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Date : 20190312


Dossier : IMM‑746‑18

Référence : 2019 CF 296

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 12 mars 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ANDRASNE RUSZO

MARK RUSZO

CINTIA RUSZO

PATRICIA RUSZO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Les demandeurs, Andrasne Ruszo et ses trois (3) enfants, Mark Ruszo, Cintia Ruszo et Patricia Ruszo, sont des citoyens de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada en 2011 et ont demandé l’asile. Bien que les enfants de Mme Ruszo soient maintenant majeurs, ils étaient mineurs pendant la période visée en Hongrie.

[2]  Les demandeurs disent craindre d’être persécutés en raison de leur origine ethnique rom. Ils allèguent que lorsqu’ils vivaient en Hongrie, ils ont été victimes de discrimination, de harcèlement, de menaces et de violence physique du fait de leur origine ethnique.

[3]  Dans une décision rendue le 25 janvier 2018, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’ils seraient persécutés s’ils retournaient en Hongrie et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption qu’ils obtiendraient la protection de l’État. 

[4]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Ils affirment que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils feraient l’objet de discrimination, et non de persécution s’ils retournaient en Hongrie et en déterminant que l’État leur offrirait une protection adéquate s’ils en faisaient la demande à leur retour. Les demandeurs prétendent également que la SPR a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi elle est arrivée à une conclusion différente de celle tirée par d’autres commissaires de la SPR lors d’audiences distinctes concernant les autres enfants de Mme Ruszo.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, il incombait au commissaire de la SPR de distinguer sa décision de celles des autres commissaires de la SPR qui ont accueilli les demandes d’asile des autres enfants de Mme Ruszo. J’arrive à cette conclusion du fait que les demandeurs étaient des personnes se trouvant dans une situation semblable et que leurs demandes étaient en partie fondées sur les mêmes expériences que celles relatées dans les demandes des autres enfants. Compte tenu de ma conclusion sur cette question, l’examen des autres questions soulevées par les demandeurs s’avère inutile.

II.  Analyse

[6]  Il est bien établi que la question de savoir si la discrimination équivaut à de la persécution et celle qui concerne l’existence d’une protection adéquate de l’État sont des questions de fait et de droit qui appellent la norme de la décision raisonnable (Sagharichi c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] ACF no 796 (CAF) (QL), au paragraphe 3; Ban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 987, au paragraphe 17; Mrda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49, au paragraphe 24).

[7]  Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[8]  En plus des trois (3) enfants mineurs mentionnés dans sa demande d’asile, Mme Ruszo a d’autres enfants qui, lors d’audiences distinctes, se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention. À l’audience, les décisions suivantes ont été déposées en preuve : 

  1. Décision concernant Andras Daniel Ruszo (fils) et sa conjointe de fait rendue par S.S. Kular le 29 janvier 2014

  2. Décision concernant Ivett Ruszo (fille) et sa fille mineure rendue par R. Tiwari le 21 août 2014

  3. Décision concernant Eniko Ruszo (fille) et sa fille mineure rendue par T. Andrews le 2 février 2015

  4. Décision concernant Bettina Revesz‑Ruszo (fille) et son époux rendue par M. Fox le 27 mars 2017

[9]  La SPR a mentionné les décisions antérieures, mais a indiqué qu’elle était tenue d’examiner la situation particulière des demandeurs et de statuer sur leur demande en se fondant sur l’information la plus récente mise à sa disposition.

[10]  Bien qu’en accord avec la déclaration de la SPR, les demandeurs font valoir que l’obligation de la SPR ne s’arrêtait pas là. Ils prétendent que la SPR a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi elle s’est écartée des décisions susmentionnées étant donné que les tribunaux précédents ont accepté les demandes d’asile des autres enfants de Mme Ruszo et que les demandes étaient en partie fondées sur les mêmes expériences d’actes de violence raciste. Les autres commissaires de la SPR ont déterminé que les demandeurs avaient été persécutés par le passé et qu’il y avait une sérieuse possibilité qu’ils soient encore victimes de persécution. Ils ont également conclu que l’État ne pouvait pas ou ne voulait pas offrir une protection adéquate. Les demandeurs affirment avoir été victimes de mauvais traitements similaires et font valoir qu’on ne sait trop pourquoi, en l’espèce, la SPR s’est écartée des décisions antérieures. Selon les demandeurs, cela constitue un manque de transparence.

[11]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que chaque affaire doit être tranchée selon son propre bien‑fondé et en fonction de la preuve particulière présentée au décideur. Je conviens également que la SPR n’est pas liée par la conclusion tirée dans une autre demande, même si la demande concerne un proche de la personne (Yeboah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 780, au paragraphe 25 [Yeboah]; Uygur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 752, aux paragraphes 28‑30; Pinter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1119, au paragraphe 9 [Pinter]; Mengesha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 431, au paragraphe 5 [Mengesha]; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 6, au paragraphe 17 [Siddiqui]).

[12]  J’estime néanmoins que les circonstances de l’espèce sont telles que le commissaire de la SPR aurait dû établir une distinction avec les décisions favorables antérieures.

[13]  Les allégations formulées par les demandeurs à l’appui de leur demande étaient semblables à celles faites par les autres enfants de Mme Ruszo. Les demandeurs et les autres enfants de Mme Ruszo allèguent avoir subi des mauvais traitements ainsi que des actes de discrimination et de violence physique semblables lorsqu’ils fréquentaient l’école. De plus, au moins deux (2) des précédents demandeurs relatent un incident précis qui est également invoqué par les demandeurs à l’appui de leur demande. Cet incident impliquait l’époux de Mme Ruszo, qui a été attaqué par un homme avec une hache. Ce même incident est décrit dans le récit du fils de Mme Ruszo, Andras Daniel, dont la demande a été acceptée le 29 janvier 2014. Il est également mentionné dans la décision accordant l’asile à la fille de Mme Ruszo, Bettina, le 27 mars 2017. Dans l’affaire dont je suis saisie, la SPR a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne donnait à penser que cette « seule interaction potentiellement violente » était liée à l’origine ethnique de la famille. La SPR a ensuite conclu que la protection de l’État serait offerte aux demandeurs s’ils la demandaient à leur retour en Hongrie compte tenu de l’intervention utile de la police qui a arrêté l’homme ayant menacé les demandeurs, obtenu leur condamnation et leur incarcération.

[14]  Il importe de noter qu’en arrivant à cette conclusion, la SPR n’a pas mentionné que les deux (2) autres commissaires qui ont accordé l’asile aux enfants de Mme Ruszo, Andras Daniel et Bettina, ont tenu compte du même incident impliquant le même agent de persécution. En leur accordant l’asile, il est raisonnable de supposer que, selon ces deux commissaires, la réponse de la police à cet incident ne prouvait pas qu’ils étaient en mesure d’obtenir une protection de l’État. De toute manière, le fait que la SPR n’ait pas mentionné les demandes ayant été acceptées lors de l’examen de cet incident précis soulève des préoccupations quant à la transparence, à la justification et à l’intelligibilité.

[15]  En plus de cet incident, les demandeurs ont invoqué un incident avec le chien d’un voisin. Selon la SPR, la décision du voisin de relâcher son chien pour menacer les enfants de Mme Ruszo ne constituait pas une preuve convaincante que les enfants étaient pris pour cibles en raison de leur origine ethnique. La SPR a aussi conclu que la preuve était insuffisante pour étayer l’allégation de Mme Ruszo selon laquelle la police était raciste, car elle n’avait pas dépêché d’agents sur les lieux afin d’enquêter sur l’incident lorsqu’elle a entendu le nom de son époux. La SPR a ajouté que, même si les demandeurs avaient été victimes de discrimination de la part de leur voisin, l’omission d’agir d’un commissariat de police n’atteste pas l’absence de protection étatique dans l’ensemble. Cela est peut‑être vrai en principe, mais le même incident a été invoqué par le fils de Mme Ruszo, Andras Daniel, dans sa demande, qui a été acceptée.

[16]  Enfin, dans son formulaire de renseignements personnels modifié, Mme Ruszo affirme également qu’elle craint de retourner en Hongrie, puisque ses enfants et elle seront tués par la famille de son défunt époux. Elle allègue qu’au cours des années passées, son époux était très violent envers elle et ses enfants et que, bien que la police soit venue sur place, elle n’a pas pris la situation au sérieux. Mme Ruszo prétend aussi que la famille de son défunt époux a commencé à la harceler lorsqu’elle a hérité de la maison familiale. La question de la violence dont Mme Ruszo était victime de la part de son ancien époux et de la peur ressentie à l’égard de la famille de ce dernier a aussi été soulevée dans la demande de la fille de Mme Ruszo, Bettina.

[17]  En résumé, compte tenu de la similitude des allégations invoquées à l’appui des diverses demandes et du fait que les demandes mettaient en cause certains des mêmes agents de persécution et la même conduite en matière de recherche de la protection de l’État et comme les demandes proviennent de membres de la même famille immédiate, il est raisonnable de considérer les demandeurs et les autres enfants de Mme Ruszo comme des « personnes placées dans une situation semblable » et de présumer qu’ils étaient exposés aux mêmes risques en l’absence de motifs justifiant l’établissement de distinctions entre les demandeurs et les autres enfants de Mme Ruszo (Gomez Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1402, au paragraphe 15 [Gomez Flores]; Yeboah, au paragraphe 26; Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 251, au paragraphe 24 [Mendoza]).

[18]  Il se peut que le commissaire de la SPR ait eu une bonne raison de tirer une conclusion différente. Cependant, comme quatre (4) commissaires de la SPR différents sont arrivés à la conclusion que les autres enfants de Mme Ruszo devaient obtenir l’asile, il était raisonnable que les demandeurs soient en droit de recevoir des explications plus complètes quant aux raisons pour lesquelles le commissaire de la SPR n’a pas souscrit à la même conclusion que les autres commissaires de la SPR concernant un traitement et des incidents semblables. En l’absence d’une telle explication, la décision de la SPR est déraisonnable puisqu’elle est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité (Dunsmuir, au paragraphe 47; Gomez Flores, au paragraphe 17; Yeboah, au paragraphe 26; Mendoza, aux paragraphes 25‑26; Pinter, au paragraphe 9; Mengesha, au paragraphe 5; Siddiqui, aux paragraphes 18‑19).

[19]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

[20]  Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑746‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision du 25 janvier 2018 de la Section de la protection des réfugiés est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen;

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de mai 2019.

Sophie Reid‑Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑746‑18

INTITULÉ :

ANDRASNE RUSZO, MARK RUSZO, CINTIA RUSZO, PATRICIA RUSZO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (oNTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 OCTOBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 12 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Ronald Schacter

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Schacter

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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