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Date : 20190308


Dossier : T‑834‑17

Référence : 2019 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

Entre :

VALEANT CANADA LP/VALEANT CANADA S.E.C.

demanderesse

et

GENERIC PARTNERS CANADA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

DEPOMED, INC.

défenderesse/brevetée

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

Table des matières

I. Aperçu  3

II. Les parties  5

III. Les litiges antérieurs  6

IV. Brevet 671  8

V. Revendications en litige  11

VI. Témoins experts  12

A. Valeant  12

B. Generic Partners  13

C. Observations au sujet de la preuve  13

VII. Questions en litige  17

VIII. Fardeau de la preuve  17

IX. Interprétation des revendications  18

A. Principes juridiques  18

B. Personne moyennement versée dans l’art  20

C. Connaissances usuelles de la PVA  21

D. Art antérieur  24

E. Interprétation de la revendication 1  28

X. Antériorité/moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette  30

A. Principes juridiques  30

B. Analyse  32

XI. Évidence  35

A. Principes juridiques  35

B. Analyse  37

(1) PVA et connaissances usuelles  37

(2) Idée originale  37

(3) Différences entre l’état de la technique et l’invention  38

(4) Les différences sont‑elles évidentes?  44

XII. Double brevet  48

A. Principes juridiques  48

B. Analyse  48

XIII. Insuffisance  49

A. Principes juridiques  49

B. Analyse  49

XIV. Conclusion  50

I.  Aperçu

[1]  Certains médicaments ont une meilleure efficacité lorsqu’ils sont libérés de manière contrôlée dans l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur pendant un laps de temps prolongé et sont mieux absorbés dans l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur que dans le tractus gastro‑intestinal inférieur. L’un de ces médicaments est le chlorhydrate de metformine [metformine], qui est entre autres utilisé pour traiter le diabète de type 2.

[2]  En juin 1998, Depomed, Inc. [Depomed] a déposé la demande de brevet canadien n2290624 [brevet 624] intitulée « Formes de dosage de médicaments administrés par voie orale à rétention gastrique pour libération lente de médicaments hautement solubles ». Le brevet 624 décrit un système de libération de médicaments qui consiste en une forme pharmaceutique gonflante, à rétention gastrique, qui libère des médicaments, comme la metformine, de manière contrôlée dans l’estomac pendant un laps de temps prolongé. La libération contrôlée de ces médicaments se fait grâce à leur synthèse dans une matrice polymérique qui gonfle au contact du suc gastrique, ce qui empêche la forme pharmaceutique de sortir de l’estomac.

[3]  En février 2001, Depomed a déposé la demande de brevet canadien no 2412671 [brevet 671] intitulée « Comprimés destinés à accroître la rétention gastrique de formes posologiques orales gonflantes à libération contrôlée ». Le brevet 671 précise que, même si elles sont gonflées, une certaine proportion des formes pharmaceutiques peuvent sortir de l’estomac lorsqu’elles s’orientent de façon que leur plus longue dimension est alignée suivant l’axe du pylore (orifice s’ouvrant dans l’intestin grêle) et qu’elles sont à proximité de ce dernier. Cela s’applique particulièrement aux comprimés ou comprimés‑capsules de forme allongée qui facilitent la déglutition. En effet, pour un certain pourcentage de ces formes pharmaceutiques gonflantes, la rétention prolongée dans l’estomac ne se produit pas, et l’effet bénéfique du gonflement est perdu. Le brevet 671 prétend résoudre ce problème à l’aide d’une forme pharmaceutique aux dimensions précises qui, lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, est un ovale ou un parallélogramme. Le brevet 671 précise les dimensions avant gonflement et après gonflement des formes pharmaceutiques, ainsi que les temps de gonflement, qui varient de 30 minutes à 1 heure.

[4]  Le 13 septembre 2016, Generic Partners Canada Inc [Generic Partners] a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] auprès du ministre de la Santé. Generic Partners propose de fabriquer et de vendre des comprimés de metformine à libération prolongée de 500 mg destinés à une administration par voie orale [produit générique].

[5]  Dans la PADN, Generic Partners a comparé son produit générique à Glumetza®, une formulation brevetée de metformine qui est fabriquée et vendue par Valeant Canada LP/Valeant Canada SEC [Valeant]. Le 24 avril 2017, Generic Partners a signifié à Valeant un avis d’allégation [AA] au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93‑133) alors en vigueur [le Règlement], affirmant que les brevets 624 et 671 n’étaient pas valides selon le sous‑alinéa 5(1)b)(iii) du Règlement. Generic Partners a également déclaré qu’elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, de la formulation, de la forme posologique ou de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabricant, construisant, utilisant ou vendant le produit générique, selon le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement.

[6]  Le brevet 624 a expiré en juin 2018 et n’est plus en litige dans la présente instance.

[7]  Valeant sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Generic Partners. Generic Partners allègue que son produit générique proposé ne contrefera pas les revendications 14 à 19, 21 à 24, 26 et 27 du brevet 671, mais elle ne nie pas qu’il contrefera les revendications 1 à 13, 20 et 25. Generic Partners soutient également que toutes les revendications du brevet 671 sont invalides pour cause d’antériorité, d’évidence, de double brevet ou d’insuffisance.

[8]  Pour les motifs qui suivent, Valeant s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Generic Partners concernant l’invalidité du brevet 671 ne sont pas justifiées. La demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l’égard du produit générique est donc accueillie.

II.  Les parties

[9]  La demanderesse, Valeant, est une « première personne » au sens du paragraphe 4(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Une première personne est une personne « qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle », et qui « peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément ». Une première personne est l’équivalent d’un breveté, ou d’une personne se réclamant d’un breveté, dans une action en contrefaçon de brevet.

[10]  La défenderesse et brevetée, Depomed, est titulaire du brevet 671 et est constituée comme partie à la présente instance en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement.

[11]  La défenderesse, Generic Partners, est une « seconde personne » au sens du paragraphe 5(1) du Règlement. Une seconde personne est une personne qui a demandé au ministre de la Santé un avis de conformité pour un médicament semblable à un médicament dont la fabrication et la vente ont déjà été approuvées au Canada. Selon le paragraphe 5(3) du Règlement, la seconde personne doit donner à la première personne un avis d’allégation contenant au moins une des quatre allégations décrites à l’alinéa 5(1)b) du Règlement. Il s’agit notamment des allégations de non‑contrefaçon et de nullité du brevet en cause.

[12]  Le ministre de la Santé est également nommé comme défendeur, mais il n’a pas participé à la présente instance.

III.  Les litiges antérieurs

[13]  Le brevet 671 et le brevet 624 ont fait l’objet d’une instance antérieure devant la Cour en vertu de l’article 6 du Règlement, même si, en définitive, la décision de la Cour ne visait que le brevet 624 (Biovail Corporation c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 46 [Biovail]). Dans la décision Biovail, le juge Michael Kelen a décrit le brevet 624 comme suit :

[5] La demande relative au brevet 624 a été déposée le 5 juin 1998, et a revendiqué la priorité fondée sur la demande de brevet américaine 8,870,09, laquelle a été déposée le 6 juin 1997. Le brevet 624 a été délivré le 5 décembre 2006 et expire le 5 juin 2018.

[6] Le brevet 624 décrit un système de libération de médicaments qui consiste en une forme pharmaceutique gonflable, à rétention gastrique, qui libère des médicaments, comme la metformine, de manière contrôlée dans l’estomac pendant un laps de temps prolongé. La libération contrôlée de ces médicaments se fait grâce à leur synthèse dans une matrice polymérique. La demanderesse se fonde sur les revendications 6, 11, 16, 19 et 20 du brevet. Selon elle, le concept inventif divulgué dans les revendications invoquées réside dans la combinaison de trois éléments : une forme pharmaceutique administrée par voie orale, à libération contrôlée et à rétention gastrique à utiliser avec la metformine, la vitesse de libération du médicament étant dépendante de la dissolution et de la diffusion; le polymère qui demeure intact durant la période de libération du médicament; et le principal mécanisme de libération du médicament qui n’est pas érodable.

[7] Le brevet 624 a pour titre « Formes de dosage de médicaments administrés par voie orale à rétention gastrique pour libération lente de médicaments hautement solubles ». On y explique que dans les années 1970 une variété de systèmes de libération contrôlée de médicaments ont été mis au point pour des « médicaments faiblement solubles » (voir la page 1, ligne 20 du brevet). Or ces systèmes ne fonctionnaient pas avec les médicaments hautement solubles. Le brevet indique que l’invention est un système d’administration à libération contrôlée de médicaments hautement solubles, comme la metformine.

[14]  Le juge Kelen a conclu que les éléments permettant de déterminer si les concepts inventifs des revendications du brevet 624 étaient des « essais allant de soi » s’équilibraient (Biovail, paragraphe 107). Il a donc rejeté la demande de Biovail Corporation [Biovail], qui sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc, un fabricant canadien de médicaments génériques.

IV.  Brevet 671

[15]  Le brevet 671 revendique comme date de priorité le 20 juin 2000, sur le fondement de la demande US09/598061. Une demande fondée sur le Traité de coopération en matière de brevets [PCT] a été déposée le 26 février 2001 et publiée le 27 décembre 2001. La demande de brevet 671 est entrée en phase nationale au Canada le 13 décembre 2002 et a été délivrée le 3 octobre 2006.

[16]  Le brevet 671 est inscrit au registre des brevets tenu par le ministre de la Santé au titre des articles 3 et 4 du Règlement. Valeant commercialise au Canada, sous la marque nominative Glumetza®, des comprimés contenant 500 mg et 1 000 mg de metformine (principe actif) pour le traitement du diabète de type 2 chez les adultes.

[17]  Le brevet 671 décrit le domaine de l’invention comme suit :

[TRADUCTION]

Cette invention fait partie du domaine pharmaceutique général et concerne en particulier les formulations de médicaments qui ont une meilleure efficacité lorsqu’ils sont libérés de manière contrôlée dans l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur pendant un laps de temps prolongé et qui sont mieux absorbés dans l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur que dans le tractus gastro‑intestinal inférieur. L’un des objectifs de cette invention est de libérer des médicaments de manière contrôlée pendant un laps de temps prolongé. Un autre objectif est de prolonger le temps de libération gastrique de médicaments qui sont préférentiellement absorbés dans la partie supérieure du tractus gastro‑intestinal et d’obtenir ainsi un effet thérapeutique prolongé et accru, ainsi que des effets secondaires potentiellement atténués. Cela permettra une réduction de la fréquence d’administration nécessaire, une utilisation plus efficace des médicaments et un traitement plus efficace de troubles gastriques localisés. Un troisième objectif est de réduire au minimum l’inactivation des médicaments dans le tractus gastro‑intestinal inférieur et les effets des médicaments sur le microbiote du tractus gastro‑intestinal inférieur.

[18]  Dans sa description de l’art antérieur, le brevet 671 reconnaît que les formes pharmaceutiques qui gonflent dans l’estomac pour améliorer la rétention gastrique étaient connues et avaient été divulguées dans de nombreuses pièces d’art antérieur, dont la demande PCT WO 98/55107 intitulée « Formes de dosage de médicaments administrés par voie orale à rétention gastrique pour libération lente de médicaments hautement solubles » (10 décembre 1998) [demande WO 107]. La demande WO 107 a servi de base au brevet 624.

[19]  La description de l’art antérieur présentée dans le cadre du brevet 671 décèle le problème suivant, qui doit être résolu :

[TRADUCTION]

Même si elles sont gonflées, une certaine proportion des particules peuvent traverser le pylore, que le sujet soit à jeun ou nourri, lorsque les particules s’orientent de façon que leur plus longue dimension est alignée suivant l’axe du pylore et qu’elles sont à proximité de ce dernier. Cela s’applique particulièrement aux comprimés ou comprimés‑capsules (comprimés cylindriques aux extrémités arrondies) de forme allongée qui facilitent la déglutition. Lorsque de telles formes pharmaceutiques gonflent en raison d’une imbibition d’eau, il est possible qu’une dimension atteigne une longueur supérieure à celle de l’ouverture du pylore, mais que les autres dimensions demeurent beaucoup plus petites. La forme pharmaceutique ne sera alors retenue dans l’estomac que si elle est orientée de façon que la longue dimension se trouve à être perpendiculaire à l’ouverture du pylore. Par conséquent, pour un certain pourcentage des unités administrées de ces formes gonflantes, la rétention prolongée dans l’estomac ne se produit pas, et l’effet bénéfique du gonflement est perdu. Le gonflement n’entraîne donc pas nécessairement la rétention gastrique de la forme pharmaceutique.

[20]  Le brevet 671 prétend résoudre ce problème de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Il a été découvert que l’utilisation d’une forme pharmaceutique solide qui gonfle dans l’eau et a une certaine forme géométrique tout en demeurant facile à avaler permet de réduire ou d’éliminer complètement la proportion des formes pharmaceutiques qui sortent par le pylore lorsqu’elles s’orientent fortuitement d’une certaine façon à proximité de ce dernier. La forme géométrique permettant d’obtenir ce résultat est une forme non circulaire et non sphérique qui, lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, présente deux axes orthogonaux de longueurs différentes, l’axe le plus long mesurant 3,0 cm au maximum, de préférence 2,5 cm ou moins, lorsque la forme pharmaceutique n’est pas gonflée, et l’axe le plus court étant suffisamment long pour atteindre une longueur d’au moins 1,2 cm, de préférence au moins 1,3 cm, pendant la première heure du temps de gonflement, et de préférence pendant les 30 premières minutes du temps de gonflement. En plus d’améliorer la rétention gastrique, la forme non circulaire et non sphérique rend les comprimés issus de cette invention faciles à avaler. Les comprimés sont également plus petits que de nombreux comprimés décrits dans l’art antérieur qui sont conçus pour produire un effet similaire, ce qui est avantageux pour les personnes éprouvant des difficultés psychologiques lorsqu’elles tentent d’avaler un comprimé.

[21]  Le brevet 671 précise différentes formes géométriques et tailles de formes pharmaceutiques qui permettraient de réduire ou d’éliminer la proportion des formes pharmaceutiques qui sortent par le pylore en raison de leur orientation fortuite décrite ci‑dessus. Les dimensions avant gonflement et après gonflement sont fournies, ainsi que les temps de gonflement. Lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, la forme pharmaceutique est soit un ovale soit un parallélogramme.

V.  Revendications en litige

[22]  Le brevet 671 comprend 27 revendications. La seule revendication indépendante est la revendication 1, laquelle est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Forme pharmaceutique orale à libération contrôlée pour libérer un médicament dans au moins une partie d’une région définie par l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur; ladite forme pharmaceutique comprenant une matrice monolithique solide contenant ledit médicament; ladite matrice étant non circulaire et ayant un premier et un second axes orthogonaux de longueurs différentes; ladite matrice gonflant lors de l’imbibition d’eau; l’axe orthogonal le plus long mesurant 3,0 cm au maximum lorsque ladite matrice n’est pas gonflée et l’axe le plus court atteignant une longueur d’au moins 1,2 cm dans l’heure suivant l’immersion de ladite forme pharmaceutique dans l’eau; et ladite matrice ayant une forme qui, lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, est soit un ovale soit un parallélogramme.

[23]  Generic Partners affirme dans son AA que son produit générique proposé ne contrevient pas aux revendications 14 à 19, 21 à 24, 26 et 27 du brevet 671. Generic Partners note que Valeant n’a présenté aucune preuve concernant la contrefaçon de ces revendications et affirme que ses allégations de non‑contrefaçon dans l’AA sont tenues pour avérées à moins que Valeant ne prouve le contraire. Valeant confirme dans son mémoire des faits et du droit qu’il n’y a pas d’affirmation de non‑contrefaçon si ce n’est celles visant la revendication 1 et les revendications dépendantes 2 à 13, 20 et 25.

[24]  La revendication 2 du brevet 671 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Forme pharmaceutique orale à libération contrôlée, conformément à la revendication 1, dont ledit axe le plus court atteint une longueur d’au moins 1,2 cm dans les trente minutes suivant l’immersion de ladite forme pharmaceutique dans l’eau.

[25]  Les autres revendications en litige indiquent différentes dimensions pour les formes pharmaceutiques gonflées ou non gonflées, différents polymères et différents délais liés à l’obtention de la forme pharmaceutique gonflée. Les revendications 20 et 25 font mention de la metformine de façon expresse.

VI.  Témoins experts

A.  Valeant

[26]  M. Larry Sternson est un professeur de chimie pharmaceutique à la retraite de l’Université du Kansas et un dirigeant pharmaceutique à la retraite. Il continue d’agir à titre de consultant auprès de diverses sociétés pharmaceutiques, biotechnologiques et de capital de risque. M. Sternson possède une expertise dans la libération de médicaments, la pré‑formulation et la mise au point de formulations, ainsi que dans d’autres aspects du développement de médicaments et de l’enregistrement de produits.

[27]  M. Patrick Sinko est vice‑président associé à la recherche à l’Université Rutgers et professeur émérite de pharmacie à l’Ernest Mario School of Pharmacy. Il enseigne la biopharmaceutique, la pharmacie, la pharmacie physique et les systèmes de libération de médicaments à l’Université Rutgers depuis 1991.

B.  Generic Partners

[28]  M. Ping Lee est professeur de pharmacie et de libération de médicaments à l’Université de Toronto. Il a occupé des postes en recherche et développement dans diverses sociétés pharmaceutiques. Son expertise porte sur les formulations solides à administrer par voie orale, les nouveaux systèmes de libération de médicaments, la science des matériaux, les phénomènes de transport, les procédés pharmaceutiques et les opérations unitaires.

C.  Observations au sujet de la preuve

[29]  Les parties ne contestent pas les compétences des témoins experts. Cependant, Valeant et Generic Partners remettent chacune en question l’impartialité des témoins convoqués par l’autre partie.

[30]  Generic Partners signale que [traduction] « M Sternson occupait les postes de président chez Elan Drug Delivery, et de vice‑président chez Elan Corporation [collectivement Elan], où il était notamment responsable des partenariats stratégiques », à la date de priorité du brevet 671. Generic Partners a relevé deux partenariats susceptibles de susciter des préoccupations. Premièrement, en juin 2000, Elan a lancé une coentreprise avec Depomed, la défenderesse et brevetée, pour mettre au point des formes pharmaceutiques à rétention gastrique. Cette coentreprise a duré jusqu’en 2003. Deuxièmement, la relation d’Elan avec Biovail, la prédécesseure de Valeant, a donné lieu à une restriction des frais de concurrence par la Commission fédérale du commerce des États‑Unis. Ces deux partenariats stratégiques ont eu lieu pendant que le M. Sternson était cadre chez Elan.

[31]  Les témoins experts ont l’obligation envers la Cour de présenter un témoignage d’opinion juste, objectif et non partisan. Ils doivent être conscients de cette obligation, et avoir la capacité et la volonté de la respecter. S’ils ne satisfont pas à ce critère, leur témoignage ne devrait pas être admis (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 [White Burgess], paragraphe 32).

[32]  Une fois ce critère respecté, cependant, les questions concernant l’indépendance ou l’impartialité d’un témoin expert devraient être examinées dans le cadre de l’appréciation globale des coûts et des avantages de l’admission du témoignage. Le critère d’admissibilité n’est pas particulièrement exigeant, et le témoignage d’un expert proposé ne sera que rarement exclu si l’on n’y satisfait pas. C’est la nature et l’étendue de l’intérêt ou du lien avec le litige qui importe, et non le simple fait de l’intérêt ou du lien; l’existence d’un intérêt ou d’un lien ne rend pas automatiquement le témoignage de l’expert proposé irrecevable. Toutefois, l’expert qui se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal (White Burgess, paragraphe 46).

[33]  Generic Partners n’a rien offert à l’appui de son allégation de partialité à l’endroit de M Sternson, si ce n’est la simple affirmation que deux partenariats stratégiques sont problématiques. Aucune question n’a été posée à M Sternson au sujet d’une affinité inappropriée qu’il pourrait avoir avec Valeant en raison de ses relations antérieures avec la prédécesseure de celle‑ci ou la brevetée. L’allégation de partialité de Generic Partners n’a pas été présentée conformément aux principes d’équité et elle est loin de répondre à la norme établie par la Cour suprême dans l’arrêt White Burgess. Je ne m’y intéresserai pas davantage.

[34]  Generic Partners met également en garde la Cour contre le témoignage de M. Sinko, étant donné que le juge Robert Barnes a qualifié une partie des preuves qu’il a présentées de « fallacieuses » dans la décision Glaxosmithkline Inc c Pharmascience Inc, 2008 CF 593 (Glaxosmithkline), au paragraphe 62. Cette conclusion doit être interprétée dans son contexte. Premièrement, le juge Barnes a qualifié de fallacieux le témoignage de M. Sinko (et celui d’un autre témoin) sur un point particulier. Le qualificatif ne s’adressait pas à M. Sinko de façon générale ou même exclusive. Deuxièmement, le juge Barnes a fait remarquer, au paragraphe 6 de ses motifs, qu’il n’a pu cerner aucun élément susceptible de discréditer l’un ou l’autre des témoins experts ou de jeter le doute sur leurs compétences. Il a ajouté : « De fait, tous les témoins qui sont venus à la barre semblaient très compétents et généralement objectifs dans le témoignage d’opinion qu’ils ont donné. » Je ne suis donc pas convaincu que le témoignage de M. Sinko devrait avoir moins de poids en raison des commentaires du juge Barnes dans la décision Glaxosmithkline.

[35]  Pour sa part, Valeant allègue que M. Lee n’a pas examiné le brevet 671 avec « un esprit désireux de comprendre ». Cette affirmation est fondée sur le scepticisme exprimé par M. Lee quant à l’utilité de l’invention divulguée par le brevet 671. J’examinerai l’approche analytique de M. Lee plus loin dans les présents motifs. Je dirai simplement que les préoccupations que j’ai au sujet de son témoignage ne tiennent pas à sa crédibilité ou à sa prétendue partialité, mais plutôt à sa méthodologie.

[36]  La reconnaissance par le juge Barnes, au paragraphe 6 de la décision Glaxosmithkline, « des limites évidentes que comporte toute tentative visant à évaluer la crédibilité d’un témoin en se fondant sur des affidavits et sur la transcription de contre‑interrogatoires », s’applique en l’espèce. De même, le juge Roger Hughes n’était pas disposé à rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans le cadre d’une instance fondée sur le Règlement (Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 235, paragraphe 73) : « Il est impossible de trancher ces différences sur le fondement de la crédibilité : je n’ai pas vu les témoins; je n’ai que des affidavits et des transcriptions. Rien ne permet mieux d’évaluer la crédibilité du témoin que le contreinterrogatoire. Ils sont donc tous les deux crédibles. »

[37]  Tout en reconnaissant les limites de la Cour quant à sa capacité à évaluer la crédibilité des témoins qui n’ont pas comparu en personne, je conclus que tous les experts qui ont témoigné dans la présente instance étaient généralement crédibles. Ils ont compris et respecté leur obligation de témoigner en toute impartialité devant la Cour. Les raisons pour lesquelles je préfère le témoignage de certains témoins à celui d’autres sont expliquées dans l’analyse qui suit.

VII.  Questions en litige

[38]  La Cour est appelée à déterminer si Valeant a démontré que les allégations contenues dans l’avis d’allégation de Generic Partners sont injustifiées. Generic Partners allègue que le brevet 671 est invalide pour quatre motifs :

VIII.  Fardeau de la preuve

[39]  Dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, la Cour d’appel fédérale a expliqué la façon dont fonctionne le fardeau de la preuve dans les demandes présentées en vertu du Règlement :

[109] Ainsi, la première personne au sens du Règlement a la charge générale de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation de la seconde personne ne sont pas fondées. Bien que la charge initiale incombe à la première personne, en raison de la présomption de validité d’un brevet énoncée à l’article 45 de la Loi antérieure à 1989, elle peut s’en acquitter simplement en prouvant l’existence du brevet. Il incombe alors à la seconde personne de présenter des éléments de preuve concernant l’invalidité et de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation. Pour ce faire, la seconde personne doit présenter une preuve qui n’est pas clairement inapte à étayer ses allégations d’invalidité. En conséquence, non seulement la seconde personne doit présenter un avis d’allégation contenant un fondement factuel et juridique suffisant pour étayer ses allégations, mais elle doit également présenter une preuve d’invalidité au procès.

[110] Une fois que la seconde personne a présenté une preuve suffisante, selon la prépondérance des probabilités, la première personne doit, également selon la prépondérance des probabilités, réfuter les allégations de l’avis d’allégation. […]

[40]  Cet énoncé de droit régit également les demandes fondées sur le Règlement qui concernent des brevets déposés en vertu de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 (après 1989), selon laquelle les brevets continuent de jouir d’une présomption de validité (Loi sur les brevets, paragraphe 43(2); Biovail, paragraphe 40).

IX.  Interprétation des revendications

A.  Principes juridiques

[41]  Dans les poursuites en matière de brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications pour en dégager le sens et déterminer leur portée (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, paragraphe 43 [Whirlpool]). La date pertinente pour interpréter les revendications est la date de publication de la demande de brevet (Whirlpool, paragraphes 54 et 55), soit le 27 décembre 2001. La Cour doit examiner les revendications afin de déterminer ce qui, selon l’inventeur, en constitue les éléments « essentiels », et elle peut s’appuyer sur des témoignages d’expert pour dégager le sens de termes particuliers (Whirlpool, paragraphes 45 et 57).

[42]  Les principes fondamentaux de l’interprétation des revendications se trouvent dans les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada : Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 (Free World Trust), paragraphes 44 à 54. Les voici :

B.  Personne moyennement versée dans l’art

[43]  Afin d’interpréter les revendications en cause, la Cour doit décrire la personne moyennement versée dans l’art [PVA]). Il s’agit « de la personne à laquelle s’adresse censément le brevet, sous l’angle de laquelle la Cour doit interpréter le brevet et qui sert de critère en vue de déterminer l’évidence » (Amgen Canada Inc. c Apotex Inc, 2015 CF 1261, paragraphe 42).

[44]  La PVA est dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, mais fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine (Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Ltd., 2017 CF 777, paragraphe 183). La PVA n’est pas incompétente, elle possède des connaissances de base et une expérience considérables (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 322, paragraphe 276). La PVA n’est pas dépourvue de la capacité de poser des questions raisonnables et logiques et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles (Jay‑Lor International Inc. c Penta Farms Systems Ltd., 2007 CF 358, paragraphe 75 [Jay‑Lor], citant l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, page 294 (CAF) [Beloit]).

[45]  En règle générale, les parties s’entendent sur les compétences techniques de la PVA. Selon MM. Sternson et Sinko, la PVA détiendrait un diplôme d’études supérieures en sciences pharmaceutiques ou dans un domaine connexe, et quelques années d’expérience dans le développement de formes posologiques orales. M. Lee était d’avis qu’un baccalauréat dans ces domaines serait suffisant, pourvu que la PVA ait une expérience pratique suffisante dans l’industrie.

[46]  Valeant s’oppose à ce que M. Lee attribue indûment une habileté inventive à la PVA, parce qu’il était prêt à inclure dans sa définition les inventeurs d’une application citée en tant qu’antériorité. Generic Partners répond qu’aux dates pertinentes, l’ensemble des travaux décrits dans l’antériorité étaient [traduction] « anciens ». Bien que les inventeurs aient pu faire preuve d’ingéniosité pour arriver à leur invention, cela ne signifie pas que l’invention demeure à jamais [traduction] « inventive » quand on examine le brevet 671. Je suis d’accord avec Generic Partners. M. Lee commentait les connaissances usuelles de la PVA au sujet de la taille des formes posologiques, qui étaient bien établies aux dates pertinentes.

C.  Connaissances usuelles de la PVA

[47]  Le brevet doit être interprété en tenant compte des « connaissances usuelles » des PVA (Free World Trust, paragraphe 44; Whirlpool, paragraphe 53). Il s’agit des connaissances que possède la PVA au moment pertinent et qui comprennent ce que celle‑ci aurait raisonnablement dû savoir (Whirlpool, paragraphe 74). Les connaissances usuelles de la PVA doivent être établies à l’aide d’éléments probants selon la prépondérance des probabilités et ne peuvent être tenues pour acquises (Uponor AB c Heatlink Group Inc., 2016 CF 320, paragraphe 47). Les connaissances usuelles peuvent s’entendre des renseignements présentés comme faisant partie des connaissances de base dans le brevet lui‑même (Newco Tank Corp c Canada (Procureur général), 2015 CAF 47, paragraphe 10).

[48]  L’évaluation des connaissances usuelles est régie par les principes énoncés dans les décisions Eli Lilly & Co. c Apotex Inc., 2009 CF 991, paragraphe 97 (confirmée par 2010 CAF 240), et General Tire & Rubber Co. c Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] RPC 457 (UKHL), pages 482 à 483 :

[49]  La Cour doit examiner le libellé des revendications du point de vue de la PVA, et non du point de vue d’un grammairien ou d’un étymologiste (Whirlpool, paragraphe 53). La Cour doit interpréter un brevet avec le souci judiciaire de confirmer une invention utile (Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2018 CF 259, paragraphe 118). S’il est raisonnablement possible d’en arriver à plus d’une interprétation, la Cour doit favoriser l’interprétation qui confirme le brevet (Letourneau c Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 1229, paragraphe 38). Toutefois, le breveté qui s’exprime mal ou qui créé une restriction complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le rôle de la Cour est d’interpréter les revendications et non de les récrire (Free World Trust, paragraphe 51).

D.  Art antérieur

[50]  Les antériorités suivantes sont citées par Generic Partners dans son AA, et elles servent, en l’espèce, à établir les allégations concernant l’invalidité du brevet 671.

[51]  Hwang et al. « Gastric Retentive Drug-Delivery Systems », Critical Reviews in Therapeutic Drug Carrier Systems, 1998, 15(3), 243-284 [article de Hwang] : L’article de Hwang a été publié en 1998; il s’agit d’un article de synthèse qui cite 138 autres publications. Il présente des renseignements de base sur la physiologie gastro‑intestinale et passe en revue l’état des technologies liées à la rétention gastrique qui étaient alors disponibles. L’article de Hwang explique brièvement les avantages associés à la mise au point de formes pharmaceutiques à rétention gastrique et traite de la physiologie gastro‑intestinale de base, dont le temps de vidange gastrique, l’état de jeûne/l’état nourri et l’effet de la taille des médicaments sur la rétention gastrique. L’article de Hwang cible six technologies différentes liées à la rétention gastrique : systèmes flottants intragastriques; systèmes à haute densité; systèmes mucoadhésifs; systèmes magnétiques; systèmes dépliables, expansibles ou gonflants; et systèmes d’hydrogel superporeux.

[52]  Demande WO 107 : La demande WO 107 est intitulée « Formes de dosage de médicaments administrés par voie orale à rétention gastrique pour libération lente de médicaments hautement solubles » et a été publiée en 1998. Elle décrivait des formes pharmaceutiques à rétention gastrique de médicaments hautement solubles, dont la metformine. Les formes pharmaceutiques comprenaient une matrice polymérique gonflante pour une libération contrôlée et une meilleure absorption dans l’estomac. La demande WO 107 a servi de base au brevet 624. Depomed est titulaire des brevets 624 et 671, et Valeant détient les licences. Les deux brevets ont une inventrice en commun : Jenny Louie‑Helm.

[53]  La divulgation de la demande WO 107 comprenait les paramètres de diverses réalisations préférentielles et décrivait les méthodes pour les produire. Elle contenait également huit exemples de formulations. La demande WO 107 comporte 22 revendications : la revendication indépendante 1 et 21 revendications dépendantes. La revendication 1 décrit une forme pharmaceutique orale à libération contrôlée qui, entre autres, gonfle jusqu’à au moins environ le double de son volume lors de l’imbibition d’eau et libère tout le médicament qu’elle contient dans un délai d’environ huit heures après l’immersion dans le suc gastrique. La revendication 5 concerne les formes pharmaceutiques contenant de la metformine, et les revendications 21 et 22 concernent les formes pharmaceutiques ayant des formes géométriques et des tailles particulières. La revendication 21 présente une forme pharmaceutique constituée de deux comprimés cylindriques d’environ 9 mm à 12 mm de longueur et de 6,5 mm à 7 mm de diamètre. La revendication 22 décrit une forme pharmaceutique constituée d’un comprimé allongé mesurant environ 18 mm à 22 mm de longueur, 6,5 mm à 7,8 mm de largeur et 6,2 mm à 7,5 mm de hauteur.

[54]  Khosla, R., et al. « The Effect of Tablet Size on Gastric Emptying of Non-Disintegrating Tablets ». International Journal of Pharmaceutics, 1990, 62, R9-R11 [article de Khosla] : L’article de Khosla a été publié en 1990; il décrit une expérience visant à mesurer le temps pendant lequel des formes pharmaceutiques de différentes tailles restent dans l’estomac. Des comprimés de 0,7 cm, de 1,1 cm et de 1,3 cm ont été testés et, selon l’analyse, les comprimés de 1,3 cm restaient dans l’estomac pendant une durée supplémentaire d’environ 30 à 60 minutes par rapport aux comprimés plus petits. L’article de Khosla a également révélé que le diamètre moyen du pylore au repos était de 1,28 cm ± 0,7 cm. Le diamètre moyen du pylore au repos correspond à la taille de l’ouverture du pylore et a été signalé pour la première fois dans les années 1970.

[55]  Demande WO 99/07342 [demande WO 342] : La demande WO 342 a été publiée en février 1999. Elle décrivait une forme pharmaceutique comprenant une matrice polymérique gonflante pour une libération contrôlée et une meilleure rétention gastrique. La forme pharmaceutique était également entourée d’une bande de matière insoluble, ce qui empêchait la partie entourée de gonfler.

[56]  Valeant n’accepte pas que l’ensemble des antériorités citées par Generic Partners soit considéré comme faisant partie des connaissances usuelles de la PVA aux dates pertinentes. Valeant souligne l’énoncé suivant tiré de l’article de Hwang : [traduction] « la littérature regorge de renseignements contradictoires ».

[57]  L’article de Hwang a été publié en 1998. À compter de juin 2000 et de décembre 2001, les travaux de recherche étaient axés sur la mise au point de formes pharmaceutiques suffisamment petites pour être avalées, mais pouvant absorber le suc gastrique et gonfler jusqu’à atteindre une taille suffisamment grande pour les empêcher de sortir de l’estomac. En outre, la demande WO 107, qui a servi de base au brevet 624, est reconnue par le brevet 671 comme étant une antériorité pertinente.

[58]  D’après la demande WO 107, ainsi que les autres antériorités citées par Generic Partners, je conclus que les connaissances usuelles de la PVA aux dates pertinentes comprenaient les éléments suivants :

  • (a) Il existe différentes méthodes pour tenter d’obtenir des formes pharmaceutiques orales à rétention gastrique. La méthode la plus courante et la plus simple pour y parvenir est d’utiliser des polymères d’hydrogel gonflants.

  • (b) La physiologie gastro‑intestinale a des répercussions sur les paramètres physiques et temporels nécessaires à l’obtention d’une rétention. La rétention de particules de différentes tailles dans l’estomac dépend de la taille de l’ouverture du pylore et du temps de transit des particules dans l’estomac dans des conditions physiologiques normales (c.‑à‑d. le temps de vidange gastrique).

  • (c) Le diamètre moyen du pylore au repos a souvent été signalé comme étant de 1,28 cm ± 0,7 cm. L’effet de la taille d’une forme pharmaceutique sur la rétention gastrique a également été étudié. L’article de Khosla fait état d’essais sur la rétention gastrique de trois comprimés de tailles différentes. À mesure que la taille des comprimés augmentait, le temps passé dans l’estomac augmentait également. L’article de Khosla conclut que les comprimés dont la taille est supérieure à la « valeur critique », qui était probablement semblable au diamètre moyen du pylore au repos (1,28 cm ± 0,7 cm), seraient retenus dans l’estomac. Des données similaires ont été signalées dans l’article de Hwang.

E.  Interprétation de la revendication 1

[59]  La revendication 1 est la seule revendication indépendante du brevet 671, et les témoins experts étaient en grande partie d’accord au sujet de son interprétation.

[60]  Generic Partners définit neuf éléments essentiels dans la revendication 1 :

  • (a) une forme pharmaceutique orale à libération contrôlée;

  • (b) cette forme pharmaceutique sert à libérer un médicament dans au moins une partie d’une région définie par l’estomac et le tractus gastro‑intestinal supérieur;

  • (c) cette forme pharmaceutique comprend une matrice monolithique solide qui contient le médicament;

  • (d) la matrice est non circulaire;

  • (e) la matrice a un premier et un second axe orthogonal de longueurs différentes;

  • (f) la matrice gonfle lors de l’imbibition d’eau;

  • (g) l’axe le plus long mesure 3,0 cm au maximum lorsque la matrice n’est pas gonflée;

  • (h) l’axe le plus court atteint une longueur d’au moins 1,2 cm dans l’heure suivant l’immersion de la forme pharmaceutique dans l’eau;

  • (i) la matrice a une forme qui, lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, est soit un ovale soit un parallélogramme.

[61]  Valeant consolide ces neuf éléments en trois, qui sont décrits comme suit :

  • (a) « élément lié à la taille » – la longueur minimale du second axe après gonflement est de 1,2 cm;

  • (b) « élément lié au temps » – le temps requis pour que l’élément lié à la taille soit atteint est d’une heure au maximum;

  • (c) « élément lié à la forme géométrique » – la matrice a une forme qui, lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, est soit un ovale soit un parallélogramme.

[62]  Même si l’interprétation proposée par Valeant est une simplification et qu’elle omet certaines nuances par rapport à l’approche plus globale de Generic Partners, je suis convaincu qu’elle comprend les éléments essentiels de la revendication 1 d’une manière utile à la résolution du différend entre les parties. La revendication 1 concerne une forme pharmaceutique orale à rétention gastrique et à libération contrôlée présentant trois caractéristiques essentielles :

  • (a) « élément lié à la taille » – l’axe le plus long a une longueur maximale de 3,0 cm avant gonflement et l’axe le plus court a une longueur minimale de 1,2 cm après gonflement;

  • (b) « élément lié au temps » – la forme pharmaceutique gonfle de façon que l’axe le plus court atteigne la longueur minimale de 1,2 cm dans un délai d’une heure;

  • (c) « élément lié à la forme géométrique » – la forme pharmaceutique est non circulaire, est un ovale ou un parallélogramme lorsqu’elle est projetée sur une surface plane, et comporte deux axes orthogonaux de longueurs différentes.

[63]  Compte tenu de la conclusion tirée ci‑dessous concernant la validité de la revendication 1 du brevet 671, il n’est pas nécessaire d’interpréter les multiples variations trouvées dans les revendications dépendantes 2 à 13, 20 et 25.

X.  Antériorité/moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette

A.  Principes juridiques

[64]  En vertu de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, une revendication de brevet sera invalide pour cause d’antériorité si l’objet défini par la revendication a fait l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, si le breveté l’a communiqué directement ou indirectement (alinéa 28.2(1)a)) ou si, à tout moment avant la date de la revendication, il a fait l’objet d’une communication par une autre personne (alinéa 28.2(1)b)) et qu’il était réalisable aux yeux d’une personne versée dans l’art (Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125, paragraphe 145). La divulgation ne doit pas nécessairement consister en une description exacte de l’objet de la revendication, mais doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art désireuse de comprendre l’invention, elle puisse être comprise sans trop de difficultés. L’exigence de divulgation antérieure signifie que le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CSC 61, paragraphe 25 [Sanofi‑Synthelabo]).

[65]  Si l’exigence de divulgation est respectée, la deuxième exigence visant à prouver l’antériorité est le caractère réalisable, qui consiste à déterminer si la PVA aurait été en mesure de réaliser l’invention. Si l’expérimentation par essais successifs est exclue à l’étape de la divulgation, elle ne l’est pas à celle du caractère réalisable. Aux fins de l’établissement du caractère réalisable, la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention (Sanofi‑Synthelabo, paragraphe 27).

[66]  Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette vise à abréger l’analyse de l’antériorité et est parfois décrit comme un « raccourci ». Un brevet n’est pas contrefait si le comportement censé être contrefaisant est compatible avec l’art antérieur, parce que l’art antérieur est soit destructeur de nouveauté, soit non contrefaisant (JK Smit & Sons Inc. c McClintock, [1940] RCS, 279, page 286)

B.  Analyse

[67]  Generic Partners affirme que la demande WO 107 antériorise le brevet 671. La demande WO 107 a servi de base au brevet 624, et les brevets 624 et 671 ont une inventrice en commun. Generic Partners soutient que la forme pharmaceutique revendiquée dans la demande WO 107 est à rétention gastrique, parce qu’elle libérerait tout le médicament en huit heures et qu’un séjour de huit heures dans l’estomac constitue une rétention gastrique. Generic Partners affirme ensuite que la PVA aurait su que la forme pharmaceutique devait au moins gonfler jusqu’à la taille du diamètre moyen du pylore au repos avant que la vidange gastrique n’ait lieu dans l’heure suivant la prise de la forme pharmaceutique. Ainsi, Generic Partners soutient que les éléments liés à la taille et au temps sont tous deux présents dans la demande WO 107.

[68]  Generic Partners souligne les dimensions préférentielles mentionnées dans la divulgation et celles précisées dans les revendications 21 et 22, et indique que l’élément lié à la taille est également présent dans la demande WO 107. Generic Partners note que les dimensions de départ (avant gonflement) mentionnées dans la divulgation et les revendications sont telles que l’axe le plus long est inférieur à 3,0 cm, comme il est indiqué dans la revendication 1 du brevet 671, et que la plage des longueurs des axes courts chevauche partiellement les plages désignées dans les revendications 5 et 6 du brevet 671. Selon M. Lee, la plage des dimensions avant gonflement revendiquées et divulguées dans la demande WO 107 ainsi que le doublement du volume de la forme pharmaceutique amèneraient la PVA à conclure que les axes courts doivent prendre de l’expansion jusqu’à au moins 1,2 cm.

[69]  Generic Partners soutient également que l’élément lié à la forme géométrique est présent dans la demande WO 107. Generic Partners affirme que les dimensions préférentielles mentionnées dans la divulgation décrivent des formes pharmaceutiques non circulaires qui, lorsqu’elles sont projetées sur une surface plane, sont des ovales ou des parallélogrammes. Generic Partners fonde cette allégation sur les dimensions elles‑mêmes et sur l’énoncé tiré de la demande WO 107 concernant les réalisations préférentielles selon lequel [traduction] « les formes géométriques et les tailles peuvent varier considérablement ». En outre, Generic Partners soutient que des formes pharmaceutiques non circulaires qui sont des ovales ou des parallélogrammes lorsqu’elles sont projetées sur une surface plane sont mentionnées dans les revendications 21 et 22 de la demande WO 107 et du brevet 624.

[70]  Valeant soutient qu’aucun des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 671 n’est présent dans la demande WO 107. La revendication de la demande WO 107 selon laquelle la forme pharmaceutique gonfle et atteint le double de son volume n’indique pas la taille gonflée de la forme pharmaceutique ni le temps nécessaire pour qu’elle atteigne cette taille. Valeant soutient également que l’énoncé selon lequel [traduction] « les formes géométriques et les tailles peuvent varier considérablement » ne divulgue pas l’élément lié à la forme géométrique, car il ne fournit aucune indication utile à la PVA au sujet des formes géométriques qui améliorent la rétention gastrique des formes pharmaceutiques. En réponse à l’opinion de M. Lee concernant les dimensions préférentielles de la forme pharmaceutique gonflée, Valeant note que selon la demande WO 107, c’est le volume de la forme pharmaceutique qui double et non ses dimensions. En effet, lorsque la forme pharmaceutique double de volume, à condition que l’expansion soit non restreinte et uniforme, les axes courts ont une longueur inférieure à 1,2 cm.

[71]  Je suis d’accord avec Valeant. La demande WO 107 ne divulgue pas l’objet du brevet 671 et ne l’antériorise donc pas. On pourrait avancer que les éléments liés à la taille et au temps sont implicitement divulgués dans la demande WO 107, à la lumière des connaissances usuelles de la PVA concernant le diamètre moyen du pylore au repos et les temps de transit gastrique. Cependant, la demande WO 107 ne décrit pas l’élément lié à la forme géométrique.

[72]  L’énoncé tiré de la demande WO 107 selon lequel les formes pharmaceutiques [traduction] « peuvent varier considérablement » n’écarte pas les formes géométriques de formes pharmaceutiques qui sont explicitement exclues par le brevet 671. Les formes géométriques décrites dans les revendications 21 et 22 de la demande WO 107 sont des comprimés cylindriques ou allongés, mais la PVA n’aurait pas compris qu’il s’agissait de formes non circulaires qui sont des ovales ou des parallélogrammes lorsqu’elles sont projetées sur une surface plane. Les cylindres ont deux côtés circulaires, tandis que les comprimés allongés ne sont pas nécessairement des ovales ou des parallélogrammes lorsqu’ils sont projetés sur une surface plane. Dans la demande WO 107, il n’est pas non plus mentionné que les formes pharmaceutiques cylindriques ou allongées favorisent la rétention gastrique. L’élément lié à la forme géométrique dans le brevet 671 ne peut pas être établi simplement par la lecture de la demande WO 107, et il n’y a donc ni divulgation ni antériorisation.

[73]  Puisque le brevet 671 ne se heurte à aucune antériorité et que Generic Partners concède que son produit générique contreviendra à la revendication 1, la défense fondée sur l’arrêt Gillette échoue également (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 219, paragraphe 115).

XI.  Évidence

A.  Principes juridiques

[74]  En vertu de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, un brevet ne peut être délivré pour une invention qui, à la date de la revendication, était évidente pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève le brevet. L’évidence doit être évaluée à la date de priorité : le 20 juin 2000.

[75]  En règle générale, l’évidence est perçue comme une conclusion de fait ou une question mixte de fait et de droit (Wenzel Downhole Tools Ltd. c National‑Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, paragraphe 44). Elle doit être évaluée pour chaque revendication (Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115, paragraphes 85, 87 et 88 [Zéro Spill]).

[76]  Lorsqu’il est question de l’évidence, toute analyse rétrospective est interdite. Pour déterminer si une revendication est évidente, les tribunaux appliquent habituellement le critère à quatre volets énoncé au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi‑Synthélabo :

[77]  La quatrième étape de l’analyse peut exiger de se demander si l’invention revendiquée résulte d’un « essai allant de soi ». Cette question tend à se poser dans les domaines d’activité où des progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation et où de nombreuses variables interdépendantes peuvent avoir une incidence sur le résultat souhaité (Sanofi‑Synthelabo, paragraphes 68 à 71). Le développement de produits pharmaceutiques est une si grande entreprise qu’il faut nécessairement se demander si l’invention revendiquée en l’espèce résulte d’un« essai allant de soi ». Pour ce faire, il faut tenir compte des facteurs non exhaustifs suivants :

B.  Analyse

(1)  PVA et connaissances usuelles

[78]  Il est question de la PVA et des connaissances usuelles à la rubrique « Interprétation des revendications », ci-dessus. Bien que les dates pertinentes applicables à l’interprétation des revendications et à l’évaluation de l’évidence diffèrent, ni l’une ni l’autre des parties n’a prétendu que ce point était décisif.

(2)  Idée originale

[79]  Les parties s’entendent généralement sur l’idée originale de la revendication 1 du brevet 671. Il s’agit d’une forme pharmaceutique orale à libération contrôlée qui associe plusieurs éléments, notamment : une matrice monolithique solide qui gonfle dans l’eau; une forme pharmaceutique dont la forme géométrique est un ovale ou un parallélogramme lorsqu’elle est projetée sur une surface plane; un axe long ayant une longueur maximale de 3,0 cm lorsque la matrice n’est pas gonflée; et un axe court dont la longueur s’allonge jusqu’à au moins 1,2 cm en une heure lorsque la matrice est gonflée. Lorsque ces éléments sont réunis, ils créent une forme pharmaceutique à rétention gastrique qui favorise une libération du médicament dans l’estomac et le tube gastro‑intestinal supérieur.

(3)  Différences entre l’état de la technique et l’invention

[80]  Generic Partners soutient que tous les éléments de l’idée originale étaient présents dans l’état de la technique et dans les connaissances usuelles de la PVA.

[81]  Generic Partners affirme que l’article de Hwang a divulgué tous les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 671. La PVA aurait su que, pour qu’il y ait rétention gastrique, une forme pharmaceutique orale devrait prendre suffisamment d’expansion avant le moment de la vidange gastrique. L’article de Hwang a décrit que les aliments solides resteraient dans l’estomac pendant environ une à trois heures. Generic Partners affirme donc que l’élément lié au temps était présent dans l’article de Hwang.

[82]  L’article de Hwang a mentionné l’article de Khosla, qui a déterminé que des comprimés mesurant 1,3 cm de diamètre restaient dans l’estomac plus longtemps que des comprimés de 0,7 cm et de 1,1 cm de diamètre. Generic Partners affirme donc que l’élément lié à la taille était présent dans l’article de Hwang.

[83]  En ce qui concerne l’élément lié à la forme géométrique, Generic Partners renvoie à la figure 14 de l’article de Hwang, qui est présentée ci‑dessous.

[84]  Selon Generic Partners, la figure montre clairement une forme pharmaceutique ovale qui gonfle dans l’eau et qui ressemble à celle décrite dans la revendication 1 du brevet 671.

[85]  Generic Partners soutient que l’élément lié à la taille était également présent dans la revendication 1 de la demande WO 107, qui décrit une forme pharmaceutique dont la taille a doublé, ainsi qu’une réalisation préférentielle comportant des dimensions de départ de 0,75 cm pour l’axe court et de 2,2 cm pour l’axe long. Generic Partners affirme que les deux dimensions se situent dans les plages mentionnées dans la revendication 1 du brevet 671. La demande WO 342 a indiqué une forme pharmaceutique qui gonfle jusqu’à ce que son axe le plus court mesure au moins 1,3 cm comme réalisation préférentielle.

[86]  L’article de Khosla a divulgué un diamètre moyen du pylore au repos qui peut atteindre jusqu’à 2,0 cm. Cependant, Generic Partners affirme que la PVA ne viserait pas l’extrémité supérieure de la plage des valeurs du diamètre moyen du pylore au repos. Des résultats d’essais publiés à la date de priorité ont plutôt montré que les formes pharmaceutiques de 1,3 cm de diamètre étaient mieux retenues dans l’estomac et présentaient une moins grande variabilité que les formes pharmaceutiques de 0,7 cm et 1,1 cm de diamètre.

[87]  Generic Partners affirme que l’élément lié au temps était présent dans l’art antérieur et qu’il était inextricablement associé à l’élément lié à la taille. La PVA aurait su que, pour qu’il y ait rétention gastrique, la forme pharmaceutique devrait prendre de l’expansion et atteindre une taille critique avant le moment de la vidange gastrique. Le fait que les particules solides mettent en moyenne une à trois heures pour traverser l’estomac faisait partie des connaissances générales courantes. La PVA aurait donc su qu’il était nécessaire que les formes pharmaceutiques atteignent la taille critique en une heure pour qu’il y ait rétention gastrique.

[88]  Enfin, Generic Partners soutient que l’élément lié à la forme géométrique était présent dans l’art antérieur et qu’il était intrinsèquement associé à l’élément lié à la taille. Il n’y avait rien d’inventif dans la décision voulant que la forme pharmaceutique à rétention gastrique soit non circulaire (ovale ou parallélogramme). La demande WO 107 décrivait déjà des comprimés allongés avec des dimensions préférentielles qui permettraient à la PVA de comprendre qu’il s’agissait d’ovales ou de parallélogrammes. La demande WO 342 a divulgué des comprimés à rétention gastrique qui sont des ovales ou des parallélogrammes, comme le montre la figure 1A. Comme il a été mentionné précédemment, la figure 14 de l’article de Hwang présente une forme pharmaceutique ovale et gonflante à rétention gastrique.

[89]  Subsidiairement, Generic Partners affirme que, si la forme géométrique des formes pharmaceutiques à rétention gastrique n’est pas explicitement divulguée, à savoir qu’il s’agit d’un ovale ou d’un parallélogramme, l’opinion non contestée de M. Lee est la suivante : a) il s’agit des formes géométriques les plus courantes pour les formes pharmaceutiques; et b) la détermination de la relation entre les tailles et les formes géométriques servant à améliorer la rétention gastrique découle simplement de notions de géométrie courantes, ce qui est tout à fait dans les limites des capacités de la PVA.

[90]  Valeant répond qu’aucun des éléments essentiels de l’idée originale du brevet 671 n’était présent dans l’art antérieur.

[91]  En ce qui concerne l’élément lié au temps, Valeant indique que l’article de Hwang présente une fourchette de temps de vidange gastrique plutôt que le temps précis d’une heure mentionné dans la revendication 1, ou le temps encore plus court de 30 minutes indiqué dans la revendication 2 et d’autres revendications dépendantes. Le temps qu’il faut pour qu’une forme pharmaceutique sorte de l’estomac varie et dépend de nombreux facteurs. M. Sternson a observé que les formes pharmaceutiques orales solides peuvent traverser l’estomac en aussi peu que deux minutes lorsqu’un sujet est à jeun. Le temps de vidange gastrique d’une à trois heures mentionné dans l’article de Hwang n’est pas absolu, nuance qui, selon Valeant, a échappé à M. Lee.

[92]  En ce qui concerne l’élément lié à la taille, Valeant note que le diamètre moyen du pylore au repos englobait une plage de diamètres d’ouverture du pylore, qui allait de 0,58 cm à 1,98 cm, et que rien dans l’idée originale ne décrivait ou ne suggérait l’élément lié à la taille. Selon M. Sternson, si la PVA se fondait sur les renseignements disponibles pour la préparation d’une forme pharmaceutique à rétention gastrique, elle se concentrerait naturellement sur l’extrémité supérieure de la plage, soit 2,0 cm. Une PVA peu imaginative aurait choisi la voie la plus sûre (c.‑à‑d. la plus grande ouverture du pylore) et n’aurait pas fait preuve de génie inventif, ce qu’elle aurait fait en choisissant une taille précise parmi la vaste plage.

[93]  Valeant note que, selon l’article de Khosla, une rétention gastrique accrue a été observée pour les formes pharmaceutiques de 1,3 cm de diamètre, mais pas pour celles de 1,2 cm. De plus, l’élément lié à la taille n’a pas été divulgué dans la demande WO 342 parce que cette dernière décrivait des formes pharmaceutiques gonflantes entourées d’une bande de matière insoluble qui prenaient de l’expansion différemment des formes pharmaceutiques divulguées dans le brevet 671. En outre, les formes pharmaceutiques décrites dans la demande WO 342 prenaient seulement de l’expansion jusqu’à atteindre une longueur maximale de 1,0 cm.

[94]  En ce qui concerne l’élément lié à la forme géométrique, Valeant affirme que rien dans l’art antérieur ne décrivait ni même ne suggérait l’existence d’un lien entre les formes pharmaceutiques en ovale ou en parallélogramme et une rétention gastrique accrue. La figure 14 de l’article de Hwang est un schéma qui illustre le mécanisme général des formes pharmaceutiques gonflantes à rétention gastrique et ne permet pas de préciser une forme géométrique particulière. La manière dont la forme géométrique de la forme pharmaceutique influe sur la rétention gastrique est un élément essentiel de l’idée originale; ainsi, la divulgation d’une multitude de formes géométriques dans l’art antérieur est insuffisante.

[95]  J’accepte que l’art antérieur ait pu divulguer l’élément lié à la taille et l’élément lié au temps de l’idée originale tirée de la revendication 1 du brevet 671. Toutefois, l’élément lié à la forme géométrique et l’association des trois éléments n’étaient pas mentionnés.

[96]  L’article de Khosla a montré que les formes pharmaceutiques d’un diamètre de 1,1 cm permettaient d’obtenir une certaine rétention gastrique et que celles d’un diamètre de 1,3 cm permettaient d’obtenir une meilleure rétention gastrique. Il est concevable que la PVA aurait, sans faire preuve de génie inventif, choisi une valeur intermédiaire (p. ex. 1,2 cm) comme longueur minimale de l’axe le plus court. La fourchette des temps de vidange gastrique était bien établie dans l’art antérieur et a d’ailleurs été reconnue par les inventeurs du brevet 671 dans la section sur la description de l’art antérieur. La PVA aurait pu en déduire que, pour que la rétention gastrique soit améliorée, la forme pharmaceutique devrait prendre de l’expansion et atteindre une certaine taille pour demeurer dans l’estomac. La PVA peut très bien avoir visé l’extrémité inférieure de la fourchette des temps de vidange gastrique en vue d’améliorer la rétention gastrique.

[97]  Cependant, l’élément lié à la forme géométrique était absent de l’art antérieur. Il n’y a pas eu de description ni de discussion concernant une possible corrélation entre la forme géométrique d’une forme pharmaceutique et la rétention gastrique. La demande WO 107 était plutôt imprécise quant à la forme géométrique de la forme pharmaceutique, et il a été mentionné que [traduction] « les formes géométriques et les tailles peuvent varier considérablement ». La réalisation préférentielle, soit une capsule ou un comprimé allongé, n’aide pas Generic Partners. En effet, selon le brevet 671, elle serait à l’origine du problème lié à l’orientation « fortuite » que l’invention est destinée à résoudre.

[98]  Le fait que la forme pharmaceutique gonflante représentée à la figure 14 de l’article de Hwang semble ovale est le fruit du hasard. Rien dans le diagramme ou dans le texte qui l’accompagne ne suggérait que l’élément lié à la forme géométrique (un ovale ou un parallélogramme) était un facteur pertinent pour l’amélioration de la rétention gastrique.

(4)  Les différences sont‑elles évidentes?

[99]  Generic Partners soutient que la PVA n’aurait pas eu besoin de faire preuve d’un esprit inventif pour associer les éléments connus dans l’invention revendiquée par le brevet 671. La PVA savait que tous les éléments favorisaient la rétention gastrique, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de faire preuve d’un esprit inventif pour les associer en vue d’améliorer davantage la rétention gastrique.

[100]  Subsidiairement, Generic Partners affirme que l’invention allait de soi. Tous les éléments étaient divulgués dans l’art antérieur, et même si l’élément lié à la forme géométrique n’était pas décrit dans l’art antérieur, il n’y avait qu’un nombre limité de formes géométriques possibles pour les formes pharmaceutiques. Les ovales et les parallélogrammes étaient des formes géométriques courantes pour les formes pharmaceutiques. Par conséquent, Generic Partners soutient qu’il allait plus ou moins de soi que l’association des éléments entraînerait une rétention gastrique accrue, comme il est défini dans la revendication 1.

[101]  Valeant n’a fourni aucune preuve de la genèse de l’invention. Generic Partners demande à la Cour de tirer une inférence négative, citant l’arrêt Sanofi‑Synthélabo, paragraphe 71, et la décision Gilead Science Inc. c Canada (Santé), 2013 CF 1270, paragraphe 83. Enfin, Generic Partners affirme que, à la lumière de l’art antérieur, la PVA avait clairement un motif de développer une forme pharmaceutique à rétention gastrique administrée par voie orale, comme la Cour l’a conclu dans la décision Biovail au paragraphe 107.

[102]  Valeant répond que l’évidence est difficile à établir. La partie qui allègue l’évidence doit démontrer que la PVA serait arrivée directement et sans difficulté à l’invention (Sanofi‑Synthélabo, paragraphe 85; Beloit, page 294). Il n’est pas juste pour une personne qui prétend avoir conçu une invention combinée de décomposer la combinaison en ses parties et de conclure que, puisque chaque partie est bien connue, la combinaison était nécessairement évidente (Zero Spill, paragraphe 95). Valeant affirme que, même si le brevet 671 divulgue une combinaison d’éléments bien connus, la combinaison de ces éléments était inventive parce que l’art antérieur ne décrivait pas l’interaction entre les éléments et la rétention gastrique.

[103]  Une allégation d’évidence peut être affaiblie si la preuve n’explique pas directement, ou par déduction, la raison pour laquelle l’invention revendiquée n’a pas été faite par d’autres (Georgetown Rail Equipment Company c Rail Radar Inc., 2018 CF 70, paragraphe 149 [Georgetown]). Valeant affirme que l’absence de toute invention comparable dans l’art antérieur, particulièrement en ce qui concerne la forme géométrique de la forme pharmaceutique, parle d’elle‑même.

[104]  Les tribunaux font souvent des mises en garde contre une analyse rétrospective de l’évidence (Georgetown, paragraphe 112; Meda AB c Canada (Santé), 2016 CF 1362, paragraphe 138; Bridgeview Manufacturing Inc. c 931409 Alberta Ltd., 2010 CAF 188, paragraphe 50). Valeant affirme que l’interprétation de l’art antérieur effectuée par M. Lee est sélective et intéressée. Il a choisi l’extrémité inférieure de la fourchette des temps de transit gastrique et le diamètre moyen du pylore au repos pour trouver les éléments liés à la taille et au temps dans l’art antérieur. L’interprétation de M. Lee au sujet du diagramme de la figure 14 présentée dans l’article de Hwang, que M. Sternson a décrit comme un [traduction] « croquis », est déraisonnablement littérale.

[105]  Valeant note que l’apparente simplicité d’une invention ne mène pas inévitablement à la conclusion qu’elle est évidente et non digne d’un brevet (Jay‑Lor, paragraphe 76). Une « parcelle d’invention » est suffisante (Diversified Products Corp. c Tye‑Sil Corp. (1991), 35 CPR (3d) 350, page 365 (CAF)). L’art antérieur a divulgué plusieurs formes géométriques, dimensions et délais en ce qui concerne les formes pharmaceutiques. Aucune directive n’a été fournie pour mener la PVA à l’association revendiquée sans génie inventif. Compte tenu des innombrables options et combinaisons à la disposition de la PVA, l’invention revendiquée n’aurait pu être réalisée sans de longues et fastidieuses expériences.

[106]  Selon moi, l’invention revendiquée dans le brevet 671 n’était pas évidente et n’allait pas de soi. L’élément lié à la forme géométrique n’a pas été divulgué dans l’art antérieur. Bien que des formes pharmaceutiques en forme d’ovale ou de parallélogramme puissent être trouvées dans l’art antérieur, il n’a été suggéré nulle part que la forme géométrique était un élément essentiel pour la rétention gastrique. Le vaste éventail d’options visant à améliorer la rétention gastrique divulgué dans l’art antérieur n’aurait pas inexorablement conduit la PVA à l’invention si elle n’avait pas fait preuve d’esprit inventif.

[107]  L’observation de M. Lee, selon laquelle la détermination de l’influence réciproque des tailles et des formes géométriques servant à améliorer la rétention gastrique découlait simplement de notions de géométrie courantes ou d’essais, présente un biais de rétrospection. M. Lee présuppose que la PVA comprenait déjà que la rétention gastrique serait touchée par la forme géométrique de la forme pharmaceutique; pourtant, il s’agit précisément de l’activité inventive revendiquée dans le brevet 671.

[108]  Sans l’idée que la forme géométrique des formes pharmaceutiques influait sur la rétention gastrique, l’invention n’allait pas de soi. Rien dans l’art antérieur ne suggérait une corrélation entre la forme géométrique des formes pharmaceutiques et la rétention gastrique. Il n’y avait donc aucun motif dans l’art antérieur qui aurait permis de trouver la solution visée par le brevet. Une multitude de formes géométriques ont été reconnues dans l’art antérieur pour les formes pharmaceutiques, mais aucune n’a été jugée nettement supérieure aux autres en ce qui concerne la rétention gastrique. La réalisation préférentielle décrite dans la demande WO 107, soit un comprimé cylindrique ou allongé, était à l’origine du problème que le brevet 671 prétendait résoudre.

XII.  Double brevet

A.  Principes juridiques

[109]  Il existe deux types de double brevet. Le premier est le double brevet relatif à la « même invention », où il y a identité entre les revendications du deuxième brevet et celles du premier. Le deuxième type est le double brevet relatif à une « évidence », où le deuxième brevet n’est pas identique au premier, mais ne vise pas un « élément brevetable distinct ». L’interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119, paragraphes 27 et 37; Whirlpool, paragraphe 63).

B.  Analyse

[110]  Generic Partners allègue qu’il y a double brevet relativement au brevet 624. Le brevet WO 107 est à la base du brevet 624, et Generic Partners ne prétend pas que les deux diffèrent d’une manière significative. J’ai conclu que le brevet WO 107 n’antériorisait pas le brevet 671. Il s’ensuit que le brevet 624 ne saurait appuyer l’allégation de double brevet relatif à la « même invention ».

[111]  Si l’examen de l’ensemble des antériorités ne rend pas le brevet 671 évident, l’analyse plus restreinte fondée uniquement sur le brevet 624 ne saurait faire en sorte qu’il le soit. L’allégation de double brevet de Generic Partners doit être rejetée.

XIII.  Insuffisance

A.  Principes juridiques

[112]  En vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, le mémoire descriptif d’un brevet doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention. Les questions que la Cour doit se poser pour déterminer si la description est suffisante sont les suivantes : a) En quoi consiste l’invention? (b) Comment fonctionne‑t‑elle? et (c) N’ayant que le mémoire descriptif, une PVA peut‑elle réussir à produire l’invention en utilisant uniquement les instructions contenues dans la divulgation? Le fait qu’il pourrait être nécessaire pour la PVA de procéder à des essais dénués de caractère inventif pour réaliser l’invention ne rend pas la divulgation d’un brevet insuffisante (Apotex Inc. c Shire LLC, 2018 CF 637, paragraphe 151; Teva Canada Limited c Leo Pharma Inc., 2017 CAF 50, paragraphes 55, 56 et 60; Teva Canada Ltd. c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, paragraphes 50 et 51).

B.  Analyse

[113]  Selon Generic Partners, le brevet 671 ne fournit pas suffisamment de renseignements pour permettre à la PVA de savoir, avant la réalisation d’essais, si les formulations divulguées amélioreront réellement la rétention gastrique. Tout essai courant que la PVA devrait effectuer pour créer une forme pharmaceutique à rétention gastrique accrue conformément au brevet 671 pourrait également être effectué sans les enseignements du brevet 671.

[114]  Valeant répond qu’il existe des matrices et des poinçons standard qui créeraient des formes pharmaceutiques correspondant aux formes géométriques et aux tailles revendiquées dans le brevet 671. Le brevet 671 fournit également des descriptions détaillées des polymères et de leurs caractéristiques. Toute expérimentation supplémentaire nécessaire pour optimiser les formes géométriques et les tailles des formes pharmaceutiques serait une affaire de routine. En ce qui concerne les essais nécessaires pour déterminer si les éléments liés au temps et aux dimensions après gonflement étaient atteints, M. Sternson les a décrits comme étant [traduction] « évidents ».

[115]  M. Lee déplore que le brevet 671 ne présente pas suffisamment de données et d’exemples. Toutefois, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 219, paragraphe 150). Aucune allégation n’est faite dans l’avis d’allégation de Generic Partners concernant l’utilité du brevet 671, et ce n’est pas une question qui a été soulevée en l’espèce.

[116]  Je suis donc d’accord avec Valeant que l’allégation d’insuffisance de Generic Partners est sans fondement.

XIV.  Conclusion

[117]  Valeant s’est acquittée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Generic Partners concernant l’invalidité du brevet 671 ne sont pas fondées. La demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité pour le produit générique est donc accueillie.

[118]  Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent présenter des observations écrites, ne dépassant pas cinq (5) pages, dans les 14 jours suivant la date des présents motifs de jugement. Des observations en réponse, ne dépassant pas trois (3) pages, peuvent être présentées dans les sept (7) jours qui suivent.




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