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Date : 20190321


Dossier : IMM‑1047‑18

Référence : 2019 CF 350

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MOHAMMADREZA DAVOODABADI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le défendeur, Mohammadreza Davoodabadi, est un citoyen de l’Iran qui a demandé l’asile au Canada. Il prétend craindre d’être persécuté en Iran parce qu’il s’est converti au christianisme. Il allègue être recherché par les autorités iraniennes parce qu’il était présent lorsqu’une maison-église illégale à Téhéran a fait l’objet d’une descente en mai 2015. Il soutient également que le fait qu’il continue d’adhérer au christianisme depuis qu’il est au Canada l’expose à d’autres risques de persécution s’il devait retourner en Iran.

[2]  Le défendeur est arrivé au Canada en provenance de l’Iran en décembre 2015 et a demandé l’asile à ce moment-là. Il a présenté son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) en janvier 2016. Son audience devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a eu lieu les 26 avril 2016 et 24 mars 2017.

[3]  Dans des motifs écrits détaillés communiqués le 4 avril 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du défendeur pour des motifs de crédibilité. La SPR n’a pas cru les allégations du défendeur selon lesquelles il s’était converti au christianisme en Iran, il devait y vivre dans la clandestinité et il s’était enfui au Canada parce que les autorités s’étaient aperçues de sa conversion. La SPR n’a pas non plus cru l’affirmation du défendeur selon laquelle il pratique véritablement le christianisme depuis qu’il habite au Canada. La SPR a conclu que, de toute façon, il n’existait aucune preuve corroborant le fait que le gouvernement iranien serait au courant de l’adhésion du défendeur au christianisme au Canada. Ainsi, la SPR a conclu que le défendeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[4]  Dans un avis d’appel du 24 avril 2017, le défendeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. À l’appui de son appel, le défendeur a présenté un certain nombre de documents dont la SPR n’avait pas été saisie, dont deux lettres de Tom Mayvaian, pasteur de l’église que le défendeur fréquentait à Toronto, et une lettre d’un ami, Amir Heidarian, qui fréquentait la même église. Le défendeur a sollicité une audience devant la SAR.

[5]  En octobre 2017, le commissaire de la SAR saisi de l’appel du défendeur a accueilli la demande d’audience. Selon la liste des questions fournie par la SAR, l’audience se limiterait à la question de la [traduction« véracité du contenu » des deux nouvelles lettres de M. Mayvaian et de la lettre de M. Heidarian. La SAR a également déclaré que les témoignages de vive voix de M. Mayvaian et de M. Heidarian étaient nécessaires.

[6]  L’audience a eu lieu le 8 février 2018. MM. Mayvaian et Heidarian étaient présents. Le commissaire de la SAR a expliqué que l’audience avait pour objectif [traduction] d’« établir les faits » présentés dans les nouveaux documents que le défendeur avait déposés. Plus précisément, le commissaire voulait obtenir plus de renseignements sur la connaissance qu’avaient les témoins de la conversion du défendeur au christianisme. Finalement, seul M. Mayvaian a été appelé à témoigner. Après le témoignage de M. Mayvaian, le commissaire a expliqué à M. Heidarian qu’il n’avait pas besoin de l’entendre, parce qu’il avait obtenu [traduction« toute l’information dont [il avait] besoin lors du témoignage de M. Mayvaian ». L’audience a ensuite été ajournée.

[7]  Dans ses motifs écrits du 13 février 2018, la SAR a accueilli l’appel du défendeur, annulé la décision de la SPR et conclu que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. Voici la totalité des motifs de la SAR quant au bien-fondé de l’appel :

[20]  La SPR a conclu que l’appelant n’était pas un témoin crédible quant à son identité à titre de personne s’étant convertie au christianisme.

[21]  Le 8 février 2017 [sic], la SAR a tenu une audience afin de se prononcer sur la véracité des faits présentés au moyen des nouveaux éléments de preuve. Plus particulièrement, la SAR a convoqué comme témoins le pasteur Tom Mayvaian et M. Heidarian. Le pasteur, M. Mayvaian, a témoigné de vive voix à l’audience. Après avoir écouté le témoignage de M. Mayvaian, la SAR conclut que l’appelant est un témoin crédible en ce qui a trait à sa conversion au christianisme. La SAR est convaincue que, si l’appelant devait retourner en Iran, il serait persécuté en raison de sa conversion au christianisme.

[22]  À la lumière des nouveaux éléments de preuve, la SAR substitue sa propre décision à celle de la SPR.

[8]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le ministre soutient que la SAR n’a pas fourni de motifs valables pour faire droit à l’appel. En particulier, le ministre soutient que la SAR n’a pas expliqué pourquoi elle avait conclu que les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles, pourquoi elle avait jugé crédible la conversion du défendeur au christianisme, ni en quoi les éléments de preuve présentés par M. Mayvaian justifiaient que l’on ne tienne pas compte des nombreuses questions soulevées par la SPR au sujet de la crédibilité du défendeur.

[9]  Pour les motifs exposés ci-dessous, j’estime que la décision de la SAR est déraisonnable, parce qu’elle n’explique pas pourquoi les nouveaux éléments de preuve ont été admis. Il s’agit d’un motif suffisant pour annuler la décision et ordonner une nouvelle audience. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres lacunes de la décision alléguées par le ministre.

II.  LA NORME DE CONTRÔLE

[10]  Les décisions de la SAR concernant des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]). Cette norme s’applique notamment à l’évaluation par la SAR de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29 [Singh]). La cour de révision ne tranche pas la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve sont admissibles, mais seulement si la décision de la SAR est raisonnable.

[11]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18). Autrement dit, la cour de révision doit examiner le résultat et les motifs donnés (Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27 [Delta Air Lines]). La cour de révision examine la décision afin d’établir s’il y a « justification de la décision, […] transparence et […] intelligibilité du processus décisionnel » et détermine si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland and Labrador Nurses]). La cour de révision doit intervenir uniquement si ces critères ne sont pas remplis; il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61 [Khosa]).

III.  LE CONTEXTE

[12]  Compte tenu de l’issue de la présente demande, il n’est pas nécessaire d’énoncer le fondement de la demande d’asile du défendeur de façon plus détaillée que ci-dessus. L’accent sera plutôt mis sur la preuve présentée par le défendeur pour appuyer sa thèse, d’abord devant la SPR, puis en appel devant la SAR.

A.  La preuve documentaire présentée à la SPR par le défendeur

[13]  Le défendeur a présenté à la SPR plusieurs éléments de preuve documentaire se rapportant à sa situation particulière :

  • Deux avis (l’un du 24 décembre 2015 et l’autre du 2 février 2016) ordonnant au défendeur de comparaître devant des représentants en Iran pour répondre à des questions.

  • Une lettre du 7 mars 2016 du Dr Mostafa Showraki, qui fait état des résultats d’une évaluation du défendeur menée ce jour-là par le DShowraki.

  • Un certificat de baptême du 17 avril 2016 au nom du défendeur.

  • Le programme de la cérémonie de baptême du 17 avril 2016.

  • Un courriel du 2 février 2016 d’un ami du défendeur, Ali Najafi, qui décrit un voyage que le défendeur et M. Najafi ont fait ensemble en Arménie. Au cours de ce voyage, le défendeur s’est intéressé au christianisme. Il est retourné en Iran avec une Bible et un pendentif en forme de croix dont il avait fait l’acquisition.
  • Un courriel du 3 février 2016 d’un ami du défendeur, Saeed Rabiei, qui décrit les efforts que M. Rabiei a déployés pour le compte du défendeur pour tenter de retrouver la personne qui, selon le défendeur, l’avait aidé à prendre contact avec le christianisme et la maison-église de Téhéran.
  • Un courriel du 2 février 2016 d’un oncle du défendeur, Hamidreza Davoodabadi, qui décrit les mesures que l’oncle a prises pour aider le défendeur à quitter l’Iran pour le Canada après avoir appris que les autorités étaient à la recherche du défendeur, notamment en prenant des dispositions pour qu’un tiers présente une demande de visa de visiteur canadien pour le compte du défendeur.
  • Une lettre du 17 février 2016 du pasteur de la Spirit of Truth Church à Willowdale, Siamak Shafti‑Keramat, qui indique que le défendeur assiste à des messes à l’église depuis janvier 2016.
  • Une lettre du 24 avril 2016 de Sam Nasser, de la Mohabat Alliance Church, qui indique que le défendeur fréquente l’église depuis le 14 février 2016 et qu’il y a été baptisé le 17 avril 2016.
  • Une lettre du 18 mars 2017 du pasteur de la Mohabat Alliance Church, à Toronto, Tom Mayvaian,qui indique que le défendeur fréquente l’église depuis le 14 février 2016 et qu’il y a été baptisé le 17 avril 2016. La lettre indique également que le défendeur a participé à des réunions de prières et à des études bibliques à cet endroit et qu’il se porte régulièrement volontaire pour aider lors de la messe du dimanche. M. Mayvaian a ajouté ce qui suit : [traduction« En tant que jeune homme qui se comporte très bien dans la société d’aujourd’hui et qui s’est entièrement consacré au Christ, Mohammad est pleinement conscient des conséquences de sa décision à cet égard. Il est très travaillant et centré sur ses objectifs, et il s’efforce d’en apprendre davantage sur la Parole de Dieu par l’étude de la Bible afin de vivre une vie plus épanouie en tant que chrétien. »

B.  La nouvelle preuve documentaire présentée à la SAR par le défendeur

[14]  À l’appui de son appel à la SAR, le défendeur a présenté les documents suivants dont la SPR n’avait pas été saisie :

  • Des copies des passeports et certificats de naturalisation des États‑Unis des parents du défendeur, une copie de la carte de résident permanent des États‑Unis du frère du défendeur, des copies des permis de conduire de la Floride des parents et du frère du défendeur, ainsi qu’une copie d’une requête en faveur d’un parent étranger des États‑Unis à l’égard du défendeur.

  • Une lettre d’une tante du défendeur, Nasrin Sharifi, dans laquelle elle indique que le défendeur a vécu à son chalet d’été de mai à décembre 2015.

  • Une lettre du 14 mai 2017 d’un ami du défendeur, Amir Heidarian. Dans la lettre, M. Heidarian a expliqué pourquoi lui‑même, le défendeur et d’autres avaient quitté la Spirt of True [sic] Church et décidé de fréquenter plutôt la Mohabat Alliance Church.

  • Une lettre du 10 mai 2017 dans laquelle le père du défendeur affirme que son épouse et lui ont quitté l’Iran en septembre 2007 et qu’ils vivent aux États‑Unis depuis. La lettre indique également les adresses où le défendeur a vécu en Iran. Le père du défendeur a ajouté ceci : [traduction« Je suis vraiment triste, je ne veux pas que mon fils retourne en Iran. On le pendra, on le tuera, sa vie sera en danger. »
  • Une lettre du 21 avril 2017 d’un oncle du défendeur, Hamidreza Davoodabadi, qui fait état d’autres renseignements concernant le fait que l’oncle a aidé le défendeur à quitter l’Iran. Entre autres choses, l’oncle du défendeur a déclaré : [traduction« J’ai pris moi-même les dispositions nécessaires pour remplir le formulaire de demande de visa de visiteur et je ne l’en ai pas avisé. »
  • Une lettre du 3 mai 2017 du pasteur de la Mohabat Alliance Church, Tom Mayvaian, qui reprend en bonne partie le contenu de sa lettre du 18 mars 2017, bien que la lettre indique cette fois que les renseignements ont été obtenus de tiers. M. Mayvaian a ajouté qu’on lui avait confirmé que le défendeur avait pris part aux réunions du groupe constitué de membres masculins à l’église en 2017 et qu’il fait du bénévolat non seulement lors des messes du dimanche, mais également lors d’autres événements, et qu’il donne de son temps volontairement partout où le besoin s’en fait sentir à l’église. M. Mayvaian a également déclaré ceci : [traduction« On m’a également informé que la soif d’apprendre de Mohammad et son désir d’accroître sa foi chrétienne ont été très apparents dès le début de sa présence à [la Mohabat Alliance Church]. Mohammad a également eu de nombreuses conversations avec les dirigeants de notre église pour obtenir des réponses à bon nombre de ses questions. Mohammad est une personne très enthousiaste et ambitieuse qui entretient des projets d’avenir et qui est très travaillante. »
  • Une autre lettre de M. Mayvaian, celle-là datée du 8 mai 2017. M. Mayvaian a expliqué qu’il avait écrit cette lettre supplémentaire à titre personnel pour répondre à la décision de la SPR concernant le défendeur. Faisant référence aux motifs de la SPR par numéro de paragraphe, M. Mayvaian a expliqué pourquoi il était en désaccord avec bon nombre des conclusions du commissaire, invoquant souvent ses propres expériences vécues avec le défendeur ainsi que d’autres renseignements dont il avait connaissance à l’appui de son argument.
  • Une lettre du 13 mai 2017 du pasteur principal à la North Toronto Chinese Alliance Church, Timothy Quek. M. Quek a déclaré que M. Sam Nasser était membre de sa congrégation. Avant de se joindre à sa congrégation, M. Nasser était le pasteur principal de la Mohabat Alliance Church. M. Quek a également déclaré que M. Nasser avait confirmé qu’il avait baptisé le défendeur le 17 avril 2016.

C.  Les éléments de preuve présentés à l’audience du 8 février 2018

[15]  À la suite de la décision de la SAR de tenir une audience le 8 février 2018, des éléments de preuve supplémentaires ont été présentés par M. Mayvaian sous forme de témoignage de vive voix. À l’invitation du commissaire, l’avocat du défendeur a procédé à l’interrogatoire initial. Le commissaire a ensuite posé quelques questions de suivi.

[16]  Le commissaire a indiqué qu’il avait des réserves principalement à l’égard de la lettre du 3 mai 2017 de M. Mayvaian, parce qu’elle ne semblait pas reposer sur des renseignements dont il avait une connaissance directe. M. Mayvaian a déclaré qu’il avait commencé à travailler à l’église en janvier 2017, de sorte que tout ce qui, dans la lettre, se rapportait à des événements antérieurs à cette date reposait sur des renseignements qui lui avaient été fournis par des membres du conseil d’administration de l’église. Tout ce qui se rapportait à des événements survenus après cette date reposait sur ses propres expériences avec le défendeur.

[17]  En réponse aux questions qui lui ont été posées, M. Mayvaian a également exprimé l’avis que la conversion du défendeur au christianisme était authentique, en plus d’expliquer pourquoi il était de cet avis.

IV.  L’ANALYSE

[18]  Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, le défaut par la SAR d’expliquer pourquoi elle avait admis les nouveaux éléments de preuve présentés par le défendeur est déterminant dans la présente demande.

[19]  L’admissibilité des nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel interjeté devant la SAR est régie par le paragraphe 110(4) de la LIPR. Cette disposition est ainsi libellée :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[20]  La SAR doit appliquer ce critère lorsqu’elle décide d’admettre ou non de nouveaux éléments de preuve présentés par la personne en cause (Singh, aux paragraphes 34 et 35). Elle ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire de passer outre à ces exigences (Singh, au paragraphe 63). Le seul moment où ces exigences ne s’appliquent pas, c’est lorsque la personne en cause présente des éléments de preuve en réponse aux éléments de preuve présentés par le ministre (voir le paragraphe 110(5) de la LIPR). Les facteurs examinés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 13 et 14 [Raza] (crédibilité, pertinence, nouveauté et caractère substantiel), s’appliquent également, bien qu’ils doivent être adaptés au contexte d’un appel interjeté devant la SAR (Singh, aux paragraphes 44 à 49).

[21]  Le paragraphe 110(3) de la LIPR prévoit expressément que, de façon générale, la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés ». Le paragraphe 110(4) crée une exception à cette règle générale (tout comme le paragraphe 110(6), qui permet à la SAR de tenir une audience pourvu que certaines conditions préalables soient remplies). Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh, l’existence de critères régissant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel contribue à préserver l’intégrité du processus judiciaire en favorisant la finalité du dossier factuel au premier niveau décisionnaire (à très peu d’exceptions près) et en favorisant la limitation des questions en litige au fur et à mesure qu’une affaire progresse dans le processus d’appel (Singh, aux paragraphes 43 et 50).

[22]  La SAR instruit un appel de la décision de la SPR. Elle examine les conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte, bien qu’elle puisse s’en remettre à la SPR pour les conclusions relatives à la crédibilité « si la SPR a joui d’un véritable avantage » (Huruglica, au paragraphe 70). La SAR possède le vaste mandat d’intervenir pour corriger toute erreur de fait, de droit ou de fait et de droit commise par la SPR (Huruglica, aux paragraphes 78 et 103). Néanmoins, il est clair que, de façon générale, ce mandat doit être exercé en fonction du dossier dont était saisie la SPR (Huruglica, aux paragraphes 97 et 98). Une exception n’est justifiée que si les exigences des paragraphes 110(4) ou (6) de la LIPR sont remplies.

[23]  Le ministre conteste la suffisance des motifs de la SAR relativement à l’admission des nouveaux éléments de preuve. L’insuffisance des motifs fournis par un décideur administratif ne constitue pas un motif distinct de contrôle judiciaire (Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 14). Cela ne veut pas dire, cependant, qu’une décision ne peut être annulée pour cause d’insuffisance des motifs du décideur.

[24]  Les motifs font partie intégrante du processus de prise de décision. Lorsqu’ils sont requis (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 43 [Baker]), les motifs constituent « le principal moyen de rendre compte de sa décision devant le demandeur, le public et la cour de révision » (Khosa, au paragraphe 63). Ils visent plusieurs fins utiles, dont celle de concentrer l’attention du décideur sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents, ils garantissent aux parties que leurs observations ont été prises en considération, ils permettent aux parties de faire valoir tout droit de contrôle judiciaire et ils permettent à la cour de révision d’établir si le décideur a commis une erreur (Baker, au paragraphe 39 et VIA Rail Canada Inc. c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 17 à 19 (CAF)). L’insuffisance de motifs mine la capacité d’une cour de révision de s’acquitter de sa responsabilité fondamentale qui consiste à faire respecter la primauté du droit en assurant la légalité de la décision. En ce qui concerne le contrôle axé sur le caractère raisonnable tel qu’il est décrit dans l’arrêt Dunsmuir, l’insuffisance de motifs peut empêcher la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue ou de déterminer si le résultat fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[25]  Il est bien établi que ces principes s’appliquent à la SPR : voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Mokono2005 CF 1331, aux paragraphes 13 à 15, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Shwaba, 2007 CF 80, aux paragraphes 10 à 16, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Balogh, 2014 CF 932, au paragraphe 36. Il ne fait aucun doute qu’ils s’appliquent également à la SAR : voir, par exemple, Kotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 678, aux paragraphes 14 à 19. Je dirais également que ces principes s’appliquent non seulement au résultat, mais aussi aux décisions sur l’admissibilité de la preuve, surtout lorsque, comme en l’espèce, le résultat est étroitement lié à la décision relative à l’admissibilité.

[26]  La LIPR prévoit que la SAR doit motiver ses décisions (alinéa 169b)). En fait, elle doit fournir des motifs écrits (alinéa 169c) de la LIPR). Il n’est pas nécessaire que les motifs de la SAR soient parfaits ou exhaustifs, mais ils doivent être suffisamment développés pour permettre aux parties de comprendre pourquoi le résultat a été atteint, de prendre une décision éclairée quant à savoir si elles doivent ou non demander un contrôle judiciaire et, le cas échéant, de faire valoir leurs thèses respectives de façon significative dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les motifs doivent également être suffisamment développés pour permettre à une cour de révision de déterminer si la décision respecte les normes minimales de légalité telles qu’elles sont énoncées à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et (pour le moment du moins) dans l’arrêt Dunsmuir (Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 16, et Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).

[27]  Le défendeur soutient que les motifs de la SAR en l’espèce sont [traduction« suffisamment clairs, précis et intelligibles ». Je ne suis pas d’accord. Il n’existe en réalité aucun motif sur la question essentielle de savoir pourquoi le commissaire a conclu que le critère régissant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve était respecté. J’ai déjà exposé tous les motifs de la SAR qui portent sur le bien-fondé de l’appel (voir le paragraphe 7 ci-dessus). Dans l’ensemble, le reste des motifs (c’est-à-dire les paragraphes 6 à 19 de la décision) énoncent simplement en termes généraux le critère à appliquer pour admettre de nouveaux éléments de preuve dans un appel devant la SAR. Le commissaire semble avoir très bien saisi le critère. Le problème, c’est que ses motifs sont muets quant à la façon dont il a appliqué ce critère aux nouveaux éléments de preuve présentés par le défendeur.

[28]  L’avocat du défendeur a présenté à la SAR des observations écrites sur l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve documentaire. Le commissaire de la SAR a souligné, dans ses motifs, qu’il incombe au défendeur de présenter « dans son mémoire des observations complètes et détaillées concernant la façon dont les nouveaux éléments de preuve proposés sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) et la façon dont ils sont liés à l’appelant » (citant le sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257), sans toutefois faire mention des observations réelles du défendeur. Même en supposant, pour les besoins de la discussion, que le commissaire a admis les éléments de preuve parce qu’il était d’accord avec ces observations, cela ne permet pas de résoudre la question de savoir pourquoi les éléments de preuve ont été admis.

[29]  Par exemple, dans sa décision, la SPR a souligné un certain nombre de divergences entre les renseignements figurant dans la demande de visa de visiteur (notamment que les parents du défendeur vivaient en Iran, que le défendeur était marié et qu’il avait deux enfants) et les renseignements que le défendeur a fournis dans son formulaire FDA. Bien que le défendeur ait reconnu que de nombreux détails de la demande de visa étaient faux, il a toutefois prétendu que c’est son oncle qui a pris toutes les dispositions pour faire la demande et que le défendeur avait simplement signé la demande remplie lorsqu’elle lui avait été présentée. Le lieu de résidence des parents du défendeur représentait une question importante, étant donné que le défendeur a affirmé que les difficultés personnelles qu’il a éprouvées après que ses parents ont déménagé aux États‑Unis en 2007 ont contribué à sa décision de se convertir au christianisme. La SPR a conclu que le défendeur n’avait pas suffisamment expliqué les divergences entre la demande de visa et le formulaire FDA et a tiré une conclusion défavorable en raison de ces divergences.

[30]  Le défendeur a présenté plusieurs éléments de preuve documentaire pour établir que ses parents résidaient effectivement en Floride, comme il l’a déclaré dans son formulaire FDA. À l’appui de l’admissibilité de ces éléments de preuve, le défendeur a fait valoir devant la SAR qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la SPR accorde plus de poids aux renseignements figurant dans la demande de visa de visiteur qu’aux renseignements figurant dans son formulaire FDA. Il est loin d’être évident pour moi que ce soit le cas.

[31]  La demande de visa de visiteur n’a été divulguée au défendeur que peu après le premier jour de l’audience devant la SPR. Toutefois, il aurait été au courant des divergences entre les renseignements qui s’y trouvaient et les renseignements qui se trouvaient dans son formulaire FDA lorsque l’audience a repris près d’un an plus tard. On peut certainement soutenir qu’à la fin de la deuxième journée de l’audience, le défendeur aurait été conscient de l’existence d’un problème à ce niveau. Dans ses motifs, la SPR a indiqué ce qui suit :

[traduction

[I]l serait raisonnablement possible pour le demandeur d’asile de fournir des éléments de preuve concernant ses parents et l’endroit où ils se trouvaient, surtout s’il s’agissait d’un endroit aussi rapproché que les États‑Unis, un pays où ils pourraient fournir librement de tels éléments de preuve sans se soucier de leur sécurité. Lorsqu’on lui a posé la question, le demandeur d’asile a répondu que ces éléments de preuve auraient été accessibles, mais qu’il n’avait pas cherché à les obtenir. Bien qu’un délai ait été accordé après l’audience pour la fourniture d’autres documents, le demandeur d’asile n’a fourni aucun document provenant des membres de sa famille ni demandé de délai supplémentaire pour les obtenir.

Dans ce contexte, il n’est pas du tout certain que le défendeur se soit acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il ne pouvait pas raisonnablement obtenir des documents relatifs à l’endroit où ses parents habitaient, ou qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les obtienne. Les motifs du commissaire de la SAR ne nous aident pas à comprendre pourquoi celui-ci a répondu par l’affirmative à cette question.

[32]  De même, le défendeur a fait valoir devant la SAR que les lettres qu’il avait déposées étaient admissibles parce qu’elles avaient toutes été rédigées après la décision de la SPR. Bien qu’elles aient toutes apparemment été rédigées après la décision de la SPR, cela ne constitue pas le critère applicable en l’espèce (Raza, au paragraphe 16, Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, aux paragraphes 15 à 21). La question pertinente est de savoir si la teneur des lettres se rapporte à des événements survenus après l’audience ou non. Après avoir étudié le contenu des lettres, il me semble que la plupart des renseignements qu’elles contiennent se rapportent à des événements qui se sont produits avant l’audience de la SPR. En l’espèce, il incombait au défendeur de démontrer que ces renseignements ne lui étaient pas normalement accessibles au moment de l’audience ou qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre qu’il les présente à l’audience. Encore une fois, il est loin d’être évident pour moi que l’on a respecté l’un ou l’autre des volets de ce critère, compte tenu surtout de la preuve que le défendeur a jugé bon de présenter à la SPR (voir le paragraphe 13, ci‑dessus).

[33]  En ce qui concerne l’espèce, le défendeur fait valoir, avec raison, que le tribunal « ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (citant le paragraphe 15 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses). Malheureusement pour le défendeur, cet exercice ne lui est d’aucune aide. Comme j’ai tenté de le démontrer, l’examen de la preuve dans le contexte du dossier dans son ensemble soulève plus de questions que de réponses quant à savoir pourquoi le commissaire a estimé que les éléments de preuve étaient admissibles. Comme je l’ai déjà mentionné, le commissaire de la SAR a énoncé correctement le critère régissant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Le problème, c’est que même lorsqu’ils sont lus dans le contexte de l’ensemble du dossier, les motifs du commissaire ne donnent aucune indication quant aux raisons pour lesquelles il a conclu que les nouveaux éléments de preuve satisfaisaient à ce critère. De plus, les motifs ne me permettent pas d’établir si la décision d’admettre les éléments de preuve appartient aux issues raisonnables.

[34]  Je n’émettrai aucune opinion quant à savoir si les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR sont admissibles. Ce n’est pas mon rôle. Il appartiendra à la SAR de trancher cette question lors du nouvel appel si le défendeur continue de s’appuyer sur une partie ou la totalité de ces éléments de preuve. Le point essentiel aux fins de l’espèce est qu’il ne m’appartient pas de spéculer sur ce que le commissaire de la SAR a pu penser lorsqu’il a établi que les éléments de preuve étaient admissibles (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, citée avec approbation dans Delta Air Lines, au paragraphe 28). L’admissibilité des nouveaux éléments de preuve soulevait de véritables questions. Vu l’absence totale d’explication quant aux motifs pour lesquels le commissaire de la SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés par le défendeur étaient admissibles, je conclus que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité. Elle est donc déraisonnable et doit être annulée.

V.  CONCLUSION

[35]  Je suis conscient que l’issue de l’espèce sera très décevante pour le défendeur. Je me rends compte également que, par suite de cette décision, le défendeur perdra le statut de réfugié qui avait été reconnu par la SAR, du moins pour le moment. Il s’agit d’une situation qu’il ne faut pas prendre à la légère. Toutefois, la décision du commissaire est à ce point viciée qu’il ne saurait y avoir d’autre issue.

[36]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1047‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés du 13 février 2018 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de mai 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1047‑18

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MOHAMMADREZA DAVOODABADI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SeptembRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MarS 2019

 

COMPARUTIONS :

Nicole Rahaman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Cintosun

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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