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Date : 20190221


Dossier : IMM‑2686‑18

Référence : 2019 CF 216

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 février 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ENHUI WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAR], datée du 10 mai 2018, par laquelle celle‑ci confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Comme je l’explique en détail ci‑après, ayant examiné les arguments de la demanderesse, j’ai conclu que la décision de la SAR en l’espèce était raisonnable. Par conséquent, la demande doit être rejetée.

II.  Le contexte

[3]  La demanderesse, Enhui Wang, est une ressortissante chinoise âgée de 37 ans. Elle allègue qu’en mai 2016, alors qu’elle allait se chercher un café avec une amie dans la province du Fujian, en Chine, cette dernière lui a proposé d’aller faire un tour à une réunion sur leur chemin. La réunion en question avait lieu dans une maison, où un homme discourait devant une trentaine de personnes au sujet du christianisme. Mme Wang affirme qu’elle n’était pas familière avec cette religion et précise seulement que l’orateur disait quelque chose à ce sujet. Elle allègue qu’environ une demi‑heure après son arrivée à cette réunion, des agents du bureau de la sécurité publique [le BSP] y ont effectué une descente et l’ont détenue afin de l’interroger. Elle prétend que sa détention a duré du 16 au 18 mai 2016.

[4]  Mme Wang allègue avoir été libérée grâce à l’aide de personnes dans l’entourage de ses parents qui auraient payé la caution. Elle craignait que le BSP la poursuive ultérieurement, alors elle s’est réfugiée en lieu sûr pour qu’on ne la retrouve pas. Elle dit qu’en juin 2016, des agents du BSP se sont rendus à la demeure de ses parents et ont laissé une citation à comparaître en cour afin qu’elle témoigne au sujet de la réunion chrétienne. Elle allègue que des agents du BSP sont retournés chez elle plusieurs fois par la suite, mais qu’elle demeurait cachée.

[5]  Mme Wang allègue avoir fait des arrangements avec deux passeurs pour obtenir un passeport et un visa canadien de résident temporaire. Elle a quitté la Chine et a fait le voyage jusqu’à Vancouver le 29 décembre 2016, où elle a alors présenté une demande d’asile. Selon Mme Wang, un des passeurs lui aurait dit de détruire son passeport avant d’arriver au Canada, ce qu’elle dit avoir fait à bord de l’avion. Elle n’avait donc pas de passeport à son arrivée au Canada.

[6]  La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Wang sur le fondement de conclusions défavorables quant à sa crédibilité. Mme Wang a alors interjeté appel devant la SAR, dont la décision défavorable est l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  La décision examinée

[7]  La SAR a examiné l’allégation centrale de Mme Wang, c’est‑à‑dire celle selon laquelle une amie l’avait amenée à une maison‑église où avait lieu une assemblée de personnes et où elle avait ensuite été arrêtée par des agents du BSP lors d’une descente. La SAR a fait remarquer que la SPR avait jugé cette allégation incompatible avec les renseignements sur la situation en Chine en appliquant le critère de la « prépondérance des possibilités ». La SAR convenait avec Mme Wang que le critère approprié était celui de la prépondérance des probabilités, mais elle a précisé qu’en l’occurrence Mme Wang avait donc bénéficié d’un critère moins rigoureux.

[8]  La SAR a aussi examiné la preuve documentaire produite par Mme Wang selon laquelle certains groupes religieux ne sont pas tolérés en Chine et les militants sont souvent pris pour cible; cependant, elle a également attiré l’attention sur la preuve démontrant que la plupart des églises non enregistrées sont en fait tolérées et que le harcèlement à l’endroit des adeptes qui fréquentent ces églises n’est pas de grande intensité. La SAR a conclu que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que la réunion à laquelle Mme Wang avait assisté était affiliée à un type de groupe religieux qui n’est pas toléré et que la réunion avait été tenue dans une maison‑église. Elle a ainsi convenu avec la SPR que les allégations de la demanderesse au sujet du traitement qu’elle avait subi de la part des autorités n’étaient pas crédibles.

[9]  La SAR a ensuite examiné le fait que Mme Wang n’avait pas de passeport, en faisant remarquer l’inférence défavorable tirée par la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse relativement à son allégation selon laquelle elle avait détruit le document. La SAR n’était pas d’accord avec Mme Wang pour dire que cela équivalait à un examen à la loupe de son témoignage. Elle a affirmé ne pas admettre l’explication fournie par la demanderesse sur la destruction du passeport et elle a souscrit à l’inférence défavorable tirée par la SPR en matière de crédibilité.

[10]  Enfin, la SAR a examiné la citation à comparaître que Mme Wang avait présentée à la SPR, laquelle avait conclu qu’il s’agissait du genre de documents utilisés pour enjoindre à une personne de témoigner. La SAR a fait remarquer que Mme Wang n’avait pas traité des préoccupations de la SPR au sujet de ce document dans ses observations et qu’elle n’avait d’ailleurs fourni aucune explication sur le fait que celui‑ci n’indique pas que les autorités veulent l’arrêter et qu’il s’agit d’un document utilisé pour citer une personne à comparaître. La SAR n’a pas retenu l’argument de Mme Wang selon lequel les conclusions de la SPR étaient fondées sur des hypothèses. Elle a fait preuve de déférence à l’égard de la SPR pour l’appréciation du témoignage de Mme Wang, du contenu de la citation à comparaître et des renseignements sur la situation en Chine dans la preuve documentaire.

[11]  En raison des préoccupations en matière de crédibilité, la SAR a convenu avec la SPR que le témoignage de Mme Wang n’était pas digne de foi en ce qui concernait les allégations principales dans sa demande d’asile. Par conséquent, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Wang n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12]  La demanderesse demande à la Cour de statuer sur les questions suivantes :

  1. La conclusion de la SAR selon laquelle le témoignage de la demanderesse n’était pas digne de foi en regard des allégations principales dans sa demande d’asile était‑elle déraisonnable?

  2. La SAR a‑t‑elle omis d’examiner adéquatement la preuve de la demanderesse?

[13]  Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

V.  Analyse

[14]  La demanderesse prétend que la décision de la SAR est déraisonnable et il convient d’examiner les questions qu’elle soulève au regard des différentes composantes de la décision contestée. Pour ce faire, j’emploierai les rubriques qui figurent dans l’exposé des arguments de la demanderesse.

A.  L’appréciation de la SAR en matière de crédibilité

[15]  Premièrement, Mme Wang conteste la façon dont la SAR a traité la question concernant la mention du critère de la « prépondérance des possibilités » dans les motifs de la SPR. Cette mention figure dans la partie des motifs de la décision où la SPR comparait la preuve de Mme Wang avec celle concernant la situation en Chine. Selon la SPR, bien que la preuve documentaire ne soit pas déterminante et qu’il soit possible qu’une personne se trouvant inopinément dans une église clandestine subisse un traitement comme celui allégué par Mme Wang, le critère servant à trancher les questions de crédibilité est celui de la prépondérance des possibilités, et non la simple possibilité.

[16]  Selon Mme Wang, l’emploi du mauvais critère par la SPR trahit une confusion entre le critère s’appliquant à l’appréciation de la crédibilité et celui s’appliquant à l’appréciation du risque de persécution à l’égard d’un demandeur d’asile aux termes de l’article 96 de la LIPR. Mme Wang affirme que cette confusion compromet l’intelligibilité et la fiabilité des décisions rendues par la SPR et la SAR.

[17]  Le défendeur affirme que l’emploi du terme « possibilités » est en l’occurrence une erreur typographique et que la SPR était consciente que le critère applicable était celui de la prépondérance des probabilités. Je suis tenté d’accepter cette affirmation, étant donné que la SPR a mentionné plus haut dans ses motifs qu’il incombe au demandeur d’asile de présenter une preuve crédible, selon la prépondérance des probabilités, afin d’étayer les allégations dans sa demande d’asile. Toutefois, même si la mention « prépondérance des possibilités » n’est pas d’une erreur typographique en l’espèce, je conviens avec le défendeur que l’analyse de la SAR à cet égard ne présente aucune erreur susceptible de révision. La SAR a en outre conclu qu’un critère de la prépondérance des possibilités aurait pour effet d’accorder à Mme Wang le bénéfice d’un seuil moins élevé que celui de la prépondérance des probabilités. L’analyse de la SAR est selon moi bien fondée et je trouve qu’elle traite la question de manière tout à fait raisonnable.

[18]  Deuxièmement, Mme Wang affirme que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur certains renseignements en particulier de la preuve concernant la situation en Chine, plus précisément en ce qui concerne le traitement que subissent les chrétiens ou les personnes perçues comme étant chrétiennes, pour confirmer la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité. Mme Wang attire l’attention sur le fait que, selon la SPR, la preuve documentaire démontrait que l’attitude « habituelle » des autorités chinoises à l’égard des églises clandestines était de les tolérer et que le harcèlement à leur endroit était tout au plus sporadique; la SPR admettait par ailleurs qu’il était possible qu’une personne se trouvant inopinément dans une église clandestine puisse subir un traitement comme celui allégué par Mme Wang. Cette dernière attire également l’attention sur un passage du même élément de preuve documentaire qui, selon la SPR, démontre que dans certaines régions du pays, les autorités locales sanctionnaient les activités de groupes non enregistrés au moyen de mesures pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement des adeptes.

[19]  Je ne dénote aucune erreur susceptible de révision dans le traitement de la preuve documentaire concernant la situation en Chine. Le décideur est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, même lorsque cela n’est pas mentionné expressément dans ses motifs de décision. Toutefois, la présomption devient réfutable lorsque les éléments de preuve non mentionnés dans les motifs de décision contredisent suffisamment des conclusions du décideur (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) (CF 1re inst.)). En l’espèce, la SPR a reconnu que la preuve documentaire n’était pas déterminante et qu’il existait une possibilité qu’une personne puisse subir un traitement comme celui allégué par Mme Wang. Similairement, la SPR a affirmé que la preuve documentaire démontrait que l’attitude « habituelle » des autorités chinoises à l’égard des églises clandestines était de les tolérer, quoique par approbation tacite et malgré un harcèlement sporadique. Ces conclusions ne contredisent pas la preuve à laquelle renvoie Mme Wang.

[20]  Il est par conséquent impossible d’inférer que la SPR ou la SAR n’ont pas suffisamment tenu compte de la preuve documentaire sur laquelle s’appuie Mme Wang. La SPR a conclu que les allégations de Mme Wang n’étaient pas compatibles avec les conclusions qu’elle avait tirées sur la foi de la preuve documentaire. La SAR a avalisé l’analyse de la SPR à cet égard et je ne vois aucun fondement sur lequel m’appuyer pour conclure que la décision de la SAR sur ce point n’appartient pas aux issues acceptables au regard de la norme de la décision raisonnable.

B.  L’absence de passeport

[21]  Tout d’abord, Mme Wang relève une contradiction apparente dans la décision de la SAR. Dans un paragraphe, la SAR affirme admettre l’explication de Mme Wang concernant le fait qu’elle a détruit son passeport avant d’arriver au Canada, alors qu’elle affirme à la fin du paragraphe suivant ne pas admettre une telle explication et être d’accord avec l’inférence défavorable de la SPR en matière de crédibilité.

[22]  Je suis d’accord avec la position du défendeur selon laquelle cette contradiction apparente résulte d’une erreur typographique, en ce que la SAR avait l’intention d’affirmer, au premier des paragraphes auxquels je renvoie ci‑dessus, qu’elle n’admettait pas l’explication de Mme Wang. Cela ne fait aucun doute au vu des énoncés contenus dans les deux paragraphes en question, où la SAR décrit l’explication de Mme Wang au sujet de la destruction du document et donne les motifs pour lesquels elle refuse d’admettre son explication et en tire une inférence défavorable quant à sa crédibilité.

[23]  Je ne puis non plus faire droit à l’argument de Mme Wang selon lequel il s’agissait là d’une inférence déraisonnable de la part de la SAR ou d’une question accessoire qui, de toute façon, n’avait aucune incidence sur le fondement de sa demande d’asile. La SAR a tenu compte de son explication voulant qu’elle ait simplement suivi les conseils d’un des passeurs de détruire le passeport. Elle a cependant rejeté cette explication étant donné que le passeport avait été en vigueur, notamment au moment où elle quittait la Chine, et que malgré cela Mme Wang l’avait détruit simplement à la demande du passeur, et ce, sans poser de questions, comme l’avait fait remarquer la SPR. À cet égard, l’analyse de la SAR était raisonnable, tout comme sa conclusion selon laquelle le passeport aurait pu fournir des détails importants à l’appui des allégations de Mme Wang.

C.  La citation à comparaître

[24]  Selon Mme Wang, bien que la citation à comparaître n’indiquait en soi pas que les autorités la recherchaient pour l’arrêter, elle faisait néanmoins état d’une accusation contre elle pour [traduction« avoir participé à des activités dans une maison‑église clandestine ». Elle soutient que, contrairement à la SPR, la SAR n’a pas expressément remis en question l’authenticité de la citation à comparaître, et elle ajoute que la SAR n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve démontrant que les autorités chinoises avaient l’intention de l’appréhender pour lui faire subir davantage qu’un simple interrogatoire. Sur ce point, elle renvoie à son arrestation initiale suivie d’une détention, à sa mise en liberté sous caution, à la citation à comparaître, à l’indication des policiers au moment de la mise en liberté selon laquelle elle avait été arrêtée pour avoir assisté à un rassemblement religieux illégal, ainsi qu’aux visites répétées des policiers à son domicile.

[25]  Cependant, la SPR avait examiné les caractéristiques de la citation à comparaître au regard des documents pertinents concernant la situation en Chine et elle avait conclu, à la lumière de ceux‑ci, que le document était vraisemblablement frauduleux. La SPR avait également examiné le reçu de caution et jugé que celui‑ci était lui aussi vraisemblablement frauduleux. Au vu de l’ensemble de ses conclusions défavorables en matière de crédibilité à l’égard des aspects principaux de la demande d’asile de Mme Wang, la SAR est arrivée à la conclusion qu’elle n’était pas allée dans une église clandestine en Chine, qu’elle n’avait pas été arrêtée puis détenue, et qu’elle n’était pas recherchée par les autorités chinoises. Je constate, à la lecture des motifs de décision de la SAR, que celle‑ci souscrivait à l’analyse effectuée par la SPR, notamment à ses conclusions concernant la citation à comparaître. Là encore, rien ne me permet de conclure que la décision de la SAR était déraisonnable.

[26]  Ayant conclu que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision, je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification en vue d’un appel et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2686‑18

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mai 2019

Léandre Pelletier‑Pépin


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


DOSSIER :

IMM‑2686‑18

INTITULÉ :

ENHUI WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT 

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 21 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

John Savaglio

POUR La DEMANDEresse

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)

 

POUR La DEMANDEresse

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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