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Date : 20190301


Dossier : T-1779-18

Référence : 2019 CF 261

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2019

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT un renvoi effectué au titre du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 sur des questions de droit et de compétence concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, qui ont été soulevées dans le cadre d’une enquête menée par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada sur une plainte

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

demandeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Société Radio-Canada ainsi qu’un groupe constitué des plus importantes entreprises médiatiques du Canada, qui font cause commune sous le nom de « Coalition des médias », ont présenté des requêtes visant à être constituées comme parties au présent renvoi ou subsidiairement, pour obtenir l’autorisation d’intervenir comme si elles étaient constituées comme parties à part entière. Par souci de simplicité, je désignerai les deux parties requérantes collectivement sous l’appellation de médias. Pour les motifs exposés ci-après, les requêtes sont rejetées, et les médias sont autorisés à s’adresser de nouveau à la Cour pour solliciter la qualité d’intervenant à une date ultérieure.

I.  Les remarques préliminaires

[2]  Comme l’a fait remarquer le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care 2015 CAF 34, la Cour doit d’abord déterminer, lorsqu’elle doit traiter des requêtes en intervention, ce qui est réellement en litige dans l’instance au principal. Il en va exactement de même lorsqu’elle est saisie d’une demande de constitution comme partie à une instance.

[3]  L’instance au fond n’est pas une demande de contrôle judiciaire ordinaire. Il s’agit d’un renvoi présenté par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada en vertu des pouvoirs spéciaux qui lui ont été conférés en tant qu’office fédéral par l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Il est essentiel de bien comprendre l’objet et la portée de la procédure de renvoi pour déterminer ce qui est réellement en cause dans l’instance.

[4]  La procédure de renvoi permet à un office fédéral investi d’une fonction décisionnelle ou consultative de renvoyer à la Cour fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure survenant dans l’exercice de ses attributions et qui serait décisoire d’une affaire particulière dont il est saisi (Loi sur l’Immigration (Canada) (RE) [1991] A.C.F. no 1155, Air Canada c. Canada (Commissaire aux langues officielles), [1997] A.C.F. no 976). Bien que les offices ne font appel au renvoi que pour des questions de droit importantes qui peuvent avoir des répercussions considérables, les renvois doivent nécessairement découler d’une question précise dont ils sont saisis et être déterminants à cet égard. Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Alberta (Procureur général)c. Westcoast Energy Inc [1997] A.C.F. no 77 « La Cour n’est pas habilitée à trancher des questions de droit théoriques ni à faire des conjectures; son rôle consiste à juger et non simplement à examiner ». La ou les questions faisant l’objet du renvoi sont définies par l’office fédéral lui-même et ne sont pas forcément les questions en litige ultimes dont il est saisi (Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 398, conf. par [1977] 2 R.C.S. 996).

[5]  La détermination de la question véritable dont la Cour est saisie dans le renvoi doit donc tenir compte non seulement de l’instance au principal dans laquelle la question faisant l’objet du renvoi surgit, mais également de la manière dont l’office fédéral a formulé la question dans le cadre du renvoi.

II.  L’instance dont la Cour est saisie

[6]  Le renvoi est présenté dans le contexte de l’enquête menée par le Commissariat à la protection de la vie privée (« CPVP ») relativement à une plainte déposée par une personne contre Google LLC (« Google »). Le plaignant prétend que Google contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la « LPRPDE »), en continuant d’afficher de manière visible des liens vers des articles de presse le concernant dans les résultats de recherche lorsque son nom fait l’objet d’une recherche au moyen du moteur de recherche de Google. Le plaignant affirme que les articles de presse en question sont dépassés et inexacts et qu’ils divulguent des renseignements de nature délicate, notamment son orientation sexuelle et un grave problème de santé. Il fait également valoir qu’en liant de façon bien visible ces articles à son nom dans les résultats de recherche, Google lui cause un préjudice direct. Il a demandé à Google de retirer les articles des résultats de recherche où figure son nom, une procédure appelée « déréférencement ».

[7]  L’on s’entend pour dire que la plainte soulève des questions importantes et révolutionnaires au sujet de la réputation numérique, notamment celle de savoir si le droit « à l’oubli » devrait être reconnu au Canada et, dans l’affirmative, de quelle façon il est possible de le concilier avec la liberté d’expression et la liberté de la presse, garanties par la Charte canadienne des droits et libertés. En réponse à la plainte, Google a expressément fait valoir que, si la LPRPDE s’applique à son moteur de recherche et exige qu’elle déréférence du contenu légitime et public de ses résultats de recherche, alors la LPRPDE contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte et ne peut se justifier au regard de l’article premier.

[8]  Ces questions de fond générales ne sont pas les seules que soulève la plainte. Dans sa réponse initiale à la plainte, Google a avancé les deux questions préliminaires suivantes, qui intéressent la compétence : suivant la première, la LPRPDE ne s’applique pas aux activités liées à son moteur de recherche, car ce ne sont pas des « activités commerciales » au sens où l’entend l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE; suivant la seconde, même s’il s’agissait d’activités commerciales, elles sont protégées par l’exemption journalistique prévue à l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE dans la mesure où elles communiquent aux utilisateurs du contenu provenant de médias d’information et fournissent un lectorat aux producteurs de nouvelles. Si Google a gain de cause en ce qui concerne l’une ou l’autre des questions de compétence, le commissaire à la protection de la vie privée sera empêché d’enquêter davantage sur la plainte ou de formuler une conclusion ou une recommandation à cet égard.

[9]  Le commissaire à la protection de la vie privée a choisi de renvoyer seulement ces deux questions intéressant la compétence à la Cour et, dans son avis de demande, les a formulées ainsi :

[traduction]

(1)  Dans l’exploitation de son moteur de recherche, Google recueille-t-elle, utilise-t-elle ou communique-t-elle des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales au sens où l’entend l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE lorsqu’elle procède au référencement des pages Web et affiche des résultats de recherche en réponse à des recherches portant sur le nom d’une personne?

(2)  L’exploitation du moteur de recherche par Google est-elle exclue du champ d’application de la partie 1 de la LPRPDE par le jeu de l’alinéa 4(2)c) de cette loi parce qu’elle met en cause la collecte, l’utilisation ou la communication de renseignements personnels uniquement à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires?

[10]  Conformément à l’article 322 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106), qui régit les renvois effectués en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, le commissaire à la protection de la vie privée a déposé une requête ex parte afin de demander qui doit recevoir signification de l’avis de demande, la composition du dossier sur lequel le renvoi sera jugé ainsi que d’autres questions procédurales. L’ordonnance qui en a résulté, rendue par moi, exigeait que le commissaire à la protection de la vie privée avise Google, le plaignant et le procureur général du renvoi et prévoyait que l’une ou l’autre de ces personnes pouvait être constituée comme partie au renvoi en signifiant et en déposant l’avis d’intention de devenir partie à l’instance prévu à l’article 323. Dans cette ordonnance, je confirme que le dossier sur lequel le renvoi sera jugé sera fourni par le commissaire à la protection de la vie privée seulement, mais que les parties pourront demander à la Cour l’autorisation de déposer des affidavits supplémentaires comportant des renseignements contextuels pertinents dans le cadre du renvoi. L’ordonnance précise également que [traduction] « si le plaignant ou Google souhaite contester la question que soulève le renvoi », ils doivent déposer une requête à cet effet dans les 15 jours suivant le dépôt de leur avis d’intention de devenir parties à l’instance.

[11]  Google a déposé une telle requête en vue de solliciter l’expansion du renvoi pour qu’il porte également sur la question de savoir si la LPRPDE, dans la mesure où elle s’applique à l’exploitation de son moteur de recherche et exige le déréférencement, contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte. Elle a également déposé un avis de question constitutionnelle portant sur cette question ainsi que celle de savoir si l’interprétation de la LPRPDE selon laquelle cette loi s’applique à son moteur de recherche contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte. Cette requête pouvant être interprétée comme une requête en modification de l’ordonnance ex parte établissant la procédure de renvoi, on a jugé qu’elle devait être entendue par la soussignée, plutôt que par le juge de gestion de l’instance qui venait d’être nommé.

[12]  Les médias ont tenu à ce que leurs requêtes visant à être constitués comme parties au renvoi soient entendues par la soussignée avant celle de Google visant à étendre la portée du renvoi. Leur objectif consistait également, d’une part, à faire modifier la partie de l’ordonnance ex parte visant à déterminer qui doit recevoir signification de l’avis de demande et, d’autre part, à se voir offrir l’occasion d’être constituées comme parties au renvoi. Ils ont ajouté que s’ils étaient effectivement des parties nécessaires au renvoi, ils devraient avoir la possibilité de participer à toutes les requêtes interlocutoires, notamment celle de Google. Subsidiairement, leur requête visant à obtenir l’autorisation d’intervenir précisait qu’ils sollicitaient l’autorisation d’intervenir dans la requête de Google.

[13]  La décision quant à ce qui est réellement en cause dans l’instance au principal doit donc être rendue sur le fondement de l’avis de demande tel qu’il existe actuellement et sans égard à la portée élargie proposée par Google pour le renvoi. Les parties sont d’accord, car ni l’avis de requête de Google visant à élargir la portée du renvoi ni son avis de question constitutionnelle n’ont été inclus dans les prétentions écrites au soutien des requêtes des médias.

III.  Les questions en litige dans la présente instance

[14]  Les médias, appuyés par Google, soutiennent que le renvoi pose au fond la question de savoir si le projet du commissaire à la protection de la vie privée visant à régir les recherches dans Internet va à l’encontre des protections de la Charte en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse.

[15]  La position des médias quant aux véritables questions en litige tient compte non seulement de la nature de la plainte au principal et de la mesure recherchée par le plaignant advenant qu’il soit fait droit à sa plainte, mais également du processus consultatif relatif à la réputation en ligne entrepris par le CPVP depuis 2015 et du projet de position qu’il a publié en janvier 2018 consécutivement à ce processus. Les médias soutiennent que, dans ce projet de position, le CPVP a indiqué son intention de reconnaître un « droit à l’oubli » au Canada et d’établir, par l’entremise de la LPRPDE, un processus de déréférencement à l’égard des résultats de recherche dans Internet qui présentent des renseignements que le CPVP juge inexacts ou incomplets. Ils font donc valoir qu’une réponse positive aux questions limitées relatives à la compétence soumises par le commissaire à la protection de la vie privée dans le renvoi permettra effectivement d’entériner le processus proposé par le CPVP, de sorte que la teneur des articles de presse sur Internet sera dorénavant assujettie au déréférencement. Ce processus soulève par le fait même la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, comme le Commissariat lui-même l’a reconnu dans le projet de position.

[16]  Les médias prétendent qu’en formulant les questions faisant l’objet du renvoi de la manière dont il l’a fait, le commissaire à la protection de la vie privée tente de restreindre de manière artificielle la portée des véritables questions dont la Cour est saisie afin de forclore un authentique débat sur d’importantes questions relatives à la Charte et de faire fi de leur droit d’être entendus en ce qui a trait aux affaires qui les touchent directement. Ils exhortent donc la Cour à adopter une vision élargie de ce qui est réellement en cause dans la présente affaire.

[17]  Les observations des médias partent de la prémisse selon laquelle, si la Cour conclut à la compétence du CPVP d’enquêter sur la plainte au fond, il en résultera inévitablement le déréférencement du contenu légitime des médias d’information recensé par les résultats de recherche dans Internet. Toutefois, cette prémisse repose sur une série d’hypothèse quant au résultat de nombreuses étapes de l’enquête du CPVP et à l’élaboration et à la mise en œuvre de toute recommandation qui pourrait en découler. En effet, même si le renvoi confirmait que la LPRPDE s’applique au moteur de recherche de Google, le CPVP devrait quand même mener une enquête sur la plainte, conclure à son bien‑fondé ‑ dans le sens que les résultats de recherche en litige donnent des renseignements inexacts ou incomplets ‑ et établir que le déréférencement constitue une réparation appropriée en l’occurrence et qu’il n’enfreint pas les droits garantis par la Charte. Si le CPVP arrive à cette conclusion, il ne peut que faire une recommandation non contraignante. Le déréférencement ne se produira que si Google se conforme volontairement à cette recommandation ou que la Cour arrive à la même série de conclusions à l’issue d’un examen de novo de l’affaire dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 14 de la LPRPDE par le plaignant ou le commissaire à la protection de la vie privée.

[18]  Les médias, en faisant reposer leur argumentation sur des hypothèses quant à l’issue du litige, confondent toutes les étapes et décisions subséquentes avec la question préliminaire. Cette approche fait fi des questions faisant l’objet du renvoi telles qu’elles sont formulées dans l’avis de demande et a pour effet de dérouter le processus adopté par le commissaire à la protection de la vie privée en la matière, en assimilant les questions préliminaires faisant intervenir la compétence de ce dernier, telles qu’il les a formulées, aux questions de fond qu’il est appelé à trancher. Que le commissaire à la protection de la vie privée ait bien formulé ou non les questions faisant l’objet du renvoi ou que Google ait le droit ou non d’élargir la portée de ce dernier sont des questions qui seront tranchées au moment d’examiner la requête de Google. Pour l’instant, la Cour doit traiter le renvoi tel qu’il est formulé dans l’avis de demande actuel. La Cour refuse de spéculer sur l’issue de l’instance dont est saisi le CPVP pour cerner les questions faisant l’objet du renvoi, ce qui ne serait pas convenable.

[19]  Les questions faisant l’objet du renvoi, telles qu’elles sont énoncées dans l’avis de demande et reproduites au paragraphe 9 des présents motifs, portent sur la caractérisation d’une certaine exploitation par Google de son moteur de recherche et sur la caractérisation des fins de cette exploitation. Plus particulièrement ‑ et vu les questions soulevées par Google dans sa réponse préliminaire à la plainte portée contre elle ‑ le renvoi soulève les questions suivantes : (1) Google exerce-t-elle des « activités commerciales » comme l’entend l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE en affichant les résultats que donne la recherche effectuée au moyen du nom d’une personne? (2) cette exploitation du moteur de recherche Google s’effectue-t-elle à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin, comme l’entend l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE? Le renvoi présente ces questions précisément dans le cadre des dispositions  suivantes de l’article 4 de la LPRPDE et relativement à leur application :

(1) La présente partie s’applique à toute organisation à l’égard des renseignements personnels :

a) soit qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’activités commerciales;

(2) La présente partie ne s’applique pas :

c) à une organisation à l’égard des renseignements personnels qu’elle recueille, utilise ou communique à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin.

4(1) This Part applies to every organization in respect of personal information that

(a) the organization collects, uses or discloses in the course of commercial activities;

(2) This Part does not apply to

(c) any organization in respect of personal information that the organization collects, uses or discloses for journalistic, artistic or literary purposes and does not collect, use or disclose for any other purpose.

[20]  Il s’ensuit que ce qui est réellement en cause dans la présente demande, c’est la question de savoir si la partie 1 de la LPRPDE s’applique à Google en ce qui concerne la collecte, l’utilisation ou la communication de renseignements personnels dans l’exploitation de son moteur de recherche. La réponse à cette question déterminera quant à elle si le commissaire à la protection de la vie privée a compétence pour recevoir la plainte au principal et procéder à une enquête à ce sujet. La façon dont le commissaire à la protection de la vie privée mènera son enquête, advenant le cas où il est établi que la partie 1 de la LPRPDE s’applique à l’exploitation par Google de son moteur de recherche, de même que les conclusions auxquelles il arrivera ou les recommandations qu’il formulera, dépassent la portée du renvoi actuel.

[21]  Les médias soutiennent que les questions à trancher, telles qu’elles sont formulées par le commissaire à la protection de la vie privée, soulèvent encore des arguments fondés sur la Charte. Ils affirment plus particulièrement que l’exploitation du moteur de recherche de Google est, en soi, un exercice d’échange d’information et qu’il s’agit donc intrinsèquement d’une forme d’expression. La notion même d’assujettir cette expression à la LPRPDE va à l’encontre de la liberté d’expression. La Cour reconnaît que l’examen des questions faisant l’objet du renvoi peut faire intervenir la Charte. En effet, la Cour doit s’assurer qu’elle interprète les dispositions de la LPRPDE qui sont en cause d’une manière qui respecte les droits garantis par la Constitution. Cela dit, il existe une distinction entre recourir à la Charte comme outil d’interprétation d’une  loi et y recourir pour contester l’applicabilité ou la validité de cette loi. Les questions faisant l’objet du renvoi telles qu’elles sont formulées exigent une interprétation des alinéas 4(1)a) et 4(2)c) de la LPRPDE à la lumière de la Charte, mais n’appellent pas la question de savoir si l’application de ces dispositions, convenablement interprétées, contreviendrait à la Charte.


IV.  Les médias sont-ils des parties à part entière ou des parties nécessaires au renvoi?

[22]  Ayant déterminé les paramètres du renvoi, la Cour peut alors trancher la question de savoir si les médias devraient, comme ils le plaident, être constitués comme parties au renvoi, conformément à l’alinéa 104(1)b) des Règles des Cours fédérales. Le commissaire à la protection de la vie privée fait valoir que les articles 320 à 323 des Règles, qui régissent les renvois portés devant la Cour en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, constituent un code exhaustif ayant pour effet d’évacuer l’application de l’article104 et d’empêcher toute personne autre que celles visées par l’article 323 de demander d’être constituée comme partie au renvoi. Il affirme également que, même si l’alinéa 104(1)b) s’applique, les médias ne répondent à aucun des critères qui y sont prévus.

[23]  La présente partie des motifs de la Cour porte donc sur les questions suivantes :

  • (a) L’alinéa 104(1)b) s’applique-t-il aux renvois?

  • (b) Les médias auraient-ils dû être constitués comme parties au renvoi?

  • (c) La présence des médias est-elle nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions que soulève le renvoi?

(a)  L’alinéa 104(1)b) s’applique-t-il aux renvois?

[24]  Les dispositions pertinentes sont énoncées ci-dessous :

2. « parties »

b) dans une demande :

(i) dans le cas d’un renvoi fait par un office fédéral en vertu de l’article 18.3 de la Loi, toute personne qui devient partie au renvoi aux termes de la règle 323,

(ii) dans le cas d’un renvoi fait par le procureur général du Canada en vertu de l’article 18.3 de la Loi, le demandeur et toute personne qui devient partie au renvoi aux termes de la règle 323,

(iii) dans tout autre cas, le demandeur et le défendeur;

 (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

b) que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

321 L’avis de demande concernant un renvoi contient les renseignements suivants :

a) le nom de la cour à laquelle la demande est adressée;

b) le nom du demandeur;

c) la question qui est l’objet du renvoi.

322 Le procureur général du Canada ou l’office fédéral qui fait un renvoi demande à la Cour, par voie de requête ex parte, des directives sur :

a) l’identité des personnes qui doivent recevoir signification de l’avis de demande;

b) la composition du dossier sur lequel le renvoi sera jugé;

c) la préparation, le dépôt et la signification de copies du dossier;

d) la préparation, le dépôt et la signification des mémoires exposant les faits et le droit;

e) la procédure à suivre lors de l’audition du renvoi;

f) les date, heure et lieu de l’audition;

g) le rôle de l’office fédéral dans l’instance, s’il y a lieu.

323 Les personnes suivantes peuvent devenir parties au renvoi en signifiant et en déposant un avis d’intention à cet effet, établi selon la formule 323 :

a) le procureur général du Canada;

b) un procureur général d’une province qui a l’intention de présenter une preuve ou des observations à la Cour conformément au paragraphe 57(4) de la Loi;

c) les personnes qui ont participé à l’instance devant l’office fédéral visé par le renvoi.

(Non souligné dans l’original)

2. “party” means

(b) in respect of an application,

(i) where a tribunal brings a reference under section 18.3 of the Act, a person who becomes a party in accordance with rule 323,

(ii) where the Attorney General of Canada brings a reference under section 18.3 of the Act, the Attorney General of Canada and any other person who becomes a party in accordance with rule 323, and

(iii) in any other case, an applicant or respondent;

(1) At any time, the Court may

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

321 A notice of application in respect of a reference shall set out

(a) the name of the court to which the application is addressed;

(b) the name of the applicant; and

(c) the question being referred.

322 Where the Attorney General of Canada or a tribunal makes a reference, the Attorney General or tribunal shall bring an ex parte motion for directions as to

(a) which persons shall be given notice of the reference;

(b) the material that will constitute the case to be determined on the reference;

(c) the preparation, filing and service of copies of the material;

(d) the preparation, filing and service of memoranda of fact and law;

(e) the procedure for the hearing of the reference;

(f) the time and place for the hearing of the reference; and

(g) the role, if any, of the tribunal in question.

323 Any of the following persons may become a party to a reference by serving and filing a notice of intention to participate in Form 323:

(a) the Attorney General of Canada;

(b) the attorney general of a province, for the purpose of adducing evidence or making submissions to the Court under subsection 57(4) of the Act; and

(c) a person who participated in the proceeding before the tribunal in respect of which the reference is made.

(Emphasis added)

[25]  L’article 323 des Règles a pour principal objet de fournir un mécanisme permettant la jonction des parties nécessaires ou intéressées au règlement des questions d’un renvoi sans qu’il soit nécessaire de recourir à une intervention judiciaire. Étant donné que le renvoi constitue un mécanisme spécial auquel ont recours les offices fédéraux pour porter devant la Cour, pour qu’elle les tranche, des questions d’importance générale survenant dans le cadre d’affaires particulières en cours dont ils sont saisis et déterminantes pour celles-ci, cette disposition présuppose que le procureur général du Canada, les procureurs généraux des provinces (lorsque la constitutionnalité d’une loi ou d’un règlement est en cause) et les personnes qui ont participé à l’instance à l’origine du renvoi sont des parties intéressées ou nécessaires au règlement des questions du renvoi. La définition de « parties » à l’article 2 des Règles reconnaît la capacité de ces personnes.

[26]  Les articles 2 et 323 des Règles, s’ils sont interprétés, non pas comme de simples dispositions permissives, mais plutôt comme des dispositions restrictives quant aux catégories de personnes pouvant être constituées comme parties au renvoi, ne cadrent pas avec les autres dispositions relatives aux renvois. En effet, une telle interprétation ne permettrait pas à l’office fédéral à l’origine du renvoi d’être demandeur, comme le prévoit expressément l’article  321, ou d’être reconnu comme partie au renvoi par une ordonnance rendue au titre de l’article 322.

[27]  De plus, donner une interprétation restrictive aux articles 2 et 323 des Règles n’est pas utile. Outre par le jeu des mécanismes prévus aux articles 321 et 322 en ce qui a trait à la participation de l’office fédéral ou à l’article 323 en ce qui a trait à celle des procureurs généraux et des personnes ayant participé à l’instance au principal, une personne ne peut être constituée comme partie à moins qu’elle ne satisfasse aux conditions énoncées à l’alinéa 104(1)b) des Règles, à savoir qu’elle aurait dû être constituée comme partie à l’instance ou que sa présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance. Si une personne autre que l’office fédéral à l’origine du renvoi ou que les personnes envisagées par l’article 323 est en mesure de démontrer qu’elle constitue une partie intéressée ou nécessaire au renvoi, il serait contraire au principe général énoncé à l’article 3, à savoir que les règles sont interprétées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste, d’empêcher la Cour d’ordonner une réparation dans ce cas.

(b)  Les médias auraient-ils dû être constitués comme parties au renvoi?

[28]  L’article 104 des Règles prévoit deux critères pour qu’une personne soit constituée comme partie : elle aurait dû être constituée à titre de partie ou sa présence devant la Cour est nécessaire. Le premier suppose une exigence, soit dans la loi en vertu de laquelle l’instance a été intentée, soit dans les Règles. Dans le cas d’un renvoi, l’article  323 ainsi que toute ordonnance rendue en vertu de l’article 322 déterminent quelles personnes doivent être avisées et peuvent être constituées comme parties. Les médias ne sont pas visés par ces dispositions et ils n’ont relevé aucune disposition de la Loi sur les Cours fédérales, des Règles ou de la LPRPDE en vertu de laquelle ils « aurai[en]t dû » avoir été constitués comme parties au présent renvoi.

[29]  Le seul argument que les médias ont présenté au sujet du premier critère prévu par l’article 104 est qu’ils auraient dû être constitués comme parties à la plainte au fond.

[30]  Il ressort toutefois clairement qu’aucune plainte n’a été déposée contre les médias dans le cadre de la plainte au fond. En outre, aucune disposition n’est prévue dans la LPRPDE en vertu de laquelle le CPVP pourrait obliger une personne autre que le plaignant ou la personne visée par la plainte à participer à l’enquête sur la plainte. Aucune disposition de la LPRPDE ne permet à une telle personne d’intervenir dans l’enquête sur une plainte déposée en vertu de la partie 1 de la LPRPDE. Par conséquent, rien n’étaye l’argument des médias selon lequel ils auraient dû être constitués comme parties à la plainte au fond.

[31]  Quoi qu’il en soit, la Cour estime qu’en demandant que soit tranchée la question de savoir qui aurait dû être constitué comme partie à l’instance à l’origine du renvoi, alors que cette question ne fait pas partie des questions soumises à la Cour, on étend de façon inadmissible la portée du renvoi et on porte une atteinte indirecte au travail de l’office fédéral qui fait le renvoi.

[32]  La Cour n’est donc pas convaincue que les médias sont des personnes qui auraient dû être constituées comme parties au renvoi.

(c)  La présence des médias est-elle nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions que soulève le renvoi?

[33]  L’essentiel de l’argument des médias a trait au deuxième volet de l’article 104 des Règles, selon lequel leur présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige.

[34]  Toutes les parties reconnaissent que le critère devant être appliqué pour déterminer si une partie est nécessaire a été établi péremptoirement dans l’arrêt Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d’enquête), [1998] 4 C.F. 125, où l’on cite l’extrait suivant de la jurisprudence anglaise :

[traduction]

Qu’est-ce qui fait qu’une personne est une partie nécessaire? Ce n’est pas, bien sûr, uniquement le fait qu’elle a des éléments de preuve pertinents à apporter à l’égard de certaines des questions en litige; elle ne serait alors qu’un témoin nécessaire. Ce n’est pas uniquement le fait qu’elle a un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige, qu’elle a préparé des arguments pertinents et qu’elle craint que les parties actuelles ne les présentent pas adéquatement. Autrement, dans des affaires d’interprétation d’une clause contractuelle courante, de nombreuses parties pourraient exiger d’être entendues, et si la Cour avait le pouvoir d’admettre certaines personnes, il n’existe aucun principe discrétionnaire en vertu duquel certaines personnes pourraient être admissibles et d’autres non. La Cour pourrait souvent conclure qu’il serait utile ou souhaitable d’entendre certaines de ces personnes pour s’assurer de trouver la réponse adéquate, mais personne ne semble suggérer qu’il soit nécessaire de les entendre à cette fin. La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d’une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l’issue de l’action; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie.

(Non souligné dans l’original)

[35]  Les médias soutiennent qu’ils sont des parties « nécessaires » parce qu’ils seront liés par l’issue du renvoi. Ils soutiennent que les questions que soulève le renvoi ne représentent que la première démarche dans la mise en œuvre immédiate du « droit à l’oubli » et du déréférencement des articles qui en est une composante nécessaire, et que le contenu qu’ils offrent sera inévitablement déréférencé. Ils soutiennent que certains des articles à l’origine de la plainte ont été publiés à tout le moins par certains membres de la Coalition des médias et qu’ils sont donc directement touchés par le déréférencement des articles. Ils soutiennent que leur liberté d’expression et la liberté de la presse garanties par la Charte entrent directement en jeu et seront brimées. Selon eux, il n’existe aucun autre mécanisme par lequel leurs préoccupations peuvent être entendues et plaidées, de sorte que leur présence au renvoi est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige.

[36]  Les arguments des médias reposent donc essentiellement sur la prémisse selon laquelle c’est la constitutionnalité du processus de déréférencement d’articles légitimes obtenus à partir de recherches dans Internet « prévu » par le commissaire à la protection de la vie privée qui est vraiment en cause dans le présent renvoi. Toutefois, comme il est indiqué plus haut, ce n’est pas l’objet véritable du présent renvoi. La seule question en litige en l’espèce est de savoir si Google est assujettie ou non à l’application de la partie 1 de la LPRPDE en ce qui a trait à la façon dont elle recueille, utilise ou communique les renseignements personnels dans le cadre de l’exploitation de son moteur de recherche lorsqu’elle affiche les résultats d’une recherche effectuée au moyen du nom d’une personne.

[37]  Le règlement des questions que soulève le présent renvoi aura pour unique issue ou effet direct de déterminer si le CPVP peut effectuer une enquête sur la plainte déposée contre Google. Il n’est ni entendu ni exigé que les médias soient liés par cette issue. Les questions en litige telles qu’elles sont formulées dans le renvoi peuvent être instruites de façon complète et réglées sans la présence des médias. Ce n’est pas parce que la liberté d’expression garantie par la Charte pourrait servir dans l’interprétation des dispositions pertinentes de la LPRPDE que les médias constituent des parties nécessaires pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige.

[38]  Même si le renvoi soulevait aussi la question de savoir si l’application de la LPRPDE à l’exploitation par Google de son moteur de recherche emportait obligatoirement le déréférencement de contenu légitime et contrevenait ainsi à l’alinéa 2b) de la Charte, la Cour hésiterait à conclure que la présence des médias à l’instance est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige.

[39]  La Cour accepte, pour les présentes, que le déréférencement peut empêcher les fournisseurs de contenu d’atteindre leur public cible et le public d’accéder au contenu. Toutefois, comme l’ont fait valoir les médias, ce n’est que l’effet pratique de la mise en œuvre d’une recommandation visant le déréférencement. Si le déréférencement était recommandé ou nécessaire, des mesures ne seraient pas imposées ni interdites aux médias, à tout autre fournisseur de contenu ou à tout utilisateur du moteur de recherche. Seule Google serait visée par une mesure exécutoire. Le déréférencement produirait son effet sans que les autres personnes « touchées » par elle soient « liées » par l’issue du renvoi élargi proposé.

[40]  Certes importante, une éventuelle exigence de déréférencement ne touche pas les médias plus directement que d’autres fournisseurs de contenu ou les utilisateurs du moteur de recherche de Google. Pour être en mesure d’affirmer que la présence des médias est, en raison de l’effet pratique d’une décision, nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige, il faudrait que toutes les autres parties également touchées soient également constituées comme parties nécessaires au renvoi.

[41]  Un tel résultat absurde démontre que l’intérêt que les médias cherchent à faire reconnaître en l’instance est celui d’un intervenant plutôt que d’une partie. Pour paraphraser le passage de l’arrêt Stevens cité plus haut, l’intérêt exprimé par les médias correspond à celui d’une personne ayant des éléments de preuve pertinents à apporter ou un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige et qu’elle a préparé des arguments pertinents qu’elle craint que les parties actuelles ne présentent pas adéquatement. Bien que ce genre d’intérêt puisse appuyer une requête en intervention, il ne permet pas de constituer une personne comme partie nécessaire à une instance.

[42]  La Cour conclut donc que les médias ne devraient pas être constitués comme parties au renvoi.

V.  Les médias devraient-ils obtenir la qualité d’intervenants?

[43]  Les médias demandent, à titre subsidiaire, l’autorisation d’intervenir dans l’instance, ce qui leur donnerait le droit de produire des éléments de preuve, d’effectuer des contre-interrogatoires et de participer par ailleurs en tant que parties à l’instance. Les médias invoquent les facteurs que la Cour d’appel fédérale a jugés pertinents dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien  International ltée, 2000 A.C.F. no 220, lorsqu’il s’agit pour la Cour d’accorder ou non l’autorisation :

a.  La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

b.  Y-a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

c.  S’agit-il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

d.  La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

e.  L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

f.  La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

[44]  Dans leur analyse des facteurs en l’espèce, les médias s’appuient en grande partie sur les mêmes hypothèses erronées que celles ayant trait à l’objet véritable du renvoi. Pour cette raison, les observations des médias ne sont pas généralement pertinentes et ne s’appliquent pas au renvoi tel quel. Dans la mesure où la requête en intervention présentée par les médias suppose que la portée du renvoi est aussi vaste que l’avance Google dans sa requête en instance, elle est manifestement prématurée.

[45]  L’évaluation de la requête en intervention des médias dans le renvoi tel quel est toutefois problématique, parce que les médias ne respectent pas les critères prévus à l’alinéa 109(2)b) :

(2) L’avis d’une requête présentée pour obtenir l’autorisation d’intervenir :

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance.

(2) Notice of a motion [for leave to intervene] shall

(b) describe how the proposed intervener wishes to participate in the proceeding and how that participation will assist the determination of the factual or legal issue related to the proceeding.

[46]  Les médias affirment qu’ils souhaitent participer au renvoi avec tous les droits d’une partie, notamment celui de déposer des éléments de preuve, et affirment de façon générale que leur preuve et leur point de vue sont [traduction] « nécessaires », « importants » et « distincts » de ceux des autres parties. Toutefois, ils ne décrivent pas les éléments de preuve qu’ils se proposent de déposer ni les arguments qu’ils se proposent de présenter. Ils ne décrivent pas comment ceux-ci aideraient à trancher une question de fait ou de droit.

[47]  La Cour estime que les médias n’ont pas beaucoup réfléchi à ce qu’ils auraient à apporter pour permettre que soit tranché le renvoi s’il se limitait aux questions telles qu’elles sont formulées dans l’avis de demande. En effet, dans la mesure où ces questions visent principalement à déterminer si l’exploitation par Google de son moteur de recherche constitue une activité commerciale et à déterminer la raison pour laquelle Google recueille, utilise ou communique des renseignements personnels, je me demande quels éléments de preuve les médias pourraient bien présenter pour aider la Cour à apporter une solution au litige. Lorsqu’on lui a demandé lors de l’audience d’énoncer leur thèse à l’égard de chacune des questions faisant l’objet du renvoi, l’avocat des médias a avoué en toute franchise en être incapable, n’ayant pas même pris connaissance du dossier de preuve constitué par le commissaire à la protection de la vie privée pour les besoins du renvoi.

[48]  L’incapacité des médias d’expliquer la nature de la preuve qu’ils ont l’intention de déposer ou de l’argument qu’ils se proposent de présenter dans le cadre du renvoi tel qu’il est actuellement libellé fait succomber leur requête. À défaut de ces renseignements, la Cour ne peut conclure qu’ils seraient utiles, ne seraient pas présentés par ailleurs par les autres parties et ne constitueraient pas simplement un dédoublement des démarches entreprises par Google.

[49]  La demande en intervention des médias dans la requête de Google visant à modifier la portée du renvoi souffre de la même affliction et est vouée à l’échec. Les médias n’ont pas fait état de ce qu’ils pourraient apporter, en matière de preuve ou d’argument, à la requête de Google qui se distinguerait de ce que Google entend présenter, ou qui pourrait aider la Cour à statuer sur cette requête. Ils n’ont même pas présenté de prétentions écrites sur la requête de Google.

[50]  De plus, la Cour fait remarquer que les intervenants sont « des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table » (Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, par. 55; voir également Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, au par. 19). Par conséquent, ils sont tenus d’attendre que la table soit mise avant de demander d’y prendre place. Il serait tout à fait irrégulier qu’une personne qui n’est pas constituée comme partie puisse intervenir dans le but d’appuyer les efforts d’une partie visant à élargir la portée d’une instance. La Cour ne devrait envisager de l’autoriser que lorsque la contribution proposée de la personne souhaitant intervenir est bien définie et qu’elle est convaincue que cette contribution est pertinente, importante et dans l’intérêt de la justice. Ce n’est pas le cas en l’espèce.


ORDONNANCE

LA COUR ordonne  :

  1. Les requêtes de la Société Radio-Canada et de la Coalition des médias sont rejetées, et l’autorisation de soumettre une nouvelle requête en intervention après que la Cour a statué sur la requête de Google visant à faire modifier la portée du renvoi est accordée.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1779-18

 

INTITULÉ :

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT un renvoi au titre du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 sur des questions de droit et de compétence concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 qui ont été soulevées dans le cadre d’une enquête menée par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada sur une plainte

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 fÉVRIER 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MARs 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter Engelman

Colleen Bauman

 

POUR LE DEMANDEUR

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

James D. Bunting

 

POUR GOOGLE LLC

 

Christopher Rupar

Fraser Harland

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Charletté Calon

POUR LE PLAIGNANT

Paul B. Schabas

M. Leinveer

POUR LA coalition DES MÉDIAS

Christian Leblanc

Judith Harvie

Sean Moreman

POUR LA société radio-canada/canadian broadcasting corportation

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOLDBLATT PARTNERS

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR GOOGLE llc

 

MCINNES COOPER

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR GOOGLE LLC

SOUS-PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

PALIARE ROLAND ROSENBERG ROTHSTEIN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE PLAIGNANT

BLAKE, CASSEL & GRAYDON LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA coalition DES MÉDIAS

 

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN,

S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA société radio-canada/canadian broadcasting corportation

 

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