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Date : 20190304


Dossier : IMM‑2631‑18

Référence : 2019 CF 263

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

XIAOWEI ZHUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 mai 2018, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

Le contexte

[2] Le demandeur, Xiaowei Zhuang, est un citoyen de la Chine. Il prétend qu’il est chrétien et qu’il a commencé à fréquenter une maison‑église en décembre 2015 dans la province du Zhejiang, où il étudiait. Deux membres de cette église ont été arrêtés le 8 janvier 2017 pendant qu’ils distribuaient des brochures religieuses. Le chef de l’église a alors conseillé au demandeur d’aller se cacher. Le 9 janvier 2017, des représentants du Bureau de la sécurité publique [le PSB], qui étaient à sa recherche, se sont rendus à l’appartement qu’il louait au Zhejiang ainsi qu’au domicile de ses parents au Fujian. Le 11 janvier 2017, une citation à comparaître à son intention a été laissée au domicile de ses parents. Le demandeur a quitté la Chine le 7 février 2017 avec l’aide d’un passeur. Il est arrivé au Canada à cette date et a présenté une demande d’asile environ trois mois plus tard.

[3] La SPR a rejeté sa demande d’asile dans une décision rendue le 13 juillet 2017. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi qu’il était recherché par le PSB. De plus, s’il souhaitait reprendre ses activités religieuses à son retour en Chine, il le pourrait. La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas appuyé sa demande d’asile sur des éléments de preuve crédibles et dignes de foi et qu’il n’avait pas établi l’élément principal de sa demande, à savoir qu’il était recherché par le PSB en raison de ses activités dans une maison‑église.

[4] Le demandeur a interjeté appel de la décision défavorable de la SPR auprès de la SAR. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et a rejeté l’appel. La décision de la SAR fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[5] Devant la SAR, le demandeur a affirmé que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a apprécié sa crédibilité. La SAR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce qu’il avait attendu trois mois avant de présenter une demande d’asile au Canada. La SAR a plutôt souscrit à la conclusion de la SPR voulant que l’explication fournie par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait attendu avant de présenter une demande d’asile au Canada n’était pas raisonnable. La SAR a également examiné les observations du demandeur et les documents sur la situation dans le pays relativement aux lois et aux mesures de contrôle applicables aux entrées et aux sorties de la Chine. La SAR était d’accord avec la SPR pour dire que l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait pu quitter la Chine sans incident en utilisant son passeport authentique grâce à l’aide d’un passeur, et ce, en dépit de toutes les mesures de sécurité en place, n’était pas crédible. La SAR était également d’accord avec la SPR pour dire que cette affirmation atténuait la crédibilité des allégations du demandeur selon lesquelles il était recherché par les autorités chinoises.

[6] Le demandeur a également soutenu que la SPR a commis une erreur en concluant que ses éléments de preuve documentaires – une citation à comparaître et un avis de congédiement – étaient frauduleux. La SAR a convenu que la citation à comparaître et la lettre de congédiement étaient des éléments centraux de sa demande d’asile et que la SPR avait omis d’apprécier chacun de ces documents de façon indépendante. Cependant, après avoir examiné elle‑même ces documents, la SAR a conclu que la citation à comparaître n’était pas coercitive et que, compte tenu des allégations du demandeur selon lesquelles il était encore recherché par le PSB, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une citation à comparaître coercitive ait été délivrée lorsque le demandeur ne s’est pas présenté à l’interrogatoire. De plus, la structure et le format de la citation à comparaître n’étaient pas conformes au spécimen fourni dans le cartable national de documentation [le CND], et il est facile de se procurer des documents frauduleux en Chine. Compte tenu de ces faits, ainsi que de la capacité du demandeur à quitter la Chine même si une citation à comparaître avait prétendument été délivrée à son encontre, la SAR a conclu que la citation à comparaître n’était pas authentique. Par conséquent, la SAR a également conclu que la lettre de congédiement était frauduleuse.

[7] La SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, le principal élément de sa demande d’asile, à savoir qu’il était recherché par les autorités parce qu’il avait participé aux activités d’une maison‑église.

[8] La SAR a ensuite examiné l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a apprécié sa liberté de religion en Chine. La SAR a mentionné qu’elle a examiné le dossier et qu’elle est d’accord avec la SPR sur le fait que le demandeur pourrait pratiquer sa religion dans une congrégation de son choix s’il retournait en Chine. Elle a conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il a un quelconque profil de chrétien d’importance et qu’aucun élément de preuve crédible ne démontre qu’il se livrait au prosélytisme en Chine. Après avoir examiné la situation des chrétiens en Chine, et plus particulièrement dans la province du Fujian, la SAR a établi qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait en Chine et s’il choisissait de pratiquer sa religion dans une église non enregistrée.

[9] La SAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté et, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas non plus exposé personnellement à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture s’il retournait en Chine. Par conséquent, il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Conformément à l’alinéa 111(1)a) de la LIPR, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[10] Après avoir examiné les questions soulevées par le demandeur, j’estime que la question de savoir si la décision de la SAR était raisonnable recoupe toutes ces questions. La Cour applique la norme de la décision raisonnable dans son examen des conclusions de la SAR quant à la crédibilité (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 au para 23) et dans son appréciation de la preuve (Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629 au para 29; Kindu Lukombo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 126 au para 5). Dans une procédure de contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

Analyse

La citation à comparaître et la lettre de congédiement

[11] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur de fait, car elle a confondu les conséquences de la non‑conformité à une citation à comparaître en matière de sécurité publique. Le demandeur renvoie à la réponse à la demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada no CHN104188.EF, datée du 30 novembre 2012, dans laquelle une chercheuse invitée a affirmé qu’il existe trois types de citations à comparaître en Chine : les citations à comparaître en matière de sécurité publique, les citations à comparaître en matière criminelle et les citations à comparaître coercitives. Les citations à comparaître en matière de sécurité publique sont délivrées par les organes de sécurité publique aux personnes qui violent la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité de la République populaire de Chine, ou toute loi ou tout règlement qui régit l’administration de la sécurité publique. Les citations à comparaître en matière criminelle sont signifiées par les tribunaux populaires, les parquets et les organes de sécurité publique ou étatique aux personnes soupçonnées d’avoir commis un acte criminel ou aux défendeurs qu’il n’est pas nécessaire de placer en détention avant procès, mais qui doivent comparaître devant les tribunaux ou être interrogés par le parquet, la police ou les organes de sécurité de l’État. Les citations à comparaître coercitives sont signifiées par les tribunaux populaires, les parquets et les organes de sécurité publique et étatique aux personnes qui ne se conforment pas aux citations à comparaître en matière criminelle. Tout suspect qui néglige de se conformer à une citation à comparaître en matière de sécurité publique se verra limité dans ses actions et forcé de se conformer, tandis que le défaut de se conformer à une citation à comparaître en matière criminelle donne automatiquement lieu à la délivrance d’une citation à comparaître coercitive.

[12] En l’espèce, il est écrit au recto de la citation à comparaître qui a été délivrée que, conformément à l’article 82 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité de la République populaire de Chine, le demandeur est sommé de comparaître afin d’être interrogé par l’équipe de la sécurité publique de la ville de Fuquing au sujet de ses activités religieuses clandestines illégales. Une copie de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité de la République populaire de Chine se trouve au point 1.4 du CND. En voici un extrait :

[traduction]

Article 82 Lorsqu’il est nécessaire de citer à comparaître un contrevenant à l’administration de la sécurité publique pour qu’il se présente à l’interrogatoire, une fois que la personne responsable du service de traitement des cas de l’organe de sécurité publique a donné son approbation, une citation à comparaître doit être présentée pour le citer à comparaître. Lorsqu’un contrevenant à l’administration de la sécurité publique est pris sur le fait, les policiers peuvent, après avoir vu son certificat de travail, le citer à comparaître de vive voix, mais ils doivent donner des notes explicatives dans la transcription de l’interrogatoire.

Les organes de sécurité publique doivent informer la personne citée à comparaître des motifs qui sous‑tendent la citation à comparaître. Une personne qui refuse d’accepter une citation à comparaître sans motifs raisonnables ou qui essaie de s’en soustraire peut être citée à comparaître de force.

[13] Toutefois, dans ses motifs, la SAR affirme que l’article 82 mentionne expressément que quiconque se soustrait à une citation à comparaître peut recevoir une citation à comparaître obligatoire. Je constate que la SAR a ensuite conclu que le demandeur n’avait pas reçu de citation à comparaître coercitive même s’il ne s’était pas présenté comme il le devait. De plus, compte tenu de l’allégation du demandeur selon laquelle le PSB était encore à sa recherche, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que, si une citation à comparaître coercitive avait été délivrée, sa famille l’aurait avisé. La SAR a conclu que l’absence d’une citation à comparaître obligatoire mine l’authenticité de la citation à comparaître déposée par le demandeur.

[14] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas fait d’erreur dans son analyse de la citation à comparaître. Il affirme que la SAR a mal cité la référence invoquée pour étayer sa conclusion lorsqu’elle a fait référence au point 9.14 du CND. Pour étayer ce point de vue, le défendeur a déposé l’affidavit souscrit le 1er août 2018 par Dana Salmon, adjointe juridique au ministère de la Justice, auquel a été annexé comme pièce A un extrait de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité de la République populaire de Chine, qui a été tiré du site Web de l’Assemblée populaire nationale le 2 décembre 2016 [l’affidavit Salmon]. Dans cet affidavit, l’article 82 mentionne que quiconque refuse d’accepter une citation à comparaître sans donner de motifs valables pourrait se voir délivrer une citation à comparaître obligatoire.

[15] Il est possible que la SAR se soit appuyée sur le document que le défendeur dépose maintenant devant la Cour sous le nom d’affidavit Salmon. Toutefois, la version de l’article 82 qui a été reproduite dans l’affidavit Salmon ne figure pas dans le dossier dont disposait la SAR ni dans le CND. De plus, la SAR n’avait pas informé le demandeur qu’elle entendait s’appuyer sur des éléments de preuve extrinsèques. Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a reconnu ce problème et a mentionné qu’il ne souhaitait plus s’appuyer sur l’affidavit Salmon. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la question de savoir si la SAR s’est appuyée sur ce document et, le cas échéant, si ce document aurait dû être transmis au demandeur (Mancia c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF); Ahmed c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 471 au para 27; Bradshaw c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 632 aux para 62‑70). Au contraire, en l’absence de l’affidavit Salmon, il en résulte que la conclusion de la SAR selon laquelle une citation à comparaître coercitive aurait dû être délivrée en vertu de l’article 82 ne s’appuie pas sur la version de cet article dont la SAR disposait, et en l’absence de tout autre élément de preuve au dossier pour appuyer la conclusion de la SAR, cette conclusion est déraisonnable.

[16] La SAR a également conclu que la citation à comparaître n’était pas authentique en s’appuyant sur le point 9.10 du CND, qui renvoie à une réponse à une demande d’information datée du 18 octobre 2013 traitant des spécimens de citations à comparaître et d’assignations à témoigner en Chine. Dans ce document, une source rapporte que le format des citations à comparaître et des assignations à témoigner est le même depuis 2003, que ces formulaires sont censés être utilisés partout au pays, et qu’il ne devrait y avoir aucune variante régionale. La SAR a comparé la citation à comparaître déposée par le demandeur au spécimen de citation à comparaître figurant en annexe à cette réponse à une demande d’information et a conclu que la structure et le format n’étaient pas conformes à ceux du spécimen. Plus précisément, le nom de la personne concernée n’est pas précédé d’un [traduction] « identifiant », le [traduction] « caractère » qui précède le nombre 30 est à la deuxième ligne au lieu d’être à la troisième ligne de la citation à comparaître, et l’espacement des trois lignes inférieures du document ne correspond pas à celui du spécimen.

[17] Les divergences au vu d’un document produit par un demandeur, par rapport aux spécimens contenus dans le CND, pourraient constituer, en totalité ou en partie, des motifs suffisants pour conclure qu’un document produit n’est pas authentique (voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 668 aux para 44‑47 [Wang]), et il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation, par la SAR, de ce type de documents (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 736 au para 20c. [Liu]). Je constate que, dans les affaires Wang et Liu, la SAR avait exprimé des réserves semblables lorsqu’elle a apprécié l’authenticité d’une citation à comparaître par rapport à un spécimen contenu dans le CND et que la Cour a conclu que les conclusions tirées par la SAR à l’issue de son appréciation étaient raisonnables. En l’espèce, lorsqu’elle a apprécié l’authenticité de la citation à comparaître, la SAR a également tenu compte du fait que le demandeur a pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport même si une citation à comparaître avait prétendument été délivrée à son encontre. De plus, la SAR a fait remarquer que les documents frauduleux sont répandus en Chine. Il était loisible à la SAR de tenir compte de la prévalence des documents frauduleux pour en arriver à sa conclusion (voir Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1151 au para 23 [Tan]).

[18] Puisqu’elle avait conclu que la citation à comparaître était frauduleuse, la SAR n’a pas non plus accordé de poids à la lettre de congédiement du demandeur, car il y était mentionné que le demandeur avait reçu un avis du PSB l’accusant d’avoir enfreint la loi en prenant part à des activités religieuses clandestines. Ayant conclu que la citation à comparaître était frauduleuse, la SAR a également conclu que la lettre était frauduleuse.

[19] À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que la citation à comparaître et la lettre de congédiement étaient frauduleuses. De plus, bien que la SAR ait conclu déraisonnablement qu’une citation à comparaître coercitive aurait dû être délivrée, comme l’a reconnu le demandeur, la question déterminante était la capacité du demandeur à quitter la Chine.

Le départ de la Chine

[20] La SAR a pris note de la preuve produite par le demandeur pour démontrer que le PSB le recherchait, que deux membres de son église avaient été arrêtés et qu’une citation à comparaître avait été délivrée à son encontre. Dans ces circonstances, la SAR a conclu que, si le demandeur avait été recherché par les autorités chinoises, il n’était pas crédible qu’il ait pu quitter la Chine sans difficulté en utilisant son propre passeport authentique compte tenu des mesures de sécurité en place, et ce, même si son passeur avait versé un pot‑de‑vin comme l’avait affirmé le demandeur. Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a examiné les éléments de preuve documentaires, qui comprennent : l’article 10 de la loi sur la gestion des entrées et des sorties, qui exige que les citoyens chinois voyageant entre la Chine continentale et Hong Kong présentent une demande de visas d’entrée et de sortie; des éléments de preuve documentaires sur le projet Bouclier d’or, qui prévoit de nombreux mécanismes de repérage et de contrôle; des éléments de preuve concernant l’utilisation de Policenet; et des éléments de preuve concernant la technologie de reconnaissance faciale utilisée dans les aéroports en Chine. La SAR a également tenu compte du fait que le dossier renfermait des éléments de preuve démontrant que la corruption sévissait en Chine, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir que cette corruption s’étendait à l’appareil de sécurité dans les aéroports. La SAR a affirmé que, bien qu’un passeur puisse contourner certains contrôles de sécurité, il était peu probable, selon la preuve au dossier, qu’un passeur ait réussi à contourner tous les contrôles de sécurité. La SAR a conclu que les éléments de preuve qu’avait produits le demandeur pour démontrer qu’il pouvait quitter la Chine en utilisant son propre passeport n’étaient pas compatibles avec la preuve documentaire, et que la SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur avait pu quitter le pays parce qu’il n’était pas recherché par les autorités.

[21] Le demandeur soutient que la jurisprudence de la Cour est divisée, mais qu’il est de jurisprudence constante que chaque cas de départ de la Chine repose sur ses propres faits et ses propres éléments de preuve. À mon avis, c’est précisément ce que la SAR a fait en l’espèce. Le demandeur ne conteste pas les conclusions de la SAR en laissant entendre qu’elles ne reposent pas sur les faits et les documents sur la situation dans le pays, mais il renvoie plutôt à une analyse faite dans la décision Hunag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, au paragraphe 68. Cependant, une analyse faite dans une autre décision qui n’a aucun lien avec les faits et les motifs sur lesquels s’est appuyée la SAR en l’espèce n’établit pas que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables. En outre, bien que ce ne soit pas un facteur déterminant dans tous les cas, la Cour a statué que le fait de franchir sans entrave les points de contrôle de sortie en Chine peut être incompatible avec le fait d’être recherché par les autorités chinoises et peut mener de façon raisonnable à des conclusions défavorables quant à la crédibilité (Tan au para 21). Je ne souscris pas non plus à l’argument du demandeur selon lequel la SAR a tiré une conclusion d’invraisemblance, car la plus forte concentration de représentants du gouvernement qui acceptent des pots‑de‑vin travaillent dans d’autres services que le service de la sécurité aéroportuaire. La SAR a fondé sa conclusion sur l’absence d’une preuve objective suffisante démontrant que la corruption s’étend à l’appareil de sécurité dans les aéroports. Le demandeur n’a cité aucun élément de preuve démontrant le contraire dont la SAR n’a pas tenu compte.

[22] À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que le demandeur a pu quitter la Chine en utilisant son passeport authentique parce qu’il n’était pas recherché par les autorités et que ce fait a atténué la crédibilité de ses allégations. Le demandeur cherche simplement à faire examiner à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour (Khosa au para 51).

[23] Je ne souscris pas non plus à l’argument du demandeur selon lequel il était déraisonnable que la SAR n’ait pas accepté l’explication qu’il avait fournie pour expliquer pourquoi il avait attendu trois mois avant de présenter une demande d’asile, et selon lequel il était déraisonnable qu’elle ait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en s’appuyant sur ce retard. Pour étayer son point de vue, le demandeur renvoie à la décision Gurung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1097, au paragraphe 21, dans laquelle est maintenu le principe qu’un petit retard à présenter une demande d’asile ne peut être déterminant quant à une revendication du statut de réfugié. Cependant, comme le signale le défendeur, selon la décision Gurung, un retard à présenter une demande d’asile peut constituer un facteur pertinent pour conclure qu’un demandeur n’a pas la crainte subjective nécessaire, mais un tel retard ne peut automatiquement justifier une conclusion d’absence de crainte subjective. Les circonstances et les explications possibles du retard doivent plutôt être prises en compte. Je suis d’avis que c’est ce qu’a fait la SAR et, bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec la conclusion de la SAR, ses conclusions étaient raisonnables.

La liberté de pratiquer le christianisme en Chine

[24] La SAR a conclu que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté s’il retournait en Chine et qu’il pourrait pratiquer sa religion dans la congrégation de son choix s’il retournait dans ce pays. La SAR a tiré cette conclusion parce que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a un quelconque profil de chrétien d’importance autre que celui de simple membre de la congrégation, comme le prouvent ses activités au Canada. Aucun élément de preuve crédible ne démontrait qu’il s’était livré au prosélytisme. En ce qui concerne la question de savoir s’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait en Chine et s’il choisissait de pratiquer sa religion dans une église non enregistrée, la SAR a axé son analyse sur la province du Fujian, car le document d’enregistrement de résidence du demandeur confirmait qu’il est un résident permanent de cette province. La SAR a examiné en profondeur la preuve documentaire et a noté que la Chine compte environ 50 à 90 millions de protestants et qu’un plus grand nombre d’entre eux pratiquent leur religion dans une église non enregistrée, comparativement à ceux fréquentant une église officielle. Elle a également constaté que la plupart des dizaines de milliers d’églises non enregistrées mènent leurs activités en ayant peu ou pas d’ennuis avec les autorités locales. De plus, le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni signale qu’en général le traitement que subissent les chrétiens en Chine, y compris ceux qui pratiquent leur religion dans une église non enregistrée, est peu susceptible d’équivaloir à de la persécution.

[25] Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR étaient inexorablement liées à ses conclusions antérieures quant à la crédibilité. Il soutient également que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il devait s’être livré au prosélytisme en Chine et en ne se demandant pas si la persécution antérieure dans la province du Zhejiang, où le demandeur faisait ses études, aurait pu servir de fondement à sa demande d’asile.

[26] L’argument du demandeur selon lequel la SAR a conclu déraisonnablement qu’il devait se livrer au prosélytisme pour subir la persécution des autorités chinoises n’est pas fondé. Comme le signale le défendeur, cet argument témoigne d’une mauvaise interprétation des conclusions de la SAR. La SAR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible démontrant que le demandeur s’était livré au prosélytisme et, par conséquent, qu’il n’avait pas un quelconque profil de chrétien d’importance autre que celui de simple membre de la congrégation. Elle a ensuite conclu que le demandeur ne serait pas persécuté s’il retournait en Chine puisqu’il n’a pas un profil de chrétien d’importance.

[27] Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur en axant son évaluation des risques sur la province du Fujian seulement. Étant donné qu’il avait vécu temporairement dans la province du Zhejiang, qu’il y avait pratiqué le christianisme et que deux des membres de sa congrégation y avaient été arrêtés par le PSB, il affirme qu’il aurait été pertinent que la SAR évalue les risques dans cette province. Je constate que l’appréciation de la question de savoir si une personne craint avec raison d’être persécutée est de nature prospective. La persécution antérieure est pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer s’il peut y avoir de la persécution à l’avenir (Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 aux para 21‑25). En l’espèce, comme l’a conclu la SAR, la preuve au dossier dont elle disposait laissait entendre que le demandeur retournerait dans la province du Fujian. Par conséquent, la SAR a raisonnablement axé son analyse sur cette province. Pendant son analyse, elle a étudié des cas antérieurs de discrimination envers les chrétiens, mais elle a conclu que ces cas ne constituaient pas un risque prospectif de persécution. Le demandeur n’a cité aucun élément de preuve qui laisse entendre que la conclusion de la SAR à cet égard était déraisonnable.

[28] En conclusion, je suis d’avis que la décision de la SAR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47) et qu’il n’y a pas de fondement pour que la Cour intervienne.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2631‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑2631‑18

 

INTITULÉ :

XIAOWEI ZHUANG c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 20 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE strickland

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Chloe Turner Bloom

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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