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Date : 20190319


Dossier : IMM‑3648‑18

Référence : 2019 CF 333

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SICELIWE TENHLANHLA HLUBI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Siceliwe Tenhlanhla Hlubi (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), rendue le 20 juin 2018, selon laquelle elle n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Le contexte

[3]  La demanderesse est une citoyenne du Swaziland qui cherche à obtenir l’asile en raison d’allégations de persécution fondée sur le sexe, en tant que victime de violence conjugale.

[4]  La demanderesse raconte qu’elle s’est mariée en 1999 sans l’approbation de sa famille et que, par conséquent, celle‑ci l’a rejetée. La demanderesse raconte qu’en 2008, elle a découvert que son époux abusait de l’alcool et qu’il était infidèle. Elle raconte qu’il a commencé à exercer de la violence psychologique à son encontre, notamment en l’insultant et en l’injuriant. En 2010, l’époux de la demanderesse a reçu un diagnostic de VIH et de tuberculose. La demanderesse raconte que son époux est devenu plus agressif à cause de ses médicaments. Elle ajoute qu’après son rétablissement en 2011, il l’a battue et l’a forcée à avoir des relations sexuelles non protégées. Il a également continué d’amener d’autres femmes à leur domicile. La demanderesse affirme que la police ne l’a pas aidée, considérant cela comme une affaire familiale. La demanderesse a quitté son époux et ses deux enfants, et elle est arrivée au Canada en avril 2012.

II.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[5]  La SPR a jugé que la question déterminante était la crédibilité, puis elle a conclu que la demanderesse avait inventé les allégations à l’origine de sa demande d’asile. La SPR a déclaré que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[6]  La SPR a souligné que la demanderesse avait déposé l’ensemble de ses documents quelques jours seulement avant l’audience, malgré le fait qu’elle était au Canada depuis plus de six ans. La SPR a rejeté l’explication de la demanderesse concernant le dépôt tardif des documents, et elle a fait remarquer que la demanderesse connaissait bien le processus d’immigration et qu’elle avait reçu l’avis de son audience suffisamment à l’avance pour fournir les documents en temps opportun. La SPR a mentionné que la demanderesse avait été représentée par un conseil et qu’elle avait retenu les services d’un nouveau conseil au cours de la dernière année, lequel l’avait encouragée à soumettre ses documents. L’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait l’intention d’apporter les documents à l’audience n’était pas raisonnable. La SPR a fait remarquer que, par suite du dépôt tardif des documents, il serait accordé peu de poids à certains d’entre eux.

[7]  Malgré ses préoccupations concernant le dépôt tardif des documents, la SPR a apprécié chaque document; elle a ensuite tiré des conclusions précises quant à la crédibilité.

[8]  Au début, la SPR a fait remarquer qu’elle ne pouvait pas vérifier la provenance des documents liés à l’identité de la demanderesse, de ses dossiers médicaux ou des affidavits soumis. La SPR a ensuite examiné tous les documents et elle a conclu qu’ils avaient peu ou pas de valeur probante et qu’ils soulevaient d’importantes préoccupations en matière de crédibilité.

[9]  La SPR a conclu qu’elle ne prêtait pas foi au témoignage ou à la preuve de la demanderesse et qu’elle ne croyait pas qu’elle était victime de violence conjugale. La SPR a conclu que la demanderesse avait inventé les allégations à l’origine de sa demande d’asile.

III.  Les observations de la demanderesse

[10]  La demanderesse soutient que la SPR s’est concentrée sur le fait que ses documents avaient été déposés en retard et qu’elle n’a pas apprécié ses documents de façon objective. Elle soutient que la SPR a souligné à maintes reprises que les documents avaient été déposés en retard, de sorte qu’il est impossible de déterminer si la SPR a fondé ses conclusions sur l’examen des documents ou sur leur dépôt tardif. La demanderesse soutient que la pertinence ou la crédibilité d’un document n’est pas affectée par le fait qu’il a été déposé en retard.

[11]  La demanderesse soutient en outre que la SPR a commis une erreur en concluant que les affidavits étaient irréguliers, sans faire référence à la preuve sur la situation dans le pays quant à la façon dont les affidavits sont souscrits et dont les cartes d’identité nationale sont vérifiées au Swaziland. La demanderesse ajoute que la SPR a tiré des conclusions spéculatives concernant ses autres éléments de preuve, y compris l’affidavit de la femme de ménage de la demanderesse et le certificat médical du fils de la demanderesse.

IV.  Les observations du défendeur

[12]  Le défendeur fait remarquer que le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Le défendeur fait remarquer que la demanderesse n’a pas expliqué de façon raisonnable le retard à déposer ses documents. Le défendeur fait remarquer que la demanderesse était au Canada depuis plus de six ans avant l’audience de la SPR et que le dossier comprend les avis envoyés à la demanderesse lui enjoignant clairement de soumettre tous ses documents au moins dix jours avant l’audience.

[13]  Le défendeur soutient que la décision de la SPR est claire. Premièrement, la SPR a exposé ses préoccupations concernant le retard des documents et sa conclusion selon laquelle l’explication de la demanderesse n’était pas raisonnable. Deuxièmement, la SPR a apprécié tous les éléments de la preuve documentaire ainsi que le témoignage de la demanderesse avant de tirer des conclusions précises, qui sont toutes raisonnables.

V.  La question en litige et la norme de contrôle

[14]  La question en litige est de savoir si la décision de la SPR, qui est fondée sur la conclusion que la demande d’asile de la demanderesse n’était pas crédible, est raisonnable.

[15]  La norme de contrôle des questions de fait ainsi que des questions mixtes de fait et de droit est le caractère raisonnable. Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour cherche si elle tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et examine « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il faut faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne soupèsera pas à nouveau les éléments de preuve.

[16]  La crédibilité est une question de fait. En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité, il est bien établi que les conseils et les tribunaux — c’est‑à‑dire les décideurs qui entendent le témoignage et examinent les éléments de preuve — sont les mieux placés pour apprécier la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 732 (QL), 160 NR 315 (CA), au paragraphe 4. Il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de leurs conclusions quant à la crédibilité : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329 (QL), au paragraphe 13; Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, 415 FTR 82, au paragraphe 65; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43, au paragraphe 7.

[17]  Dans Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF nº 369 (QL) (Rahal), aux paragraphes 41 à 46, la juge Mary Gleason a résumé les principes clés de la jurisprudence en matière de crédibilité. La juge Gleason a expliqué pourquoi le rôle de la Cour dans l’examen des conclusions relatives à la crédibilité était si limité, au paragraphe 42 :

Premièrement — et il s’agit probablement du point le plus important — il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...]

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF nº 1107, au paragraphe 2).

VI.  La décision est raisonnable

[18]  Comme il a été mentionné précédemment, il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de la SPR quant à la crédibilité. La SPR a eu l’occasion d’interroger la demanderesse et d’examiner ses réponses. La SPR a conclu que ces réponses n’étaient pas crédibles et que ses explications n’étaient pas raisonnables.

[19]  En ce qui concerne la question de savoir si la SPR a été influencée par le dépôt tardif des documents dans son appréciation de leur crédibilité, la SPR a d’abord abordé la question du retard, puis a abordé la question de la crédibilité, indépendamment du dépôt tardif des documents. La SPR a raisonnablement conclu que l’explication donnée par la demanderesse pour avoir déposé les documents en retard n’était pas raisonnable. En fait, ce n’était pas du tout une explication. Elle a plutôt déclaré qu’elle pensait pouvoir apporter les documents à l’audience. Cela ne tient pas compte des avis qui lui avaient été envoyés, qui l’informaient qu’elle devait déposer ses documents 10 jours avant l’audience. Bien que la SPR ait fait remarquer que les documents se verraient accorder peu de valeur probante en raison de leur dépôt tardif, elle a ensuite apprécié minutieusement chaque document et elle a pris en considération le témoignage de la demanderesse par rapport aux documents.

[20]  Je n’ai pas à déterminer s’il est raisonnable pour un décideur de tirer des conclusions quant à la crédibilité en se fondant uniquement sur le dépôt tardif des documents à l’appui, parce que ce n’est pas ce que la SPR a fait en l’espèce. Contrairement aux observations de la demanderesse, l’appréciation des documents par la SPR était fondée sur des critères objectifs, et non influencée par le dépôt tardif. La SPR a fourni des motifs clairs justifiant sa conclusion selon laquelle les documents manquaient de crédibilité.

[21]  La SPR a conclu que l’affidavit de Thoko Gwebu, une amie de la demanderesse, décrivait d’autres incidents et détails des sévices subis par la demanderesse qui n’ont pas été rapportés par la demanderesse dans son propre exposé circonstancié. La SPR a souligné que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi ces renseignements supplémentaires avaient été inclus, et qu’elle n’avait pas non plus cherché à mettre à jour son exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile, pour y inclure les incidents ou les détails. La SPR a conclu que l’affidavit avait été rédigé pour renforcer la demande d’asile de la demanderesse. La SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable de l’affidavit.

[22]  De plus, la SPR a souligné que l’affidavit de Thoko Gwebu avait été souscrit le 16 mai 2018, mais que la carte d’identité nationale de la déposante avait été certifiée par un autre commissaire à l’assermentation un mois avant l’affidavit et à un autre endroit.

[23]  Il a aussi été jugé que les affidavits de trois autres personnes présentaient les mêmes lacunes : l’affidavit et la carte d’identité nationale avaient été assermentés à différents moments et à différents endroits. La SPR a raisonnablement conclu qu’il n’était pas plausible que les déposants fassent certifier leur carte d’identité nationale à des moments différents de ceux où les affidavits avaient été assermentés. La SPR a également raisonnablement conclu qu’il n’était pas plausible que les déposants fassent certifier leur carte d’identité nationale des semaines ou un mois avant que la demanderesse n’ait même demandé qu’ils fournissent un affidavit à l’appui de sa demande. Ces conclusions relatives à la plausibilité relèvent tout à fait du domaine d’expertise de la SPR et ne commandent pas de preuve de la situation dans le pays quant à la façon dont les affidavits sont souscrits au Swaziland.

[24]  La SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas dit la vérité au sujet de la façon dont elle avait obtenu d’autres documents. La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse selon lequel sa femme de ménage avait recueilli les dossiers médicaux de l’époux de la demanderesse à son domicile était invraisemblable. La SPR a souligné que l’affidavit de la femme de ménage indiquait qu’elle redoutait l’époux de la demanderesse, qui l’avait menacée. La SPR n’a pas cru que la femme de ménage continuerait de travailler chez la demanderesse longtemps après le départ de cette dernière du pays et qu’elle prendrait le risque de recueillir les documents, compte tenu des menaces alléguées de l’époux de la demanderesse. La SPR a également raisonnablement conclu qu’il était invraisemblable que la femme de ménage de la demanderesse ait pu prendre les documents de l’époux et les envoyer à la demanderesse sans se faire prendre.

[25]  La SPR a également conclu que le témoignage de vive voix de la demanderesse avait davantage sapé la véracité des affidavits. La SPR a souligné que la demanderesse avait déclaré que son époux savait depuis 2014 qu’elle vivait au Canada. Par conséquent, la SPR a conclu que les allégations selon lesquelles il aurait menacé la femme de ménage et d’autres personnes pour qu’elles divulguent les allées et venues de la demanderesse n’étaient pas crédibles.

[26]  La SPR n’a raisonnablement accordé aucun poids à un certificat médical relativement au fils de la demanderesse comme preuve de violence de la part de son époux. La SPR a fait remarquer que le certificat médical indiquait seulement que le patient s’était fracturé le bras, et non la façon dont la blessure avait été causée. La SPR a également mis en doute le certificat, parce que le sexe du patient était indiqué comme étant féminin et que la signature du médecin différait du nom figurant sur le timbre apposé. La SPR a raisonnablement rejeté l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait donné un nom féminin à son fils, notant, entre autres, que cela n’expliquait pas pourquoi un médecin qui avait effectivement vu son fils avait noté son sexe comme étant féminin.

[27]  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et à la vraisemblance sont clairement expliquées et répondent aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3648‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’il n’y a aucune question aux fins de la certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de mai 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3648‑18

 

INTITULÉ :

SICELIWE TENHLANHLA HLUBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 19 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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