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Date : 20190225

Dossier : T‑1705‑18

Référence : 2019 CF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

JOHN CLAY TURNBULL

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par la défenderesse en vue d’obtenir une ordonnance radiant la déclaration du demandeur au complet, sans autorisation de la modifier, en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), rejetant l’action et adjugeant des dépens de 500 $.

[2]  La requête de la défenderesse est fondée sur les motifs suivants : la demande ne révèle pas de cause d’action contre la défenderesse, le demandeur ne fait valoir aucun fait substantiel à l’appui de ses allégations, et la demande est scandaleuse, frivole ou vexatoire.

[3]  La requête est présentée au titre des articles 3 et 174 et des alinéas 221(1)a) et c) des Règles, qui prévoient ce qui suit :

Principe général

General Principle

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3 These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

Exposé des faits

Material facts

174 Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

174 Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious, [or]

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

II.  La déclaration

[4]  Le demandeur doit consommer quotidiennement 20 g de cannabis brut sur ordonnance pour gérer sa douleur chronique. Il affirme que le cannabis brut n’est pas psychoactif (al. 1d)). Il fait de nombreuses généralisations concernant le projet de loi C‑45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, 1re session, 42e législature 2017 (sanctionnée le 21 juin 2018), et le projet de loi C‑46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 1re session, 42e législature, 2017 (sanctionnée le 21 juin 2018), les motifs de leur adoption par le législateur et les conséquences de leur adoption. Il fait également de nombreuses allégations concernant la politique publique entourant ces initiatives législatives qui, de façon générale, sont conçues pour légaliser et réglementer la vente de marihuana au Canada (C‑45) et pour modifier les dispositions du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, relatives à la conduite avec facultés affaiblies (C‑46).

[5]  La déclaration du demandeur allègue que ces lois et les politiques connexes [traduction« sont, de par leur nature, un crime contre l’humanité » et une [traduction« double interdiction », et que, en refusant l’accès au cannabidiol de chanvre (CBD), elles prolongent la douleur et la souffrance des Canadiens atteints de maladies chroniques et de cancer.

[6]  Le demandeur allègue une [traduction] « intention criminelle » de la part du gouvernement du Canada et en particulier de Santé Canada, un de ses ministères, et que cela constitue un [traduction« génocide ».

[7]  Le demandeur affirme que les tests de salive et les tests sanguins effectués en bordure de route sont préjudiciables au jugement des policiers et sont fondés sur des données scientifiques non concluantes, parce qu’ils ne peuvent déceler que le niveau de THC; ils ne peuvent pas déterminer si le THC consommé est psychoactif (al. 1e)). Le demandeur prétend que le [traduction« test de salive [actuel] effectué en bordure de route est un outil de propagande médiatique qui permet à l’industrie pharmaceutique d’induire le public en erreur et de stigmatiser de nouveau le cannabis à titre de stupéfiant » (al. 1f)).

[8]  Le demandeur allègue que Santé Canada a [traduction] « délibérément [omis de mener certains essais cliniques sur le cannabis] pour protéger l’INDUSTRIE DU CANCER au profit des sociétés pharmaceutiques » (al. 2b)). Il affirme : [traduction« [i]l ne s’agit pas seulement d’un crime contre l’humanité, mais d’un génocide » (al. 2b)). De plus, le demandeur prétend que chaque État américain ayant légalisé le cannabis à des fins récréatives a mis fin au financement de la recherche sur le cannabis à des fins médicales (al. 1g)). Le demandeur prétend que le gouvernement canadien sait depuis 1974 que le THC tue les cellules cancéreuses sans nuire aux cellules saines (2b)). L’industrie pharmaceutique a acquis presque tous les producteurs de cannabis fédéraux du Canada et empêche le développement de tout médicament à base de cannabis menaçant l’industrie du cancer (al. 1g)). À cet égard, le demandeur déclare que [traduction« [l]es termes “génocide” ou “crime contre l’humanité” [lui] viennent à l’esprit » (al. 1g)).

[9]  Le demandeur affirme que Santé Canada, l’Agence de la santé publique du Canada et Sécurité publique Canada [traduction« permettent la présence de moisissure dans un produit destiné à la consommation humaine », ce qui [traduction] « neutralisera ou tuera tous les cannabinoïdes médicinaux dans le cannabis » (al. 2a) et 1k)). Selon le demandeur, le projet de loi C-45 va lui aussi dans ce sens. Le demandeur affirme que [traduction] « l’industrie pharmaceutique veut développer une maladie causée par le cannabis pour discréditer les propriétés médicinales du cannabis et prétendre faussement qu’il est mauvais pour la santé » (al. 1k)).

[10]  Le demandeur affirme que Santé Canada [traduction« a décidé une fois de plus de faire du CBD un stupéfiant pour empêcher le public d’avoir raisonnablement accès à ses propriétés médicinales. Il pourrait s’agir d’une intention criminelle » (al. 2b)). Le demandeur allègue que rien n’indique que le CBD a déjà causé une psychose ou un préjudice à quiconque ou entraîné la mort de quiconque (al. 2b)). Le demandeur conclut que [traduction« cette classification du CBD est conçue pour prolonger la douleur et la souffrance des gens en forçant les chercheurs, dans le cadre des essais cliniques, à faire approuver des médicaments dangereux, ce qui est très long, au lieu de traiter le CBD comme un minéral non dangereux [...] » (al. 2b)). À cet égard, le demandeur soutient que les projets de loi C‑45 et C‑46 sont, de par leur nature, un crime contre l’humanité (al. 1a)).

[11]  De plus, le demandeur prétend que le projet de loi C‑45 accorde des licences d’importation de cannabis de producteurs internationaux aux entreprises fédérales canadiennes de cannabis qui exercent leurs activités en Colombie et au Mexique, où le cannabis n’a pas été légalisé, ce qui permet aux investisseurs internationaux de pays étrangers d’investir dans des entreprises canadiennes de cannabis qui s’installent dans des pays où le cannabis est illégal (al. 3a)). Le demandeur affirme que [traduction« [c]e sont simplement des criminels qui ont des avocats très intelligents! » (al. 3a)).

[12]  Compte tenu de ce qui précède, le demandeur prétend qu’il est finalement inapte au travail, parce qu’il est incapable de conduire ou de marcher pour se rendre au travail par crainte d’être arrêté pour conduite avec facultés affaiblies ou intoxication publique (al. 4a)). Il réclame le statut de personne inapte au travail en raison de son incapacité de conduire (tests routiers non concluants) et de marcher (intoxication publique) pour se rendre au travail en Saskatchewan, ainsi qu’une indemnité pour les frais liés à sa défense, la perte de revenu et l’humiliation d’être arrêté pour conduite avec facultés affaiblies, ce qui nuira en fin de compte à sa vie et à sa réputation (al. 4a)). Le demandeur affirme que de nombreux Canadiens souffrant de douleur chronique seront victimes de souffrances et pourraient mourir en raison d’un manque de connaissances sur la façon de traiter leur cancer ou leur maladie à l’aide de l’huile de CBD de chanvre (al. 4a)).

[13]  Le demandeur allègue qu’il y a plusieurs violations de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte). Toutefois, aucune n’est précisée dans sa déclaration.

[14]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la requête de la défenderesse et je radie la déclaration du demandeur sans autorisation de la modifier, mais je n’adjuge toutefois pas de dépens. La déclaration contrevient de manière générale aux règles applicables aux actes de procédure, et certains alinéas contreviennent à plusieurs règles applicables aux actes de procédure. Il ne peut pas être remédié à ses lacunes et, par conséquent, l’appel est rejeté.

III.  L’historique et le fondement du droit à la marihuana à des fins médicales

[15]  J’ai décrit l’historique et le fondement du droit à la marihuana à des fins médicales dans la décision Harris c Canada, 2018 CF 765 (Harris), aux paragraphes 11 et 12 :

[11]  Le droit de posséder et de cultiver de la marihuana à des fins médicales fait l’objet de litiges au Canada depuis près de deux décennies. Le juge Phelan donne un aperçu de cet historique dans la décision Allard c Canada, 2016 CF 236, de laquelle je tire les passages qui suivent :

1 Je suis saisi d’une contestation fondée sur la Charte présentée par quatre personnes relativement au régime concernant la marihuana à des fins médicales actuel qui est prévu par le Règlement sur la marihuana à des fins médicales, DORS/2013‑119 (le RMFM). Il est important de se rappeler ce sur quoi la présente affaire porte de même que ce sur quoi elle ne porte pas.

2 La présente affaire ne porte pas sur la légalisation générale de la marihuana ou sur la libéralisation de sa consommation à des fins récréatives ou de sa consommation en tant que mode de vie. Elle ne porte pas non plus sur la commercialisation de la marihuana à de telles fins.

3 Il est question de l’accès à la marihuana à des fins médicales par des personnes qui sont malades, notamment celles qui souffrent de douleurs aiguës ou qui souffrent de troubles neurologiques parfois mortels, ainsi que les personnes qui sont sur le point de mourir.

4 Nous avons affaire en l’espèce à une décision s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel qui a commencé par l’arrêt R c Parker, (2000) 49 OR (3d) 481, 188 DLR (4th) 385 (Cour d’appel de l’Ontario) (Parker), et abouti à l’arrêt R c Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 RCS 602 (Smith), où l’on a examiné, souvent d’un œil critique, les efforts faits par le gouvernement en vue de réglementer la consommation de la marihuana à des fins médicales ainsi que les divers obstacles empêchant l’accès à cette drogue dont certains ont besoin.

5 Comme d’autres affaires, cette dernière tentative de restriction d’accès se heurte aux écueils de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte), particulièrement l’article 7, et n’est pas sauvegardée par l’article premier.

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

6. La Cour a conclu que la liberté des demandeurs et la sécurité de leur personne sont visées par les restrictions en matière d’accès imposées par le RMFM et qu’il n’a pas été établi que les restrictions en matière d’accès sont conformes aux principes de justice fondamentale.

[12]  Je me contenterai de dire que le droit d’utiliser la marihuana et le cannabis à des fins médicales est garanti par la Charte, une question juridique sur laquelle ne plane aucun doute, car elle a été tranchée par notre Cour, la Cour suprême du Canada et les cours supérieures des provinces. De plus, le droit d’utiliser la marihuana et d’autres produits du cannabis à des fins médicales est un droit conféré aux individus sur demande, par le gouverneur en conseil dans une législation subordonnée, c.‑à‑d. un règlement adopté conformément à la législation pertinente.

IV.  Les questions en litige

[16]  La défenderesse demande à la Cour de radier la déclaration, parce que celle-ci ne révèle aucune cause d’action raisonnable (alinéa 221(1)a) des Règles) et parce qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire (alinéa 221(1)c) des Règles).

[17]  La défenderesse soutient également que la Cour ne devrait pas autoriser le demandeur à modifier sa déclaration, et qu’elle devrait adjuger des dépens de 500 $.

V.  Le droit applicable aux requêtes en radiation

[18]  Dans la décision Harris, précitée, aux paragraphes 13 à 18, la Cour a déclaré ce qui suit au sujet du droit applicable aux requêtes en radiation :

[13]  Le droit relatif aux requêtes en radiation est décrit ci‑dessous.

[14]  La juge Heneghan énonce ce qui suit dans la décision Lee c Canada, 2018 CF 504, au paragraphe 7, à l’égard du critère applicable aux requêtes en radiation :

Le critère applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure, à savoir s’il est évident et manifeste qu’un acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable, a été établi dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Il est par ailleurs précisé au paragraphe 24 de la décision Bérubé c. Canada, 2009 CF 43, que pour qu’une déclaration comprenne une cause d’action raisonnable, elle doit comporter les trois éléments suivants :

i. alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; 

ii. indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits; 

iii. préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder.

[15]  Il incombe à la partie qui présente la requête de satisfaire au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 [Hunt], selon le juge Roy, dans la décision Al Omani c Canada, 2017 CF 786, aux paragraphes 12 à 16 :

[12] Le critère applicable à la radiation d’une allégation en vertu de l’article 221 des Règles place très haut la barre. En premier lieu, on présume que les faits énoncés dans la déclaration peuvent être prouvés. La Cour doit conclure qu’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable : R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 17; Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 [Hunt], à la p. 980. Il incombe à la défenderesse de remplir ce critère : Sivak c Canada, 2012 CF 272, 406 FTR 115 [Sivak], au paragraphe 25.

[13] Dans l’affaire Hunt, la Cour suprême a penché en faveur de la formulation de la règle en Angleterre, au motif que « si le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [TRADUCTION] privé d’un jugement » (p. 980), ce qui, à vrai dire, place haut la barre pour avoir gain de cause dans une requête en radiation. La chance suffira ou, comme l’a affirmé le juge Estey dans l’affaire Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735 : « Sur une requête comme celle‑ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas au-delà de tout doute » (p. 740).

[14] Pour démontrer qu’il a une cause d’action raisonnable, le demandeur doit soulever dans sa déclaration les faits substantiels qui satisfont à tous les éléments constitutifs des causes d’action alléguées : Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, 476 N.R. 219 [Mancuso], au paragraphe 19; Benaissa c Canada (Procureur général), 2005 CF 1220 [Benaissa], au paragraphe 15. Le demandeur doit expliquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité a été engagée (Mancuso, paragraphe 19; Baird c Canada, 2006 CF 205, aux paragraphes 9 à 11, affaire confirmée dans 2007 CAF 48).

[15] Par conséquent, il semble y avoir un équilibre. D’un côté, la chance de réussir suffit pour que l’affaire soit instruite. De l’autre côté, les faits substantiels doivent être démontrés avec suffisamment de précision pour qu’il y ait une cause d’action. Les actes de procédure ont pour but d’aviser la partie adverse et de définir les questions en litige de manière à lui permettre de comprendre comment les faits étayent les diverses causes d’action. Comme la Cour d’appel l’a formulé dans l’affaire Mancuso : « L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée » (paragraphe 16). Les demandeurs soulignent qu’il peut être donné suite aux actes de procédure même s’ils sont « loin d’être des modèles de clarté juridique » (Manuge c Canada, 2010 CSC 67, [2010] 3 RCS 672, au paragraphe 23). Mais il demeure que les demandeurs doivent faire valoir des faits substantiels suffisants. Les parties ne peuvent pas faire des allégations générales dans leur déclaration, dans l’espoir d’entamer ensuite des « recherches à l’aveuglette » pour découvrir les faits : Kastner c Painblanc (1994), 176 N.R. 68, 51 A.C.W.S. (3d) 428 (CAF), à la p. 2.

[16]  Dans les requêtes en radiation, aucun élément de preuve ne doit être examiné en dehors des actes de procédure (sauf dans des cas limités qui ne s’appliquent pas en l’espèce). Le paragraphe 221(2) l’énonce expressément et la jurisprudence le confirme, selon le juge Leblanc, dans la décision Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 [Pelletier], au paragraphe 6 :

[6] Il a également été bien établi qu’aucun élément de preuve non présenté dans les actes de procédure ne peut être pris en considération dans le cadre de telles requêtes et bien que les allégations qu’il est possible de prouver doivent être considérées comme véridiques, le même concept ne s’applique pas aux actes de procédure qui sont fondées sur des hypothèses et des spéculations et à ceux qui ne sont pas en mesure de déposer une preuve (Imperial Tobacco, au paragraphe 22; Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, [à la page] 455 [Operation Dismantle]; AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Ltd., 2009 CF 1209, aux paragraphes 10 à 12).

[17]  Dans la décision Pelletier, le juge Leblanc a également affirmé que, même si la déclaration doit être lue autant que possible en vue de tenir compte de toute lacune attribuable à des faiblesses au niveau de la rédaction, le demandeur doit clairement présenter les faits sur lesquels repose sa demande et n’a pas le droit de compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction avance :

[7] À cet égard, même si la déclaration doit être lue autant que possible en vue de tenir compte de toute lacune attribuable à des faiblesses au niveau de la rédaction (Operation Dismantle, à la page 451), le demandeur est tenu de présenter clairement les faits sur lesquels repose sa demande :

[22] [...] Il incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande. Un demandeur ne peut compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse. Il peut arriver que le demandeur ne soit pas en mesure de prouver les faits plaidés au moment de la requête. Il peut seulement espérer qu’il sera en mesure de les prouver. Il doit cependant les plaider. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement. (Imperial Tobacco) (C’est moi qui le souligne)

[18]  Dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les demandeurs doivent plaider des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée :

[16] L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels (substantiels) suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».

[19]  De plus, le demandeur doit plaider chaque élément constitutif de la cause d’action avec suffisamment de détails : Collins c Canada, 2011 CAF 140, la juge Dawson, au paragraphe 33. L’article 174 des Règles exige « un minimum de narration », et les actes de procédure doivent expliquer « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » la responsabilité du défendeur a été engagée : Al Omani c Canada, 2017 CF 786, le juge Roy, aux paragraphes 17 et 14. Il ne faut pas laisser le défendeur spéculer « sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action » : Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227 (Mancuso), le juge Rennie, au paragraphe 16. L’obligation de présenter des faits substantiels est essentielle et s’applique à toutes les demandes : Mancuso, aux paragraphes 20 et 21.

VI.  Analyse

A.  Question 1 – La Cour devrait‑elle radier la déclaration?

[20]  La défenderesse soutient que la déclaration en cause est un acte de procédure inapproprié qui devrait être radié pour un ou plusieurs des motifs prévus à l’article 221 des Règles. Le demandeur soutient que la Cour ne devrait pas radier sa déclaration, car elle est vérifiable au moyen d’allégations factuelles fondées sur les projets de loi C‑45 et C‑46 et d’un examen de ses pièces. Comme il est indiqué ci‑dessous, les pièces n’ont pas été pas dûment présentées à la Cour et ne seront pas examinées. Le demandeur soutient également qu’il a satisfait aux exigences de l’article 174 des Règles. Les éléments suivants expliquent « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » la responsabilité de la défenderesse a été engagée : de connivence avec l’Association médicale canadienne, trois ministres ont permis que des pratiques incohérentes en matière d’éducation du public à l’échelle provinciale soient mises en place et que les recherches sur le cannabis à des fins médicales soient détournées afin de prolonger la douleur et la souffrance des gens (« par qui »); le cannabis a été légalisé à des fins récréatives le 17 octobre 2018 (« quand »); les dispositifs de dépistage et d’analyse sanguine en bordure de route, qui donnent des résultats scientifiquement inexacts, ont été approuvés (« comment »); et, d’une part, les droits et libertés garantis au demandeur par l’alinéa 6(2)b), les articles 7, 8 et 9, l’alinéa 10c) et l’article 12 de la Charte ont été violés, le demandeur étant exposé à des poursuites illégales, et, d’autre part, la défenderesse demande la violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 15(2)(1) (« de quelle façon »).

[21]   Cette première question sera divisée en deux : la question de la cause d’action raisonnable et la question de l’action scandaleuse, frivole ou vexatoire.

  i.  L’alinéa 221(1)a) des Règles : La demande devrait‑elle être radiée parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable?

[22]  L’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

[23]  La défenderesse soutient qu’il est évident et manifeste que la demande du demandeur ne révèle aucune cause d’action contre le Canada. Dans l’arrêt clé Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, la Cour suprême du Canada, sous la plume de la juge Wilson, a énoncé le critère à la page 980 :

La question […] est de savoir s’il est « évident et manifeste » que les prétentions du demandeur […] ne révèlent aucune cause d’action raisonnable ou si le demandeur a présenté une question « susceptible d’instruction » […]

[24]  Le fait d’avancer des conclusions ou de simples allégations ne suffit pas pour démontrer une cause d’action raisonnable : Mancuso, aux paragraphes 16 à 20. Dans la décision Carten c Canada, 2010 CF 857 (Carten), au paragraphe 29, la juge Gauthier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a affirmé que les actes de procédure devraient être radiés s’ils sont « fond[és] sur des hypothèses et des spéculations » :

[29]  En ce qui a trait à l’absence d’une cause d’action raisonnable, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, il doit être évident et manifeste que les appelants n’ont aucune chance de réussir parce que leur déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable. À cet égard, il faut interpréter la déclaration de manière aussi libérale que possible et remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui aurait pu se glisser dans les allégations (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 14). Les allégations de fait qu’il est possible de prouver doivent être considérées comme vraies, mais les allégations fondées sur des hypothèses et des spéculations ne doivent pas l’être.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  De plus, il n’y a pas de cause d’action raisonnable lorsqu’aucune réparation raisonnable n’est demandée : Weiten c Canada, [1994] ACF no 395, [1995] 1 CTC 25 (Cour fédérale, section d’appel), le juge Stone, aux paragraphes 3 et 4. Avec égards, je suis d’avis que c’est le cas en l’espèce. Le demandeur ne demande pas de dommages‑intérêts, de déclaration ou de mesure de redressement quelle qu’elle soit dans sa déclaration. Cette lacune oblige la Cour à radier la déclaration.

[26]  À ce sujet, je souligne que le demandeur dit avoir une déclaration modifiée qui remédiera aux lacunes de sa déclaration, du moins à cet égard. À mon humble avis, cet argument ne saurait être retenu. Le demandeur n’a pas présenté de requête visant le dépôt d’une déclaration modifiée. Il n’a pas non plus déposé d’affidavit à l’appui d’une telle requête. Plus important encore, il n’a pas fourni à la Cour sa déclaration modifiée proposée. Le demandeur ne peut pas remédier à l’irrégularité de sa déclaration au moyen d’une allégation sans fondement selon laquelle il a quelque part une déclaration modifiée, alors qu’il n’a pas demandé à la Cour l’autorisation de la déposer. Il est évident que la Cour doit voir une ébauche d’un tel acte de procédure modifié avant de pouvoir accepter un argument à cet effet. En l’espèce, le demandeur a manqué à son obligation de présenter un document modifié à la Cour à des fins d’examen.

[27]  Les deux premières allégations du demandeur sont les suivantes : [traduction] « 1. Intention criminelle de causer des blessures » et [traduction] « 2. Négligence criminelle ayant causé des blessures ». À mon avis, ces allégations ne révèlent pas de cause d’action raisonnable. Elles n’ont pas été présentées devant le bon tribunal. Par conséquent, il est « évident et manifeste » que les allégations 1 et 2 seront rejetées et qu’elles ne sont pas « susceptibles d’instruction » : arrêt Hunt, à la page 980. S’il est d’avis que des crimes ont été commis, le demandeur doit le signaler aux responsables des enquêtes sur les activités criminelles, c’est‑à‑dire à la police. Selon moi, la Cour n’est pas le forum approprié pour déterminer la responsabilité criminelle, comme l’affirme le demandeur. Par conséquent, les allégations 1 et 2 sont radiées.

[28]  Les alinéas 1a) à l) et 2a) à d), que j’interprète comme apportant des précisions aux allégations 1 et 2, doivent également être radiés. L’alinéa 1a) énonce une allégation de crime contre l’humanité et contient essentiellement des plaintes de nature politique au sujet des deux lois en cause. Les alinéas 1b) et c) sont à peu près semblables. Ils allèguent en outre qu’il y a collusion entre le gouvernement, l’industrie pharmaceutique et la profession médicale. Ces alinéas ne présentent pas de faits suffisants pour étayer l’allégation 1 ou 2 et seront radiés. Les alinéas 1e) et f) énoncent des plaintes concernant les tests effectués en bordure de route qui, selon le demandeur, constituent une forme de propagande médiatique au profit de l’industrie pharmaceutique. Ils ne présentent pas d’allégations suffisantes et seront radiés. L’alinéa 1g) fait référence à la recherche sur le cannabis aux États‑Unis, qui a cessé d’être financée après la légalisation; le demandeur a indiqué que les mots « génocide » ou « crime contre l’humanité » lui venaient à l’esprit. Encore une fois, cet alinéa ne présente pas d’allégations suffisantes et sera radié. 

[29]  Aux alinéas 1k) et 2b) et c), le demandeur se plaint de la recherche clinique et de la présence de moisissure dans le cannabis. Encore une fois, ces alinéas contiennent une série d’allégations qui ne sont pas suffisantes, et ils seront radiés.

[30]  La troisième allégation du demandeur est la suivante : [traduction] « 3. Non-respect de la promesse électorale de mettre les criminels et les enfants à l’abri de l’industrie du cannabis ». Aucun précédent ne m’a été présenté qui permettrait d’affirmer qu’une action pourrait être intentée contre la défenderesse pour un manquement à une promesse électorale par un politicien fédéral. À mon avis, cette allégation n’est pas fondée et il est « évident et manifeste » qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable. L’allégation 3 sera radiée. Les alinéas 3a) et b) ont trait aux personnes qui doivent recevoir des licences et à l’absence de plans d’éducation [traduction« accrédités »; ils ne contiennent pas d’allégations suffisantes et seront radiés.

[31]  La quatrième allégation du demandeur se rapporte au [traduction« préjudice corporel ». Le demandeur allègue que le préjudice dont il souffre est causé par les actions du Parlement et des responsables de l’élaboration des politiques, comme il est indiqué dans le reste de sa déclaration. Étant donné que je radie ces allégations, la quatrième allégation doit être radiée, tout comme les allégations connexes qui figurent aux alinéas 1d), 1h) et 4a).

[32]  Je remarque que le demandeur a déposé, dans ses documents en réponse, un certain nombre de documents visant à appuyer sa position, tant dans sa déclaration que dans sa réponse. Comme il a déjà été mentionné, cela n’est pas permis, car aucun élément de preuve n’est autorisé pour ce genre de requête. Par conséquent, ces documents ne seront pas examinés, et l’alinéa 1j) doit donc être radié.

  ii.  L’alinéa 221(1)c) des Règles : L’acte de procédure devrait‑il être radié parce qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire?

[33]  L’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

[34]  La défenderesse soutient que la déclaration du demandeur est scandaleuse, frivole et vexatoire. Un acte de procédure scandaleux « jette de façon inappropriée un regard dérogatoire sur quelqu’un, en ce qui concerne son caractère moral » : Carten, au paragraphe 34, citant Steiner c Canada, [1996] A.C.F. no 1356, 122 FRT 187, le protonotaire Hargrave. Un acte de procédure frivole « a peu de poids ou d’importance, ou [est dépourvu d’un] raisonnement logique dans la preuve ou le droit pour l’appuyer », et un acte de procédure vexatoire est celui qui « a été intent[é] avec malice ou sans cause probable, ou qui ne donnera pas de résultat pratique » : Carten, au paragraphe 34.

[35]  À mon avis, la défenderesse soutient à juste titre que la déclaration du demandeur contient de simples allégations de mauvaise foi et de criminalité à l’égard du gouvernement du Canada et d’autres personnes qui ne sont pas parties au litige, allégations qui ne sont pas étayées. Dans sa déclaration, le demandeur a présenté de façon désinvolte des allégations de génocide, de négligence criminelle ayant causé des blessures et de crime contre l’humanité, et ce, du moins à mon sens, sans présenter le moindre fait substantiel à l’appui : Règles des Cours fédérales, article 174. Le fait que le demandeur est mécontent des deux projets de loi et des politiques connexes ne l’autorise pas à se présenter devant la Cour pour lui demander de déterminer si ses opinions sont justes ou erronées. Pour ces motifs également, les alinéas 1b), c), g), k), 2a), b), c) et 3a) doivent être radiés, car ils sont scandaleux et vexatoires.

[36]  De même, les allégations préjudiciables du demandeur concernant Santé Canada (qui fait partie du pouvoir exécutif du Canada), l’industrie pharmaceutique et l’Association médicale canadienne, qui ne sont pas parties à la présente affaire, ont été faites en l’absence de faits substantiels suffisants et sont scandaleuses et vexatoires. Pour ces motifs également, les alinéas 1b) et c) seront radiés.

[37]  La plainte du demandeur concernant les tests en bordure de route est un autre exemple de simples allégations et de conclusions, qui ne sont pas permises. Ainsi, les alinéas 1e), f) et i) de la déclaration seront radiés. L’affirmation selon laquelle l’utilisation de tests de salive en bordure de route est [traduction] « un outil de propagande médiatique qui permet à l’industrie pharmaceutique d’induire le public en erreur », etc., n’est pas non plus étayée par des faits substantiels. Elle constitue à mon avis une allégation frivole et vexatoire formulée contre des tiers qui ne sont pas parties à l’instance : les alinéas 1e) et f) seront également radiés pour cette raison.

[38]  Les renvois du demandeur au génocide et aux crimes contre l’humanité dans le contexte du financement de la recherche médicale sur le cannabis sont également scandaleux et vexatoires, ce qui constitue un autre motif pour lequel l’alinéa 1g) sera radié.

[39]  Les allégations du demandeur concernant la présence de moisissure dans le cannabis à des fins récréatives ne sont pas appuyées par des faits substantiels et, en plus, je suis d’avis qu’elles sont scandaleuses et vexatoires en ce sens qu’elles laissent entendre que l’industrie pharmaceutique [traduction] « veut développer une maladie causée par le cannabis pour discréditer les propriétés médicinales du cannabis et prétendre faussement qu’il est mauvais pour la santé ». L’alinéa 1k) sera donc radié. Il en va de même pour les allégations formulées à l’alinéa 2b), où il est question d’une [traduction] « intention criminelle » et où le demandeur affirme : [traduction] « [i]l ne s’agit pas seulement d’un crime contre l’humanité, mais d’un génocide ». Ces allégations seront radiées. Les allégations formulées à l’alinéa 3a) concernant les [traduction] « criminels qui ont des avocats très intelligents » seront radiées pour les mêmes raisons.

B.  Question 2 – La Cour devrait‑elle autoriser le demandeur à modifier sa déclaration?

[40]  Par suite des conclusions que j’ai tirées ci-dessus, la déclaration sera radiée presque entièrement.

[41]  La question qui se pose est donc de savoir si le demandeur devrait être autorisé à modifier sa déclaration. Le critère pour déterminer s’il y a lieu d’accorder l’autorisation de modifier une déclaration a été énoncé par la juge Dawson dans l’arrêt Simon c Canada, 2011 CAF 6, au paragraphe 8. La juge Dawson a affirmé qu’il convient de radier une déclaration sans autorisation de la modifier lorsque l’acte de procédure « ne peut être corrigé par une modification ».

[42]  Dans l’arrêt Baird c Canada, 2007 CAF 48, confirmant Baird c Canada, 2006 CF 205 (le juge Lemieux), et cité par Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 (le juge LeBlanc), au paragraphe 28, le juge Létourneau a confirmé la décision de ne pas autoriser le demandeur à modifier sa déclaration, indiquant au paragraphe 3 qu’il « ne [pouvait] pas être remédié [aux] défauts [de la déclaration] et toute modification [était] simplement impossible ». À mon avis, cette conclusion s’applique bien en l’espèce. Je l’adopte et je l’applique à la présente affaire.

[43]  Les problèmes liés à la déclaration, notamment 1) l’allégation frivole, vexatoire et répétée du demandeur selon laquelle les actions du gouvernement et du secteur privé, y compris les lois dûment adoptées par le Parlement du Canada, constituent des [traduction] « crimes contre l’humanité » et un [traduction] « génocide », 2) l’absence de faits substantiels, ainsi que 3) l’absence totale de cause d’action raisonnable, touchent au fondement même de la déclaration et celle‑ci ne peut être sauvegardée. Il ne peut pas être remédié à ses défauts. Comme il a été mentionné, la Cour radie pratiquement toute la déclaration. Le peu qu’il reste ne peut suffire à lui seul.

[44]  Par conséquent, je suis d’avis que l’action dans son ensemble doit être rejetée.

VII.  Conclusion

[45]  Pour les motifs qui précèdent, la déclaration est radiée au complet sans autorisation de la modifier, et l’action sera rejetée.

VIII.  Les dépens

[46]  La défenderesse sollicite des dépens de 500 $. Le demandeur ne s’est pas opposé au montant, mais il n’a pas non plus sollicité de dépens contre la défenderesse dans le cas où il aurait gain de cause dans la présente requête. En fait, le demandeur a déclaré que, s’il n’obtenait pas gain de cause, il paierait le montant en question à la défenderesse et déposerait une nouvelle déclaration. À mon avis, il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1705‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La déclaration du demandeur est radiée au complet, sans autorisation de la modifier.

  2. La présente action est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juin 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1705‑18

 

INTITULÉ :

JOHN CLAY TURNBULL c SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John Clay Turnbull

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Dorian Simonneaux

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

Pour la défenderesse

 

 

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