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Date : 20190313


Dossier : IMM‑3531‑18

Référence : 2019 CF 302

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SHARANDEEP KAUR TOOR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Sharandeep Kaur Toor, a présenté une demande pour parrainer son père, Darbara Singh Toor (M. Toor), afin qu’il obtienne un visa de résident permanent lui permettant d’entrer au Canada. La demande de visa a été rejetée le 14 juillet 2015 par un agent d’immigration (l’agent) du haut‑commissariat du Canada, à New Delhi, en Inde. Le 14 juin 2018, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel de la demanderesse. Celle‑ci sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est accueillie.

I.  Le contexte

[3]  La demanderesse raconte qu’elle est venue au Canada munie d’un visa d’étudiant en 2006, à l’âge de 22 ans, et que sa sœur est arrivée au Canada en 2007, elle aussi avec un visa d’étudiant. Elles ont toutes deux présenté une demande d’asile et obtenu le statut de réfugié. La demanderesse et sa sœur se sont vu accorder le statut de résident permanent en 2009 et en 2010, respectivement.

[4]  À la suite du décès de leur mère en Inde en novembre 2007, la demanderesse et sa sœur ont essayé de trouver une deuxième épouse à leur père, M. Toor. Elles ont publié une annonce au Canada et ont trouvé une femme qui a accepté d’épouser leur père, de prendre soin de leur jeune frère en Inde, ainsi que de parrainer leur père et leur frère afin qu’ils puissent venir au Canada. Monsieur Toor a épousé sa deuxième femme en Inde, en janvier 2008. La demande de parrainage d’un époux a été déposée en avril 2008, mais elle a été rejetée en mai 2009 à la suite d’une entrevue avec M. Toor, entrevue à laquelle l’épouse de ce dernier n’a pas assisté. Monsieur Toor et sa deuxième épouse ont divorcé plus tard en 2009.

[5]  Monsieur Toor a épousé sa troisième femme en mars 2010.

[6]  En mai 2010, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer son père, sa belle‑mère et son frère afin qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada. Monsieur Toor a été interrogé par un agent en juillet 2015.

II.  La décision de l’agent d’immigration

[7]  Dans sa décision datée du 14 juillet 2015, l’agent a informé la demanderesse que sa demande de parrainage était rejetée parce que M. Toor n’avait pas satisfait aux exigences de la Loi. Dans la lettre d’accompagnement rédigée à l’attention de M. Toor, l’agent a déclaré qu’un demandeur devait répondre véridiquement à toutes les questions, comme l’exige l’article 16 de la Loi. L’agent s’est concentré sur les réponses de M. Toor aux questions sur son deuxième mariage, sur le fondement des demandes d’asile de ses filles au Canada, sur les accusations criminelles portées contre lui en 2008‑2009 et sur son lieu de résidence. L’agent a constaté des contradictions dans les réponses de M. Toor, particulièrement lors des entrevues précédentes, et a fait remarquer que les formulaires ne concordaient pas avec les déclarations faites par M. Toor lors de sa dernière entrevue. L’agent n’était pas convaincu que M. Toor avait répondu véridiquement aux questions.

III.  La décision de la SAI

[8]  La SAI a confirmé la décision de l’agent.

[9]  La SAI a évalué la preuve présentée par M. Toor, non seulement lors de l’entrevue du 15 avril 2015, mais aussi lors de l’entrevue de 2009.

[10]  La SAI s’est penchée sur les réponses données par M. Toor. Lors de son entrevue de 2009, celui‑ci avait affirmé qu’il croyait que son deuxième mariage était authentique, alors qu’il avait déclaré à son entrevue de 2015 que la demande de parrainage de sa deuxième épouse était « factice ». La SAI a conclu que les réponses de M. Toor étaient difficiles à croire; le mariage ne pouvait pas être authentique si la demande de parrainage était « factice ». La SAI a aussi conclu que le fait que M. Toor n’ait pas mentionné lors de son entrevue de 2009 qu’il avait demandé le divorce était très pertinent.

[11]  La SAI a aussi tenu compte des réponses de M. Toor aux questions sur le fondement des demandes d’asile que ses filles ont présentées au Canada. Lors de son entrevue de 2009, M. Toor a affirmé que ses filles avaient présenté des demandes d’asile, mais qu’il ne savait pas quel en était le fondement. Pendant son entrevue de 2015, il a déclaré qu’il n’avait pas voulu révéler en 2009 la raison pour laquelle ses filles avaient quitté l’Inde pour ne pas compromettre leurs demandes. En 2015, il avait également allégué que ses filles avaient quitté l’Inde en raison du harcèlement auquel se livrait la police. La SAI a conclu que les deux récits soulevaient des préoccupations et laissaient penser que des procédures d’immigration douteuses avaient été employées.

[12]  La SAI a aussi tenu compte du fait que M. Toor n’avait pas révélé, lors de son entrevue de 2009 pour la demande de parrainage d’un époux, que des accusations criminelles avaient été déposées contre lui après la présentation de la demande en 2008, accusations qui avaient été abandonnées avant l’entrevue de 2009.

[13]  Par la suite, la SAI s’est penchée sur la réponse fournie par M. Toor dans le formulaire de demande de parrainage d’un membre de la famille au sujet de son lieu de résidence pendant les dix années qui en ont précédé le dépôt. Deux adresses à Moga avaient été fournies, mais d’autres éléments de preuve démontraient que M. Toor avait aussi habité à Ludhiana pendant certaines périodes en raison de son travail de policier, en plus d’y avoir habité avec sa famille pendant sept ou huit mois. Lorsque ces incohérences avaient été soulignées à M. Toor, celui‑ci avait répondu qu’il avait fourni les adresses de ses résidences permanentes, comme on le lui avait demandé. La SAI a fait remarquer que la question était claire et que la réponse fournie par M. Toor sur le formulaire — à savoir qu’il avait toujours habité à Moga — était, elle aussi, limpide. La SAI a donc estimé que l’agent avait raisonnablement conclu que M. Toor manquait de crédibilité relativement à son lieu de résidence.

[14]  La SAI a fait remarquer que le fait que les demandes de visa précédentes de M. Toor aient été rejetées ne constituait pas un motif pour rejeter toutes les demandes subséquentes. Elle a ainsi déclaré que « l’agent ne [devait] pas se contenter de regarder en arrière et fonder son évaluation actuelle sur des demandes ou des décisions antérieures ». La SAI a conclu que ce n’était pas ce qu’avait fait l’agent, et que l’évaluation faite par ce dernier de la sincérité de M. Toor portait sur des questions pertinentes et importantes ayant trait à l’obligation de franchise de celui‑ci, et non sur des contradictions mineures. Elle a ajouté que l’agent ne pouvait pas ignorer les renseignements précédemment fournis ou omis.

[15]  La SAI a également conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une exemption des exigences de la Loi.

IV.  La question en litige

[16]  La principale question en litige consiste à savoir si la SAI a raisonnablement conclu que la décision de l’agent, selon laquelle M. Toor n’était pas sincère, était fondée sur des éléments de preuve pertinents concernant la présente demande de parrainage d’un membre de la famille.

V.  La norme de contrôle

[17]  La norme de contrôle à appliquer à la décision de la SAI, qui est fondée sur une question mixte de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable. « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

VI.  Les observations de la demanderesse

[18]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en se concentrant sur les demandes antérieures de M. Toor et sur les incohérences relevées dans l’entrevue précédente de celui‑ci, plutôt que sur les réponses et le témoignage qu’il a fournis dans le cadre de la présente demande. La demanderesse ajoute que ces incohérences importent peu pour la présente demande.

[19]  En ce qui concerne la conclusion selon laquelle M. Toor a menti sur son deuxième mariage, la demanderesse soutient que les témoignages de son père lors des entrevues de 2009 et de 2015 n’étaient pas incohérents. Celui‑ci avait affirmé en 2009 qu’il pensait que son mariage était authentique, et il avait soutenu en 2015 qu’il pensait également que sa deuxième épouse n’avait jamais eu l’intention de le parrainer, ce qui lui avait fait dire que la demande de parrainage était factice. La demanderesse fait valoir que les deux croyances peuvent coexister.

[20]  Pour ce qui est du fait que M. Toor a omis d’aviser l’agent en 2009 qu’il avait déjà demandé le divorce, la demanderesse soutient que son père a reconnu en 2015 qu’il aurait dû divulguer cette information en 2009. Elle affirme que la SAI punit M. Toor dans la présente demande parce qu’il n’a pas fait preuve de franchise dans la demande antérieure de parrainage d’un époux, laquelle a été rejetée.

[21]  Quant à la conclusion de la SAI selon laquelle M. Toor a négligé de divulguer les accusations criminelles portées contre lui, la demanderesse avance que cette question s’inscrit elle aussi dans le contexte de la demande antérieure de parrainage d’un époux. Dans la demande écrite déposée en 2008, M. Toor a répondu avec franchise qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’infractions et qu’il ne faisait l’objet d’aucune accusation criminelle. Il a cependant été accusé plus tard d’une infraction criminelle liée à la contrefaçon de monnaie. La demanderesse fait remarquer que ces accusations ont été retirées avant l’entrevue de M. Toor en 2009. La réponse que ce dernier a donnée lors de l’entrevue de 2009 était donc franche.

[22]  En ce qui concerne la conclusion de la SAI selon laquelle M. Toor n’a pas dit la vérité lorsqu’il a répondu aux questions sur le statut d’immigration de ses filles, la demanderesse allègue que la SAI a commis une erreur en comparant les réponses données à des moments différents dans le contexte de demandes différentes. Elle ajoute que la SAI n’a tiré aucune conclusion claire relativement à la crédibilité de son père. La demanderesse soutient que la SAI a plutôt conclu, compte tenu des réponses antérieures de M. Toor, que soit celui‑ci connaissait le fondement des demandes d’asile qu’elle et sa sœur avaient déposées, soit il l’ignorait. Elle avance que la SAI était tenue d’évaluer la sincérité de M. Toor dans le cadre de la présente demande, ce qu’elle n’a pas fait.

[23]  Pour ce qui est des conclusions de la SAI relativement au lieu de résidence de M. Toor, la demanderesse note que de nombreux documents indiquent que celui‑ci a brièvement habité à Ludhiana. L’agent le savait. La demanderesse fait également remarquer que la SAI a reconnu que le fait que M. Toor a omis d’indiquer sur son formulaire les périodes pendant lesquelles il avait habité à Ludhiana ne constituait pas une omission importante. La demanderesse soutient que l’omission des périodes pendant lesquelles son père a habité à Ludhiana n’a pas d’incidence sur son admission au Canada, et qu’elle ne devrait pas en avoir sur la décision de la SAI.

[24]  La demanderesse affirme en outre que la SAI a commis une erreur dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire en ne reconnaissant pas l’importance de la réunification des familles et en ignorant le fait que la famille avait été séparée en raison des demandes d’asile, et non par choix.

VII.  Les observations du défendeur

[25]  Le défendeur avance que la SAI n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a confirmé la décision de l’agent. Il allègue qu’il est insensé d’interpréter l’article 16 comme une disposition exigeant d’un demandeur qu’il dise la vérité seulement dans la présente demande et de laisser entendre que la SAI devrait ignorer toutes les demandes antérieures. Bien que chaque demande doive être évaluée séparément, rien n’interdit à un agent de tenir compte des demandes antérieures et des renseignements qu’elles contiennent. Le défendeur soutient que l’obligation de dire la vérité et l’obligation de divulguer les renseignements pertinents sont maintenues pendant toute la durée du processus de demande.

[26]  En ce qui concerne les conclusions de la SAI relativement aux réponses de M. Toor aux questions sur son deuxième mariage, le défendeur souligne que les réponses fournies lors de l’entrevue de 2015 étaient différentes de celles fournies lors de l’entrevue de 2009, particulièrement pour ce qui est de la question de savoir si la deuxième épouse de M. Toor allait le parrainer ou non.

[27]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SAI concernant le fait que M. Toor a omis de divulguer les accusations criminelles dont il était l’objet étaient raisonnables. Bien que les accusations aient été retirées, le fait de ne pas avoir divulgué ces renseignements pertinents constitue un manquement à l’obligation de franchise.

[28]  Le défendeur conteste l’argument de la demanderesse selon lequel la SAI n’a pas tiré de conclusion claire sur la crédibilité des réponses de M. Toor aux questions sur les raisons pour lesquelles ses filles ont immigré au Canada.

[29]  Pour ce qui est des réponses incohérentes de M. Toor au sujet de son lieu de résidence, le défendeur souligne que, même si d’autres documents indiquaient qu’il avait passé du temps à Ludhiana, la réponse fournie par M. Toor dans la présente demande indiquait qu’il avait vécu uniquement à Moga.

VIII.  La demande est accueillie

[30]  Tous les demandeurs sont tenus d’être honnêtes en tout temps, quel que soit le type de statut d’immigration qu’ils sollicitent. L’article 16 constitue une exigence claire et fondamentale de la Loi, et il prévoit ce qui suit :

16(1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16(1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Rien dans la présente décision ne saurait diminuer l’exigence selon laquelle un demandeur doit faire preuve d’honnêteté et de franchise.

[32]  Dans l’affaire Mescallado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 462, [2012] 4 RCF 446, la Cour a expliqué, aux paragraphes 16 et 17, ce qui distingue les exigences prévues à l’article 16 de celles prévues à l’article 40 de la Loi :

[16]  Bien que les articles 16 et 40 aient tous les deux pour objet de garantir la véracité, ils traitent de la question de manière bien différente et emportent des conséquences tout aussi distinctes.

[17]  À l’article 16, il est question de véracité au sens de l’exactitude et de l’intégralité des renseignements. On n’y parle pas et on n’y impose pas de seuil d’importance, bien que la pertinence soit toujours requise.

[33]  Dans l’affaire Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, 237 ACWS (3d) 741, la Cour a aussi confirmé qu’il n’était pas nécessaire que les omissions et les déclarations mensongères soient importantes pour qu’une demande soit rejetée au titre de l’article 16 de la Loi. Elle a noté ce qui suit aux paragraphes 31 et 33 :

[31]  Il existe toutefois des décisions dans lesquelles les tribunaux ont statué que l’obligation de franchise est une des exigences de la LIPR et que la violation de cette obligation justifie le refus d’une demande en vertu du paragraphe 11(1) (Mescallado, précité; Porfirio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 794, aux paragraphes 39 et 45, 99 Imm LR (3d) 320 [Porfirio]; Lan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770, au paragraphe 10, 42 Imm LR (3d) 280 [Lan]). Par conséquent, les omissions et fausses déclarations faites par la demanderesse pourraient justifier le refus de sa demande, et ce, que ces omissions et fausses déclarations aient porté ou non sur un point important, tout comme son défaut de fournir les documents pertinents demandés.

[…]

[33]  Il incombe au demandeur de convaincre l’agent des visas qu’il satisfait aux conditions lui permettant d’immigrer au Canada. Le demandeur qui ne répond pas véridiquement aux questions qui lui sont posées risque de voir la fiabilité de l’ensemble de son témoignage remis en question et il se peut alors que l’agent ne dispose plus de suffisamment de renseignements pour pouvoir conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire et qu’il satisfait aux exigences de la LIPR. Comme le juge Scott l’a expliqué dans le jugement Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 278, au paragraphe 37, [2012] 4 RCF 457, après avoir examiné la jurisprudence sur la question, l’agent peut rejeter, en vertu du paragraphe 11(1), une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné « un portrait complet » de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur « n’est pas interdit de territoire ». D’ailleurs, il ressort des notes versées au SMGC par l’agente que c’est effectivement ce qui s’est produit en l’espèce.

[34]  En l’espèce, la SAI s’est concentrée sur les incohérences relevées dans les réponses données par M. Toor dans la demande antérieure présentée en 2009, c’est‑à‑dire la demande de parrainage d’un époux. Cette demande a été rejetée en raison de préoccupations concernant le mariage du demandeur. Dans la présente demande, la SAI a conclu, comme l’agent, que les réponses données par M. Toor en 2009 concernant l’authenticité de son deuxième mariage étaient incompatibles avec les réponses fournies en 2015 au sujet de la sincérité de sa deuxième épouse à l’égard du parrainage. La SAI a conclu que les réponses de M. Toor concernant les raisons pour lesquelles ses filles avaient immigré au Canada, toujours dans le contexte de la demande de parrainage d’un époux de 2009, étaient incohérentes. La SAI a également conclu qu’en 2009, M. Toor n’avait pas fait preuve de franchise puisqu’il n’avait pas divulgué qu’il avait été accusé d’une infraction criminelle, même si les accusations avaient été portées contre lui après le dépôt de la demande de parrainage d’un époux et abandonnées avant qu’il soit interrogé par l’agent. Ces incohérences et omissions ont toutes été relevées dans le contexte de la demande de parrainage d’un époux de 2008‑2009 et ont servi à conclure que M. Toor n’avait pas fait preuve d’honnêteté dans la présente demande.

[35]  La SAI a déclaré qu’un agent ne doit pas regarder en arrière et fonder ses constatations actuelles sur des conclusions antérieures, et que chaque demande doit être évaluée séparément. Bien que la SAI ait conclu que ce n’est pas ce que l’agent a fait, il semble que ce soit exactement ce qu’ont fait la SAI et l’agent. La SAI a commis une erreur en inférant que les conclusions de l’agent, lesquelles étaient principalement fondées sur la demande de 2008‑2009, étaient raisonnables.

[36]  Je reconnais qu’un décideur a le droit de tenir compte des demandes antérieures et d’un témoignage antérieur incohérent pour évaluer la véracité d’une demande. Toutefois, en l’espèce, les principales incohérences et omissions sur lesquelles la décision a été fondée ne se trouvaient pas dans la présente demande, mais dans la demande antérieure de parrainage d’un époux.

[37]  La SAI n’a pas clairement indiqué si les réponses de M. Toor concernant sa demande actuelle étaient véridiques, sauf en ce qui concerne son lieu de résidence.

[38]  La seule préoccupation soulevée par la SAI à l’égard des réponses fournies par M. Toor dans la présente demande de parrainage d’un membre de la famille concernait la liste des anciennes résidences du demandeur, parce qu’une période de sept à huit mois pendant laquelle lui et sa famille avaient vécu à Ludhiana avait été omise. Bien que la réponse de M. Toor ait été incomplète, il a expliqué qu’on lui avait demandé d’indiquer sa résidence permanente et que c’est ce qu’il avait fait. De plus, la SAI a conclu que l’omission de la période passée à Ludhiana n’était pas « en soi » importante dans la mesure où d’autres documents en faisaient état.

[39]  Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’obligation de dire la vérité ne peut être minimisée. L’issue du présent contrôle judiciaire ne doit pas laisser entendre qu’un demandeur peut changer son récit dans une demande subséquente et soutenir que chaque demande doit être évaluée séparément, ou présenter des versions différentes de la vérité. Il n’y a qu’une seule vérité. Les contradictions et les incohérences relatives à un témoignage antérieur peuvent constituer — et constituent effectivement — un fondement pour des conclusions défavorables en matière de crédibilité. Toutefois, dans les circonstances particulières en l’espèce, on ne sait pas avec certitude si l’agent s’est concentré sur la demande actuelle et, dans ce contexte, a conclu que M. Toor ne disait pas la vérité, ou s’il s’est concentré sur la demande antérieure et a appliqué les conclusions défavorables relatives à la crédibilité à la présente demande pour conclure que M. Toor ne disait pas la vérité. Il semble qu’il ait adopté la deuxième approche. Par conséquent, la décision de la SAI, qui confirmait la décision de l’agent, n’était pas raisonnable.

[40]  L’appel de la demanderesse doit faire l’objet d’un nouvel examen par la SAI.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3531‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mai 2019

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3531‑18

 

INTITULÉ :

SHARANDEEP KAUR TOOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

David Orman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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