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Date : 20190305


Dossier : IMM‑2676‑18

Référence : 2019 CF 270

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ALI MOWLOUGHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 27 avril 2018 par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Le demandeur, Ali Mowloughi, est un citoyen de l’Iran. Il allègue qu’il a quitté l’Iran parce qu’il craignait d’être persécuté en raison de ses activités politiques et de celles de sa famille.

[3]  Le demandeur prétend que son père était major principal dans l’armée iranienne à l’époque du Shah et que son frère était un partisan des moudjahidines et qu’il aurait été tué. Le demandeur affirme également que ses sœurs ont été victimes de mauvais traitements en Iran en raison de l’engagement politique de la famille.

[4]  Le demandeur affirme avoir été emprisonné par la police en Iran après avoir assisté à une manifestation politique contre l’ancien président iranien Ahmadinejad. Il allègue qu’il a été détenu pendant deux jours, qu’il a été battu par les policiers pendant sa détention et que, peu après sa libération, il a de nouveau été arrêté. À cette occasion, il a été emprisonné pendant quatre jours et son épouse a dû payer une amende importante pour qu’il soit libéré. Le demandeur affirme que la police l’a arrêté une troisième fois en février 2010 pour l’empêcher d’assister à une manifestation.

[5]  Le demandeur a obtenu un visa de résident temporaire et il est arrivé au Canada le 17 mai 2010. Le 2 juin 2010, il a présenté une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur le 2 septembre 2011, concluant qu’il n’avait pas suffisamment documenté sa demande et qu’il manquait de crédibilité. De nombreuses contradictions et omissions majeures ont été relevées dans son témoignage. Le 30 mai 2012, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur a été rejetée.

[6]  Le demandeur a ensuite présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée le 23 janvier 2013. Il a également demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais cette autorisation lui a été refusée le 21 mai 2014.

[7]  Le demandeur a présenté sa demande d’ERAR en décembre 2013. Dans sa demande, il a soutenu qu’il risquait d’être persécuté en Iran en raison de son opposition perçue et réelle au régime iranien. Il a également indiqué que son épouse et ses enfants, qui vivent toujours en Iran, ont été victimes de harcèlement de la part des autorités iraniennes. En outre, il a affirmé que son épouse et son frère ont tous deux été interrogés par les autorités iraniennes, qui voulaient savoir où il se trouvait, et que son épouse a été rétrogradée de son poste d’enseignante. Il a également soutenu qu’il fait face à un risque accru de détention, de torture et de mauvais traitements parce que le contrôle judiciaire de la décision de la SPR le concernant a été publié en ligne et qu’il sera connu des autorités iraniennes.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]  L’agent a rejeté la demande le 27 avril 2018 au motif que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il risquait la persécution ou qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Iran.

[9]  L’agent s’est demandé s’il devait accepter les nombreux éléments de preuve présentés par le demandeur avec sa demande d’ERAR. L’agent a conclu que certains de ces documents ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve parce qu’ils étaient facilement accessibles avant que la décision de la SPR soit rendue, et qu’il était donc raisonnable de tenir pour acquis que le demandeur avait présenté ces documents à la SPR. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que le demandeur avait réitéré des risques qui avaient déjà été évalués par la SPR, et il a souligné que les conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité du demandeur n’avaient pas été infirmées par la Cour.

[10]  Pour ce qui est des nouveaux éléments de preuve admis, l’agent a attribué peu de valeur probante à une lettre écrite par le frère du demandeur en raison de sa brièveté, du peu d’information qu’elle contient et de sa nature intéressée. L’agent a également conclu qu’une série de messages texte n’avait aucune valeur probante parce qu’elle ne démontrait pas que les autorités iraniennes constituaient une menace pour le demandeur ou qu’elles s’intéressaient à lui. L’agent a accordé peu de poids à une lettre écrite par l’épouse du demandeur parce qu’elle manquait de détails importants et qu’elle n’était pas corroborée par une preuve objective. De plus, l’agent n’a attribué aucune valeur probante aux documents présentés dans le but de prouver que l’épouse du demandeur avait été rétrogradée.

[11]  L’agent a ensuite examiné les rapports médicaux du demandeur et de son épouse. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que l’anxiété et la dépression de l’épouse étaient liées aux allégations formulées dans la demande du demandeur. De plus, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré de manière suffisante que sa santé mentale constituerait un danger pour lui en Iran.

[12]  L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il courait un risque en raison de son opposition au régime iranien. En outre, il n’a pas démontré qu’il présentait un intérêt particulier pour les autorités iraniennes ou qu’il avait quitté le pays illégalement. L’agent a précisé que le gouvernement iranien avait délivré au demandeur un passeport qu’il n’aurait probablement pas obtenu si les autorités s’étaient réellement intéressées à lui.

[13]  L’agent a également examiné la déclaration du demandeur selon laquelle il serait exposé à un risque en Iran parce que la décision relative au rejet de sa demande d’asile a été rendue publique sur Internet. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi que le rejet de sa demande d’asile le mettrait en danger s’il devait retourner en Iran. L’agent a examiné la preuve relative à d’autres demandeurs d’asile iraniens déboutés et a conclu qu’ils ne couraient pas un risque accru s’ils avaient quitté l’Iran légalement et qu’ils n’étaient pas actifs sur le plan politique. En général, les demandeurs d’asile déboutés qui ont été emprisonnés à leur retour en Iran avaient commis des crimes dans ce pays ou avaient quitté le pays illégalement. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré en quoi sa situation serait différente de celle d’autres Iraniens dans une situation similaire.

[14]  De plus, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il court un risque en Iran parce que son père a été membre de l’armée par le passé. Enfin, l’agent a conclu que le fait que des membres de la famille du demandeur aient déjà obtenu le statut de réfugié ne constituait pas un motif suffisant pour rendre une décision favorable en l’espèce.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]  Voici les questions en litige en l’espèce :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent?

  2. L’agent a‑t‑il violé les principes d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience?

  3. La décision est‑elle raisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[16]  Dans la décision Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[17]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit de l’agent d’ERAR, ainsi qu’à l’examen de la preuve par lui (Selduz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 361, aux paragraphes 9 et 10).

[18]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 (Khosa). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[19]  Les tribunaux ont récemment conclu que la norme de contrôle applicable relativement à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

[20]  Même si l’appréciation de l’équité procédurale est compatible avec la jurisprudence récente, il ne s’agit pas d’une méthode judicieuse sur le plan doctrinal. Il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans sa décision Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 (au paragraphe 74) :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier.

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[21]  Les dispositions suivantes de la Loi intéressent la présente demande de contrôle judiciaire :

Mesure de renvoi

Enforceable removal order

48 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

48 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Conséquence

Effect

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

VII.  LES ARGUMENTS

A.  Le demandeur

[22]  Le demandeur soutient que l’agent a rejeté de façon déraisonnable plusieurs éléments de preuve qui démontraient le risque qu’il courait en raison du service militaire de son père. Il était également déraisonnable pour l’agent de rejeter les affidavits rédigés par les sœurs du demandeur, qui ont obtenu le statut de réfugié au Canada. De plus, l’agent aurait dû examiner les photos du père du demandeur en uniforme militaire, ainsi que les rapports sur le pays. Il était déraisonnable de la part de l’agent de rejeter ces éléments de preuve qui démontrent le risque que représentait pour le demandeur le service militaire de son père.

[23]  Le demandeur affirme que l’agent a omis, de manière déraisonnable, de tenir compte des demandes d’asile acceptées de ses sœurs. Les sœurs du demandeur se trouvaient dans une situation similaire en Iran. Il incombait donc à l’agent d’expliquer clairement pourquoi le demandeur ne devrait pas bénéficier d’une protection semblable à celle qui leur a été offerte. L’agent a agi de façon déraisonnable en refusant de chercher dans les dossiers ministériels des renseignements sur les demandes d’asile des sœurs du demandeur.

[24]  Le demandeur soutient également que l’agent a manqué à l’équité procédurale en omettant de tenir une audience. Cette audience était nécessaire pour évaluer la crédibilité des affidavits déposés en preuve. Bien que l’agent prétende que ses conclusions sont fondées sur le caractère suffisant de la preuve, il s’agit en fait de conclusions en matière de crédibilité. Le demandeur soutient que l’agent a également manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques, en l’occurrence un rapport sur le pays, sans les divulguer au demandeur afin qu’il puisse les commenter.

[25]  Le demandeur affirme que l’agent a également rejeté de façon déraisonnable des éléments de preuve qui démontraient son opposition au gouvernement iranien. Le demandeur et les membres de sa famille ont été pris pour cible par le régime en raison de sa participation à des manifestations. Le demandeur a présenté des lettres écrites par son frère et son épouse, des relevés d’emploi de son épouse, des messages texte et des preuves d’ordre psychiatrique pour confirmer cet aspect central de sa demande. L’agent a écarté ces éléments de preuve sans motif raisonnable.

[26]  Le demandeur soutient également que l’agent a mal interprété la preuve selon laquelle un passeport lui avait été délivré avant son départ de l’Iran. Il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que la délivrance d’un passeport montrait que le demandeur n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités iraniennes. Au contraire, la délivrance d’un passeport pourrait démontrer que l’Iran voulait simplement se débarrasser d’une personne considérée comme un opposant.

[27]  Le demandeur soutient que l’agent a évalué de façon déraisonnable le risque qu’il courait sur place en raison de la publication de sa demande d’asile sur Internet. L’agent n’a pas évalué comme il se doit la preuve qui démontre que les demandeurs d’asile déboutés sont exposés à de graves préjudices à leur retour en Iran.

B.  Le défendeur

[28]  Le défendeur soutient que le demandeur n’est pas d’accord avec l’appréciation de la preuve faite par l’agent, mais qu’il n’a pas réussi à démontrer qu’une erreur susceptible de révision a été commise. Il était raisonnable pour l’agent de rejeter plusieurs éléments de preuve parce qu’ils étaient facilement accessibles avant l’audience de la SPR. Ces éléments de preuve comprennent des photos du père du demandeur en uniforme et l’affidavit de la sœur du demandeur. L’agent a tenu compte de l’explication que le demandeur a donnée pour avoir omis de produire ces documents à l’audience de la SPR. Il était raisonnable pour l’agent de rejeter l’explication du demandeur selon laquelle son avocat n’avait pas demandé ces éléments de preuve.

[29]  Le défendeur soutient que l’agent n’a pas tiré une conclusion en matière de crédibilité en refusant d’accepter un élément de preuve qui aurait pu être présenté à l’audience de la SPR. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

[30]  Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’un risque pour le demandeur en raison du service militaire de son père. L’agent a également évalué de façon raisonnable les éléments de preuve concernant les demandes d’asile des sœurs du demandeur, les lettres écrites par le frère et l’épouse du demandeur, les messages texte, les preuves d’ordre psychiatrique et la délivrance du passeport. Le défendeur souligne qu’il n’appartient pas à la Cour de réexaminer les éléments de preuve qui ont été dûment examinés par l’agent.

[31]  Le défendeur affirme en outre que l’agent a effectué une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place du demandeur. L’agent a fondé cette évaluation sur une preuve objective qui démontre que les demandeurs d’asile déboutés ne courent généralement pas de risque particulier à leur retour en Iran.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

[32]  Comme le fait remarquer l’agent, la SPR a déjà rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il serait exposé à des risques en Iran en raison de son opposition perçue ou réelle au régime islamique et aux autorités iraniennes. La SPR a ainsi conclu que la version des faits du demandeur n’était pas crédible, qu’il n’avait pas réussi à démontrer que les incidents allégués s’étaient produits et qu’il y avait dans ses allégations d’importantes omissions et de nombreuses incohérences entre ce qui avait été dit à l’audience et les renseignements figurant dans son formulaire de renseignements personnels.

[33]  Le demandeur n’est peut‑être pas d’accord avec la décision de la SPR, mais sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été soumise à la Cour et a été rejetée le 30 mai 2012. Cela signifie que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une cause défendable résultant d’une erreur susceptible de révision dans la décision de la SPR.

[34]  Le demandeur a invoqué devant l’agent les mêmes risques fondamentaux qui avaient déjà été examinés et évalués par la SPR. Il était, bien sûr, tout à fait libre de le faire, à condition qu’il puisse produire des éléments de preuve acceptables et admissibles. Toutefois, il est bien établi qu’un ERAR ne constitue pas un appel ou une révision d’une décision de la SPR.

B.  La preuve admissible

[35]  L’agent a établi une distinction claire entre les nouveaux éléments de preuve produits par le demandeur qui étaient admissibles en application de l’alinéa 113a) de la Loi et ceux qui ne l’étaient pas.

[36]  L’agent a donc exclu :

  • a) deux photos d’un homme en uniforme;

  • b) un affidavit de la sœur du demandeur, Mahvash Moloughi, et une copie de sa fiche d’établissement au Canada;

  • c) les pièces d’identité de l’autre sœur du demandeur, Ameneh Mologhi, et une copie de sa fiche d’établissement au Canada;

  • d) une copie de la fiche d’établissement de l’époux d’Ameneh, Alireza Amin Tehran;

  • e) une lettre et un permis de conduire de Habiballah Nazeri, un cousin du beau‑frère du demandeur.

[37]  Le demandeur affirme que ces éléments de preuve n’auraient pas dû être exclus parce qu’il a expliqué de façon raisonnable pourquoi il ne les avait pas présentés à la SPR, explication qui n’a pas été contredite.

[38]  Par contre, l’agent estime que l’explication du demandeur (à savoir que son ancien avocat ne les avait pas demandés et qu’il ne savait donc pas qu’il aurait à les fournir) est déraisonnable et inacceptable :

[traduction]

Compte tenu de l’importance de ces renseignements, sur lesquels repose en partie sa demande d’asile, je n’accepte pas cette explication et je conclus qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il produise ces documents au moment de son audience.

[39]  Il ne suffit pas au demandeur d’affirmer simplement que cette conclusion était déraisonnable pour qu’il en soit ainsi. Le demandeur souhaite seulement que la Cour se dise en désaccord avec l’agent et accepte son explication comme étant raisonnable. Pourtant, rien ne justifie que la Cour prenne position en ce sens.

[40]  Le demandeur affirme également que l’agent aurait dû tenir une audience, en particulier pour évaluer la crédibilité de la preuve par affidavit.

[41]  Si le demandeur fait référence à l’affidavit exclu de Mahvash Moloughi, l’agent n’est pas tenu d’évaluer la crédibilité d’une preuve irrecevable. Si le demandeur fait référence à une preuve par affidavit qui n’a pas été exclue, alors, comme l’indique clairement la décision, cette preuve a été évaluée pour déterminer si elle était suffisante et non pas pour en établir la crédibilité, et le demandeur ne m’a pas convaincu que les conclusions relatives au caractère suffisant de la preuve étaient, en fait, des conclusions déguisées quant à la crédibilité.

[42]  La SPR avait déjà conclu que le récit du demandeur n’était pas crédible. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Lufty (tel était alors son titre) dans la décision Saadatkhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 614 :

[5]  Il aurait été illogique de la part de l’agent d’ERAR de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité différente de celle de la Section du statut de réfugié, qui avait été confirmée en termes non équivoques par un juge de la Cour lors d’un contrôle judiciaire, puisque aucune nouvelle preuve n’avait été présentée pour appuyer le fond des allégations du demandeur quant à son statut de réfugié.

[43]  Le rôle de l’agent consistait à déterminer s’il y avait suffisamment de nouveaux éléments de preuve admissibles pour dissiper les doutes concernant la crédibilité ou pour appuyer un nouveau risque que la SPR n’avait pas pris en considération. La demande d’ERAR du demandeur visait essentiellement à démontrer que, malgré la décision de la SPR, il était en danger en Iran en raison de ses associations familiales et de son propre activisme. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des allégations du demandeur.

C.  L’octroi de l’asile aux membres de la famille du demandeur au Canada

[44]  Le demandeur affirme que l’agent a, de façon déraisonnable, accordé peu d’importance au fait que les membres de sa famille ont obtenu l’asile au Canada.

[45]  La preuve présentée par ses sœurs sur leur situation a été raisonnablement exclue, en application de l’alinéa 113a) de la Loi, mais, comme l’agent l’indique clairement dans la décision, le véritable problème en l’espèce était que [traduction« le seul fait que les membres de la famille du demandeur aient obtenu l’asile ne justifie pas une décision favorable » puisque [traduction« le fondement de ces décisions favorables n’a pas été démontré ».

[46]  Dans ses observations écrites, le demandeur admet que ses sœurs [traduction« n’avaient plus les documents de référence confirmant le fondement de leur demande parce que beaucoup de temps s’était écoulé ». Cependant, il précise qu’il a demandé dans ses observations que l’agent évalue l’information contenue dans les dossiers du Ministère.

[47]  Rien dans la décision n’indique que l’agent l’a fait ou qu’il aurait été en mesure de le faire. Le demandeur affirme que [traduction« la politique du Ministère stipule que les agents d’ERAR doivent participer au processus d’établissement des faits lorsqu’une décision est prise concernant une demande d’ERAR » et que [traduction« rien n’indique que l’agent ait fait le moindre effort pour obtenir cette information ou qu’il se soit penché sur cette question ».

[48]  En réponse à ces affirmations, le défendeur a fait valoir que [traduction« le demandeur n’a pas indiqué de source à l’appui de cet argument et il n’a pas démontré que “faire des recherches” sur des sites Web accessibles au public équivaut à consulter des dossiers personnels sans autorisation ».

[49]  Par ailleurs, une question que le demandeur a omis d’aborder dans ses observations écrites et pour laquelle il n’avait pas de réponse convaincante à me donner, lorsque celle‑ci a été soulevée lors de l’audience à Toronto, c’est que l’agent affirme dans sa décision que [TRADUCTION] « la preuve à cet effet ne sera pas prise en considération dans l’évaluation de la présente demande ». En d’autres termes, cela donne à penser que cette preuve a été exclue, en application de l’alinéa 113a), parce qu’elle aurait pu être fournie et déposée devant la SPR. Ce qui pose problème, cependant, c’est que l’agent évalue ensuite cette preuve en indiquant que [traduction« le seul fait que les membres de la famille du demandeur aient obtenu l’asile ne justifie pas une décision favorable concernant sa demande d’ERAR » et que [traduction« le fondement de ces décisions favorables n’a pas été présenté » de sorte que [traduction« ces éléments de preuve sont insuffisants pour établir que le demandeur était ciblé en raison de l’opposition de sa famille au régime iranien ». Le problème ici est que les éléments de preuve jugés irrecevables n’ont pas à être exclus au motif qu’ils sont insuffisants. Cela donne à penser que, même si l’agent affirme que les éléments de preuve ont été exclus, il les a effectivement évalués et ses conclusions ont été défavorables au demandeur. Le problème est d’autant plus important que ces éléments de preuve ne figurent pas expressément sur la liste des documents exclus et que l’agent affirme que [traduction« tous les autres éléments de preuve seront examinés dans mon analyse ci‑dessous ». Si l’agent a utilisé ces éléments de preuve, ou son inaccessibilité, comme motif de rejet de la demande, cela soulève d’autres questions.

[50]  Il se peut, bien sûr, que l’agent n’ait pas eu accès aux dossiers familiaux, mais si tel était le cas, il aurait dû le mentionner dans sa réponse au demandeur. Et si l’agent avait simplement besoin d’une « autorisation » pour accéder à l’information, rien n’indique qu’il a envisagé d’en faire la demande.

[51]  Le défendeur n’a produit aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi l’agent ne voulait pas ou ne pouvait pas consulter ces documents, comme l’a demandé le demandeur. Il s’est contenté d’affirmer qu’il s’agissait d’éléments de preuve irrecevables, ce qui pose problème pour les raisons énoncées ci‑dessus.

[52]  Le fait que ces dossiers n’aient pas été examinés signifie que l’agent n’a jamais fait de comparaison entre la situation du demandeur et celle des membres de sa famille qui ont déjà obtenu l’asile pour des motifs qui, selon le demandeur, seraient également applicables à sa propre situation, de sorte que l’agent n’a jamais eu à expliquer pourquoi un résultat différent avait été obtenu. Voir Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 251, au paragraphe 26.

[53]  L’utilisation présumée de cette preuve par l’agent (a‑t‑elle été exclue ou a‑t‑elle été admise et prise en considération?) est problématique, mais comme je l’explique ci‑dessous, je crois qu’il y a suffisamment de raisons pour lesquelles la décision est déraisonnable et devrait être renvoyée pour nouvel examen.

D.  Le refus déraisonnable de tenir compte du risque pour le demandeur

[54]  Pour diverses raisons, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser de prendre en considération le risque auquel il est exposé en raison de son opposition au régime iranien.

(1)  La lettre du frère du demandeur

[55]  Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de rejeter la lettre de son frère, Amir Mowloughi, au motif qu’elle avait [traduction« une faible valeur probante ». Dans cette lettre, Amir explique qu’à son arrivée en Iran, il a été interrogé à plusieurs reprises par les autorités iraniennes, qui cherchaient à savoir où se trouvait le demandeur.

[56]  Voici les observations faites par l’agent au sujet de cette lettre dans la décision :

[traduction]

Le demandeur prétend qu’il s’expose à un risque en retournant en Iran parce que les autorités iraniennes le considèrent comme un opposant et qu’il a fait des déclarations publiques en ce sens lorsqu’il était là‑bas. Le demandeur a présenté une lettre de son frère, Amir Mowloughi, datée du 12 janvier 2014. Son frère affirme qu’il vit en Finlande, qu’il est retourné en Iran pour une visite et qu’il a été interrogé au sujet de l’endroit où se trouvait le demandeur et si ce dernier avait demandé l’asile au Canada. Son frère affirme que ces interrogatoires étaient fréquents. La lettre est brève et ne contient pas de renseignements importants comme les dates des interrogatoires. De plus, j’ai appris que cette lettre est de nature intéressée puisqu’elle a été rédigée à l’appui de la demande d’ERAR du demandeur, soit peu après l’entrée en vigueur de la mesure de renvoi prise contre ce dernier. Pour ces motifs, j’accorde peu de valeur probante à cette lettre.

[57]  Le fait que la lettre soit « brève » n’est pas en soi une raison de rejeter cet élément de preuve et, outre les dates des interrogatoires, l’agent ne précise pas quels sont les autres « renseignements importants » qu’il a en tête, de sorte que le demandeur ne peut contester cette conclusion et qu’elle ne peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour. Il s’agit également d’un des éléments de la décision où l’agent a été déraisonnable en refusant d’examiner la preuve par affidavit du demandeur, puisque ce dernier a fourni les dates de retour de son frère, soit juin 2012 et avril et décembre 2013.

[58]  Outre les dates des interrogatoires, il n’est pas possible de déterminer quels sont les autres « renseignements importants » que l’agent a en tête, de sorte qu’il est impossible de déterminer si cette objection est raisonnable. Toutefois, en tout état de cause, le traitement est déraisonnable parce qu’il n’est pas clair si les deux motifs sont distincts ou cumulatifs et que le deuxième motif invoqué, soit le caractère « intéressé », est déraisonnable. Comme la juge Tremblay‑Lamer l’a clairement indiqué dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1210 :

[12]  À plusieurs reprises, la Cour a avisé les agents de CIC qu’ils ne peuvent écarter des éléments probants ni leur accorder peu de poids en s’appuyant uniquement sur leur conclusion portant qu’il s’agit d’éléments de preuve intéressés (LOTM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 957, aux paragraphes 27‑29, citant SMD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 319; Ugalde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 458, et Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226). De toute évidence, tout demandeur présentant des éléments de preuve choisira des éléments favorables à son dossier. Le défendeur a invoqué des précédents pour réfuter cet argument; toutefois, pour l’ensemble de ceux‑ci, d’autres raisons importantes existaient pour écarter les éléments de preuve. Dans le présent dossier, l’agent fait simplement remarquer que les éléments de preuve sont [traduction] « intéressés et impossibles à vérifier », sans autres explications.

[59]  En l’espèce, l’agent donne d’autres raisons, notamment la brièveté, les dates des interrogatoires et le [traduction« manque de renseignements importants », mais, comme je l’ai dit, ces raisons ne sont pas raisonnables.

(2)  Les messages texte de l’ami du demandeur

[60]  Le demandeur a demandé à son ami Majid de fournir une lettre confirmant que l’épouse du demandeur était harcelée par les autorités iraniennes. Majid a répondu par des messages texte qu’il avait été averti par un ami travaillant pour un fonctionnaire de l’État que les communications, y compris les messages texte, étaient surveillées par l’État.

[61]  Voici comment l’agent traite cette preuve dans la décision :

[traduction]

J’ai également pris en considération une copie et un affidavit du traducteur d’un échange de messages texte entre le demandeur et un ami. Je note que les messages texte ont été traduits par la sœur du demandeur, qui n’a pas démontré qu’elle est une traductrice officielle. Les copies des messages texte originaux ne contiennent pas les dates auxquelles les messages ont été échangés, mais la traduction des messages texte est datée (le 13 janvier 2014). Les messages texte indiquent qu’une personne qui travaille pour le gouvernement iranien a informé l’ami du demandeur que le gouvernement contrôle et surveille toutes les communications sur les sites Web et les applications de clavardage. Je conclus que cet argument n’a aucune valeur probante puisqu’il n’indique pas que le demandeur est exposé à une menace ou à un risque. Il ne démontre pas que les autorités iraniennes s’intéressent à lui ou surveillent ses communications au Canada.

[62]  Dans l’affidavit joint à sa demande d’ERAR, le demandeur indique pour quelles raisons il a fourni ces renseignements :

[traduction]

17.  Par ailleurs, je ne peux pas obtenir d’autres éléments de preuve. Plus précisément, je ne suis pas en mesure d’obtenir ce qui suit :

a)  Rapport médical pour mon traitement en Iran. L’une des principales préoccupations du commissaire à l’égard de ma demande d’asile était que je n’avais pas de preuve d’ordre médical confirmant le traitement médical que j’ai reçu en Iran par suite des mauvais traitements que m’ont fait subir les autorités iraniennes. En fait, mon épouse m’a dit que le médecin, à qui elle a parlé je crois, refuse de me fournir une lettre parce qu’il a peur que cela lui cause des problèmes politiques.

b)  Autres déclarations de témoins en Iran. J’ai demandé à des amis en Iran, qui sont au courant de ma situation, de m’écrire des lettres d’appui, mais ils m’ont dit qu’ils avaient trop peur de le faire, puisque l’Iran surveille la correspondance qui sort du pays. Cela a été confirmé par mon ami Majod Sepheri[.]

[63]  Il semblerait donc que l’agent ait mal compris les raisons pour lesquelles le demandeur a présenté cette preuve ou qu’il n’en ait pas tenu compte. Cette preuve n’indique peut‑être pas que [traduction« le demandeur est exposé à une menace ou à un risque », mais elle fait état des difficultés rencontrées par ce dernier pour obtenir d’autres déclarations de témoins en Iran afin de corroborer la persécution étatique dont le demandeur et sa famille seraient victimes. Il était déraisonnable de la part de l’agent de laisser entendre que cette preuve n’avait aucune valeur probante dans ce dossier, en se fondant sur les raisons pour lesquelles elle a été présentée.

(3)  La lettre et les relevés d’emploi de l’épouse

[64]  Le demandeur a affirmé que depuis son audience devant la SPR, son épouse a été harcelée par l’État à plusieurs reprises et qu’elle a été rétrogradée. Pour appuyer cette affirmation, le demandeur a présenté une lettre et des relevés d’emploi de son épouse. Voici les conclusions de l’agent à propos de cette preuve :

[traduction]

Le demandeur a présenté une lettre de son épouse, non datée, accompagnée d’un affidavit du traducteur daté du 29 janvier 2014, ainsi que des relevés d’emploi et une évaluation médicale. Dans la lettre, son épouse affirme qu’elle est toujours harcelée par les autorités iraniennes et qu’elle doit comparaître devant le tribunal pour être interrogée et signer des documents afin de fournir des renseignements sur l’endroit où se trouve son époux. Tout d’abord, cette lettre a été traduite par la sœur du demandeur, Mahvash Moloughi, qui n’a pas démontré qu’elle est une traductrice agréée. Par conséquent, l’exactitude de la traduction ne peut être garantie. Deuxièmement, il manque des renseignements importants dans la lettre originale et dans la traduction, notamment le nom de l’auteur et la date à laquelle elle a été écrite. En outre, les faits et les événements liés au harcèlement dont elle a été victime de la part des autorités iraniennes, comme une sommation à comparaître devant le tribunal, n’ont pas été corroborés par des éléments de preuve objectifs. Pour ces motifs, j’accorde peu de valeur probante à ces observations.

En ce qui concerne la rétrogradation de l’épouse du demandeur en raison de sa situation, la preuve documentaire présentée à cet effet ne corrobore pas cette affirmation. Les deux relevés d’emploi soumis, datés respectivement de 2008 et de 2013, contiennent des renseignements comme le nom de son épouse, sa date de naissance, le titre de son poste ainsi que d’autres renseignements liés à son emploi. Sur l’un des documents, le salaire est clairement indiqué, alors que l’autre ne contient aucun renseignement à ce sujet. J’estime que ces documents ne contiennent pas de renseignements qui laissent entendre qu’elle a été rétrogradée ou que son changement de poste était directement lié à la situation de son époux. Par conséquent, je n’accorde aucune valeur probante à ces observations.

[65]  Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que les motifs invoqués par l’agent pour accorder peu de valeur probante à cette preuve sont déraisonnables, et ce, pour les raisons suivantes :

  • a) Mahvash n’est peut‑être pas une traductrice agréée, mais l’agent oublie qu’elle a souscrit un affidavit du traducteur, qui n’a pas été contredit, et qu’elle maîtrise l’anglais et le farsi.

  • b) Bien qu’il n’y ait pas de nom dans la traduction, il y a une signature dans l’original.

  • c) Il est difficile de déterminer quels sont les [traduction« éléments de preuve objectifs » qui seraient accessibles, selon l’agent, pour étayer l’allégation de harcèlement, et la lettre elle‑même indique que l’épouse du demandeur a été arrêtée [traduction« sans mandat ni documents officiels ». Comme l’a souligné le juge Rennie dans la décision Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 849 :

[6]  Des conclusions négatives ne peuvent être tirées du seul fait que le demandeur n’a pas produit de documents corroborants : Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12. Il est possible que la Commission ait cherché à effectuer son analyse de façon à ce que l’exception à ce principe s’applique, à savoir que le défaut de produire des documents corroborants doit être pris en compte lorsqu’elle rejette les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’a pas produit cette preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Si c’est le cas, elle aurait dû préciser la nature des documents qu’elle s’attendait à recevoir et tirer une conclusion à cet effet.

  • d) Le relevé d’emploi de 2008 de l’épouse indique qu’elle était [traduction« enseignante » à l’époque, alors que le relevé de 2013 indique qu’elle était [traduction« adjointe en technologie ». Il y a certainement un signe de rétrogradation, même s’il n’y a pas de lien direct avec la situation de son époux. Il s’agit d’un autre cas où l’évaluation par l’agent de la preuve par affidavit que le demandeur a présentée sur ce point devient problématique et déraisonnable.

[66]  Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’une évaluation juste ou raisonnable de cette preuve.

(4)  Les rapports psychiatriques

[67]  L’agent accorde peu de poids à la preuve psychiatrique concernant l’état de santé mentale du demandeur et de son épouse, au motif que cette preuve repose sur les déclarations du demandeur et que les médecins n’ont aucune connaissance directe des événements qui se seraient produits en Iran selon le demandeur.

[68]  Encore une fois, l’agent ne comprend pas l’importance de cette preuve. En effet, cette dernière corrobore la version du demandeur parce que les symptômes correspondent à ceux de personnes qui ont subi les mêmes épreuves que son épouse et lui‑même ont subies. Par exemple, la Dre Lisa Andermann constate que le demandeur souffre de symptômes de l’état de stress post‑traumatique qui sont [traduction« typiques d’une personne qui a été battue et torturée ». La médecin iranienne a indiqué que l’épouse du demandeur souffre d’anxiété et de dépression, ce qui corroborerait l’allégation selon laquelle elle aurait été victime de harcèlement de la part des autorités.

[69]  L’agent accorde peu de poids à cette preuve parce que les médecins n’ont aucune connaissance directe de ce que les autorités iraniennes ont fait au demandeur et à son épouse. Pourtant, les éléments de preuve n’ont pas été fournis dans le but de prouver que les médecins avaient une connaissance directe des événements. Les avis médicaux de ces médecins constituent une preuve circonstancielle valide, qui corrobore le récit du demandeur. L’agent semble indiquer qu’il n’acceptera et n’évaluera que la preuve directe, ce qui est déraisonnable, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 (Kanthasamy) :

Et même si elle ne [traduction] « conteste pas le rapport de la psychologue », l’agente conclut que l’opinion « repose essentiellement sur du ouï‑dire », car la psychologue « n’a pas été témoin des faits à l’origine de l’anxiété vécue par le demandeur ». Cette conclusion méconnaît une réalité incontournable, à savoir qu’un rapport d’évaluation psychologique comme celui soumis en l’espèce comporte nécessairement une part de « ouï‑dire ». Un professionnel de la santé mentale n’assiste que rarement aux événements pour lesquels un patient le consulte. La prétention selon laquelle la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne peut présenter que le rapport d’expert d’un professionnel qui a été témoin des faits ou des événements qui sous‑tendent ses conclusions est irréaliste et y faire droit entraînerait d’importantes lacunes dans la preuve. De toute manière, un psychologue n’a pas à être expert de la situation dans un pays en particulier pour donner son opinion sur les conséquences psychologiques probables d’un renvoi du Canada.

[70]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême était saisie d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais des considérations similaires doivent certainement s’appliquer en l’espèce.

(5)  La délivrance du passeport

[71]  L’agent affirme que le demandeur n’a pas démontré qu’il correspond au profil d’une personne qui serait considérée comme un opposant au régime iranien et qu’il [traduction« n’a pas démontré qu’il présente un intérêt particulier pour les autorités iraniennes, ni indiqué qu’il a quitté l’Iran illégalement ».

[72]  Pour en arriver à cette conclusion, l’agent souligne ce qui suit :

[traduction]

Au contraire, je constate que le demandeur s’est vu délivrer un passeport en novembre 2009, soit après les faits ou les événements allégués. D’après les documents que j’ai consultés, s’il avait présenté un intérêt pour les autorités iraniennes, il aurait été difficile pour lui d’obtenir un passeport et l’autorisation de quitter le pays. Pour ces raisons, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne pouvait être perçu comme un opposant au régime iranien.

[73]  L’agent semble s’appuyer sur un rapport sur le pays figurant au dossier du demandeur, aux pages 329 à 417 (voir le lien fourni dans le dossier du demandeur, ERAR et motifs, à la page 16). Toutefois, au point 6.2 du même rapport, il est dit :

[traduction]

Bien que la loi ne permette pas aux personnes faisant l’objet d’accusations criminelles de quitter le pays par les voies officielles, dans les faits, depuis 2009, les autorités semblent avoir levé ces restrictions afin de permettre à ces personnes de quitter l’Iran.

Pour ce qui est de déterminer si une personne ayant participé à des manifestations pourrait quitter le pays, une ambassade occidentale (3) a déclaré qu’il est possible que des manifestants connus soient parvenus à quitter le pays légalement et que ce pourrait être le cas si les autorités veulent simplement s’en débarrasser.

[74]  L’agent ne tient tout simplement pas compte de cette possibilité, puisque celle‑ci est contraire à ses propres conclusions. Il s’agit là d’une erreur susceptible de révision. Voir la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17.

[75]  De plus, en se fondant sur ce rapport, l’agent n’a pas agi d’une manière équitable sur le plan de la procédure. Le rapport examiné semble être un document que l’agent a consulté unilatéralement sur Internet.

[76]  Dans la décision Osama Fi c Canada (Citoyenneté et de Immigration), 2006 CF 1125, la Cour a conclu ce qui suit :

8  Premièrement, l’agent d’ERAR a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale dans le cadre de la décision qu’il a rendue en rapport avec sa demande de protection. Les principes mentionnés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(C.A.), [1998] 3 C.F. 461, paragraphe 27, sont applicables en l’espèce. Il est clair que l’agent d’ERAR a consulté la preuve documentaire extrinsèque pertinente qu’il a trouvée sur Internet et à l’égard de laquelle le demandeur n’a jamais eu la possibilité de faire aucun commentaire. Une telle utilisation unilatérale d’Internet est injuste (Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 260 F.T.R. 155, 2004 CF 1414, paragraphes 17 et 18).

E.  La demande d’asile sur place

[77]  Le demandeur soulève également des questions concernant la façon dont l’agent a évalué sa demande d’asile sur place. Je suis d’accord avec le demandeur, mais compte tenu des erreurs que j’ai déjà relevées ci‑dessus, il est clair, selon moi, que la décision en cause est dangereuse et déraisonnable et qu’elle devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, et ce, même si aucune erreur n’a été commise lors de l’analyse de la demande d’asile sur place.

IX.  CERTIFICATION

[78]  Les parties sont d’avis qu’il n’y a aucune question à certifier en l’espèce et j’en conviens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2676‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17jour de mai 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2676‑18

 

INTITULÉ :

ALI MOWLOUGHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 mars 2019

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Cabinet spécialisé en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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