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Date : 20190301


Dossier : IMM‑4180‑18

Référence : 2019 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2019

En présence de la madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

GLADYS HERMINIA GUERRERO VALENZUELA

JAVIER GUERRERO CARRILLO

JOSUE GUERRERO GUERRERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Gladys Herminia Guerrero Valenzuela (la demanderesse principale), son mari, Javier Guerrero Carrillo, et leur fils, Josue Guerrero Guerrero, sont des citoyens espagnols d’origine péruvienne. Ils contestent la décision de l’agente d’immigration par laquelle leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) a été rejetée. Bien que l’agente ait analysé de multiples facteurs dans sa décision, les demandeurs ne contestent que la conclusion selon laquelle la preuve n’était pas suffisante pour établir que le père de Mme Valenzuela avait besoin qu’elle s’occupe de lui à temps plein en raison de la démence et de la paraplégie dont il était atteint. L’agente a jugé que la preuve médicale n’étayait pas les allégations selon lesquelles le père de la demanderesse principale souffrait bien de ces problèmes de santé. Elle a également conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir que les soins dont le père de Mme Valenzuela avait besoin ne pouvaient être fournis ni par sa mère, ni par ses frères et sœurs — qui vivaient à Burnaby, en Colombie‑Britannique, ainsi qu’à Bellingham, dans l’État de Washington —, ni par des ressources externes.

II.  Faits

[2]  Les parents de Mme Valenzuela, Nicolas, 85 ans, et Maria Pilar, 74 ans, sont des citoyens canadiens qui vivent à Burnaby, en Colombie‑Britannique, tout comme sa sœur Eva Pilar et son frère Omar.

[3]  Madame Valenzuela a trois autres frères et sœurs : Oscar Nicolas, un citoyen espagnol qui habite en Espagne avec sa famille, ainsi que Nelly Guerrero et Orestes, des citoyens américains qui habitent respectivement à Bellingham et à Seattle, dans l’État de Washington.

[4]  En 2012, Mme Valenzuela et son fils Josue ont tenté en vain d’obtenir des visas de résident temporaire pour visiter leur famille au Canada. En juin 2014, M. Carrillo et Josue ont pu venir au Canada après avoir obtenu leur citoyenneté espagnole.

[5]  Ce n’est qu’après que Mme Valenzuela a obtenu sa propre citoyenneté espagnole, en 2015, que toute la famille est venue au Canada pour un séjour prolongé auprès des parents de la demanderesse principale; à ce moment‑là, l’état de santé de Nicolas déclinait.

[6]  Depuis avril 2016, les demandeurs ont présenté avec succès deux demandes pour prolonger leur séjour; une troisième demande, qui est toujours en cours de traitement, a quant à elle été présentée en juin 2018. Entre‑temps, Mme Valenzuela a présenté des demandes de permis d’étude pour elle et Josue, tandis que M. Carrillo a fait une demande de permis de travail ouvert. Ces demandes ont cependant toutes été rejetées.

[7]  En juin 2016, Nicolas a été admis à l’hôpital parce qu’il présentait les symptômes d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Dans leur demande CH, les demandeurs ont indiqué que Nicolas avait subi un AVC qui avait restreint l’usage de ses jambes, et que Mme Valenzuela avait dû devenir la principale responsable des soins pour son père, parce que sa mère trouvait qu’il était de plus en plus épuisant de s’occuper de son mari en raison de la perte de mobilité physique et de la démence dont il était atteint. Les frères et sœurs de Mme Valenzuela étaient incapables d’aider, en raison, pour certains, de leur lieu de résidence et, pour d’autres, de leur travail et de leurs obligations familiales. Ils étaient cependant disposés à payer les frais de subsistance des demandeurs.

[8]  Dans leur demande CH, les demandeurs ont affirmé qu’ils avaient des liens solides avec le Canada puisque la majorité de leurs proches habitent à Burnaby ou dans l’État de Washington. Josue est devenu bon ami avec ses cousins américains; il leur apprend l’espagnol, et eux lui apprennent l’anglais. Enfin, les demandeurs ont expliqué qu’ils se sont intégrés à leur communauté religieuse pendant leur séjour au Canada.

III.  Décision contestée

[9]  L’agente a examiné et apprécié tous les facteurs invoqués dans la demande : la famille des demandeurs et les liens qu’ils ont tissés avec la collectivité; le fait que les frères et sœurs de Mme Valenzuela étaient disposés à soutenir financièrement les demandeurs; l’intérêt supérieur du fils de Mme Valenzuela; et les soins dont avait besoin le père de cette dernière. Les demandeurs ne contestent pas l’analyse faite par l’agente des trois premiers facteurs, non plus qu’ils n’affirment qu’elle leur a accordé une importance démesurée. Ils allèguent plutôt que l’erreur commise par l’agente dans son analyse de l’état de santé de Nicolas suffit à rendre sa décision déraisonnable.

[10]  L’agente a reconnu que Nicolas souffrait de [traduction] « divers problèmes de santé ». Et pourtant, elle a jugé que la preuve à cet égard était limitée et a constaté une [traduction] « absence de tout élément de preuve relatif à la démence ou à la paraplégie du père de Mme Valenzuela », à l’exception des déclarations personnelles de cette dernière et de sa mère. Par ailleurs, bien que l’agente ait reconnu qu’il était possible que les frères et sœurs de Mme Valenzuela aient des obligations personnelles ou familiales, elle a conclu que la preuve objective était insuffisante pour établir les difficultés ou les conséquences que pourrait subir leur père si la demanderesse principale devait retourner en Espagne. Car selon l’agente, les soins que cette dernière prodiguait à son père pouvaient être obtenus par l’intermédiaire d’organismes ou d’entreprises externes, ou encore de ressources communautaires. Les demandeurs pouvaient de surcroît continuer à venir au Canada en visite pour aider la famille temporairement.

[11]  Bien que l’agente ait indiqué qu’elle compatissait à la situation des demandeurs, elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales.

IV.  Question en litige

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question :

L’agente a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder aux demandeurs des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire?

[13]  La norme de contrôle applicable pour l’analyse d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 est celle de la décision raisonnable (Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000, aux paragraphes 21 à 23; Walker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 447, aux paragraphes 31 et 32).

V.  Analyse

[14]  La décision d’accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire est de nature discrétionnaire. Bien que ces mesures visent à « mitiger la sévérité de la loi selon le cas » et à « offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont "de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne" », elles ne « [sont] pas [censées] constituer un régime d’immigration parallèle » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 19, 21, et 23). Il incombe à la personne qui demande des mesures spéciales de démontrer pourquoi celles‑ci devraient être prises (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189).

[15]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a ignoré des éléments de preuve relatifs à la démence et à la paraplégie dont est atteint Nicolas. Ils renvoient aux différents documents médicaux portant sur sa santé qui, à leur avis, démontrent qu’il présente des symptômes de démence et qu’il a des problèmes de mobilité. D’après les renseignements figurant dans le profil de santé de Nicolas, celui‑ci a été trouvé sans connaissance au coin d’une intersection achalandée, ce qui correspond aux symptômes de la démence. En outre, le médecin lui a recommandé d’utiliser un déambulateur et de prendre différentes autres mesures, comme faire des exercices d’étirement des jambes, pour réduire les risques de chute. Les déclarations faites par Mme Valenzuela et sa mère sont des éléments de preuve supplémentaires qui démontrent que Nicolas est atteint de démence et a des problèmes de mobilité.

[16]  Dans sa décision, l’agente a écrit ce qui suit : [traduction] « à l’exception des déclarations de [Mme Valenzuela], je ne relève aucun élément de preuve relatif à la démence ou à la paraplégie dont est atteint son père ». L’agente n’a pas ignoré la preuve dont elle disposait, puisqu’elle a reconnu que [traduction] « le père de la demanderesse principale souffr[ait] de divers problèmes de santé ». Cependant, comme l’a souligné le défendeur, le médecin traitant de Nicolas n’a pas mentionné de symptômes de démence ou de problèmes de mobilité. À mon avis, il était raisonnable pour l’agente de conclure que le silence du Dr Sutcliffe à l’égard de ces affections était révélateur, puisqu’il s’agit de maladies graves qui devraient être diagnostiquées, et non ignorées par le médecin traitant. L’agente a aussi raisonnablement conclu que, même si la preuve établissait que la mobilité du père de Mme Valenzuela était réduite, rien ne prouvait qu’il soit paraplégique. À cet égard, il était loisible à l’agente de conclure que la preuve était [traduction] « très limitée ».

[17]  De toute façon, la véritable question consiste à savoir si la preuve était suffisante pour établir les conséquences que subiraient les demandeurs et leur famille s’ils devaient retourner en Espagne.

[18]  La sœur de Mme Valenzuela qui habite à Burnaby a produit une déclaration selon laquelle elle travaillait à temps plein, tandis que le frère de Mme Valenzuala qui habite aussi à Burnaby a indiqué qu’il était propriétaire d’une petite entreprise.

[19]  Bien que l’agente ait reconnu que Nicolas [traduction] « a besoin de soins tous les jours, 24 heures sur 24 », qu’il est [traduction] « âgé et malade » et qu’il souffre de [traduction] « divers problèmes de santé », elle a néanmoins conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que ni le frère et la sœur de Mme Valenzuela qui résident à Burnaby, ni leur mère ne pourraient s’occuper de Nicolas advenant que les demandeurs doivent retourner en Espagne. Par ailleurs, l’agente a aussi constaté que les services fournis par Mme Valenzuela à son père pouvaient aussi être offerts par [traduction] « des organismes ou des entreprises externes, ou encore par des ressources communautaires, au besoin ». Rien n’obligeait l’agente à traiter la recommandation du médecin, qui préconisait que les soins requis soient fournis par des membres de la famille de Nicolas, comme un facteur déterminant (Olfati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 833, aux paragraphes 21 à 24). Ainsi, il était raisonnable de conclure que Nicolas allait recevoir des soins adéquats même si les demandeurs retournaient en Espagne.

[20]  En outre, comme le facteur abordé ci‑dessus n’est que l’un des quatre facteurs pris en compte par l’agente, et que je dois considérer que celle‑ci a correctement examiné et apprécié les trois autres facteurs, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’appréciation de la preuve par l’agente relativement au père de Mme Valenzuela était déraisonnable au point d’invalider sa décision.

VI.  Conclusion

[21]  Je suis d’avis que l’agente a correctement examiné et apprécié la preuve relative aux considérations d’ordre humanitaire et que sa décision, considérée dans son ensemble, était raisonnable. En ce qui concerne l’état de santé du père de la demanderesse principale, l’agente a raisonnablement jugé que leur situation familiale ne justifiait pas d’accorder aux demandeurs l’exemption demandée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[22]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4180‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4180‑18

INTITULÉ :

GLADYS HERMINIA GUERRERO VALENZUELA ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 février 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 1er mars 2019

COMPARUTIONS :

Laura Best

POUR LES DEMANDEURS

Hilla Aharon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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