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Date : 20190318


Dossier : T‑1966‑17

Référence : 2019 CF 329

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2019

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

KIPLING CONRAD SINGH WARNER

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente requête en jugement sommaire rejetant la demande du demandeur sera accueillie, au motif que la demande est frappée de prescription.

[2]  Le demandeur, Kipling Warner (M. Warner), affirme que, alors qu’il était officier en formation (sous‑lieutenant), le capitaine William Annand (le capitaine Annand), ancien capitaine‑adjudant du régiment Seaforth Highlanders, une unité bien connue de Vancouver, l’a diffamé dans des communications qu’il a eues avec d’autres membres de la chaîne de commandement de l’unité. Ces communications portaient sur l’inscription ou l’absence d’inscription du demandeur aux cours de formation des officiers.

[3]  La défenderesse a soulevé deux motifs pour justifier la requête en rejet, à savoir que la demande était frappée de prescription et que la communication était l’objet d’une immunité relative.

II.  Le contexte

[4]  La Couronne s’est assujettie aux règles de droit provinciales en matière de prescription :

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50

Règles applicables

Provincial laws applicable

32 Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32 Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

[5]  De même, la Cour fédérale utilise la disposition provinciale applicable en matière de prescription :

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7

Prescription — Fait survenu dans une province

Prescription and limitation on proceedings

39 (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

39 (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

[6]  En Colombie‑Britannique, la province concernée, le délai de prescription applicable est de deux ans :

Limitation Act, SBC 2012, c 13

[traduction]

Délai de prescription de base

6 (1) Sous réserve de la présente loi, une procédure judiciaire relative à une réclamation se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle les faits donnant naissance à la réclamation sont découverts.

(2) Le délai de prescription de deux ans établi au titre du paragraphe (1) du présent article ne s’applique pas à une procédure judiciaire visée à l’article 7.

[7]  Fait important, le Limitation Act, SBC 2012, c 13 (le Limitation Act), prévoit un cadre relatif à la possibilité de découvrir qui est fondé sur les connaissances (réelles ou présumées) :

[traduction]

Règles générales en matière de découverte

8 À l’exception des situations spéciales visées aux articles 9 à 11, une personne découvre les faits donnant naissance à une réclamation le premier jour où elle connaissait ou aurait raisonnablement dû connaître tous les éléments suivants :

a) qu’un préjudice, une perte ou des dommages sont survenus;

b) que le préjudice, la perte ou les dommages ont été causés en totalité ou en partie par un acte ou une omission;

c) que l’acte ou l’omission est le fait de la personne contre laquelle est présentée ou pourrait être présentée la réclamation;

d) que, compte tenu de la nature du préjudice, de la perte ou des dommages, l’introduction d’une instance judiciaire serait un moyen approprié pour demander une réparation.

[8]  Ce délai de prescription de deux ans est également conforme à la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 (la Loi sur la défense nationale), qui est applicable à la présente instance :

Prescription

Limitation or prescription period

269 (1) Se prescrivent par deux ans à compter de l’acte, de la négligence ou du manquement les actions :

269 (1) Unless an action or other proceeding is commenced within two years after the day on which the act, neglect or default complained of occurred, no action or other proceeding lies against Her Majesty or any person for

a) pour tout acte accompli en exécution — ou en vue de l’application — de la présente loi, de ses règlements ou de toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle;

(a) an act done in pursuance or execution or intended execution of this Act or any regulations or military or departmental duty or authority;

b) pour toute négligence ou tout manquement dans l’exécution de la présente loi, de ses règlements ou de toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle;

(b) any neglect or default in the execution of this Act or any regulations or military or departmental duty or authority; or

c) pour tout acte, négligence ou manquement accessoire à tout acte, négligence ou manquement visé aux alinéas a) ou b), selon le cas.

(c) an act or any neglect or default that is incidental to an act, neglect or default described in paragraph (a) or (b).

[9]  Pour déterminer si M. Warner s’était inscrit à un cours militaire, le capitaine‑adjudant qui a remplacé le capitaine Annand, le capitaine Davey, a envoyé un courriel à M. Warner le 1er avril 2015. Dans ce courriel, le capitaine Davey citait un autre courriel que le capitaine Annand avait envoyé au capitaine Davey et à deux autres officiers, dans lequel le capitaine Annand avait fait des déclarations critiques au sujet de M. Warner et de la façon dont il s’était occupé de l’inscription aux cours.

[10]  Le même jour, M. Warner a écrit à l’adjudant Dunn pour lui dire qu’il avait reçu le courriel du capitaine Davey daté du 1er avril 2015, et il a prétendu que les remarques du capitaine Annand étaient diffamatoires.

[11]  Toujours le 1er avril, M. Warner a présenté une demande au titre de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (l’AIPRP) pour obtenir [traduction« tous les documents opérationnels ou de nature transitoire » concernant son inscription aux cours, l’annulation d’une inscription ou toute autre activité liée à un cours en particulier.

[12]  Le 16 juin 2015, M. Warner a reçu la réponse à la demande au titre de l’AIPRP. Le courriel offensant cité par le capitaine Davey dans son courriel du 1er avril 2015 et sur lequel M. Warner s’appuie dans sa poursuite se trouvait dans les dossiers.

[13]  Toutefois, M. Warner n’a pas examiné les dossiers avant avril 2017.

[14]  En réponse à la demande d’excuses de M. Warner, datée du 1er mai 2017, l’avocat du ministère de la Défense nationale (le MDN) a demandé à M. Warner de s’abstenir, provisoirement, d’intenter une action en justice, afin que le MDN puisse examiner l’affaire. La lettre du MDN indiquait clairement qu’elle avait été rédigée [traduction« sous toutes réserves » et qu’elle [TRADUCTION] « ne devait pas être considérée comme une renonciation à quelque délai de prescription applicable que ce soit ».

[15]  Le demandeur a intenté une action le 16 octobre 2017 devant la Cour des petites créances de la Colombie‑Britannique. Ensuite, le 15 décembre 2017, il a intenté la présente action devant la Cour fédérale.

[16]  Le 21 mars 2018, le demandeur a été autorisé à modifier sa demande pour y ajouter, entre autres choses, une demande d’injonction.

[17]  La défenderesse a déposé sa défense et a présenté la requête en jugement sommaire.

III.  Analyse

[18]  Le droit sur les jugements sommaires concernant ce genre de question, celui des délais de prescription, est bien établi. Si un délai de prescription est en vigueur, le succès de la demande  est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée dans le cadre d’un éventuel procès (Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd (1re inst), [1996] 2 CF 853, 62 ACWS (3d) 1095, au paragraphe 8). Dans l’arrêt Riva Stahl GmbH c Combined Atlantic Carriers GmbH, [1999] ACF no 762, 243 NR 183, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la Cour pouvait rendre un jugement sommaire sur la base d’un délai de prescription expiré.

[19]  Le demandeur a soulevé certains arguments techniques selon lesquels les affidavits ne contenaient pas un constat d’assermentation approprié, parce qu’il était impossible d’établir avec certitude si le déclarant avait juré ou affirmé les faits contenus dans l’affidavit.

[20]  Premièrement, il est possible d’établir les faits nécessaires à partir de l’affidavit de M. Warner et des dossiers obtenus au titre de l’AIPRP, sans tenir compte des affidavits contestés.

[21]  Deuxièmement, la question de l’assermentation ou de l’affirmation des faits contenus dans les affidavits ne constitue pas une question de fond. Une difficulté technique mineure comme celle‑ci peut être résolue au moyen de l’article 55 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, qui permet d’exempter une partie de l’application d’une règle dans des circonstances spéciales. Il s’agit d’une situation où l’article 55 des Règles peut s’appliquer et s’applique effectivement.

[22]  Tous les faits pertinents et les commentaires offensants étaient connus du demandeur le 1er avril 2015. Il était conscient de leur nature diffamatoire alléguée.

[23]  Aux termes de l’article 8 du Limitation Act de la Colombie‑Britannique, la règle sur la possibilité de découvrir prévoit qu’une personne découvre les faits donnant naissance à une réclamation le premier jour où elle savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un préjudice, une perte ou des dommages ont été causés par un acte ou une omission d’une personne contre qui la réclamation est présentée, et qu’une instance judiciaire pourrait s’avérer appropriée.

[24]  En date du 1er avril 2015, le demandeur était au courant des communications diffamatoires alléguées du capitaine Annand et de leur contenu. La période dont il disposait pour intenter une action débutait ce jour‑là et se terminait le 1er avril 2017. Le demandeur a intenté une action le 16 octobre 2017 et, par conséquent, son action est frappée de prescription.

[25]  Sa demande d’injonction ne prolonge pas le délai. La demande concerne la diffamation; l’injonction n’est qu’une des réparations demandées. La diffamation n’est pas un délit continu.

[26]  À mon avis, il n’y a pas de véritable question litigieuse, parce que la demande est frappée de prescription, en application du paragraphe 6(1) du Limitation Act de la Colombie‑Britannique. Bien que cela n’ait pas été soulevé dans la requête, la demande pourrait être prescrite en raison du délai de prescription de deux ans prévu par la Loi sur la défense nationale.

[27]  Le demandeur a fait peu de cas des dossiers obtenus au titre de l’AIPRP, et cela a aggravé sa situation. Le contenu offensant était en sa possession, à tout le moins, le 15 juin 2015.

IV.  Conclusion

[28]  Par conséquent, à tous les égards, la demande du demandeur est frappée de prescription; la requête sera accueillie, et la demande sera rejetée avec dépens.

[29]  Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens relatifs à l’immunité relative.


JUGEMENT dans le dossier T‑1966‑17

LA COUR STATUE que la demande présentée par le demandeur est frappée de prescription. La requête en jugement sommaire est accueillie, et la demande est rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1966‑17

 

INTITULÉ :

KIPLING CONRAD SINGH WARNER c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 18 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Mathew Good

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aman Sanghera

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Good Barrister

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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