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Date : 20190215


Dossier : IMM-3819-18

Référence : 2019 CF 192

Ottawa (Ontario), le 15 février 2019

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

MOHAMAD BEYROUTHY

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]   Le demandeur, M. Beyrouthy, sollicite le contrôle judiciaire du refus de sa demande d’évaluation des risques avant renvoi [ÉRAR]. Je rejette sa demande parce que l’agent d’ÉRAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[2]  M. Beyrouthy est un citoyen du Liban, musulman et sunnite, âgé de 27 ans. Il est arrivé au Canada une première fois en février 2009 et a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée et il a quitté le Canada en novembre 2009.

[3]  En décembre 2012, i1 a commencé une relation amoureuse avec une femme chrétienne maronite. En janvier 2014, le frère de sa copine et quatre de ses cousins l’auraient menacé au téléphone, physiquement battu dans la rue et auraient endommagé sa voiture. Les autorités policières auraient refusé d’intervenir au motif qu’il s’agissait d’une dispute familiale.

[4]  Le 23 mai 2015, M. Beyrouthy a épousé sa copine dans le cadre d’une cérémonie religieuse qui n’a pas été enregistrée officiellement. À la suite du mariage, son épouse et lui auraient tenté de se cacher, mais le frère de son épouse et des cousins les auraient retrouvés et une altercation aurait suivi. Ayant été blessé, M. Beyrouthy se serait rendu à l’hôpital et aurait tenté de porter plainte auprès des autorités policières. Il affirme que celles-ci auraient refusé d’intervenir au motif qu’il s’agissait d’une dispute familiale. Néanmoins, le dossier contient un procès-verbal des autorités policières qui fait état de l’intervention d’un juge et de la prise d’un engagement par les agresseurs.

[5]  Le couple s’est ensuite rendu aux Émirats arabes unis [ÉAU]. En octobre 2015, le beau-frère de M. Beyrouthy se serait lui aussi rendu aux ÉAU et aurait communiqué avec sa sœur afin de lui demander où elle se trouvait. Celle-ci aurait refusé de lui répondre. Le 4 janvier 2016, à l’expiration de leur permis de séjour aux ÉAU, M. Beyrouthy et son épouse sont retournés au Liban où ils auraient encore reçu des menaces. Le demandeur aurait eu peur pour sa vie et se serait caché.

[6]  Peu de temps après, M. Beyrouthy a demandé un permis d’études en ligne pour venir étudier à l’Université d’Alberta. À son arrivée au Canada, le 6 février 2016, il a été informé de son inadmissibilité au Canada parce qu’il n’avait pas demandé et obtenu une autorisation de retour au Canada. Il a demandé l’asile de nouveau, disant craindre pour sa vie au Liban.

[7]  Sa demande d’asile étant irrecevable, une mesure de renvoi a été émise contre lui. Il a déposé une demande d’ÉRAR le 19 février 2016, qui a été refusée le 30 novembre 2017. M. Beyrouthy a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette première décision, qui a été réglée hors Cour.

[8]  Le 11 juin 2018, un autre agent d’ÉRAR a de nouveau rejeté la demande de protection de M. Beyrouthy. Dans ses motifs, l’agent a conclu que M. Beyrouthy n’avait pas fait la preuve d’une crainte fondée de persécution visée par l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], ou un risque de torture, de menace à sa vie ou de traitements cruels ou inusités visé par l’article 97 de la LIPR. L’agent a également conclu que la preuve de M. Beyrouthy était insuffisante pour démontrer un risque personnalisé dans son pays ou pour démontrer qu’il subirait un traitement d’une gravité suffisante pour être considéré comme de la persécution. Finalement, l’agent a jugé que M. Beyrouthy n’avait pas réfuté la présomption que son État est en mesure de le protéger.

[9]  À mon avis, la conclusion de l’agent d’ÉRAR relative à la protection de l’État est raisonnable et cela suffit à disposer de la demande.

[10]  Au soutien de sa demande d’ERAR, M. Beyrouthy avait présenté plusieurs articles de journaux faisant état de la problématique des crimes d’honneur au Liban ainsi qu’une note de recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] portant sur les mariages interreligieux au Liban. De cette preuve, on peut retenir ceci :

  • L’État libanais délègue aux communautés religieuses le pouvoir de réglementer les mariages et cela pose des obstacles majeurs à la célébration de mariages interreligieux;

  • Les mariages interreligieux sont généralement mal vus dans la société libanaise, même si les attitudes commencent à évoluer;

  • Il y a encore, au Liban, des « crimes d’honneur », qui, dans certains cas, peuvent découler de la désapprobation envers une relation amoureuse ou un mariage interreligieux;

  • La disposition du code pénal libanais qui excusait certaines formes de crimes d’honneur a été abrogée en 1999, bien que l’efficacité de cette abrogation fasse l’objet de débats.

[11]  Ayant analysé cette preuve, l’agent d’ERAR a conclu qu’elle ne permettait pas d’établir un risque personnalisé auquel M. Beyrouthy serait exposé. De plus, en raison de l’intervention d’un juge et de la prise d’un engagement par les assaillants, l’agent a conclu que M. Beyrouthy n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[12]  Devant moi, M. Beyrouthy a soutenu que cette conclusion était déraisonnable. Selon lui, exiger que les assaillants prennent un engagement n’était pas une réponse suffisante à l’agression dont il avait été victime. Par ailleurs, il affirme que l’état du droit libanais empêche les autorités policières de lui assurer une protection adéquate contre ce qui constituerait une forme de crime d’honneur.

[13]  Je ne peux accepter les arguments de M. Beyrouthy. Il appartenait à l’agent d’ERAR de tirer une conclusion concernant la protection de l’État. Je suis d’avis que, en fonction du dossier dont il était saisi, l’agent d’ERAR pouvait raisonnablement conclure à la protection adéquate de l’État. Le fait que, dans ce cas particulier, les autorités libanaises aient choisi de recourir à des mesures préventives plutôt qu’à des mesures punitives ne rend pas cette conclusion déraisonnable.

[14]  J’ai pris l’initiative de consulter les plus récents rapports du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, du Comité sur l’élimination de la discrimination envers les femmes des Nations Unies et du Département d’État des États-Unis concernant la situation des droits de la personne au Liban. Tous ces rapports figurent au cartable national de documentation tenu par la CISR. De plus, le rapport du Département d’État figure dans la liste des sources consultées par l’agent d’ERAR. Ces rapports ne font pas mention de la problématique des crimes d’honneur et, dans cette mesure, confirment le caractère raisonnable de la décision.

[15]  Étant donné ce qui précède, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur les autres moyens de M. Beyrouthy. Je tiens cependant à souligner que la partie de la décision concernant l’appréciation de l’allégation de risque et de la preuve documentaire à son soutien présentée par M. Beyrouthy paraît truffée d’erreurs semblables à celles que j’ai relevées dans l’affaire Magonza v Canada (Citizenship and Immigration), 2019 FC 14. Cependant, la présence d’erreurs ne rend pas une décision déraisonnable, s’il est par ailleurs évident que le résultat aurait été le même : Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 210 au paragraphe 13.

[16]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT dans IMM-3819-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3819-18

INTITULÉ :

MOHAMAD BEYROUTHY et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 février 2019

COMPARUTIONS :

Jacques Beauchemin

Pour le demandeur

 

Suzanne Trudel

Pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques Beauchemin

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendEUR

 

 

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