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Date : 20190226


Dossier : IMM-2823-18

Référence : 2019 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HAIAN CAO, HUANXIAO LIU,

CINDY YIANZHEN CAO, YING HUI CAO

ET YINGHAO CAO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 29 mai 2018, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR).

[2]  La demande est rejetée pour les motifs énoncés ci‑après.

Contexte

[3]  Haian Cao (le demandeur), son épouse Huanxiao Liu (la demanderesse) et leurs trois enfants mineurs (collectivement, les demandeurs) sont citoyens du Guyana. Le demandeur et la demanderesse étaient à l’origine des citoyens de la Chine, mais ils ont quitté ce pays en 2001 pour aller vivre au Guyana. Ils sont devenus citoyens guyaniens en octobre 2011. Leurs trois enfants mineurs sont nés au Guyana et sont citoyens guyaniens. La demanderesse a agi à titre de représentante désignée dans les démarches d’immigration au Canada et la demande d’asile de toute la famille reposait sur son récit.

[4]  Le demandeur et la demanderesse allèguent que, pendant qu’ils travaillaient au restaurant d’un ami au Guyana, ils ont été victimes de nombreux vols qualifiés. À la mi‑décembre 2003, alors qu’ils s’apprêtaient à fermer le restaurant, ils ont été attaqués par deux hommes armés masqués dont l’un a saisi la demanderesse et lui a braqué une arme à feu sur la tête. Des voisins ont appelé la police, qui a arrêté les deux hommes. Ceux‑ci ont par la suite été condamnés à des peines d’emprisonnement de dix ans. Cependant, les amis des deux hommes emprisonnés ont commencé à venir régulièrement au restaurant pour commander de la nourriture et partir sans payer. Les époux ont signalé ce harcèlement à la police au début, mais comme celle‑ci n’est pas intervenue, ils ont choisi à maintes occasions de ne pas signaler ce qui leur arrivait.

[5]  Les époux ont acheté le restaurant en 2004 et ont ensuite déménagé dans une autre région. À leurs dires, le harcèlement par divers Guyaniens de souche a toutefois perduré.

[6]  En janvier 2010, ils ont ouvert un second restaurant. Ils allèguent qu’en mars 2010, la demanderesse travaillait au restaurant lorsque quatre hommes sont arrivés et ont commandé de la nourriture. Lorsqu’ils ont été invités à payer, l’un d’eux a sorti une arme de poing et a ouvert le feu en direction de la demanderesse. Ils ont exigé qu’elle remette tout l’argent de la caisse et l’ont avertie qu’il y aurait de graves conséquences si elle dénonçait l’incident à la police. Le demandeur et la demanderesse n’ont donc pas signalé l’incident.

[7]  Ils allèguent que, le 10 novembre 2014, un homme guyanien est entré par effraction dans leur maison, a empoigné leur fille et exigé de l’argent. Ils lui ont remis 3 000 dollars américains pour sa libération. Avant de partir, l’intrus les a avertis de ne pas dénoncer l’incident à la police.

[8]  Enfin, les époux allèguent que, le 20 décembre 2014, la demanderesse faisait des emplettes avec ses trois enfants mineurs lorsqu’elle a rencontré un des auteurs de l’incident de 2003 au centre commercial. Il a fait le geste de braquer une arme de poing à son cou et s’est esclaffé. Il a demandé à la demanderesse si elle se souvenait de lui et si elle était au courant de l’agression de la fille d’un propriétaire de magasin indien. Après cet événement, les demandeurs ont décidé de signaler à la police tous les incidents passés. Ils allèguent que la police a refusé de prendre le signalement, car les demandeurs n’avaient pas de preuves..

[9]  Outre ces incidents, le demandeur et la demanderesse allèguent que leurs fils ont souvent été victimes d’un traitement discriminatoire, de taquineries et de gestes d’intimidation à l’école en raison de leur origine ethnique chinoise, qu’ils n’ont jamais pu savoir si des accusations avaient été portées contre un conducteur en état d’ébriété qui avait frappé un de leurs fils et que la police n’avait pas réagi à un incident où un automobiliste avait reculé sur leur voiture.

[10]  Vu ces événements, les demandeurs ont décidé de quitter le Guyana. La demanderesse et ses trois enfants mineurs sont arrivés au Canada le 2 février 2015 et ont présenté des demandes d’asile en mars 2015. Le demandeur est resté au Guyana pour vendre le restaurant. Il prétend avoir rencontré le 13 mars 2015 un des hommes qui s’étaient attaqués à sa femme. Craignant pour sa vie, il a fini par abandonner le restaurant et a quitté le Guyana le 6 juillet 2015 pour se rendre en Chine au chevet de sa mère malade. Il est resté dans ce pays jusqu’au 15 octobre 2015 pour ensuite gagner le Canada. Il allègue ne pas avoir immédiatement demandé l’asile au Canada parce qu’il craignait de devoir retourner d’urgence en Chine pour prendre soin de sa mère. Il a produit sa demande d’asile en février 2016.

[11]  Dans une décision datée du 2 septembre 2016, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a jugé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La décision de la SPR a été portée en appel devant la SAR, qui l’a confirmée le 13 février 2017. Le 20 septembre 2017, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR et a annulé celle‑ci pour renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[12]  La décision défavorable de la SAR qui a suivi ce renvoi fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisie aujourd’hui.

La décision contestée

[13]  La SAR a examiné si les éléments de preuve présentés par les demandeurs étaient admissibles comme nouveaux éléments de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR. Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la SAR selon laquelle aucun des éléments de preuve n’était admissible.

[14]  La SAR a ensuite examiné les deux motifs d’appel avancés par les demandeurs. Le premier était de savoir si la SPR avait raisonnablement tenu compte de l’intérêt supérieur des trois enfants mineurs. Comme les demandeurs n’ont pas remis en question dans leur demande la façon dont cette question avait été traitée, je n’ai plus besoin de m’y attarder.

[15]  Le second motif d’appel était la question de savoir si les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité étaient fondées sur un examen incomplet des éléments de preuve présentés. Il s’agissait plus précisément de savoir si la SPR avait minimisé les répercussions de la criminalité et de la violence au Guyana en omettant d’examiner toute la preuve documentaire concernant les gens d’affaires chinois. La SAR a déclaré que rien dans le cartable national de documentation (le CND) ne donnait à penser que l’ethnie chinoise était ciblée au Guyana pour des motifs de race. Cette documentation fait plutôt état d’un ciblage en fonction de la perception de la richesse ou de l’argent. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur et la demanderesse étaient ciblés comme propriétaires de restaurant et parce qu’ils étaient perçus comme riches. De plus, comme le CND indique que des crimes violents sont perpétrés contre tout le monde et que rien ne démontre que les Chinois font, de façon disproportionnée, l’objet de vols qualifiés, le fait que les gens d’affaires chinois sont victimes de la criminalité ne signifie pas, en soi, qu’ils sont visés de façon disproportionnée ni qu’ils sont pris pour cible en raison de leur race. Bien que les demandeurs aient présenté trois articles de presse à l’appui de leur position, la SAR a donné préséance à la documentation du CND.

[16]  La SAR a ensuite abordé ce qu’elle a appelé les autres questions. Elle a noté que la SPR avait conclu que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était généralisé et a rejeté la prétention qu’ils étaient personnellement ciblés. La SAR s’est dite d’accord avec la SPR. Elle a répété sa première conclusion selon laquelle le CND ne confirmait pas que le risque de criminalité violente était supérieur pour l’ethnie chinoise. Elle a ensuite dit que le fait qu’une personne ou un groupe de personnes soient pris pour cible à répétition ou plus fréquemment par les criminels, par exemple en raison de leur richesse perçue ou parce qu’ils vivent dans une région plus dangereuse, qu’ils continuent d’être poursuivis après avoir signalé les faits à la police ou qu’ils risquent des représailles parce qu’ils n’ont pas cédé aux exigences des criminels, ne fait pas de ce risque une exception à l’exclusion prévue si d’autres personnes sont généralement exposées à ce même risque. Le préjudice subi dans ces circonstances ne signifie pas non plus que le risque n’est pas généralisé. La SAR a conclu que le CND indiquait que les propriétaires d’entreprise étaient ciblés par les criminels au Guyana, mais que rien ne montrait que ces vols qualifiés étaient motivés par l’ethnicité. Il s’agissait plutôt d’actes criminels contre des gens perçus comme ayant de l’argent.

[17]  La SAR a conclu que les vols qualifiés décrits par les demandeurs n’avaient pas de caractère raciste. Elle a fait remarquer que la SPR avait conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, puisqu’ils n’étaient pas personnellement exposés à un risque, mais à la criminalité en général sans être visés en propre. Elle a ajouté que les demandeurs n’avaient pas expressément traité de cette question dans le cadre de l’appel, mais que, selon son examen, rien ne prouvait qu’ils étaient personnellement ciblés.

[18]  Elle a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[19]  Les demandeurs soulèvent trois questions :

1.  La SAR a-t-elle confondu le critère de l’article 96 avec celui de l’article 97?

2.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la question du risque généralisé?

3.  La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi de lien avec la Convention?

[20]  Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si la SAR a confondu les critères juridiques des articles 96 et 97 de la LIPR est une question de droit qui peut être contrôlée selon la norme de la décision correcte, tandis que les questions du risque généralisé et du lien avec la Convention peuvent l’être selon la norme de la décision raisonnable.

[21]  Le défendeur fait valoir qu’il n’est pas clair que le traitement par la SAR des critères juridiques des articles 96 et 97 de la LIPR soit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, puisque la jurisprudence de la Cour est partagée sur la question. Toutefois, la SAR est un tribunal spécialisé en matière de détermination du statut de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. À ce titre, elle participe directement à la mise en œuvre du régime administratif complexe concernant ces déterminations et jouit d’une expertise incontestée pour ce qui est des impératifs et des nuances de ce régime. Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer à l’ensemble de la décision de la SAR.

[22]  Je conviens avec les parties que la norme déférente de la décision raisonnable s’applique aux deux dernières questions. La Cour n’interviendra pas si la décision est justifiable, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47; Komaromi c Canada (Citoyenneté et immigration), 2018 CF 1168, paragraphe 22 (Komaromi); Fazekas c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 289, paragraphe 17). Bien qu’il puisse y avoir un débat sur la norme de contrôle applicable au traitement des critères juridiques au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, la question de savoir si la norme est celle de la décision correcte ou raisonnable n’est pas déterminante en l’espèce, car j’ai conclu que les critères n’avaient pas été confondus.

Question 1: La SAR a-t-elle confondu le critère de l’article 96 avec celui de l’article 97?

[23]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans l’analyse du lien avec un motif en confondant les critères juridiques des articles 96 et 97. Deux questions étaient particulièrement importantes aux fins de l’appel devant la SAR. Il s’agissait d’abord de savoir si les allégations des demandeurs créent un lien avec un motif énoncé à l’article 96. Il fallait déterminer s’ils ont été attaqués en raison de leur origine ethnique chinoise ou simplement parce qu’ils étaient perçus comme riches. S’il n’existe pas de lien, la SAR était tenue d’examiner la question de savoir si la demande d’asile devait être rejetée au titre de l’article 97 pour cause de risque généralisé. Les demandeurs font valoir que la SAR a examiné ces questions simultanément et les a confondues.

[24]  Le défendeur fait pour sa part valoir que la SAR n’a pas cherché à savoir si les demandeurs étaient exposés à un risque personnel qui dépassait le risque auquel étaient exposés les autres résidents du Guyana, mais a dûment cherché à savoir s’ils étaient ciblés pour un motif relevant de la Convention. La disproportion était un facteur pertinent dans l’analyse de la SAR concernant le lien parce que la SAR devait déterminer s’il y avait une possibilité raisonnable que les demandeurs soient exposés à la persécution au Guyana en raison de leur race ou de leur appartenance à un groupe social particulier. Le défendeur ajoute que, lorsqu’un tribunal est appelé à examiner une demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR, la même preuve peut être en partie applicable à l’une et l’autre de ces déterminations.

Analyse

[25]  Les demandeurs ont évidemment raison de dire que les analyses et les critères varient selon qu’il s’agit de l’article 96 ou de l’article 97. Le critère applicable en ce qui concerne l’article 96 exige qu’on évalue s’il existe plus qu’une simple possibilité que le demandeur d’asile soit persécuté pour un motif prévu à la Convention; quant au critère applicable pour ce qui concerne l’article 97, il exige qu’on détermine, selon la prépondérance des probabilités, si le demandeur d’asile est personnellement exposé à une menace à sa vie ou à risque de traitements ou peines cruels et inusités (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1061, paragraphe 36).

[26]  Dans la décision Osama Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, le juge Martineau explique ce qui suit, aux paragraphes 14 à 16 :

[14]  […] il est bien établi en droit que l’existence de la persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR peut être établie par un examen du traitement de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur et que celui-ci n’a pas à prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir. Lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si une personne comme le demandeur est susceptible de faire l’objet d’un préjudice grave de la part des autorités de son pays et si ce risque est attribuable à son état civil ou à ses opinions politiques, alors elle est à juste titre considérée comme une réfugiée au sens de la Convention (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, page 259 (C.A.F.); Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 N.R. 316.

[16]  […] À la différence de l’article 97 de la LIPR, en vertu de l’article 96 de la LIPR, il n’y a aucune obligation que le demandeur démontre que sa crainte de la persécution est « personnalisée » s’il peut démontrer autrement qu’elle est « entretenue par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention] » (Salibian, susmentionnée, p. 258).

[Souligné dans l’original.]

[27]  En d’autres termes, une demande d’asile fondée sur l’article 97 n’exige pas qu’un des motifs prévus à la Convention soit en cause, mais les demandeurs d’asile doivent prouver qu’ils sont personnellement exposés au danger : le risque en cause ne peut être un risque auquel sont généralement exposés les autres citoyens du pays (Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 1210, paragraphe 27 (Guerrero)). En fait, le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR définit la personne à protéger comme suit : « A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité, exposée […] soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : […] elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas. »

[28]  Il importe de noter que, lorsqu’on examine l’allégation de confusion de critères des demandeurs, la structure des motifs de la SAR suivait les questions soulevées par les demandeurs dans leurs documents d’appel. Ainsi, dans la première partie de ses motifs, la SAR traite de l’affirmation faite par les demandeurs selon laquelle la SPR n’avait pas tenu compte de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays pour ce qui est des répercussions de la criminalité sur les gens d’affaires chinois. L’appel de la décision de la SPR interjeté par les demandeurs est clairement fondé sur le fait que la SPR a uniquement examiné le risque auquel sont exposés les gens d’origine ethnique chinoise au Guyana sans tenir compte du risque auquel ces personnes sont exposées en tant que gens d’affaires chinois.

[29]  En ce qui concerne ce motif d’appel, la SAR a d’abord conclu que rien dans le CND ne démontrait que l’ethnie chinoise était ciblée pour des motifs de race et que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs étaient ciblés parce que les époux étaient propriétaires d’un restaurant et étaient perçus comme riches. La SAR a fait remarquer que le CND indique que la criminalité violente au Guyana contre tous constitue un grand problème et qu’il manque d’éléments probants démontrant que les vols qualifiés commis contre des Chinois révélaient un ciblage disproportionné de ceux‑ci. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le fait que les gens d’affaires chinois soient victimes d’actes criminels n’indique pas en soi que ceux‑ci en sont victimes d’une manière disproportionnée ni qu’ils sont ciblés en raison de leur race. Ainsi, en parlant de disproportion, la SAR s’intéressait à l’existence d’un lien aux fins de l’article 96, en ce sens qu’elle cherchait à savoir si la persécution à laquelle s’exposeraient les époux advenant leur retour au Guyana – en tant que gens d’affaires chinois – relevait d’un motif de la Convention comme l’appartenance à un groupe social particulier, ou s’ils étaient visés en raison de leur race. Par conséquent, compte tenu du contexte, je ne souscris pas à la prétention des demandeurs selon laquelle le renvoi à la notion de disproportion illustre que la SAR a confondu les critères des articles 96 et 97. J’estime plutôt que la SAR a en grande partie effectué simultanément ses analyses relatives à ces articles.

[30]  De plus, c’est pendant qu’elle examinait toujours la question de savoir si la SPR avait commis une erreur dans le cadre de son examen de la preuve documentaire que la SAR a déclaré que les documents en cause ne contenaient rien qui permette de personnaliser la situation des demandeurs. Pour cette raison, je ne suis pas d’avis que cette déclaration, qui se trouve à la fin du paragraphe 43 de sa décision, paragraphe où la SAR examinait la preuve documentaire présentée par les demandeurs, démontre que la SAR a confondu les critères, comme le soutiennent les demandeurs.

[31]  La section suivante dans les motifs de la SAR a pour titre « Autres questions à trancher » et sous-titre « Subsidiairement – risque généralisé ». Dans cette partie, la SAR a déclaré subsidiairement que la SPR avait conclu que les demandeurs étaient aussi inadmissibles en vertu de la disposition sur le risque généralisé au sous-alinéa 97(1)b)(ii) et qu’ils n’étaient pas personnellement ciblés. Elle a dit que la SPR avait également conclu que la demande d’asile des demandeurs n’était pas fondée sur une crainte réelle ou un risque de préjudice grave au Guyana, mais que, dans leur mémoire d’appel, les demandeurs n’avaient pas traité expressément de cette question, mais évoqué d’une manière générale la persécution à laquelle font face les gens d’affaires chinois au Guyana. Dans ce contexte, la SAR a dit convenir avec la SPR que la demande d’asile tomberait dans la catégorie du risque généralisé pour les raisons qu’elle a exposées, à savoir que les demandeurs n’étaient pas personnellement ciblés et que d’autres personnes au Guyana sont généralement exposées au même risque (il s’agit des personnes perçues comme riches). Je ne suis pas convaincue non plus que le simple emploi du sous-titre « Subsidiairement » démontre que la SAR a confondu les deux critères sans saisir la différence entre les deux.

[32]  En somme, les demandeurs auraient préféré que la SAR compartimente ses motifs dans son examen de l’article 96 et de l’article 97, et je conviens que la rédaction des motifs de la SAR aurait pu être plus précise mais, si on considère les motifs comme un tout et on tient compte du contexte, je n’ai pas la conviction que la SAR a confondu les critères.

Question 2 : La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la question du risque généralisé?

Position des demandeurs

[33]  Les demandeurs soutiennent que la SAR s’est fondée sur une jurisprudence dépassée pour évaluer le risque généralisé. La jurisprudence plus récente, à commencer par la décision Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, établit clairement qu’il est erroné de rejeter une demande d’asile fondée sur l’article 97 simplement parce qu’il existe un risque généralisé d’activité criminelle (Lovato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 143, paragraphe 9). Il faut plutôt effectuer une enquête individualisée dans chaque cas pour déterminer si quelqu’un est à risque, même s’il pourrait exister par ailleurs un risque généralisé de criminalité au pays (Vivero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 138, paragraphes 24 et 25; Guerrero, paragraphe 32).

[34]  En l’espèce, il était déraisonnable de la part de la SAR d’affirmer que le fait qu’une personne puisse continuer d’être poursuivie après un signalement à la police ou un déménagement, ou qu’elle soit exposée à des représailles parce qu’elle n’a pas répondu aux exigences des criminels, ne signifie pas que le risque n’est pas généralisé. Les actes criminels étaient devenus à tel point personnalisés à l’égard des demandeurs qu’il était déraisonnable que la SAR rejette la demande d’asile au titre de l’article 97 sans pousser l’analyse conformément à la jurisprudence mentionnée par les demandeurs. En l’espèce, selon la preuve, la personne qui s’était attaquée aux demandeurs en 2003 avait brandi la menace de représailles futures lors de cet incident et à nouveau en décembre 2014 et en mars 2015. Le risque était donc personnalisé.

Position du défendeur

[35]  Le défendeur soutient que l’analyse du risque généralisé faite par la SAR était raisonnable. La SAR a effectué, en ce qui concerne le paragraphe 97(1), une analyse individualisée et prospective du risque auquel seraient exposés les demandeurs au Guyana. Elle a cherché à savoir si un groupe important de gens dans ce pays était exposé au même risque. La SAR a raisonnablement souscrit à l’avis de la SPR que les demandeurs couraient le risque d’être victimes de vols qualifiés ou de cambriolages au Guyana, que rien ne démontrait l’existence d’un préjudice qui prend de l’ampleur, d’une victimisation répétée ou d’un risque de représailles, et que le risque auquel seraient exposés les demandeurs était un risque généralisé auquel étaient exposées d’autres personnes au Guyana, plus particulièrement celles qui étaient perçues comme riches.

[36]  De plus, dans les observations qu’ils ont présentées à la SAR, les demandeurs n’ont pas directement mentionné les rencontres répétées avec l’auteur de l’incident de 2003 en lien avec le risque personnalisé au sens du paragraphe 97(1). Ils ont plutôt contesté de façon générale les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et fait valoir que l’examen de la preuve documentaire par la SPR était erroné. Ainsi, la SAR n’était pas tenue d’aborder la question des rencontres à répétition dans son analyse du risque généralisé, et le caractère raisonnable d’une décision de la SAR ne peut être généralement pas être contesté sur le fondement d’une question qui ne lui a pas été soumise.

[37]  Il faut aussi dire que, parmi les divers incidents décrits par les demandeurs, seule la présence alléguée d’amis des agresseurs de 2003 à leur restaurant semble s’être répétée et qu’il n’y a pas eu aggravation de la situation. La SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs faisaient face au même risque que certains sous-groupes de la population, à savoir les gens perçus comme riches ou comme de prospères chefs d’entreprise. Le défendeur soutient qu’un risque accru pour une sous-catégorie de la population qui est suffisamment importante n’est pas personnalisé lorsque toute la population est exposée au même risque, quoique moins fréquemment. Le fait qu’une personne ou un groupe de personnes soient pris à répétition pour cible par des criminels en raison de leur richesse ou réussite perçues, sans autre élément pour établir un risque personnalisé, ne constitue qu’un risque généralisé, comme l’a reconnu la SAR. Celle‑ci a rejeté les demandes d’asile des demandeurs parce que les mauvais traitements qu’ils ont décrits découlaient d’un risque de la même nature et de la même importance que celui auquel étaient exposés d’importants sous-groupes de la population, comme les gens d’affaires et les gens perçus comme riches au Guyana.

Analyse

[38]  La question qui se pose en ce qui concerne l’article 97 de la LIPR est de savoir si le retour des demandeurs au Guyana les exposerait personnellement aux menaces et risques envisagés à cet article (Maija c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 12, paragraphes 16 et 17; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 RCF 501, paragraphe 45). Ainsi, l’analyse relative à l’article 97 ne devrait pas porter sur les raisons pour lesquelles un demandeur est ciblé, mais plutôt sur toute preuve que le demandeur était expressément ciblé dans une mesure plus importante que la population en général (Vaquerano Lovato c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 143, paragraphe 13 (Lovato)). Cette question exige un examen individualisé sur le fondement de la preuve présentée par le demandeur d’asile « dans le contexte des risques actuels ou prospectifs » auxquels il serait exposé (Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CAF 31, paragraphe 7). Et, comme les demandeurs le font valoir, le fait que le risque auquel le demandeur est exposé découle d’activités criminelles n’écarte pas en soi la possibilité que la protection prévue à l’article 97 soit accordée (Lovato, paragraphe 9).

[39]  Cela dit, l’appartenance à un secteur économique particulier ne transforme pas, pour un demandeur, un risque généralisé de violence criminelle en un risque personnalisé. Dans la décision Acosta Acosta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213, la juge Gauthier a écrit au paragraphe 16 :

[16]  Le demandeur a renvoyé au passage de la preuve documentaire qui confirme que les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus font souvent l’objet d’extorsion de la part du gang. Toutefois, la Commission a examiné ce document d’information sur le pays et a conclu qu’il fait clairement état du caractère généralisé de la violence liée aux gangs dans plusieurs régions. Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays.

[40]  De même, dans l’affaire Rodriguez Perez (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1029, les demandeurs ont allégué que, comme les petits propriétaires d’entreprise comptaient parmi les groupes principalement ciblés par les maras, les demandeurs, qui étaient de petits chefs d’entreprise, étaient plus exposés au risque que la population en général et que ce risque était donc personnalisé. Toutefois, la Cour a conclu ce qui suit :

[35]  Je suis d’avis que, si le risque de violence, de préjudice ou de crime constitue un risque généralisé auquel sont exposés l’ensemble des citoyens d’un pays qui sont vus comme étant relativement riches par les criminels, le fait qu’un certain nombre de personnes données puissent être plus fréquemment ciblées en raison de leur richesse ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas exposées à un « risque généralisé » de violence. Le fait que les personnes exposées au risque sont celles réputées être relativement riches et peuvent être considérées comme un sous-groupe de la population générale veut dire qu’elles sont exposées à un « risque généralisé ». Que le risque auquel elles sont exposées soit le même que celui d’autres personnes qui sont dans une situation semblable ne fait pas en sorte que ce risque constitue un « risque personnalisé » ouvrant droit à protection en vertu de l’article 97 de la LIPR. Conclure autrement « ouvrirait toute grande la porte » en ce sens que tous les Guatémaltèques qui sont relativement riches ou réputés être relativement riches pourraient demander l’asile en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[41]  La Cour fédérale a tiré les mêmes conclusions dans la décision Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 23 (confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31) et Carias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 602, paragraphe 25, et, plus récemment, dans De Munguia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 912, paragraphes 29 à 36, et Komaromi, paragraphes 26 et 27. Dans la décision Komaromi, le juge Norris a déclaré :

[26]  […] Dans Correa, comme dans d’autres décisions se rapportant à l’article 97, l’erreur susceptible de contrôle tenait au fait que la SPR avait confondu les raisons pour lesquelles le demandeur avait été pris pour cible avec le risque lui-même (paragraphes 93 et 94). Si nous prenons ainsi l’exemple d’un homme d’affaires victime d’extorsion, il serait erroné de la part de la SPR de conclure à l’existence d’un risque généralisé, étant donné que les gens d’affaires sont généralement la cible d’extorsion, sans tenir compte de la façon particulière dont le demandeur d’asile avait été pris pour cible et sans se demander s’il était de ce fait personnellement exposé à un risque permanent éventuel, comparativement aux autres.

[42]  En l’espèce, les demandeurs soutiennent que les actes criminels commis contre eux étaient devenus personnalisés au point où il était déraisonnable de rejeter leur demande fondée sur l’article 97 sans analyse plus poussée. Ils font valoir plus précisément que la personne qui s’était attaquée à eux en 2003 les avait à nouveau menacés en 2014 et 2015.

[43]  Je note toutefois pour commencer que la SPR a conclu que la preuve manquait de crédibilité quant à des aspects primordiaux de la demande d’asile. À cet égard, elle a conclu expressément que, selon toute vraisemblance, les demandeurs avaient été victimes d’un vol qualifié au restaurant où ils travaillaient en 2003, ils n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, par une preuve fiable suffisante que la rencontre en 2015 lors de laquelle avait été proférée la menace impliquait un des voleurs à main armée de l’incident qui s’était produit 12 ans auparavant.

[44]  En outre, dans les observations qu’ils ont présentées à la SAR, les demandeurs ont formulé leur motif d’appel comme suit : [traduction] « les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité étaient fondées sur un examen incomplet et négligent des éléments de preuve présentés et constituaient une erreur susceptible de contrôle ». Plus précisément, ils ont soutenu que la SPR minimisait l’incidence de la criminalité et de la violence au Guyana sur eux en omettant d’examiner toute la preuve documentaire concernant le pays et de considérer le demandeur et la demanderesse comme des gens d’affaires chinois dans ce pays. Ils ont relevé des parties des motifs de la SPR qui, selon eux, démontraient que celle‑ci n’avait évalué que l’incidence de la criminalité sur les Chinois ou l’ethnie chinoise et n’avait pas examiné les effets sur des gens d’affaires chinois comme eux. Ils ont renvoyé à la preuve documentaire qui, à leurs yeux, étayait leur point de vue, à savoir que l’ethnie chinoise est prise entre deux grandes collectivités polarisées sur le plan racial et que les gens d’affaires chinois au Guyana sont ciblés par les deux camps d’une manière criminelle et discriminatoire en raison de leur richesse.

[45]  Le seul aspect de l’appel interjeté devant la SAR qui touchait à la crédibilité était la prétention selon laquelle on avait sous-estimé ou omis de prendre en considération certains documents qui, selon les demandeurs, étaient essentiels à l’établissement de leur crédibilité. Les demandeurs ont fait valoir qu’il s’agissait d’une erreur susceptible de contrôle et qu’ils avaient ainsi droit à une audience. Toutefois, dans ses motifs, la SAR a directement traité de la documentation mentionnée dans le mémoire d’appel, c’est‑à-dire des mêmes documents mentionnés, et a conclu que la SPR disposait de ces documents et qu’elle en avait tenu compte. Il ne s’agissait donc pas de nouveaux éléments de preuve au sens de l’article 110(4) de la LIPR et, vu l’absence de preuve nouvelle, la SAR a refusé de tenir une audience.

[46]  À mon avis, il n’est pas loisible aux demandeurs de faire fi des conclusions non réfutées de la SPR en matière de crédibilité, plus particulièrement quant à l’invraisemblance du fait que le même assaillant ait été impliqué dans les incidents de 2003 et 2015, pour fonder leur argument selon lequel la SAR avait commis une erreur en n’appliquant pas la jurisprudence qu’elle cite pour évaluer le scénario allégué, mais discrédité, d’un même agresseur qui commet ses méfaits à répétition.

[47]  De plus, les demandeurs n’ont simplement pas invoqué comme motif d’appel devant la SAR que la SPR a commis une erreur en concluant que l’attaque de 2015 était sans lien avec la précédente, en mettant en doute la crédibilité des demandeurs à cet égard et en omettant d’examiner la victimisation à répétition dans ses analyses relatives à l’article 97. Le caractère raisonnable d’une décision de la SAR ne peut normalement pas être contesté en fonction d’une question dont elle n’a pas été saisie (Canada (Citoyenneté et Immigration) c R.K., 2016 CAF 272, paragraphe 6; Abdulmaula c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2017 CF 14, paragraphe 15). Ainsi, la SAR ne peut être critiquée pour ne pas avoir traité de la question dans ses motifs.

[48]  Aucune preuve n’a été présentée à la SAR pour démontrer que les demandeurs étaient personnellement ciblés dans une mesure plus importante que la population en général. Bien que la SAR ait admis que les propriétaires d’entreprise qui paraissent riches sont plus exposés à la criminalité à motivation économique que la population en général, cela ne suffit pas pour satisfaire aux exigences de l’article 97.

[49]  Faute de preuve que les incidents de criminalité générale étaient devenus personnalisés, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son appréciation, au titre de l’article 97, du risque auquel sont exposés les demandeurs.

Question 3 : La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi de lien avec la Convention?

Position des demandeurs

[50]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient pas établi de lien avec la Convention et que la documentation ne confirmait pas que les propriétaires d’entreprise chinois étaient ciblés en raison de leur origine ethnique. Ils font valoir qu’il y avait au dossier des éléments de preuve qui tendaient à démontrer que ces propriétaires étaient ciblés en particulier, à savoir des articles de presse distincts qui faisaient état d’une montée des attaques criminelles contre les membres de la communauté chinoise et que ces attaques coïncidaient avec une campagne politique inspirée et orchestrée par des éléments connus de l’opposition. Les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de rejeter ce que présentaient ces articles de presse simplement parce que les mêmes renseignements n’étaient pas expressément mentionnés dans le cartable national de documentation. Le CND ne confirme pas l’absence d’attaques à motivation ethnique contre les Chinois; il est tout simplement muet à ce sujet.

[51]  Les demandeurs soutiennent également que les articles démontrent qu’il y a une motivation politique aux attaques contre les Chinois au Guyana. Les gens qui ont perpétré les attaques contre les demandeurs étaient motivés par l’appât du gain, mais ils avaient aussi une autre motivation politique et xénophobe, ce qui suffit à établir un lien avec un motif prévu à la Convention.

Position du défendeur

[52]  Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment de preuves à l’appui de leur allégation selon laquelle ils étaient ciblés au Guyana en raison de leur race. La SAR a raisonnablement donné préséance à la preuve contenue dans le CND et non aux trois articles de presse présentés par les demandeurs parce que ces articles ont un caractère conjectural et politique et ne présentent pas suffisamment de détails pour démontrer que les demandeurs faisaient partie d’un groupe visé en raison de leur origine ethnique. Les demandeurs contestent pour l’essentiel le poids accordé à la preuve sur la situation dans le pays, ce qui ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

[53]  Le défendeur fait en outre valoir que la SAR a soigneusement évalué la preuve documentaire et raisonnablement conclu que les crimes commis contre des gens d’origine chinoise au Guyana, dont font partie les demandeurs, n’équivalaient pas à de la persécution fondée sur la race. Il y a eu des crimes contre des gens d’origine chinoise au Guyana, mais il y avait également un taux de criminalité généralement élevé dans l’ensemble du pays, plus particulièrement contre des gens perçus comme riches. Aucun des éléments de preuve présentés par les demandeurs n’indique que les crimes décrits obéissaient à des motifs à la fois économiques et raciaux.

[54]  Enfin, le défendeur fait valoir que les demandeurs ne font pas partie d’un groupe social particulier au sens de l’article 96 de la LIPR. Les victimes d’activité criminelle et les gens perçus comme riches ou comme de prospères gens d’affaires ne constituent pas un groupe social particulier aux fins de cet article.

Analyse

[55]  La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait des chances raisonnables qu’ils soient ciblés en raison de leur origine ethnique chinoise. Elle est parvenue à cette conclusion en évaluant la documentation sur la situation au Guyana. Elle a conclu que les crimes et les activités criminelles sont très répandus au Guyana et visent tous les Guyaniens. Elle a fait observer que le CND fait mention de tensions raciales qui existaient avant les élections de 2011 entre la population afro-guyanienne et la population indo-guyanienne. Elle a également fait remarquer que le rapport sur la criminalité et la sécurité publié par les États-Unis en 2015 indique que la diversité ethnique et religieuse n’avait pas été directement liée aux incidents de violence survenus au cours des dernières années. Il n’y a pas non plus de documents dans le CND qui indique que les gens d’origine ethnique chinoise étaient ciblés en raison de leur race, et les demandeurs n’ont pas produit d’éléments probants pour démontrer que les vols qualifiés contre des Chinois révélaient un ciblage disproportionné de ces derniers. Vu la preuve documentaire, j’estime qu’il était loisible à la SAR de conclure que les crimes perpétrés contre les demandeurs avaient une motivation économique plutôt que raciale. Il n’était pas déraisonnable de sa part de conclure que le risque auquel étaient exposés les demandeurs est un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes au Guyana.

[56]  Par ailleurs, il incombe aux demandeurs de présenter les éléments de preuve et les renseignements nécessaires pour établir le fondement de leur demande d’asile (Dag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 375, paragraphes 14 et 15). En l’espèce, la seule preuve d’une possibilité de violence à motivation raciale se résume à trois brefs articles produits par les demandeurs. Le premier est un article paru dans Stabroek News le 6 mars 2013, dans lequel il est mentionné que le ministère de l’Intérieur avait à cette date exprimé de vives préoccupations au sujet des vols qualifiés commis depuis quelques mois contre la communauté chinoise, ce que ce ministère estimait coïncider avec une campagne à caractère politique orchestrée par des éléments connus de l’opposition. Il décrivait la campagne comme marquée par des efforts soutenus et systémiques de diffamation, de criminalisation et de xénophobie. L’article indique également que l’opposition a rejeté l’accusation en déclarant qu’elle n’avait pas critiqué la communauté chinoise, mais fait part de ses préoccupations au sujet de la sagesse de la décision prise par le gouvernement d’autoriser seulement la main-d’œuvre chinoise pour la construction d’un hôtel. Selon le deuxième article paru dans iNews Guyana le 19 août 2014, le Parti progressiste du peuple (PPP) au pouvoir a constaté avec une vive inquiétude qu’il y avait eu des attaques soutenues et calculées par l’opposition et deux médias contre des investisseurs étrangers d’origine chinoise. L’article note entre autres que le PPP croit que les attaques sont en contradiction flagrante avec un appel à l’investissement et qu’on doit bannir toute discrimination contre les investisseurs chinois. Le dernier article, paru dans iNews Guyana le 25 août 2014, fait état d’une montée des attaques criminelles contre les ressortissants et les entreprises de Chine au Guyana au cours de la semaine précédente et indique que la police renforcerait ses patrouilles à Georgetown. Il fait référence à des déclarations du ministre de l’Intérieur selon lesquelles les gens d’affaires de la communauté chinoise étaient des cibles faciles parce qu’ils sont étrangers et [traduction] « ne comprennent pas la culture locale ni le genre de gangstérisme criminel qui existe dans certaines régions du pays, plus particulièrement à Georgetown, d’où leur vulnérabilité particulière ».

[57]  La SAR a pris acte de ces articles et les a décrits en notant que l’un d’eux évoquait des agressions à caractère politique, mais a conclu qu’aucun renseignement n’était donné au sujet de cette motivation politique a accordé préséance aux documents du CND sur la situation au Guyana en ce qui concerne la criminalité et la population chinoise. Après avoir passé les articles en revue, je remarque qu’un seul évoque une motivation politique et qu’il paraît seulement démontrer l’existence d’une manœuvre politique et non une véritable motivation politique.

[58]  Il était également loisible à la SAR de donner préséance aux documents du cartable national de documentation et de considérer que le CND ne relevait pas le risque pour la population ou les gens d’affaires chinois au Guyana sur lequel les demandeurs fondaient leur appel. Je ne peux non plus souscrire à la prétention des demandeurs selon laquelle les articles de presse établissent une preuve à première vue de l’existence d’un lien qui ne saurait être réfutée simplement parce que la documentation du CND n’en parle pas. À cet égard, je note que, dans l’affaire Su c Canada, 2017 CF 243, le demandeur a produit des articles semblables indiquant que les ressortissants chinois avaient été ciblés. Le juge Southcott a confirmé la conclusion de la SAR selon laquelle ces articles ne pouvaient pas réfuter ce que disait la documentation au sujet de la criminalité générale à Georgetown et du ciblage en particulier des propriétaires d’entreprise. Pour l’essentiel, les demandeurs cherchent à faire réévaluer la preuve par la Cour, ce qui n’est pas son rôle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphes 59 et 61).

[59]  Les conclusions de la SAR, fondées sur l’examen de la preuve documentaire par la SAR, font partie des issues possibles acceptables et, par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[60]  En conclusion, comme je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT DANS IMM-2823-18

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucuns dépens ne sont pas adjugés;

  3. aucune question de portée générale n’a été proposée ni ne se pose aux fins de certification.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2823-18

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HAIAN CAO ET AUTRES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eme Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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