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Date : 20190222


Dossiers : T‑1580‑17

T‑1650‑14

T‑1750‑14

T‑1579‑17

Référence : 2019 CF 207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2019

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

BOMBARDIER INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

COMMISSAIRE À L’INFORMATION

DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels publiés le 22 février 2019)

[1]  Bombardier Inc. a présenté des demandes de contrôle judiciaire de quatre décisions rendues par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE), ou son prédécesseur, Industrie Canada, en réponse à deux demandes de renseignements présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 (la LAI). Bombardier s’oppose à la divulgation de certains des renseignements demandés, affirmant qu’ils permettraient, combinés à certaines données accessibles au public, de tirer des conclusions exactes au sujet d’enjeux commerciaux de nature délicate qui pourraient nuire à sa compétitivité. Par conséquent, Bombardier soutient que les renseignements en question doivent être soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la LAI.

[2]  Bombardier soutient qu’en établissant que les renseignements en question devaient être divulgués, ISDE a commis une erreur d’interprétation et d’application des exceptions obligatoires prévues dans la LAI. En outre, Bombardier nie qu’elle a déjà consenti à la divulgation des renseignements dont elle conteste la communication.

[3]  Le procureur général du Canada et le Commissariat à l’information s’opposent aux demandes de contrôle judiciaire de Bombardier, affirmant que le public a le droit de savoir comment les fonds publics sont utilisés à l’appui de différents projets et que Bombardier n’a pas réussi à démontrer que les renseignements en question peuvent être soustraits à la divulgation en vertu de la LAI.

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que Bombardier n’a pas démontré que les renseignements en litige doivent être soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) de la LAI. Les demandes de contrôle judiciaire de Bombardier seront donc rejetées.

I.  Le contexte

[5]  Bombardier Inc. est une société de transport internationale dont le siège social est situé à Montréal. Bombardier Canadair fait maintenant partie de Bombardier Inc. et les deux entités seront appelées collectivement « Bombardier » aux fins des présents motifs.

[6]  En plus de ses autres activités, Bombardier conçoit et produit des avions civils et commerciaux, y compris les gammes d’avions « C Series », « CRJ Series » et « Q400 ». Les renseignements en cause dans la présente demande concernent les avions « CRJ Series » et « Q400 ».

[7]  L’industrie aérospatiale est très compétitive et, afin de maintenir sa compétitivité, Bombardier doit continuellement mener des recherches et lancer de nouveaux programmes d’avions, qu’il s’agisse de concevoir des modèles d’avions entièrement nouveaux ou d’apporter des modifications importantes à des modèles existants.

[8]  Le programme Partenariat technologique Canada (PTC) était un organisme de services spécial d’Industrie Canada qui finançait des projets de recherche et de développement au Canada. Un financement était accordé à des sociétés bénéficiaires conformément aux ententes conclues entre le gouvernement fédéral et elles.

[9]  Bombardier a reçu un financement dans le cadre du programme PTC pour ses programmes d’avions « CRJ Series » et « Q400 ». À l’instar des autres projets de PTC, il s’agissait de programmes à long terme qui débutaient par une phase de recherche et de développement suivie d’une période au cours de laquelle un produit ou une technologie permettait de générer des revenus pour le bénéficiaire. Une fois que le projet a généré des revenus, Bombardier (comme tous les autres bénéficiaires d’un financement de PTC) a remboursé les sommes prêtées dans le cadre du programme PTC, conformément aux modalités des ententes de financement applicables. Les deux projets en cause en l’espèce sont actuellement à l’étape du remboursement.

[10]  Les ententes de financement conclues entre Bombardier et ISDE contiennent des clauses de confidentialité. Bien que je n’aie pas pu consulter toutes les ententes de confidentialité pertinentes, je comprends qu’une clause typique stipule que [traduction« [s]ous réserve de la Loi sur l’accès à l’information, les parties garderont confidentiels et ne divulgueront pas le contenu de la présente entente ni les transactions envisagées aux présentes sans le consentement des autres parties ». Les ententes précisent également les renseignements que Bombardier a consenti à divulguer, y compris les numéros et les identificateurs de projet, une description du projet et l’aide autorisée fournie par ISDE.

II.  Les demandes d’accès à l’information

[11]  Une demande d’accès à l’information a été présentée en 2009 (demande no A‑2009‑00050) pour connaître le [traduction« [m]ontant total du financement de Partenariat technologique Canada approuvé, versé et remboursé en date du 1er avril 2009 ». Des renseignements ont été demandés au sujet de plusieurs sociétés, dont Bombardier. Bombardier s’est opposée à la divulgation de certains des renseignements demandés, et certains renseignements n’ont pas été divulgués par ISDE en application de l’alinéa 20(1)c) de la LAI. Cela a mené au dépôt d’une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada.

[12]  En juin 2014, ISDE a décidé que certains des renseignements contenus dans le dossier de 2009 ne pouvaient pas faire l’objet d’une exception et qu’ils devaient être divulgués. Bombardier a ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir une ordonnance annulant la décision de juin 2014 (la demande T‑1650‑14, ou la première demande de 2014). Avec le consentement des parties, la première demande de 2014 a été laissée en suspens en attendant la conclusion de l’enquête en cours menée par le Commissariat à l’information sur une deuxième demande d’accès à l’information.

[13]  En 2017, le commissaire à l’information a déterminé que la plainte était fondée et il a recommandé que les renseignements faisant l’objet de la contestation soient communiqués intégralement. ISDE a ensuite informé Bombardier qu’il avait l’intention de suivre les recommandations du commissaire à l’information et de divulguer les renseignements en question.

[14]  Bombardier a donc déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire (la demande T‑1579‑17) pour cette décision, afin de contester la divulgation de renseignements concernant les [traduction« dépenses nettes totales » et les [traduction« remboursements totaux » pour Bombardier et Bombardier Canadair. Comme il est expliqué ci‑dessous, seuls les renseignements relatifs aux [traduction« remboursements totaux » versés à ISDE par Bombardier et Bombardier Canadair font toujours l’objet d’un litige.

[15]  Entre‑temps, ISDE avait reçu une deuxième demande soumise en vertu de la LAI en 2011 (la demande A‑2011‑00182, ou la demande de 2011), qui visait à obtenir des renseignements sur certains projets de PTC, en date du 26 août 2011. Plus particulièrement, des renseignements ont été demandés concernant [traduction« chaque investissement, contribution remboursable et prêt approuvé dans le cadre de PTC, en date du 31 mai 2002 ». La demande visait à obtenir des renseignements sur différents projets, notamment les prêts et les contributions remboursables, le nom des sociétés en question, le financement total approuvé, le montant total des coûts admissibles, les montants payés à ce jour et les montants remboursés au moyen de redevances, de recouvrements ou de l’exercice de bons de souscription.

[16]  Bombardier a été avisée du dépôt de la demande de 2011 en juin 2014. Elle a ensuite présenté des observations écrites pour s’opposer à la divulgation des renseignements demandés. En juillet 2014, ISDE a décidé que certains des renseignements demandés pouvaient être soustraits à la divulgation, mais que d’autres renseignements devaient être divulgués aux termes de la LAI. Bombardier a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision (la demande T‑1750‑14, ou la deuxième demande de 2014). La deuxième demande de 2014 a également été laissée en suspens en attendant la conclusion de l’enquête menée par le Commissariat à l’information sur la demande de 2011.

[17]  Le commissaire à l’information a ensuite déterminé que la plainte concernant la demande de 2011 était fondée et il a recommandé que tous les renseignements demandés soient divulgués. Dans une lettre datée du 29 septembre 2017, ISDE a informé Bombardier qu’il avait l’intention de suivre la recommandation du commissaire à l’information et de communiquer le document demandé dans son intégralité. Bombardier a ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire (la demande T‑1580‑17) de la décision rendue par ISDE le 29 septembre 2017.

[18]  Par la suite, les quatre demandes de contrôle judiciaire de Bombardier ont été regroupées par ordonnance du juge Noël, et le dossier T‑1580‑17 est demeuré le dossier principal. Les parties conviennent que les demandes se rapportant aux décisions rendues par ISDE en 2014 sont théoriques et, à une exception près qui sera examinée plus loin dans les présents motifs, les observations des parties ont porté entièrement sur les deux décisions rendues par ISDE en 2017.

III.  Les renseignements visés par la contestation

[19]  Les renseignements en cause en l’espèce figurent sur des feuilles de calcul préparées par ISDE.

[20]  Il s’avère que certains renseignements demandés dans la demande de 2009 que Bombardier avait initialement cherché à protéger avaient en fait déjà été rendus publics, en particulier les renseignements concernant les [traduction« dépenses nettes totales » et les [traduction« dépenses nettes à ce jour » pour les projets de PTC de Bombardier et de Bombardier Canadair en date du 1er avril 2009. Par conséquent, Bombardier ne cherche plus à protéger ces renseignements. De plus, Bombardier ne s’oppose plus à la divulgation de renseignements non divulgués sur les sommes [traduction« remboursées au moyen de l’exercice de bons de souscription » par Bombardier Inc. et Bombardier Canadair, dans le cadre de différents projets, en date du 31 mai 2002.

[21]  Huit entrées dans les feuilles de calcul font toujours l’objet d’un différend. Il s’agit notamment de deux entrées visées par la demande de 2009 en ce qui concerne les [traduction« remboursements totaux » du financement de PTC accordé à Bombardier Inc. et à Bombardier Canadair. Il y a également un deuxième groupe de six entrées relatives à la demande de 2011, y compris les entrées [traduction« coûts admissibles totaux » pour Bombardier Inc. et Bombardier Canadair, ainsi que les montants [traduction« remboursés par redevances » et les [traduction« recouvrements ». Bien que cette information soit accessible au public sous forme agrégée, aucune ventilation des renseignements par projet n’a été publiée.

[22]  Bombardier affirme que ces renseignements sont soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la LAI et qu’en concluant que les renseignements devraient être divulgués, ISDE a commis une erreur d’interprétation et d’application de ces exceptions obligatoires.

IV.  Le régime législatif

[23]  L’alinéa 20(1)b) de la LAI prévoit que « [l]e responsable d’une institution fédérale est tenu [...] de refuser la communication de documents contenant [...] des renseignements financiers [...] fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers ».

[24]  L’alinéa 20(1)c) de la LAI prévoit que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant « des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité ».

[25]  Le texte intégral des dispositions législatives applicables est annexé aux présents motifs.

[26]  Ces deux dispositions constituent des exceptions obligatoires. Par conséquent, une fois qu’il a été démontré que l’exception en question s’applique aux renseignements demandés, le responsable de l’institution fédérale n’a aucun pouvoir discrétionnaire et il doit refuser de les communiquer, sous réserve uniquement de toute dérogation législative applicable : Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, au paragraphe 98, [2012] 1 RCS 23.

[27]  Le paragraphe 20(5) de la LAI est également en cause dans la présente procédure. Selon cette disposition, le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant des renseignements visés par les exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi « si le tiers que les renseignements concernent y consent ». Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si Bombardier a déjà consenti à la divulgation des renseignements visés par la contestation.

V.  Le préjudice appréhendé

[28]  Dans l’environnement hautement concurrentiel de l’industrie aérospatiale, les avionneurs ont fréquemment recours à l’« analyse comparative », ce qui consiste à recueillir en permanence des renseignements commerciaux et stratégiques sur leurs concurrents. Selon le témoignage de Fiona Kerr, conseillère principale en gestion des risques et des actifs de la division des avions commerciaux de Bombardier, les avionneurs souhaitent obtenir de l’information sur les coûts auxquels sont confrontés leurs concurrents. Ils veulent également savoir comment leurs concurrents se positionnent sur le marché et où en sont leurs programmes de développement.

[29]  Mme Kerr affirme en outre que si les renseignements dont la divulgation est contestée en l’espèce étaient rendus publics, les concurrents internationaux de Bombardier auraient ainsi accès à de précieux renseignements sur les activités de la société qu’ils n’auraient pu obtenir autrement. Ce serait particulièrement injuste, selon Bombardier, puisque |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[30]  Dans le secteur des avions commerciaux, Bombardier est en concurrence, entre autres, avec Boeing, Airbus et Embraer S.A., et au moins deux de ces entreprises sont beaucoup plus importantes que Bombardier. Selon Mme Kerr, ces entreprises seraient probablement intéressées par les renseignements que Bombardier cherche à garder confidentiels. En fait, Embraer S.A. souhaiterait particulièrement obtenir des renseignements sur les avions « CRJ Series » de Bombardier, puisqu’ils sont en concurrence directe avec un avion fabriqué par cette société, de même que des renseignements sur l’avion « Q400 » de Bombardier, puisque Embraer S.A. a récemment annoncé son intention d’envisager un retour sur le marché des aéronefs à turbopropulseur. 

[31]  Bombardier affirme qu’en plus de nuire à sa compétitivité, la divulgation des renseignements visés par la contestation permettrait à ses concurrents d’utiliser ces renseignements dans le cadre de certains différends commerciaux. Il s’agit notamment de différends majeurs concernant les avions « C Series » qui opposent Bombardier et Boeing aux États‑Unis, ainsi que d’une plainte contre Bombardier déposée par le Brésil auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tout en soulignant que les avions « C Series » de Bombardier n’avaient reçu aucun financement dans le cadre du programme PTC, Mme Kerr affirme néanmoins que les concurrents de Bombardier auraient probablement dénaturé l’information visée par la contestation pour appuyer leur position dans ces différends commerciaux.

[32]  Enfin, Bombardier affirme que ses concurrents seraient en mesure de combiner les renseignements visés par la contestation avec des renseignements accessibles au public pour ainsi obtenir une approximation de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  Si ses concurrents disposent |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Bombardier soutient qu’ils seraient en mesure de combiner cette information avec d’autres renseignements accessibles au public pour obtenir |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  L’accès à ces renseignements procurerait un avantage aux concurrents de Bombardier, qui pourraient vendre leurs produits à des prix légèrement inférieurs à ceux de Bombardier.

VI.  La norme de contrôle

[33]  Au titre de l’article 51 de la LAI, le juge saisi du contrôle judiciaire d’une décision comme les décisions en cause en l’espèce doit déterminer si le responsable de l’institution fédérale concernée était tenu de refuser de communiquer un document conformément aux dispositions de la LAI. S’il est déterminé que c’était effectivement le cas, le juge doit ordonner au responsable de l’institution de refuser cette communication.

[34]  Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à l’examen des décisions relatives à l’application des exceptions obligatoires prévues par la LAI est celle de la décision correcte. Mon rôle consiste donc à déterminer si les exceptions prévues par la Loi ont été appliquées correctement aux documents visés par la contestation : Merck, précité, au paragraphe 53.

VII.  Analyse

[35]  La LAI prévoit le droit à l’accès en temps utile aux documents de l’administration fédérale. Il a été jugé que la Loi consacrait un droit d’accès quasi constitutionnel afin de faciliter l’exercice de la démocratie : Statham c Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315, au paragraphe 1, [2012] 2 RCF 421; Merck, précité, au paragraphe 1; Dagg c Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403, au paragraphe 61, [1997] ACS no 63, le juge La Forest (dissident, mais pas sur ce point).

[36]  La LAI favorise la démocratie « en aidant à garantir […] que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique » et en contribuant à garantir que les politiciens et bureaucrates sont tenus de rendre des comptes à la population : Merck, précité, au paragraphe 22. Par conséquent, il faut donner à la législation sur l’accès à l’information une interprétation large et téléologique.

[37]  Toutefois, les tribunaux ont également reconnu que les demandes d’accès à l’information gouvernementale peuvent mettre en jeu d’autres intérêts publics et privés. Les gouvernements recueillent auprès de tiers des renseignements pouvant comprendre des renseignements commerciaux confidentiels qui peuvent être utiles aux concurrents et dont la divulgation peut causer un préjudice financier ou autre à ces tiers et décourager la recherche et l’innovation : Merck, précité, au paragraphe 2.

[38]  Par conséquent, il faut établir un juste équilibre entre les objectifs contradictoires de permettre au public d’accéder à l’information gouvernementale et de protéger les intérêts des tiers : Merck, précité, aux paragraphes 2 et 4. La question qui se pose consiste à déterminer si cet équilibre a été atteint de façon appropriée en l’espèce.

A.  Le fardeau de la preuve et la norme de preuve pour un tiers demandant une exception sur le fondement du paragraphe 20(1)

[39]  En ce qui concerne le fardeau de la preuve, je comprends que les parties conviennent qu’il incombe à Bombardier de démontrer pourquoi les renseignements en cause ne devraient pas être divulgués : Merck, précité, au paragraphe 92.

[40]  Pour ce qui est de la norme de preuve, la partie qui s’oppose à la divulgation doit établir, selon la norme civile de la prépondérance des probabilités, que l’exception législative pertinente s’applique. Cependant, la preuve qui sera nécessaire pour satisfaire à cette norme dépendra de la nature de la thèse que le tiers cherche à faire valoir et du contexte particulier de l’affaire : Merck, précité, aux paragraphes 94 et 95.

[41]  Les exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la LAI ont trait aux renseignements commerciaux confidentiels de tiers et elles sont de nature obligatoire. Par conséquent, une fois qu’il est établi que l’exception invoquée s’applique au document en cause, la communication doit être refusée (abstraction faite de la dérogation en matière d’intérêt public prévue au paragraphe 20(6) de la Loi, qui n’est pas en cause en l’espèce) : Merck, précité, au paragraphe 98. Le responsable d’une institution fédérale peut aussi communiquer tout document contenant des renseignements faisant l’objet d’une contestation si le tiers que les renseignements concernent y consent : paragraphe 20(5) de la LAI.

B.  Les renseignements visés par la contestation sont‑ils soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI?

[42]  L’exception relative aux renseignements confidentiels établie en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la LAI est une exception catégorielle. Autrement dit, une fois qu’il a été démontré que la disposition législative s’applique aux renseignements visés par la contestation, ceux‑ci font l’objet d’une exception et, comme il est indiqué ci‑dessus, le responsable de l’institution fédérale doit refuser de les communiquer : Merck, précité, au paragraphe 99.

[43]  Les parties conviennent que le critère à utiliser pour déterminer si des renseignements sont soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI est celui établi par le juge MacKay dans la décision Air Atonabee Ltd. c Canada (Ministre des Transports), [1989] ACF no 453, au paragraphe 34, et approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Merck, précité, au paragraphe 133. Autrement dit, la partie qui s’oppose à la communication doit établir que les renseignements en cause :

  • a) sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

  • b) sont de nature confidentielle;

  • c) sont fournis à une institution fédérale par un tiers;

  • d) sont traités comme des renseignements confidentiels de façon constante par ce tiers.

[44]  Ce critère est de nature conjonctive, ce qui signifie que Bombardier doit satisfaire aux quatre éléments du critère pour établir que les renseignements en question sont soustraits à la divulgation : Air Atonabee, précitée, au paragraphe 34.

[45]  Bien que les parties conviennent que les renseignements visés par la contestation sont des renseignements financiers, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si Bombardier a satisfait aux trois autres éléments du critère. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner chacun des trois autres éléments du critère énoncé dans la décision Air Atonabee.

(1)  L’information visée par la contestation est‑elle « de nature confidentielle »?

[46]  Dans la décision Air Atonabee, la Cour a statué que pour interpréter l’expression « de nature confidentielle » à l’alinéa 20(1)b) de la LAI d’une manière conforme aux objectifs de la Loi, il faut tenir compte du contenu des renseignements, de leur objet et des circonstances dans lesquelles ils ont été compilés et communiqués : précitée, au paragraphe 34.

[47]  En particulier, la Cour doit prendre en considération les éléments suivants :

  • a) la question de savoir si le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

  • b) la question de savoir si les renseignements ont été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;

  • c) la question de savoir si les renseignements ont été communiqués, que ce soit parce que la Loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et si la communication des renseignements confidentiels favorise cette relation dans l’intérêt du public. Air Atonabee, précitée, aux paragraphes 43 à 45.

(2)  Est‑il possible actuellement de consulter les renseignements visés par la contestation auprès de sources accessibles au public?

[48]  Il semble que certains des renseignements faisant l’objet de la contestation soient déjà accessibles au public. Bien que Bombardier conteste cette conclusion, le Commissariat à l’information a conclu que le montant désagrégé des [traduction« recouvrements » pour Bombardier Inc. et Bombardier Canadair pouvait être déterminé à partir de renseignements accessibles au public, notamment en soustrayant les [traduction« dépenses nettes à ce jour » de [traduction] l’« aide autorisée » de ces sociétés.

[49]  Je suis disposée à tenir pour acquis que l’information visée par la contestation ne peut être obtenue actuellement auprès de sources qui sont autrement accessibles au public ou qu’elle ne pourrait être obtenue par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef. Bien que les renseignements faisant l’objet de la contestation soient accessibles au public sous une forme agrégée, je conviens, aux fins des présents motifs, que les renseignements accessibles actuellement sont présentés d’une manière qui ne permet pas de les associer à un projet d’aéronef particulier. C’est cette ventilation par projet qui, selon Bombardier, constitue de l’information commerciale de nature délicate.

(3)  Bombardier a‑t‑elle communiqué l’information visée par la contestation à ISDE en s’attendant raisonnablement à ce qu’elle ne soit pas rendue publique?

[50]  Je ne suis toutefois pas persuadée que Bombardier a communiqué l’information en cause à ISDE en s’attendant raisonnablement à ce qu’elle ne soit pas divulguée.

[51]  Pour en arriver à cette conclusion, j’aimerais d’abord faire observer que la jurisprudence a établi qu’une partie qui cherche à obtenir des contrats du gouvernement « ne peut s’attendre à jouir du même degré de confidentialité qu’une partie qui aide le gouvernement » : AstraZeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 189, au paragraphe 76, [2005] ACF no 859, conf par 2006 CAF 241, 353 NR 84.

[52]  L’une des entrées du dossier de 2011 est vide, soit l’entrée [traduction« recouvrements » pour Bombardier Canadair au 31 mai 2002. Par conséquent, le dossier ne contient aucune information, fournie par Bombardier ou autrement.

[53]  De plus, comme cela a été mentionné précédemment, les ententes de financement conclues entre Bombardier et ISDE contiennent une clause de confidentialité qui stipule expressément que, même si les parties préservent la confidentialité du contenu des ententes et des transactions envisagées, les ententes sont néanmoins assujetties aux dispositions de la LAI. Bien que Bombardier ait pu raisonnablement tenir pour acquis que les renseignements commerciaux de nature délicate fournis à ISDE demeureraient confidentiels, elle savait néanmoins que les ententes étaient assujetties à la LAI.

[54]  De plus, la clause de confidentialité qui faisait partie de la modification apportée en novembre 1999 à l’entente de financement conclue avec Bombardier Inc. a donné au ministre le pouvoir discrétionnaire de divulguer le contenu de l’entente, ou les opérations envisagées, dans diverses circonstances liées à des différends commerciaux. Une disposition semblable figure dans une entente de règlement conclue entre ISDE et Bombardier Canadair en 2008, laquelle a remplacé l’entente précédente avec PTC. Par conséquent, Bombardier a été avisée que les renseignements visés par la contestation pouvaient être divulgués dans certaines circonstances.

[55]  Plus important encore, Bombardier avait déjà consenti à la divulgation de renseignements sur les [traduction« remboursements réels effectués à ce jour, conformément à l’entente ». Ce faisant, Bombardier ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que six des entrées – soit les [traduction« remboursements totaux », les [traduction« remboursements par redevances » et les [traduction« recouvrements » pour Bombardier Inc. et Bombardier Canadair – demeurent confidentielles.

[56]  En effet, les 2 et 3 juin 2008, Mairead Lavery (qui était alors vice‑présidente de la stratégie et du développement des affaires chez Bombardier) a signé deux formulaires intitulés [traduction« Autorisation de divulguer des renseignements ». Ces formulaires, qui ont trait à la communication de renseignements en réponse à des demandes du Parlement, présentent les options qui s’offrent à la personne qui remplit le formulaire électroniquement.

[57]  Ces options vont du refus catégorique d’autoriser la divulgation de tout renseignement en réponse à une demande du Parlement à la permission sans réserve de divulguer tous les renseignements désignés dans le formulaire en réponse à une demande du Parlement, en passant par l’autorisation de ne divulguer que certains types de renseignements.

[58]  Sur les deux formulaires, Mme Lavery a choisi l’option autorisant la divulgation de l’information relative aux [traduction« remboursements réels effectués à ce jour, conformément à l’entente ». Les renseignements relatifs à ces remboursements correspondent aux entrées [traduction« remboursements totaux » du dossier de 2009 et aux entrées [traduction« remboursements par redevances » et [traduction« recouvrements » dans le dossier de 2011.

[59]  Sur le premier formulaire rempli par Mme Lavery, celle‑ci a désigné Bombardier Inc. comme le promoteur du projet et a indiqué le numéro du projet, la date de la contribution et le titre du projet. Sur le deuxième formulaire, le promoteur est Bombardier Canadair et les mêmes renseignements d’identification ont été fournis. Chaque formulaire se rapporte donc à une entente particulière conclue entre ISDE et l’entité en question, de sorte que les formulaires indiquent clairement que la divulgation de renseignements ventilés par entité et par projet est envisagée.

[60]  Bombardier laisse entendre que Mme Lavery devait penser que les renseignements sur les remboursements ne seraient divulgués que sous une forme globale. Il est clair que cette prétention est dépourvue de bien‑fondé. Non seulement elle n’est étayée par aucune preuve, mais il n’y aurait eu aucune raison de remplir des formulaires distincts pour deux entités différentes de Bombardier, chacun portant sur un projet précis, si l’intention était de divulguer les renseignements sous une forme globale uniquement.

[61]  Bombardier soutient également que, tout au plus, les formulaires de consentement prévoient l’octroi d’une autorisation ponctuelle pour la divulgation de renseignements à un moment donné. Je n’accepte pas cet argument.

[62]  La sous‑option sélectionnée par Mme Lavery fait partie des options supplémentaires énumérées sous la première option. La première option prévoit : [traduction« J’autorise l’Office des technologies industrielles à communiquer TOUS les renseignements énumérés ci‑dessous en réponse aux demandes du Parlement, sans qu’il soit nécessaire de communiquer avec moi chaque fois. »

[63]  Sous la première option, il y a une série d’options supplémentaires qui permettent de préciser que l’autorisation de divulgation ne s’applique qu’à certains types de renseignements. L’une de ces options porte notamment sur la divulgation de renseignements relatifs aux [traduction« remboursements réels effectués à ce jour, conformément à l’entente ». Comme cela a été mentionné précédemment, il s’agit de l’option choisie par Mme Lavery.

[64]  Il est clair que cette option (ainsi que les options supplémentaires énumérées sous la première option) ne s’applique qu’à la première phrase de la première option, à savoir la description des renseignements pouvant être divulgués. Si tel n’était pas le cas, les formulaires n’auraient aucun sens.

[65]  En effet, je ne crois pas que Bombardier conteste le fait que la permission accordée par Mme Lavery comprenait la divulgation de renseignements sur les remboursements [traduction« en réponse aux demandes du Parlement », une expression qui ne figure que dans la première option. Dans le même ordre d’idées, les sous‑options portent sur l’autorisation de divulguer certains types de renseignements [traduction« sans qu’il soit nécessaire de communiquer avec [la personne qui accorde la permission] chaque fois ».

[66]  L’utilisation de l’expression [traduction« sans qu’il soit nécessaire de communiquer avec moi chaque fois » dans le formulaire d’autorisation indique clairement que de futures demandes d’information pourraient être soumises en vertu de l’autorisation accordée précédemment.

[67]  Bombardier admet que même si l’intention des formulaires [traduction« est probablement évidente » pour une personne ayant une formation juridique, un profane pourrait être induit en erreur par le libellé des documents. Bien que je sois d’avis que l’intention des documents est très claire, je souligne également que nous ne disposons d’aucun renseignement sur les antécédents de Mme Lavery et, en particulier, sur la question de savoir si elle a une formation juridique. Par conséquent, il n’y a aucune preuve à l’appui de l’argument de Bombardier. Il est également raisonnable de supposer qu’en tant que vice‑présidente de la stratégie et du développement des affaires d’une grande entreprise comme Bombardier, Mme Lavery est probablement une personne avertie qui savait ce qu’elle faisait.

[68]  Bombardier soutient également que les documents d’autorisation qui ont été fournis par ISDE au Commissariat à l’information au cours de son enquête [traduction« n’ont pas été authentifiés » et qu’il faut donc leur accorder peu de poids. Toutefois, Bombardier ne conteste pas l’admissibilité des documents et ne laisse pas entendre que les documents n’ont pu être retrouvés dans ses propres dossiers ou qu’ils ont pu être modifiés d’une quelconque façon.

[69]  S’il y avait un doute réel à l’égard de l’authenticité des formulaires d’autorisation, Mme Lavery aurait rédigé un affidavit dans lequel elle aurait nié avoir rempli les documents. Bombardier n’a toutefois pas fourni d’affidavit de Mme Lavery, et aucune explication raisonnable n’a été donnée pour cette omission.

[70]  Mme Kerr déclare simplement dans son affidavit en réponse que [traduction« Mairead Lavery n’est plus employée par Bombardier, et je n’ai pas pu discuter de ces documents avec elle ». Rien n’indique que des efforts ont été faits pour retrouver Mme Lavery ou pour lui parler, et Mme Kerr n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas été en mesure de discuter des documents d’autorisation avec elle.

[71]  Bombardier laisse entendre que Mme Lavery ne savait peut‑être pas que les renseignements fournis en réponse aux demandes du Parlement seraient versés dans un dossier public. La société soutient en outre que Mme Lavery a peut‑être mal compris ce qu’elle autorisait. Une fois de plus, Bombardier n’a fourni aucune preuve à l’appui de ces affirmations.

[72]  Bien que cette conclusion soit suffisante pour rejeter les arguments de Bombardier concernant la question des formulaires d’autorisation, je signale également que même si Mme Lavery avait mal compris l’importance des formulaires, comme l’a suggéré Bombardier, cela ne serait pas suffisant pour établir que l’entreprise n’a pas donné son consentement. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer, lorsqu’il est question de l’importation de documents comme ceux qui sont en cause en l’espèce, l’accent devrait être mis sur le libellé de la clause en question, plutôt que sur la compréhension subjective qu’a une personne de sa portée : Canada (Commissariat à l’information) c Calian Ltd., 2017 CAF 135, au paragraphe 66, 414 DLR (4th) 165.

[73]  Bombardier soutient en outre qu’il n’y a aucune preuve indiquant qu’ISDE a accordé une contrepartie en échange des consentements fournis par Mme Lavery, de sorte que les formulaires ne sont donc pas exécutoires. Je n’accepte pas cet argument. Les formulaires de consentement ne constituaient pas une modification apportée à un contrat existant pour laquelle une contrepartie aurait pu être exigée; ils faisaient simplement référence à des ententes particulières concernant Bombardier et Bombardier Canadair.

[74]  Compte tenu du consentement accordé par Mme Lavery, Bombardier ne pouvait raisonnablement s’attendre, après juin 2008, à ce que l’information contenue dans les entrées [traduction« remboursements totaux » du dossier de 2009 et dans les entrées [traduction« remboursement par redevances » et [traduction« recouvrements » du dossier de 2011 ne soit pas divulguée : Calian, précité, aux paragraphes 52 et 53; StenoTran Services c Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2000] ACF no 747, 186 FTR 134, aux paragraphes 12 à 15.

[75]  Par conséquent, ces renseignements ne constituent pas des [traduction] « renseignements confidentiels » selon le critère énoncé dans la décision Air Atonabee.

(4)  La conclusion concernant l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b)

[76]  Comme nous l’avons déjà mentionné, le critère énoncé dans la décision Air Atonabee est de nature conjonctive. Comme il n’a pas été établi que Bombardier a communiqué à ISDE les renseignements visés par la contestation en s’attendant raisonnablement à ce qu’ils ne soient pas divulgués au public, il s’ensuit que les renseignements en question ne constituent pas des [traduction« renseignements confidentiels » selon le critère énoncé dans la décision Air Atonabee. Il s’ensuit que ces renseignements ne sont pas soustraits à la divulgation aux termes de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

[77]  À la lumière de ma conclusion sur ce point, il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième aspect du deuxième élément du critère énoncé dans la décision Air Atonabee, en l’occurrence, la question de savoir si les renseignements visés par la contestation ont été communiqués dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et si la communication des renseignements confidentiels favorise cette relation dans l’intérêt du public.

[78]  Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner le troisième élément du critère Air Atonabee, lequel consiste à déterminer si les renseignements visés par la contestation ont été [traduction« fournis » à ISDE par Bombardier.

[79]  Toutefois, j’aborderai brièvement le quatrième élément du critère énoncé dans la décision Air Atonabee, c’est‑à‑dire la question de savoir si les renseignements visés par la contestation ont été traités comme des renseignements confidentiels de façon constante par Bombardier. Ma conclusion à l’égard des consentements accordés par Mme Lavery est que, dans la mesure où les renseignements visés par la contestation se rapportent aux [traduction« remboursements totaux », aux [traduction« remboursements par redevances » et aux [traduction« recouvrements », Bombardier ne les a pas toujours traités de façon confidentielle. Par conséquent, Bombardier n’a pas non plus satisfait au quatrième élément du critère énoncé dans la décision Air Atonabee à l’égard de ces renseignements.

[80]  Cela nous amène à la deuxième exception invoquée par Bombardier, soit l’affirmation selon laquelle les renseignements visés par la contestation sont soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)c) de la LAI.

C.  Les renseignements visés par la contestation sont‑ils soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)c) de la LAI?

[81]  Comme cela est mentionné ci‑dessus, l’alinéa 20(1)c) de la LAI soustrait à la communication les renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou des profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité. Les types de préjudice énumérés à l’alinéa 20(1)c) sont présentés de façon disjonctive. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que Bombardier démontre que l’« atteinte » à sa compétitivité cause également un « préjudice » : Merck, précité, au paragraphe 212. Il suffit que Bombardier parvienne à démontrer que la divulgation des renseignements visés par la contestation risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes ou des profits financiers ou de nuire à sa compétitivité.

[82]  Tout comme l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b), l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) est de nature obligatoire et le responsable de l’institution fédérale doit refuser de communiquer les documents en cause lorsqu’il est établi qu’ils sont visés par cette exception.

[83]  Toutefois, contrairement à l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b), l’exception de l’alinéa 20(1)c) n’est pas catégorielle. Il s’agit plutôt d’une exception visant à éviter un préjudice, et elle ne s’applique que si la divulgation des renseignements visés par la contestation risquerait vraisemblablement de causer l’une ou l’autre des formes de préjudice indiquées dans la disposition législative : Merck, précité, aux paragraphes 99 et 184.

[84]  Afin d’établir que les renseignements sont soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)c) de la LAI, la partie qui s’oppose à la communication doit démontrer qu’il y a un « risque vraisemblable de préjudice probable » : Merck, précité, aux paragraphes 192 à 195.

[85]  La Cour suprême a statué qu’un « risque vraisemblable de préjudice probable » est « quelque chose qui est à tout le moins prévu et qui est peut‑être susceptible de se produire, mais qui n’est pas nécessairement probable ». Bien qu’il n’incombe pas à une partie qui s’oppose à la divulgation « d’établir selon la prépondérance des probabilités que le préjudice se produira effectivement si les documents sont communiqués », elle doit néanmoins « faire davantage que simplement démontrer que le préjudice peut se produire » : toutes les citations sont tirées de l’arrêt Merck, précité, au paragraphe 196. En effet, il faut démontrer « davantage » ou « beaucoup plus » qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé : Merck, précité, aux paragraphes 197 et 199.

[86]  Une partie ne peut pas simplement s’appuyer sur une croyance subjective selon laquelle la divulgation de certains renseignements causera un préjudice : AstraZeneca Canada Inc., précitée, au paragraphe 46. Les exigences de l’alinéa 20(1)c) peuvent, en principe, être satisfaites lorsqu’il peut être démontré que la divulgation de renseignements qui n’ont pas été rendus publics pourrait donner aux concurrents une longueur d’avance dans le développement de produits concurrents ou leur offrir un avantage concurrentiel en ce qui concerne des opérations à venir : Merck, précité, aux paragraphes 219 et 220. Les renseignements doivent toutefois être examinés dans leur ensemble pour établir l’incidence qu’aurait vraisemblablement leur divulgation : Merck, précité, au paragraphe 219.

[87]  En ce qui concerne le lien de causalité entre la divulgation et le préjudice, une partie qui s’oppose à la divulgation doit fournir la preuve qu’il y a « entre la divulgation d’une information donnée et le préjudice allégué un lien clair et direct » : Merck, précité, au paragraphe 197, citant Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, au paragraphe 58, [2002] 2 RCS 773; Canada Packers Inc. c Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 CF 47, aux pages 58 et 59, [1988] ACF no 615. 

[88]  Compte tenu de cette interprétation des principes juridiques pertinents, je vais maintenant examiner la preuve présentée par Bombardier en ce qui concerne la question du préjudice.

[89]  Bombardier affirme qu’elle subira deux formes de préjudice si les renseignements visés par la contestation sont divulgués. La première est le préjudice financier probable et l’atteinte à sa compétitivité découlant de l’avantage concurrentiel que ses concurrents obtiendront. La deuxième forme de préjudice invoquée par Bombardier est l’exacerbation des différends commerciaux.

(1)  La divulgation de l’information visée par la contestation causera‑t‑elle un préjudice financier à Bombardier ou nuira‑t‑elle à sa compétitivité?

[90]  Bombardier affirme que ses concurrents utiliseraient probablement l’information visée par la contestation afin de déterminer ses sources de financement pour des projets et des périodes donnés, ainsi que les dépenses et les remboursements relatifs à des périodes et à des projets précis. Cela permettrait aux concurrents de Bombardier d’obtenir |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[91]  Mme Kerr affirme que l’information contenue dans le dossier de 2011 concernant les avions « CRJ700 » de Bombardier intéresserait particulièrement Embraer, car ce modèle est en concurrence directe avec l’Embraer 170. Selon Mme Kerr, l’accès à l’information visée par la contestation permettrait à Embraer [traduction« de déterminer |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| L’information concernant les avions « Q400 » de Bombardier serait également d’un grand intérêt pour Embraer, selon Mme Kerr, puisque l’entreprise a récemment annoncé son intention d’envisager un retour sur le marché des aéronefs à turbopropulseur.

[92]  Mme Kerr explique qu’un [traduction« élément clé » de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Pour certains appareils, comme les avions « Q400 » et « CRJ Series » de Bombardier, ce numéro est accessible au public. D’autres sources d’information accessibles au public, comme les rapports trimestriels et les communiqués de presse, pourraient être utilisées pour déterminer |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Mme Kerr affirme dans son affidavit du 15 juin 2018 |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| par le |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| un concurrent pourrait obtenir ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  pour l’entente de contribution applicable.

[93]  Mme Kerr ajoute qu’une fois que le |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| est déterminé par un concurrent, il pourrait ensuite être combiné à d’autres renseignements accessibles au public pour obtenir |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  Le concurrent pourrait ensuite ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  Grâce à cette information, les concurrents de Bombardier pourraient alors vendre leurs produits à des prix légèrement inférieurs à ceux de Bombardier. Mme Kerr prétend que la capacité d’effectuer des calculs qui permettraient de déterminer |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  est ce qui distingue les renseignements en cause de l’information globale sur les remboursements qui a déjà été rendue publique.

[94]  Mme Kerr affirme que les concurrents de Bombardier pourraient également utiliser les renseignements visés par la contestation dans le cadre de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et que cela pourrait |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[95]  Bombardier affirme que le préjudice auquel elle s’expose si les renseignements visés par la contestation sont divulgués est semblable au préjudice subi par la demanderesse dans l’affaire Aventis Pasteur Ltée c Canada (Procureur général), 2004 CF 1371, 38 CPR (4th) 164. Dans cette affaire, la Cour a conclu que même si les montants globaux versés à la demanderesse en vertu d’un contrat n’étaient pas soustraits à la divulgation, les renseignements qui pourraient être utilisés pour estimer les prix unitaires par dose ne devraient pas être divulgués.

[96]  La Cour a estimé que si le nombre de doses et les gammes de volumes étaient divulgués publiquement, cette information pourrait être combinée à l’information déjà rendue publique, soit la valeur totale du contrat, pour calculer le prix unitaire approximatif par dose : Aventis, précitée, au paragraphe 25. La Cour a conclu que la valeur commerciale de l’information sur les prix était claire : les concurrents d’Aventis seraient en mesure d’offrir des prix inférieurs et Aventis ne disposerait pas de renseignements semblables sur les tarifs de ses concurrents : Aventis, précitée, au paragraphe 32.

[97]  Bombardier soutient que ses préoccupations sont similaires puisque la divulgation des renseignements visés par la contestation donnerait à ses concurrents un aperçu de ses activités qu’ils n’auraient pu obtenir autrement. Il s’agirait d’un avantage concurrentiel inattendu, qui serait exacerbé par le fait que Bombardier n’aurait pas accès à des renseignements comparables sur ses concurrents au Brésil et aux États‑Unis, car ce type de renseignements est considéré comme de l’information commerciale confidentielle et qu’il n’est pas possible d’y avoir accès dans ces pays.

[98]  Enfin, Bombardier affirme que la divulgation de l’information concernant les [traduction« coûts admissibles totaux » révélerait les montants investis par l’entreprise pour développer de nouveaux programmes d’avions. Cela permettrait donc aux concurrents de Bombardier d’évaluer l’efficacité globale de l’entreprise à développer de nouveaux programmes d’avions. Cela aggraverait l’asymétrie d’information entre Bombardier et ses concurrents et entraînerait des désavantages commerciaux [traduction« indubitables » pour l’entreprise.

[99]  Je ne suis pas persuadée que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des renseignements visés par la contestation représente « davantage » ou « beaucoup plus » qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé à Bombardier.

[100]  La Cour d’appel fédérale a statué qu’une preuve par affidavit de nature vague ou spéculative ne peut être invoquée pour justifier une exception en application du paragraphe 20(1) de la LAI : Wyeth‑Ayerst Canada Inc. c Canada (Procureur général), 2003 CAF 257, au paragraphe 20, [2003] ACF no 916.

[101]  Dans la mesure où Bombardier affirme que ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  peut être |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| elle n’a pas indiqué quelle serait l’incidence de l’information (||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||) sur |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et elle n’a pas démontré comment |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| serait calculé. En outre, Bombardier n’a pas démontré que l’information qui devrait être incluse dans l’équation |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| est en fait accessible au public |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[102]  Bombardier a choisi de ne pas fournir à la Cour des copies complètes des ententes de financement conclues avec ISDE. Je tiens cependant à préciser que le commissaire à l’information a constaté que ces ententes prévoient |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||| [non souligné dans l’original]. Bombardier a omis de faire état des divers facteurs qui peuvent être pris en considération dans ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[103]  Par conséquent, la présente affaire se distingue aisément de l’affaire Aventis à laquelle Bombardier fait référence. Dans cette affaire, la demanderesse a pu démontrer que la divulgation des renseignements en cause aurait permis aux concurrents d’Aventis d’avoir accès à tous les renseignements nécessaires pour calculer le prix unitaire par dose du médicament en question, renseignements dont la divulgation aurait effectivement placé la société en désavantage concurrentiel.

[104]  En outre, la Cour a conclu que les renseignements en cause dans l’affaire Aventis auraient pu être utilisés par les concurrents de la demanderesse pour proposer des prix légèrement inférieurs aux siens dans de futures soumissions pour des marchés de l’État. Bombardier n’a fourni aucun élément de preuve concernant de futurs appels d’offres dans le cadre desquels ses concurrents pourraient éventuellement utiliser les renseignements visés par la contestation.

[105]  En ce qui concerne l’information relative aux [traduction« coûts admissibles totaux » de Bombardier, l’entreprise affirme que la divulgation de cette information pourrait révéler les montants qu’elle investit pour développer de nouveaux programmes d’avions.

[106]  Dans les ententes de financement de PTC conclues entre le gouvernement du Canada et Bombardier, l’expression [traduction« coûts admissibles totaux » est définie comme le total en dollars des coûts directs et indirects du projet, raisonnablement et dûment engagés ou attribués, moins les crédits applicables.

[107]  Bombardier n’a pas fourni de preuve démontrant que ses [traduction« coûts admissibles totaux » correspondent effectivement aux coûts de développement de programmes ou aux coûts totaux de ses projets. Elle n’a pas non plus indiqué quelle partie de ses coûts de développement n’est pas admissible dans le cadre du programme PTC. De plus, aucune information n’a été fournie en ce qui a trait à la valeur des [traduction« crédits » qui pourraient s’appliquer.

[108]  Bombardier n’a pas non plus expliqué de façon satisfaisante comment des renseignements datant d’au moins dix ans (dans le cas de la demande de 2009) ou de huit ans (dans le cas de la demande de 2011) pourraient être utilisés et ainsi créer un désavantage concurrentiel pour Bombardier en ce qui a trait aux programmes d’avions, nouveaux et différents, en 2019 et au‑delà. Cette question n’est jamais mentionnée dans les affidavits de Mme Kerr et le bon sens dicte que la valeur commerciale de renseignements comme ceux qui sont en cause en l’espèce diminuera avec le temps.

[109]  L’affirmation finale de Bombardier selon laquelle ses concurrents utiliseront l’information visée par la contestation dans |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  la société, ainsi que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Je n’accepte pas cet argument.

[110]  La Cour suprême a statué que les tribunaux « ont souvent — et avec raison — accueilli avec scepticisme les allégations que la mauvaise compréhension, par le public, des renseignements divulgués sera préjudiciable au tiers » : Merck, précité, au paragraphe 224; Air Atonabee, précitée, au paragraphe 64; Coopérative fédérée du Québec c Canada (Agriculture et Agroalimentaire) [2000] ACF n26, aux paragraphes 9 à 15, 180 FTR 205.

[111]  En effet, la Cour suprême a statué que le refus de communiquer des renseignements parce que le public risque de ne pas les comprendre « compromettrait l’objet fondamental de la législation en matière d’accès à l’information », puisque le but de la législation consiste à « permettre aux membres du public de prendre connaissance des renseignements pour qu’ils puissent eux‑mêmes les apprécier, et non de les empêcher de les obtenir » : Merck, précité, au paragraphe 224.

[112]  J’en conclus donc que Bombardier n’a pas réussi à démontrer qu’elle subirait un préjudice financier probable ou une atteinte à sa compétitivité en raison de l’avantage concurrentiel que procurerait à ses concurrents la divulgation des renseignements visés par la contestation. La dernière question consiste donc à déterminer si Bombardier a établi que la divulgation des renseignements visés par la contestation portera atteinte à sa position dans le cadre de différends commerciaux. Ce sera l’objet des prochains paragraphes.

(2)  La divulgation des renseignements visés par la contestation portera‑t‑elle atteinte à la position de Bombardier dans les différends commerciaux?

[113]  En ce qui concerne l’exacerbation potentielle des différends commerciaux, Bombardier affirme que ses concurrents ont fait appel aux tribunaux et qu’ils continuent de déployer des efforts considérables dans le cadre de divers différends commerciaux, et qu’ils cherchent à miner l’industrie aérospatiale canadienne en démontrant que le Canada favorise les entreprises canadiennes par l’octroi de fonds publics. Selon Bombardier, la LAI n’a jamais été conçue pour servir de mécanisme permettant aux entreprises étrangères d’obtenir un avantage accessoire dans le cadre de différends commerciaux et elle ne devrait jamais être utilisée à cette fin. L’information concernant le programme PTC du Canada devrait plutôt être obtenue par le truchement des mécanismes officiels mis en place dans le cadre des processus de règlement des différends commerciaux, et non pas au moyen de demandes d’accès à l’information.

[114]  Pour étayer cet argument, Bombardier fait référence à un important différend commercial qui l’opposait à Boeing. Ce différend porté devant l’International Trade Commission aux États‑Unis concernait la vente de plusieurs avions « C Series » à Delta Airlines.

[115]  Bombardier signale également que le Brésil a soumis une plainte concernant le programme PTC auprès de l’OMC, plainte qui portait encore une fois sur les avions « C Series » de Bombardier. En septembre 2017, l’OMC a mis sur pied un groupe spécial chargé d’examiner l’argument du Brésil selon lequel le Canada avait injustement subventionné le programme d’avions « C Series » de Bombardier.

[116]  Mme Kerr a déclaré qu’elle n’a [traduction« aucune raison de croire que quoi que ce soit dans les [renseignements visés par la contestation] constitue une preuve de la violation d’un traité ou d’un accord international ». Cela dit, elle affirme que les concurrents de Bombardier auraient probablement mal interprété l’information visée par la contestation afin de renforcer leur position dans les différends commerciaux (comme ils l’ont fait avec l’information accessible au public) et de démontrer que le Canada a toujours accordé des subventions à Bombardier, ce qui est contraire à ses obligations internationales. Les concurrents de Bombardier pourraient ainsi prétendre, à tort, que cela a permis à l’entreprise d’offrir des prix inférieurs à ceux de ses concurrents.

[117]  Mme Kerr ajoute que si l’information visée par la contestation est divulguée, puis utilisée à mauvais escient par les concurrents de Bombardier, l’entreprise sera forcée de consacrer encore plus de ressources pour répondre à ces allégations.

[118]  Comme il sera expliqué ci‑dessous, Bombardier n’a pas établi qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des renseignements visés par la contestation représente « davantage » ou « beaucoup plus » qu’une simple possibilité qu’un préjudice lui soit causé. Les allégations de Bombardier n’établissent pas de lien clair et direct entre la divulgation d’entrées contenant des renseignements visés par la contestation, l’utilisation de ces renseignements dans le contexte de différends commerciaux et le préjudice au sens de l’alinéa 20(1)c) de la LAI.

[119]  En ce qui concerne le différend avec Boeing aux États‑Unis, il semble que les droits qui avaient été imposés par le département du Commerce des États‑Unis ont été annulés par suite d’une décision de l’International Trade Commission rendue en janvier 2018, de sorte qu’il n’y a plus de différend entre Boeing et Bombardier actuellement. Par conséquent, la divulgation des renseignements visés par la contestation ne pourra avoir aucune incidence sur l’issue de cette affaire.

[120]  En ce qui concerne la plainte déposée par le Brésil auprès de l’OMC, il est question des avions « C Series » de Bombardier dans ce cas. Toutefois, comme cela a été mentionné précédemment, les avions « C Series » de Bombardier n’ont reçu aucun financement dans le cadre du programme PTC. Les renseignements visés par la contestation concernent les avions « CRJ Series » et « Q400 » de Bombardier, et non le programme d’avions « C Series ». Bombardier n’a pas expliqué de façon satisfaisante en quoi l’information relative au financement qu’elle a reçu dans le cadre du programme PTC pour les avions « CRJ Series » et « Q400 » serait pertinente dans le cadre d’un différend commercial concernant les avions « C Series » de Bombardier.

[121]  L’affirmation de Bombardier selon laquelle le Brésil utilisera l’information visée par la contestation pour donner une fausse impression dans le cadre de ce différend commercial repose également sur des spéculations à l’égard de la stratégie d’un État souverain en matière de litiges.

[122]  De plus, je suis d’accord avec la conclusion du Commissariat à l’information, à savoir que dans la mesure où Bombardier prétend que le Brésil fera un mauvais usage des renseignements visés par la contestation dans le contexte de la plainte déposée à l’OMC, il s’agit d’une admission implicite que l’utilisation appropriée des renseignements ne causerait pas de préjudice à l’entreprise.

[123]  De plus, comme cela a été mentionné ci‑dessus, la Cour suprême a statué que les tribunaux devraient être sceptiques à l’égard des allégations selon lesquelles une mauvaise compréhension par le public de l’information communiquée causerait un préjudice à des tiers (Merck, précité, au paragraphe 224) et que le refus de communiquer des renseignements pour cette raison compromettrait l’objet de la législation sur l’accès à l’information. La meilleure approche consiste à divulguer l’information afin que le public puisse l’évaluer lui‑même : Merck, précité, au paragraphe 224.

[124]  Bien que ces commentaires aient été formulés en réponse à une suggestion selon laquelle le public pourrait mal comprendre l’information divulguée, un raisonnement analogue peut s’appliquer à l’argument de Bombardier concernant l’utilisation potentiellement abusive de l’information visée par la contestation dans la présente affaire : Coopérative fédérée, précitée, aux paragraphes 12 et 13; Matol Botanique International Ltée c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1994] ACF no 860, au paragraphe 23, 84 FTR 168.

[125]  En outre, l’argument de Bombardier ne rend pas compte entièrement de l’information déjà rendue publique concernant les sommes que la société a reçues du gouvernement du Canada et qu’elle a déjà remboursées. Comme il est indiqué au paragraphe 105 du mémoire des faits et du droit du commissaire à l’information, un certain nombre de ces renseignements sont déjà accessibles au public et il n’a pas été démontré que la divulgation des renseignements visés par la contestation aurait des conséquences réelles compte tenu des renseignements qui ont déjà été publiés.

[126]  Je n’ai donc pas été persuadée que Bombardier peut raisonnablement s’attendre à subir un préjudice dans le contexte de différends commerciaux internationaux qui représenterait « davantage » ou « beaucoup plus » qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé.

(3)  Conclusion concernant l’exception invoquée en application de l’alinéa 20(1)c) de la LAI

[127]  Par conséquent, je conclus que Bombardier n’a pas démontré l’existence d’un risque raisonnable de préjudice probable au sens de l’alinéa 20(1)c) de la LAI qui découlerait directement de la divulgation des renseignements visés par la contestation et qui représenterait « davantage » ou « beaucoup plus » qu’une simple possibilité de préjudice.

VIII.  Conclusion

[128]  Pour ces motifs, j’estime que Bombardier n’a pas réussi à établir que les renseignements visés par la contestation doivent être soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) de la LAI. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de déterminer si les renseignements devraient être communiqués au titre du paragraphe 20(5) de la LAI.

IX.  Les dépens

[129]  Le Commissariat à l’information n’a pas demandé à ce que les dépens liés à cette demande lui soient alloués, et aucuns dépens ne lui seront accordés.

[130]  Bombardier demande que les dépens liés aux deux demandes de contrôle judiciaire de 2014 lui soient alloués, et ce, quelle que soit l’issue de la cause. Bombardier soutient que les deux décisions de 2014 d’ISDE étaient illégales, car ISDE avait déjà rendu des décisions concernant les demandes d’accès à l’information de 2009 et de 2011 et n’avait pas le pouvoir de réexaminer ces décisions.

[131]  Comme cela a déjà été mentionné, les contestations de Bombardier à l’égard des décisions de 2014 ont été regroupées avec les demandes de contrôle judiciaire de Bombardier visant les décisions de 2017 du commissaire à l’information.

[132]  La légalité des décisions de 2014 n’a pas été soulevée dans le mémoire des faits et du droit que Bombardier a déposé pour la demande de contrôle judiciaire consolidée, ni dans le contexte du bien‑fondé de la demande ni dans le contexte des dépens. Cette question n’a pas non plus été mentionnée dans les observations de l’avocat sur le bien‑fondé de la demande consolidée.

[133]  La légalité des décisions de 2014 a été mentionnée pour la première fois dans les observations sur la question des dépens que l’avocat a présentées de vive voix à la fin de l’audience. L’avocat du procureur général du Canada a clairement été pris par surprise, ce qui est compréhensible, puisqu’il s’agissait d’un argument entièrement nouveau. De plus, ce n’est que dans ses observations finales que Bombardier a fait référence à la jurisprudence qui, selon elle, appuie son argument.

[134]  Toutes les parties conviennent que les demandes de contrôle judiciaire de 2014 sont maintenant théoriques, car elles ont été remplacées par les décisions de 2017. Pour accepter l’argument de Bombardier sur la question des dépens, je devrais d’abord analyser le bien‑fondé des demandes de contrôle judiciaire de 2014. Je reconnais que j’ai le pouvoir de trancher une question même si elle est maintenant théorique : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 57 DLR (4th) 231. Je ne suis toutefois pas prête à le faire en l’espèce, d’autant plus que le procureur général du Canada n’a pas été avisé à l’avance que la légalité des décisions de 2014 demeurait en litige, du moins en ce qui concerne la question des dépens.

[135]  Le procureur général du Canada a droit à ce que les dépens liés à ces demandes lui soient accordés. Conformément à l’entente intervenue entre les parties, les dépens sont fixés à 2 600 $, débours et TPS compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1580‑17

LA COUR STATUE que :

  1. Les quatre demandes de contrôle judiciaire sont rejetées et les dépens alloués au procureur général du Canada sont fixés à 2 600 $, débours et TPS compris.

  2. Une copie des présents motifs doit être versée aux dossiers T‑1580‑17, T‑1650‑14, T‑1750‑14 et T‑1579‑17.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juin 2019

Julie Blain McIntosh


Annexe

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c A‑1

Access to Information Act, R.S.C., 1985, c. A‑1

20  (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20  (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[…]

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

[…]

[…]

(5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑1580‑17, T‑1650‑14, T‑1750‑14, T‑1579‑17

 

INTITULÉ :

BOMBARDIER INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Jenna Anne de Jong

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Adrian Johnston

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Aditya Ramachandran

Jessica Allen

 

POUR LE DÉFENDEUR

Commissaire à l’information du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Commissaire à l’information du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Commissaire à l’information du Canada

 

 

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