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Dossier : IMM‑2351‑18

Référence : 2019 CF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

MANAL SERHAN

AYA SERHAL

MOHAMAD SERHAL

AHMAD SERHAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  PROCÉDURE

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 mai 2018 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a refusé la demande d’asile des demandeurs [la décision]. La présente demande de contrôle judiciaire a été présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  CONTEXTE

[2]  Les demandeurs sont une mère, qui est la demanderesse principale [la DP], et ses trois enfants adultes. L’époux de la DP [l’époux] n’est pas venu au Canada. Ces personnes sont toutes des citoyens du Liban.

[3]  Les demandeurs craignent d’être persécutés par le Hezbollah au Liban en raison de leurs opinions politiques perçues et, étant des musulmans de confession sunnite, de leur appartenance religieuse. De plus, la DP craint d’être victime de violence conjugale.

[4]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] original, la DP a déclaré que, lorsque la famille est retournée au Liban, à partir du Koweït, en 2015, l’époux a ouvert une boutique. Par la suite, des membres du Hezbollah lui ont dit que lui et la DP devaient payer 300 $ par mois pour être protégés. La DP a déclaré que son époux a d’abord payé ces frais, mais qu’il a fini par prendre du retard et qu’il devait des arriérés.

[5]  La DP a mentionné dans son formulaire FDA qu’il s’est produit un incident au cours duquel un chiite l’a giflée parce qu’elle avait garé sa voiture au mauvais endroit [l’incident du stationnement]. Elle a ajouté que, en août 2016, un groupe de personnes s’est présenté à la boutique pour les agresser et [traduction] « écraser des marchandises avec un marteau » [l’agression commise à la boutique]. La DP a également déclaré que, en février 2017, elle a reçu des menaces de mort de la part d’un homme ayant des liens avec le Hezbollah. Ces menaces ont été proférées pendant qu’elle se rendait chez sa belle‑mère [la menace]. Ces événements seront appelés collectivement « les incidents ».

[6]  Lorsque les demandeurs sont arrivés au Canada en octobre 2017, la DP a dit à l’agent au point d’entrée que son époux avait été enlevé et qu’elle ne savait pas où il se trouvait. Elle a admis dans son formulaire FDA que ce n’était pas vrai. Elle a dit avoir menti parce qu’elle craignait que tous les demandeurs soient renvoyés au Liban et qu’elle a donc raconté une histoire qui avait déjà été racontée par quelqu’un qui avait présenté une demande d’asile qui avait été accueillie. Le fait que son époux ne lui ait pas donné la permission de voyager avec le plus jeune enfant qui, à l’époque, était encore mineur la préoccupait aussi.

[7]  Toutefois, en novembre 2017, l’époux a fourni un document dans lequel il consentait à ce que les enfants demeurent au Canada avec leur mère. Il a également fourni une lettre datée du 7 novembre 2017 dans laquelle il mentionnait, entre autres choses, que, même s’il s’était opposé au départ à ce que son épouse parte du Liban parce qu’il espérait pouvoir régler ses problèmes avec le Hezbollah, il était maintenant certain qu’elle avait pris la bonne décision vu que les conditions se détérioraient pour les sunnites [la lettre de l’époux].

[8]  La SPR a entendu la demande d’asile pendant deux jours, soit le 19 décembre 2017 et le 6 avril 2018. Entre les audiences, la DP a déposé une modification à son formulaire FDA, alléguant pour la première fois qu’elle craignait de subir des violences de la part de son époux. Elle a déclaré qu’il avait commencé à la maltraiter le jour de la célébration de leur mariage en 1996 et qu’elle était devenue déprimée et avait tenté de se suicider en 2001 et en 2008. La demanderesse a dit craindre que son époux la punisse parce qu'elle était partie du Liban sans son consentement. Elle a déclaré qu’il était furieux parce qu’elle avait donné une procuration concernant ses affaires au Liban à un ami plutôt qu’à lui.

III.  LA DÉCISION DE LA SPR

[9]  La SPR a conclu que la DP n’était pas un témoin fiable. Comme il a été dit précédemment, la DP a allégué que le Hezbollah et d’autres criminels avaient à trois reprises agressé et menacé des membres de la famille. La SPR a conclu que lorsqu’elle a demandé à la DP de décrire les incidents, sa description a été « alambiquée, incohérente et contradictoire ». Je vais traiter de chaque incident à tour de rôle.

A.  Les trois incidents

(1)  L’incident du stationnement

[10]  La SPR a conclu en fin de compte que cet événement n’avait pas eu lieu parce qu’elle a constaté qu’il en existait trois récits différents. Dans son témoignage de vive voix, la DP a affirmé que, au cours de cet incident, un groupe de personnes l’a agressée parce qu’elle avait garé sa voiture au mauvais endroit. La police était à proximité et est intervenue. Elle a ajouté que, selon la police, ces hommes étaient de confession chiite. Il y avait dans le groupe un Syrien, qui a été placé en détention, et les autres, qui étaient Libanais, ont fui.

[11]  Toutefois, dans son formulaire FDA, la DP a dit que, lorsqu’elle garait son véhicule, elle a été giflée par un chiite qui la harcelait. Elle n’a pas mentionné qu’un groupe d’hommes l’avait d’abord agressée.

[12]  La lettre de l’époux indique simplement qu’il s’est produit un incident au cours duquel la DP a été agressée. L’époux mentionne toutefois que la police n’a rien fait pour l’aider. La SPR a conclu que ce renseignement contredisait le témoignage de vive voix de la DP, qui comportait une description de l’aide apportée par la police.

(2)  L’agression à la boutique

[13]  La SPR a aussi conclu que cet incident ne s’était pas produit. La SPR a fait remarquer que, dans son formulaire FDA, la DP a déclaré qu’un groupe de personnes s’était présenté à leur boutique et que la police n’avait rien fait pour les aider.

[14]  La SPR a souligné que la DP a dit dans son témoignage de vive voix que c’était une famille chrétienne qui avait commis l’agression à la boutique et que la police a interrogé les agresseurs « pendant toute une journée » et a communiqué les renseignements qu’elle avait découverts à la famille de la DP.

[15]  De plus, la SPR a conclu qu’il y avait des contradictions entre le témoignage de vive voix de la DP au sujet d’une famille chrétienne et la preuve documentaire. Les demandeurs ont fourni une lettre émanant d’un avocat au Liban [la lettre de l’avocat] qui est fondée sur les renseignements fournis par l’époux. Dans sa lettre l’avocat dit qu’il n’y a eu qu’un seul agresseur et il mentionne son nom. Cependant, d’après la lettre de l’époux, c’étaient des [traduction] « personnes inconnues » qui avaient participé à l’agression commise à la boutique. La SPR a conclu que ces documents contredisaient le témoignage de vive voix de la DP selon lequel ils avaient été agressés par une famille chrétienne. La SPR a conclu que la lettre de l’avocat et la lettre de l’époux n’étaient pas fiables et ne leur a accordé aucun poids pour ce qui est de corroborer l’agression commise à la boutique.

(3)  La menace

[16]  La DP a allégué dans son formulaire FDA qu’un membre du Hezbollah l’avait menacée de mort pendant qu’elle était en chemin pour rendre visite à sa belle‑mère. Dans son témoignage de vive voix, elle a ajouté que le membre du Hezbollah se présentait chaque fois qu’elle rendait visite à sa belle-mère et qu’il riait d’elle de façon sarcastique. Toutefois, la SPR a fait remarquer que, dans son formulaire FDA, la DP ne mentionne pas avoir rencontré cet homme plus d’une fois. En raison de cette omission, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[17]  Compte tenu de ces problèmes, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, ni le Hezbollah ni aucun criminel n’avaient jamais agressé ni menacé la DP ou son époux. Elle a de plus conclu que la DP ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution.

B.  L’allégation de violence conjugale

[18]  La SPR a examiné des lettres de la sœur de la DP qui se trouve au Canada [la sœur], de son frère, du cousin de son époux, de l’ami de la DP et de son père qui se trouvent au Liban. Toutes disent que la DP a été malheureuse et maltraitée pendant son mariage.

[19]  La sœur devait témoigner à l’audience le 6 avril 2018. Toutefois, elle ne s’est pas présentée. Le 5 avril 2018, la DP a plutôt déposé un affidavit souscrit par sa sœur. La DP a également informé la SPR que le fils de sa sœur était malade, mais rien dans l’affidavit de la sœur n’expliquait son absence. La SPR a donc tiré une inférence défavorable de l’absence de la sœur.

[20]  La SPR a conclu que les lettres des membres de la famille et de l’ami de la DP n’étaient pas suffisantes pour dissiper les doutes quant à la crédibilité.

[21]  La SPR a également examiné la copie de messages textes insultants et menaçants qui auraient été échangés entre la DP et son époux le 17 novembre ainsi que la transcription de messages vocaux menaçants reçus de la part de l’époux le 20 janvier. La SPR a fait remarquer que, après un examen attentif, il s’avérait que les dates des messages textes et vocaux originaux ne précisaient pas l’année. Les années ne sont apparues qu’en 2017 et 2018 sur les copies traduites. De plus, la SPR a fait remarquer que la traduction montre que le message texte avait un ton « sarcastique ». La SPR s’est demandé comment le traducteur a pu tenir compte du ton d’un message texte ou savoir en quelle année les textes ont été envoyés. La SPR a conclu que ces questions avaient une incidence sur la fiabilité générale des documents. Elle leur a donc accordé peu de poids.

[22]  De plus, la SPR a tenu compte de sa conclusion antérieure selon laquelle les éléments de preuve fournis dans la lettre de l’époux n’étaient pas fiables. Elle a également souligné que le premier échange de messages textes aurait eu lieu le 17 novembre 2017, soit dix jours après que l’époux a déposé sa lettre d’appui au voyage de la DP au Canada et une journée après qu’il a déposé la lettre de consentement parental. Comme il y a contradiction entre ces lettres et les messages de menaces alors que leurs dates sont rapprochées, la SPR a conclu que l’existence des messages ne faisait pas contrepoids aux doutes quant à la crédibilité de l’allégation.

[23]  La SPR a donc conclu que la DP ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il existât un risque sérieux qu’elle soit victime de violence conjugale si elle retournait au Liban.

IV.  DISCUSSION

[24]  La DP soutient que les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité découlaient d’un examen microscopique et ne portaient pas sur des questions importantes. Elle ajoute que ces conclusions ne devraient pas avoir d’incidence sur la demande fondée sur la violence conjugale parce qu’il s’agit d’une demande distincte étayée par ses propres éléments de preuve.

[25]  La DP conteste le traitement par la SPR de l’affidavit de sa sœur; selon la DP, la SPR aurait dû l’aviser qu’elle allait tirer une conclusion défavorable du fait que sa sœur ne se soit pas présentée. La DP affirme aussi que l’équité exigeait que la SPR fasse savoir aux demandeurs qu’elle relevait des problèmes en ce qui concerne les messages textes et vocaux. De plus, la DP reproche à la SPR de ne pas avoir fait mention du rapport d’une psychothérapeute.

[26]  L’observation de la DP au sujet du peu de pertinence des conclusions sur la crédibilité n’est pas convaincante. Des questions comme le nombre d’incidents, le nombre et l’identité des assaillants et l’existence d’une intervention policière sont importantes.

[27]  La crédibilité pose toujours problème et la première audience a fait naître de sérieux doutes quant à la crédibilité de la DP relativement aux incidents. Dans ce contexte, le témoignage de vive voix de la sœur était important en ce qui concerne l’allégation de violence conjugale parce qu’il aurait donné à la SPR la possibilité d’évaluer un témoin autre que la DP. Étant donné que le défaut de la sœur de se présenter a éliminé cette possibilité et qu’aucune offre de la faire témoigner par téléconférence n’a été faite, la SPR avait le droit de se demander si son témoignage aurait été véridique. La SPR a fait part de ses préoccupations à l’avocate des demandeurs. Avant de commencer son argumentation finale, celle‑ci a demandé à la SPR si elle doutait de la crédibilité de l’allégation de violence conjugale et s’est vue répondre que la crédibilité était encore problématique.

[28]  Il est important aussi de souligner que la SPR avait déjà conclu qu’un autre membre de la famille – l’époux – n’avait pas dit la vérité. Dans ces circonstances, et compte tenu des problèmes liés aux messages textes et vocaux, je conclus que la SPR a raisonnablement rejeté le reste de la correspondance et conclu que l’allégation de violence conjugale n’avait pas été prouvée. Je dois ajouter que la SPR n’était pas tenue d’informer les demandeurs de ses doutes au sujet des messages textes et vocaux.

[29]  Après la première audience, au cours de laquelle elle a été confrontée aux contradictions entre son formulaire FDA et son témoignage de vive voix, la DP est allée voir une psychothérapeute afin d’y subir un examen. Le rapport de Mme Riback est daté du 12 mars 2018 [le rapport]. Il n’a pas été mentionné dans la décision de la SPR.

[30]  D’après ce rapport, la DP a décrit les incidents à Mme Riback, qui a tiré des conclusions fondées sur ce récit. La DP a également décrit les mauvais traitements qu’elle aurait subis pendant son mariage. Mme Riback a conclu que, en raison de ces expériences traumatisantes, la DP pourrait être incapable de fournir un témoignage clair et pourrait éprouver des troubles de mémoire. Il faut souligner que, bien que la DP ait dit qu’elle a subi une perte de mémoire à court terme, rien n’indique dans le rapport qu’elle a subi une perte de mémoire à long terme. Apparemment, elle n’a eu aucune difficulté à se souvenir de son histoire et à la raconter pendant l’évaluation.

[31]  Je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de la SPR de ne pas tenir compte de ce rapport dans la décision qu’elle a rendue parce qu’il est entièrement fondé sur un compte rendu des événements qui, selon elle, n’était pas crédible. De plus, la mémoire à court terme de la DP n’était pas en cause à l’audience.

[32]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[33]  Aucune question à certifier en vue d’un appel n’a été soulevée.




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