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Date : 20190214


Dossier : IMM-2584-18

Référence : 2019 CF 189

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 février 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

JULIE MAE SANIE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Décision rendue à l’audience, tenue à Toronto le 11 février 2019)

I.  PROCÉDURE

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision, en date du 24 mai 2018, par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a refusé la demande de visa de résidence permanente présentée par la demanderesse comme membre de la catégorie des aides familiaux [la décision]. La demande a été introduite conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  CONTEXTE

[2]  La demanderesse est une citoyenne des Philippines âgée de 32 ans. En octobre 2013, elle est entrée au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le Programme]. Elle a travaillé pour Extreme Pita à Edmonton (Alberta) pendant 11 mois. En avril 2014, le gouvernement fédéral a toutefois instauré un moratoire de quatre ans sur ce programme. Ce moratoire a fait en sorte qu’il n’était plus possible, pour les travailleurs du secteur de la restauration, d’obtenir la résidence permanente.

[3]  La demanderesse a décidé de présenter une demande dans le cadre du programme des aides familiaux résidants [AFR]. Elle s’est tournée vers une agence de placement s’occupant des aides familiaux [l’agence] et a obtenu une offre d’emploi. Son employeuse a demandé et obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] lui permettant d’engager la demanderesse comme AFR.

[4]  La demanderesse a demandé à l’agence si elle avait besoin de quitter le Canada pour faire une demande dans le cadre du programme des AFR parce qu’elle avait entendu dire que d’autres personnes avaient dû le faire. Elle déclare que l’agence lui a répondu que cela n’était plus nécessaire.

[5]  La demanderesse a présenté une demande de permis de travail comme AFR. Sa demande a été approuvée et on lui a délivré un permis de travail lié à un employeur en particulier conformément à l’EIMT. Elle a plus tard obtenu une prorogation de son permis. Les deux permis de travail contenaient la déclaration erronée suivante : [traduction] « Admissible à déposer une demande de résidence permanente après avoir satisfait aux exigences de l’emploi » [la déclaration].

[6]  La demanderesse a rempli sa demande de résidence permanente sans assistance professionnelle et déclare qu’elle n’avait aucune raison de croire qu’elle n’était pas qualifiée.

[7]  Par une lettre datée du 23 octobre 2017 [la lettre d’équité procédurale], la demanderesse a été informée qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie des AFR parce qu’elle n’avait pas respecté les exigences propres à cette catégorie. Plus précisément, elle n’a pas présenté sa demande à l’étranger.

[8]  La demanderesse a soumis une lettre en réponse [la réponse] dans laquelle elle expliquait qu’elle avait présenté en 2014, au moyen du formulaire IMM5710, une demande de changement de statut pour relever du programme des AFR plutôt que de celui des travailleurs. Dans ce formulaire, elle indiquait clairement qu’elle présentait une demande avec sa nouvelle employeuse en vue d’obtenir un permis de travail initial dans le cadre du programme des AFR. Elle déclare avoir validé en ligne ce formulaire et n’avoir aucunement été notifiée que le changement de statut demandé ne constituait pas une option valide. Sa demande a été approuvée et elle a obtenu les permis de travail sur lesquels figurait la déclaration susmentionnée.

[9]  La réponse de la demanderesse était accompagnée de copies de ses permis de travail, de son EIMT, de son contrat de travail comme AFR et de ses titres de compétences, qui comprenaient un baccalauréat en enseignement au niveau primaire, une preuve de travaux de cours du niveau de maîtrise en enseignement, des certificats d’emploi comme enseignante aux Philippines, un certificat en aide au développement de l’enfant délivré par le gouvernement de l’Alberta, un rapport canadien d’évaluation de son niveau de compétences linguistiques, un certificat de secourisme et cinq références morales [les titres de compétences].

III.  DÉCISION

[10]  La décision défavorable a été communiquée à la demanderesse dans une lettre datée du 24 mai 2018, dont voici un extrait :

[traduction] Nous avons examiné votre demande au regard de facteurs d’ordre humanitaire pour déterminer s’il existait des motifs suffisants justifiant la dispense des exigences législatives demandée.

[11]  La note de l’agent dans le SMGC, datée du 24 mai 2018, donne des précisions sur la décision :

[traduction]

La DP est entrée au Canada le 08oct2013 comme travailleuse spécialisée – aide de cuisine chez Extreme Pita. Elle a reçu un AMT comme AFR mais n’a pas présenté de demande ni été évaluée à l’étranger. Un PT comme AFR a été délivré le 14jan2015 par le CTD-V. Il indiquait erronément qu’elle était admissible à présenter une demande de résidence permanente après avoir satisfait aux conditions de l’emploi qui doivent être remplies pour être admissible en vertu du programme des AFR.

[…]

La DP ne remplit pas les conditions du programme des AFR étant donné qu’elle n’a pas présenté sa demande à l’étranger et qu’elle n’a pas été évaluée en fonction de son respect des exigences en matière d’éducation/d’expérience/de connaissances linguistiques.

[…]

J’ai examiné tous les renseignements susmentionnés, mais je n’ai pas évalué les titres de compétences de la DP. Il semble que la DP puisse être admissible au titre de la nouvelle catégorie des aides familiaux. Toutefois, le programme des AFR exige que l’évaluation de ses titres de compétences soit faite à l’étranger, avant l’entrée au Canada. Le Règlement indique clairement qu’on ne peut pas présenter une demande initiale de permis de travail comme AFR du Canada. C’est le client qui a le fardeau de se renseigner sur les exigences relatives aux demandes en fonction des diverses catégories. Il existe de nombreuses façons d’obtenir les renseignements voulus, par exemple en consultant notre site Web, le centre d’appel ainsi que la Loi et le Règlement, tous ces moyens étant à la disposition du public. Ni la simple mention d’« aide familiale » sur le permis de travail de la DP, ni la déclaration selon laquelle il est possible de présenter une demande de résidence permanente après avoir satisfait aux exigences de l’emploi, n’amoindrit l’exigence que la DP devait présenter sa demande initiale de permis de travail à l’étranger. Un ressortissant étranger peut travailler comme aide familial sans relever du programme des AFR. C’est le cas de cette cliente.

Demande refusée parce que la DP ne satisfait pas aux exigences de R113(1)b), à savoir elle n’est pas entrée au Canada comme aide familiale et ses titres de compétences n’ont jamais été évalués. J’ai examiné les facteurs d’ordre humanitaire présentés et je n’estime pas qu’il existe des motifs suffisants pour justifier une dispense de l’obligation que la DP respecte R113(1)(b) et R112. Demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire refusée.

IV.  QUESTION

[12]  Était-il raisonnable que l’agent conclue que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier la levée de l’obligation pour la demanderesse de présenter la demande de permis de travail à l’étranger?

V.  ANALYSE

[13]  Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas demandé une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire et que la doctrine des attentes légitimes qu’elle invoque ne s’applique pas compte tenu des faits de l’espèce.

[14]  À mon avis, aucune de ces prétentions n’est appuyée par le dossier. Il est clair que même si la demanderesse – qui n’était pas représentée par un avocat à l’époque – n’a pas qualifié sa réponse de demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a considéré qu’il s’agissait d’une telle demande. Il est clairement indiqué tant dans la décision que dans la note du SMGC que le caractère suffisant des motifs d’ordre humanitaires était en cause. Il est également clair que la demanderesse fait valoir que la décision est déraisonnable. Elle ne se fonde pas sur la doctrine des attentes légitimes.

[15]  Je suis d’avis que la décision est déraisonnable parce que :

  • Elle ne mentionne pas les lettres de recommandation positives de la demanderesse, qui montraient qu’elle avait satisfait aux exigences de l’emploi.

  • L’agent a imposé une obligation à la demanderesse de vérifier sur le site Web et dans le règlement d’application de la LIPR que les déclarations figurant sur les permis de travail étaient exactes.

  • Les titres de compétences de la demanderesse n’ont pas été évalués pour déterminer si on aurait jugé qu’elle était qualifiée si elle avait été évaluée à l’étranger.

[16]  On a aussi soulevé la question de savoir si un demandeur doit démontrer l’existence de difficultés pour avoir gain de cause dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À mon avis, l’absence d’équité suffit à elle seule à appuyer une conclusion positive mais, en l’espèce, on peut aussi inférer l’existence de certaines difficultés. La demanderesse est venue au Canada pour devenir une résidente permanente et a passé six années à travailler de bonne foi pour réaliser cet objectif. Le temps qu’elle a perdu alors qu’elle n’a elle-même commis aucune faute constitue, à mon avis, une difficulté.

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VI.  CERTIFICATION

[18]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2584-18

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et ordonne que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse soit réexaminée par un autre agent à la lumière des présents motifs.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-2584-18

 

INTITULIÉ :

JULIE MAE SANIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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