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Dossier : T-1930-13

Référence : 2019 CF 277

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

TENSAR TECHNOLOGIES LIMITED ET TENSAR CORPORATION LLC ET TENSAR INTERNATIONAL CORPORATION ET NILEX INC.

demanderesses

et

ENVIRO-PRO GEOSYNTHETICS, LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Actes de procédure  3

II. Résumé de l’issue de la présente action  5

III. Contexte  5

A. Les parties  5

B. Informations générales sur la technologie  7

(1) Polymères  7

(2) Historique des géogrilles  7

C. Le brevet 858  10

IV. Les témoins de fait des demanderesses  14

A. Robert Briggs  14

B. Anthony Walsh  16

(1) Contre-interrogatoire de M. Walsh  18

V. Témoin expert des demanderesses (M. Alan McGown, Ph.D.)  19

VI. Témoin de fait de l’accusé (Jeff Prodahl)  21

VII. Témoin expert de l’accusé (M. Phillip Choi, Ph.D.)  22

VIII. Interprétation des revendications  24

A. Date pertinente  25

B. Personne versée dans l’art  25

C. Les connaissances générales courantes  29

D. État antérieur de la technique  32

(1) Brevet Mercer 798  32

(2) Brevet Mercer 631  33

(3) Brevet Wyckoff  33

E. Termes des revendications exigeant une interprétation  34

IX. La loi — Principes d’évidence et de contrefaçon  43

A. L’évidence  43

B. Contrefaçon  46

X. Antériorité et moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette  48

XI. Évidence  50

XII. Contrefaçon  58

A. Preuve de la défenderesse  61

XIII. Dépens  65

I.  Actes de procédure

[1]  La présente action porte sur la validité et la contrefaçon du brevet canadien 2,491,858 [le brevet 858 ou le brevet Walsh], intitulé « Géogrille ou structure maillée », qui appartient à Tensar Technologies, Limited.

[2]  Les dates suivantes s’appliquent au brevet 858 :

  1. Date de dépôt prioritaire (fondée sur la demande GB021414931.8) : le 27 juin 2002;
  2. Date de dépôt aux termes du Traité de coopération en matière de brevets [PCT] : le 27 juin 2003;
  3. Date de publication aux termes du PCT : le 8 janvier 2004;
  4. Date de délivrance : le 13 avril 2010.

[3]  Les demanderesses dans la présente action sont Tensar Technologies, Limited [Tensar Technologies], Tensar Corporation LLC [Tensar LLC], Tensar International Corporation [Tensar International], et Nilex Inc. [Nilex]. La défenderesse est Enviro-Pro Geosynthetics Ltd. [Enviro­Pro, ou la défenderesse].

[4]  Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a fabriqué ou fait fabriquer, mis en vente et vendu au Canada des géogrilles sous la marque de commerce TRI-GRID [les produits Tri-Grid], qui contrefont les revendications de produit 6 à 8 et 11 à 13 du brevet 858, et qui ont été fabriquées selon les revendications de méthode 18 à 31 de ce même brevet et en contrefaçon de celles-ci.

[5]  La défenderesse soutient que les produits Tri-Grid ne contrefont aucune des revendications du brevet 858 et fait valoir dans une demande reconventionnelle que le brevet 858 est invalide parce que les revendications en litige dans ce brevet auraient été évidentes à la date de revendication pertinente pour une personne versée dans l’art.

[6]  Au procès, les demanderesses ont abandonné l’allégation concernant le fait d’inciter et d’amener d’autres personnes à la contrefaçon. La défenderesse a quant à elle abandonné le moyen fondé sur l’antériorité pour contester la validité, mais a soutenu que le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette s’appliquait toujours; cette question sera abordée plus loin.

[7]  Il appartient à la Cour de trancher les questions suivantes :

  1. Validité : les revendications 6 à 8, 11 à 13 ou 18 à 31 du brevet 858 sont-elles évidentes eu égard à l’un ou plus d’un des trois documents d’antériorité suivants?
    1. Brevet américain 3,386,876 [le brevet Wyckoff];
    2. Brevet américain 4,374,798 [le brevet Mercer 798];
    3. Brevet américain 5,269,631 [le brevet Mercer 631].
  2. Contrefaçon : les revendications 6 à 8, 11 à 13 ou 18 à 31 du brevet 858 sont-elles contrefaites par la fabrication, l’utilisation et la vente des produits Tri-Grid au Canada par Enviro-Pro?

II.  Résumé de l’issue de la présente action

[8]  L’issue de la présente action est la suivante :

  1. Validité : les revendications 6 à 8, 11 à 13 et 18 à 31 du brevet 858 ne sont pas évidentes et sont valides.
  2. Contrefaçon : les réclamations 6 à 8, 11 à 13 et 18 à 31 ne sont pas contrefaites par la défenderesse.

III.  Contexte

A.  Les parties

[9]  Tensar Technologies est une société constituée et existant en vertu des lois du Royaume­Uni.

[10]  Tensar LLC est une société à responsabilité limitée constituée et existant en vertu des lois de l’État de Géorgie, aux États-Unis.

[11]  Tensar International est une société constituée et existant en vertu des lois de l’État de Géorgie, aux États-Unis.

[12]  Tensar Technologies est la titulaire du brevet 858.

[13]  Tensar LLC est autorisée par Tensar Technologies à fabriquer ses géogrilles multiaxiales aux États-Unis et vend des géogrilles au Canada en association avec les marques de commerce TENSAR et TRIAX [les produits TriAx] par l’entremise de son distributeur exclusif, Nilex, une société constituée et existant en vertu des lois de la province de l’Alberta.

[14]  Enviro-Pro était une société constituée et existant en vertu des lois de la province de l’Alberta. Enviro-Pro est maintenant connue sous le nom de Key-May Industries Ltd, à la suite d’une fusion déposée le 1er décembre 2016. Avec l’accord des avocats, toute décision prise dans la présente affaire s’appliquera à Key-May Industries Ltd. Ci-après, toute mention d’Enviro­Pro fait référence à la personne morale autrefois connue sous le nom d’Enviro-Pro Geosynthetics Ltd. et maintenant connue sous le nom Key-May Industries Ltd.

[15]  Enviro-Pro vend des géogrilles multiaxiales au Canada. Enviro-Pro a commencé à distribuer et à mettre en vente des géogrilles multiaxiales sous les marques de commerce TRI­GRID 140 et TRI-GRID 160 au Canada en août 2013.

[16]  Les produits Tri-Grid d’Enviro-Pro sont fabriqués en Chine par TMP Geosynthetics [TMP].

B.  Informations générales sur la technologie

(1)  Polymères

[17]  Le brevet 858 concerne les géogrilles et les structures maillées en matières plastiques ou en polymères. Le type de polymère mentionné dans le brevet 858 est un polypropylène isotactique. Les polymères sont constitués de macromolécules.

[18]  La morphologie des polymères se définit en deux phases : la phase cristalline et la phase amorphe. Dans ces deux phases, les molécules des polymères sont orientées au hasard sauf si elles sont étirées. Lorsqu’un polymère est étiré, les molécules ont tendance à s’orienter dans la direction de l’étirement et la résistance du polymère augmente dans cette direction.

(2)  Historique des géogrilles

[19]  Dès les années 1960, les produits fabriqués à partir de polymères de synthèse, désignés matériaux géosynthétiques (comme les textiles, les bandes, les courroies, les sangles, les filets, les tissus maillés et les grilles) ont été très largement utilisés dans l’industrie de la construction pour renforcer, contenir et filtrer les matières particulaires.

[20]  Les premiers matériaux géosynthétiques ont été fabriqués en tissant, en tricotant ou en thermocollant des fibres synthétiques.

[21]  Vers la fin des années 1970, Frank B. Mercer de Netlon Ltd. (société remplacée par Tensar International) a inventé un procédé de fabrication de grilles étirées uniaxialement et biaxialement constituées de fils et de barres transversales solidaires (pour une grille uniaxiale) ou de jonctions solidaires (pour une grille biaxiale) :

Figure 10 – Tirée du rapport d’expert de M. Alan McGown (Claim Construction and Infringement [Interprétation des revendications et contrefaçon])

[22]  M. Mercer a désigné ces produits comme étant des « géogrilles ». Comme il est illustré dans la figure ci-dessus, ces géogrilles ont été fabriquées comme suit :

  1. perforation de trous dans une feuille de polymère;
  2. étirement de la feuille dans une direction pour former une grille uniaxiale avec des fils ou nervures et des barres transversales solidaires;
  3. puis, si on le souhaite, étirement de la feuille dans une seconde direction pour former une grille biaxiale avec des fils ou nervures reliées à des jonctions solidaires.

[23]  Depuis le début des années 1980 et jusqu’à la fin des années 2000, les géogrilles utilisées pour stabiliser les structures ont été essentiellement des géogrilles biaxiales, constituées de deux ensembles de fils ou nervures perpendiculaires. Une géogrille biaxiale avec nervures et jonctions solidaires est illustrée ci-dessous :

Figure 12 – Tirée du rapport d’expert de M. Alan McGown (Claim Construction and Infringement [Interprétation des revendications et contrefaçon])

[24]  Une géogrille est un produit plus robuste qui possède une rigidité à la traction (aptitude à résister à une force ou à une contrainte) et une plus grande résistance aux jonctions. De plus, elle est plus efficace pour renforcer une matière particulaire que les anciens matériaux géosynthétiques tissés ou tricotés.

[25]  Les géogrilles uniaxiales sont destinées à des applications exigeant principalement une rigidité à la traction dans une direction. Les géogrilles biaxiales sont destinées, quant à elles, à des applications exigeant une rigidité à la traction dans au moins deux directions.

[26]  Une nouveauté de ces géogrilles était que l’étirement des fils se prolongeait dans une certaine mesure à l’intérieur des jonctions et des fourches (zones incurvées où les fils rencontrent la jonction), ce qui se soldait par une rigidité, une résistance et une durabilité supérieures.

C.  Le brevet 858

[27]  L’inventeur désigné du brevet 858 est Anthony Thomas Walsh, un employé de Tensar.

[28]  L’invention revendiquée dans le brevet 858 concerne une géogrille obtenue par étirement et orientation biaxiale d’une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ présentant des trous dans un motif d’hexagones et une méthode de fabrication de produits avec ladite géogrille.

[29]  Le brevet 858 définit [TRADUCTION] « orienté » comme étant « à orientation moléculaire ». Le brevet 858 spécifie aussi qu’[TRADUCTION« en général, lorsqu’un fil orienté est mentionné, la direction privilégiée de l’orientation est longitudinale. » 

[30]  Le brevet 858 fait référence au brevet Mercer 798, qui divulgue [TRADUCTION« des structures uniaxales et biaxiales de type général dont fait l’objet la présente invention », mais poursuit en précisant que de telles structures maillées « n’ont pas une grande stabilité dans la direction diagonale ».

[31]  Le brevet 858 renvoie aussi au brevet Wyckoff, qui divulgue « une structure maillée constituée d’ouvertures triangulaires et formée en étirant et en orientant un matériau de départ en matière plastique perforé d’une série de trous ».

[32]  Le résumé de l’invention est présenté aux pages 3 et 3a du mémoire descriptif du brevet 858 :

[traduction]

Conformément à un aspect de la présente invention, une géogrille a été obtenue par étirement et orientation uniaxiale d’une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ et présentant une série de trous, la géogrille comportant des barres transversales reliées par des fils orientés sensiblement droits…

Conformément à un autre aspect de la présente invention, une géogrille a été obtenue par étirement et orientation biaxiale d’une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ et présentant une série de trous, la géogrille comportant :

un premier ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à une première direction;

un deuxième ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à la première direction et, s’ils sont considérés dans une seconde direction, disposés à angle droit par rapport à la première direction, les fils (à angle) alternés des deux ensembles étant disposés à angle par rapport à la première direction selon des angles sensiblement égaux et opposés;

des fils supplémentaires orientés sensiblement droits se prolongeant dans ladite seconde direction;

des jonctions reliant chacun des quatre fils orientés disposés à angle et deux des fils supplémentaires orientés, à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents étant orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[33]  Le brevet 858 poursuit en précisant, aux pages 3a et 3b du mémoire descriptif, une méthode de fabrication des géogrilles.

[34]  Deux revendications indépendantes, les revendications 6 et 18 du brevet 858 et quelques revendications dépendantes sont en jeu dans la présente procédure. La revendication 6 est libellée comme suit :

[traduction]

Une géogrille obtenue par étirement et orientation biaxiale d’une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ et présentant une série de trous, la géogrille comportant :

un premier ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à une première direction;

un deuxième ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à la première direction et, s’ils sont considérés dans une seconde direction, disposés à angle droit par rapport à la première direction, les fils (à angle) alternés des deux ensembles étant disposés à angle par rapport à la première direction selon des angles sensiblement égaux et opposés;

des fils supplémentaires sensiblement droits se prolongeant dans ladite seconde direction;

les jonctions reliant chacun des quatre fils disposés à angle et deux des fils supplémentaires orientés, à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents étant orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[35]  La revendication 18 précise :

[traduction]

Une méthode de fabrication d’une géogrille avec une matière plastique à orientation biaxiale comportant ce qui suit :

une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ et des trous dans un motif d’hexagones de forme et de taille sensiblement identiques disposés de manière que chaque trou est sensiblement situé au coin de chacun des trois hexagones et qu’il n’y a pas dans l’hexagone de trous d’une taille supérieure ou égale à celle des premiers trous;

un étirement appliqué dans une première direction pour étirer les zones de formation des fils, entre les trous adjacents sur les côtés des hexagones, et pour former des fils orientés à partir de ces zones;

un étirement appliqué dans une seconde direction sensiblement à angle droit par rapport à ladite première direction pour étirer les zones de formation de fils entre des trous adjacents sur les côtés des hexagones et pour former des fils orientés à partir de ces dernières zones, par lesquelles les parties centrales des hexagones forment les jonctions où sont reliés les fils orientés, l’étirement étant appliqué jusqu’à ce que l’orientation des fils se prolonge dans sensiblement chaque jonction de sorte que, à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents soit orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[36]  La géogrille visée par le brevet 858 est qualifiée de géogrille triaxiale ou multiaxiale (ci‑après, le terme multiaxial sera utilisé), car elle possède une rigidité et une résistance dans plusieurs directions. La figure 26 du rapport d’expert de M. Alan McGown (Claim Construction and Infringement [Interprétation des revendications et contrefaçon]) ci-dessous, qui est indiquée dans la figure 4 du brevet 858, illustre ce genre de géogrille multiaxiale.

 

IV.  Les témoins de fait des demanderesses

A.  Robert Briggs

[37]  M. Briggs est avocat général chez Tensar International. M. Briggs a témoigné au sujet de l’historique de Tensar ainsi que de la nature de sa structure actuelle :

  1. Tensar Limited est une société de portefeuille passive qui détient des droits de propriété intellectuelle, mais qui ne compte pas d’employés ou d’activités existantes.
  2. Tensar LLC fabrique des produits Tensar à Atlanta, en Géorgie.
  3. Tensar International est une société d’ingénierie, de marketing et de vente.

[38]  M. Briggs a indiqué que Nilex est une société albertaine et le distributeur exclusif des produits TriAx dans la majeure partie du Canada.

[39]  Jusqu’au milieu des années 2000, Tensar s’adonnait à la production et à la vente de géogrilles uniaxiales et biaxiales. Les litiges concernant les produits biaxiaux de Tensar ont commencé dans les années 1980 et se sont prolongés jusqu’au début des années 2000, alors que des concurrents ont tenté de vendre des produits similaires. Au cours de cette période, la majeure partie des dépenses en recherche et développement de la société a été consacrée à l’amélioration progressive du produit biaxial, par exemple en augmentant l’efficacité de production ou en trouvant des utilisations supplémentaires pour le produit biaxial.

[40]  Autour de l’année 2008, Tensar a lancé sur le marché une grille multiaxiale, d’abord au Royaume-Uni puis, peu de temps après, aux États-Unis et au Canada.

[41]  Les produits TriAx ont été rapidement acceptés sur le marché canadien. Depuis la mise sur le marché des produits TriAx, Tensar a pris part à de nombreux litiges relativement à la contrefaçon des produits TriAx. La plupart de ces litiges ont eu lieu en Chine et concernaient TMP.

[42]  En contre-interrogatoire, M. Briggs a convenu que, bien que M. McGown ne soit pas un employé de Tensar, il a été associé à Tensar pendant de nombreuses années et a reçu des paiements de Tensar pendant de nombreuses années.

B.  Anthony Walsh

[43]  M. Walsh est gestionnaire de la technologie chez Tensar International et réside au Royaume-Uni. Il est également l’inventeur du brevet 858. M. Walsh a obtenu un baccalauréat en physique en 1981 et une maîtrise en génie des polymères en 1991.

[44]  Entre 1981 et 2000, M. Walsh a travaillé dans une société qui fabriquait divers matériaux, y compris des matériaux d’armement utilisés comme revêtements à l’intérieur des véhicules militaires. M. Walsh a témoigné que les revêtements fabriqués devaient présenter une résistance dans plusieurs directions, plus particulièrement une résistance aux impacts d’engins explosifs.

[45]  En mai 2001, M. Walsh a été embauché comme gestionnaire de la technologie par la société Tensar du Royaume-Uni. À ce moment-là, Tensar avait déjà commencé à produire des géogrilles uniaxiales et biaxiales. Fort de son expérience dans le secteur des revêtements de véhicules militaires, il a cherché à produire une géogrille multiaxiale et s’est demandé pourquoi Tensar continuait de fabriquer un produit biaxial pour une application qui exigeait une résistance dans plus de deux directions.

[46]  Le processus de développement de ce nouveau produit multiaxial a exigé :

  1. d’embaucher un technicien;
  2. de produire entre 10 et 30 différents prototypes de géogrilles;
  3. d’être inspiré par la nature pour produire une série de trous hexagonaux semblables aux alvéoles des nids d’abeilles;
  4. d’obtenir un produit fini avec des trous triangulaires;
  5. de consulter des ingénieurs civils travaillant chez Tensar, de même qu’un grand nombre d’autres groupes au sein de l’entreprise, pour déterminer si le nouveau produit était viable sur le plan commercial;
  6. de mettre au point des outils de perforation et d’autres appareils de base pour fabriquer le nouveau produit à grande échelle.

[47]  Avant de se lancer dans la production commerciale du produit, Tensar a entrepris des essais à grande échelle du nouveau produit multiaxial. Ceux‑ci ont révélé un certain nombre de caractéristiques avantageuses, notamment :

  1. Le produit multiaxial était plus efficace qu’un produit biaxial en permettant à l’agrégat d’interpénétrer et de se renforcer;
  2. Le produit multiaxial exigeait moins d’agrégats bruts pour les mêmes résultats;
  3. Le produit multiaxial pouvait être fabriqué plus rapidement, car les déchirures qui se produisaient pendant la fabrication étaient moins nombreuses et le produit était donc moins coûteux à produire.

[48]  M. Walsh a collaboré à la rédaction d’un rapport technique, intitulé « Junction and Crotch Analysis of TAIAN Modern Tri-Grid Sample Obtained from Enviro-Pro in Canada » [le rapport de Tensar International Limited], qui présentait une carte de relief détaillée de l’épaisseur d’un échantillon de produits Tri-Grid d’Enviro-Pro pour tenter d’évaluer le degré et la direction de l’orientation du polymère. Cette analyse a été effectuée à l’aide d’un micromètre, un instrument courant pour mesurer l’épaisseur.

[49]  M. Walsh a déclaré que la société Tensar a lancé ses produits TriAx au Royaume-Uni en 2007.

(1)  Contre-interrogatoire de M. Walsh

[50]  En contre-interrogatoire, M. Walsh a déclaré qu’il n’était pas au courant de l’existence du brevet Mercer 798, du brevet Mercer 631 [collectivement, les brevets Mercer] ou du brevet Wyckoff pendant son processus de conception. Bien que le brevet Mercer 798 soit mentionné dans le brevet 858, ce n’est que plusieurs années plus tard, lorsque Tensar était partie à un litige concernant les produits TriAx, qu’il a pris connaissance de l’existence des brevets Mercer. M. Walsh a déclaré qu’il avait simplement fourni aux agents de brevets de Tensar des renseignements techniques et que ce sont les agents de brevets qui ont rédigé le brevet 858, qui fait mention du brevet Mercer 798 et du brevet Wyckoff.

[51]  M. Walsh a aussi reconnu les similarités entre le motif hexagonal des trous décrits dans le brevet Wyckoff et la série de trous qu’il a choisi d’utiliser, mais a maintenu qu’il ne connaissait pas l’existence du brevet Wyckoff au moment où il a mis au point son nouveau produit.

[52]  M. Walsh a déclaré qu’il ne connaissait pas, à l’époque de son invention, le principe de l’orientation moléculaire, ni ne comprenait, à ce moment-là, comment l’étirement du polymère à la jonction contribuait au produit multiaxial.

[53]  M. Walsh a confirmé que le rapport de Tensar International Limited est un rapport interne qu’il a préparé à titre d’employé de la société. Il a reconnu que pour le rapport de Tensar International Limited, il n’avait effectué aucune analyse moléculaire des produits Tri-Grid. Les analyses étaient plutôt orientées sur les propriétés moléculaires résultantes révélées par les propriétés de la surface des produits Tri-Grid.

[54]  M. Walsh a également reconnu qu’il y a des zones d’épaisseurs variées dans les jonctions des produits Tri-Grid.

V.  Témoin expert des demanderesses (M. Alan McGown, Ph.D.)

[55]  M. Alan McGown est professeur émérite de génie civil à l’Université de Strathclyde à Glasgow, au Royaume-Uni, et directeur général de sa propre société de génie civil, McGown Consultants Ltd. Il a obtenu un doctorat en philosophie en 1974 et un doctorat en sciences pour ses contributions à la recherche en génie géotechnique et en géosynthétique en 1993, tous deux de l’Université de Strathclyde.

[56]  M. McGown a produit deux rapports concernant la présente affaire. Son premier rapport, intitulé [traduction« Rapport d’expert du professeur Alan McGown (interprétation et contrefaçon des revendications) », est daté du 30 juin 2017. Son deuxième rapport, intitulé [traduction« Rapport d’expert du professeur Alan McGown (validité) », est daté du 4 septembre 2017.

[57]  M. McGown possède plus de 45 ans d’expérience en recherche universitaire, en travaux de développement et de consultation associés aux essais, à la rédaction de devis, à la conception, à la fabrication et aux méthodes d’utilisation des géogrilles, des filets, des textiles et des tissus maillés fabriqués à partir de matériaux synthétiques pour diverses utilisations, y compris dans l’industrie de la construction. Plus particulièrement, M. McGown est un expert qualifié dans la mise au point de grilles de polymères avec jonctions solidaires qui peuvent être utilisées pour des murs de soutènement, des pentes abruptes, des remblais, des routes, des voies ferrées, des aérodromes et autres applications semblables.

[58]  M. McGown a été consultant pour Tensar dans le passé, et cette participation se poursuit. Il a déclaré qu’il est néanmoins en mesure d’agir en toute impartialité et d’aider la Cour, et que sa participation antérieure auprès de Tensar n’a aucune incidence sur les opinions exprimées dans ses rapports. Ses positions sur la personne moyennement versée dans l’art, les connaissances générales communes de cette personne, la contrefaçon et l’évidence sont examinées ci-dessous.

VI.  Témoin de fait de l’accusé (Jeff Prodahl)

[59]  M. Prodahl travaille en développement des affaires pour Enviro-Pro, où il est responsable des ventes, de l’approvisionnement en produits et de l’exploration d’éventuels nouveaux produits pour la société. M. Prodahl travaille pour Enviro-Pro depuis environ 2006.

[60]  Au moment où M. Prodahl s’est joint à Enviro-Pro, la société était engagée dans différentes entreprises, dont une seule était la vente de matériaux géosynthétiques dans l’industrie de la construction. À la fin des années 2000, la société a commencé à se concentrer sur la vente de géogrilles, vendant initialement des géogrilles biaxiales.

[61]  Au départ, le volume des ventes de géogrilles biaxiales était élevé, mais elles ont connu un recul lorsque les produits TriAx concurrentiels de Tensar ont fait leur entrée sur le marché albertain au début des années 2010.

[62]  En 2012, Enviro-Pro a pris contact avec TMP en Chine, qui leur avait déjà fabriqué et fourni des géogrilles biaxiales, et s’est enquis de la possibilité de produire une géogrille qui pourrait concurrencer les produits TriAx. Dans un courriel daté du 29 novembre 2012, un représentant de TMP a proposé à M. Prodahl de développer un produit multiaxial en suivant le brevet Wyckoff afin d’éviter la contrefaçon des produits de Tensar.

[63]  M. Prodahl a déclaré qu’Enviro-Pro a consulté son agent en brevets à ce moment-là, qui l’a informé que si le fabricant utilisait la méthode de fabrication Wyckoff, Enviro-Pro éviterait la contrefaçon du brevet Walsh. Enviro-Pro a ensuite demandé à TMP de produire un échantillon d’un produit multiaxial en suivant exactement la procédure du brevet Wyckoff.

[64]  Sur réception d’un échantillon, Enviro-Pro a consulté Allan Parker, un ingénieur et consultant ayant de l’expérience avec le produit TriAx. M. Parker a reçu le brevet Wyckoff, mais pas d’échantillon du produit d’Enviro-Pro. M. Parker s’est déclaré d’avis que le produit TriAx était fabriqué entièrement conformément au brevet Wyckoff. En contre-interrogatoire, M. Prodahl a convenu que M. Parker ne semblait pas comprendre les différences entre les géogrilles biaxiales et multiaxiales.

[65]  M. Prodahl a également envoyé l’échantillon de produit à TRI/Environmental, Inc. [TRI], ainsi qu’un échantillon du produit TriAx. Toutefois, M. Prodahl a déclaré n’avoir tiré aucune conclusion du rapport préparé par TRI.

[66]  Enviro-Pro a commencé à vendre les produits Tri-Grid en août 2013. Peu après le début des ventes, Tensar a intenté la présente action.

VII.  Témoin expert de l’accusé (M. Phillip Choi, Ph.D.)

[67]  M. Phillip Choi est professeur titulaire au Département de chimie et de génie des matériaux à l’Université de l’Alberta. En 1995, il a obtenu un doctorat en génie chimique de l’Université de Waterloo. Depuis ce temps, il a travaillé en recherche et développement sur les polymères, tant dans l’industrie que dans le milieu universitaire. Il a publié un manuel sur la science et l’ingénierie des polymères, ainsi que de nombreux chapitres de livres, des articles de revues et un brevet américain, tous sur des sujets liés aux polymères.

[68]  M. Choi est qualifié à titre d’expert dans le domaine de la science et l’ingénierie des polymères (plastiques) et possède de nombreux titres universitaires dans ces domaines généraux ainsi qu’une expérience pratique de l’industrie en matière de recherche, de développement, de conception, d’essais et d’applications des matériaux et produits polymères. Il a été qualifié à titre d’expert pour témoigner au sujet de la science et l’ingénierie des polymères, y compris sur les principes généraux des structures moléculaires des polymères et le comportement des molécules dans les polymères par rapport aux produits constitués de polymères, y compris les structures maillées.

[69]  M. Choi a produit deux rapports à ce sujet. Son premier rapport, intitulé [traduction« Rapport d’expert dans l’affaire Tensar Technologies, Limited et autres c Enviro­Pro Geosynthetics Ltd. », est daté du 4 juillet 2017. Son deuxième rapport, intitulé [traduction« Rapport de réfutation dans l’affaire Tensar Technologies, Limited et autres c Enviro-Pro Geosynthetics Ltd. », est daté du 29 août 2017.

VIII.  Interprétation des revendications

[70]  L’interprétation des revendications relève uniquement de la Cour et précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 43 [Whirlpool]; Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 10, confirmé pour d’autres motifs par 2007 CAF 1). L’interprétation des revendications porte à la fois sur la contrefaçon et la validité (Whirlpool, précité, au paragraphe 49).

[71]  La Cour suprême du Canada a exposé les principes de l’interprétation des revendications dans trois arrêts : Whirlpool, aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54 [Free World Trust]; et Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504 (CSC), au paragraphe 27 [Consolboard]. Selon ces arrêts :

  1. les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne versée dans l’art, à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes;
  2. la teneur des revendications doit être interprétée selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu lui donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objectif de l’inventeur, de sorte à favoriser tant l’équité que la prévisibilité;
  3. l’ensemble du mémoire descriptif doit être pris en considération afin de déterminer la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications doit se faire sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et le public.

A.  Date pertinente

[72]  La date pertinente pour l’interprétation des revendications du brevet 858 est la date de publication aux termes du PCT, soit le 8 janvier 2004.

B.  Personne versée dans l’art

[73]  Ainsi que l’affirmait le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 53 :

[...] le mémoire descriptif du brevet s’adresse non pas aux grammairiens, aux étymologistes ou au public en général, mais plutôt aux personnes suffisamment versées dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating  to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), à la p. 185. Monsieur Fox écrit, à la p. 203, que la cour doit se mettre

dans la position d’une personne au fait de l’état de la technologie et du processus de fabrication à l’époque en cause, et elle doit s’informer du sens technique qu’un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir dans cette technologie ou ce processus de fabrication.

[74]  La personne versée dans l’art est décrite comme :

[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

(Free World Trust, précité, au paragraphe 44, citant Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto : Carswell, 1969) à la page 184)

[75]  M. McGown a affirmé qu’une personne moyennement versée dans l’art pourrait combiner, grâce à son expérience, deux domaines du génie :

  1. le génie mécanique, chimique ou textile avec une spécialisation en génie des matériaux synthétiques ou plusieurs années d’expérience dans les systèmes de fabrication des textiles synthétiques et matériaux connexes [ingénieur de fabrication];
  2. le génie civil ou militaire avec une spécialisation en génie géotechnique ou en génie des revêtements ou de cinq à sept années d’expérience de l’utilisation de textiles synthétiques, de tissus maillés, de filets et de grilles dans l’industrie de la construction [ingénieur d’application].

[76]  L’ingénieur de fabrication est surtout intéressé par les méthodes de traitement du matériau de départ et les effets de celles-ci sur les propriétés des produits finis, et l’ingénieur d’application, par les propriétés physiques et mécaniques des produits finis, de leurs fonctions prévues, de leur durabilité à long terme et de leur efficacité opérationnelle dans diverses applications.

[77]  M. McGown a déclaré qu’une personne moyennement versée dans l’art serait soit un ingénieur de fabrication avec assez d’expérience dans l’industrie (de cinq à sept ans) pour avoir les connaissances d’un ingénieur d’application, soit l’inverse.

[78]  M. Choi a déclaré qu’il faudrait inclure parmi les personnes moyennement versées dans l’art les ingénieurs de conception de produits en matières plastiques, soit des ingénieurs de fabrication qui participeraient à la fabrication de produits en matières plastiques et des technologues qui jouent un rôle dans la fabrication et les essais de matières plastiques.

[79]  M. Choi a également déclaré dans son rapport qu’une telle personne serait normalement titulaire d’un baccalauréat ou d’un diplôme de technologue et aurait accumulé de cinq à dix ans d’expérience professionnelle. Elle aurait des connaissances concernant un nombre limité de propriétés physiques et mécaniques des matières plastiques et aurait des compétences pratiques pour manipuler les matières plastiques. Cependant, elle n’aurait qu’une connaissance limitée des relations entre la structure moléculaire et les propriétés des matières plastiques qui feraient plutôt partie du champ de compétences des scientifiques ou des ingénieurs engagés dans la recherche et le développement de polymères (matières plastiques) et qui ont des maîtrises et des doctorats.

[80]  M. Choi a déclaré dans son rapport qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas les mêmes connaissances sur les applications que l’ingénieur d’application auquel fait référence M. McGown. Cependant, pendant l’interrogatoire principal, M. Choi a convenu que la personne moyennement versée dans l’art aurait accès à des connaissances sur les applications, comme les principes de l’interpénétration et la façon dont la matière particulaire interagit avec une géogrille, grâce à des échanges avec ses collègues au travail. En contre‑interrogatoire, M. Choi a convenu que ces connaissances relatives aux applications seraient nécessaires pour mettre au point une géogrille. L’opinion de M. Choi à l’égard de la personne moyennement versée dans l’art s’est révélée trop limitée.

[81]  Après avoir examiné la preuve des deux experts et les principes énoncés ci-dessus, je préfère et j’adopte le point de vue de M. McGown concernant la personne moyennement versée dans l’art, car compte tenu de la nature de l’invention de la géogrille visée par le brevet 858, je crois que la personne moyennement versée dans l’art doit connaître les applications possibles des géogrilles. Une grande partie de la divulgation dans le brevet 858 porte sur des éléments relevant partiellement ou complètement des compétences d’un ingénieur d’application. Selon la définition de M. McGown, le brevet 858 porte à la fois sur les méthodes de transformation de polymères synthétiques et sur les propriétés mécaniques des produits finis ainsi que leurs utilisations prévues.

[82]  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée à la Cour, je conclus que :

  1. Une personne moyennement versée dans l’art, dans le contexte du brevet 858, combinerait, grâce à son expérience, deux domaines du génie :
    1. le génie mécanique, chimique ou textile avec une spécialisation en génie des matériaux synthétiques ou plusieurs années d’expérience dans les systèmes de fabrication de textiles synthétiques et de matériaux connexes, mais avec une connaissance limitée des relations entre la structure moléculaire et les propriétés des matières plastiques ou des polymères [ingénieur de fabrication];
    2. le génie civil ou militaire avec une spécialisation en génie géotechnique ou génie des revêtements ou de cinq à sept années d’expérience de l’utilisation de textiles synthétiques, de tissus maillés, de filets et de grilles dans l’industrie de la construction [ingénieur d’application].
  2. L’ingénieur de fabrication est surtout intéressé par les méthodes de traitement du matériau de départ et les effets de celles-ci sur les propriétés des produits finis, ici, la fabrication de produits en tissu maillé polymère ou de géogrilles, avec des connaissances limitées des relations entre la structure moléculaire et les propriétés des matières plastiques ou des polymères. L’ingénieur d’application est surtout intéressé par les propriétés physiques et mécaniques des produits finis, leurs fonctions prévues, leur durabilité à long terme et leur efficacité opérationnelle dans diverses applications, ici, l’application et l’utilisation de tissus maillés et de géogrilles dans l’industrie de la construction.
  3. La personne moyennement versée dans l’art serait soit un ingénieur de fabrication avec assez d’expérience dans l’industrie (de cinq à sept ans) pour posséder les connaissances d’un ingénieur d’application ou l’inverse.

C.  Les connaissances générales courantes

[83]  Les connaissances générales courantes n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public. Au contraire, les connaissances générales courantes se limitent aux connaissances que possède généralement au moment considéré la personne versée dans l’art dans le domaine de la technique ou de la science dont relève l’invention (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, Société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux paragraphes 63-65).

[84]  L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans la décision Eli Lilly & Co c Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 97 [Eli Lilly], confirmée par 2010 CAF 240, citant General Tire & Rubber Co. c Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] RPC 457 (UKHL) p. 482-483 :

  1. Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.
  2. Les mémoires descriptifs individuels de brevet et leur contenu ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes pertinentes, bien qu’il puisse y avoir des mémoires descriptifs connus au point de faire partie des connaissances générales courantes, particulièrement dans certaines industries.
  3. Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article donné. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée d’emblée par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.
  4. Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.

[85]  Les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art ne peuvent pas être présumées; elles doivent plutôt être prouvées par des preuves factuelles selon la prépondérance des probabilités. Citant un passage de Simon Thorley et al., Terrell on the Law of Patents, 16e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2006), la Cour a déclaré ce qui suit dans la décision Eli Lilly, précitée, au paragraphe 100, :

[traduction] La preuve des connaissances courantes est présentée par des témoins compétents pour parler de la question et qui, pour ajouter à leurs propres souvenirs, peuvent s’appuyer sur des travaux standard sur le sujet qui ont été publiés à l’époque et qu’ils connaissaient. Afin de répondre à la question de savoir si une chose appartient aux connaissances générales courantes, il faut d’abord et avant tout examiner les sources auprès desquelles le destinataire versé dans l’art aurait pu obtenir ces renseignements.

La publication d’autres documents tels que le mémoire descriptif du brevet à la date pertinente ou avant celle-ci peut dans une certaine mesure être une preuve prima facie tendant à montrer que les déclarations que contenaient les documents faisaient partie des connaissances courantes, mais cette preuve est loin d’être une preuve complète, car les déclarations peuvent avoir été discréditées ou oubliées ou simplement ignorées. Il est cependant possible de présenter une preuve pour démontrer que ces déclarations sont en effet venues à faire partie des connaissances courantes.

[86]  Les parties conviennent que le brevet Wyckoff et les brevets Mercer faisaient partie de l’art antérieur et des connaissances générales courantes à la date de la revendication, soit le 8 janvier 2004 (pour l’interprétation des revendications) et le 27 juin 2002 (pour l’évidence).

[87]  De plus, aux dates pertinentes, la personne moyennement versée dans l’art aurait eu les connaissances générales courantes suivantes :

  1. les propriétés moléculaires de base des polymères;
  2. l’orientation moléculaire inhérente à l’étirement d’un polymère lorsque celui-ci est étiré au-delà de sa limite apparente d’élasticité dans la direction de l’étirement;
  3. le terme « continu » signifie ininterrompu;
  4. le terme « orientation » signifie orientation moléculaire;
  5. la direction de l’orientation est relative à une direction de référence;
  6. différentes méthodes sont utilisées pour fabriquer des structures de polymères géométriques, y compris des géogrilles, au moyen d’un étirement uniaxial ou d’un étirement biaxial;
  7. lorsqu’une section d’un matériau polymérique de départ subit une réduction de son épaisseur, c’est une indication qu’il s’est produit un étirement et qu’un certain degré d’orientation est présent.

D.  État antérieur de la technique

(1)  Brevet Mercer 798

[88]  Le brevet Mercer 798 intitulé « Production of Plastic Mesh Structure » (Production d’une structure maillée en matière plastique) a été délivré le 22 février 1983. L’inventeur se nomme Frank B. Mercer.

[89]  Le brevet Mercer 798 décrit un procédé d’étirement biaxial d’une feuille de matériau de départ perforée avec une série de trous carrés ou rectangulaires pour produire une grille avec des [TRADUCTION« fils orientés reliés par des jonctions orientées qui comportent des fourches orientées entre les fils [...] »

(2)  Brevet Mercer 631

[90]  Le brevet Mercer 631, intitulé « Plastics Material Mesh Structures » (Structures maillées de matières plastiques), a été délivré le 14 décembre 1993. Parmi les inventeurs désignés figurait Frank B. Mercer. Le brevet Mercer 631 porte sur une [TRADUCTION] « méthode de production d’une structure maillée solidaire en matières plastiques dont les molécules sont orientées en direction biaxiale […] »

[91]  Fait important, le brevet Mercer 631 introduit l’expression « orientation continue ». Plus particulièrement, à la colonne 19, lignes 42 à 45, les résultats de l’étirement biaxial sont décrits comme [TRADUCTION« formant une jonction orientée et des fourches orientées en continu reliant respectivement des fils principaux et transversaux ». À la colonne 21, lignes 39 à 42, le brevet mentionne [TRADUCTION« des fils respectivement principaux et transversaux reliés par des fourches orientées en continu dont l’orientation est dans la direction contournant les fourches respectives ».

(3)  Brevet Wyckoff

[92]  Le brevet Wyckoff, intitulé « Non-Woven Net Manufacture » (Fabrication de filets non tissés), a été délivré le 4 juin 1968. Il porte sur [TRADUCTION] « la fabrication de structures réticulées et, plus particulièrement, sur des filets non tissés et des structures semblables obtenues à partir de matériaux polymériques thermoplastiques ».

[93]  Deux éléments du brevet Wyckoff sont pertinents. Premièrement, la figure 9 du brevet Wyckoff, présentée ci-dessous, illustre une feuille de matériau de départ perforée d’une série de trous hexagonaux. Lorsqu’un étirement biaxial est appliqué à cette feuille de matériau de départ, il en résulte une grille multiaxiale avec des trous triangulaires, qui est présentée à la figure 10 du brevet Wyckoff, ci-dessous.

 

Figures 9 et 10 du brevet Wyckoff

[94]  Deuxièmement, bien que les nervures de la géogrille multiaxiale décrite dans le brevet Wyckoff aient été étirées, aucun étirement n’a été appliqué aux jonctions. Cette absence d’étirement aux jonctions est précisée plusieurs fois dans le mémoire descriptif du brevet et est décrite aux lignes 14 et 15 de la colonne 2 comme contribuant à [TRADUCTION] « arrêter les forces qui tendent à déchirer le produit fini pendant son utilisation ».

E.  Termes des revendications exigeant une interprétation

[95]  Les parties conviennent que tous les éléments des revendications en cause sont essentiels.

[96]  En ce qui concerne la contrefaçon de la revendication indépendante 6, les parties conviennent que tous les aspects de la revendication font partie des géogrilles des produits TRI‑GRID 140 et TRI‑GRID 160 de la défenderesse, sauf ce qui suit :

[TRADUCTION] 6. (…) à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents étant orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[97]  En ce qui concerne la contrefaçon de la revendication 18, la défenderesse admet que toutes les étapes et tous les éléments de la méthode décrite à la revendication 18 ont été utilisés dans son procédé de fabrication, sauf ce qui suit :

[TRADUCTION] 18. (…) l’étirement étant appliqué jusqu’à ce que l’orientation des fils se prolonge dans sensiblement chaque jonction de sorte que, à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents soit orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[98]  Les parties ne s’entendent pas sur le sens précis de « l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent » figurant aux revendications 6 et 18.

[99]  Les parties s’entendent pour dire que si la revendication 6 est valide et contrefaite, la revendication 18 sera également valide et contrefaite. Les parties conviennent aussi que si l’un des produits Tri-Grid (TRID-GRID 140 ou TRI-GRID 160) constitue une contrefaçon, il en est de même pour l’autre produit.

[100]  Les experts conviennent de ce qui suit :

  1. L’orientation est définie dans le brevet 858 et s’entend de l’orientation moléculaire;
  2. Dans les deux revendications, la direction de l’orientation continue est importante;
  3. Un point de référence est requis lorsqu’il s’agit de la direction de l’orientation, et le point de référence dans les deux revendications est la courbure de la fourche;
  4. Une certaine orientation est inhérente à l’étirement d’un polymère au-delà de sa limite apparente d’élasticité;
  5. Une cristallisation à cent pour cent d’un polymère est pratiquement impossible;
  6. Pour obtenir une orientation dans la direction contournant la fourche, les molécules de la fourche doivent s’aligner principalement sur une direction tangentielle à la courbure de la fourche;
  7. « Continu » signifie « ininterrompu ».

[101]  Les experts ne s’entendent pas sur la façon dont « continu » (ou, de façon équivalente, « ininterrompu») devrait être interprété dans le contexte d’une orientation moléculaire.

[102]  M. Choi a affirmé qu’une interruption dans la continuité de l’orientation moléculaire peut se produire de deux façons. Premièrement, une interruption peut se produire s’il y a une quantité significative de molécules en phase amorphe interrompant l’orientation directionnelle des molécules en phase cristalline. Selon M. Choi, pour obtenir une orientation continue, il faut qu’il y ait un pourcentage significatif de molécules en phase cristalline; le pourcentage de molécules en phase cristalline requis pour obtenir une orientation continue dépend des propriétés et de la résistance souhaitées pour le produit fini.

[103]  Deuxièmement, l’orientation moléculaire peut être interrompue par la direction de l’orientation des lamelles. Le terme lamelles s’entend d’un faisceau de macromolécules étroitement groupées qui forment un motif dans le polymère en phase cristalline. M. Choi a affirmé que toutes les lamelles devraient être orientées dans la direction contournant la fourche pour que l’orientation soit continue. Si les lamelles ne sont pas orientées tangentiellement au bord de la courbure de la fourche, cela constituerait une discontinuité.

[104]  L’interprétation de M. Choi pose problème pour plusieurs raisons. Premièrement, comme il est mentionné ci-dessus, les revendications doivent être interprétées de façon éclairée, en fonction de l’objet et par un esprit désireux de comprendre (Whirlpool, au paragraphe 49). M. Choi a admis pendant le contre-interrogatoire que si son interprétation d’» orientation continue » était adoptée, il serait impossible de produire une géogrille avec cette « orientation continue ». Une telle interprétation rend impossible une interprétation téléologique du brevet; une personne moyennement versée dans l’art ayant la volonté de comprendre n’interpréterait pas la notion d’« orientation continue » de manière qu’il soit impossible de produire une géogrille avec une « orientation continue ».

[105]  Deuxièmement, si l’on adopte l’interprétation de M. Choi d’une « orientation continue », on est invité à conclure que l’utilisation de cette expression dans le brevet Mercer 631 et le brevet 858, sur laquelle la défenderesse s’appuyait pour invoquer l’état antérieur de la technique, est dénuée de sens ou ne peut être comprise par une personne moyennement versée dans l’art à la date pertinente, ni à quelque moment que ce soit d’ailleurs. La validité n’est pas contestée sur le fondement de l’absence d’utilité ou de la divulgation insuffisante du brevet 858.

[106]  Troisièmement, l’interprétation de M. Choi exige une analyse exagérément technique du brevet. M. Choi a admis en contre-interrogatoire que son interprétation d’« orientation continue » repose sur sa propre expérience en tant qu’expert en science des polymères, et non de l’expérience d’une personne moyennement versée dans l’art.

[107]  Quatrièmement, l’analyse de M. Choi est presque exclusivement axée sur les revendications 6 et 18 du brevet 858 et semble laisser de côté le reste du mémoire descriptif du brevet. Comme il est mentionné ci-dessus, les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, ce qui signifie qu’il faut examiner la totalité du mémoire descriptif pour déterminer la nature de l’invention. M. Choi a affirmé en contre-interrogatoire qu’il avait examiné la totalité du brevet 858, mais son analyse ne traduit pas une compréhension des revendications à la lumière de la divulgation du brevet 858.

[108]  M. McGown a interprété « orientation continue » comme étant un degré d’orientation causé par la réduction de l’épaisseur du polymère soit uniformément, soit non uniformément par rapport au matériau de départ, en tous points de la fourche. En d’autres mots, s’il y a un certain degré d’étirement autour des fourches produisant une certaine réduction de l’épaisseur du matériau à ces endroits, il y a donc une orientation continue autour des fourches.

[109]  M. McGown a fondé cette interprétation en partie sur divers extraits du brevet 858 et du brevet Mercer. J’accepte que ces extraits suggèrent qu’un certain degré de réduction de l’épaisseur par rapport au matériau polymérique de départ ou à la feuille de matériau de départ, se produisant dans la zone de la fourche, démontre à tout le moins une certaine orientation moléculaire, sinon une orientation continue et qu’il n’est pas nécessaire que la réduction d’épaisseur soit uniforme en tous points de la fourche.

[110]  Toutefois, « orientation continue » doit signifier plus que la définition présentée par M. McGown. La seule présence d’une réduction de l’épaisseur de la feuille de matériau de départ, quelle qu’en soit l’importance, dans la zone contournant la fourche, ne peut pas et n’établit pas une orientation continue.

[111]  Le terme « continu » a d’abord été introduit pour qualifier l’orientation moléculaire dans les géogrilles mentionnées dans le brevet Mercer 631 délivré en 1993. À la colonne 19 du brevet Mercer 631, lignes 42 à 45 :

[traduction] […] formant une jonction orientée et des fourches orientées en continu reliant respectivement des fils principaux et transversaux […]

[112]  De même, de la colonne 20, ligne 66, à la colonne 21, ligne 1 du brevet Mercer 631 :

[traduction] […] des fils respectivement principaux et transversaux reliés par des fourches orientées en continu dont l’orientation de la direction contourne les fourches respectives […]

[113]  L’expression « orientation continue » a alors été adoptée dans la description de l’invention du brevet 858, par le même agent de brevets ou avocat qui a rédigé le brevet Mercer 631.

[114]  L’ajout du mot « continue » doit recevoir une interprétation téléologique dans le contexte de l’invention du brevet 858; selon l’interprétation de M. McGown, l’expression « orientation continue » équivaut à l’utilisation du terme « orientation » sans autre précision, ou à tout le moins avec un sens indiquant qu’« une certaine » orientation suffit pour donner une orientation continue. En conséquence, selon M. McGown, tant qu’il y a un étirement dans les zones des jonctions et des fourches, il y a une orientation moléculaire, donc il y a une orientation continue dans la direction contournant la fourche. Aux termes de la définition de M. McGown, tant et aussi longtemps que le matériau contournant la fourche présente uniformément une certaine réduction de son épaisseur, quelle qu’en soit l’importance, cela suffira pour démontrer une orientation continue dans la direction contournant la fourche. Cette interprétation assimile le mot « continue », relatif à l’orientation moléculaire autour de la fourche, à un degré et à une direction indéterminés de l’orientation. Cette interprétation est simplement trop générale et ne constitue pas une interprétation téléologique, compte tenu du contexte de l’invention décrite et revendiquée dans le brevet 858.

[115]  Bien que je rejette l’interprétation de M. Choi, je peux accorder un certain poids à ce témoignage quant au fait que toute interprétation d’« orientation continue » doit tenir compte du degré d’orientation (le pourcentage de molécules en phase cristalline par rapport au pourcentage de molécules en phase amorphe) et de la direction de l’orientation (la direction de l’alignement des lamelles).

[116]  En contre-interrogatoire, on a demandé à M. McGown s’il y avait un pourcentage de molécules en phase amorphe dans la zone de la fourche qui serait, selon lui, une indication de l’absence d’orientation continue. Il semblait indiquer que s’il y avait plus de 80 pour cent de molécules en phase amorphe dans la zone de la fourche, il y aurait absence d’orientation continue :

[traduction]

M. McDONALD : D’accord, et selon vous, 50 pour cent est – s’il y a 50 pour cent de molécules en phase amorphe dans la zone de la fourche, cela ne cause pas de discontinuité ni d’interruption.

M. McGOWN : Non, à moins que la matière en phase amorphe ne soit séparée des macromolécules qui sont à l’état cristallin.

M. McDONALD : D’accord. Que se passerait-il s’il y avait 60 pour cent de matière en phase amorphe? S’il y avait 70 pour cent de matière en phase amorphe? Y a-t-il une certaine quantité de molécules en phase amorphe dans la zone de la fourche qui pourrait, selon vous, indiquer qu’il n’y a pas de continuité?

M. McGOWN : Dans ce genre de situation, vous faites référence à une plage entre 20 et 80 pour cent; nous nous situons plutôt au milieu de cette plage, soit de 40 à 60 pour cent ou 70 pour cent; je ne crois pas que vous puissiez trouver de la matière dans ce pourcentage de produit composé de mélanges très différents de ceux-là.

[117]  Lors de son contre-interrogatoire, M. McGown a également été questionné sur la direction de l’orientation et il n’a pas pu fournir de réponse claire concernant le pourcentage de molécules devant être alignées pour que l’orientation de la direction contournant la fourche soit ininterrompue :

[traduction]

M. McDONALD : D’accord. Est-ce que cela signifie pour vous que les molécules dans la zone de la fourche doivent être orientées pour suivre la courbure de la fourche?

M. McGOWN: Essentiellement. Si vous voulez, je vais revenir au terme « principalement ». Il ne s’agit pas d’une orientation à cent pour cent; il s’agit plutôt du degré d’orientation obtenu.

M. McDONALD : D’accord, je comprends. Ma question ne concerne pas un pourcentage d’orientation, mais plutôt une direction. Et la direction ici, j’aimerais que vous me le confirmiez, est qu’elle doit suivre la courbure de la fourche?

M. McGOWN : De la même manière que la quantité, comme je viens de le préciser, la direction est essentiellement autour de la matière semi-cristalline. Certaines des molécules ne seront pas orientées, car nous ne pouvons obtenir une orientation à cent pour cent, de sorte que l’orientation principale suit la courbure de la fourche dans la direction contournant la fourche.

[118]  Le libellé en cause, figurant dans les revendications 6 et 18, est reproduit ci-dessous par souci de commodité :

[TRADUCTION] […] l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[119]  Comme il est précisé dans les revendications 6 et 18, l’« orientation continue » est présente du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[120]  Je suis d’avis que l’expression « orientation continue » signifie, à tout le moins, (1) qu’une quantité prédominante ou un pourcentage substantiel de molécules autour de la fourche sont orientées dans une direction tangentielle à la courbure de la fourche et (2) qu’une quantité prédominante ou un pourcentage substantiel des molécules orientées autour de la fourche sont en phase cristalline.

IX.  La loi — Principes d’évidence et de contrefaçon

A.  L’évidence

[121]  Comme il est indiqué au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, un brevet est présumé valide. Il incombe à Enviro-Pro d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’évidence des revendications du brevet 858.

[122]  Le critère de l’évidence a récemment été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [Sanofi] au paragraphe 67 :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[123]  Avant l’arrêt Sanofi, précité, la définition de l’évidence était énoncée dans Beloit Canada Ltée c Valmet Oy, (1986), 64 NR 287, 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit], et consistait à se demander si la personne du métier serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet en cause.

[124]  Dans l’arrêt Sanofi, la Cour a introduit, à la quatrième étape, le critère de l’« essai allant de soi », selon lequel un tribunal peut se demander si l’invention revendiquée résulte d’un « essai allant de soi ». Tous les cas n’exigeront pas l’application du critère de l’« essai allant de soi »; il peut être approprié dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation (Sanofi, au paragraphe 68).

[125]  Dans l’arrêt Sanofi, la Cour a fourni une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’invention résulte d’un « essai allant de soi » (Sanofi, au paragraphe 69-70) :

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit-[il] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[126]  Le critère de l’« essai allant de soi » ne vise pas à supplanter tout autre examen antérieur de l’évidence, et d’autres examens demeurent possibles (Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Limited, 2017 CAF 76, au paragraphe 60 [Atazanavir]).

[127]  Comme énoncé au paragraphe 32 de l’arrêt récent Apotex Inc c Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 16, le critère de l’« essai allant de soi » doit être appliqué avec prudence :

[32] Suite à l’arrêt Sanofi, notre Cour a repris, à l’occasion de l’affaire Atazanavir, l’enseignement de la Cour suprême relatif à l’évidence en rappelant que le critère de l’« essai allant de soi » commande la prudence, puisque ce n’est qu’un des nombreux facteurs à considérer pour statuer sur l’évidence (Atazanavir, au paragraphe 38; Sanofi, aux paragraphes 64 et 65). Dans l’arrêt Atazanavir, notre Cour a expliqué que le critère de l’« essai allant de soi  » appliqué à l’occasion de l’affaire Sanofi n’abolissait nullement les autres critères, y compris le critère consacré par l’arrêt Beloit. Notre Cour a expressément rappelé que, bien que la Cour suprême ait appliqué le critère de l’« essai allant de soi », elle préconise une « démarche large et flexible englobant “toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante” » (Atazanavir, au paragraphe 61, en référence à Sanofi, au paragraphe 63). Par conséquent, l’adoption d’une approche catégorique de l’examen de l’évidence et l’élaboration d’une « règle rigide » ont été expressément jugées inappropriées et rejetées par notre Cour (Atazanavir, au paragraphe 62).

[128]  Lorsqu’un expert est engagé pour témoigner devant une cour, celle-ci doit se méfier de sa sagesse rétrospective (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, au paragraphe 50 [Bridgeview]). Il n’est pas juste vis-à-vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux-ci étant bien connu, la combinaison est nécessairement évidente (Bridgeview, précité, au paragraphe 51).

[129]  L’examen portant sur l’évidence doit être entrepris pour chaque revendication (Zero Spill Systems ((Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115, au paragraphe 85). Si une revendication indépendante n’est pas jugée évidente, les revendications dépendantes qui en découlent ne peuvent pas l’être. En revanche, si une revendication indépendante est jugée évidente, la Cour doit examiner chaque revendication dépendante pour déterminer si elle est évidente.

B.  Contrefaçon

[130]  En vertu de l’article 42 de la Loi sur les brevets, le breveté et ses représentants légaux ont le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre l’invention à d’autres. Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets prévoit que quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet.

[131]  Le fardeau de prouver la contrefaçon incombe à la partie qui l’allègue (Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 29).

[132]  Afin de déterminer si une revendication donnée d’un brevet est contrefaite, la Cour doit en donner une interprétation téléologique, puis déterminer si le produit qui emporterait contrefaçon est visé par les revendications du brevet (Free World Trust, au paragraphe 48-49).

[133]  Dans l’arrêt Free World Trust, au paragraphe 31, la Cour a exposé les propositions suivantes concernant la contrefaçon :

a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

c) La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

(i) en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

(ii) à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

(iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[134]  Comme il a été mentionné précédemment, en l’espèce, les parties ont convenu que tous les éléments des revendications en cause sont essentiels.

X.  Antériorité et moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette

[135]  En première instance, la défenderesse a abandonné l’antériorité comme moyen pour contester la validité, sauf dans la mesure où cette antériorité se rapporte au moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette. Ce moyen de défense est invoqué quand le contrefacteur présumé peut établir que le produit censément contrefait est fondé sur les enseignements d’un brevet antérieur et que le contrefacteur présumé fait simplement quelque chose qui est déjà connu (Gillette Safety Razor Co. c Anglo-American Trading Co. Ltd (1913), 30 RPC 465 (HL)).

[136]  Enviro-Pro soutient que le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette devrait s’appliquer parce que dans la fabrication de ses produits Tri-Grid, elle a simplement suivi les enseignements du brevet Wyckoff. Je ne suis pas d’accord.

[137]  Le brevet Wyckoff précise plusieurs fois que l’orientation des fils de la grille ne devrait pas s’étendre aux jonctions; le produit Tri-Grid a justement cette propriété. Le libellé du brevet Wyckoff mentionne de manière répétée une absence d’étirement aux jonctions dans le produit visé par le brevet. L’importance des jonctions non étirées est spécifiée à la colonne 2, lignes 6 à 15 du brevet Wyckoff, où il est allégué que les jonctions non étirées empêchent le produit visé par le brevet de se déchirer pendant l’utilisation :

[TRADUCTION] En général, la structure réticulée ou toile de la présente invention incorpore plusieurs nervures, dont au moins certaines sont orientées uniaxialement et séparées des nervures adjacentes par des zones qui ne sont pas étirées. La résistance maximale des nervures orientées se trouve dans la direction de l’orientation des molécules, alors que les zones non étirées entre les extrémités des nervures adjacentes non colinéaires aident à confiner les forces d’étirement appliquées aux nervures ciblées et servent à arrêter les forces qui tendent à déchirer la toile finie pendant son utilisation.

[Non souligné dans l’original]

[138]  Les revendications de méthode indépendante dans le brevet Wyckoff, plus particulièrement les revendications 14 et 16, qui portent sur l’étirement biaxial, précisent aussi que l’étirement devrait être effectué [traduction] « sans entraîner d’étirement dans les parties se trouvant entre les extrémités des nervures adjacentes » (c.-à-d. les fourches).

[139]  Cette formulation induit une personne moyennement versée dans l’art à comprendre, comme l’exprime raisonnablement M. Choi dans son premier rapport d’expert, que l’étirement dans les jonctions « n’est pas encouragé dans le brevet Wyckoff, car celui-ci vise des jonctions non étirées ». Au contraire, les produits Tri-Grid présentent un étirement dans les jonctions. De plus, la preuve présentée à la Cour est insuffisante pour établir que TMP, le fabricant pour Enviro-Pro, a effectivement suivi le brevet Wyckoff de manière à éviter une contrefaçon éventuelle. Un examen plus approfondi de la question de la contrefaçon sera effectué plus loin.

[140]  En conséquence, l’argument d’Enviro-Pro invoqué relativement à la défense fondé sur l’arrêt Gillette ne peut être retenu.

XI.  Évidence

[141]  La défenderesse allègue que les revendications 6 et 18 du brevet 858 étaient évidentes pour la personne moyennement versée dans l’art à la date de la revendication du 27 juin 2002, au motif que le brevet Mercer 631 et le brevet Wyckoff divulguent tous les deux la totalité des éléments essentiels des revendications 6 et 18, ce qui, par conséquent, rend les revendications 6 et 18 évidentes.

[142]  La défenderesse soutient que le concept inventif du brevet 858, et particulièrement des revendications 6 et 18, est l’orientation moléculaire continue dans la direction contournant la fourche, appliquée à une structure de polymère géométrique de forme triangulaire. Les demanderesses soutiennent que le concept inventif du brevet 858 est une géogrille multiaxiale avec une rigidité et une résistance dans plusieurs directions et des matériaux avec une rigidité et une résistance presque égales dans toutes les directions radiales.

[143]  Les demanderesses cherchent à limiter le concept inventif du brevet 858 aux géogrilles. Cependant, il suffit de regarder le titre du brevet 858, « Géogrille ou structure maillée », pour constater que le concept inventif est défini en termes plus généraux. Cette définition est confirmée par le libellé de la page 1 du brevet 858 : [TRADUCTION] « la présente invention porte en général sur les géogrilles, mais elle peut être appliquée, dans une certaine mesure, aux structures maillées en général ».

[144]  J’estime que le concept inventif du brevet 858 est une structure de polymère géométrique de forme triangulaire avec une orientation moléculaire continue dans la direction contournant la fourche. Une telle structure aura une rigidité et une résistance dans plusieurs directions et des matériaux avec une rigidité et une résistance presque égales dans toutes les directions radiales. Même si l’application et l’utilisation principales de l’invention 858 divulguée se rapportent aux géogrilles, l’utilisation n’est pas aussi limitée que le soutiennent les demanderesses.

[145]  La défenderesse affirme qu’il n’y a aucune différence entre l’état antérieur de la technique et le concept inventif divulgué et revendiqué dans le brevet 858. Premièrement, le brevet Mercer 631 porte sur le même champ d’application que l’invention revendiquée dans le brevet 858, et indique des fourches orientées en continu dont l’orientation est dans la direction contournant la fourche. En effet, le libellé du brevet Mercer 631 est extrêmement similaire – [TRADUCTION] « des fils respectivement principaux et transversaux reliés par des fourches orientées en continu dont l’orientation est dans la direction contournant les fourches respectives ».

[146]  Deuxièmement, le brevet Wyckoff se rapporte au même champ d’application que le brevet 858 et indique l’utilisation d’une série de trous hexagonaux dans un matériau polymérique de départ pour produire une structure de polymère multiaxiale avec des trous de forme triangulaire.

[147]  Compte tenu de ce qui précède, la défenderesse allègue que le brevet Mercer 631 et le brevet Wyckoff divulguent tous les deux tous les éléments essentiels de la revendication 6 du brevet 858. Plus particulièrement, le brevet Wyckoff divulgue tous les éléments essentiels de la revendication 6, sauf le texte souligné ci-dessous :

[traduction]

6. Une géogrille obtenue par étirement et orientation biaxiale d’une feuille de matière plastique utilisée comme matériau de départ présentant une série de trous, la géogrille comportant :

un premier ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à une première direction;

un deuxième ensemble de fils orientés sensiblement droits disposés à angle aigu par rapport à la première direction et, s’ils sont considérés dans une seconde direction, à angle droit par rapport à la première direction, les fils (à angle) alternés des deux ensembles étant disposés à angle par rapport à la première direction selon des angles sensiblement égaux et opposés;

des fils supplémentaires orientés sensiblement droits se prolongeant dans ladite seconde direction;

les jonctions reliant chacun des quatre fils orientés disposés à angle et deux des fils supplémentaires orientés, à sensiblement chaque jonction, la fourche entre chaque paire de fils adjacents étant orientée dans la direction contournant la fourche, par laquelle l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche et jusqu’au bord du fil adjacent.

[Non souligné dans l’original]

[148]  Selon la défenderesse, la restriction exprimée dans le texte souligné ci-dessus est divulguée dans le brevet Mercer 631.

[149]  Compte tenu du libellé sensiblement similaire de la revendication 18 du brevet 858, la défenderesse soutient que le brevet Mercer 631 et le brevet Wyckoff rendent aussi tous les deux la revendication 18 évidente.

[150]  J’accepte que le brevet Mercer 631 et le brevet Wyckoff semblent tous les deux divulguer les éléments essentiels des revendications 6 et 18 du brevet 858. Cependant, dans ce cas-ci, il y a une différence significative entre l’état de la technique et le concept inventif divulgué et revendiqué dans le brevet 858. Alors que le brevet Wyckoff indique l’utilisation d’une série de trous hexagonaux dans un matériau polymérique de départ pour produire une structure de polymère multiaxiale avec des trous de forme triangulaire, il est également expressément indiqué que l’orientation ne doit pas s’étendre jusqu’aux fourches de la structure du polymère. De même, alors que le brevet Mercer 631 indique une orientation continue au niveau des fourches dans une direction contournant la fourche, il limite cette orientation à une structure biaxiale.

[151]  La différence entre l’état de la technique et le concept inventif de la revendication 6 du brevet 858 est une structure de polymère ayant une géométrie triangulaire et une orientation moléculaire continue dans la direction contournant la fourche, ce qui produit une structure avec une rigidité et une résistance dans plusieurs directions et des matériaux avec une rigidité presque égale dans toutes les directions radiales.

[152]  La question est de savoir si cette différence aurait été évidente pour une personne versée dans l’art ou si elle dénote quelque inventivité. Dans une affaire comme celle qui nous occupe, où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, la meilleure façon de répondre à cette question est d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » décrit dans Sanofi, aux paragraphes 69 à 71.

[153]  Je précise, pour commencer, que j’aborde le témoignage de M. Choi concernant l’évidence avec beaucoup de prudence et j’accorde peu de poids, voire aucun, à sa position selon laquelle la revendication 6 du brevet 858 est évidente.

[154]  M. Choi a reçu les brevets Mercer et le brevet Wyckoff, et il n’a effectué aucune recherche indépendante de sa propre initiative. Bien que M. Choi ait déclaré en contre-interrogatoire qu’il avait examiné l’ensemble du brevet, il ne l’a pas dit dans son rapport, et son analyse semble faire abstraction de la divulgation. Ce n’est pas la bonne approche à adopter pour un expert. Comme l’a souligné le juge Barnes dans Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 322, au paragraphe 231 :

J’ai des doutes particuliers quant à la manière dont M. Kibbe a évalué l’art antérieur. Il n’a fait aucune recherche d’antériorités indépendante et s’est plutôt fondé sur une série de documents qu’Apotex avait produits [page 4505]. Un expert qui effectue une analyse de l’évidence en se fondant principalement ou uniquement sur des références d’antériorité qu’ont choisies les avocats qui retiennent ses services s’expose au risque réel de formuler une opinion formée après coup. Un examen minutieux de l’art antérieur comporte nécessairement une recherche de toute la documentation pertinente disponible, qu’elle étaye l’inventivité ou non. Cela oblige à prendre en compte des réalisations antérieures pertinentes dans le contexte plus large d’autres voies pouvant conduire à la solution qu’offre le brevet ou à des idées qui infirment cette solution.

[Non souligné dans l’original.]

[155]  M. Choi a fourni exactement le genre d’avis rétrospectif contre lequel le juge Barnes a mis en garde. Il a décomposé les revendications 6 et 18 en leurs composantes, puis a cherché ces composantes dans l’art antérieur que l’avocat de la défenderesse lui a fourni. C’est ce qu’atteste le passage suivant de l’interrogatoire principal de M. Choi :

[traduction]

M. McDONALD : M. Choi, j’aimerais que vous expliquiez à la Cour votre analyse relative à l’évidence.

L’explication est aux pages 6 et 7 de votre rapport, et je sais que la Cour l’a lue, mais pourriez-vous simplement passer en revue l’ensemble de l’analyse avec nous, à commencer par ce que vous considérez comme le concept inventif du brevet Walsh?

M. CHOI : Si j’examine les revendications 6 et 8 du brevet Walsh, je crois que deux soi-disant concepts inventifs sont en cause.

Le premier concerne l’orientation – l’orientation est continue à partir du bord d’un fil, autour de la fourche, dans la direction contournant la fourche et jusqu’au bord de l’autre fil – soit le fil adjacent. C’est le concept inventif de ces revendications.

L’autre concept se décrit comme suit : vous commencez avec un motif hexagonal, soit le motif des trous dans une feuille de plastique, et après avoir soumis la feuille à un étirement biaxial, vous obtenez une grille avec des trous triangulaires. Je vois ces deux concepts comme les concepts inventifs.

Ensuite – lorsque je fais une recherche, pour savoir ce que je peux faire – une recherche sur le motif de la grille, je trouve le brevet Mercer 631, le brevet 798 et aussi le brevet Wyckoff, car ces motifs renvoient aussi au brevet Wyckoff. Donc, aussi loin qu’en 2004, j’aurais eu des connaissances à ce sujet, c’est-à-dire des connaissances générales courantes.

Alors j’ai pensé que, «-- à la lumière du motif décrit dans le brevet 631 qui renseigne sur l’orientation continue dans une direction contournant la fourche et puis, lorsque j’ai vu les figures 9 et 10 du brevet Wickoff, je me suis dit, « c’est exactement ce que je veux obtenir, une forme triangulaire qui permettrait d’avoir un meilleur produit qui résisterait à des forces appliquées dans différentes directions. » 

Puis, j’ai poursuivi ma pensée, «…que se passerait-il si je combinais ces deux éléments pour créer une structure de masse qui contiendrait les deux, en d’autres mots, la même structure qui est décrite dans le brevet Walsh? »

Donc, si je regarde de plus près, les deux soi-disant concepts inventifs du brevet Walsh ne sont pas si inventifs, car je pourrais obtenir cette information grâce à l’état antérieur de la technique et des connaissances générales courantes.

Je me suis donc dit ce que quiconque se serait dit – puisque la fourche orientée en continu est meilleure et que le brevet Wyckoff décrit le motif des trous de la feuille de départ – « d’accord, mais laissez-moi le faire, et j’ai créé cette structure de masse triangulaire. » Voilà comment ça s’est passé.

[Non souligné dans l’original]

[156]  Les risques des examens rétrospectifs sont bien énoncés par la juge Sharlow dans l’arrêt Apotex Inc. c Bayer AG, 2007 CAF 243, aux paragraphes 24-25 :

[24] [...] On trouve l’avertissement traditionnel concernant la rétrospectivité dans Beloit (page 295, selon le juge Hugessen) :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « J’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? »

[25] Cela ne signifie pas que le juge des faits est tenu, en droit, de rejeter une analyse d’expert rétrospective. Après tout, la preuve d’une partie alléguant la non-validité pour cause d’évidence s’appuie nécessairement dans une certaine mesure sur une analyse rétrospective, puisqu’elle répond à une question hypothétique au sujet d’un moment dans le passé. Cela dit, il est entendu qu’une allégation peut être affaiblie si la preuve n’explique pas, directement ou implicitement, pourquoi l’invention n’a pas été faite par d’autres.

[157]  En appliquant le critère de l’« essai allant de soi » décrit par la Cour dans l’arrêt Sanofi, je constate que le quatrième facteur, la démarche ayant mené à l’invention, est intrinsèquement lié au deuxième facteur, soit la nature et l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention. J’examinerai ces questions ensemble.

[158]  Compte tenu des deuxième et quatrième facteurs, je suis d’avis qu’un effort significatif a été nécessaire pour réaliser l’invention. La Cour a eu l’avantage d’entendre le témoignage de l’inventeur du brevet 858, M. Walsh, qui a décrit son long processus d’expérimentation et la difficulté à mettre au point un procédé de production d’une géogrille multiaxiale. Bien que le témoignage d’un inventeur ne soit pas toujours disponible et, le cas échéant, il ne devrait pas être déterminant, en l’espèce, le témoignage de M. Walsh appuie la conclusion qu’un effort significatif serait, et a été, nécessaire pour réaliser cette invention et que des essais courants n’auraient pas, et n’ont pas, été suffisants.

[159]  Eu égard au premier facteur, j’estime qu’il n’était pas plus ni moins évident que ce qui faisait l’objet d’essais aurait dû fonctionner. Une expérimentation importante a été nécessaire. De plus, M. McGown, M. Briggs et M. Walsh ont déclaré que, même si les brevets Wyckoff et Mercer existaient depuis de nombreuses années, jusqu’à l’introduction par Tensar du brevet 858, les efforts de recherche et développement dans l’industrie des géogrilles étaient axés sur des améliorations marginales de la technologie biaxiale existante. Si les nombreux avantages d’un produit multiaxial avaient été évidents, ils auraient certainement été reconnus et mis en pratique des années auparavant. Au lieu de cela, il a fallu des mois d’expérimentation à une personne comme M. Walsh, qui avait de l’expérience dans l’utilisation de matériaux polymériques multiaxiaux dans d’autres industries, pour produire l’invention du brevet 858.

[160]  Compte tenu du troisième facteur, je conclus qu’il n’y a pas de motivation dans l’état antérieur de la technique pour trouver la solution que le brevet propose. Bien que le brevet Wyckoff mentionne l’utilisation d’une série de trous hexagonaux dans un matériau polymérique de départ pour produire une structure de polymère multiaxiale avec des trous de géométrie triangulaire, il souligne à plusieurs reprises l’importance que les jonctions demeurent non orientées et indique plus particulièrement qu’il faut s’écarter du concept inventif de l’invention du brevet 858.

[161]  De plus, M. McGown a décrit comment, en 1979, il faisait partie d’une équipe de recherche multidisciplinaire, composée d’experts du milieu universitaire, de l’industrie et du gouvernement, qui a examiné les géogrilles biaxiales et le brevet Wyckoff, et a conclu que les structures enseignées dans le brevet Wyckoff ne convenaient pas à l’industrie de la construction.

[162]  Je reconnais que les facteurs suggérés dans Sanofi ne sont pas exhaustifs, mais je suis convaincu, après examen des facteurs ci-dessus, que la différence entre l’état de la technique et le concept inventif de la revendication 6 du brevet 858 ne pouvait être évidente pour la personne moyennement versée dans l’art. Dans la même logique, je trouve que la revendication 18 n’est pas évidente.

[163]  Étant donné que les revendications générales et indépendantes 6 et 18 ne sont pas évidentes, les revendications dépendantes qui s’y rapportent ne le sont pas non plus.

XII.  Contrefaçon

[164]  Les demanderesses soutiennent que les produits Tri-Grid de la défenderesse contrefont les revendications de produit 6 à 8 et 11 à 13 du brevet 858 et que les produits Tri-Grid ont été fabriqués conformément aux revendications de méthode 18 à 31 du brevet 858 et en contrefaçon de celles-ci.

[165]  Les demanderesses ont présenté le témoignage de M. McGown pour établir la contrefaçon de la revendication 6 et des revendications dépendantes connexes. M. McGown s’est appuyé sur deux rapports.

[166]  Premièrement, M. McGown s’est appuyé sur le document « Report on Two Geogrid Structures », daté du 26 janvier 2017 [rapport de l’Université de Bristol], qui a été préparé par deux chercheurs de l’Université de Bristol sous la direction de M. McGown. Dans le rapport de l’Université de Bristol, les auteurs ont effectué une analyse tridimensionnelle de la taille et de la forme des jonctions des produits Tri-Grid et TriAx, à partir de photographies de petits morceaux de chaque produit.

[167]  Deuxièmement, M. McGown s’est appuyé sur le document « Tensar International Limited Report », daté du 6 novembre 2015, qui a été rédigé par M. Walsh en sa qualité d’employé de Tensar. Dans le Tensar International Limited Report, M. Walsh (1) a utilisé un micromètre pour mesurer l’épaisseur en divers points d’un échantillon de produits Tri-Grid et (2) a pris des photos de l’échantillon avec un microscope électronique à balayage (MEB).

[168]  Sur la base de cette analyse, M. McGown a conclu que les produits Tri-Grid contrefaisaient les revendications 6 à 8, 11 et 13 du brevet 858 et qu’il ne pouvait pas savoir s’ils contrefaisaient la revendication 12, probablement en raison d’un manque de connaissance du procédé de fabrication des produits Tri-Grid.

[169]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les rapports invoqués par M. McGown n’établissent pas une contrefaçon de la revendication 6. Par conséquent, il n’y a pas non plus de contrefaçon des revendications dépendantes relatives aux produits en cause, à savoir les revendications 7, 8 et 11 à 13.

[170]  Les deux experts ont convenu qu’une réduction de l’épaisseur indique qu’il y a eu étirement et que, là où il y a eu un étirement, il y a une certaine quantité d’orientation moléculaire. Le rapport de Tensar International Limited montre une réduction de l’épaisseur de la fourche de l’échantillon de produits Tri-Grid soumis aux essais, et donc une certaine orientation dans la fourche.

[171]  Ce que ni le rapport de Tensar International Limited ni le rapport de l’Université de Bristol ne peuvent établir, c’est le degré ou la direction de l’orientation dans la fourche des produits Tri-Grid. Bien qu’une réduction de l’épaisseur à un endroit du polymère permette de déduire qu’un certain étirement s’est produit, et donc qu’il y a un certain degré d’orientation, elle n’établit pas le degré ni la direction de l’orientation. De même, les experts ont convenu que l’analyse photographique du microscope électronique à balayage (MEB) dans le rapport de l’Université de Bristol ne portait que sur les caractéristiques au niveau de la surface de l’échantillon de produits Tri-Grid et ne pouvait donc pas établir le degré ni la direction de l’orientation moléculaire dans l’échantillon.

[172]  Comme on l’a vu, pour qu’il y ait orientation moléculaire continue autour de la fourche, il faut établir qu’il y a un degré prédominant ou substantiel d’orientation moléculaire ininterrompue autour de la fourche. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve de ce genre.

[173]  Pour démontrer une contrefaçon de la revendication 18 et des revendications dépendantes, les demanderesses invoquent la doctrine Saccharin selon laquelle un brevet de procédé peut être contrefait par l’importation, l’utilisation et la vente au Canada d’un produit fabriqué à l’étranger par une autre personne utilisant le procédé breveté (Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2010 CAF 240, au paragraphe 18).

[174]  En raison de ma conclusion concernant la revendication 6, les demanderesses n’ont pas non plus réussi à établir la contrefaçon de la revendication 18 et des revendications dépendantes relatives à la méthode, soit les revendications 19 à 31.

A.  Preuve de la défenderesse

[175]  En plus de la preuve présentée par les demanderesses, qui n’établit pas la contrefaçon selon la prépondérance des probabilités, la défenderesse a également présenté une preuve qui appuie, quoique dans une certaine mesure, une conclusion de non-contrefaçon.

[176]  M. Choi s’appuyait sur deux essais, un essai de calorimétrie différentielle à balayage [l’essai CBD] et un essai de diffusion des rayons X à grand angle [l’essai WAXS], qui ont été effectués à l’aide d’un échantillon de produits Tri-Grid. M. Choi a également effectué un essai de spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier à réflectance totale atténuée [l’essai FTIR]. Toutefois, en raison des résultats irréguliers obtenus avec l’essai FTIR, M. Choi n’en a tiré aucune conclusion.

[177]  M. Choi a utilisé l’essai CBD pour déterminer la forme de la cellule unitaire présente dans l’échantillon de produits Tri-Grid de même que le degré de cristallinité. L’essai CBD utilise la température de fusion d’un polymère en phase cristalline pour déterminer le degré de cristallinité de ce polymère à un endroit particulier.

[178]  L’essai CBD a permis de mesurer le degré de cristallinité de deux échantillons prélevés dans les zones des fourches, qui a été établi à 51,5 et à 53,6 pour cent, respectivement. Il y avait donc presque 50 pour cent de matière amorphe dans ces zones. Sur cette base, M. Choi a conclu que toutes les crystallites n’étaient pas orientées dans la direction tangentielle à la courbure de la fourche, en raison des interruptions attribuables à la phase amorphe.

[179]  M. Choi a utilisé l’essai WAXS pour déterminer l’orientation des différents plans cristallins dans la phase cristalline. L’essai WAXS est effectué en dirigeant un faisceau de rayons X dans l’échantillon. Le faisceau réagit aux molécules à l’intérieur du polymère et se diffuse dans une direction; le degré de cristallinité de l’échantillon influe sur la mesure dans laquelle le faisceau est diffusé.

[180]  M. Choi a déclaré que les résultats de l’essai WAXS montrent, sur la base de la variation de la quantité de diffusion, qu’il existe différents degrés de cristallinité dans les molécules autour de la fourche ainsi qu’une asymétrie dans la façon dont les plans cristallins sont orientés dans la direction contournant la fourche. Sur cette base, M. Choi a conclu que l’essai WAXS a démontré que l’échantillon ne présentait pas d’orientation moléculaire continue dans la direction contournant la fourche.

[181]  Sur le fondement de ces essais, M. Choi a conclu à l’absence d’orientation moléculaire continue dans la direction contournant la fourche de l’échantillon de produits Tri-Grid.

[182]  Les demanderesses contestent la méthodologie que M. Choi a utilisée, parce qu’il n’a pas mesuré le degré de cristallinité de la feuille de matériau de départ utilisée pour fabriquer l’échantillon de produits Tri-Grid. Les experts ont convenu que le degré de cristallinité peut varier d’une feuille de matériau départ à l’autre. Les demanderesses soutiennent donc que le fait de ne pas avoir mesuré le degré de cristallinité de la feuille de matériau de départ minimise l’utilité de l’approche de M. Choi.

[183]  Interrogé sur ce point en contre-interrogatoire, M. Choi a déclaré que, parce qu’il mesurait la quantité relative de cristallites dans les échantillons à différents endroits par rapport à la quantité de cristallites présente aux jonctions de l’échantillon, qui a été soumis à un étirement moindre, il était inutile de mesurer l’état de la feuille de matériau de départ. J’accepte que M. Choi n’a pas commis d’erreur en ne mesurant pas le degré de cristallinité de la feuille de matériau de départ.

[184]  Cependant, il y a beaucoup d’incertitude quant à l’emplacement des sous-échantillons employés par M. Choi, et cette incertitude diminue considérablement le poids que je peux accorder aux essais de M. Choi.

[185]  M. Choi a effectué les essais CBD et WAXS à l’aide de sept sous-échantillons prélevés à divers endroits sur l’échantillon de produits Tri-Grid; deux des sous-échantillons sont illustrés dans l’extrait ci-dessous de la figure 1 du premier rapport de M. Choi.

Zone de Texte:  Figure 1. Nomenclatures des sous-échantillons

[186]  À l’interrogatoire principal, M. Choi a désigné les sous-échantillons 1-2 et 2-2, illustrés ci-dessus, comme ayant été prélevés dans la zone de la fourche de l’échantillon. Toutefois, lors du contre-interrogatoire, on a signalé à M. Choi que dans la figure ci-dessus, le cercle dessiné pour représenter le sous-échantillon 2-2 ne couvrait aucune partie de la zone de la fourche et que le cercle dessiné pour représenter le sous-échantillon 1-2 est largement tracé sur une partie qui ne couvre pas la zone de la fourche.

[187]  M. Choi a répondu en précisant que, pendant la préparation du rapport, l’étudiant diplômé sous sa supervision s’était trompé en dessinant les cercles aux mauvais endroits. M. Choi a indiqué au moyen d’un surligneur vert les zones d’où lui et son assistant de recherche avaient effectivement prélevé les sous-échantillons 1-2 et 2-2. Les deux zones surlignées dessinées par M. Choi couvraient la zone de la fourche de l’échantillon tout en la dépassant de beaucoup.

[188]  En conséquence, il existe une grande incertitude quant aux endroits où les sous‑échantillons mis à l’essai par M. Choi ont été prélevés, et s’il s’agit bien de sous‑échantillons de la zone de fourche; ces résultats devraient donc avoir un poids minimal. Néanmoins, les essais n’offrent qu’un appui supplémentaire limité à la conclusion que les produits Tri-Grid ne présentent pas d’orientation continue dans la direction contournant la fourche.

XIII.  Dépens

[189]  Étant donné que je conclus qu’il n’y a pas eu contrefaçon des réclamations en litige, les dépens sont adjugés à la défenderesse et doivent être taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T-1930-13

LA COUR STATUE que :

1.   les revendications 6 à 8, 11 à 13 et 18 à 31 du brevet 858 ne sont pas évidentes et sont valides;

2.   les revendications 6 à 8, 11 à 13 et 18 à 31 du brevet 858 ne sont pas contrefaites par la défenderesse;

3.  les dépens sont adjugés à la défenderesse et sont taxés selon le milieu de la colonne IV du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juin 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1930-13

 

INTITULÉ :

TENSAR TECHNOLOGIES LTD c ENVIRO-PRO GEOSYNTHETICS LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuébeC)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

du 4 au 7 FÉVRIER 2019

LE 12 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Bob Sotiriadis

Camille Aubin

POUR LES DEMANDERESSES

Robert McDonald

POUR La DÉFENDEResse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBIC LLP

Montréal (Québec)

pour les demanderesses

 

Bennett Jones LLP

Edmonton (Alberta)

pour la défenderesse

 

 

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