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Date : 20190320


Dossier : IMM-3622-18

Référence : 2019 CF 341

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

JIGANG SHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. Il travaille à son propre compte depuis 2014 comme rédacteur de nouveaux médias. Son travail consiste principalement à promouvoir sur différentes plateformes en ligne de nouveaux produits sur le marché de l’informatique et de la technologie, dans un langage clair et disponible au grand public.

[2]  En mars 2017, le demandeur dépose une demande de visa de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes aux termes de l’article 100 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Il entend s’établir en tant que rédacteur de nouveaux médias dans la région de Toronto. Il inclut sa conjointe ainsi que ses deux (2) enfants dans sa demande.

[3]  Le 8 mai 2018, le demandeur est convoqué à une entrevue afin de déterminer s’il satisfait aux exigences de la définition de « travailleur autonome » prévue au paragraphe 88(1) du RIPR. Lors de l’entrevue le 6 juin 2018, l’agent des visas soulève les préoccupations suivantes auprès du demandeur : (1) l’emploi de rédacteur de nouveaux médias ne constitue pas une activité culturelle telle que décrite dans le RIPR; (2) le demandeur n’a pas fait de recherche de marché concrète et n’était pas en mesure de discuter en détail de la manière dont il prévoit créer son propre emploi au Canada; (3) le demandeur n’a pas démontré avoir une connaissance raisonnable de l’anglais ou du français lui permettant d’exécuter son plan d’affaires au Canada; (4) le demandeur a indiqué avoir l’intention de continuer son emploi actuel avec les compagnies chinoises après son arrivée au Canada puisque son lieu de travail n’a aucun impact sur son emploi; et (5) le demandeur n’a pas démontré qu’il a l’intention et qu’il est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[4]  Le 8 juin 2018, l’agent des visas rejette la demande de résidence permanente au motif que le demandeur ne satisfait pas la définition de « travailleur autonome » prévue au paragraphe 88(1) du RIPR. D’une part, l’agent des visas considère que le titre de rédacteur de nouveaux médias ne constitue pas une activité culturelle. D’autre part, l’agent des visas n’est pas convaincu que le demandeur a l’intention ou la capacité de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de façon importante aux activités économiques du Canada.

[5]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il reproche à l’agent des visas d’avoir erré en considérant que le travail de rédacteur de nouveaux médias ne constituait pas une expérience utile de travail autonome relative à des activités culturelles. Le demandeur juge également déraisonnable la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il n’a démontré ni l’intention ni la capacité de créer son propre emploi et de contribuer de manière importante aux activités économiques déterminées au Canada. Notamment, le demandeur plaide que le défaut de l’agent des visas de considérer l’expérience à titre de travailleur autonome comme étant utile a vicié l’analyse des autres critères, soit l’intention, la capacité et la contribution de façon importante aux activités déterminées du Canada.

II.  Analyse

[6]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux décisions d’un agent des visas concernant une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes est celle de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 284 au para 5 [Wang]; Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1139 au para 9; Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration)¸ 2015 CF 538 au para 13 [Tollerene]; Griscenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 614 au para 10; Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 764 au para 8; Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1291 au para 18).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[8]  Il est également bien établi que les notes consignées par l’agent des visas au Système mondial de gestion de cas font partie intégrante des motifs de la décision dans la mesure où elles permettent à la Cour de comprendre davantage le raisonnement de l’agent des visas (Wang au para 6; Tollerene au para 24).

[9]  Le paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 prévoit que la sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. Les catégories d’immigration économique dans lesquelles un étranger peut présenter une demande sont précisées à la Partie 6 – Immigration économique – du RIPR. En l’instance, le demandeur a présenté sa demande dans la catégorie des travailleurs autonomes prévue à la section 2 de la Partie 6 du RIPR – Gens d’affaires.

[10]  Aux termes du paragraphe 100(1) du RIPR, l’étranger qui fait une demande à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes doit répondre à la définition énoncée au paragraphe 88(1) du RIPR. Celui-ci définit le « travailleur autonome » comme étant un étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. Les expressions « expérience utile » et « activités économiques déterminées » y sont également définies. Dans le cas à l’étude, l’expérience revendiquée par le demandeur est reliée au domaine des activités culturelles.

[11]  Lorsqu’un demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent des visas met fin à l’examen de la demande et la rejette conformément au paragraphe 100(2) du RIPR.

[12]  Finalement, le Guide des opérations OP 8 « Entrepreneur et travailleurs autonomes » du défendeur [le Guide des opérations OP 8] précise davantage les définitions réglementaires et les procédures à suivre pour l’évaluation des demandes.

[13]  Tel que mentionné ci-dessus, le demandeur soutient que l’agent des visas a erré en déterminant qu’il ne possédait pas une expérience utile de travail relative à des activités culturelles. Il est d’avis que la profession de rédacteur de nouveaux médias tombe sous le code 5121 de la Classification nationale des professions des auteurs, rédacteurs et écrivains, constituant ainsi une activité culturelle aux fins de la catégorie des travailleurs autonomes.

[14]  La Cour n’entend pas se prononcer sur cet argument puisqu’elle est d’avis que l’agent des visas pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait l’intention et qu’il était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités culturelles au Canada.

[15]  L’une des préoccupations soulevées par l’agent des visas lors de l’entrevue portait sur l’absence de recherches concrètes effectuées par le demandeur sur le marché canadien et ses difficultés à discuter en détail de la manière dont il prévoyait créer son propre emploi au Canada. Le demandeur a indiqué à l’agent des visas qu’il prévoyait, durant la phase initiale de son établissement au Canada, continuer son travail actuel avec les compagnies avec lesquelles il faisait affaires en Chine, soulignant que l’endroit où il se trouvait n’avait pas d’impact sur son travail. Le demandeur a expliqué à l’agent des visas qu’il y avait beaucoup de compagnies de haute technologie au Canada et que ces compagnies auraient besoin de personnes pour promouvoir leurs produits. L’agent des visas a alors questionné le demandeur à savoir s’il avait contacté les compagnies en question lorsqu’il préparait l’exécution de son plan d’affaires au Canada. Le demandeur a expliqué qu’il avait contacté ses clients en Chine qui faisaient affaires à l’échelle internationale dans le but qu’ils le réfèrent à leurs filiales canadiennes. Interrogé à savoir si des références avaient été faites, le demandeur a reconnu qu’il n’avait fait l’objet d’aucune référence.

[16]  Une autre des préoccupations soulevées par l’agent des visas portait sur la maîtrise de l’une ou l’autre des langues officielles du demandeur. Le demandeur a confirmé à l’agent des visas que bien qu’il pouvait lire des documents en anglais, il ne parlait pas l’anglais. Il lui a également confirmé qu’il venait tout juste de s’inscrire à des cours d’anglais. Compte tenu du fait que le demandeur n’avait pas démontré une maîtrise raisonnable de l’anglais ou du français pour mettre en œuvre son plan d’affaires, l’agent des visas a cherché à comprendre comment le demandeur prévoyait se créer un emploi comme rédacteur de nouveaux médias au Canada lorsqu’il prévoyait écrire ses articles en anglais. Le demandeur lui a répondu que c’est pour cette raison qu’il apprenait l’anglais et qu’il ne prévoyait pas immigrer au Canada avant quatre (4) ans.

[17]  Enfin, l’agent a questionné le demandeur sur l’importance de sa contribution aux activités économiques culturelles au Canada. Il a répondu qu’il savait qu’il y avait à peu près 8 200 rédacteurs de nouveaux médias à Toronto, sans plus d’explication.

[18]  La Cour estime, à la lumière des réponses fournies par le demandeur, qu’il était raisonnable pour l’agent des visas de conclure que le demandeur n’avait pas l’intention d’établir une entreprise au Canada étant donné qu’il prévoyait continuer le même travail qu’il faisait déjà en Chine, mais à distance et qu’il n’avait pas fait de recherches concrètes pour établir si son plan était viable dans le marché compétitif de Toronto. Par ailleurs et dans les circonstances du présent dossier, il était également raisonnable pour l’agent des visas de conclure que le demandeur n’avait pas la capacité d’établir une entreprise au Canada qui contribuerait de manière importante aux activités culturelles au Canada étant donné qu’il n’avait pas les compétences linguistiques nécessaires pour exécuter son plan d’affaires en tant que rédacteur de nouveaux médias, c’est-à-dire de promouvoir sur différentes plateformes en ligne de nouveaux produits sur le marché de l’informatique et de la technologie, dans un langage clair et disponible au grand public canadien-anglais.

[19]  Le demandeur a soutenu lors de l’audience que la maîtrise de l’une ou l’autre des langues officielles n’était pas un critère pertinent et que, selon le Guide des opérations OP 8, l’actif financier d’une personne pouvait également être une mesure de l’intention et de la capacité de cette personne à s’établir au Canada. Selon le demandeur, il suffit que la personne ait la capacité de subvenir à ses besoins jusqu’à ce que l’emploi autonome ait été créé.

[20]  La Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur.

[21]  Il est erroné de prétendre que les habilités linguistiques d’un demandeur sont non pertinentes. L’agent des visas est tenu, selon l’alinéa 102(1)c) du RIPR, d’évaluer les compétences du demandeur dans les langues officielles du Canada afin d’établir si le demandeur et les membres de sa famille seront en mesure de réussir leur établissement économique au Canada. De plus, le demandeur a été informé dans la lettre datée du 8 mai 2018 le convoquant à son entrevue que ses habilités linguistiques en anglais ou français feraient partie de l’évaluation de sa capacité de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[22]  Même s’il est exact d’affirmer qu’aucun délai n’est prévu pour la création d’un emploi autonome, il en demeure que la détermination de l’intention et de la capacité de créer son propre emploi au Canada relève de l’expertise de l’agent des visas. Il en est de même pour l’évaluation du degré de contribution aux activités culturelles au Canada. L’agent des visas est dans une meilleure position que la Cour pour apprécier ces éléments et de déterminer si la qualité de la langue d’un demandeur lui permettra de répondre aux exigences du RIPR. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’agent des visas et celle-ci  n’interviendra que si la décision contestée n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47). Le demandeur n’a pas convaincu la Cour que c’est le cas.

[23]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3622-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3622-18

INTITULÉ :

JIGANG SHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MARS 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Hugues Langlais

Mbombo Mujangi (stagiaire)

Pour le demandeur

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Me Hugues Langlais

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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