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Date : 20190301


Dossier : IMM-2237-18

Référence : 2019 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2019

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

SANDRI HIRAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une affaire fort inhabituelle. Après avoir demandé l’asile, M. Hiraj a quitté le Canada et est entré aux États‑Unis, où il a été détenu pour entrée illégale. L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a refusé sa demande qui visait à obtenir des garanties écrites qu’il serait réadmis au Canada, si les États‑Unis le reconduisaient à la frontière. M. Hiraj demande maintenant le contrôle judiciaire de ce refus. En dépit de la situation difficile dans laquelle se trouve M. Hiraj, je dois rejeter sa demande, étant donné que le refus de fournir des garanties n’est pas une décision susceptible de contrôle judiciaire.

I.  Faits

[2]  M. Hiraj, un citoyen de l’Albanie, est arrivé au Canada en mars 2017 et a demandé l’asile. En décembre 2017, pour des raisons qui ne m’ont pas été expliquées, il est entré aux États‑Unis en traversant la frontière terrestre ailleurs qu’à un point d’entrée officiel. Il a été arrêté peu après et accusé d’être entré illégalement aux États‑Unis. Il a plus tard plaidé coupable à l’accusation et a reçu une peine d’emprisonnement correspondant à la période déjà passée en détention.

[3]  M. Hiraj demeure détenu par les autorités de l’immigration des États‑Unis. Il voudrait maintenant revenir au Canada afin que le traitement de sa demande d’asile suive son cours. Les autorités américaines ont fait savoir qu’elles seraient disposées à le ramener à la frontière canadienne, mais seulement si les autorités canadiennes donnaient des indications qu’elles le laisseraient entrer au Canada.

[4]  L’avocat canadien de M. Hiraj a alors communiqué avec le directeur général régional de l’ASFC, pour lui demander de donner de telles garanties. Dans un courriel envoyé à l’avocat de M. Hiraj, le 2 mai 2018, le directeur général a refusé. Il a écrit :

[traduction]

Après avoir pris connaissance de votre lettre et des circonstances de l’affaire, l’Agence des services frontaliers du Canada a établi que M. Hiraj ne bénéficie pas d’un droit d’entrée au Canada au titre de l’article 19 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Étant donné que votre client a quitté le Canada et ne bénéficie pas d’un droit d’entrée, l’Agence n’est pas en mesure de garantir par écrit (ainsi que vous l’avez demandé) que M. Sandri Hiraj sera à nouveau admis dans le pays.

Veuillez prendre note que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada peut prononcer le désistement de la demande d’asile au titre de l’alinéa 169b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés lorsqu’un demandeur quitte le Canada, que ce soit volontairement ou non.

[5]  M. Hiraj demande maintenant le contrôle judiciaire du refus du directeur général d’offrir des garanties.  

II.  Analyse

[6]  L’argument le plus élémentaire opposé par le ministre défendeur à la demande de M. Hiraj est que le refus de fournir des garanties quant à la réadmission de M. Hiraj au Canada n’est tout simplement pas une décision au sujet de laquelle la Cour peut intervenir. Je souscris à cet argument. Pour comprendre pourquoi il en est ainsi, il convient de donner certaines précisions au sujet du cadre juridique régissant l’entrée au Canada.

[7]  Avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner une erreur dans la décision du directeur général. Ce dernier renvoie à l’article 169 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] comme autorisant la Commission à prononcer le désistement d’une demande d’asile. L’article 169, toutefois, ne concerne pas les demandes d’asile, mais les examens des risques avant renvoi [ERAR]. Le désistement d’une demande d’asile est abordé à l’article 168 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Selon l’article 169 du Règlement, le désistement de la demande d’ERAR est automatiquement prononcé lorsque le demandeur quitte le Canada. Par contre, le fait de quitter le pays n’entraîne pas automatiquement le prononcé du désistement d’une demande d’asile. Aux termes de l’article 168 de la LIPR, la Commission doit rendre une décision à cet effet. En l’espèce, aucune décision de la sorte n’a été rendue, et la demande d’asile de M. Hiraj est toujours en attente d’une décision.

A.  Le droit d’entrer au Canada

[8]  Selon l’article 19 de la LIPR, les citoyens canadiens, les personnes inscrites comme Indiens et les résidents permanents ont le droit d’entrer au Canada. Pour les citoyens canadiens, ce droit découle aussi de l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés. Par contre, les étrangers n’ont pas ce droit, et ils peuvent uniquement demander, au titre de l’article 20 de la LIPR, une autorisation d’entrer au Canada. Dans les deux cas, toute personne souhaitant entrer au Canada doit se présenter à un agent d’immigration pour fins de contrôle, conformément à l’article 18 de la LIPR. Si l’admission des personnes visées par l’article 20 est discrétionnaire, il n’en va pas ainsi pour les personnes énumérées à l’article 19.

(1)  Les demandeurs d’asile

[9]  L’article 20 de la LIPR ne traite pas explicitement de l’admission des demandeurs d’asile. Le processus associé à la présentation d’une demande d’asile est décrit aux articles 99 à 111.1 de la LIPR. Si sa demande est accueillie, le demandeur d’asile obtiendra le statut de résident permanent, qui constitue l’un des fondements de l’entrée au Canada aux termes de l’article 19.

[10]  Selon le paragraphe 37(2) du Règlement, le contrôle de la personne qui fait une demande d’asile ne prend fin que lorsqu’une décision est rendue quant à la recevabilité de la demande, quant à l’admissibilité du demandeur ou quant au bien-fondé de la demande. Cela porte à croire que l’ensemble du processus d’octroi de l’asile est considéré comme un contrôle, au sens de l’article 18.

[11]  Quoi qu’il en soit, l’hypothèse sous-jacente semble être que les demandeurs d’asile sont admis au Canada pendant l’examen de leur demande d’asile. À cet égard, l’article 23 de la LIPR prévoit que l’agent peut autoriser une personne à entrer au Canada « en vue du contrôle complémentaire », ce qui comprendrait le processus d’octroi de l’asile.

[12]  Cette interprétation, qui veut que les demandeurs d’asile doivent être admis au Canada pendant l’examen de leur demande, respecterait aussi le principe du non-refoulement qui est consacré par l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

[13]  Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du défendeur a reconnu que les personnes qui se présentent à un point d’entrée et demandent l’asile doivent normalement être admises au Canada. Invité à dire si le même principe s’appliquerait à une personne qui a déjà demandé l’asile et qui demande de nouveau à entrer au Canada, l’avocat a répondu que l’ASFC aurait le pouvoir discrétionnaire de la laisser entrer, sans être tenue de le faire. Je dois avouer qu’il m’est difficile d’établir une distinction pertinente entre les deux situations.

(2)  L’article 39 du Règlement

[14]  À l’audition de sa demande, M. Hiraj a soutenu que l’article 39 du Règlement lui confère un droit d’entrée. L’article 39 est ainsi libellé :

39. L’agent permet, à l’issue d’un contrôle, aux personnes suivantes d’entrer au Canada :

39. An officer shall allow the following persons to enter Canada following an examination:

a) la personne retournée au Canada du fait qu’un autre pays lui a refusé l’entrée, et ce après avoir été renvoyée du Canada ou l’avoir quitté à la suite d’une mesure de renvoi;

(a) persons who have been returned to Canada as a result of a refusal of another country to allow them entry after they were removed from or otherwise left Canada after a removal order was made against them

[…]

[…]

[15]  M. Hiraj soutient qu’il est visé par l’article 39, parce que l’entrée aux États‑Unis lui a été refusée, qu’il serait par conséquent « retourné au Canada » et que tout cela s’est produit après qu’une mesure de renvoi eut été prise contre lui au Canada. À cet égard, il faut garder en tête que, selon la pratique courante, une mesure de renvoi est prise contre tous les demandeurs d’asile. Aux termes du paragraphe 49(2) de la LIPR, toutefois, la mesure de renvoi est conditionnelle et n’entre en vigueur que lorsqu’une décision défavorable est rendue à l’égard de la demande d’asile.

[16]  Par conséquent, l’argument de M. Hiraj doit être écarté tout simplement parce qu’il n’y avait pas de mesure de renvoi exécutoire contre lui lorsqu’il a quitté le Canada. Le libellé de l’article 39, « à la suite d’une mesure de renvoi » suggère qu’il doit y avoir un lien de cause à effet entre la mesure de renvoi et le départ du Canada. Or, M. Hiraj n’a pas quitté le Canada en raison d’une mesure de renvoi.

[17]  Plus fondamentalement, l’alinéa 39a) semble avoir pour objet la réadmission au Canada des personnes dont le renvoi a échoué parce que le pays où l’ASFC a tenté de les renvoyer leur a refusé l’entrée. Ces personnes n’auraient nulle part où aller. Dans le cas de M. Hiraj, toutefois, il n’y a pas eu de tentative de le renvoyer du Canada. Selon ce que nous pouvons conclure, M. Hiraj est parti de son plein gré. Par conséquent, l’article 39 n’aide pas M. Hiraj.

(3)  Sommaire

[18]  Par conséquent, en dépit du fait que la loi ne le dise pas expressément, il semble que le gouvernement s’est toujours comporté en présumant que les personnes qui demandent l’asile doivent être admises au Canada pendant le traitement de leur demande. Cette pratique est mise en œuvre par le mécanisme prévu aux articles 18 et 20 de la LIPR : un processus d’admission discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire de l’agent peut devenir assez limité lorsqu’une personne demande l’asile, mais le processus doit être suivi. Il en irait de même pour une personne qui, comme M. Hiraj, a quitté le Canada après avoir demandé l’asile et qui demande d’y entrer à nouveau pour poursuivre sa demande d’asile.

B.  Y a-t-il une décision susceptible de contrôle?

[19]  Dans la décision Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 RCF 413 [Toronto Coalition], la Cour a statué que les déclarations faites par des fonctionnaires quant à la façon dont serait exercé le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 18 de la LIPR à l’égard d’une personne donnée ne constituent pas une décision susceptible de contrôle judiciaire.

[20]  Dans cette affaire, des membres du personnel du cabinet du ministre avaient fait des déclarations selon lesquelles un certain M. Galloway, député britannique qui avait l’intention de venir donner une série de conférences au Canada, ne serait pas autorisé à entrer au pays. Mon collègue le juge Richard Mosley a conclu que ces déclarations ne constituaient pas une décision ayant une incidence sur les droits de M. Galloway. Une décision quant à son droit d’entrée ne serait prise qu’au moment où il se présenterait à un point d’entrée pour demander l’entrée, le cas échéant. Comme il ne s’était pas présenté, il n’y avait pas de décision à contrôler.

[21]  Je ne vois aucune raison de m’écarter de la décision du juge Mosley.

[22]  De plus, la demande de contrôle judiciaire de M. Hiraj équivaut à un mandamus, puisqu’elle vise à obliger l’ASFC à exercer un pouvoir qu’elle aurait. Les conditions applicables à la délivrance d’un mandamus, telles qu’elles sont énoncées dans la décision Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA) aux pages 766 à 769 [Apotex], confirmée [1994] 3 RCS 1100, ne seraient pas remplies en l’espèce. Les dispositions législatives n’imposent à l’ASFC aucune obligation légale de fournir des garanties quant à l’admission au Canada. Si l’on considère que la demande présentée par M. Hiraj se rapporte au pouvoir discrétionnaire de l’agent, prévu aux articles 18 et 20 de la LIPR, d’admettre un étranger au Canada, un mandamus ne pourrait pas être délivré parce que l’une des conditions antérieures à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’est pas remplie, soit que M. Hiraj ne s’est pas présenté à un point d’entrée pour fins de contrôle.

[23]  M. Hiraj soutient qu’en réalité, il ne demandait pas des [traduction] « garanties », mais quelque chose de moins officiel, peut-être une [traduction] « indication ». Je ne vois aucune différence pertinente. En fait, cela éloignerait encore davantage la réponse du directeur général d’une décision susceptible de contrôle par la Cour.

[24]  De plus, M. Hiraj prétend que, dans sa situation particulière, ce qui, dans un autre contexte, serait une garantie non exécutoire devient, vu la conduite des autorités américaines, une décision qui a des conséquences sur ses droits et qui doit, pour cette raison, être susceptible de contrôle. Si je comprends bien cet argument, M. Hiraj affirme que le refus de l’ASFC de fournir des garanties entraîne son maintien en détention aux États‑Unis et l’empêche de se présenter à un point d’entrée au Canada. Cela, toutefois, est la conséquence des mesures ou des décisions prises par les autorités américaines. En ce qui me concerne, je ne peux que rendre une décision fondée sur le droit canadien lequel, comme je l’ai expliqué plus haut, ne considère pas que le refus de donner des garanties représente une décision susceptible de contrôle. Qui plus est, je n’ai guère d’éléments de preuve quant à la situation, aux droits ou aux recours de M. Hiraj en vertu du droit américain et à ce qui lui arriverait s’il n’était pas autorisé à entrer au Canada.

[25]  La situation de M. Hiraj n’est pas comparable à celle qui est abordée dans l’arrêt Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 RCS 44, dans lequel la conduite d’agents canadiens à l’étranger a contribué à la violation des droits que la Charte garantit à M. Khadr. En l’espèce, M. Hiraj n’allègue pas la moindre violation de ses droits découlant de la Charte.

C.  L’attente légitime

[26]  Enfin, M. Hiraj soutient que le refus du directeur général de lui fournir des garanties écrites contrevient à une attente légitime créée par des communications antérieures. Il va de soi qu’une attente légitime ne peut pas se rapporter au bien-fondé d’une demande : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 26. M. Hiraj a cherché à reformuler sa demande de manière à lui donner un caractère procédural, par exemple en soutenant que le directeur général devait rendre une [traduction] « décision valable, juste et correcte », mais cet exercice ne me convainc pas. Quant à l’aspect procédural, j’ai examiné les communications échangées par les parties, et je ne peux pas trouver la moindre attente qui n’ait pas été comblée.

[27]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2237-18

  LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Sébastien Grammond »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22jour de mai 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-2237-18

 

INTITULÉ :

SANDRI HIRAJ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

H.J. Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Engel

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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