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Date : 20190301


Dossier : IMM-1527-18

Référence : 2019 CF 256

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2019

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

BEGENCH BAYRAMOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Bayramov est un citoyen du Turkménistan dont la demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne a été rejetée en raison de fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Un agent d’immigration a conclu qu’il avait fait de fausses déclarations au sujet de la nature de l’emploi qui le rendait admissible au statut de résident permanent. M. Bayramov demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de cet agent. Je rejette sa demande, car le processus suivi par l’agent était conforme aux exigences de l’équité procédurale et la décision était raisonnable.

I.  Contexte

[2]  M. Bayramov est un citoyen du Turkménistan. Il a commencé ses études au Canada grâce à un permis d’études valide, a obtenu son diplôme en mai 2014 et est demeuré au Canada par la suite grâce à des permis de travail. Il a ensuite présenté une demande de résidence permanente. Pendant le processus, il a reçu l’aide d’un consultant en immigration accrédité qui le représentait.

[3]  Dans sa demande, il a déclaré qu’il avait travaillé de novembre 2014 à mai 2017 comme adjoint administratif chez KMJ Homes Inc [KMJ]. Pour appuyer cette déclaration, il a présenté une lettre de recommandation de KMJ datée du 31 mars 2017 qui avait été signée par le propriétaire de l’entreprise, ainsi qu’une offre d’emploi de cet employeur, qui lui offrait un poste permanent de directeur des opérations à compter du 1er avril 2017.

[4]  L’agent responsable de l’évaluation de la demande de M. Bayramov a voulu vérifier l’existence de son employeur allégué, mais il n’a trouvé aucun renseignement sur KMJ dans les sources d’information publiques. L’agent a découvert que le numéro de téléphone fourni dans la lettre de recommandation appartenait à l’entreprise Hand and Stone Massage and Facial Spa située à North York, en Ontario. Selon l’employé qui a répondu à l’appel de l’agent, l’entreprise exerçait ses activités à cette adresse depuis janvier 2015. L’agent a également remarqué que M. Bayramov affirmait sur sa page Facebook qu’il travaillait à la fondation Durdy Bayramov Art Foundation [la fondation] depuis plus de deux ans et demi. Le site web officiel de la fondation contenait de nombreuses photographies de M. Bayramov, où il était identifié comme un employé. M. Bayramov n’a pas déclaré son expérience de travail à la fondation dans sa demande de prolongation de son permis de travail.

[5]  Le 13 septembre 2017, l’agent a demandé des copies des relevés de paie et des avis de cotisation de M. Bayramov pour les années 2015 et 2016. En réponse, M. Bayramov a déposé des avis de cotisation ainsi que des documents censés attester de ses revenus.

[6]  Le 10 novembre 2017, l’agent a envoyé à M. Bayramov une lettre relative à l’équité procédurale [la LEP] afin de lui donner l’occasion de répondre à ses doutes. Dans sa réponse, datée du 9 décembre 2017, M. Bayramov a fourni ses avis de cotisation pour les années 2015 et 2016. Il a également affirmé qu’il ne savait pas pourquoi le numéro de téléphone figurant sur le papier à en‑tête de KMJ était erroné, et qu’il avait tenté de joindre en vain le propriétaire étant donné que les numéros de téléphone se trouvant sur la carte professionnelle qu’il avait fournie n’étaient plus en service, mais il croyait que KMJ traversait une période difficile. M. Bayramov a expliqué qu’il n’avait pas prêté attention au numéro de téléphone se trouvant sur le papier à en‑tête de l’entreprise lorsqu’il a déposé les documents. En ce qui concerne la fondation, M. Bayramov a précisé qu’elle a été mise sur pied en mémoire de son défunt grand‑père, et qu’il y fait du bénévolat quelques heures par jour après son travail depuis janvier 2015.

[7]  En réponse à la LEP, M. Bayramov a également fourni une lettre de PBS Accounting & Tax Services Inc. datée du 4 décembre 2017 et signée par M. Simaan, qui précisait que l’entreprise faisait la comptabilité de KMJ et qui confirmait que M. Bayramov travaillait pour KMJ. Enfin, M. Bayramov a produit les mêmes relevés de paie qu’il avait déjà présentés, ainsi que des relevés T4 pour les années 2014 à 2017, et un formulaire de relevé d’emploi daté du 7 juin 2017 qui avait été rempli et signé par M. Simaan.

[8]  Le 20 décembre 2017, l’agent a demandé, par courriel et par l’intermédiaire du service MonCIC, que M. Bayramov dépose l’original de ses avis de cotisation pour les années 2014, 2015 et 2016, ainsi que les documents de constitution en personne morale de KMJ délivrés par les gouvernements fédéral et provincial qui indiquent clairement la dénomination sociale, l’adresse et l’année de constitution en personne morale de l’entreprise ainsi que les renseignements sur les actionnaires.

[9]  Le 8 janvier 2018, une deuxième LEP a été envoyée à M. Bayramov afin de lui donner l’occasion de déposer les documents qui avaient été demandés le 20 décembre 2017. M. Bayramov a été avisé que sa demande pourrait être rejetée s’il ne fournissait pas les renseignements supplémentaires exigés. L’agent n’a pas reçu de réponse de M. Bayramov.

[10]  Dans sa décision, l’agent a conclu que la réponse de M. Bayramov n’était pas crédible et que ce dernier n’avait pas dissipé ses doutes quant à la véracité des documents produits.

[11]  L’agent a accordé peu de poids aux relevés de paie de M. Bayramov, car les tableaux auraient très bien pu être créés à l’aide d’un logiciel comme Word ou Excel. De plus, il doutait sérieusement de l’authenticité de l’avis de cotisation de 2015 de M. Bayramov, car le format de cet avis était différent et il manquait un chiffre dans le numéro d’assurance sociale. En ce qui concerne la fondation, l’agent a fait remarquer que M. Bayramov était identifié comme un employé, plus précisément comme le directeur des collections et responsable de la recherche, sur le site web officiel de la fondation. D’autres personnes étaient spécifiquement identifiées comme des bénévoles.

[12]  En outre, l’agent a conclu que la carte professionnelle de KMJ déposée par M. Bayramov soulevait des questions de crédibilité quant à l’expérience de travail déclarée, car il avait remarqué que l’adresse de l’entreprise était identique à l’adresse domiciliaire de M. Bayramov. L’agent n’a pas non plus accordé de poids au relevé d’emploi de M. Bayramov, car il avait constaté qu’il s’agissait du formulaire transmis à Service Canada et non du relevé d’emploi délivré par Service Canada.

II.  Analyse

A.  Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[13]  M. Bayramov soutient que la négligence de son consultant en immigration a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Il allègue que son consultant n’a pas consulté régulièrement son profil sur le site Web de CIC et qu’il n’a pas remarqué que l’agent avait envoyé la deuxième LEP. Par conséquent, M. Bayramov affirme qu’il a été privé de la possibilité de répondre à tous les doutes de l’agent. Il ajoute que son profil avait été créé par le consultant et que lui seul avait le nom d’utilisateur et le mot de passe pour y accéder. Le consultant, qui a été avisé de l’allégation pesant contre lui conformément au Protocole de la Cour concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger, a répondu qu’il n’avait pas reçu de notification par courriel de CIC lorsque la deuxième LEP a été envoyée, ce qui est normalement le cas lorsque CIC envoie une communication à l’égard du profil de l’un de ses clients.

[14]  Je n’ai pas à décider si l’omission alléguée du consultant d’informer M. Bayramov de l’existence de la deuxième LEP constituait de la négligence ou a empêché M. Bayramov d’exercer ses droits de participation. Je préfère traiter la question en établissant la portée des exigences de l’équité procédurale dans les circonstances et en déterminant si elles ont été respectées.

[15]  Il est bien établi que, s’il envisage de tirer une conclusion de fausses déclarations, l’agent des visas a l’obligation d’informer le demandeur des doutes susceptibles de justifier une telle conclusion et de lui donner une véritable occasion d’y répondre : Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, au paragraphe 18. En général, l’agent envoie une LEP pour s’acquitter de cette obligation. La LEP doit contenir suffisamment de détails pour que le demandeur sache à quoi il doit répondre. L’agent doit ensuite étudier attentivement les renseignements fournis en réponse à la LEP.

[16]  À moins qu’un tout nouveau motif de fausses déclarations soit relevé durant le processus, il n’est pas obligatoire de délivrer une deuxième LEP lorsque l’agent n’est pas convaincu que le demandeur a répondu à tous ses doutes : Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328, au paragraphe 13; Shao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 610, au paragraphe 26. Il convient de rappeler que les demandeurs ont l’obligation de produire d’emblée tous les documents pertinents pour appuyer leurs demandes et que les agents ne sont pas tenus de prendre d’autres renseignements ou d’informer les demandeurs des lacunes de leur demande : Mehfooz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 165, aux paragraphes 12 et 13; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 72, au paragraphe 24.

[17]  En l’espèce, la LEP envoyée le 10 novembre 2017 informait dûment M. Bayramov des doutes de l’agent concernant l’existence de KMJ et l’authenticité de son emploi au sein de cette entreprise. Les parties pertinentes de cette lettre se lisent comme suit :

[traduction]

J’ai des motifs de croire que vous êtes interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a). Plus précisément, je doute de l’authenticité de l’expérience de travail à titre d’adjoint administratif au sein de KMJ Homes Inc. que vous avez déclarée.

Après vérification, aucun renseignement sur l’employeur KMJ Homes Inc. n’a pu être trouvé dans les sources d’information publiques. Cet employeur ne semble pas exister. Les relevés de paie que vous avez produits ne semblent pas authentiques. Ils pourraient très bien avoir été créés dans un document Word, et ils ne contiennent aucun timbre ni aucune signature de l’employeur.

Le numéro de téléphone figurant sur votre lettre d’emploi (418‑331‑8686) appartient à l’entreprise HAND AND STONE MASSAGE AND FACIAL SPA. Sur les médias sociaux, il semble que vous travaillez à la DURDY BAYRAMOV ART FOUNDATION. Des photos de vous se trouvent ailleurs sur le site web de la DURDY BAYRAMOV ART FOUNDATION.

La lettre informait également M. Bayramov des conséquences possibles d’une conclusion de fausses déclarations. La LEP était conforme aux exigences de l’équité procédurale. M. Bayramov a répondu à cette lettre et a déposé des éléments de preuve documentaires pour étayer son dossier.

[18]  À ce moment‑là, les exigences de l’équité procédurale avaient été respectées et l’agent devait seulement examiner la réponse de M. Bayramov, et c’est ce qu’il a fait. L’agent n’était pas tenu d’envoyer une demande subséquente de documents ou une nouvelle LEP. Le fait que l’agent a dépassé les exigences de l’équité procédurale et a donné à M. Bayramov une autre occasion de produire des documents n’augmente pas ces exigences. Par conséquent, le fait que M. Bayramov n’ait prétendument pas reçu la deuxième LEP n’a pas entraîné un manquement à l’équité procédurale. Autrement dit, le fait de ne pas avoir fourni des renseignements qui n’étaient pas exigés en vertu des exigences de l’équité procédurale ne signifie pas qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

B.  La décision de l’agent était raisonnable

[19]  M. Bayramov soutient également que la conclusion de fausses déclarations de l’agent était déraisonnable. Je ne suis pas d’accord. Selon les éléments de preuve, il était raisonnable de conclure que M. Bayramov avait fait de fausses déclarations à propos de son expérience de travail. Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que les éléments de preuve que M. Bayramov affirme qu’il aurait déposés en réponse à la deuxième LEP soulèvent encore plus de doutes quant à l’authenticité de son expérience de travail et de ses documents à l’appui.

[20]  Premièrement, tous les éléments de preuve mènent à la conclusion que KMJ n’est pas une véritable entreprise. L’entreprise n’est pas présente sur Internet, et son prétendu numéro de téléphone appartient à une autre entreprise. M. Bayramov avait d’abord utilisé l’adresse de KMJ comme son adresse personnelle. À cet égard, les documents de constitution en personne morale de KMJ, que M. Bayramov aurait produits en réponse à la deuxième LEP, démontrent que KMJ a été constituée en personne morale par une personne qui semble avoir un lien de parenté avec M. Bayramov, quelques semaines à peine avant que ce dernier commence son emploi allégué. Cela ne fait que renforcer la conclusion selon laquelle l’emploi de M. Bayramov au sein de KMJ n’est pas authentique. À cet égard, le fait que M. Bayramov a habité plus tard à une autre adresse n’est pas pertinent. De plus, M. Bayramov n’a jamais déclaré qu’il avait un lien de parenté avec les propriétaires de KMJ. Sachant cela, la déclaration de M. Bayramov selon laquelle il n’arrive maintenant pas à joindre les propriétaires de KMJ semble encore moins plausible.

[21]  Deuxièmement, les doutes de l’agent concernant les documents que M. Bayramov avait déposés pour prouver son emploi allégué étaient fondés. L’agent a souligné à juste titre que les avis de cotisation présentaient des irrégularités, et que les autres documents n’avaient pas été délivrés par le gouvernement, qu’ils semblaient présenter des irrégularités et qu’ils auraient facilement pu avoir été fabriqués de toutes pièces.

[22]  Troisièmement, la recherche effectuée par l’agent suggère fortement que M. Bayramov travaillait en fait à la fondation. Selon la prépondérance de la preuve, l’agent avait le droit de ne pas croire l’explication de M. Bayramov selon laquelle il était simplement un bénévole.

Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1527-18

  LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑1527‑18

 

INTITULÉ :

BEGENCH BAYRAMOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 1er MARS 2019

COMPARUTIONS :

Michelle Adormaa Owusu

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group P.C.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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