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Date : 20190222


Dossier : T-584-18

Référence : 2019 CF 210

Ottawa (Ontario), le 22 février 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LINDA BOIVIN

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Linda Boivin conteste la décision rendue le 9 mars 2018 par le sous-commissaire de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires (le sous-commissaire) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), refusant de recommander une remise selon le paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), ch F-11 [la Loi].

[2]  Tel qu’elle l’a confirmé lors de l’audience, Mme Boivin demande à la Cour d’accueillir sa demande de contrôle judiciaire et d’annuler la décision du sous-commissaire.

[3]  Je suis évidemment sensible à la situation de Mme Boivin, cependant, cette dernière ne m’a pas convaincue que la décision du sous-commissaire est déraisonnable et que l’intervention de la Cour est justifiée. Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.

I.  CONTEXTE

[4]  Le 26 mai 2016, Mme Boivin demande l’annulation de sa dette envers l’ARC par décret de remise, tel que le prévoit le paragraphe 23(2) de la Loi. De façon générale, Mme Boivin plaide que sa dette envers l’ARC est injuste et qu’elle devrait être annulée. Mme Boivin joint différents documents à sa demande et soulève, essentiellement, les éléments suivants :

  1. Elle a été mariée de 1986 à 1993. Son mari lui faisait des déclarations de revenus sans son consentement, lui déclarait des revenus d’intérêts et demandait des crédits d’impôts pour enfants;
  2. De 1995 à 1998, elle n’a jamais produit de déclarations de revenus;
  3. En 1995, elle a dû sortir des fonds de ses REER et elle n’a pas payé tous les impôts nécessaires sur ses REER, mais croyait que ses crédits d’impôts pour enfants auraient compensé;
  4. De 1994 à 1999, l’ARC ne l’a jamais contactée ou informée concernant sa dette de 1993. Ce n’est qu’en 2000 qu’elle a reçu une lettre l’informant que l’ARC saisissait son retour d’impôts pour une dette non payée. Elle a reçu une lettre semblable à chaque année jusqu’en 2014, mais croyait que la dette finirait par se payer toute seule, puisqu’un agent rencontré en 1993 ne l’avait pas renseignée sur les intérêts encourus et la possibilité de faire opposition à cette dette;
  5. En 2015, elle a été grandement surprise de recevoir une lettre de l’ARC lui demandant de payer une somme de 33 093,56 $;
  6. En 2015, n’ayant pas de détails sur sa dette, elle a porté plainte à l’ombudsman;
  7. En 2016, elle a reçu un appel d’un représentant de l’ARC qui lui a dit que, pour l’année 1995, l’ARC lui a évalué un revenu de 24 000 $ en pension alimentaire, alors qu’elle n’a même pas reçu ce montant, et qu’elle n’a pas payé ses impôts sur ses REER. Elle a subséquemment reçu des lettres détaillant son compte, mais était en droit de penser que cette dette était prescrite.

[5]  Mme Boivin demande alors l’annulation de cette dette de 33 093,56 $. La demande suit son chemin au sein de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, tel que relaté par le défendeur aux paragraphes 23 à 30 de son mémoire, et tous les intervenants recommandent de refuser la demande de remise.

[6]  Le 9 mars 2018, le sous-commissaire conclut qu’une remise ne peut être recommandée. Il note que la demande de remise de Mme Boivin se fonde principalement sur des difficultés financières associées à des circonstances atténuantes, reprend l’historique de la situation de Mme Boivin et énonce le processus de remise.

[7]  Le sous-commissaire note que le revenu familial de Mme Boivin était supérieur aux seuils de faible revenu pour 20 des 27 années depuis 1990, et qu’il n’y a aucune situation financière extrêmement difficile pour les fins de remise.

[8]  Le sous-commissaire note aussi que Mme Boivin allègue qu’un fonctionnaire de l’ARC l’a informée qu’un montant de pension alimentaire de 24 000 $ avait été ajouté à ses revenus de 1995 par l’ARC. Cependant, le sous-commissaire note que ce revenu de 24 000 $ était dans la déclaration de revenus de Mme Boivin pour l’année 1995, déclaration cotisée telle que produite. Il note aussi qu’il n’y a aucune information pour confirmer les énoncés de Mme Boivin, qu’un montant de 24 000 $ a été ajouté à ses revenus ou qu’un fonctionnaire de l’ARC l’aurait informée de cet ajout. Ainsi, le sous-commissaire conclut que, selon les informations disponibles, il n’y a aucune indication de mesure incorrecte ou erronée des fonctionnaires de l’ARC.

[9]  De plus, le sous-commissaire répond aux autres allégations de Mme Boivin de la manière suivante :

- Mme Boivin allègue qu’elle n’a pas produit de déclarations de revenus pour les années d’imposition 1995 à 1998. Cependant, selon les informations aux systèmes de l’ARC, ces déclarations ont été produites et elles ont été cotisées telles que produites le 15 avril 1996, le 14 avril 1997, le 20 avril 1998 et le 17 mai 1999;

- Madame Boivin allègue que son ex-conjoint déclarait des revenus d’intérêts et demandait des crédits d’impôt pour enfants. Cependant, la dette fiscale ne résulte pas de montants d’intérêts mais plutôt d’une modification du revenu familial pour fins de calcul du crédit d’impôt pour enfants;

- Mme Boivin allègue que l’ARC ne l’a jamais contactée entre 1994 et 1999 par rapport à sa dette. Cependant, des avis de cotisation lui ont été transmis à l’adresse alors au dossier et les avis des années 1996, 1998, 1999, 2000 et de 2007 à 2014 contenaient tous un énoncé indiquant que le remboursement d’impôt avait été utilisé pour réduire sa dette et que cette dette n’était pas indiquée au sommaire de l’avis. Un code indique au surplus qu’en 1995, Mme Boivin aurait fait une enquête ou une opposition sur la cotisation de l’année 1993.

[10]  Le sous-commissaire conclut enfin qu’il n’existe aucune circonstance hors du contrôle de Mme Boivin qui l’aurait empêchée d’enquêter sur sa dette fiscale, de présenter une opposition dans les délais prévus dans la Loi ou de faire des paiements pour minimiser sa dette.

II.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de Mme Boivin

[11]  À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, Mme Boivin dépose un affidavit, assermenté le 3 avril 2018, dans lequel elle relate l’historique de son dossier et auquel elle attache treize pièces.

[12]  Dans son mémoire, au titre de son exposé des faits, Mme Boivin insiste sur les points suivants : (1) en 1993, un fonctionnaire de l’ARC lui a conseillé de ne rien faire et que son compte restera « dormant »;(2) aucune demande ne lui a été faite pour produire une déclaration de revenus pour les années 1994 à 1999;(3) étant donné qu’elle n’a jamais reçu d’avis de cotisation durant les années 1994 à 1999, elle n’a pu exercer son droit d’opposition; et (4) depuis l’an 2000, elle a reçu des avis de cotisation qui ne mentionnaient pas son solde dû et ses intérêts accumulés, malgré le fait qu’elle avait les moyens financiers de rembourser sa dette.

[13]  Aussi dans son mémoire, Mme Boivin soulève essentiellement trois arguments. Premièrement, elle soutient que le sous-commissaire s’est prononcé sur la mauvaise ligne directrice. En effet, le Guide de l’ARC sur les remises (le Guide) prévoit quatre situations qui justifient une remise de dette. Selon Mme Boivin, le sous-commissaire n’aurait pas dû évaluer si elle appartient à la catégorie de « contribuables souffrant de difficultés financières associées à des circonstances atténuantes », mais plutôt à celle de « mesure incorrecte ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC ».

[14]  Deuxièmement, Mme Boivin allègue que le sous-commissaire a omis de considérer :(1) la preuve à l’encontre du fait qu’elle ait produit des déclarations de revenus pour les années 1995 et 1998, c’est-à-dire, le relevé de la Régie des rentes du Québec qui confirme que Mme Boivin n’avait aucun revenu admissible pour les années 1995 à 1998;(2) le fait que, entre 1994 et 2001, elle n’a reçu aucune demande de produire des déclarations de revenus;(3) la preuve à l’effet que l’ARC a inventé un revenu supérieur à la réalité; et (4) le fait que, entre 2000 et 2015, l’ARC ne l’a pas informée du solde à payer et des intérêts accumulés, en violation de la règle 6 de la Charte des droits du contribuable, qui prévoit le droit des contribuables à recevoir « des renseignements complets, exacts, clairs et opportuns ».

[15]  Troisièmement, Mme Boivin fait valoir que la conclusion du sous-commissaire à l’effet que l’ARC lui a envoyé des avis de cotisation pour les années 1994 à 1998 n’est pas appuyée par la preuve puisque « aucune preuve d’avis de cotisation n’est inscrite au dossier du défendeur » (mémoire de la demanderesse, paragraphe 7).

[16]  Lors de l’audience, Mme Boivin a ajouté que l’ARC a créé des déclarations de revenus dans son dossier pour les années fiscales 1991 à 1996, attendant ensuite jusqu’en 2016 pour lui transmettre une facture, sachant que ces déclarations seraient alors détruites. Cet argument n’était cependant ni devant le sous-commissaire, ni dans le mémoire de Mme Boivin (McMaster c Canada (Procureur général), 2018 CAF 37 au para 4; Bellec c Canada (Procureur général), 2015 CAF 252 au para 5).

B.  Position du défendeur

[17]  Le défendeur dépose un affidavit de M. Geoff Trueman, le sous-commissaire, signé le 7 mai 2018 et accompagné de deux pièces, et un affidavit de Mme Lynne Laplante, analyste supérieure, signé en date du 7 mai 2018 et accompagné de douze pièces.

[18]  Le défendeur répond que la décision du sous-commissaire de ne pas recommander de remise est raisonnable. Il soutient que le sous-commissaire a tenu compte de tous les faits au dossier pour rendre sa décision et pour conclure que Mme Boivin ne répond pas aux critères justifiant la remise.

[19]  D’abord, le défendeur affirme que la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 48; Germain c Canada (Procureur général), 2012 CF 768 aux para 27–29; Première Nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191 aux para 12–13; Thomas R Jarrold c Agence du revenu du Canada, 2015 CF 153 au para 17; Newfoundland and Labrador Nurses Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 17).

[20]  Ensuite, le défendeur expose le cadre législatif entourant la remise de taxes selon le paragraphe 23(2) de la Loi. Ce paragraphe confère une large discrétion au ministre du Revenu national pour recommander une remise et constitue un remède exceptionnel (Axa Canada Inc c Canada, 2006 CF 17; Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823; Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2013 CAF 25).

[21]  Le Guide élabore des lignes directrices pour appliquer le paragraphe 23(2) de la Loi. Ces lignes directrices identifient quatre situations qui justifient une remise de dette : (1) situation extrêmement difficile, (2) mesure incorrecte ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC, (3) difficultés financières associées à des circonstances atténuantes, et (4) résultats non voulus découlant des dispositions législatives. Le défendeur rappelle qu’un décret de remise déroge aux règles ordinaires d’imposition basées sur le principe de l’égalité de traitement (Première Nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2010 CF 1188 au para 31; Frank Arthur Investments Inc c Ministre du Revenu National, 2014 CF 336 au para 35).

[22]  Le défendeur soutient que la décision du sous-commissaire est raisonnable, car la situation de Mme Boivin ne correspond à aucune des situations énumérées dans le Guide. Dans son analyse de chacune des trois premières situations, le sous-commissaire a considéré les circonstances de Mme Boivin et est parvenu à la conclusion qu’elles ne satisfont à aucune des situations. Sa décision est transparente, intelligible et justifiée.

[23]  De plus, le défendeur allègue que les arguments de Mme Boivin sont déficients, vu la preuve contradictoire. Les dossiers de l’ARC démontrent que Mme Boivin a produit des déclarations de revenus pour les années 1995 à 1998, qu’elle a été cotisée en fonction de la déclaration de revenus de 1995 et non en fonction de revenus inventés, qu’elle a reçu les avis de cotisation et que douze d’entre eux l’informaient de l’existence d’une dette fiscale antérieure. D’ailleurs, à la demande de la Cour, le défendeur a confirmé spécifiquement que le document émis par l’ARC pour l’année fiscale 1995, et produit par Mme Boivin, confirme que le montant de 24 000 $ au titre de revenus de pension alimentaire a bien été déclaré pour l’année fiscale 1995 et que la déclaration de revenus de l’année 1995 a été cotisée telle que produite.

[24]  Enfin, le défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (article 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7; Al-Mhamad c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45).

III.  DISCUSSION

A.  Dispositions pertinentes

[25]  La remise de taxes, d’intérêts ou de pénalités payables prévue au paragraphe 23(2) de la Loi constitue un recours extraordinaire et exceptionnel (Fink c Canada (Procureur général), 2018 CF 936 au para 12 [Fink]; Deshaies c Canada (Revenu national), 2018 CF 699 au para 20 [Deshaies]).

[26]  Ainsi, sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

[27]  Selon le Guide, chaque demande de remise fait l’objet d’un examen approfondi afin de déterminer si elle appartient à une des situations suivantes : (1) situation extrêmement difficile, (2) difficultés financières associées à des circonstances atténuantes, (3) mesure incorrecte ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC et (4) résultats non voulus découlant des dispositions législatives. La jurisprudence a confirmé le recours aux critères du Guide (Deshaies au para 30; Société en commandite Services audionumériques c Canada (Revenu national), 2018 CF 494 au para 5 [Services audionumériques]).

[28]  Ainsi, pour qu’il y ait situation financière extrêmement difficile, le revenu familial annuel de la personne doit être inférieur au seuil de faible revenu établi par Statistique Canada pour la région dans laquelle la personne réside. Cette situation doit exister au moment où la personne demande la remise et depuis le moment où la dette fiscale initiale a été établie.

[29]  Au titre des difficultés financières associées à des circonstances atténuantes, il doit y avoir une difficulté financière importante et au moins une circonstance atténuante qui soit raisonnable et en lien direct avec la demande de remise. La circonstance doit être indépendante de la volonté du contribuable, à moins qu’il n’existe des preuves suffisantes démontrant que les fonctionnaires de l’ARC auraient dû déceler et corriger l’erreur.

[30]  Selon le troisième cas, le contribuable peut obtenir une remise s’il a agi en fonction du conseil erroné d’un fonctionnaire de l’ARC. De plus, il faut, entre autres, qu’il soit déraisonnable de s’attendre à ce que le contribuable ait entrepris les mesures appropriées pour réduire ou annuler sa dette.

[31]  Finalement, le quatrième cas est utilisé lorsque l’application de la législation fiscale donne lieu à des conséquences fiscales qui sont de toute évidence inéquitables et contraires à l’esprit de la loi.

B.  Norme de contrôle

[32]  La norme de contrôle applicable à une décision du sous-commissaire concernant une remise de dette est celle du caractère raisonnable. En outre, le paragraphe 23(2) de la Loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire au ministre et à ses délégués. La Cour doit donc faire preuve de retenue et de déférence à l’égard de la décision du sous-commissaire (Fink au para 14; Deshaies au para 20; Services audionumériques au para 24).

[33]  Ainsi, la Cour n’interviendra que si la décision du sous-commissaire est déraisonnable, c’est-à-dire, si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ou que son processus décisionnel n’est pas justifié, transparent ou intelligible (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

C.  Arguments de Mme Boivin

(1)  Le sous-commissaire ne s’est pas trompé de ligne directrice  

[34]  Contrairement à ce qu’avance Mme Boivin, le sous-commissaire s’est prononcé sur la ligne directrice qu’elle identifie, soit, « la mesure incorrecte ou le conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC », à la fin du 3e paragraphe de la page 3 de sa décision. Compte tenu de la preuve au dossier, la décision du sous-commissaire est raisonnable.

(2)  Le sous-commissaire n’a pas omis de considérer certains faits

[35]  Il appert du dossier que le sous-commissaire n’a pas omis de considérer des faits, contrairement à ce que soutient Mme Boivin.

a)  La preuve à l’encontre du fait qu’elle ait produit des déclarations de revenus pour les années 1995 et 1998

[36]  Mme Boivin réfère ici à son relevé de participation au Régime des rentes du Québec qui consigne qu’elle n’a aucun revenu d’emploi admissible au titre de ce régime pendant les années 1995 à 1998. Cependant, cela ne constitue pas une preuve qu’elle n’a pas produit de déclarations de revenus ou qu’elle n’a pas été cotisée. Le sous-commissaire note que des déclarations de revenus ont été produites selon les informations aux systèmes de l’ARC, et que les détails de ces déclarations sont au dossier, bien que les déclarations originales aient été détruites. Compte tenu de la preuve au dossier, le sous-commissaire n’a pas omis de considérer ce fait et sa décision est raisonnable.

b)  Entre 1994 et 2001, Mme Boivin n’aurait reçu aucune demande de produire des déclarations de revenus

[37]  Mme Boivin n’a pas soulevé cette allégation dans sa demande de remise et le sous-commissaire n’avait donc pas à la considérer. À tout évènement, les éléments au dossier indiquent que Mme Boivin a produit ses déclarations de revenus et que celles-ci ont été cotisées. Mme Boivin n’a présenté aucune preuve pour soutenir sa nouvelle allégation selon laquelle l’ARC aurait inventé ou créé toutes ses déclarations et cotisations et la Cour ne peut souscrire à cette proposition. Donc, même en prenant pour acquis, sans décider, que l’ARC ait eu l’obligation de demander à Mme Boivin de produire ses déclarations, l’ARC n’avait aucune raison de le faire en l’instance, puisque la preuve révèle que les déclarations ont été produites.

c)  La preuve à l’effet que l’ARC a inventé un revenu supérieur à la réalité

[38]  Mme Boivin réfère à un document concernant la faillite de Mario Duval et au relevé de compte de Revenu Québec à l’égard de la perception de sa pension alimentaire. Le premier document indique que Mme Boivin était créancière non garantie de son ex-mari et le deuxième indique qu’elle n’a rien reçu en pension alimentaire en 1995.

[39]  Mme Boivin plaide que l’ARC a « inventé un revenu supérieur à la réalité » en ajoutant un montant de pension alimentaire de 24 000 $ à ses revenus de 1995. Le sous-commissaire retient plutôt que ce montant a été déclaré dans la déclaration de revenus de Mme Boivin pour l’année 1995 (page 3, 3e paragraphe), qui a été cotisée telle que produite. Le sous-commissaire note que la déclaration de revenus de 1995 n’est plus conservée dans les dossiers de l’ARC et qu’aucune preuve ne permet de confirmer la prétention de Mme Boivin que l’ARC a ajouté le montant de 24 000 $.

[40]  Le 8 février 2019, à la demande de la Cour, le défendeur a soumis une lettre à la Cour confirmant que le montant de 24 000 $ en pension alimentaire a été déclaré pour l’année fiscale 1995. En bref, le défendeur y souligne que, lorsqu’un montant déclaré par le contribuable est identique au montant cotisé, l’ARC n’inscrit alors aucun montant dans la colonne « Déclaré » du formulaire RC143 généré par l’ARC, ce qui est bien le cas dans le formulaire de Mme Boivin. Le défendeur a également enjoint des documents en anglais mais, compte tenu des propos de Mme Boivin, la Cour ne considérera que le contenu de la lettre.

[41]  Le 14 février 2019, Mme Boivin a répondu à la lettre du défendeur, indiquant que le vide dans la colonne « Déclaré » prouve seulement que l’ARC n’a pas contesté ses propres déclarations et qu’il est dommage que l’ARC continue de nier sa contribution dans les déclarations de revenus de Mme Boivin. Elle ajoute qu’aucun document n’atteste d’un prélèvement qu’elle aurait pu faire dans un REER pour l’année 1995 et que Revenu Québec lui a confirmé qu’elle ne produisait pas de déclarations durant ces années. Mme Boivin souligne que tous les contribuables ont le droit de recevoir un avis de cotisation indiquant un montant dû ou à recevoir, sauf elle. Finalement, elle affirme qu’elle ne conteste pas la compétence des décideurs et déplore le fait que ces décideurs soient employés par l’ARC.

[42]  Selon la preuve, la déclaration de revenus de 1995 a été cotisée telle que produite et aucun montant n’y a été ajouté. Ainsi, la conclusion du sous commissaire est soutenue par la preuve.

d)  Entre 2000 et 2015, l’ARC ne l’aurait pas informée du solde à payer et des intérêts accumulés, en violation de la règle 6 de la Charte des droits du contribuable, qui prévoit le droit des contribuables à recevoir « des renseignements complets, exacts, clairs et opportuns »

[43]  Le sous-commissaire conclut que l’énoncé sur les avis de cotisation, à l’effet que le remboursement d’impôts avait été utilisé pour réduire la dette fiscale, est suffisant (page 4, 2e paragraphe). Il note de plus que Mme Boivin aurait pu enquêter auprès de l’ARC suite à ces avis, ce qu’elle avait d’ailleurs effectivement fait en janvier 1995, suggérant qu’elle était au courant de sa dette fiscale pour l’année d’imposition 1993.

[44]  Selon la preuve déposée devant la Cour, les avis de cotisation des années 2000 et 2003 à 2014 confirment qu’il reste un solde dû à l’ARC et/ou que les sommes dues à Mme Boivin sont utilisées pour rembourser une dette.

[45]  La décision du sous-commissaire ne peut être qualifiée de déraisonnable compte tenu que plusieurs avis de cotisation mentionnaient clairement l’existence d’une dette et le fait que les remboursements d’impôts étaient utilisés pour payer une dette.

(3)  La conclusion du sous-commissaire quant à l’envoi des avis de cotisations de 1994 à 1998 est appuyée par la preuve

[46]  Le sous-commissaire affirme qu’un avis de cotisation a été envoyé à toutes les années à l’adresse indiquée aux systèmes de l’ARC, et rien dans la preuve ne contredit cette position. Cette conclusion est donc aussi raisonnable.

IV.  Conclusion

[47]  Mme Boivin, en dépit de la sympathie que son dossier inspire, n’a pas convaincu la Cour qu’une intervention est justifiée. Compte tenu de la preuve au dossier, la décision du sous-commissaire est raisonnable.


JUGEMENT dans IMM-584-18

LA COUR STATUE que :

  • La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  • Sans frais.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-584-18

INTITULÉ :

LINDA BOIVIN ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 22 février 2019

COMPARUTIONS :

Mme Linda Boivin

SE REPRÉSENTANT SEULE

Me Gilles Robert

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Linda Boivin

Québec (Québec)

SE REPRÉSENTANT SEULE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur


ANNEXE

Loi sur la gestion des finances publiques (LRC (1985), ch F-11)

Financial Administration Act (RSC, 1985, c F-11)

Remise de taxes ou de pénalités

Remission of taxes and penalties

23 (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

23 (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty.

 

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