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Date : 20190311


Dossier : T‑393‑18

Référence : 2019 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

JAMES SABOURIN

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, monsieur James Sabourin, demande le contrôle judiciaire de la décision (la décision) de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter sa plainte contre son employeur, les Forces armées canadiennes (FAC). Dans sa plainte, le demandeur a allégué que les FAC avaient fait preuve de discrimination à son égard et qu’elles n’avaient pas fourni de mesures d’adaptation raisonnables en milieu de travail relativement à son incapacité médicale avant de le libérer en 2015. La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1983, c F‑7.

[2]  Le demandeur fait valoir que la Commission a violé son droit à l’équité procédurale en fondant sa décision uniquement sur le rapport d’enquête préparé par l’un de ses enquêteurs et en omettant de fournir des motifs. Il soutient également que la décision était déraisonnable parce que la Commission n’a pas évalué adéquatement l’obligation des FAC de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de son incapacité médicale.

[3]  J’ai examiné attentivement les observations du demandeur, mais ce dernier ne m’a pas convaincue qu’il y a lieu pour la Cour d’intervenir relativement à la décision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.  Le contexte

[4]  Le demandeur s’est joint aux FAC le 8 mars 2006 comme soldat d’infanterie. Durant son déploiement en Afghanistan en 2007, il a été grièvement blessé par un engin explosif improvisé et a développé des problèmes de santé mentale liés au service.

[5]  En septembre 2009, le demandeur s’est vu attribuer une catégorie médicale temporaire et des restrictions médicales à l’emploi (RME) en raison des blessures qu’il a subies en Afghanistan. Les RME ont été retirées en janvier 2010. En 2013, les problèmes médicaux antérieurs du demandeur ont réapparu, et le demandeur s’est vu attribuer de nouvelles RME.

[6]  En mars 2014, le demandeur s’est vu attribuer les RME permanentes suivantes :

  • - suivi régulier par un spécialiste requis plus souvent que tous les six mois;

  • - médicalement inapte à travailler dans un environnement opérationnel militaire;

  • - incapable de manipuler et d’utiliser de façon sécuritaire une arme personnelle;

  • - médicalement inapte à conduire des véhicules militaires;

  • - protection auditive spécialisée requise.

[7]  La chaîne de commandement du demandeur a ensuite demandé l’affectation de ce dernier à l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP) en guise de mesure d’adaptation en milieu de travail. L’UISP est une unité non opérationnelle qui offre du soutien aux membres des FAC blessés et facilite, si possible, leur retour au travail. Le 27 mai 2014, le gestionnaire de carrières du demandeur a refusé la demande de transfert à l’UISP parce que le demandeur pouvait être affecté au service général en tant que cuisinier au sein d’une unité militaire. Le demandeur a été affecté dans un rôle de cuisinier à la Base de soutien de la 3e Division du Canada (BS 3 Div C), à Edmonton, parce que cette unité n’est pas déployée et que d’autres membres des FAC affichant des RME similaires à celles du demandeur s’y trouvaient.

[8]  Je remarque que, pour devenir un cuisinier pleinement formé au sein des FAC, il faut obtenir trois niveaux de qualification : 1) le cours d’instruction de NQ3; 2) la formation en cours d’emploi de NQ4; et 3) la formation en leadership de NQ5. Pour réussir la formation en leadership, les militaires doivent respecter une norme minimale de condition physique. En raison de ses RME permanentes, le demandeur n’a pas pu suivre et terminer le cours en question.

[9]  En août 2014, les FAC ont examiné les RME permanentes du demandeur pour établir s’il contrevenait au principe de l’universalité du service. Le demandeur a été jugé en violation du principe, et le Directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM) a recommandé sa libération des FAC pour des raisons médicales. La date de la libération pour raisons médicales du demandeur a été fixée en août 2015.

[10]  Le rôle joué par le principe de l’universalité du service dans la libération du demandeur des FAC est au cœur de la présente demande, et j’aborderai son contenu et son effet dans mon analyse de l’argument du demandeur selon lequel la décision était déraisonnable. En bref, selon ce principe ou cette exigence, les membres des FAC doivent, en tout temps, être en mesure de s’acquitter des tâches opérationnelles qui leur sont confiées.

[11]  Le demandeur a demandé son maintien en poste temporaire jusqu’en mars 2016 afin de pouvoir toucher les prestations de retraite versées après dix années de service. Sa demande a été rejetée parce qu’il ne pouvait pas obtenir la qualification de cuisinier de NQ5. Le 27 novembre 2014, le demandeur a avisé sa chaîne de commandement qu’il ne souhaitait plus être maintenu en poste après sa libération pour raisons médicales.

[12]  En décembre 2014, le demandeur a été affecté temporairement à l’UISP afin qu’il puisse fréquenter l’université et faire la transition à la vie civile.

[13]  En août 2015, le demandeur a demandé une réévaluation de ses RME permanentes. Un examen indépendant effectué par deux médecins a permis d’établir qu’il n’y avait pas de nouveaux renseignements médicaux justifiant le report de la libération du demandeur pour raisons médicales.

[14]  Le 25 août 2015, le demandeur a été libéré des FAC pour raisons médicales.

II.  La plainte déposée par le demandeur à la Commission

[15]  Le 1er février 2016, le demandeur a déposé une plainte (la plainte) auprès de la Commission, alléguant que la mesure d’adaptation en milieu de travail proposée par les FAC (son affectation à titre de cuisinier à la BS 3 Div C) était déraisonnable et que sa libération pour incapacité médicale était discriminatoire. Le demandeur a fait valoir que son affectation à l’UISP aurait dû être approuvée, conformément à la recommandation du médecin‑chef adjoint de la base. Il a également allégué que les FAC l’avaient induit en erreur au sujet du processus de maintien en poste et lui avaient refusé l’accès à certains services. Ces dernières allégations ne sont pas en cause dans la présente demande.

[16]  La Commission a accepté la plainte et, le 19 mai 2016, a nommé un enquêteur. Ce dernier a interrogé douze témoins, dont le demandeur, en plus d’examiner les observations et les éléments de preuve documentaire des parties. Il a préparé un rapport d’enquête (le rapport d’enquête) dans lequel il a recommandé à la Commission de rejeter la plainte.

[17]  En octobre 2017, la Commission a transmis le rapport d’enquête aux parties et les a invitées à présenter des observations, ce que le demandeur et les FAC ont fait. Le demandeur a fait valoir que l’enquêteur n’avait pas compris l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ni le principe de contrainte excessive, ajoutant que le principe de l’universalité du service n’est pas une exigence professionnelle justifiée qui exempte les FAC de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’intention de ses effectifs dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive, conformément à la jurisprudence établie.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[18]  La décision est datée du 9 février 2018. Après avoir examiné le rapport d’enquête et les observations fournies en réponse au rapport, la Commission a conclu qu’il fallait rejeter la plainte du demandeur en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), au motif que la tenue d’une enquête plus approfondie n’était pas justifiée. La Commission a fourni de très brefs motifs avec sa décision, et je considérerai le rapport d’enquête comme représentatif du raisonnement de la Commission (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37 (Sketchley); Majidigoruh c Jazz Aviation LP, 2017 CF 295, au paragraphe 14 (Majidigoruh)).

[19]  L’enquêteur a résumé la plainte comme suit :

[traduction]

La question à trancher dans le cadre de la présente plainte consiste à savoir si le défendeur a traité le plaignant d’une manière différente et défavorable, s’il a omis de prendre les mesures d’adaptation dont ce dernier avait besoin en raison de ses restrictions médicales à l’emploi et s’il a fini par mettre fin à l’emploi du plaignant en raison de l’invalidité de ce dernier, un trouble de stress post‑traumatique (SSPT).

[20]  Le rapport d’enquête a abordé l’omission alléguée des FAC de prendre une mesure d’adaptation à l’égard du demandeur en refusant sa demande d’affectation à l’UISP, le traitement défavorable et différent que les FAC auraient réservé au demandeur en ne prolongeant pas sa période de maintien en poste et la cessation par les FAC de l’emploi du demandeur en raison de son invalidité médicale en août 2015.

[21]  En ce qui concerne l’évaluation du refus des FAC de la demande d’affectation du demandeur à l’UISP, il a été souligné dans le rapport d’enquête que les deux parties ont reconnu que le demandeur affichait une incapacité médicale et avait besoin de mesures d’adaptation. Le demandeur a soutenu que son affectation comme cuisinier à la BS 3 Div C ne respectait pas ses RME, puisqu’il se trouvait alors dans un contexte d’opérations militaires. Les FAC n’étaient pas d’accord, affirmant que la BS 3 Div C était une unité de soutien qui n’était pas déployée et qui n’était pas considérée comme une unité opérationnelle. L’enquêteur a conclu que, en étant affecté comme cuisinier à la BS 3 Div C, le demandeur avait bénéficié d’une mesure d’adaptation qui respectait ses RME, établissant aussi qu’une affectation à l’UISP n’était pas la seule mesure d’adaptation en milieu de travail appropriée dont disposaient les FAC. L’enquêteur a rappelé que les FAC avaient pris des mesures d’adaptation à l’égard d’autres militaires en les affectant à la cuisine de la BS 3 Div C plutôt qu’à l’UISP. Il a également souligné que le demandeur n’avait pas informé son médecin militaire ni sa chaîne de commandement que son affectation à la BS 3 Div C ne respectait pas ses RME. Il a conclu que les FAC n’avaient pas refusé au demandeur les mesures d’adaptation dont il avait besoin pour des raisons médicales et que l’affectation de ce dernier n’allait pas à l’encontre de ses RME.

[22]  En ce qui concerne la décision de refuser la demande du demandeur de prolonger sa période de maintien en poste jusqu’en mars 2016, il a été reconnu dans le rapport d’enquête que les parties ont reconnu que le demandeur n’était pas un cuisinier militaire pleinement qualifié puisqu’il ne pouvait pas suivre la formation en leadership de NQ5 en raison de ses RME. L’enquêteur a déclaré que [traduction« puisque [le demandeur] ne possédait pas la qualification militaire associée à sa profession, il n’était pas admissible au maintien en poste conformément à la politique du défendeur, la DOAD 5023‑1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service ». Le rapport d’enquête a conclu que les FAC avaient fourni une explication raisonnable du refus de la demande de maintien en poste prolongé du demandeur et que leur décision ne constituait pas un prétexte dissimulant de la discrimination.

[23]  Enfin, le rapport d’enquête a abordé la question de la cessation d’emploi du demandeur en raison de son incapacité médicale. L’élément central de l’analyse consistait à établir si le principe de l’universalité du service des FAC énoncé dans la politique DOAD 5023‑1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service (DOAD 5023‑1) est une exigence opérationnelle justifiée au sens de la Loi. L’enquêteur s’est appuyé sur le paragraphe 15(9) de la Loi, qui prévoit que l’universalité du service est une exigence opérationnelle justifiée et une exception à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des personnes touchées dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive prévue au paragraphe 15(2). L’enquêteur a conclu que le principe de l’universalité du service avait été adopté par les FAC de bonne foi et à une fin rationnellement liée à l’exécution de ses fonctions. Étant donné que le demandeur ne pouvait pas être déployé et qu’il contrevenait au principe, et ce, sans pronostic d’amélioration, l’enquêteur a déclaré :

[traduction]

134.  Le défendeur a établi qu’il s’agit pour lui d’une exigence professionnelle justifiée d’exiger que ses membres soient aptes au déploiement en tout temps et qu’il ne peut pas prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’employés précis qui affichent les mêmes caractéristiques que le plaignant sans que cela constitue pour lui une contrainte excessive. Pour ces raisons, la tenue d’une enquête plus approfondie n’est pas justifiée.

[24]  L’enquêteur a conclu le rapport d’enquête en recommandant à la Commission de rejeter la plainte puisqu’aucune autre enquête n’était justifiée dans les circonstances.

IV.  Les questions en litige

[25]  Le demandeur soulève deux questions dans la présente demande :

  1. La Commission est‑elle arrivée à la décision au terme d’une procédure juste?

  2. La décision était‑elle raisonnable à la lumière des conclusions du rapport d’enquête?

V.  La norme de contrôle applicable

[26]  Les parties conviennent que la question de savoir si le processus de la Commission était équitable est tranchée selon la norme de la décision correcte et que les conclusions de fait et la décision de la Commission de rejeter la plainte sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les parties citent la décision rendue par ma collègue, la juge Elliott, dans Blackbird c Maskwacis Health Services, 2018 CF 239, aux paragraphes 31 et 32 (Blackbird) (voir aussi l’arrêt Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114, au paragraphe 16 (Ritchie)). Un examen du caractère raisonnable exige que la Cour évalue si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si la décision de la Commission de rejeter la plainte appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Analyse

1.  La Commission est‑elle arrivée à la décision au terme d’une procédure juste?

[27]  Le demandeur soulève deux questions concernant l’équité du processus de la Commission. Premièrement, il fait valoir que les documents présentés à la Commission étaient nettement insuffisants. Le dossier certifié du tribunal révèle que les documents de référence sur lesquels le rapport d’enquête était fondé — les lois, politiques et règlements pertinents — n’ont pas été fournis à la Commission. De plus, cette dernière n’a pas demandé des copies des documents avant de rendre sa décision, se fondant plutôt uniquement sur le rapport d’enquête et privant par le fait même le demandeur de son droit d’être entendu par un tribunal indépendant. Le demandeur soutient que ses objections et observations n’ont pas été examinées adéquatement par la Commission. Deuxièmement, il soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé parce que la décision tenait en deux phrases et que, par conséquent, la Commission n’a pas fourni ses motifs.

A.  La décision de la Commission de s’appuyer sur le rapport d’enquête

[28]  Le demandeur soutient que la Commission avait le devoir d’examiner de façon indépendante les lois et les politiques constituant le cadre juridique de la plainte et du rapport d’enquête. Dans ses observations, il exige la prise en considération de la relation entre la Commission et ses enquêteurs. Dans l’arrêt Sketchley, la Cour d’appel fédérale a décrit cette relation comme suit (au paragraphe 37) :

[37] […] Il est vrai que l’enquêteur et la Commission sont deux entités « à bien des égards distinctes » (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, 1995 CanLII 3591 (CAF), [1995] 2 C.F. 455 (C.A.), au paragraphe 21, le juge MacGuigan (avec l’appui du juge Décary)), mais il est également bien établi qu’aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64; 1998, ch. 9, art. 24] de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1989 CanLII 44 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 898 (SEPQA)). L’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission (SEPQA, à la page 898). Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise de décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi (SEPQA, aux pages 902 et 903; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 1998 CanLII 8700 (CAF), [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), au paragraphe 30 (Bell Canada); Société Radio‑Canada c. Paul, 2001 CAF 93 (CanLII), au paragraphe 43).

[29]  Le demandeur n’a aucunement remis en cause l’exhaustivité ou le caractère adéquat de l’enquête ou du rapport d’enquête. Il ne soutient pas que l’enquêteur n’a pas examiné et pris en considération les lois, politiques et règlements pertinents. En ce qui concerne l’équité, son argument tient au fait que la Commission n’a pas elle‑même examiné les documents en question afin de prendre une décision indépendante.

[30]  En toute déférence, je ne souscris pas à l’argument du demandeur. Comme le juge Linden l’a déclaré dans l’arrêt Sketchley, l’enquêteur est considéré comme un prolongement de la Commission dans le cadre de l’enquête sur une plainte et de la préparation du rapport. Il est attendu que la Commission s’appuie sur le rapport de l’enquêteur pour s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi. En l’espèce, le rapport d’enquête était détaillé et faisait correctement référence aux lois et politiques régissant l’emploi du demandeur au sein des FAC et sa libération éventuelle de celles‑ci. L’enquêteur a exposé les antécédents du demandeur au sein des FAC et les extraits pertinents des entrevues menées auprès des témoins. L’analyse par l’enquêteur de chacune des questions factuelles et juridiques soulevées par la plainte est documentée dans le rapport. En l’absence d’erreurs ou d’omissions alléguées ou apparentes dans le rapport, je conclus que le fait que la Commission s’est appuyée sur le rapport d’enquête pour rendre sa décision était une procédure équitable. La plainte a été examinée conformément à la Loi et à la jurisprudence. De plus, dans ses brefs motifs, la Commission a dit qu’elle avait tenu compte des observations formulées par le demandeur en réponse au rapport d’enquête. Par conséquent, la décision contredit l’argument du demandeur selon lequel ses observations n’ont pas été adéquatement prises en considération par la Commission.

B.  L’obligation de la Commission de fournir les motifs de la décision

[31]  L’argument du demandeur selon lequel la Commission n’a pas fourni de motifs n’est pas étayé par la jurisprudence. Lorsque la Commission fournit de très brefs motifs de décision, il a été bien établi que le rapport d’enquête constitue alors ses motifs (Sketchley, au paragraphe 37; Majidigoruh, au paragraphe 14; Blackbird, au paragraphe 35). En d’autres termes, les motifs de la décision sont exposés dans le rapport d’enquête, qui fait partie du dossier soumis à la Commission (Stukanov c Canada (Procureur général), 2019 CAF 38, au paragraphe 8, citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 2 RCS 708).

2.  La décision étaitelle raisonnable à la lumière des conclusions du rapport d’enquête?

[32]  Avant d’aborder les questions soulevées par le demandeur au sujet du caractère raisonnable de la décision, il est utile d’examiner d’abord le rôle de la Commission dans le cadre d’une enquête sur une plainte liée aux droits de la personne. Les obligations de la Commission à la réception du rapport de l’un de ses enquêteurs sont énoncées à l’article 44 de la Loi, qui est reproduit en entier à l’annexe A du présent jugement. La disposition exige que la Commission évalue si la plainte en question devrait être : 1) soumise à un autre processus accessible (paragraphe 44(2); 2) renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal) aux fins d’enquête (alinéa 44(3)a)); ou 3) rejetée sans autre enquête (alinéa 44(3)b)).

[33]  La nature et l’étendue du rôle de la Commission ont été décrites à maintes reprises dans la jurisprudence. La Cour suprême du Canada a examiné le rôle de la Commission dans l’arrêt Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 (Cooper). Elle a décrit la Commission comme un organisme d’examen préalable et d’administration qui ne possède pas de rôle décisionnel important. La Commission ne détermine pas s’il y a eu discrimination, mais plutôt s’il y a lieu de demander au tribunal de réaliser une enquête plus poussée sur la plainte. L’aspect principal du rôle de la Commission consiste à vérifier s’il existe une preuve suffisante (Cooper, au paragraphe 53; Ritchie, au paragraphe 38; Majidigoruh, au paragraphe 23).

[34]  Au moment d’établir si la tenue d’une enquête plus poussée sur une plainte est justifiée, la Commission dispose d’un important pouvoir discrétionnaire. Dans l’arrêt Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1998), [1999] 1 CF 113, [1998] ACF no 1609, la Cour d’appel fédérale a souligné que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » (au paragraphe 38). Il s’ensuit qu’il faut faire preuve de déférence dans le cadre du contrôle d’une décision prise par la Commission dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi (Ritchie, au paragraphe 39).

A.  Les observations des parties

[35]  En ce qui concerne l’affaire dont je suis saisie, le demandeur fait valoir que les conclusions formulées dans le rapport d’enquête au sujet des mesures d’adaptation en milieu de travail n’étaient pas raisonnables et que la Commission n’a pas dûment tenu compte de l’obligation des FAC de prendre des mesures d’adaptation. Dans ses observations écrites à la Cour, le demandeur déclare que tous les employés au Canada, y compris ceux des FAC, doivent bénéficier de mesures d’adaptation dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive, un seuil important établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro‑Québec c Syndicat des employés de techniques professionnelles et al., [2008] 2 RCS 561, aux paragraphes 18 à 19. Dans sa plaidoirie, le demandeur a admis que le principe de l’universalité du service est considéré comme une exigence professionnelle justifiée aux fins de la Loi, faisant cependant valoir que les FAC l’avait appliqué de façon préjudiciable et discriminatoire.

[36]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour les FAC de refuser de prolonger sa période de maintien en poste avant sa libération, comme le prévoit la DOAD 5023‑1, faisant valoir que ni l’enquêteur ni les FAC n’ont songé à la possibilité qu’il puisse continuer de travailler comme cuisinier NQ3, raison pour laquelle la décision comportait de graves lacunes. Le demandeur affirme que les FAC l’ont mis en situation d’échec en l’affectant à la BS 3 Div C, une unité où il devait suivre la formation en leadership de NQ5. Ses supérieurs savaient qu’il ne pourrait pas obtenir la qualification NQ5, et il a été libéré prématurément. De l’avis du demandeur, l’affectation à la BS 3 Div C n’était pas une mesure d’adaptation appropriée, l’application par les FAC du principe de l’universalité du service était discriminatoire et la conclusion de l’enquêteur dans le rapport d’enquête était déraisonnable.

[37]  Le défendeur soutient pour sa part que la conclusion de la Commission selon laquelle la plainte ne justifiait pas la tenue d’une enquête plus approfondie de la part du Tribunal était raisonnable et appuyée par le dossier. Le rapport d’enquête reflète une analyse minutieuse de la preuve et des critères juridiques relatifs à l’obligation des FAC de prendre des mesures d’adaptation et montre que l’enquête sur la plainte du demandeur était approfondie. Le défendeur soutient également que l’universalité du service est une exigence professionnelle justifiée et que, une fois qu’un membre des FAC ne satisfait plus aux exigences du principe, il est impossible de prendre d’autres mesures d’adaptation pour faciliter son maintien en service sans contrainte excessive. Le défendeur s’appuie sur le paragraphe 15(9) de la Loi et sur la jurisprudence de notre Cour, qui reconnaît que le principe de l’universalité du service est une exigence professionnelle justifiée et une exception à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation (Best c Canada (Procureur général), 2011 CF 71, au paragraphe 26 (Best)).

[38]  Le défendeur soutient que, de toute façon, l’enquêteur a abordé l’enjeu de la contrainte excessive et des mesures d’adaptation avant la libération du demandeur pour raisons médicales et qu’il a conclu que l’affectation de ce dernier en tant que cuisinier à la BS 3 Div C était une mesure d’adaptation raisonnable. Rien ne donne à penser que, comme le donne à penser le demandeur, la Commission ne connaissait pas ces principes ou a omis de les appliquer.

B.  Aperçu — Universalité du service

[39]  Le principe de l’universalité du service, tel qu’il est énoncé dans la DOAD 5023‑1, constitue le fondement de l’analyse de l’enquêteur du traitement réservé par les FAC à la demande de maintien en poste prolongé du demandeur et de la libération de ce dernier. Le principe exige que tous les membres des FAC soient en permanence en bonne condition physique et prêts à s’acquitter de tâches opérationnelles, y compris participer à un déploiement.

[40]  Le paragraphe 15(9) de la Loi reconnaît l’importance fondamentale du principe de l’universalité du service relativement à la capacité des FAC de remplir leur rôle militaire au service du Canada. Le paragraphe doit être lu conjointement avec l’alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la Loi. Le texte intégral de ces dispositions figure à l’annexe A du présent jugement, mais, brièvement, l’alinéa 15(1)a) prévoit que toute exclusion, restriction ou condition d’un employeur ne constitue pas un acte discriminatoire s’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée. En vertu du paragraphe 15(2), pour qu’une telle pratique constitue une exigence professionnelle justifiée, l’employeur doit établir que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituaient une contrainte excessive. Le paragraphe 15(9) prévoit quant à lui une exception au paragraphe 15(2). Par souci de commodité, voici le paragraphe 15(9) de la Loi :

Universalité du service au sein les Forces canadiennes

 

Universality of service for Canadian Forces

(9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est‑à‑dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

(9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

 

[41]  Dans la décision Best, le juge Martineau, de la Cour, a reconnu que l’universalité du service est une exigence professionnelle justifiée et une exception à l’exigence du paragraphe 15(2) de la Loi, qui oblige les employeurs à établir que la mesure d’adaptation constituerait une contrainte excessive. Il précise ensuite (Best, au paragraphe 27) :

[27] [Le paragraphe 15(9)] signifie que la politique en elle‑même ne peut être qualifiée de discriminatoire. Cependant, l’application de cette politique peut l’être. À cette fin, l’enquêteur a confirmé que la politique avait été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail, qu’elle était fondée sur la croyance sincère qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail et qu’elle était nécessaire à la réalisation de ce même but légitime lié au travail.

C.  Analyse

[42]  La question dont je suis saisie consiste à savoir si la décision de la Commission de rejeter la plainte sans autre enquête était raisonnable. Mon analyse comporte deux volets connexes. Premièrement, j’aborderai la question de savoir si la Commission a raisonnablement évalué l’allégation du demandeur selon laquelle les FAC ont fait preuve de discrimination à son égard en rejetant sa demande de prolongation de sa période de maintien en poste. Deuxièmement, je me pencherai sur les arguments du demandeur concernant sa libération subséquente des FAC.

  I.  Demande du demandeur de prolongation de sa période de maintien en poste

[43]  En résumé, en août 2014, le DACM a recommandé aux FAC de libérer le demandeur, car ce dernier contrevenait au principe de l’universalité du service en raison de ses RME permanentes. À ce moment‑là, le demandeur était affecté à la BS 3 Div C, où il travaillait comme cuisinier. La date de libération a été fixée à août 2015. Le demandeur a demandé son maintien en poste jusqu’en mars 2016 afin d’être admissible à certaines prestations de retraite. Sa demande a été rejetée parce qu’il n’était pas un cuisinier pleinement qualifié et qu’il ne pouvait pas obtenir la qualification NQ5.

[44]  Dans le rapport d’enquête, l’enquêteur a examiné la demande de maintien en poste jusqu’en mars 2016 du demandeur à la lumière des éléments de preuve fournis par certains témoins au cours de l’enquête et en fonction des exigences de la DOAD 5023‑1. Le refus par les FAC de la demande du demandeur était fondé sur l’incapacité de ce dernier à obtenir la qualification NQ5, ce qui l’empêchait de devenir un cuisinier pleinement qualifié. Les FAC ont expliqué que, pour qu’une demande de prolongation du maintien en poste soit approuvée, il doit y avoir une pénurie importante au sein du groupe professionnel militaire visé. En outre, le militaire en question doit posséder les qualifications militaires associées à la profession. Ces exigences sont énoncées aux sections 4.1 et 4.2 de la DOAD 5023‑1 :

4. Applicabilité des critères minimaux d’efficacité opérationnelle aux personnes

Maintien en poste avec contraintes à l’emploi

4.1 Si, au terme d’un EA, il est recommandé de libérer le militaire parce qu’il ne répond pas aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle, il peut être maintenu en poste avec contraintes à l’emploi uniquement pendant une période de transition temporaire si, selon le cas :

a.  il y a une pénurie importante dans le GPM dont il fait partie;

b.  certaines compétences professionnelles précises sont recherchées.

4.2 Le militaire qui n’est pas qualifié pour le GPM et qui ne répond pas aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle n’est pas maintenu en poste.

[45]  Les FAC ont reconnu l’existence d’une importante pénurie de cuisiniers au moment pertinent, ajoutant cependant que le demandeur n’était pas un cuisinier militaire pleinement qualifié. Au paragraphe 87 du rapport d’enquête, l’enquêteur écrit :

[traduction]

Selon la preuve, le plaignant n’a pas été en mesure de terminer sa qualification NQ5 en raison de ses restrictions médicales à l’emploi. Par conséquent, il n’était pas considéré comme un cuisinier ayant reçu une instruction complète. En outre, puisqu’il n’était pas qualifié dans son groupe professionnel militaire, il n’était pas admissible au maintien en poste conformément à la politique du défendeur, DOAD 5023‑1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service.

[46]  L’enquêteur a conclu que le demandeur n’était pas admissible au maintien en poste conformément à la politique des FAC et que le refus par les FAC de sa demande ne constituait pas un prétexte dissimulant de la discrimination.

[47]  L’argument du demandeur selon lequel il aurait dû être un cuisinier NQ3 ne tient pas compte du principe de l’universalité du service. Les FAC n’étaient pas tenues de prendre une mesure d’adaptation à son égard en faisant de lui un cuisinier NQ3. En termes simples, le demandeur n’a pas été en mesure de satisfaire aux exigences de l’universalité du service en raison de ses RME permanentes, et les FAC l’ont libéré. Dans le cadre de leur politique établissant l’universalité du service, la DOAD 5023‑1, les FAC ont prévu, dans certaines situations, le maintien en poste prolongé temporaire de membres qui ne peuvent pas satisfaire aux exigences de la politique. Les situations dans lesquelles un militaire peut être admissible à la prolongation de son maintien en poste sont décrites aux sections 4.1 et 4.2 de la DOAD 5023‑1. Le fait que les FAC puissent accorder des mesures d’adaptation limitées aux militaires dans des situations précises ne signifie pas qu’elles sont tenues d’accorder d’autres mesures d’adaptation dérogeant au principe de l’universalité du service.

[48]  Il ne fait aucun doute que le demandeur n’a pas pu se conformer à l’exigence énoncée à la section 4.2 de la DOAD 5023‑1. Durant l’enquête, l’enquêteur a interrogé des témoins au sujet du refus de la demande de prolongation de la période de maintien en poste du demandeur et de l’application par les FAC des exigences énoncées aux sections 4.1 et 4.2, y compris le traitement réservé par les FAC à un autre militaire faisant partie du groupe professionnel de cuisinier. L’enquêteur a conclu que le refus de la demande du demandeur n’était pas un prétexte dissimulant de la discrimination et qu’il était conforme aux exigences des politiques et aux pratiques des FAC.

[49]  Après avoir examiné le rapport d’enquête et la politique sous‑jacente des FAC, je conclus que l’analyse de cette question par l’enquêteur était conforme à la Loi, à la DOAD 5023‑1 et aux éléments de preuve figurant au dossier. Il était raisonnable pour l’enquêteur de conclure que les FAC n’ont pas fait preuve de discrimination à l’égard du demandeur en appliquant le principe de l’universalité du service. Le fait que la Commission a décidé de s’appuyer sur la conclusion de l’enquêteur pour rejeter la plainte était tout aussi raisonnable.

[50]  Le demandeur soutient également que, lorsqu’il a été affecté à la BS 3 Div C à titre de cuisinier NQ3 en mai 2014, les FAC n’ont pas pris à son égard de mesures d’adaptation raisonnables et ont appliqué le principe de l’universalité du service de façon discriminatoire. Il affirme que les FAC savaient qu’il était voué à l’échec parce qu’il ne pouvait pas obtenir la qualification NQ5.

[51]  Je remarque que cet argument n’a pas été soulevé dans la plainte et que la chronologie des événements n’appuie pas l’allégation du demandeur. Le demandeur a été affecté à la BS 3 Div C en mai 2014, soit avant la détermination qu’il était incapable de se conformer aux exigences de l’universalité du service. Il s’est vu attribuer des RME permanentes en mars 2014. Les FAC étaient tenues de respecter les RME et de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du demandeur, raison pour laquelle ce dernier a été affecté à un poste qui convenait à ses RME au sein d’une unité qui n’était pas déployée. La seule question soulevée dans la plainte au sujet de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du demandeur à ce moment‑là consistait à savoir si les FAC étaient tenues d’affecter le demandeur à l’UISP. Cette question a été pleinement prise en compte dans le rapport d’enquête. L’enquêteur a souligné que les FAC avaient affecté d’autres militaires affichant des RME similaires à celles du demandeur à la cuisine de la même unité et conclu qu’une affectation à l’UISP n’était pas la seule mesure d’adaptation que les FAC pouvaient prendre à l’égard du demandeur et que l’affectation de ce dernier à la BS 3 Div C tenait compte de ses RME. Il est évident que, en s’appuyant sur le rapport, la Commission était consciente de la nature des mesures d’adaptation prises par les FAC pendant la période en question.

[52]  Par la suite, en août 2014, le DACM a conclu que le demandeur contrevenait au principe de l’universalité du service; c’est à compter de ce moment‑là qu’il faut évaluer l’application du principe par les FAC au demandeur. Une fois que le DACM a rendu sa décision, le demandeur pouvait être libéré. La question consistait alors à déterminer s’il fallait approuver une période de maintien en poste prolongé conformément à la DOAD 5023‑1, question qui a également été abordée dans le rapport d’enquête.

II.  La libération du demandeur

[53]  La deuxième question soulevée par le demandeur au sujet du caractère raisonnable de la décision concerne sa libération des FAC en raison de son incapacité médicale. L’analyse présentée dans la section en question du rapport d’enquête s’appuie sur le paragraphe 15(9) de la Loi. Comme dans l’affaire Best devant le juge Martineau, l’enquêteur, en l’espèce, a reconnu que les FAC ont adopté la DOAD 5023‑1 et le principe de l’universalité du service de bonne foi et dans un but rationnellement lié à l’exécution des fonctions et responsabilités militaires au service du Canada. Par conséquent, l’enquêteur a accepté le principe comme étant une exigence professionnelle justifiée. D’après les preuves médicales présentées à l’enquêteur — qui ne sont pas remises en question —, le demandeur ne respectait pas les exigences relatives à l’universalité du service énoncées dans la DOAD 5023‑1, et ce, sans pronostic d’amélioration. Il ne pouvait plus être employé par les FAC, raison pour laquelle l’enquêteur a conclu qu’aucune autre enquête n’était justifiée.

[54]  À mon avis, en l’espèce, la conclusion de l’enquêteur fait tout à fait partie des issues possibles, et l’analyse de la question dans le rapport d’enquête était suffisamment justifiée et intelligible. La conclusion est conforme aux dispositions de la Loi, à la DOAD 5023‑1, aux éléments de preuve concernant l’application de la politique par les FAC, en général et dans le cas du demandeur, et à la jurisprudence concernant l’universalité du service. À cet égard, je ne trouve dans la décision aucune erreur susceptible de contrôle.

D.  Résumé

[55]  Mon rôle relativement à la présente demande consiste à évaluer si la Commission s’est raisonnablement acquittée des obligations que lui impose la Loi, et je suis consciente qu’elle bénéficie d’un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable. À mon avis, le rapport d’enquête traitait de chacune des questions soulevées dans la plainte du demandeur. Les conclusions de fait énoncées dans le rapport concordent avec les éléments de preuve au dossier. Le rapport d’enquête et la décision de la Commission reflètent un examen approfondi de la plainte, de la loi et des politiques pertinentes. J’estime que la décision de la Commission de rejeter la plainte sans autre enquête était raisonnable.

VII.  Conclusion

[56]  J’ai conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur de procédure en fondant sa décision sur le rapport d’enquête et en ne fournissant que de brefs motifs dans sa lettre du 9 février 2018. J’ai également conclu que la décision de la Commission de rejeter la plainte sans autre enquête du tribunal en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi était raisonnable. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[57]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire et des parties et à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, aucuns dépens ne seront accordés.


JUGEMENT dans le dossier T‑393‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’avril 2019.

Claude Leclerc, traducteur


ANNEXE A

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6

Exceptions

 

Exceptions

15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

 

15(1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

 

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

 

[…]

 

[…]

Besoins des individus

 

Accommodation of needs

2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

 

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

 

Universalité du service au sein des Forces canadiennes

 

Universality of service for Canadian Forces

(9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est‑à‑dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

 

(9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

 

Rapport

 

Report

44(1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

44(1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Suite à donner au rapport

 

Action on receipt of report

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

 

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

Idem

 

Idem

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celleci est justifié,

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celleci n’est pas justifié,

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑393‑18

 

INTITULÉ :

JAMES SABOURIN c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 11 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Joshua M. Juneau

 

POUR LE DEMANDEUR

Thomas Finlay

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Drapeau Law Office Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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