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Date : 20190313


Dossier : IMM‑955‑18

Référence : 2019 CF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

XIAO LIANG LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le demandeur, Xiao Liang Li, est un citoyen de la République populaire de Chine. Peu après son arrivée au Canada, en avril 2011, il a présenté une demande d’asile au motif qu’il craint d’être persécuté en Chine parce qu’il est de confession chrétienne. À la suite d’une audience tenue le 29 janvier 2018 devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR), la demande a été rejetée sur la base de motifs écrits datés du 6 février 2018. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  CONTEXTE

[3]  Le demandeur est né en novembre 1971 dans la ville de Tianjin, en République populaire de Chine. Il est marié depuis juin 2000.

[4]  Le demandeur et sa femme ont une fille, qui est née en juillet 2005. Le demandeur allègue que sa femme est de nouveau tombée enceinte à l’été 2009, mais que les agents locaux responsables de la régulation des naissances ont été informés de la grossesse et qu’ils ont forcé sa femme à subir un avortement en septembre 2009. Le demandeur affirme qu’il était déprimé en raison de la perte de son fils à naître. À la suggestion d’un ami, il a commencé à fréquenter une maison‑église chrétienne clandestine. Par la suite, il a assisté aux services religieux chaque semaine. Le demandeur a constaté que cela lui permettait de redonner un sens à sa vie et de retrouver le bonheur. Il a été baptisé en juin 2010. Il a invité ses parents et sa femme à devenir membres de l’église, mais cela ne les intéressait pas.

[5]  Le demandeur affirme que le 9 janvier 2011, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a fait une descente dans la maison‑église pendant que lui et d’autres membres assistaient à un service. Les personnes présentes ont été alertées de la descente par l’appel téléphonique d’un guetteur stationné plus bas sur la route. D’après le récit du demandeur, [traduction] « [t]out le monde a commencé à fuir la maison en suivant le plan établi à l’avance ». Lui‑même [traduction] « a réussi à [s]’enfuir et à [s]e réfugier chez un cousin éloigné pour [s]e cacher ». Alors qu’il était caché, il a appris que le BSP s’était rendu chez lui et chez ses parents pour le rechercher. Le 12 janvier 2011, le BSP a laissé une citation à comparaître à son intention chez lui. Avec l’aide d’un passeur, le demandeur a fui la Chine pour se rendre au Canada en passant par la Corée du Sud. Il a utilisé son propre passeport, lequel a été remis à Citoyenneté et Immigration Canada lorsqu’il a présenté sa demande d’asile.

[6]  Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il assiste chaque semaine au service de l’église Living Water Assembly, à Toronto, depuis son arrivée au Canada. Il a présenté différents documents portant sur son implication au sein de l’église, notamment un certificat de baptême daté du 20 août 2011 et une lettre du révérend David Ko.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  La commissaire de la SPR a accepté l’identité du demandeur en tant que citoyen de la Chine. Elle a cependant rejeté la demande d’asile pour les motifs suivants :

  • elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait jamais appartenu à une église chrétienne clandestine en Chine;

  • elle n’a pas reconnu que le BSP avait fait une descente dans une maison‑église que fréquentait le demandeur;

  • elle a conclu que la citation à comparaître présentée par le demandeur n’était pas authentique;

  • elle a déterminé que le récit qu’avait fait le demandeur de son départ de la Chine n’était pas compatible avec l’allégation de celui‑ci selon laquelle les autorités chinoises le recherchaient;

  • elle a conclu que le demandeur ne pratiquait pas véritablement le christianismedepuis son arrivée au Canada.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[8]  Il est bien établi que la Cour contrôle la manière dont la SPR évalue les éléments de preuve qui lui sont présentés en fonction de la norme de la décision raisonnable (Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, aux paragraphes 6 à 15 [Hou]). Cette norme s’applique aux conclusions de fait que tire la SPR, ce qui inclut ses décisions en matière de crédibilité (Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242, au paragraphe 17), ses conclusions relatives à l’authenticité de documents, ainsi que son interprétation des éléments de preuve documentaires (Abdulkadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 318, au paragraphe 21).

[9]  Il est également bien établi que la Cour se doit de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions que tire la SPR en matière de crédibilité (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, au paragraphe 7), car la SPR est bien placée pour apprécier cet aspect (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (FCA), au paragraphe 4 (QL); Hou, au paragraphe 7). Elle a l’avantage d’observer les témoins qui déposent et elle possède peut-être bien une expertise dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision, ce qui inclut la situation qui règne dans le pays concerné (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 821, au paragraphe 58). Néanmoins, il incombe à la cour de révision de veiller à ce que les conclusions que tire la SPR en matière de crédibilité soient raisonnables.

[10]  L’examen du caractère raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18). La cour de révision examine « la justification de la décision […] la transparence […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas respectés. Il ne lui incombe pas de soupeser de nouveau la preuve ou d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

V.  ANALYSE

[11]  La commissaire de la SPR s’est fondée sur plusieurs éléments pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. À l’exception de la conclusion selon laquelle il n’avait pas véritablement pratiqué le christianisme depuis son arrivée au Canada, le demandeur conteste toutes les autres conclusions précises énumérées au paragraphe 7, ci‑dessus. Il soutient que chacune de ces conclusions est déraisonnable et a donné lieu à un résultat qui ne peut pas résister au contrôle judiciaire. Bien que je ne puisse accepter toutes les observations du demandeur, je conviens que plusieurs éléments essentiels de l’analyse de la commissaire sont erronés et que, dans l’ensemble, la décision est déraisonnable.

[12]  Examinons d’abord la première affirmation du demandeur, selon laquelle il était un chrétien pratiquant en Chine. Il était loisible à la commissaire de conclure, compte tenu de la preuve dont elle disposait, que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver qu’il appartenait à une église chrétienne clandestine en Chine. Sauf si le décideur a imposé un critère excessivement rigoureux ou qu’il a procédé à une analyse trop poussée de la preuve présentée par le demandeur lorsqu’il a évalué l’authenticité des croyances et des pratiques religieuses déclarées, la cour de révision devrait généralement faire preuve de retenue à l’égard de ce type de conclusion (voir Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, aux paragraphes 59 à 61; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 668, au paragraphe 37; et Bushra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 896, aux paragraphes 22 à 24).

[13]  En l’espèce, le demandeur a affirmé qu’il avait assisté aux services religieux d’une église chrétienne clandestine chaque semaine pendant plus d’un an, et qu’il avait reçu une bible en cadeau lors du deuxième service auquel il a pris part. En dépit d’une telle exposition aux pratiques de l’église, le demandeur n’en a fait qu’un compte‑rendu général lorsque la commissaire l’a interrogé à ce sujet. Celle‑ci était particulièrement préoccupée par le fait que le demandeur n’avait pas indiqué que les prières faisaient partie des pratiques de l’église jusqu’à ce qu’elle l’interroge directement à ce sujet. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas mentionné les prières plus tôt, le demandeur a répondu qu’il était nerveux, et il s’est excusé. La commissaire a rejeté cette explication parce que « les prières sont au cœur de toute église chrétienne ». L’exposé circonstancié du demandeur démontrait qu’il comprenait que la prière était au cœur des pratiques de l’église; pourtant, il n’a pas fourni cette information de son propre chef et s’est plutôt contenté d’énumérer des activités sans doute moins fondamentales (par exemple, la distribution de tracts). Dans ce contexte, il était loisible à la commissaire de conclure que cette omission n’était pas attribuable à la nervosité, comme l’affirmait le demandeur.

[14]  La commissaire ne s’est cependant pas contentée de rejeter l’explication du demandeur. Elle a estimé qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur n’ait jamais été membre d’une église chrétienne clandestine en Chine. À mon avis, il était déraisonnable pour la commissaire de considérer cette seule lacune dans la preuve comme un motif l’autorisant à conclure (selon la prépondérance des probabilités) que le demandeur n’avait jamais fait partie d’une église chrétienne clandestine en Chine. Sans plus de détails, un facteur constituant un motif de conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile ne permet pas pour autant de croire le contraire de ce qu’affirme le demandeur.

[15]  En outre, bien qu’il ait été ultimement loisible à la commissaire de ne pas croire la version des faits du demandeur concernant la descente du BSP à la maison‑église, les motifs de la commissaire pour tirer cette conclusion déterminante sont dépourvus de justification, de transparence et d’intelligibilité. Bien qu’elle ne l’ait pas exprimé en ces termes, il est évident que la commissaire a estimé que la déclaration du demandeur, selon laquelle il avait été capable de s’enfuir par la porte arrière de la maison parce que le BSP n’avait pas bloqué cette sortie, n’était pas plausible. Elle a soutenu ce qui suit : « Si les agents du PSB avaient eu l’intention de faire une descente dans cette église clandestine, ils auraient encerclé le bâtiment, et ne se seraient pas simplement présentés à la porte avant, en permettant ainsi aux gens de fuir par la porte arrière ». Le demandeur prétend qu’il ne s’agit là que de pures conjectures de la part de la commissaire. Bien que la déclaration de la commissaire ait pu être trop catégorique, en l’absence de preuve concernant les méthodes tactiques du BSP, il s’agissait d’une question pertinente dont elle devait logiquement tenir compte. En outre, le demandeur n’a pas aidé sa propre cause puisqu’il a lui‑même fourni différentes explications au fait que le BSP n’ait pas bloqué la porte arrière. Il a notamment indiqué que la route qui passait derrière la maison était un sens unique dans la mauvaise direction, qu’il s’y trouvait un fossé, que la pente de la colline derrière la maison était trop prononcée pour que les membres du BSP puissent la grimper, et que le BSP n’aurait pas pu savoir qu’il était possible d’approcher la maison depuis l’arrière. Le véritable problème, cependant, repose sur le fait que la commissaire n’a pas tenu compte de l’explication la plus évidente à la raison pour laquelle le demandeur et les autres membres de l’église ont pu fuir par la porte arrière, c’est‑à‑dire qu’ils ont été informés de la descente et qu’ils se sont échappés avant que le BSP ait pu établir un périmètre de sécurité autour de la maison. Un décideur raisonnable n’est pas tenu d’accepter cette explication, mais celle‑ci devait être prise en compte dans les circonstances de l’affaire.

[16]  Examinons maintenant la citation à comparaître du BSP présentée par le demandeur. La commissaire a conclu que le document n’était pas authentique et que, par conséquent, il ne pouvait servir à corroborer la déclaration du demandeur. À mon avis, l’analyse par la commissaire de cet élément de preuve est elle aussi dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité, pour les deux raisons exposées ci‑dessous.

[17]  Premièrement, la commissaire a constaté que le document s’intitulait « Arrest Summons » (mandat d’arrestation), avant de souligner qu’il n’y avait aucun élément de preuve dans le cartable national de documentation (le CND) sur la Chine qui démontrait que le BSP utilisait un document portant ce titre. Bien sûr, la commissaire comparait alors des traductions anglaises de documents chinois. Le type de document en question est un juchuan (ou juzhuan). Comme on peut le constater dans le CND, ce terme est souvent traduit en anglais par coercive summons (citation à comparaître coercitive). Cependant, la commissaire n’a pas cherché à savoir si la citation à comparaître laissée au demandeur portait le même titre en chinois que les exemples tirés du CND, ou si le titre du document en l’espèce n’avait pas tout simplement été traduit différemment — c’est‑à‑dire par arrest summons plutôt que par coercive summons. Personne ne semble avoir pensé à poser la question à l’interprète sur place. Il convient également de noter que le terme juchuan a déjà été traduit par arrest summons dans d’autres affaires, sans que des commentaires soient formulés à cet égard (voir, par exemple, Ye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1381; Cai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 577; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311 [Chen]; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315; et Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 [Ren]). À la décharge de la commissaire, l’avocate du demandeur ne lui a pas été d’une grande aide à ce sujet.

[18]  Deuxièmement, la commissaire a noté que « la crédibilité d’un demandeur peut affecter le poids accordé à la preuve documentaire » (citant la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, aux paragraphes 21 et 22). Même s’il ne fait aucun doute que cette proposition est généralement vraie, les conclusions défavorables sur la crédibilité globale ne constituent pas à elles seules des motifs suffisants pour rejeter des éléments de preuve potentiellement corroborants. Avant de rejeter de tels éléments, le décideur doit les examiner indépendamment de ses préoccupations quant à la crédibilité du demandeur (Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1138, aux paragraphes 31 à 37; Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 846, aux paragraphes 33 à 35; et Ren, au paragraphe 27). Sinon, le raisonnement du décideur risque de soulever la même question que celle qui est en litige : on ne croit pas les éléments de preuve corroborants simplement parce qu’on ne croit pas le demandeur (Sterling c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 329, au paragraphe 12). Par ailleurs, comme l’a déclaré le juge Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans la décision Chen : « La Commission ne peut tirer une conclusion relativement à la demande en se fondant sur certains éléments de preuve et rejeter le reste de la preuve parce qu’elle est incompatible avec cette conclusion » (au paragraphe 20). En l’espèce, la commissaire n’a pas effectué l’analyse requise avant de rejeter la citation à comparaître; elle s’est plutôt simplement fondée sur sa conclusion antérieure selon laquelle le demandeur n’était pas membre d’une église clandestine en Chine. En plus des problèmes susmentionnés que soulève la décision de rejeter l’élément de preuve en question, cette décision a été prise sans que les autres éléments de preuve, potentiellement corroborants, soient pris en compte. Il est vrai que la commissaire a aussi noté qu’elle « [savait] qu’il exist[ait] des documents frauduleux en provenance de la République populaire de Chine [note de bas de page omise] ». Bien que ce dernier facteur puisse être pertinent, il est loin de constituer un motif suffisant pour conclure qu’un document n’est pas authentique (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157, aux paragraphes 53 à 55).

[19]  Enfin, je conviens avec le demandeur que les conclusions de la commissaire concernant la façon dont il a quitté la Chine sont déraisonnables. Compte tenu de la décision TB6‑11632, datée du 30 novembre 2016, de la Section d’appel des réfugiés concernant le fonctionnement du système Bouclier d’or (décision qui a été désignée par le président de la CISR comme guide jurisprudentiel), il ne fait aucun doute que la question de savoir si le demandeur aurait pu quitter la Chine avec son véritable passeport, s’il avait bel et bien été recherché par les autorités, est importante. Si le demandeur a quitté la Chine en utilisant son propre passeport, cela pourrait laisser croire qu’il n’était pas recherché par les autorités chinoises, à moins qu’il ne puisse fournir une explication satisfaisante sur la façon dont il a réussi à se soustraire aux contrôles de sortie (voir Ren, au paragraphe 16; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, aux paragraphes 12 à 14; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, au paragraphe 68; et Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148, au paragraphe 36).

[20]  Malheureusement, le raisonnement de la commissaire à l’égard de cet élément fondamental est, au mieux, obscur. Elle a déclaré : « J’estime que le demandeur d’asile n’aurait pas pu quitter la République populaire de Chine selon la façon qu’il a décrite, c’est‑à‑dire en présentant son passeport à un responsable chinois qui a estampillé, balayé ou examiné le document, puis en montant à bord d’un avion. » Ensuite, elle a également soutenu ce qui suit : « En raison du manque de crédibilité du demandeur d’asile au sujet de son appartenance à une église chrétienne clandestine dans la présente affaire, j’estime peu probable que celui‑ci ait quitté le pays clandestinement ». Puis, elle a poursuivi ainsi : « Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a pas quitté la République populaire de Chine comme il l’a expliqué, au moyen de son propre passeport chinois authentique. Ainsi, je conclus que le demandeur d’asile n’est pas recherché par les autorités chinoises du fait de son appartenance à une église chrétienne clandestine. »

[21]  Même si elle ne l’a pas clairement énoncé, la commissaire semble avoir conclu que le demandeur n’a pas utilisé son véritable passeport de la façon quelque peu laxiste qu’il a décrite dans son témoignage, mais qu’il est plutôt sorti du pays en suivant la procédure normale, après avoir subi toutes les vérifications prévues par le système Bouclier d’or qui étaient en place à ce moment‑là. Le fait qu’il ait pu quitter la Chine donne donc à penser que le demandeur n’était pas recherché par les autorités, contrairement à ce qu’il allègue. Un tel raisonnement peut être valable, à la condition qu’il existe des motifs valables de rejeter l’autre explication en l’espèce, à savoir que le demandeur était bien recherché, mais qu’il a pu quitter la Chine en utilisant son véritable passeport, et ce, malgré le système Bouclier d’or, parce qu’un passeur l’a aidé à y parvenir. En l’espèce, toutefois, la commissaire a rejeté cette autre explication; comme elle avait déjà estimé que le demandeur n’était pas recherché par les autorités, elle a conclu que celui‑ci n’avait au départ aucune raison de retenir les services d’un passeur. Le raisonnement de la commissaire ainsi exposé, sa circularité est évidente.

VI.  CONCLUSION

[22]  Il peut être tentant de penser que la conclusion finale de la commissaire, selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, suivant l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger aux termes de l’article 97, est raisonnable, étant donné qu’il lui était loisible de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un chrétien pratiquant en Chine. Toutefois, le fait pour la Cour de confirmer la décision sur cette base reviendrait à se prononcer indûment sur la question du bien‑fondé de la demande d’asile du demandeur. L’affaire reposait entièrement sur la crédibilité du demandeur. Les lacunes de la décision de la commissaire que j’ai relevées ci‑dessus sont au cœur de l’affaire. Le demandeur a le droit de voir la crédibilité de sa demande être évaluée à tous égards d’une manière logique et juridiquement valable. Une nouvelle audience doit donc être tenue.

[23]  Les parties n’ont présenté aucune question grave de portée générale à certifier en application de l’alinéa 74d) de la LIPR, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑955‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 6 février 2018 de la Section de la protection des réfugiés est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de mai 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑955‑18

 

INTITULÉ :

XIAO LIANG LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2018

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Diane Coulthard

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Modupe Oluyomi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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