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Date : 20190228


Dossier : IMM‑3011‑18

Référence : 2019 CF 247

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

REEM SABAH ABDULAMEER SHABAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR) à l’encontre de la décision datée du 3 mai 2018 (la décision) par laquelle un agent de l’ambassade du Canada en Roumanie a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) de Mme Reem Sabah Abdulameer Shaban (la demanderesse). Celle‑ci avait auparavant été exclue de la catégorie du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR).

[2]  L’agent a rejeté la demande parce que les motifs d’ordre humanitaire soulevés étaient insuffisants pour justifier que l’exclusion de la demanderesse de la catégorie du regroupement familial soit levée. Plus précisément, l’agent a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés excessives si elle continuait à vivre en Iraq.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, une citoyenne iraquienne, est née en 1995 et a grandi dans la ville de Bagdad, où elle réside toujours.

[4]  La demanderesse et son conjoint, Alhareth Sabah Al‑Dujaili (M. Al‑Dujaili), ont entamé leur relation amoureuse au début de 2013 et ont signé un contrat de mariage coutumier islamique en août 2014. La demanderesse affirme qu’à ce moment‑là, elle et son mari ne considéraient pas qu’ils étaient officiellement mariés parce qu’ils n’avaient pas encore franchi la troisième étape du mariage islamique (une cérémonie de mariage et une réception, suivies de la consommation du mariage).

[5]  Monsieur Al‑Dujaili est également un citoyen iraquien. Il est devenu un résident permanent du Canada à titre de personne à charge de sa mère en septembre 2014, peu après que la demanderesse et lui ont signé leur contrat de mariage.

[6]  Avant de franchir la troisième étape de son mariage, M. Al-Dujaili a présenté, en avril 2015, une demande de parrainage de la demanderesse au titre de la catégorie des époux. Il soutient qu’en novembre 2014, son consultant en immigration lui a affirmé que son contrat de mariage était suffisant pour qu’il puisse être le répondant de la demanderesse.

[7]  Le 13 octobre 2015, M. Al‑Dujaili a reçu une lettre dans laquelle il était indiqué que la demanderesse était exclue de la catégorie du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, parce qu’il ne l’avait pas déclarée comme épouse dans sa demande de résidence permanente.

[8]  En août 2016, M. Al‑Dujaili a finalement obtenu une exemption lui permettant de conserver son statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire en dépit du fait qu’il n’avait pas déclaré la demanderesse comme épouse.

[9]  En septembre 2016, la demanderesse et M. Al‑Dujaili se sont mariés en Iraq.

[10]  En février 2017, la demanderesse a présenté une demande pour que soit levée son interdiction de territoire pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[11]  Les principaux motifs invoqués au soutien de la demande de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire étaient les suivants : la réunification de la famille; l’établissement de M. Al‑Dujaili au Canada; les liens de la demanderesse avec le Canada; et la situation en Iraq. La demanderesse a aussi présenté des observations pour expliquer que M. Al‑Dujaili ne pensait pas qu’ils étaient mariés lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, et elle a déposé l’affirmation solennelle qu’il a faite à cet effet.

[12]  Le 3 mai 2018, la demande CH a été rejetée au motif que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il existait des difficultés excessives ou d’autres motifs d’ordre humanitaire justifiant la levée, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, de l’interdiction de territoire qui la visait.

[13]  La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

III.  Décision contestée

[14]  Dans sa lettre de décision datée du 3 mai 2018, l’agent a s’est dit d’avis que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences établies pour l’immigration au Canada. Il a d’abord noté que la demanderesse était exclue de la catégorie du regroupement familial, en application du paragraphe 12(1) de la LIPR et de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, parce que M. Al‑Dujaili ne l’avait pas déclarée comme épouse sur sa demande de résidence permanente, et ce, en dépit du fait qu’ils étaient mariés. L’agent a ensuite déclaré qu’il avait évalué la demande de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il avait tiré la conclusion suivante :

[traduction]

Après avoir examiné votre demande et les renseignements fournis à l’appui, je n’ai constaté aucune difficulté excessive qui pourrait vous empêcher, votre répondant et vous, de vivre dans votre pays. J’ai conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas que soit levé tout critère ou toute obligation applicable de la Loi.

[15]  En plus de la lettre de décision, les notes du Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) contiennent d’autres motifs à l’appui de la décision soumise au contrôle qui ont été rédigés par deux agents différents (collectivement, l’agent) (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, au paragraphe 9).

[16]  Dans une note du SMGC datée du 13 novembre 2017, le premier agent a consigné un certain nombre d’observations relatives à l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Il a notamment indiqué que l’explication de la demanderesse, selon laquelle M. Al‑Dujaili et elle ne se considéraient pas comme mariés au moment où il avait présenté sa demande de résidence permanente, n’était pas acceptable. L’agent a également constaté ce qui suit :

[traduction]

La demanderesse ne semble pas différente des 6,6 millions d’autres personnes qui habitent à Bagdad — une région assez stable en Iraq. Même si je comprends que la séparation ne convient ni à l’un ni à l’autre des époux, je note que le répondant a choisi de faire une fausse déclaration sur son état matrimonial et d’aller de l’avant avec son établissement, et ce, même s’il n’était plus admissible à titre de personne à charge de sa mère en raison de ce nouvel état matrimonial.

[17]  L’agent a finalement conclu qu’il n’existait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour passer outre l’exigence liée à l’admissibilité, et qu’aucune difficulté excessive n’empêchait la demanderesse et M. Al‑Dujaili de vivre en Iraq. À la fin de sa note, l’agent a indiqué ce qui suit : [traduction] « Dossier renvoyé au gestionnaire du programme d’immigration pour examen des motifs d’ordre humanitaire. »

[18]  Une deuxième entrée dans les notes du SMGC, rédigée par un second agent et datée du 13 mars 2018, contient des motifs supplémentaires pour appuyer le rejet de la demande CH. L’agent a d’abord inscrit ce qui suit : [traduction] « L’examen des motifs d’ordre humanitaire a été réalisé. Le point principal du dossier est celui de l’interprétation du mariage par la demanderesse principale et le répondant ». Il a par la suite rejeté l’explication selon laquelle M. Al‑Dujaili avait involontairement omis de déclarer la demanderesse comme épouse sur sa demande de résidence permanente.

[19]  Dans un paragraphe intitulé [traduction] « Difficultés », l’agent s’est ensuite penché sur les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans la demande et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Même si je reconnais que l’Iraq n’est pas le pays le plus sûr au monde, je ne crois pas que cela soit suffisant pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. [La demanderesse] affirme que la situation est plus difficile pour elle étant donné qu’elle est une femme. Cependant, rien n’empêche le répondant de lui rendre visite ou de retourner vivre en Iraq. Le fait que le répondant soit proche de sa famille au Canada n’est pas un argument suffisamment solide pour justifier que des mesures spéciales soient prises pour des motifs d’ordre humanitaire. Les époux semblent avoir un important réseau familial dans les deux pays. Le répondant rend régulièrement visite à la demanderesse et rien n’indique que leur situation en Iraq pourrait constituer une difficulté excessive. Il n’y a pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales. [La demanderesse] et son conjoint se sont mariés avant l’établissement de celui‑ci au Canada; il s’agit d’un fait, et non d’une pratique coutumière qui précède un mariage officiel. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est rejetée.

IV.  Questions en litige

[20]  La demanderesse soulève trois questions en litige dans la présente demande :

  • a) L’agent a‑t‑il omis de tenir compte des éléments de preuve et des observations présentés par la demanderesse qui contredisaient ses conclusions sur les difficultés?

  • b) L’agent a‑t‑il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en accordant une importance excessive à l’exclusion de la demanderesse en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR?

  • c) L’agent a‑t‑il porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses préoccupations?

[21]  Je conclus que la présente affaire soulève une seule question importante : l’appréciation faite par l’agent des éléments de preuve et des observations présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande CH, notamment en ce qui concerne les difficultés, était‑elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[22]  L’exercice par l’agent de son pouvoir discrétionnaire lors de l’examen des motifs d’ordre humanitaire suppose l’exécution d’une analyse des questions mixtes de fait et de droit, et il est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757, aux paragraphes 54 et 55; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 CSC 909).

VI.  Analyse

A.  Insuffisance des éléments de preuve relatifs à l’existence de difficultés

[23]  La demanderesse soutient que l’agent a ignoré des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions relatives aux difficultés, à savoir des documents sur la situation dans le pays qui démontrent que Bagdad est une ville où il est dangereux de vivre.

[24]  La demanderesse affirme également que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en accordant une importance excessive à son exclusion au titre de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. À cet égard, elle cite la jurisprudence, par exemple la décision Sultana c Canada, 2009 CF 533, pour faire valoir que l’élément déterminant dans sa demande CH ne devrait pas servir de fondement à l’interdiction de territoire qui la vise, et que l’agent a donc omis de prendre adéquatement en compte les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans la demande.

[25]  La demanderesse allègue par ailleurs que le premier agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale lorsqu’il a laissé entendre, lors de son examen de la preuve, que M. Al‑Dujaili et elle manquaient de crédibilité, notamment en ce qui concerne les affirmations solennelles expliquant la confusion qui a donné lieu aux fausses déclarations sur l’état matrimonial.

[26]  Les motifs donnés par l’agent à l’appui du rejet de la demande CH étaient brefs, et on lui aurait normalement reproché cette brièveté. Cependant, en l’espèce, la concision des motifs reflétait le manque de renseignements fournis par la demanderesse pour étayer sa demande de mesures spéciales, notamment en ce qui concerne les difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait rester en Iraq. Essentiellement, l’agent a jugé que la preuve présentée était insuffisante pour étayer la demande CH de la demanderesse. Je conclus que la décision de l’agent était raisonnable compte tenu du manque d’éléments de preuve présentés à l’appui de la demande.

[27]  Les déclarations faites par la demanderesse et par M. Al‑Dujaili relativement à la question des difficultés sont reproduites ci‑dessous, au paragraphe 25 et aux paragraphes 27 à 31, respectivement :

[traduction]

25. Nous serions exposés à de graves difficultés si Alhareth revenait vivre à Bagdad pour être avec moi. Il vit au Canada depuis maintenant deux ans et demi, et il y est établi. Il est proche des membres de sa famille au Canada, tant des membres de sa famille immédiate que de ceux de sa famille élargie. Il s’est aussi fait de nombreux amis au Canada. Il a un bon emploi et touche un bon salaire. De plus, l’Iraq est un pays extrêmement dangereux. C’est pour cette raison que je choisis de passer de nombreuses nuits chez des proches qui habitent près de mon école. J’évite le plus possible de me retrouver dehors, dans les rues de Bagdad. En outre, en tant que femme, j’aurai de la difficulté à faire des études et à profiter d’autres occasions en Iraq. Nous voulons aussi que nos enfants soient élevés au Canada et qu’ils bénéficient de toutes les possibilités qui y sont offertes. Je n’ai entendu que des choses positives sur le Canada, et je souhaite rejoindre les membres de ma famille et m’y établir.

[…]

27. De nombreux membres de notre famille, à Reem et à moi, se trouvent au Canada, et nous entretenons des relations étroites avec eux. Ma mère, mon beau‑père et mon demi‑frère s’y trouvent, ainsi que d’autres proches comme des oncles, des tantes et des cousins. Mon demi‑frère est marié avec la sœur de Reem, qui habite aussi au Canada.

28. Reem et moi sommes très amoureux. Les premiers mois de notre mariage, alors que nous avions la possibilité d’être ensemble, ont été extraordinaires. Toute séparation entre Reem et moi entraînerait de graves difficultés. Je ne peux pas m’imaginer être séparé d’elle pendant notre mariage.

29. Je suis très bien établi au Canada. Ma famille se trouve ici et j’ai passé beaucoup de temps avec ma mère, mon beau‑père et ma sœur, ainsi qu’avec des parents plus éloignés qui se trouvent dans la région de Toronto. J’ai un bon emploi au Canada et je peux facilement subvenir à mes besoins. J’aimerais me perfectionner et améliorer mes compétences. Par la suite, j’aimerais travailler pour une entreprise pour acquérir de l’expérience afin de réaliser mon rêve, lancer un jour ma propre entreprise.

30. Reem et moi aimerions fonder une famille. Nous voulons acheter une maison au Canada et y élever nos enfants. Nous parlons tous les deux l’anglais et avons reçu une bonne éducation. Nous sommes des personnes ambitieuses, qui peuvent compter sur un bon soutien familial et communautaire, et nous avons de brillants avenirs devant nous, ici, au Canada. La communauté musulmane du Canada s’épanouit, et nous voulons y contribuer.

31. Reem et moi serions aussi exposés à de graves difficultés si nous devions vivre ensemble en Iraq. Non seulement ce pays est‑il extrêmement dangereux, mais il ne nous offre pas les mêmes possibilités sur le plan professionnel. En tant que femme, Reem aurait de la difficulté à faire des études et à profiter d’autres occasions. En outre, nous voulons que nos enfants soient élevés au Canada et qu’ils bénéficient de toutes les possibilités offertes dans ce grand pays.

[28]  Des observations sur les difficultés relatives à la sécurité du couple ont été soulevées « en supplément » des autres questions. Elles se sont résumées à des affirmations générales selon lesquelles l’Iraq était un pays extrêmement dangereux. La description des répercussions de la situation dans le pays sur la demanderesse était concentrée sur le fait, limité, qu’elle devait passer de nombreuses nuits chez un proche habitant près de son collège technique et qu’elle évitait le plus possible de se retrouver dehors, dans les rues de Bagdad.

[29]  La demanderesse a aussi déclaré ce qui suit : [traduction] « en tant que femme, j’aurai de la difficulté à faire des études et à profiter d’autres occasions en Iraq ». Cette déclaration a cependant été faite d’après une comparaison avec les occasions offertes au Canada. Les éléments de preuve relatifs aux possibilités limitées d’étudier semblent être quelque peu contredits par le fait qu’elle continue à fréquenter le collège technique, même si elle doit le faire en subissant l’inconvénient d’habiter chez un proche qui réside près de l’établissement scolaire.

[30]  De la même manière, la preuve de M. Al‑Dujaili met principalement l’accent sur les occasions manquées et sur le fait qu’il serait séparé des membres de sa famille et de ses amis au Canada s’il retournait en Iraq, plutôt que sur les difficultés auxquelles il serait exposé. Comme l’a fait remarquer l’agent, M. Al‑Dujaili a voyagé librement à de nombreuses reprises entre le Canada et l’Iraq pour séjourner auprès de la demanderesse, sans difficulté apparente.

[31]  Les difficultés invoquées sont essentiellement les suivantes : les occasions manquées au Canada; le fait d’être séparés des proches canadiens; une mention sur l’extrême dangerosité de l’Iraq; et le fait que la demanderesse risque d’être victime de discrimination, ce qui aura des répercussions sur ses études et sur les autres occasions qui pourraient s’offrir à elle.

[32]  En bref, la demanderesse allègue que l’agent aurait dû accorder plus de poids aux documents sur la situation dans le pays, qui démontrent que Bagdad est un endroit où il est dangereux de vivre. Ses observations font notamment référence à l’affirmation du premier agent selon laquelle [traduction] « la demanderesse ne semble pas différente des 6,6 millions d’autres personnes qui habitent à Bagdad — une région assez stable en Iraq ».

[33]  La demanderesse s’est opposée à l’analyse comparative de la situation en matière de sécurité à Bagdad. Les conditions de sécurité, bien que dangereuses, n’ont pas semblé avoir beaucoup d’incidences sur la demanderesse, d’après la preuve qu’elle a présentée. Quelle que soit la discrimination exercée à l’égard des femmes à Bagdad, rien n’indique que cette situation a eu des répercussions sur la demanderesse, si ce n’est par comparaison avec les meilleures conditions et possibilités offertes au Canada. Il convient également de noter que, puisque la demanderesse a vécu à Bagdad toute sa vie, elle dispose selon toute vraisemblance d’éléments de preuve concrets démontrant les difficultés invoquées en plus des déclarations générales qu’elle a présentées à l’appui de sa demande.

[34]  Je conviens avec le défendeur que la preuve est insuffisante pour démontrer l’existence de difficultés et que l’agent a tenu compte de la documentation limitée dont il disposait. Des références à la documentation sur la situation dans le pays ou aux difficultés généralisées que pose le pays — ou Bagdad en particulier — ne peuvent pas compenser l’absence de toute preuve concrète établissant l’impact de cette situation sur la demanderesse.

[35]  J’en arrive à cette conclusion en particulier parce que la preuve de la demanderesse et de M. Al‑Dujaili démontre que leurs difficultés et leurs préoccupations en matière de sécurité sont secondaires à la perte des occasions en matière d’éducation et des possibilités d’emploi au Canada qu’ils subiraient s’ils ne pouvaient pas vivre ici.

[36]  Compte tenu de la conclusion que je viens de tirer, je rejette aussi l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’élément déterminant sur lequel s’est fondé l’agent, au détriment de toute considération relative aux difficultés, était la question de l’interdiction de territoire qui la visait. Il était loisible à l’agent de tenir compte des fausses déclarations ayant donné lieu à l’interdiction de territoire de la demanderesse — laquelle interdiction de territoire a entraîné à son tour la demande de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire — en plus des autres facteurs soulevés (Sibanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 806, aux paragraphes 26 et 27; Sekinatu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 728, aux paragraphes 14 à 24; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 27). L’analyse de l’agent à cet égard était raisonnable et n’entravait pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[37]  De même, je suis d’avis que les éléments de preuve ne permettent pas de tenir pour établi que l’agent a tiré des conclusions injustes relativement à la crédibilité de la demanderesse ou de M. Al‑Dujaili. De toute façon, même si tel était le cas, pareilles conclusions ne seraient pas pertinentes, compte tenu de l’absence de preuve à l’appui de la demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, demande fondée sur les difficultés auxquelles serait exposée la demanderesse si elle continuait à vivre en Iraq.

VII.  Conclusion

[38]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable et ne portait pas atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse. Par conséquent, la demande doit être rejetée. Il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3011‑18

LA COUR STATUE que :

1.  L’intitulé est modifié afin qu’il reflète la bonne partie défenderesse, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3011‑18

INTITULÉ :

REEM SABAH ABDULAMEER SHABAN c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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