Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190313


Dossier : T-1195-18

Référence : 2019 CF 306

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

CANADA BREAD COMPANY, LIMITED

demanderesse

et

DR. SMOOD APS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Canada Bread Company, Limited, la demanderesse, a, conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (LRC, 1985, c T-13) [la Loi], interjeté appel de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (ci-après la « Commission » ou le « registraire ») datée du 10 avril 2018. La Commission a rejeté les oppositions aux deux demandes d’enregistrement de marques de commerce présentées par la défenderesse, Dr. Smood ApS.

[2]  Les deux demandes pour lesquelles l’enregistrement est demandé sont :

  • demande d’enregistrement de marque de commerce n1 707 012 pour la marque verbale

SMART FOOD FOR A GOOD MOOD

  • demande d’enregistrement de marque de commerce n1 707 009 pour le dessin ci-dessous :

Ces demandes d’enregistrement sont présentées en liaison avec les produits et services suivants :

Produits

(1) Café; cacao; thé; boissons à base de café; boissons à base de thé; boissons à base de cacao; café instantané; thé instantané; produits de boulangerie-pâtisserie, nommément pain, brioches, gâteaux, confiseries, petits pains, crèmes-desserts, tartes, petits fours; muffins; biscuits; pâtisseries; pain; sandwichs; préparations à base de céréales, nommément céréales de déjeuner, céréales transformées; glaces alimentaires; chocolat; friandises; grains de confiserie pour la cuisine; confiseries glacées; sauces, nommément coulis de fruits, jus de viande, ketchup, sauce à salade, sauce tomate, sauce épicée, sauce soya, pesto. (2) Bières; eaux minérales et gazeuses ainsi qu’autres boissons non alcoolisées, nommément bière non alcoolisée, cidre non alcoolisé, vin non alcoolisé; boissons aux fruits et jus de fruits; sirops et eaux parfumées pour faire des boissons.

Services

Préparation et offre d’aliments et de boissons pour consommation sur place ou pour emporter; services de café, de cafétéria et de restaurant; services de comptoir de plats à emporter.

[3]  La Canada Bread Company, Limited, qui s’est opposée à ces deux demandes d’enregistrement, détient et emploie la marque de commerce SMART depuis au moins 2006; la marque de commerce est employée en liaison avec une catégorie beaucoup plus restreinte de produits de boulangerie nommément pains, pains à hot-dog et à hamburger, muffins anglais, bagels et tortillas. Les marques de commerce sont présentées comme la Famille de Marques de commerce SMART :

L’avocat de la demanderesse a toujours insisté sur le fait que la marque à examiner est SMART. Il n’avait pas tort. Comme dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], dans lequel la Cour a comparé la marque de commerce la plus proche de la marque contestée parmi une famille de marques de commerce, étant donné qu’il ne sera pas nécessaire de faire la comparaison de la nouvelle marque de commerce avec d’autres marques de commerce de la famille si la marque la plus proche n’est pas susceptible de créer de la confusion avec celle qui est proposée (paragraphe 78). Ainsi, la comparaison se fera entre la marque de commerce LMC827840 SMART et la marque proposée « SMART FOR A GOOD MOOD ». Comme nous le verrons, la demanderesse a choisi de ne pas poursuivre son appel concernant le dessin 009.

[4]  Il suffira, aux fins de l’espèce, de souligner que la demanderesse produit et distribue du pain frais et des produits de boulangerie emballés, et que son établissement principal est situé à Etobicoke, en Ontario. La défenderesse est une entité américaine œuvrant dans l’industrie des services alimentaires. Il y a évidemment un chevauchement avec certains des produits offerts par Dr. Smood ApS, mais pas tous.

I.  Les motifs d’opposition

[5]  La demanderesse a soulevé devant le registraire un certain nombre de motifs d’opposition. Ils étaient identiques dans les deux demandes. Ils reposent sur les articles 30, 12, 16 et 2 de la Loi. Ils sont résumés au paragraphe 12 de la décision visée par le contrôle :

[12] En résumé, Canada Bread invoque les motifs d’opposition suivants en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T13 (la Loi) :

a) La demande n’est pas conforme aux exigences de l’article 30e) de la Loi puisque la Requérante n’avait pas l’intention d’employer la marque de commerce au Canada.

b) La demande n’est pas conforme aux exigences de l’article 30i) de la Loi puisque la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir droit d’employer la marque de commerce au Canada. La Requérante avait connaissance de la Famille de Marques de commerce SMART de Canada Bread.

c) La marque de commerce n’est pas enregistrable suivant l’article 12(1)b) de la Loi, puisqu’elle donne une description claire ou qu’elle donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des produits ou des services de la Requérante ou des conditions de leur production ou des personnes qui les produisent ou de leur lieu d’origine.

d) La marque de commerce n’est pas enregistrable suivant l’article 12(1)d) de la Loi en raison de la confusion avec les marques de commerce déposées qui composent la Famille de Marques de commerce SMART.

e) La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce suivant l’article 16(3)a) de la Loi en raison de la confusion avec la marque de commerce SMART ou l’une ou l’ensemble des marques de la Famille de Marques de commerce SMART employées antérieurement au Canada par Canada Bread.

f) La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce suivant l’article 16(3)b) de la Loi en raison de la confusion avec la marque de commerce SMART ou l’une ou l’ensemble des marques de la Famille de Marques de commerce SMART à l’égard desquelles des demandes d’enregistrement ont été produites antérieurement au Canada par Canada Bread.

g) La marque de commerce n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, puisqu’elle n’est pas adaptée à distinguer ni ne peut distinguer les produits de la Requérante des produits de Canada Bread en liaison avec lesquels la marque de commerce SMART ou l’une des marques de la Famille de Marques de commerce SMART est employée.

Les différents motifs d’appel ont tous été rejetés par la Commission. La demanderesse conteste dans le présent appel les conclusions concernant la confusion qui, selon elle, serait créée s’il était fait droit aux demandes d’enregistrement de marque de commerce de Dr. Smood ApS.

[6]  La défenderesse en l’espèce a choisi de ne pas participer à l’appel. Elle n’a pas comparu à l’audience et n’a pas déposé de mémoire des faits et du droit. Elle n’a pas non plus admis le bien‑fondé de l’appel. Elle s’est appuyée sur ses prétentions écrites déposées devant le registraire (Dr. Smood ApS n’a pas comparu devant la Commission, mais a déposé des éléments de preuve et un mémoire des faits et du droit), soutenant que la décision du registraire des marques de commerce doit être maintenue. Par conséquent, la Cour n’a pas bénéficié du point de vue de Dr. Smood ApS concernant la décision de la Commission.

II.  Preuve présentée à la Commission

[7]  La preuve dont disposait le registraire a été présentée sous forme d’affidavits sur lesquels aucun des déposants n’a été contre-interrogé. La Canada Bread Company, Limited a présenté deux affidavits :

  • Jean-Luc Breton : il était à l’époque cadre supérieur chez Canada Bread (on nous a informés qu’il a pris sa retraite depuis). La famille de marques de commerce appartenant à la demanderesse est connue collectivement sous le nom de « marque SMART », ce qui met l’accent sur le terme « smart ». Elle est employée depuis 2005. Son témoignage portait principalement sur les sommes plutôt importantes consacrées à la promotion de la marque SMART au Canada et sur la valeur des ventes entre 2009 et 2015. La preuve montre que 129 millions d’unités ont été vendues, pour des ventes totalisant environ 320 millions de dollars. La Commission a noté que M. Breton avait déposé une copie du numéro d’enregistrement LMC711521 pour la marque de commerce « SMART & HEALTHY » pour des [traduction] « produits de boulangerie, nommément pain » au nom de Bimbo Bakeries USA, Inc., filiale de Grupo Bimbo, S.A.B. de C.V. qui est l’actionnaire majoritaire de la demanderesse.

  • Stéphanie La : Mme La est assistante juridique. Elle a présenté des copies certifiées conformes de divers enregistrements et des copies de pages Web trouvées à la suite de recherches effectuées sur Internet en juillet 2016.

Pour sa part, Dr. Smood ApS a présenté deux affidavits :

  • Hélène Deslauriers, analyste de marques de commerce chez Thomson Compu Mark, a fait une recherche dans le Registre canadien des marques de commerce pour y découvrir les marques de commerce comportant le mot « SMART ». La recherche a été effectuée en août 2016.

  • Hélène Parent, analyste de marques de commerce dans un cabinet d’avocats, a déposé une copie certifiée conforme du certificat d’enregistrement de la marque de commerce de Dr. Smood ApS délivré par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.

III.  Décision de la Commission

[8]  Peut-être dans le but d’écourter le débat devant la Commission, Dr. Smood ApS a soutenu que l’affaire dont la Commission était saisie constituait une autre tentative injustifiée de la part de Canada Bread de s’opposer à l’enregistrement des marques de commerce. Dans la décision Canada Bread Company, Limited c La tortilla Factory, (24 novembre 2014) [La Tortilla Factory], la Commission a rejeté les oppositions aux marques de commerce « SMART & DELICIOUS WRAPS » et « SMART & DELICIOUS TORTILLAS ». En l’espèce, la Commission n’a pas fondé sa décision sur celle rendue dans l’affaire La Tortilla Factory, mais a plutôt conclu que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. La demanderesse a contesté cette affirmation, alléguant que la Commission avait suivi la décision La Tortilla Factory, ce qui constituerait une erreur susceptible de révision (l’appel a été jugé sans objet, 2016 CF 704).

[9]  Dr. Smood ApS a également cherché à tirer avantage d’un manque de précision dans la preuve présentée par M. Breton. Les objections ont rapidement été rejetées en faveur de Canada Bread.

[10]  Dans son examen des motifs d’opposition, la Commission a indiqué que ses conclusions devaient s’appliquer à la marque verbale ainsi qu’au dessin, sauf disposition contraire.

[11]  Le fond de l’appel dont est saisie la Cour a trait à deux questions :

  • L’appel interjeté par la demanderesse porte sur la confusion. L’application des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi en ce qui a trait à la confusion créée entre deux marques est au cœur du présent appel. La demanderesse conteste dans l’appel la conclusion de la Commission concernant la confusion.

  • Il faut également examiner, au regard de la question de la confusion, l’utilisation par la Commission de la preuve relative à l’état du registre des marques de commerce présentée par Dr. Smood ApS. La demanderesse soutient que son utilisation était inappropriée et qu’elle ne pouvait appuyer la conclusion de la Commission.

Il s’ensuit que les autres motifs d’opposition, qui ont été rejetés par la Commission, ne font pas l’objet d’un appel en l’espèce. Il suffira donc de souligner que les arguments concernant les alinéas 30e) (absence d’intention d’employer la marque de commerce) et 30i) (déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada), qui ont été tranchés rapidement, et l’alinéa 12(1)d) (non enregistrabilité de la marque parce qu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des produits ou services) n’ont pas été soulevés et ne font pas l’objet de l’appel.

[12]  C’est plutôt la partie de la décision portant sur l’allégation de confusion qui est au cœur du présent appel. La raison pour laquelle la marque ne peut pas être enregistrée, que ce soit en raison de l’alinéa 12(1)d) ou des alinéas 16(3)a) et 16(3)b), est la confusion entre les marques. Or, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de telle confusion.

[13]  Dans le cadre de son examen de la question de la confusion à la date de la décision (10 avril 2018), la Commission a agi de façon appropriée en reconnaissant qu’une fois que l’opposante, Canada Bread, s’est acquittée de son fardeau de présentation en ce qui concerne la confusion, il incombe à Dr. Smood ApS de s’acquitter de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les marques à enregistrer ne sont pas de nature à créer de la confusion avec les marques de commerce enregistrées, comme l’allègue Canada Bread.

[14]  Le critère en matière de confusion est résumé par la Commission comme étant « celui de la première impression et du souvenir imparfait » (paragraphe 100). Cette formulation semble conforme à la formulation plus élaborée du critère que l’on retrouve dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, au paragraphe 20 :

20  Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

[traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

… les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

(Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

Dans l’arrêt Masterpiece, précité, la Cour suprême nous rappelle que le critère fait « ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte » (paragraphe 40). Personne ne soutient que la Commission a appliqué le mauvais critère, bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec le résultat.

[15]  La Commission a ensuite examiné les circonstances pour déterminer s’il y a confusion ou non, comme le prévoit le paragraphe 6(5) de la Loi. La Loi énonce cinq facteurs dont il faut tenir compte. Cette liste n’est pas exhaustive. Je reproduis intégralement le paragraphe 6(5) en raison de son caractère central en l’espèce :

Éléments d’appréciation

What to be considered

6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

6(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. L.R. (1985), ch.  T-13, art. 6; 2014, ch. 32, art. 53.

e)the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them. R.S., 1985, c. T-13, s. 6; 2014, c. 32, s. 53.

[16]  La Commission a commencé son examen des cinq facteurs énoncés par celui visé à l’alinéa 6(5)e). Dans l’arrêt Masterpiece, la Cour parle de la démarche applicable pour évaluer la ressemblance. Elle explique que le point de départ de l’analyse devrait être le cinquième facteur, celui de l’alinéa 6(5)e), qui traite du degré de ressemblance entre les marques. Bien qu’il s’agisse du dernier facteur énoncé dans la disposition, « il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion » (paragraphe 49). Elle renvoie expressément à l’influent ouvrage du professeur Vaver, Intellectual Property Lawd : Copyright, Patents, Trade-marks, 2e éd., Irwin Law, pour expliquer le rôle que joue l’alinéa 6(5)e) dans l’analyse et son importance par rapport aux autres facteurs :

49.  […]

Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion (ibid.).

[17]  La Commission a donc entrepris consciencieusement son examen de la confusion en fonction du degré de ressemblance. Elle a constaté que les deux marques de Dr. Smood ApS sont différentes de la marque SMART. Suivant encore une fois de près l’arrêt Masterpiece, la Commission affirme qu’il est « préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de la marque de commerce est particulièrement frappant ou unique » (décision, paragraphe 106; Masterpiece, paragraphe 64).

[18]  Toutefois, il ressort de l’analyse effectuée par la Commission qu’elle s’est concentrée sur la comparaison entre la marque de commerce Dr. Smood et dessin à la marque SMART. Par conséquent, la Commission a conclu que le dessin « est complètement différent[e] de la marque de commerce SMART de Canada Bread dans la présentation, dans le son et dans les idées suggérées » (paragraphe 108). Ce n’est qu’une fois l’analyse du dessin terminée que la Commission s’est penchée sur la marque verbale. Le paragraphe 111 semble être le seul paragraphe consacré à la marque verbale.

[19]  La Commission estime que l’aspect le plus frappant du dessin est l’inscription « Dr. Smood », qui est bien en évidence. Le mot « smart » qui apparaît dans le dessin « ne serait peut-être même pas mentionné[e] par le consommateur canadien prononçant la marque de commerce » (paragraphe 109). L’alinéa 6(5)e) porte sur la présentation, le son et les idées que suggèrent les marques de commerce. Selon la Commission, le dessin suggère au consommateur « qu’il s’agit de l’appellation de fantaisie de l’entreprise à la source des produits et des services » (paragraphe 110). Ce n’est pas le cas pour la marque SMART qui, de l’avis de la Commission, « laisse entendre que les produits constitueraient un choix plus sain que d’autres produits sur le marché » (paragraphe 110) dans le contexte des produits alimentaires.

[20]  La demanderesse a concédé lors de l’audition de l’appel qu’elle n’était pas aussi préoccupée par la demande no 009 pour la marque de commerce et le dessin. C’est peut-être une sage concession, l’appel étant centré sur l’autre marque, la demande no 1 707 012, pour SMART FOOD FOR A GOOD MOOD. En ce qui concerne cette marque verbale, l’analyse est plutôt succincte et rudimentaire, plus catégorique que ce à quoi on s’attend habituellement. Le paragraphe 111 en est le résumé :

[111]  En ce qui a trait à la marque de commerce SMART FOOD FOR A GOOD MOOD de la Requérante, je conviens que sa première partie est constituée de la totalité de la marque de commerce SMART de Canada Bread. Néanmoins, lorsque les marques de commerce sont considérées dans leur ensemble, j’estime qu’elles sont plus différentes que semblables dans la présentation et le son. Également, comme je l’ai indiqué précédemment, j’estime que la marque de commerce de la Requérante est suggestive d’un résultat escompté des produits, c.‑à-d. améliorer l’humeur d’une personne. Ce n’est pas là l’idée que suggère la marque de commerce de Canada Bread.

[21]  La Commission a poursuivi l’analyse des quatre autres facteurs. L’alinéa 6(5)a) porte sur le caractère distinctif inhérent. L’examen global a permis de conclure que la marque de commerce SMART est devenue connue au Canada. Bien que SMART possède un faible caractère distinctif inhérent, elle a acquis une force accrue par la promotion. Ce facteur favorise Canada Bread.

[22]  Évidemment, la période pendant laquelle la marque de commerce a été en usage [alinéa 6(5)b)] favorise Canada Bread. Le genre de services ou entreprises [alinéa 6(5)c)] et la nature du commerce favorisent également Canada Bread aux yeux de la Commission. Il y a un chevauchement important entre les produits de Canada Bread et de nombreux produits de Dr. Smood ApS. Mais il y a d’autres produits et services énumérés dans la demande pour ses deux marques de commerce qui sont distincts des produits visés par l’enregistrement de Canada Bread. Malgré cela, la Commission n’est « pas disposée à conclure que tous les [TRADUCTION] « autres produits » sont [TRADUCTION] « très différents » (paragraphe 122). Après tout, les produits de boulangerie de Canada Bread sont des produits alimentaires, tout comme les produits de Dr. Smood ApS. En ce qui concerne la nature du commerce, il semble que Dr. Smood ApS n’ait pas produit de preuve concernant ses voies de commercialisation (l’état déclaratif des produits n’indique aucune restriction). Ce facteur milite en faveur de Canada Bread.

[23]  Comme il a été indiqué précédemment, le poids accordé aux cinq facteurs énoncés au paragraphe 6(5) est différent, mais la liste n’est pas non plus exhaustive. Toutes les circonstances doivent être évaluées et, en l’espèce, il y avait des preuves de l’état du registre qui semblaient avoir impressionné la Commission.

[24]  Compte tenu de la recherche menée pour repérer les « marques de commerce actives comprenant le terme ‟SMART‟ » dans les classes 29, 30, 31 et 32, Dr. Smood ApS a cherché à démontrer à quel point l’emploi de la marque de Canada Bread est courant. Évidemment, le caractère courant sera fonction de l’emploi fait du mot (Maximum Nutrition Ltd. c Kellogg Salada Canada Inc., [1992] 3 CF 442, CAF) [Kellogg]. Ainsi, selon cet argument, il ressort de la recherche que le terme « smart » est courant dans l’industrie alimentaire et de la boulangerie.

[25]  Selon la preuve, 191 marques ont été repérées, dont 132 sont liées à des aliments et 39 à des produits de boulangerie. Canada Bread a affirmé, au terme d’un processus d’élimination, que seulement 7 enregistrements de marques de commerce de tiers visant des produits semblables aux produits de boulangerie ont été repérés. Selon Canada Bread, ce nombre n’est pas suffisant pour permettre de conclure à l’adoption courante du mot « SMART » sur le marché.

[26]  La Commission n’a pas partagé cet avis. Elle a conclu qu’il était approprié de tenir compte des enregistrements détenus par les filiales de Canada Bread dans son évaluation. La Commission a trouvé 127 marques de commerce déposées, bien que bon nombre d’entre elles ne visaient pas des produits pertinents. Elle a néanmoins conclu que la recherche a révélé « un grand nombre de marques de commerce déposées de tiers qui visent des produits alimentaires, y compris des produits de boulangerie » (paragraphe 134); cependant, la Commission n’a pas précisé ce qui constitue un « grand nombre ». Au paragraphe 136, la Commission énumère 11 marques de commerce qui, selon elle, visent des produits alimentaires. Rien dans le dossier ne porte sur les produits ou l’emploi réel de ces marques de commerce sur le marché. En fait, certaines des marques énumérées au paragraphe 136 ne peuvent être considérées comme évidentes (par exemple, Smartforlife Dessin, BODY SMARTS, SALBA SMART, LIFE SMART MIEUX ÊTRE, SMART FIESTA). Quoi qu’il en soit, la Commission est convaincue qu’il existe des éléments de preuve permettant de tirer une inférence favorable à Dr. Smood ApS, diluant ainsi la protection à laquelle la marque SMART a droit.

[27]  Par conséquent, la Commission a conclu que Dr. Smood ApS s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre ses deux marques de commerce et la marque de commerce SMART. L’appréciation des différents facteurs est limitée. La marque Canada Bread bénéficie de son caractère distinctif acquis, mais la preuve de l’état du registre dilue la portée de la protection, et les différences au chapitre de la présentation, du son et des idées qu’elle suggère [alinéa 6(5)e)] sont suffisantes pour permettre à la Commission de tirer, selon la prépondérance des probabilités, une conclusion en faveur de Dr. Smood ApS.

IV.  Preuve additionnelle présentée par la demanderesse

[28]  Canada Bread a présenté des éléments de preuve supplémentaires, conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, lequel est ainsi libellé :

Preuve additionnelle

Additional evidence

56 (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

.

56(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

S.R., ch. T-10, art. 56; S.R., ch. 10(2e suppl.), art. 64.

R.S., c. T-10, s. 56; R.S., c. 10(2nd Supp.), s. 64.

[29]  L’affidavit de Tania Goecke, cadre supérieure de Canada Bread Company Ltd., confirme les ventes et la publicité des produits portant la marque de commerce SMART, ce qui souligne de nouveau le caractère distinctif acquis au Canada. De plus, la témoin a fourni de nouvelles copies claires et en couleur de certains éléments de preuve déposés avec les oppositions. La Commission a mentionné au cours de l’audience, nous dit-on, que certaines preuves documentaires étaient de piètre qualité, mais elle s’est néanmoins prononcée en faveur de Canada Bread sur les questions pour lesquelles la preuve documentaire devait être examinée. Quant au deuxième affidavit, souscrit par Stéphanie La, la nouvelle preuve porte sur le chevauchement d’idées que suggèrent les deux marques de Dr. Smood ApS et la marque de commerce SMART. Il s’agit d’extraits du site Web de Dr. Smood ApS où il est question de [traduction] « collations santé » ou de [traduction] « santé et bienfaits » et, de manière plus générale de la santé.

V.  Les arguments de la demanderesse

[30]  Les arguments de la demanderesse, qui sont malheureusement restés sans réponse (Bally Schuhfabriken AG c Big Blue Jeans, (1992) 41 CPR (3e) 205, page 214) parce que la défenderesse n’a pas pris part à l’appel, se résument à quelques propositions simples.

[31]  Premièrement, on a tenté de transformer les nouveaux éléments de preuve en éléments de preuve supplémentaires suffisamment importants pour que la Cour puisse exercer le pouvoir discrétionnaire dont est investi le registraire, ce que certains ont décrit comme une décision de novo, mais qui correspond en fait à une norme de la décision correcte. La Cour doit en venir à sa propre conclusion sur la base du dossier amélioré par la nouvelle preuve.

[32]  Deuxièmement, si l’argument initial est rejeté, la demanderesse a fait valoir que les questions de droit devraient être tranchées selon la norme de la décision correcte (Rogers Communications Inc. c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 RCS 283 [Rogers]). Je fais toutefois remarquer que la norme de la décision correcte ne s’appliquerait aux conclusions de la Commission sur les questions de droit que s’il est possible de les cerner de façon distincte (Pfizer Products Inc. c Association canadienne du médicament générique, 2015 CF 493), par opposition aux questions mixtes de fait et de droit. Autrement dit, il faut pour commencer cerner une question de droit distincte pour ensuite examiner l’application de l’arrêt Rogers. Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, il ne découle pas de l’arrêt Rogers que toute la décision de la Commission doit être contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte (exposé des faits et du droit, paragraphe 39). C’est seulement la déférence dont il convient habituellement de faire preuve à l’égard des décisions des organismes administratifs lorsqu’ils interprètent et appliquent leurs propres lois qui n’est plus de mise. En effet, « [é]tant donné le caractère particulier du régime législatif en vertu duquel la Commission et une cour de justice peuvent être respectivement appelées à statuer en première instance sur un même point de droit, il faut inférer que le législateur n’a pas voulu reconnaître à la Commission une expertise supérieure à celle de la cour de justice en la matière » (Rogers, paragraphe 15). Il s’agit toutefois d’une exception à l’approche empreinte de retenue que la Cour devrait avoir dans l’examen des questions de droit, et non de la norme du caractère raisonnable applicable aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.

[33]  Troisièmement, la demanderesse a également contesté l’application qu’a fait la Commission des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) (caractère distinctif des marques de commerce) et 6(5)e) (degré de ressemblance).

[34]  L’avocat de la demanderesse a passé beaucoup de temps à l’audience à contester le point de vue exprimé par la Commission selon lequel le mot « smart », la marque de commerce à l’examen en l’espèce, laisse entendre que les produits alimentaires associés à cette marque constitueraient un choix plus sain que d’autres produits sur le marché. Il est fait référence à la connotation de ce mot à deux reprises, aux paragraphes 90 et 110 de la décision de la Commission. Dans les deux cas, la Commission indique que cette conclusion est conforme à sa décision dans une affaire antérieure à laquelle Canada Bread était partie (Canada Bread Company, Limited c La Tortilla Factory, 2014 COMC 265).

[35]  La demanderesse soutient que la Commission ne peut renvoyer à sa décision antérieure parce que, selon elle, la Commission s’est fondée sur les faits d’une autre affaire pour sa conclusion quant à la connotation de sa marque, l’idée qu’elle véhicule. De plus, le mot « smart » véhicule un sens plus large que celui donné par la Commission (choix plus sain que d’autres produits alimentaires), [traduction] « notamment l’idée de produits plus économiques ou plus respectueux de l’environnement et durables ou capables d’améliorer l’humeur » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 46). L’argument semble être qu’un mot courant de la langue anglaise, « smart », n’a pas de [traduction] « signification particulière lorsqu’il est associé à des produits alimentaires et de boulangerie » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 47). La demanderesse a droit à la protection la plus large pour sa marque de commerce parce qu’elle ne s’est pas limitée à une idée particulière. Les idées véhiculées par les marques de commerce ont donc une certaine ressemblance.

[36]  Dans son effort pour soutenir qu’il n’y a pas de différence entre un « choix plus sain », soit la connotation du mot « smart » lorsqu’il s’agit de produits alimentaires, et le fait d’améliorer l’humeur, comme le laissent entendre les marques de Dr. Smood ApS, la demanderesse a fait valoir que [traduction] « l’expression “good mood” (bonne humeur) et le résultat escompté des produits, c.-à-d. améliorer l’humeur d’une personne, sont également liés aux produits constituant un “choix plus sain”, car le bien-être mental fait partie intégrante de la santé » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 55).

[37]  Quatrièmement, au terme de l’examen de la Commission, Canada Bread a eu gain de cause à l’égard du facteur décrit à l’alinéa 6(5)a) de la Loi. La demanderesse aurait préféré l’emporter de façon plus déterminante parce que, selon elle, la Commission a fait référence à tort à la connotation du mot « smart » qui a été utilisée dans une affaire antérieure portant sur la même marque de commerce. Ayant déjà obtenu gain de cause à l’égard de ce facteur, ce que la demanderesse cherchait à obtenir avec cet argument concernant le facteur décrit à l’alinéa 6(5)a) n’est pas clair.

[38]  Enfin, la demanderesse a contesté l’emploi fait par la Commission de l’état du registre des marques de commerce. Deux arguments sont avancés à cet égard. D’abord, la demanderesse soutient que, sur 197 résultats (il y avait aussi une mention de 191 occurrences) de marques de commerce repérées par la recherche, seulement 7 enregistrements de marques de commerce visent des produits semblables aux siens, soit des produits de boulangerie. Il s’agit d’un petit nombre de marques de commerce. Ensuite, pour qu’une marque de commerce ait de la valeur pour un décideur, il faut qu’il y ait des preuves de l’emploi qui en est fait sur le marché. L’état du registre est un substitut de l’état du marché. L’inférence à tirer de la preuve de l’état du registre exige non seulement qu’il y ait un grand nombre d’enregistrements, mais aussi qu’il soit démontré que les marques ont été employées et non simplement enregistrées. La demanderesse invoque la décision McDowell c Laverana GmbH & Co. KG, 2017 CF 327 [McDowell I], qui fait suite à Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company, 2012 CF 1539 [Hawke], ainsi que la décision Compagnie Gervais Danone c Astro Dairy Products Ltd., (1999) 160 FTR 27. En l’espèce, la Commission était simplement « convaincue que la preuve de l’état du registre présente suffisamment d’enregistrements pertinents pour [lui] permettre de tirer une conclusion en faveur de la Requérante » (décision, paragraphe 137).

VI.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[39]  Le simple fait de présenter de nouveaux éléments de preuve ne signifie pas que la Cour appliquera une norme de la décision correcte, ce que certains ont qualifié d’examen « de novo ». La Cour doit d’abord évaluer les éléments de preuve supplémentaires présentés. Une telle preuve est examinée pour déterminer si elle aurait eu une incidence importante sur la décision de la Commission quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, CAF [Brasseries Molson]). Si la preuve supplémentaire n’est pas suffisamment importante pour influer sur la décision de la Commission, celle-ci doit faire l’objet de retenue judiciaire conformément à la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Brasseries Molson, précitée, voici comment la Cour d’appel, sous la plume du juge Rothstein, a exposé la question :

[51] Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[40]  J’interprète l’arrêt de la Cour suprême Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 [Mattel], comme invitant la Cour à faire preuve de prudence avant de faire de tout nouvel élément de preuve une occasion de substituer son évaluation de la preuve à celle du registraire dont l’expertise est reconnue :

[35] La Loi prévoit un droit absolu d’interjeter appel devant un juge de la Cour fédérale, qui est autorisé à admettre et à examiner de nouveaux éléments de preuve (par. 56(1) et (5)). Elle ne comporte aucune clause privative. Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, 2000 CanLII 17105 (CAF), [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 46‑51; Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., 2000 CanLII 16510 (CAF), [2000] A.C.F. no 1864 (QL) (C.A.F.), par. 4, et Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., 1999 CanLII 8988 (CF), [1999] A.C.F. no 1763 (QL) (1re inst.).

(2) L’expertise de la Commission

36 La détermination de la probabilité de confusion requiert une expertise que la Commission (qui procède quotidiennement à des évaluations de ce genre) possède dans une plus grande mesure que les juges en général. Il faut donc faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard de la décision de la Commission, comme la Cour l’a souligné dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., 1968 CanLII 1 (SCC), [1969] R.C.S. 192, p. 200 : 

[traduction] À mon avis, il faut attribuer beaucoup de poids à la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al [1950 CanLII 250 (FC), [1951] 2 D.L.R. 7, p. 13] :

… le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant dûment compte des circonstances de l’espèce.

37 Cela signifie en pratique que la décision du registraire ou de la Commission [traduction] « ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles » : McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), p. 210, conf. par [1992] A.C.F. no 70 (QL) (C.A.). L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission. Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., 1976 CanLII 162 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527-528.

[41]  La question n’est pas tant la quantité de preuves supplémentaires que leur qualité. Comme l’a fait remarquer le juge de Montigny, alors juge de notre Cour, dans la décision Hawke, précitée, « [u]ne preuve qui ne fait que compléter ou confirmer des conclusions antérieures ou qui se rapporte à des faits postérieurs à la date pertinente ne suffit pas pour écarter la norme déférente de la décision raisonnable » (paragraphe 31). Le juge Evans, qui siégeait alors à notre Cour, a également formulé utilement le critère comme étant « la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire » (Garbo Group Inc. c Harriet Brown & Co., (2000) 3 CPR (4th) 224, paragraphe 37). La preuve additionnelle qui ne va pas au-delà de ce qui a déjà été établi sans en améliorer la force probante ne suffira pas (Vivat Holdings Ltd. c Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, 41 CPR (4th) 8, paragraphe 27).

[42]  À mon avis, les éléments de preuve présentés en l’espèce dans les nouveaux affidavits n’offrent pas de preuve additionnelle qui serait substantielle ou probante pour le traitement d’une question dont la Cour est saisie et qui aurait probablement eu une incidence importante sur les conclusions de la Commission concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[43]  L’affidavit de Tania Goecke portait sur les commentaires formulés au cours de l’audience devant la Commission au sujet de la qualité de certaines preuves documentaires, et fournissait des renseignements sur la société, l’emploi des marques et ses ventes. Il n’y a pas de preuve importante qui soit pertinente pour la question en litige en l’espèce, à savoir s’il y a confusion entre les marques de commerce de sorte que Canada Bread aurait dû avoir gain de cause dans ses oppositions aux deux marques de commerce de la défenderesse.

[44]  Quant au deuxième affidavit, celui de Mme La, il est impossible de comprendre quel est son but légitime (Eclectic Edge Inc. c Victoria’s Secret Stores Brand Management Inc., (2015) 132 CPR (4th) 83). L’affidavit de l’assistante juridique employée par le cabinet de l’avocat de la demanderesse ne comprend rien de plus que des pages apparemment extraites du site Web de Dr. Smood. J’ai examiné chacune des pages des quatre pièces jointes à l’affidavit. La quatrième pièce semble porter sur les divers établissements exploités par Dr. Smood à Miami et à New York. Les deux premières pièces semblent être des pages faisant référence à Dr. Smood; l’une d’elles serait la page d’accueil tandis que la page en pièce SL-2 semble annoncer un [traduction] « nouveau latte matcha »; on trouve sur le côté droit de la page ce qui semble être une liste de divers produits, laquelle comprend des [traduction] « collations santé ». Enfin, il y a 44 pages en pièce SL-3 qui semblent porter sur des produits relevant de la catégorie [traduction] « santé et bienfaits ». Différents produits sont présentés, du saumon sauvage au café glacé, en passant par divers jus.

[45]  On ne sait pas très bien ce que montrent ces renseignements glanés sur un site Web. Il s’agit manifestement d’une tentative de transformer l’appel en une sorte d’exercice de novo dans lequel la Cour réexamine l’affaire sans faire preuve de retenue à l’égard de la décision initiale de la Commission. Toutefois, ces nouveaux renseignements n’atteignent jamais le niveau requis, en ce sens qu’ils n’auraient pas pu avoir une incidence importante sur la conclusion de la Commission. En fait, les pages tirées du site Web, sans plus, nous disent très peu de choses, si ce n’est que la défenderesse semble exploiter des établissements et que certains de ses produits comprennent des produits alimentaires d’une grande variété, dépassant largement les produits de boulangerie de la demanderesse.

[46]  Par conséquent, la norme de contrôle devra être celle de la décision raisonnable. Tant que la décision rendue par la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », aucune intervention de la cour de révision n’est justifiée (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47). En outre, la norme de la décision raisonnable exige également que « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, paragraphe 59). Selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision ne doit pas substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

B.  Questions de droit appelant la norme de décision correcte

[47]  La demanderesse fait valoir que les questions de droit appellent la norme de la décision correcte. Mais il doit d’abord y avoir une question de droit. S’il existe une telle question de droit, elle seule est assujettie à la norme de la décision correcte (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 RCS 3, paragraphe 50). Je constate qu’aucune question de droit isolable n’a été soulevée par la demanderesse. Ce n’est que lorsqu’il y a une question de droit isolable qu’il faut procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte, conformément à l’arrêt Rogers, précité. Malgré de nombreuses invitations à cerner une telle question de droit, aucune n’a été soulevée. Au mieux, la demanderesse a cherché à faire valoir que la Commission avait commis une erreur de droit en déclarant avoir tranché l’affaire d’une façon qui était conforme à la décision La Tortilla Factory, précitée, qu’elle avait rendue précédemment, dans laquelle elle avait conclu que la connotation du mot « smart » dans le contexte des produits alimentaires est un « choix plus sain ». On ne sait pas pourquoi elle fait cette prétention.

[48]  Après avoir lu la décision de la Commission, je suis d’avis que rien ne donne à penser que la Commission soit parvenue à sa conclusion sur la connotation à cause de la décision La Tortilla Factory. Elle a simplement indiqué que la même connotation existe en l’espèce, conclusion que la Commission était en droit de tirer (dans la mesure où elle est raisonnable). Il appartient au juge des faits de prendre des décisions de ce type lorsqu’il examine le risque de confusion (General Electric Co. c The General Electric Co. Ltd, [1972] 2 ALL E.R. 507 (H.L.) [General Electric]. L’opinion selon laquelle le décideur peut décider seul de la confusion a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece (précité), qui a cité assez longuement Lord Diplock dans General Electric au paragraphe 88 :

[88] …

[traduction] ... la question de savoir si de tels acheteurs seraient susceptibles de se méprendre ou d’être confus en raison de l’emploi de la marque de commerce est une « question relevant du jury ». Je veux dire par là que si la question devait encore, comme auparavant, être tranchée par des jurés qui, à titre de membres du grand public, seraient des acheteurs éventuels des biens en question, ces jurés devraient non seulement considérer tout élément de preuve d’autres membres du public qui ont été produits, mais également se servir de leur propre sens commun et voir s’ils seraient eux-mêmes susceptibles de se méprendre ou d’être confus.

[Non souligné dans l’original.]

Comme la Cour l’a expliqué au paragraphe 89 :

[89] La réponse à cette question n’est pas différente lorsque celle-ci est tranchée par un juge. Lord Diplock a ajouté ceci à la p. 515 :

[traduction] La démarche du juge à l’égard de la question devrait être la même que celle du jury. Lui aussi est un acheteur éventuel des biens concernés. Il doit évidemment demeurer prudent et ne pas laisser ses connaissances ou son tempérament particuliers influencer sa décision, mais l’ensemble de sa formation à la pratique du droit devrait l’avoir familiarisé avec ce risque, et cette formation devrait assurer la protection nécessaire, protection qui, dans le cas des jurés, découle de leur nombre. La Cour a bien établi dans certaines décisions que, dans les questions de ce genre, les juges ont le droit de se fier à leurs propres opinions quant à la probabilité de méprise ou de confusion et, de ce fait, n’ont pas à se limiter aux dépositions des témoins au procès.

[Souligné dans l’original.]

[49]  En effet, dans l’arrêt Masterpiece, la Cour a reconnu que l’opinion du décideur en tant que juge des faits est importante :

[91] Dans Ultravite, le juge Spence se sentait très à l’aise d’exprimer et d’appliquer son propre point de vue quant à la première impression que produirait une marque de commerce sur le consommateur moyen. Il a déclaré ce qui suit à la p. 738 :

[traduction] En exprimant mon point de vue, je me mets à la place de la personne moyenne qui se rend au marché pour acheter un shampoing antipellicules et une lotion capillaire.

Le point de vue est bien résumé en quelques lignes au paragraphe 92 :

[92] Je fais miens ces commentaires sur le témoignage d’expert et je retiens la démarche du juge Spence dans Ultravite, de la Chambre des lords dans General Electric et de la Cour d’appel d’Angleterre dans esure. Dans les affaires portant sur des marchandises ou des services offerts au grand public, par exemple des résidences pour personnes âgées, les juges doivent évidemment examiner chaque marque litigieuse globalement, mais aussi eu égard à la caractéristique dominante de chacune, sa caractéristique la plus frappante ou singulière. Ils doivent faire appel à leur bon sens et ne pas se laisser influencer par leurs « connaissances ou [leur] tempérament particuliers » pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.

[50]  Cela n’exclut évidemment pas l’utilisation de sondages dans les affaires de marques de commerce, bien que la Cour souligne que « la preuve par sondage doit être utilisée avec circonspection » (Masterpiece, paragraphe 93). Toutefois, ce type de preuve n’est pas nécessaire.

[51]  La connotation que l’on retrouve en l’espèce provient en partie d’une inférence tirée du sens du mot « smart ». L’Oxford Canadian Dictionary (2001) donne, comme première signification en Amérique du Nord, la définition suivante au mot smart : [traduction« Intelligent, vif, brillant ». Je ne suis pas convaincu qu’il était erroné de dire que le mot « smart » laisse entendre un choix plus sain, même si la même conclusion a été tirée dans une autre affaire. On ne sous-entend pas que la conclusion est fondée sur la preuve dans l’affaire La Tortilla Factory. Rien n’indique que tel était le cas et Canada Bread ne l’a pas soutenu. La Commission a simplement déclaré être parvenue dans la présente affaire à la même conclusion que celle à laquelle elle était parvenue dans une autre affaire quant à l’idée que suggère la marque SMART.

[52]  Mais cela n’en fait pas pour autant une question de droit. En l’absence de tout élément permettant d’établir qu’un « choix plus sain » découle de la preuve dans une autre affaire, ce qu’a laissé entendre l’avocat à l’audience sans preuve à l’appui, je ne puis conclure à une erreur de droit.

[53]  Le caractère raisonnable d’une inférence est une question différente. Le présent dossier contenait de nombreuses preuves du lien entre la marque SMART et le fait que les produits de boulangerie de la demanderesse étaient des produits de boulangerie sains. L’affidavit de M. Breton regorge de divers documents et publicités où la marque de commerce SMART, bien en vue, est associée à « grain entier » et à « choix plus sain », notamment grâce à la mention [traduction] « 13 nutriments essentiels », « 190 calories », « 3 grammes de fibre », et ce qui semble être l’approbation de la Fondation des maladies du cœur. Ailleurs, on insiste sur [traduction« le bon goût du pain blanc, les bienfaits des grains entiers » ainsi que sur une [traduction] « source de fibres et de calcium ». La marque SMART est toujours associée aux grains entiers, aux super grains et aux fibres. Dans une annonce, une mère et son fils sont présentés de la façon suivante, avec le mot « smart » affiché à trois endroits sur la page : [traduction] « Un duo dynamique....maman et Smart! Avec 16 grains entiers, les bienfaits de 16 nutriments essentiels et 5 grammes de fibres, le pain blanc Dempster’s Smart® contenant 16 grains entiers est le compagnon idéal pour s’assurer que vos enfants mangent, jouent et soient Smart™! »

[54]  Le moins qu’on puisse dire, c’est que la demanderesse est loin d’avoir découragé l’étroite relation entre sa marque de commerce et un choix plus sain. Cette relation semble prévaloir dans tous les produits offerts par Canada Bread, puisque les publicités sur les emballages concernant les muffins anglais, les pains à hot-dog et à hamburger, les bagels, les tortillas et bien sûr le pain font tous référence aux bienfaits du produit. On peut non seulement faire un lien avec la connotation du mot « smart » (une personne intelligente et brillante recherchera des produits plus sains), mais aussi soutenir que la marque de commerce a été employée en ce sens. Que l’inférence soit forte ou non est une chose. C’en est une autre de prétendre sans preuve à l’appui que la Commission se fonde, pour parler d’un « choix plus sain », uniquement sur un autre dossier. Il y avait dans le présent dossier des éléments de preuve à l’appui de cette affirmation.

C.  Caractère raisonnable de la décision

[55]  Il semblerait que, dans sa décision, la Commission ait d’abord examiné le dessin des marques de commerce de Dr. Smood ApS pour lesquelles l’enregistrement a été demandé. Au paragraphe 51 de la décision, il est mentionné qu’étant donné que les motifs d’opposition sont les mêmes à l’égard des deux marques de commerce, ce n’est qu’au besoin qu’une distinction sera faite.

[56]  Toutefois, il ressort clairement de l’examen du degré de ressemblance (alinéa 6(5)e)) que l’accent a été mis sur la marque de commerce Dr. Smood et al Dessin lorsque la Commission a constaté à quel point Dr. Smood était en vue dans le dessin, ce qui en a fait l’aspect le plus frappant de la marque de commerce. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’avocat de la demanderesse a admis à l’audience que la décision de la Commission de rejeter l’opposition concernant le dessin était bien fondée. Par conséquent, l’appel interjeté contre le refus de faire droit à l’opposition à l’enregistrement de la marque de commerce THE HEALTH COMPANY DR. SMOOD SMART FOOD FOR A GOOD MOOD EST. 2014 (demande no 1 707 009) est rejeté.

[57]  Reste la question de la marque verbale SMART FOOD FOR A GOOD MOOD. Toute l’analyse et la conclusion de la Commission concernant le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e)) se trouvent au paragraphe 111, que je reproduis de nouveau dans son intégralité pour en faciliter la consultation :

[111]  En ce qui a trait à la marque de commerce SMART FOOD FOR A GOOD MOOD de la Requérante, je conviens que sa première partie est constituée de la totalité de la marque de commerce SMART de Canada Bread. Néanmoins, lorsque les marques de commerce sont considérées dans leur ensemble, j’estime qu’elles sont plus différentes que semblables dans la présentation et le son. Également, comme je l’ai indiqué précédemment, j’estime que la marque de commerce de la Requérante est suggestive d’un résultat escompté des produits, c.­à­d. améliorer l’humeur d’une personne. Ce n’est pas là l’idée que suggère la marque de commerce de Canada Bread.

[Non souligné dans l’original.]

Les quatre autres facteurs énoncés au paragraphe 6(5) allaient tous à l’encontre de la défenderesse. La Commission n’a pas conclu que les marques étaient si dissemblables qu’il n’y avait pas lieu d’accorder de poids aux autres facteurs qui pourraient contrebalancer le poids à accorder au facteur de « ressemblance » (Masterpiece, précité, paragraphe 49). En fait, la Commission s’est fondée sur la preuve de l’état du registre pour conclure qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion.

[58]  L’analyse du degré de ressemblance et de la preuve de l’état du registre soulève des problèmes qui rendent la décision de la Commission déraisonnable, en ce sens qu’elle manque de justification, de transparence et plus particulièrement d’intelligibilité. Quatre facteurs militent en faveur de la demanderesse et un, en faveur de la défenderesse. La Commission a jugé bon de s’appuyer sur un autre facteur pour conclure ensuite sur la question de la confusion. Ce facteur supplémentaire a joué un rôle : il a dilué la portée de la protection à laquelle la marque SMART a droit, contrebalançant ainsi en quelque sorte le caractère distinctif de la marque. Toutefois, le poids accordé à ce facteur n’était pas justifié.

[59]  Le problème est le suivant. La preuve concernant l’état du registre en l’espèce est nettement insuffisante comme il en ressort de la jurisprudence de la Cour. Évidemment, la Commission a choisi de s’en tenir à l’état du registre pour mettre en balance les quatre facteurs favorables à Canada Bread et la ressemblance entre la marque verbale de Dr. Smood et la marque Canada Bread. Comme nous l’avons souligné précédemment dans les présents motifs, dans l’arrêt Masterpiece, la Cour a souscrit à l’avis du professeur Vaver selon lequel la ressemblance des marques est le facteur le plus important, car « si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion » (Masterpiece, précité, paragraphe 49). La Commission aurait pu s’exprimer clairement en déclarant que la marque verbale (012) était complètement différente de la marque enregistrée de la demanderesse. Un tel manque de similitude a été constaté pour le dessin (009), et non pour la marque verbale. La Commission a plutôt cherché à se conforter dans la preuve relative à l’état du registre.

[60]  La preuve présentée en l’espèce échoue sur deux fronts, de sorte que sa valeur probante est considérablement diminuée. Les éléments de preuve extraits de l’état du registre permettent au décideur de tirer des inférences concernant l’état du marché. Comme la juge Mactavish l’a récemment conclu dans la décision McDowell I, précitée, « de telles inférences ne peuvent être tirées que s’il existe un grand nombre d’enregistrements pertinents » (paragraphe 42). Citant l’arrêt Kellogg, précité, à l’appui de sa conclusion, ma collègue poursuit en expliquant que « [s]elon la théorie, la présence d’un élément commun dans des marques incite les acheteurs à porter davantage attention à d’autres caractéristiques des marques et à les différencier à partir de ces autres caractéristiques ».

[61]  Plus important encore, à mon avis, la preuve de l’emploi d’un élément commun ne devient pertinente que lorsque les marques enregistrées sont couramment employées sur le marché en question. La juge Mactavish a souscrit, au paragraphe 46, à la déclaration suivante du juge de Montigny dans la décision Hawke, précitée :

Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’une recherche dans le registre du bureau des marques de commerce ne constitue pas la meilleure façon de s’enquérir de l’état du marché ou de l’usage réel d’une marque. Le fait qu’une marque figure au registre ne constitue pas une preuve qu’elle est présentement employée, qu’elle était en usage aux dates pertinentes, qu’elle est employée en rapport avec les marchandises ou des services semblables à ceux des parties, ou encore de […] l’ampleur de cet usage (Equinox Entertainment Ltd. c 54th Street Holdings Sarl, 2011 COMC 233 (CanLII), [2011] COMC no 5233, 98 CPR (4th) 14 [Equinox Entertainment] au paragraphe 35 (COMC).

Notre collègue le juge Manson a joint sa voix au chœur dans la décision McDowell c The Body Shop International PLC, 2017 CF 581, au paragraphe 43 [McDowell II]. Il demeure très difficile de savoir quelles inférences peuvent légitimement être tirées sans preuve de l’emploi d’un élément commun par des tiers sur le marché.

[62]  Dans les 12 paragraphes consacrés à l’état du registre, la Commission n’a pas traité de l’usage réel qui a été fait de l’élément commun. La seule preuve est l’existence dans le registre de marques qui contiennent, entre autres éléments, le mot « smart ». Autrement dit, on nous informe de l’existence des enregistrements, et non de leur emploi, actuel et antérieur, ou de l’étendue de leur utilisation. En fait, la Commission ne s’est préoccupée que de l’existence d’un enregistrement de sorte que « la preuve de l’état du registre dilue effectivement l’étendue de la protection à laquelle a droit la marque de commerce SMART de Canada Bread » (paragraphe 137). Sans preuve de l’emploi, il est difficile de déterminer s’il peut y avoir dilution et dans quelle mesure.

[63]  Dans la décision McDowell I, précitée, il n’y avait pas un grand nombre d’enregistrements pertinents, situation semblable à celle de l’affaire qui nous occupe. Pourtant, la Commission s’est déclarée en mesure de conclure que « Mme McDowell n’exerçait pas un monopole sur l’utilisation du mot “honey” dans le secteur des produits pour soins personnels » (paragraphe 45). Dans la décision McDowell II, la Cour a conclu que l’absence de preuve que la marque était employée en liaison avec des marchandises semblables à celles des parties était suffisante pour conclure que la Commission avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable uniquement à partir de l’état du registre. C’est également la conclusion à laquelle je parviens en l’espèce. Il est loin d’être clair que Canada Bread devrait avoir le monopole d’un mot courant de la langue anglaise et quelle serait la portée de ce monopole. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de tirer une telle conclusion.

[64]  Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit non seulement appartenir aux issues possibles acceptables, mais également bien cadrer avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. En l’espèce, si la preuve de l’état du registre n’est pas probante parce que l’emploi de l’élément commun n’a pas été établi comme il l’a été exigé dans les deux affaires McDowell et dans l’affaire Hawke, il ne nous reste que très peu à l’appui de la marque verbale, sinon le degré de ressemblance. La ressemblance entre les deux marques serait plus différente que semblable, ce qui favoriserait l’intimé, d’après la présentation et le son, et la suggestion que les produits de Dr. Smood transmettent l’idée que ses produits améliorent l’humeur. Je constate que ce n’est pas seulement le mot « smart » qui véhicule l’idée que les produits ont pour effet d’améliorer l’humeur, comme l’a soutenu à plusieurs reprises l’avocat de Canada Bread. C’est la marque verbale même qui le dit sans équivoque : smart food for a good mood [aliments judicieux pour une bonne humeur]. Une analyse aussi limitée ne permet pas de prédire quel serait le résultat sans la preuve de l’état du registre, qui a occupé 12 paragraphes contre un seul paragraphe pour justifier un manque de ressemblance. Il semble certainement que la Commission elle-même n’a pas vu le degré de ressemblance, ou n’a pas vu un degré de ressemblance suffisamment élevé puisqu’elle a eu recours à la preuve de l’état du registre pour étayer sa conclusion.

[65]  Il s’ensuit que la décision manque d’intelligibilité en raison de la limite en soi du recours à la preuve relative à l’état du registre et de la justification de la conclusion concernant la ressemblance entre les deux marques. Nous ne savons pas quelle aurait été l’issue si la Commission avait été plus explicite quant à la ressemblance entre les deux marques et si elle avait conclu que la preuve de l’état du registre était lacunaire.

[66]  Récemment, dans l’arrêt Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, le juge Stratas a passé en revue le droit concernant la capacité d’un tribunal de révision à compléter les motifs des décideurs administratifs. On nous rappelle que le législateur a imposé aux décideurs ayant de l’expertise le devoir de régler les affaires pour lesquelles cette expertise existe. Comme le juge Binnie l’a dit dans l’arrêt Mattel, « [l]a détermination de la probabilité de confusion requiert une expertise que la Commission (qui procède quotidiennement à des évaluations de ce genre) possède dans une plus grande mesure que les juges en général » (paragraphe 36). Le juge Stratas estime que des limites ont été imposées à la participation des tribunaux de révision au processus décisionnel qui devrait se dérouler au niveau administratif :

[traduction]

[77]  Toutefois, notre participation a une limite. L’arrêt Delta n’exige pas que nous déterminions, par nous-mêmes, le fond de l’affaire, que nous statuions sur son bien-fondé à la place de l’administrateur, puis que nous rédigions ses motifs. L’arrêt Delta souligne au contraire que les administrateurs doivent toujours s’acquitter de leurs tâches. L’arrêt Delta énonce (au paragraphe 27) que les « motifs [formulés par l’administrateur] ont encore de l’importance » et qu’ils jouent un « rôle essentiel [...] en droit administratif ». Pour faire bonne mesure, l’arrêt Delta réitère (au paragraphe 24) la mise en garde faite par la Cour Suprême dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 : les cours de révision n’ont pas carte blanche pour rédiger les motifs à la place du décideur administratif.

[78]  L’arrêt Alberta Teachers nous dit que c’est une chose, pour les cours de révision, d’interpréter les motifs à la lumière du dossier et de conclure que, malgré le silence des motifs sur certaines questions, celles‑ci doivent avoir été examinées et traitées d’une façon quelconque. Toutefois, c’est une tout autre chose de rédiger les motifs de l’administrateur de toutes pièces ou de rayer des parties des motifs de l’administrateur et de rédiger nos propres motifs.

[67]  Une cour de révision aurait certainement le droit de compléter les motifs lorsque le contexte indiquerait que l’affaire a été abordée d’une certaine façon.

[68]  Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. La décision n’est pas raisonnable parce qu’elle manque d’intelligibilité. Il appartient au tribunal administratif de statuer sur les questions pour lesquelles il a été créé. L’expertise appartient à la Commission et un tribunal de révision devrait éviter de substituer son point de vue à celui de la Commission. En fait, cela pourrait renverser la norme de la décision raisonnable et faire en sorte que le tribunal de révision applique la norme de la décision correcte.

[69]  C’est pourquoi la question de savoir si la marque verbale et la marque enregistrée de la demanderesse, sans le bénéfice de la preuve de l’état du registre, qui a été jugée insuffisante, sont source de confusion, doit être renvoyée à une Commission différemment constituée pour que celle-ci statue à nouveau sur cette question. L’appréciation des facteurs relève de la compétence de la Commission et devrait être effectuée par celle-ci.


JUGEMENT dans l’affaire T-1195-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel interjeté à l’égard du rejet de l’opposition à la demande d’enregistrement no 1 702 009, THE HEALTH COMPANY DR SMOOD SMART FOOD FOR A GOOD MOOD EST. 2014, (Dr. Smood et al Dessin) est rejeté.

  2. L’appel interjeté à l’égard du rejet de l’opposition à la demande d’enregistrement no 1 707 012, SMART FOOD FOR A GOOD MOOD (marque verbale), est accueilli. La question de la confusion entre la marque de la demanderesse, SMART, et celle à enregistrer, SMART FOOD FOR A GOOD MOOD, est renvoyée à une Commission des oppositions des marques de commerce différemment constituée pour que celle-ci statue à nouveau sur cette question.

  3. Étant donné que le présent appel, auquel la défenderesse n’a pas participé, a été accueilli partiellement, aucuns dépens ne sont adjugés.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1195-18

INTITULÉ :

CANADA BREAD COMPANY, LIMITED

c DR. SMOOD APS

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Bruno Barrette

Clara Chow

Pour la demanderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrette Legal Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.