapporte à la détermination d’une PRI : 1) la demanderesse ne risque pas sérieusement d’être persécutée dans la partie du pays où il existe une PRI, et 2) il est raisonnable pour la demanderesse de s’y réfugier (voir, par exemple, Abdalghader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 581, au paragraphe 22, ainsi que les affaires qui y sont citées).

[40]  L’analyse de la SPR est transparente, justifiable et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La présence de nombreux membres immédiats de la famille dans l’une des villes pouvant tenir lieu de PRI et l’absence de preuve qu’ils sont persécutés sont deux aspects importants. Deuxièmement, le fait que les menaces proférées à Johannesburg ne visaient pas « personnellement » Mme Tshiendela et que leur auteur n’a pas été identifié montre qu’il y a peu de chances que ce dernier recherche Mme Tshiendela dans les villes proposées comme PRI.

C.  La SPR a‑t‑elle conclu de manière déraisonnable que les villes du Cap et de Port Elizabeth étaient des PRI viables pour les demanderesses d’âge mineur?

[41]  Les demanderesses d’âge mineur soutiennent que la SPR a commis une erreur dans son analyse de la PRI en ne l’adaptant pas à elles personnellement. Elles estiment que la SPR a axé essentiellement son analyse sur la situation de Mme Tshiendela. Avec égards, je ne suis pas d’accord. La SPR a traité du changement d’écoles, de la distance depuis Johannesburg et de la présence de membres de la famille au Cap, l’une des villes proposées comme PRI. Le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans le contexte des fins auxquelles ils sont rédigés. Ils doivent satisfaire à la norme de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (VIA Rail Canada Inc. c Office national des transports, [2001] 2 CF 25 (CAF), au paragraphe 21). Je suis d’avis que la SPR a fait part de motifs suffisants à l’appui de ses conclusions quant à la possibilité que les villes du Cap et de Port Elizabeth constituent également une PRI pour les demanderesses d’âge mineur.

VIII.  Conclusion

[42]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, sans dépens. Aucune question n’est certifiée en vue d’être examinée par la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3141‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’être examinée par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Définition de réfugié

Convention Refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

Personne à protéger

Person in need of protection

97(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3141‑18

 

INTITULÉ :

NELLY NSEKELE TSHIENDELA, MARIE‑ANGE KALUBI TSHIENDELA, NAOMI BUBANJI TSHIENDELA ET SHEKINA NSEKELE TSHIENDELA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Norah Dorcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Norah Dorcine

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

NORAH DORCINE

 

 

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