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Date : 20190228


Dossier : IMM-4098-18

Référence : 2019 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 février 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

CHRISTOPHER BLIDEE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, M. Christopher Blidee, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 juillet 2018 par un agent principal [l’agent], par laquelle sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] a été rejetée.

[2]  Citoyen du Libéria, le demandeur est marié et a trois (3) enfants. Son épouse et ses enfants sont citoyens des États-Unis et résident actuellement avec le demandeur au Canada.

[3]  En octobre 1993, le demandeur a obtenu l’asile aux États-Unis à titre de mineur à la charge de sa mère. Il est venu s’installer aux États-Unis en février 1994. 

[4]  En 2004, le demandeur a été déclaré coupable de fraude et de vol d’identité, ce qui a entraîné une perte de statut aux États-Unis et son expulsion au Libéria le 12 mars 2012. Après avoir été détenu par les autorités libériennes à son arrivée et avoir obtenu sa libération grâce au paiement de pots-de-vin, le demandeur a pris des dispositions pour quitter le Libéria.  

[5]  Le 31 mars 2012, le demandeur est arrivé au Canada et a demandé l’asile. Il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et une mesure d’expulsion a été prise contre lui le 5 juin 2012.   

[6]  Le 15 mars 2018, le demandeur a été avisé qu’il était admissible à un ERAR. Il a déposé sa demande d’ERAR le 27 mars 2018 dans laquelle il allègue que lorsque les autorités américaines l’ont renvoyé au Libéria en 2012, elles ont dit aux autorités libériennes qu’il [traduction] « était un immigrant sans papier arrêté pour conduite en état d’ébriété ». Il a alors été détenu dans un cachot, et on l’a informé qu’il serait transféré dans une prison où étaient détenues les personnes expulsées. Il a parlé avec l’un des agents responsables et lui a offert un pot-de-vin en échange de sa libération. Après avoir payé 100 $ US, le demandeur a été libéré et s’est fait dire de revenir le lendemain pour la prise de ses empreintes digitales et le traitement de son dossier. Lorsque le demandeur est revenu le lendemain, il a de nouveau été détenu. Les agents libériens voulaient plus d’argent et lui ont dit que s’il ne coopérait pas, il serait détenu pour une période indéterminée et dans les pires conditions imaginables. Sentant que sa vie était menacée, il leur a versé 200 $ US, a promis de revenir le lendemain pour son passeport et a été remis en liberté. Lorsque les agents libériens ont appelé un ami de la famille pour savoir où se trouvait le demandeur, cet ami leur a dit que le demandeur avait quitté le pays. Les agents lui ont répondu que [traduction] « [le demandeur] ferait mieux de ne jamais revenir ». 

[7]  Dans sa demande d’ERAR, le demandeur indique qu’il craint d’être traité plus sévèrement s’il est renvoyé au Libéria et d’être ciblé par les mêmes agents du gouvernement qui l’ont déjà pris pour cible et menacé. Il déclare également qu’en raison des conditions de détention difficiles, il craint pour sa santé mentale et son intégrité physique s’il est encore détenu. Il affirme également avoir peur de retourner au Libéria parce qu’il n’y est pas retourné depuis l’âge de quinze (15) ans et qu’il n’a aucun proche vivant connu dans ce pays. Enfin, le demandeur allègue avoir été victime de persécution par le passé, ce qui l’a traumatisé. Selon lui, il risque de subir un nouveau traumatisme s’il est renvoyé au Libéria.

[8]  Le 4 juillet 2018, l’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer, conformément aux articles 96 et 97 de la LIPR, qu’il craint avec raison d’être persécuté au Libéria ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Libéria.

[9]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Il fait valoir que ce dernier a tiré une conclusion de crédibilité déguisée et que, par conséquent, il aurait dû tenir une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR. Le demandeur affirme également que l’agent a commis une erreur dans ses analyses relatives aux peines cruelles et inusitées ainsi qu’à la protection de l’État.  

[10]  Le demandeur reconnaît que la question déterminante dans la présente demande est de savoir si l’agent a commis une erreur en ne tenant pas d’audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR. Ainsi, les motifs de la Cour se limiteront à cette question.

II.  Analyse

[11]  La norme de contrôle applicable à une décision de tenir ou non une audience dans le contexte d’une demande d’ERAR varie. Dans certains cas, la Cour applique la norme de la décision correcte parce que la question est considérée comme une question relative à l’équité procédurale, tandis que dans d’autres cas, la Cour applique la norme de la décision raisonnable au motif que l’opportunité de tenir une audience compte tenu du contexte particulier d’un dossier requiert l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et suppose l’application du cadre législatif aux faits particuliers de l’affaire (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au paragraphe 12 [Huang]; Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 10-13). Indépendamment de la norme de contrôle que la Cour doit appliquer, je conclus à l’absence d’erreur, sous l’un ou l’autre aspect, qui justifierait l’intervention de la Cour.   

[12]  Aux termes de l’alinéa 113b) de la LIPR, une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires. Les facteurs cumulatifs prescrits sont énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. « [U]ne audience sera généralement requise s’il y a un problème sérieux de crédibilité concernant la preuve qui est au cœur de la décision et qui, si elle est acceptée, justifierait que la demande soit acceptée » (Huang, au paragraphe 34). « Ainsi, la Cour doit déterminer si une conclusion sur la crédibilité a été tirée de façon explicite ou implicite et, le cas échéant, si la décision reposait sur la question de la crédibilité » (Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 16).

[13]  Les parties reconnaissent qu’aucune conclusion sur la crédibilité n’a été tirée de façon explicite par l’agent et que la Cour ne doit pas se limiter au libellé des motifs pour déterminer si des conclusions de crédibilité déguisées ont été tirées. Le demandeur prétend que la décision de l’agent de rejeter sa demande est fondée sur une conclusion de crédibilité déguisée, et non sur l’insuffisance de la preuve.

[14]  Plus particulièrement, le demandeur fait valoir que le rapport de 2016 sur le Libéria publié par le Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne présenté à l’appui de la demande a clairement établi que l’emprisonnement arbitraire, combiné à des conditions pouvant mettre la vie en danger, existe au Libéria. De plus, il affirme que son affidavit personnel indique non seulement qu’il a été détenu par les autorités libériennes à son arrivée au Libéria, mais aussi que, sous le coup de la menace, on l’a incité à ne pas revenir au Libéria et on lui a fait savoir que son défaut de coopérer entraînerait une détention d’une durée indéterminée. Il soutient que cette preuve non contredite constitue à elle seule un motif sérieux justifiant une crainte fondée de subir des peines cruelles et inusitées et qu’il est difficile d’imaginer à quelles autres preuves l’agent s’attendait de la part du demandeur, outre son propre témoignage, qui est présumé véridique. Enfin, le demandeur fait valoir qu’il n’a jamais eu l’occasion de se faire entendre dans le cadre d’une audience au Canada au sujet de ses craintes et que, comme les conclusions sur la crédibilité étaient importantes pour la prise de décision, l’agent était obligé de tenir une audience.  

[15]  Après avoir examiné les motifs de l’agent ainsi que le dossier, je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur.

[16]  Je conviens, comme l’affirme le demandeur, qu’une conclusion d’insuffisance de preuve peut en réalité équivaloir à une conclusion de crédibilité déguisée et qu’il est parfois difficile de distinguer ces deux types de conclusion. Cependant, il est important de mentionner, comme l’indique la décision Huang, au paragraphe 43, que la présomption de véracité ou de fiabilité des déclarations faites par les demandeurs d’asile, telle qu’exprimée dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) (QL), invoquée par le demandeur, ne peut être considérée comme une présomption que la preuve est satisfaisante. En effet, même si la preuve est présumée crédible et fiable, la preuve par affidavit d’un demandeur d’asile ne peut être présumée suffisante, en soi, pour établir les faits selon la prépondérance des probabilités. Cette détermination appartient au juge des faits – en l’espèce, l’agent (Huang, au paragraphe 43).

[17]  L’agent a examiné la description faite par le demandeur des conditions de sa détention en 2012 et a conclu qu’elles ne satisfaisaient pas au critère relatif au risque de torture, à la menace à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. L’agent a noté que, bien que le demandeur ait décrit avoir ressenti de la peur et de la panique, ce dernier n’a fourni aucun détail ni aucune preuve corroborante de blessure ou de menace à sa vie et à sa sécurité. L’agent a également conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que, s’il était renvoyé au Libéria, le demandeur risquerait d’être de nouveau ciblé et menacé dans des circonstances semblables ou pires. L’agent a tenu compte des rapports de 2016 et de 2017 sur le Libéria publiés par le Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne et a déterminé qu’ils ne corroboraient pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il était exposé à un risque personnel au Libéria en tant que demandeur d’asile débouté ou que personne expulsée. Enfin, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer en quoi l’absence de famille au Libéria et les risques décrits dans son rapport d’évaluation psychologique étaient liés à un risque visé aux articles 96 et 97 de la LIPR.

[18]  Selon moi, les déclarations de l’agent concernant l’insuffisance de preuve ne mettent pas en question la crédibilité du demandeur, et celui-ci n’a relevé aucun extrait de la décision qui laisse entendre le contraire. Il incombait au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était exposé à un risque personnel futur et qu’il a la qualité de personne à protéger, au sens de l’article 97 de la LIPR. Au vu du dossier présenté par le demandeur, il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour étayer ses allégations de risques.

[19]  Comme aucune conclusion de crédibilité explicite ou déguisée n’a été tirée, l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle, peu importe la norme de contrôle applicable, en refusant d’accorder une audience au demandeur. De plus, bien que le demandeur puisse ne pas souscrire à l’appréciation de la preuve effectuée par l’agent, ce n’est pas le rôle de la Cour de réévaluer la preuve soumise à l’examen de l’agent et de tirer une conclusion différente.

[20]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[21]  Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4098-18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de mai 2019.

Sophie Reid-Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4098-18

INTITULÉ :

CHRISTOPHER BLIDEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Mitchell Goldberg

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Trudel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg Berger – société de moyens

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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