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Date : 20190318


Dossier : T-735-18

Référence : 2019 CF 322

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JACQUELINE MIOR

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Jacqueline Mior, demande le contrôle judiciaire de la décision, en date du 22 mars 2018, par laquelle la ministre du Revenu national (la ministre) a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 (5e suppl) (la LIR) afin de renoncer à la pénalité pour faute lourde qui lui a été imposée ou de l’annuler (la décision). La décision a été rendue par un délégué de la ministre, soit un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse a été aiguillée, à l’hiver 2009, par un collègue de travail de son époux vers l’entreprise de préparation de déclarations de revenus Fiscal Arbitrators.

[3]  Fiscal Arbitrators a indiqué à la demanderesse pouvoir lui fournir des services légitimes de planification fiscale afin de minimiser légalement l’impôt à payer sur son revenu imposable.

[4]  La demanderesse a retenu les services de Fiscal Arbitrators pour préparer et produire sa déclaration de revenus des particuliers de 2009 et a payé 500 $ pour ce service.

[5]  Fiscal Arbitrators a produit la déclaration de 2009 de la demanderesse dans laquelle une perte d’entreprise nette de 522 977,50 $ est déclarée.

[6]  Au moyen de lettres datées du 8 novembre 2010 et du 24 mars 2011, l’ARC a avisé la demanderesse que sa déclaration de 2009 avait été sélectionnée pour examen et lui a demandé des renseignements sur ses activités commerciales. La demanderesse a envoyé des réponses dans des lettres datées du 1er décembre 2010 et du 18 avril 2011 mais, de façon générale, elle n’a pas fourni les renseignements demandés.

[7]  L’ARC a envoyé un avis de cotisation le 12 juillet 2011 (la cotisation), dans lequel elle refusait les pertes d’entreprise déclarées et imposait, au titre du paragraphe 163(2) de la LIR, une pénalité pour faute lourde de 97 280,54 $ ainsi que les intérêts applicables.

[8]  Après avoir reçu l’avis de cotisation, la demanderesse a communiqué avec Fiscal Arbitrators, qui a préparé au nom de la demanderesse un avis d’opposition à la cotisation.

[9]  L’ARC a rejeté l’avis d’opposition et a confirmé la cotisation.

[10]  À ce moment, la demanderesse a pris conscience de la fraude commise par Fiscal Arbitrators. Cette fraude est décrite dans la décision R c Watts, 2016 ONSC 4843. Dans cette affaire, Lawrence Watts, l’un des dirigeants de Fiscal Arbitrators, a été reconnu coupable d’un chef de fraude d’un montant dépassant 5 000 $, infraction prévue à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, LRC 1985, ch C-46, pour avoir déclaré plus de 60 millions de dollars de pertes d’entreprise non existantes au nom de 241 contribuables. M. Watts a reçu une peine de six ans d’emprisonnement et s’est vu imposer une amende d’environ 150 000 $.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Le 7 octobre 2014, la demanderesse a présenté une demande initiale d’allègement pour le contribuable à l’égard de la pénalité pour faute lourde imposée dans la cotisation. Cette demande était fondée sur (1) des difficultés financières et (2) des circonstances exceptionnelles, à savoir que la demanderesse a été victime d’une fraude commise par Fiscal Arbitrators.

[12]  Le 13 janvier 2016, l’ARC a informé la demanderesse que sa demande initiale avait été refusée. Cette décision a été prise au motif que : (1) la demanderesse n’a pas fourni les documents financiers que l’ARC avait demandés, de sorte que l’ARC ne pouvait pas évaluer les difficultés financières; (2) les pénalités et l’intérêt imposés découlaient directement de la négligence de la demanderesse et, par conséquent, il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle.

[13]  Le 14 octobre 2016, la demanderesse a présenté une demande d’allègement au deuxième palier uniquement fondée sur les circonstances relatives à Fiscal Arbitrators. La demanderesse a demandé une réduction de 75 % de la pénalité imposée à son égard, qui passerait de 97 280,54 $ à 24 455,13 $.

[14]  L’ARC a ensuite demandé à la demanderesse de fournir une justification pour la réduction de 75 %. Dans une lettre datée du 24 février 2018, la demanderesse a répondu qu’une réduction de 75 % permettrait d’atteindre l’objectif d’intérêt public de prévenir la faute lourde, tout en réduisant la sévérité disproportionnée d’une lourde amende imposée aux victimes de fraude.

[15]  Le 22 mars 2018, la ministre a rejeté la demande d’allègement au deuxième palier.

[16]  La section concluante de la décision est reproduite ci-dessous :

[traduction] […] Notre régime fiscal d’autocotisation repose sur la déclaration honnête et complète de son revenu imposable par le contribuable, peu importe qui prépare sa déclaration. Vous avez signé aveuglément votre déclaration, déclarant des pertes d’entreprise, sur laquelle figurait la mention « par » avant le contestataire d’impôt. Bien qu’on vous ait assuré que les méthodes de Fiscal Arbitrators étaient légales et irréprochables, la clause de non-responsabilité dont vous deviez prendre connaissance et à laquelle vous deviez consentir indiquait tout le contraire. Le formulaire de demande et l’avis de non-responsabilité de Fiscal Arbitrators indiquent explicitement que tous les renseignements et documents sont strictement à des fins éducatives et privées. Que les représentants, les agents, etc. de Fiscal Arbitrators ne sont pas des avocats, des parajuristes, des comptables agréés, des comptables, des consultants fiscaux ou des conseillers juridiques, et que les demandeurs doivent exonérer Fiscal Arbitrators de toute responsabilité. Vous auriez dû savoir que quelque chose n’allait pas quand vous avez reçu les lettres de l’ARC. Une solution responsable aurait été de demander l’avis d’une tierce partie indépendante au sujet d’un spécialiste en déclaration de revenus que vous ne connaissiez pas.

La responsabilité incombe également au contribuable d’examiner et de comprendre toute correspondance reçue de l’ARC ou envoyée à cette dernière. Vous avez envoyé aveuglément des lettres de réponse déjà préparées et dénuées de sens, qui ne traitaient pas des questions soulevées. En outre, vous étiez au courant de ces réponses qui dataient du 1er décembre 2010 et du 18 avril 2011.

Votre demande de réduction de la pénalité pour faute lourde de 75 % au motif qu’elle est trop sévère correspond à une description de la situation et ne constitue pas un fondement pour déterminer le montant de la réduction. Le paragraphe 21 de la circulaire d’information IC07‑1R1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables », avise les contribuables qu’ils ne devraient pas utiliser les dispositions relatives à l’allègement pour les contribuables comme un moyen de réduire ou de régler de façon arbitraire leur impôt à payer.

Nous sommes d’avis que votre demande de réduction de 75 % de la pénalité pour faute lourde ne repose sur aucun fondement.

Comme vous n’avez pris aucune mesure qu’aurait prise une personne responsable pour s’acquitter de ses obligations en vertu du régime d’autocotisation, l’allègement de la pénalité pour faute lourde de 2009 n’est pas justifié en l’espèce.

[17]  La demanderesse a payé la pénalité et les intérêts exigibles. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision.

IV.  Questions en litige

[18]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne déposant pas d’affidavit à l’appui?
  2. La ministre a-t-elle entravé son pouvoir discrétionnaire en considérant les lignes directrices comme obligatoires?
  3. La ministre a-t-elle commis une erreur en s’appuyant sur des faits non fondés ou des facteurs non pertinents?
  4. La ministre a-t-elle commis une erreur en refusant d’accorder un allègement à la demanderesse?

V.  Norme de contrôle

[19]  Le contrôle des décisions discrétionnaires du ministre au titre du paragraphe 220(3.1) de la LIR se fait selon la norme de la décision raisonnable (Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 20 [Stemijon]).

[20]  Toutefois, une décision découlant d’un pouvoir discrétionnaire entravé est, en soi, déraisonnable, comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stemijon, précité, aux paragraphes 24 et 25 :

[24]  L’arrêt Dunsmuir réaffirme un principe primordial bien établi : « tout exercice de l’autorité publique procède de la loi » (paragraphes 27 et 28). Toute décision qui repose sur une autre source que la loi, par exemple une décision qui se fonde uniquement sur un énoncé de politique informel sans égard à la loi, ne peut pas appartenir aux issues acceptables pouvant se justifier et donc être raisonnables selon la définition formulée dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est en soi déraisonnable.

[25]  Dans les circonstances de l’espèce, si le ministre ne s’est pas appuyé sur la disposition qui était la source de son pouvoir, à savoir le paragraphe 220(3.1) de la Loi, et qu’il a plutôt entravé son pouvoir discrétionnaire en ne prenant en compte que les trois scénarios spécifiquement énoncés dans la circulaire d’information, ses décisions ne peuvent être considérées comme étant raisonnables selon l’arrêt Dunsmuir.

VI.  Dispositions pertinentes

[21]  Le paragraphe 163(2) de la LIR permet au ministre d’imposer des pénalités à quiconque, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus. Les dispositions liminaires du paragraphe 163(2) de la LIR sont ainsi rédigées :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[22]  Le paragraphe 220(3.1) de la LIR confère au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités et aux intérêts payables en vertu de la LIR ou de les annuler :

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

[23]  L’ARC a élaboré des lignes directrices administratives pour orienter l’application de ce pouvoir discrétionnaire, soit la circulaire d’information IC07-1R1 Dispositions d’allègement pour les contribuables (les lignes directrices).

[24]  Le paragraphe 23 des lignes directrices décrit les circonstances qui peuvent justifier un allègement spécial :

23. Le ministre du Revenu national peut accorder un allègement des pénalités et des intérêts dans les situations suivantes si elles justifient l’incapacité du contribuable à respecter une obligation ou une exigence fiscale :

a. Circonstances exceptionnelles

b. Actions de l’ARC

c. Incapacité de payer ou difficultés financières

[25]  Le paragraphe 25 des lignes directrices décrit en détail les circonstances exceptionnelles qui peuvent justifier un allègement spécial :

25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, si elles découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi comprennent, sans en exclure d’autres, les suivantes :

a. Catastrophes naturelles ou d’origine humaine, telles qu’une inondation ou un incendie.

b. Troubles publics ou interruptions de services, tels qu’une grève des postes.

c. Maladies ou accidents graves.

d. Troubles émotifs sévères ou souffrances morales graves, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

[26]  Comme il est indiqué dans les lignes directrices, le pouvoir discrétionnaire du ministre ne se limite pas aux trois scénarios énoncés dans les lignes directrices (Stemijon, au paragraphe 27).

VII.  Analyse

A.  Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne déposant pas d’affidavit à l’appui?

[27]  Un [traduction] « Certificat en réponse à une demande faite au titre de l’article 317 des Règles des Cours fédérales » a été déposé à la Cour le 3 mai 2018, dans lequel un délégué du ministre a attesté que les documents joints au dossier certifié du tribunal sont des copies conformes des documents demandés par la demanderesse (le certificat).

[28]  Le dossier du défendeur se compose entièrement de documents provenant du dossier certifié du tribunal.

[29]  La demanderesse affirme que le défendeur a commis une erreur en ne déposant pas dans son dossier d’affidavit à l’appui des documents contenus dans le dossier du tribunal, la privant ainsi de la possibilité de mener un contre-interrogatoire. Toutefois, les articles 309 et 310 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, permettent aux demandeurs et aux défendeurs d’inclure des documents du dossier certifié du tribunal dans leurs dossiers de demande sans qu’il soit nécessaire de joindre les documents à un affidavit (Cold Lake First Nations c Noel, 2018 FCA 72, aux paragraphes 26 et 30).

[30]  Le défendeur n’est pas tenu de déposer un affidavit si son intention est de se fonder uniquement sur le certificat. De plus, à cette étape tardive de l’instance, la demanderesse ne peut plus contester la nature de la preuve sur laquelle le défendeur s’appuie.

B.  La ministre a-t-elle entravé son pouvoir discrétionnaire en considérant les lignes directrices comme obligatoires?

[31]  La demanderesse soutient que la ministre a entravé son pouvoir discrétionnaire en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en considérant les lignes directrices comme obligatoires et, par conséquent, en concluant que la demande de réduction des pénalités pour faute lourde de la demanderesse n’était fondée sur aucun critère. Cet argument est fondé sur l’extrait suivant de la décision :

[traduction] […] Votre demande de réduction de la pénalité pour faute lourde de 75 % au motif qu’elle est trop sévère correspond à une description de la situation et ne constitue pas un fondement pour déterminer le montant de la réduction. Le paragraphe 21 de la circulaire d’information IC07-1R1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables », avise les contribuables qu’ils ne devraient pas utiliser les dispositions relatives à l’allègement pour les contribuables comme un moyen de réduire ou de régler de façon arbitraire leur impôt à payer.

Nous sommes d’avis que votre demande de réduction de 75 % de la pénalité pour faute lourde ne repose sur aucun fondement.

[32]  L’extrait ci-dessus indique simplement que la demanderesse n’a présenté aucun motif permettant de déterminer que le montant de la réduction demandée de la pénalité devrait être de 75 %. La ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

C.  La ministre a-t-elle commis une erreur en s’appuyant sur des faits non fondés ou des facteurs non pertinents?

[33]  La demanderesse soutient également que la ministre s’est fondée de façon déraisonnable sur douze faits non fondés pour arriver à la décision, dont certains faits se chevauchent, qui ne sont pas, selon elle, corroborés par le dossier de preuve. Cet argument semble reposer sur l’opposition non fondée à la preuve, que j’ai rejetée. J’aborderai néanmoins brièvement les points importants soulevés par la demanderesse par lesquels elle remet en question les éléments suivants de la décision :

  1. la demanderesse [traduction] « a signé aveuglément [sa] déclaration, dans laquelle étaient déclarées des pertes d’entreprise et sur laquelle figurait la mention “par” avant le contestataire d’impôt ». La conclusion de la ministre était raisonnable puisque (i) la demanderesse a bel et bien signé sa déclaration et la mention [traduction] « par » figurait avant la signature, (ii) la demanderesse a déclaré qu’elle croyait les déclarations de Fiscal Arbitrators et (iii) la demanderesse ne nie pas que les pertes d’entreprise étaient fictives;
  2. la demanderesse a dû [traduction] « consentir » à une entente type utilisée par Fiscal Arbitrators, même si elle n’avait devant elle qu’une copie non signée de l’entente. Cette inférence de la ministre était raisonnable puisque la demanderesse a retenu les services de Fiscal Arbitrators;
  3. [traduction] « les représentants, les agents, etc. de Fiscal Arbitrators ne sont pas des avocats, des parajuristes, des comptables agréés, des comptables, des consultants fiscaux ou des conseillers juridiques, et […] les demandeurs doivent exonérer Fiscal Arbitrators de toute responsabilité. » Cet énoncé était raisonnable, puisque l’agent renvoyait simplement au libellé de l’entente type;
  4. la demanderesse aurait dû savoir que quelque chose n’allait pas après la réception des lettres de l’ARC, ou le simple fait qu’elle a reçu des lettres de l’ARC, comme il est supposé dans la décision. Les lettres de l’ARC du 8 novembre 2010 et du 24 mars 2011 sont adressées à la demanderesse, et la demanderesse ne nie pas les avoir reçues. La conclusion était raisonnable;
  5. une solution responsable aurait été de demander l’avis d’une tierce partie indépendante. Cette conclusion de la ministre était raisonnable compte tenu des circonstances.
  6. la demanderesse était au courant des lettres datées du 1er décembre 2010 et du 30 août 2011 envoyées en son nom à l’ARC. Ces lettres ont été envoyées par courrier recommandé de la part de Jacqueline Mior, et il était raisonnable que la ministre conclue qu’elles provenaient de la demanderesse;
  7. la demanderesse avait une dette fiscale à la date de la décision. Cette conclusion n’est pas au cœur de la décision, et la demanderesse n’explique pas pourquoi elle serait déraisonnable.

[34]  La demanderesse soutient également que la ministre a tenu compte de facteurs non pertinents, à savoir des communiqués de presse de l’ARC ainsi qu’une entente type vierge utilisée par Fiscal Arbitrators. Les communiqués de presse inclus dans le certificat ne sont pas mentionnés dans la décision et, si jamais ils ont eu joué un rôle, celui-ci n’était pas central dans l’analyse de la ministre. De plus, il était raisonnable de la part de la ministre de déduire que la demanderesse aurait signé une telle entente type, et la demanderesse n’a pas soutenu qu’elle n’avait pas signé une telle entente.

[35]  Je conclus que la ministre ne s’est pas appuyée de façon déraisonnable sur des faits non fondés ou des facteurs non pertinents.

D.  La ministre a-t-elle commis une erreur en refusant d’accorder un allègement à la demanderesse?

[36]  Le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR doit être exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle, compte tenu de toutes les considérations pertinentes et sans qu’il soit tenu compte de considérations étrangères ou non pertinentes (Edwards c Canada, [2002] ACF n 841 (1re inst.), au paragraphe 14 [Edwards]). Les lignes directrices donnent des exemples, mais elles ne circonscrivent pas les circonstances dans lesquelles le ministre peut choisir d’exercer son pouvoir discrétionnaire (Stemijon, au paragraphe 27).

[37]  La demanderesse ne conteste pas la justesse juridique de la pénalité pour faute lourde imposée par la ministre en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR. Elle fait plutôt valoir que, compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’espèce, la ministre aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR, et que son manquement à cet égard était déraisonnable.

[38]  En particulier, la demanderesse fait valoir que la ministre a omis de façon déraisonnable de tenir compte de la preuve selon laquelle Fiscal Arbitrators avait commis une fraude et que la demanderesse était une victime de la fraude en question.

[39]  La demanderesse soutient également que la ministre n’a pas tenu compte des effets préjudiciables à long terme d’une pénalité aussi lourde et des épreuves qui en découlent pour elle. Toutefois, la demanderesse n’a déposé aucune preuve à l’appui d’une telle conclusion.

[40]   Le défendeur se fonde sur deux points pour soutenir que la décision de la ministre était raisonnable. Premièrement, le défendeur affirme que la décision de la ministre était raisonnable parce que la demanderesse savait ou aurait raisonnablement dû savoir que les pertes déclarées dans sa déclaration de revenus des particuliers étaient fausses.

[41]  Deuxièmement, le défendeur soutient que la Cour a tenu à plusieurs reprises des contribuables responsables des agissements des personnes désignées pour administrer leurs affaires financières (Fleet c Canada (Procureur général), 2010 CF 609, au paragraphe 29 [Fleet]). Ce principe est fondé sur le principe que les contribuables doivent s’informer des exigences en matière de production s’appliquant à leurs affaires financières, peu importe qu’ils aient recours à un représentant financier ou non.

[42]  J’estime que la décision de la ministre de refuser la demande d’allègement présentée par la demanderesse était raisonnable pour les motifs qui suivent.

[43]  Premièrement, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Stemijon, l’un des objets visés par le paragraphe 220(3.1) de la LIR est d’accorder un allègement en présence de circonstances atténuantes indépendantes du contrôle de la personne qui la sollicite (Stemijon, au paragraphe 50). En l’espèce, la demanderesse a signé son nom dans une déclaration de revenus faisant état de pertes d’entreprise fictives de 522 977,50 $. De plus, avant que l’ARC n’établisse l’avis de cotisation, la demanderesse avait reçu deux lettres de l’ARC demandant d’autres renseignements sur ses activités commerciales, et la demanderesse n’a pris aucune mesure pour interroger Fiscal Arbitrators au sujet de la validité des pertes d’entreprise déclarées. Le bon sens doit prévaloir pour établir ce qui constitue un comportement raisonnable en common law ou en equity et conclure que le fait que la demanderesse n’était pas au courant d’une déclaration d’importantes pertes d’entreprise fictives relativement à une entreprise inexistante défie la logique raisonnable ou toute crédibilité.

[44]  Il ne fait aucun doute qu’une fraude a été commise par les dirigeants de Fiscal Arbitrators. Toutefois, la demanderesse était également complice de cette fraude, ou n’en a, du moins jusqu’à un certain point, délibérément tenu aucun compte. Les circonstances en l’espèce qui ont mené à la pénalité pour faute lourde imposée à la demanderesse ne constituaient manifestement pas des circonstances indépendantes du contrôle de la demanderesse. Bien que le pouvoir discrétionnaire du ministre au titre du paragraphe 220(3.1) soit vaste et ne se limite certainement pas aux questions mettant en cause des circonstances échappant au contrôle du contribuable, la complicité de la demanderesse dans la fraude de Fiscal Arbitrators, ou son mépris délibéré à l’égard de la fraude, tend à établir qu’il était raisonnable que la ministre décide de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

[45]  Deuxièmement, le principe énoncé dans la décision Fleet, précitée, selon lequel les contribuables devraient être tenus responsables des agissements des personnes désignées pour administrer leurs affaires financières, vient appuyer le caractère raisonnable du choix de la ministre de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire. Bien que le principe énoncé dans la décision Fleet ne doive pas être considéré comme une règle absolue, en particulier dans les cas où un contribuable est la victime involontaire d’un fraudeur averti, la demanderesse n’était certainement pas dans une telle situation en l’espèce. Au contraire, la complicité de la demanderesse dans la fraude de Fiscal Arbitrators ou son mépris délibéré à l’égard de la fraude donnent plutôt à penser que la décision de la ministre de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire était raisonnable.

[46]  Troisièmement, contrairement à l’argument de la demanderesse, la décision repose entièrement sur la preuve selon laquelle l’entreprise Fiscal Arbitrators s’est livrée à des activités frauduleuses et sur la participation de la demanderesse à cette fraude. La décision est remplie de renvois à la complicité de la demanderesse ou à son mépris délibéré à l’égard de la fraude, y compris la signature de son nom dans sa déclaration de revenus et le défaut de répondre correctement à la correspondance envoyée par l’ARC. À la lumière de ces agissements, il serait difficile de qualifier la demanderesse de victime.

[47]  Quatrièmement, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, malgré l’argument de l’avocat de la demanderesse selon lequel le défendeur n’a pas tenu compte des difficultés à long terme causées par la pénalité imposée à la demanderesse, aucun élément de preuve n’a été présenté à la ministre à l’appui d’une telle conclusion.

[48]  La décision de la ministre respecte le critère énoncé dans la décision Edwards, précitée selon laquelle le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) doit être exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle, en tenant compte de toutes les considérations pertinentes et sans qu’il soit tenu compte de considérations étrangères ou non pertinentes.

VIII.  Conclusions

[49]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur.

[50]  À l’audience sur la présente affaire, l’avocat du défendeur a présenté des mémoires de frais identiques pour les dossiers T-734-18 et T-735-18. Les dossiers ont été traités en même temps, et les observations écrites et orales des avocats étaient effectivement les mêmes. Je suis disposé à accepter des débours raisonnables de 500 $ ainsi que des honoraires de 750 $ pour chaque dossier.


JUGEMENT dans le dossier T-735-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Des dépens de 1 250 $, lesquels comprennent les honoraires et les débours, sont adjugés au défendeur.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


ET DOSSIER :

T-735-18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JACQUELINE MIOR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

13 mars 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

18 mars 2019

COMPARUTIONS :

Neil Mather

POUR LA DEMANDERESSE

Valerie Meier

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mather Tax Law

Edmonton (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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