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Date : 20190228


Dossier : IMM-2682-18

Référence : 2019 CF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ABBA SHAWNDELL DANIEL

JADEN DAMON LAFORCE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’égard de la décision par laquelle un agent principal de Citoyenneté, Réfugiés et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par Abba Shawndell Daniel et Jason Damon Laforce (les demandeurs) à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, datée du 16 mai 2018. L’agent a rejeté la demande au motif que l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire favorables et défavorables ne justifie pas l’octroi d’une exemption au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse principale, Abba Shawndell Daniel, est née en 1980 et est une citoyenne de Saint-Lucie. Le demandeur mineur, Jaden Damon Laforce, né en 2008, est aussi un citoyen de Saint-Lucie et n’a pas de statut au Canada. La demanderesse principale a aussi une fille, née en 2015, qui est citoyenne canadienne.

[3]  Les demandeurs sont arrivés au Canada le 3 décembre 2009 munis de visas de visiteur d’une durée de six mois. Leurs demandes d’asile présentées le 9 décembre 2010, au motif que la demanderesse principale serait exposée à des risques à Saint-Lucie parce qu’elle est bisexuelle, ont été rejetées en juin 2012. Les demandes d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs ont été rejetées en juin 2014.

[4]  Les demandeurs ne se sont pas présentés le jour de leur renvoi prévu, en juillet 2014, et un mandat a été délivré contre la demanderesse principale en août 2014. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a retrouvé la demanderesse principale en avril 2015. Puisque cette dernière était enceinte de huit mois et qu’elle gardait un enfant mineur, l’agent ne l’a pas arrêtée et lui a plutôt donné instruction de se présenter au bureau de l’ASFC le lendemain. La demanderesse principale ne s’est pas présentée, et le mandat à son encontre n’avait pas été exécuté au moment où la décision visée par le contrôle a été rendue.

[5]  Les demandeurs ont initialement demandé la prise de mesures spéciales sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire en juillet 2016. La demande a été rejetée en mars 2017. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision, que la Cour a autorisé en août 2017. Avec l’accord des parties, cette demande a été renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision en septembre 2017. Les demandeurs ont présenté des observations mises à jour en novembre 2017.

[6]  L’agent a finalement rejeté la demande le 16 mai 2018, concluant que l’établissement de la demanderesse principale, l’intérêt supérieur de ses deux enfants actuellement au Canada et les observations au sujet des difficultés auxquelles elle se heurterait en tant que personne bisexuelle à Saint-Lucie ne constituaient pas des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales. L’agent a aussi fondé sa conclusion sur le fait que la demanderesse principale n’a pas respecté les lois canadiennes sur l’immigration, plus particulièrement en se soustrayant à son renvoi.

[7]  Les demandeurs contestent maintenant cette décision au motif que l’agent a fait abstraction des éléments de preuve se rapportant aux difficultés auxquelles se heurterait la demanderesse principale à son retour à Saint-Lucie.

III.  Décision contestée

[8]  L’agent a d’abord loué le bénévolat et la participation active de la demanderesse principale à la vie de sa communauté et a reconnu que celle-ci s’était constituée un réseau social au Canada. L’agent a reconnu que la demanderesse principale travaille à temps plein contre rémunération et est autonome. En dernière analyse, il a conclu que la demanderesse principale avait démontré un degré attendu d’établissement compte tenu du nombre d’années qu’elle avait passées au Canada. Sans qualifier son établissement d’exceptionnel, il lui a tout de même accordé un certain poids.  

[9]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse principale au Canada, l’agent a conclu que les éléments de preuve qui avaient été présentés ne suffisaient pas pour établir que la fille canadienne de deux ans de la demanderesse principale avait besoin de soins médicaux ou que son renvoi du Canada aurait des conséquences non négligeables sur elle. Il n’y avait aucune information au sujet de son père ni du rôle que celui-ci jouait dans sa vie ou son éducation. De plus, il n’y avait guère d’information ou d’éléments de preuve montrant que l’enfant ne pourrait pas déménager à Sainte-Lucie ou que son bien-être serait compromis si elle quittait le Canada avec sa mère.

[10]  S’agissant du demandeur mineur âgé de 10 ans, l’agent a rejeté les observations selon lesquelles l’enfant était peut-être homosexuel sur la foi d’une déclaration faite deux ans plus tôt et qu’il serait exposé à des risques à Sainte-Lucie, étant donné que les demandeurs n’ont pas fourni d’autres éléments de preuve relatifs à son orientation ou son identité sexuelle. Il y avait trop peu d’éléments de preuve confirmant son homosexualité.

[11]  De plus, l’agent a conclu que le demandeur mineur est bien établi au Canada et que, pour plusieurs raisons, il serait dans son intérêt supérieur de rester au Canada. L’agent a donné à ce facteur [traduction] « un poids considérable » en faveur des demandeurs.

[12]  L’agent a ensuite examiné les observations de la demanderesse principale selon lesquelles son renvoi à Sainte-Lucie risquerait de l’exposer [traduction] « à des actes de discrimination et de violence graves en tant que bisexuelle, ainsi qu’à la pauvreté et à l’isolement » et que tout le monde à Sainte-Lucie connaît son orientation sexuelle parce qu’il s’agit d’une petite île. Il a également tenu compte de sa déclaration selon laquelle [traduction] « personne ne [lui] donnera d’emploi, et [elle sera] probablement attaquée ».

[13]  L’agent a accepté que l’[traduction] « on pourrait croire que la demanderesse principale n’est pas hétérosexuelle en raison de son engagement auprès de la communauté LGBT au Canada » et que [traduction] « les personnes LGBT sont victimes de discrimination sociétale à Sainte-Lucie. »

[14]  L’agent a cité un passage d’un document sur la situation dans le pays datant de 2017, faisant état d’une vaste discrimination contre les personnes LGBT à Sainte‑Lucie, particulièrement [traduction] « du harcèlement verbal quotidien », des rapports selon lesquels les personnes LGBT se voient refuser l’accès à des logements ou sont forcées de quitter leur logement, que des emplois leur sont refusés ou qu’elles sont forcées de quitter leur emploi en raison d’un milieu de travail hostile. Le passage conclut aussi que [traduction] « peu d’incidents de violence ou de mauvais traitements ont été signalés pendant l’année ».

[15]  L’agent a souligné que la demanderesse principale avait travaillé à son compte en tant que coiffeuse à Sainte-Lucie pendant neuf ans et y avait été caissière pendant plus d’un an. De plus, il a fait remarquer que la demanderesse principale avait résidé à la même adresse à Sainte‑Lucie pendant neuf ans. À partir de ces faits, l’agent a conclu que la demanderesse principale avait occupé deux emplois rémunérés pendant qu’elle résidait à Sainte-Lucie et qu’elle avait un logement. L’agent a estimé qu’il y avait peu d’information ou d’éléments de preuve donnant à penser que la demanderesse principale ait déjà été sans-abri ou ait vécu dans la pauvreté, ou qu’elle ait déjà souffert de discrimination en raison de son orientation sexuelle ou de son sexe.

[16]  En ce qui a trait à la déclaration de la demanderesse principale selon laquelle elle serait exposée à la violence à Sainte-Lucie, l’agent a tiré les conclusions qui suivent :

[traduction]

Je constate que peu d’information ou d’éléments de preuve ont été présentés faisant état de personnes qui chercheraient encore à nuire à la demanderesse principale à Sainte‑Lucie en raison de son orientation sexuelle, particulièrement étant donné qu’il s’est écoulé plus de huit ans depuis qu’elle a quitté le pays. J’accepte que Sainte‑Lucie soit une petite île dotée d’une faible population. Toutefois, je constate qu’il y a peu d’information voulant que les demandeurs retourneront dans la même ville, la même communauté, ou dans le même quartier où ils résidaient auparavant. Je constate aussi que les demandes d’asile et les demandes d’examen des risques avant renvoi des demandeurs ont été rejetées, ce qui montre à mon avis que les demandeurs ne sont pas exposés pas à des risques en retournant à Sainte‑Lucie.

[17]  En dernière analyse, l’agent a tiré les conclusions qui suivent au sujet de la discrimination à Sainte‑Lucie :

[traduction]

Toutefois, selon l’information et les éléments de preuve concernant la période au cours de laquelle elle a résidé à Sainte‑Lucie, je conclus que la demandeure principale n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’elle avait été victime de discrimination à Sainte‑Lucie. Quoi qu’il en soit, j’ai accordé un certain poids à une discrimination possible et aux difficultés en résultant que pourrait connaître la demandeure principale à Sainte‑Lucie à cause de sa bisexualité ou de son orientation sexuelle perçue.

[18]  L’agent a souligné que, en dépit du fait que la demanderesse principale pourrait connaître certaines difficultés en s’établissant à nouveau à Sainte‑Lucie, elle connaît les coutumes de Sainte‑Lucie, et la langue officielle de l’Île, l’anglais, est sa langue maternelle. Il a mentionné sa force de caractère pour s’être adaptée à la vie au Canada et a conclu que cette qualité l’aiderait à s’établir à nouveau à Sainte‑Lucie.

[19]  L’agent a ensuite fait plusieurs commentaires sur le comportement de la demanderesse principale qui, à son avis, démontrent [traduction] « ses tendances et ses antécédents de longue date à faire fi des lois sur l’immigration et de l’application de la loi au Canada ». Il a par la suite indiqué qu’après l’expiration des visas de visiteur des demandeurs, ceux-ci n’ont cherché à régulariser leur statut qu’au moment où ils ont demandé l’asile presque un an plus tard. L’agent a accordé [traduction] « un poids considérable » au manque de respect par la demanderesse principale des lois canadiennes sur l’immigration.

[20]  De plus, l’agent a fait remarquer que la demanderesse principale avait un permis de travail valide du 24 février 2011 au 9 décembre 2012, mais qu’elle avait en majorité travaillé au Canada en dehors de cette période et sans permis. En dépit du fait que les motifs de l’agent montrent que celle-ci a accordé à cette considération un poids [traduction] « considérable », il ressort clairement du contexte qu’il s’agissait d’un poids considérable défavorable.

[21]  L’agent a souligné que la demanderesse principale avait passé trois ans et neuf mois au Canada tout en étant visée par un mandat non exécuté et qu’elle ne s’était pas présentée pour son renvoi en juillet 2014, qu’un mandat avait été délivré pour son arrestation, et qu’elle ne s’était pas présentée au bureau de l’ASFC comme elle en avait reçu instruction lorsqu’elle avait été retrouvée en avril 2015. L’agent a mentionné que l’ASFC avait ensuite perdu sa trace, qu’au moment de la décision, le mandat n’était pas exécuté, et qu’elle avait fait obstacle à son propre renvoi du Canada à au moins deux reprises. L’agent a accordé à ces facteurs un poids défavorable considérable.

IV.  Questions en litige

[22]  Je conclus que la présente demande soulève une question : la décision de l’agent de rejeter la demande d’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable étant donné que n’ont pas été pris en compte des éléments de preuve censés démontrer que la demanderesse principale avait souffert de discrimination à Sainte-Lucie parce qu’elle est bisexuelle?

V.  Norme de contrôle

[23]  L’exercice par l’agent de son pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire entraîne l’analyse de questions mixtes de fait et de droit et doit être examiné selon la norme de la décision raisonnable (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757 aux paragraphes 54 et 55; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909 (Kanthasamy)).

VI.  Analyse

[24]  Les demandeurs affirment que l’agent a limité son analyse de la discrimination aux aspects du logement, de l’emploi et des difficultés financières, ce qui l’a amené à conclure qu’il y avait [traduction] « peu » d’éléments de preuve indiquant que la demanderesse principale a souffert de discrimination à titre de femme bisexuelle à Sainte-Lucie et que celle‑ci serait vraisemblablement capable de s’y établir à nouveau.

[25]  À cet égard, les demandeurs soutiennent que les éléments suivants n’ont pas été mentionnés :

  • Un paragraphe dans l’affidavit de la demanderesse principale, présenté dans la présente affaire, soutenant qu’elle serait exposée à [traduction] « des actes de discrimination et de violence graves » à son retour à Sainte-Lucie et qu’elle avait déjà tenté de se suicider avec des somnifères quand elle résidait à Sainte-Lucie;

  • Une lettre d’une amie que la demanderesse principale a connue au Canada, datée du 30 septembre 2015, relatant les déclarations de la demanderesse principale sur les mauvais traitements subis à Sainte-Lucie, à cause de son orientation sexuelle, avant son arrivée au Canada en 2009;

  • Une déclaration solennelle d’une [traduction] « amie intime » résidant à Sainte‑Lucie datée du 28 octobre 2011, selon laquelle la demanderesse principale était devenue [traduction] « un sujet de moqueries, de harcèlement et de plaisanteries » après que sa bisexualité eut été révélée publiquement et qu’elle se soit sauvée d’un homme qu’elle fréquentait après que celui-ci l’eut menacée lorsqu’il a découvert son orientation sexuelle.

[26]  Les demandeurs estiment que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en faisant abstraction de ces éléments de preuve ou en ne les incorporant pas dans son analyse, se contentant d’affirmer que la demanderesse principale avait présenté [traduction] « divers documents » se rapportant à son orientation sexuelle, y compris [traduction] « des déclarations solennelles et des lettres » (Cepeda-Guitierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF 1425, aux paragraphes 16 et 17 (Cepeda-Guitierrez)). Si l’agent avait pris en compte ces éléments de preuve des mauvais traitements subis par la demanderesse principale, il n’aurait pas pu raisonnablement conclure qu’il y avait peu d’éléments de preuve que la demanderesse principale serait victime de discrimination à Sainte-Lucie ou qu’elle pourrait vraisemblablement s’y établir à nouveau.

[27]  Toutefois, la jurisprudence décrivant une erreur dans le processus de recherche des faits concernant le défaut de faire des observations sur des éléments de preuve contradictoires, comme la décision Cepeda-Guitierrez, doit être interprétée concurremment avec l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 12, de la Cour suprême. La Cour suprême a souscrit à l’idée voulant que la retenue suppose « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » et que « la cour de justice doit d’abord chercher à compléter [les motifs] avant de tenter de les contrecarrer ». Pour cette raison, « on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards ». Par conséquent, le décideur est censé avoir examiné et pris en compte tous les éléments de preuve dont il disposait, jusqu’à l’établissement du contraire.

[28]  Pour les motifs qui suivent, la présomption veut que, dans le cadre de l’évaluation globale des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a examiné et pris en compte les documents qui ne sont pas mentionnés, mais a conclu que ceux-ci n’étaient pas suffisamment importants pour soutenir une conclusion selon laquelle la demanderesse principale connaîtrait des difficultés à Sainte-Lucie qui justifient la prise de mesures spéciales.

[29]  Le court paragraphe figurant dans l’affidavit de la demanderesse principale, auquel l’agent a renvoyé, ne suffit pas pour établir une discrimination à Sainte-Lucie équivalant à des difficultés étant donné l’absence de preuve objective produite à l’appui de cet élément de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs soutiennent essentiellement que, étant donné que la demanderesse principale a souscrit un affidavit, l’agent devait supposer que le contenu de celui-ci était véridique, à moins d’une conclusion raisonnable et explicite défavorable quant à la crédibilité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CAF)).

[30]  À cet égard, il n’est pas nécessaire de juger de la véracité d’une déclaration assermentée d’un demandeur dans le contexte d’une évaluation des motifs d’ordre humanitaire (voir Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 832, au paragraphe 17) :

[17]  De plus, l’obligation de considérer comme véridique la déclaration assermentée d’un demandeur, telle qu’elle a été énoncée pour la première fois dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CAF), reflète une politique voulant que les circonstances urgentes auxquelles sont exposés les réfugiés ayant fui un pays peuvent compromettre leur capacité à fournir des documents corroborants. À l’inverse, lorsqu’un demandeur d’asile a obtenu facilement ou peut facilement obtenir des éléments de preuve corroborants dans une situation où ceux‑ci seraient normalement produits devant le tribunal administratif pour étoffer une affirmation qui, sinon, serait non étayée, l’on s’attend à ce que la partie se conforme aux exigences habituelles en matière de fiabilité pour produire les éléments de preuve les mieux à même d’appuyer son dossier. Dans le cas contraire, un poids moindre (voire aucun) pourrait être conféré à la déclaration. La situation est semblable à la présomption contre la partie qui n’appelle pas un témoin susceptible de fournir des éléments de preuve utiles sur une question.

[31]  En dépit du fait que l’agent n’a pas tiré une conclusion défavorable explicite quant à la crédibilité de la demanderesse principale, le fait que cette dernière ait montré un mépris flagrant des lois canadiennes sur l’immigration, s’étant à deux reprises soustraite à son renvoi, constitue un indice important qu’elle ne croyait pas être en mesure d’entrer au pays légalement. De ce fait, et parce que la demanderesse principale avait eu recours à des moyens illégaux pour rester au pays, il était loisible à l’agent d’examiner les éléments de preuve de la demanderesse principale avec un degré élevé de scepticisme quant à leur véracité. Il ne peut guère y avoir de doutes que ces circonstances pourraient raisonnablement justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité, étant donné que la crédibilité ne tient pas seulement aux paroles dites par une personne, mais peut aussi être implicite selon les gestes posés par celle-ci.  

[32]  En l’espèce, toutefois, l’agent a jugé que les éléments de preuve étaient [traduction] « insuffisants » pour prouver la discrimination qu’aurait subie la demanderesse principale par le passé selon la prépondérance des probabilités. Même en supposant que la déclaration assermentée doit être présumée véridique, il ne peut pas en être ainsi lorsqu’il existe une raison valide de douter de sa véracité. Dans de telles circonstances, les décideurs peuvent accorder peu de poids à la déclaration assermentée. Un manque de détails ou d’éléments de preuve corroborants objectifs à l’appui d’une simple déclaration, lorsqu’on s’attendrait normalement à ce que de tels éléments soient fournis, donne certainement une raison valide de douter de la véracité d’un affidavit (Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422, aux paragraphes 26 à 34; Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 46).

[33]  Qui plus est, la lettre de son amie datée de 2015 consistait en de l’information que la demanderesse principale lui avait fournie au sujet d’événements s’étant produits à Sainte‑Lucie. Le document n’est guère probant étant donné son but manifestement intéressé et qu’il s’agit simplement d’une déclaration de la demanderesse principale. La lettre ne contient aucune connaissance personnelle de l’auteure, ou d’autres personnes, ni de circonstances connexes susceptibles de corroborer le fait que l’orientation sexuelle de la demanderesse principale lui ait causé des problèmes lorsqu’elle résidait à Sainte-Lucie.

[34]  La déclaration solennelle de l’amie [traduction] « intime » de la demanderesse principale à Sainte‑Lucie renvoyait à un incident au cours duquel cette dernière avait été surprise avec une voisine décrite sous le seul prénom de « Betty ». Selon la déclaration, l’amie avait été surprise d’apprendre de la sœur de Betty que la demanderesse principale était bisexuelle. Le petit ami de la demanderesse principale a appris l’orientation sexuelle de cette dernière à son retour de vacances. Selon cette déclaration, c’est la colère du petit ami après avoir appris son orientation sexuelle qui a amené la demanderesse principale à quitter le pays. Cette déclaration a été faite en 2011 et, en dépit du fait qu’elle se rapporte aux demandes d’asile et d’ERAR infructueuses de la demanderesse principale, dans lesquelles elle a prétendu être exposée à des risques à cause de son orientation sexuelle, l’agent n’avait pas copie de ces décisions à sa disposition.

[35]  Il est difficile de voir en quoi ce document peu récent, présenté à l’appui de la demande d’asile infructueuse de la demanderesse principale, pourrait constituer un élément de preuve « important » qui contredit « clairement » la conclusion de l’agent voulant que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale n’avait pas été victime de discrimination (Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551, aux paragraphes 44 à 46; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 39).

[36]  Dans les circonstances, il est juste de supposer que l’agent a examiné les documents dont il disposait, mais qu’il a conclu que ces éléments de preuve n’étaient pas assez probants pour qu’il les mentionne dans la décision, puisqu’ils ajoutaient peu à l’affidavit de la demanderesse principale. Au contraire, d’après le seul élément de preuve objectif, la demanderesse principale a mené une existence fructueuse à Sainte-Lucie, y a travaillé, et y a eu un logement stable pendant une longue période, sans difficulté apparente avant d’arriver au Canada en raison du présumé incident avec son petit ami.

[37]  L’agent a néanmoins tenu  compte du fait que la demanderesse principale pourrait être victime de discrimination à son retour à Sainte-Lucie, à la suite de son examen spécifique de documents récents et objectifs relatifs à la situation dans le pays. À partir de ces éléments, toutefois, à la lumière des différents facteurs se rapportant à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a finalement accordé plus de poids aux graves manquements de la demanderesse principale, à plus d’une reprise, à son obligation de se conformer aux lois canadiennes sur l’immigration, et à d’autres lois, en travaillant pendant un certain nombre d’années sans permis au Canada.

[38]  Comme l’a statué la Cour précédemment, la décision Kanthasamy exige que tous les faits et les facteurs doivent être évalués dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris l’omission de se conformer aux lois relatives à l’immigration (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 33; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, aux paragraphes 43 à 52). Il va sans dire que la Cour n’est pas à même de réévaluer les motifs d’ordre humanitaire que l’agent a pris en compte à sa façon.

[39]  Après avoir pris en compte les conclusions de l’agent, et les éléments de preuve figurant au dossier, je conclus que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.  

VII.  Conclusion

[40]  Pour les motifs énoncés plus haut, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable. Par conséquent, la demande doit être rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2682-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’il n’y a pas de question à certifier.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce __e jour de mai 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2682-18

INTITULÉ :

ABBA SHAWNDELL DANIEL ET Al c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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