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Date : 20190304

Dossier : IMM‑3293‑18

Référence : 2019 CF 265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2019

En présence du juge en chef

ENTRE :

WENJIE HUANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente instance soulève une question importante, soit de savoir s’il est raisonnable qu’un agent d’immigration rejette une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire après avoir mis en doute le point de vue d’une demanderesse mineure, à l’esprit mûr, sur son intérêt supérieur.

[2]  À mon avis, le fait que l’agent ait mis en doute le point de vue de Mlle Huang à cet égard était déraisonnable, car cela était fondé sur des conjectures et touchait à l’essentiel de sa demande.

[3]  L’agent a également commis une erreur en omettant de prendre en compte d’importantes considérations d’ordre humanitaire de nature prospective.

[4]  La décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de Mlle Huang fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est donc infirmée et renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

II.  Le contexte

[5]  Mlle Huang est une citoyenne chinoise âgée de 19 ans, qui vit en Chine. Elle a été abandonnée quand elle n’était âgée que de quelques jours et elle a plus tard été trouvée dans la rue par Mme Yuling Luo, qui l’a élevée comme si elle était son propre enfant.

[6]  Mme Luo n’a jamais adopté officiellement Mlle Huang, parce qu’elle ne répondait pas à l’exigence légale selon laquelle un parent adoptif devait être âgé d’au moins 30 ans au moment où elle avait commencé à prendre soin de l’enfant.

[7]  En 2007, quand Mlle Huang était âgée de 10 ans, Mme Luo a immigré au Canada en compagnie de son époux et de sa fille, née de leur union. Suivant les conseils de son époux, Mme Luo n’a pas déclaré Mlle Huang dans sa demande d’immigration.

[8]  En 2010, Mme Luo a divorcé d’avec son époux. Deux ans plus tard, elle a entrepris une nouvelle relation avec M. Anthony Wang, avec lequel elle a eu deux enfants, aujourd’hui âgés de cinq ans et de trois ans, respectivement. La fille de Mme Luo, née de son premier mariage et âgée de 12 ans, vit aussi avec eux.

[9]  Après le départ de Mme Luo pour le Canada, Mlle Huang a été confiée aux soins des autres membres de la famille de Mme Luo qui vivaient en Chine, pendant un certain nombre d’années, avant qu’elle emménage chez l’une des amies de Mme Luo et s’installe finalement dans un appartement acheté par cette dernière et où elle vit seule depuis 2014.

[10]  En 2013, Mlle Huang a présenté, sans succès, une demande de visa d’étudiant au Canada.

[11]  En 2016, environ deux mois avant son 18e anniversaire, Mlle Huang a présenté au Canada une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Cette demande a été parrainée par Mme Luo. À la même époque, Mlle Huang a aussi demandé la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il semble qu’elle ait présenté cette dernière demande en reconnaissance du fait qu’elle ne pouvait pas répondre à la définition d’un « enfant à charge » que comporte l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227), ce qui était exigé pour qu’elle soit considérée comme membre de la catégorie du regroupement familial.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle (la décision)

[12]  Au début de la décision, l’agent a conclu que Mlle Huang n’était pas l’enfant biologique de Mme Luo, pas plus que cette dernière ne l’avait officiellement adoptée. Il a donc rejeté la demande de Mlle Huang dans la catégorie du regroupement familial. Cette dernière ne conteste pas cette décision ni les conclusions sur lesquelles elle repose.

[13]  Pour ce qui est de la demande de Mlle Huang fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a considéré que la relation que cette dernière entretenait avec Mme Luo était un [traduction« important facteur favorable ». Il a toutefois rejeté la demande en se fondant sur les [traduction« facteurs défavorables » suivants :

  1. Le fait que Mlle Huang aurait à suivre une formation officielle en anglais entraînerait une interruption de ses études;

  2. Mme Luo et M. Wang semblaient ne pas être bien préparés à offrir le degré de soutien dont Mlle Huang aurait besoin pour poursuivre ses études et s’intégrer au Canada, en partie parce qu’ils élevaient trois jeunes enfants, et en partie parce que M. Wang travaillait à temps plein;

  3. Mlle Huang risquait d’être isolée sur le plan social au Canada, compte tenu surtout de son manque de connaissance de la langue anglaise ou française;

  4. Compte tenu des facteurs susmentionnés, les problèmes de dépression, de sommeil et, peut‑être, de consommation abusive d’alcool de Mlle Huang pouvaient s’aggraver, et non s’améliorer, si elle déménageait au Canada;

  5. Il n’était pas dans l’intérêt supérieur des trois jeunes enfants de Mme Luo que l’on fasse venir dans leur foyer une personne qui souffrait de dépression, qui avait de la difficulté à dormir et qui avait peut‑être un problème de consommation abusive d’alcool.

IV.  La question en litige et la norme de contrôle

[14]  La seule question que soulève la présente demande est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[15]  Pour décider si une décision est raisonnable, la Cour s’attache généralement à déterminer si cette décision est suffisamment intelligible, transparente et justifiée. À cet égard, sa tâche consiste à comprendre les motifs qui sous-tendent la décision et à déterminer si celle-ci appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. Une décision qui a un « fondement rationnel » appartient habituellement à cette catégorie : Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 47.

[16]  Vu la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » des décisions rendues au titre de l’article 25 de la LIPR, les agents d’immigration disposent habituellement d’un large éventail d’issues acceptables pouvant se justifier : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), au paragraphe 61; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 84.

V.  Analyse

A.  Le critère applicable à la dispense pour considérations d’ordre humanitaire

[17]  L’article 25 de la LIPR offre une dispense exceptionnelle par rapport à ce qui serait, par ailleurs, l’application régulière de cette loi. Pour obtenir cette dispense, il incombe au demandeur d’établir des circonstances qui sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), au paragraphe 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 IAC 338, à la page 350.

[18]  Pour satisfaire à ce critère, il ne suffit pas d’établir simplement l’existence réelle ou probable de malheurs, par rapport aux citoyens canadiens et aux résidents permanents du Canada. Il s’agit là d’une situation que l’on pourrait voir facilement établie par la plupart des personnes qui sont frappées d’une mesure de renvoi ou qui vivent dans un pays où les normes de vie sont nettement inférieures à celle dont on jouit au Canada. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada : « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans le même ordre d’idées, le fait de vivre à l’étranger et de demander, sans succès, une dispense pour considérations d’ordre humanitaire comportera forcément son lot de difficultés.

[19]  L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres [...], à cause de certaines circonstances » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.

[20]  Autrement dit, la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire doit « établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada » ou être autorisée à obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire depuis l’étranger : Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 90. Il s’agit juste d’une autre façon de dire que la personne qui demande une telle dispense doit faire la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle, par rapport à d’autres personnes qui demandent la résidence permanente depuis le Canada ou l’étranger : Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, aux paragraphes 49 et 57; Kanguatjivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 327, au paragraphe 67.

[21]  Je suis conscient que, dans la décision Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762, au paragraphe 23, la Cour a laissé entendre que ce serait une erreur de rejeter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au motif de l’absence de circonstances « exceptionnelles » ou « extraordinaires ». Dans la mesure où cet énoncé est incompatible ou en conflit avec les principes cités aux paragraphes 19 et 20 qui précèdent, de même qu’avec d’autres précédents qui peuvent être interprétés de manière raisonnable comme ayant adopté une approche semblable, je suis d’avis qu’il ne reflète pas de manière exacte l’état actuel du droit : voir, par exemple, Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, aux paragraphes 25 et 26; L E c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 930, aux paragraphes 37 et 38; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1281, au paragraphe 31; Brambilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1137, aux paragraphes 14 et 15; Sibanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 806, aux paragraphes 19 et 20; Jani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1229, au paragraphe 25; Ngyuen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 29.

[22]  En l’absence de toute obligation de faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont d’une importance supérieure à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent le statut de résident permanent dans notre pays, l’article 25 risquerait de devenir le régime d’immigration parallèle que la Cour suprême du Canada a explicitement cherché à éviter : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans la mesure où cela rehausserait également le degré de subjectivité présent dans l’application de l’article 25 et la divergence entre les décideurs, on pourrait également s’attendre à ce que cette disposition amoindrisse la certitude et la prévisibilité de la LIPR, et, à terme, la confiance du public envers cette dernière.

[23]  Pour apprécier si un demandeur a établi l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’exercice favorable du pouvoir discrétionnaire que confère l’article 25 de la LIPR, tous les faits et facteurs pertinents qu’avance le demandeur doivent être pris en compte et soupesés : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 25. À cet égard, les mots «difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » doivent être considérés comme instructifs, mais non décisifs : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 33.

[24]  Toutefois, « comme “[l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés”, la notion de “difficultés inhabituelles et injustifiées” ne saurait généralement s’appliquer aux difficultés alléguées par un enfant à l’appui de sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 41, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 (Hawthorne), au paragraphe 9. Il faut plutôt que l’appréciation de l’intérêt supérieur d’un tel demandeur, et d’autres enfants directement touchés, soit hautement contextuelle et sensible à l’âge, à la capacité, aux besoins et au degré de maturité de chaque enfant. Bien que l’intérêt supérieur d’un enfant doive être « bien identifié » et qu’il faille lui accorder « un poids considérable », ces aspects ne sont pas forcément déterminants et peuvent être supplantés par d’autres facteurs : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 35, ainsi qu’aux paragraphes 38 et 39.

[25]  Pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut que les opinions de ce dernier soient « dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité »; arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 48; Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, RT Can 1992 no 3 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990 et ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991), à l’article 12.

B.  Appréciation

[26]  Mlle Huang soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent s’est livré à des conjectures au sujet de son intérêt supérieur et a omis de traiter des avantages qui découleraient du fait d’être réunie avec sa mère de facto au Canada. Je suis d’accord.

[27]  Dans la décision, le seul facteur que l’agent a qualifié de [traduction] « favorable » dans l’appréciation de la demande de Mlle Huang est la relation que cette dernière entretenait avec Mme Luo. À cet égard, les notes de l’agent, qui font partie de la décision, reconnaissent le lien étroit qui existe entre Mme Luo et Mlle Huang ainsi que le fait que cette dernière était un membre de facto de la famille de Mme Luo quand celle‑ci a immigré au Canada en 2007. Ces notes reconnaissent également que Mme Luo a fait de son mieux pour subvenir à distance aux besoins de Mlle Huang et que, en Chine, des membres de la famille élargie et des amis de Mme Luo ont soutenu Mlle Huang. De plus, les notes indiquent que cette dernière souffre de l’absence de Mme Luo depuis 2007 et que les deux ont été affectées par leur séparation prolongée, comme en témoigne, notamment, le fait de subir une douleur et une tristesse qu’il est [traduction« impossible de faire disparaître ».

[28]  L’agent a toutefois omis d’apprécier un certain nombre d’autres facteurs qui, considérés de pair avec les autres circonstances auxquelles sont confrontées Mlle Huang et Mme Luo, pourraient fort bien « inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 44. Ces circonstances comprennent ce qui suit :

  1. la souffrance et la douleur constantes dont Mlle Huang et Mme Luo ont toutes deux fait état de manière assez détaillée, lors de leurs entretiens avec l’agent ainsi que dans les documents présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et qu’elles décrivent comme attribuables à leur séparation;

  2. le sentiment d’aliénation que ressent Mlle Huang, qui a été abandonnée dans une boîte juste peu après sa naissance et qui se trouve maintenant séparée de [traduction« la seule personne au monde sur laquelle [elle peut] compter »;

  3. le fait que Mlle Huang [traduction« retrouverait la famille qu’elle a perdue », si on lui accordait la résidence permanente au Canada.

[29]  De plus, l’agent a rejeté sommairement la preuve selon laquelle Mlle Huang souffre de dépression et d’insomnie, et le fait que ces deux états soient attribuables à sa séparation d’avec sa mère. L’agent l’a fait après avoir signalé qu’aucune preuve n’avait été fournie pour montrer que l’on pouvait s’attendre à ce que ces deux états s’améliorent au Canada. Considéré isolément, cela n’est pas nécessairement déraisonnable. Toutefois, dans le contexte général décrit plus tôt et ci‑après, la manière dont l’agent a traité cette preuve a contribué à une analyse qui ne représentait pas le genre d’appréciation globale et cumulative qui était exigée : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 28.

[30]  Plus important encore, l’agent a semblé attacher une grande importance à ce qui était, selon son hypothèse, l’intérêt supérieur de Mlle Huang, même si cette dernière avait indiqué très clairement que, selon elle, cet intérêt supérieur résidait dans le fait d’être réunie avec Mme Luo au Canada. À cet égard, l’agent a émis l’hypothèse que l’incapacité de Mlle Huang à s’exprimer en anglais ou en français, son [traduction« isolement social potentiel » et l’interruption de ses études [traduction« rendront la situation pire, et non meilleure » pour elle, et qu’il ne serait donc pas dans son intérêt supérieur que l’on fasse droit à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Étant donné qu’au moment du dépôt de sa demande, il restait environ deux mois avant que Mlle Huang atteigne l’âge de 18 ans et que celle-ci avait presque 19 ans au moment où l’agent a évalué le dossier, je considère qu’il a mis en doute de manière déraisonnable le point de vue d’une personne à l’esprit mûr sur son propre intérêt supérieur. Il est parfaitement compréhensible que, dans certaines circonstances, un agent d’immigration puisse adopter un point de vue différent de celui d’un jeune enfant ou du parent ou répondant de cet enfant quant à son intérêt supérieur, mais cela s’applique moins quand l’enfant est âgé de près de 18 ans au moment du dépôt de sa demande. Compte tenu des faits très particuliers de l’espèce, cela était déraisonnable.

[31]  À mon avis, pour être « réceptif, attentif et sensible » comme il se doit à l’intérêt supérieur d’un demandeur invoquant des considérations d’ordre humanitaire, auquel il ne reste que quelques mois avant de devenir adulte (arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 38), il convient d’accorder une grande importance au point de vue personnel de cette personne quant à son intérêt supérieur. Cela ne veut pas dire qu’un agent doit s’incliner devant le point de vue d’une personne mineure et à l’esprit mûr à cet égard. Il est toutefois déraisonnable qu’un agent substitue son propre point de vue conjectural et non corroboré à celui d’un demandeur à l’esprit mûr.

[32]  J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer, au sujet des aptitudes linguistiques de Mlle Huang, que, bien que cette dernière ait décidé d’être interrogée par l’agent avec l’assistance d’un interprète, le dossier certifié du tribunal contient une preuve de relevés de notes indiquant que Mlle Huang a une certaine connaissance de l’anglais.

[33]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure (i) que Mme Luo et M. Wang ne pourraient offrir qu’un soutien restreint à Mlle Huang et (ii) qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de leurs trois jeunes enfants qu’elle s’installe dans leur foyer au Canada. Je suis d’accord. En fait, si son analyse avait été par ailleurs raisonnable, il n’aurait pas été nécessairement déraisonnable que l’agent fonde la décision sur ces deux conclusions. Cependant, la décision de l’agent n’était pas par ailleurs raisonnable.

VI.  Conclusion

[34]  Pour les motifs énoncés plus haut, la présente demande est accueillie.

[35]  À la fin de l’audition de la présente demande, les parties ont indiqué qu’il ne ressortait aucune question grave de portée générale des faits ainsi que des questions qui étaient en litige en l’espèce. Je suis d’accord. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3293‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande est accueillie;

  2. qu’il n’y a aucune question en vue de la certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


ANNEXE 1 — Législation applicable

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

Regroupement familial

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

Family reunification

12 (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common‑law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227) :

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[...]

Interpretation

2 The definitions in this section apply in these Regulations.

[...]

enfant à charge L’enfant qui :

dependent child, in respect of a parent, means a child who

a) d’une part, par rapport à l’un de ses parents :

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

(ii) is the adopted child of the parent; and

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(i) is less than 22 years of age and is not a spouse or common-law partner, or

(ii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus et n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents depuis le moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans, et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental. (dependent child)

(ii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before attaining the age of 22 years and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition. (enfant à charge)

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑3293‑18

INTITULÉ :

WENJIE HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JANVIER 2019

juGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Mary Keyork

POUR LA DEMANDERESSE

 

Guillaume Bigaouette

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Keyork Professional Corporation

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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