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Date : 20190219


Dossier : IMM-5296-17

Référence : 2019 CF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 février 2019

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

GHOLAMREZA GHODRATI AMIRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Gholamreza Ghodrati Amiri est un citoyen iranien dont la demande de résidence permanente au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) a été refusée pour des motifs de sécurité. Un agent des visas a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Amiri présentait un danger pour la sécurité du Canada en raison du rôle qu’il aurait joué dans la mise au point d’armes de destruction massive en Iran. L’agent a également conclu que M. Amiri n’était pas admissible à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  Monsieur Amiri demande le contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. Il allègue avoir été traité injustement dans le cadre du processus de demande puisqu’il s’est vu refuser l’accès à un rapport, établi par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui constituait le principal fondement de la conclusion d’interdiction de territoire tirée par l’agent. Monsieur Amiri affirme en outre que la décision de l’agent était substantiellement déraisonnable, et que l’agent a commis une erreur en refusant de prendre en considération sa demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[3]  Pour les raisons qui suivent, je suis convaincue que M. Amiri a été mis au courant de la nature des préoccupations de l’agent en matière de sécurité, et qu’il s’est vu offrir une véritable possibilité d’y répondre. Je suis également convaincue que la décision de l’agent était raisonnable, et que celui-ci n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Amiri était inadmissible à la prise en considération de motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Amiri sera rejetée.

I.  Contexte

[4]  La chronologie des événements est importante en l’espèce, particulièrement en ce qui concerne l’admissibilité de M. Amiri à une dispense de son interdiction de territoire pour motifs d’ordre humanitaire.

[5]  Monsieur Amiri est professeur d’université et ingénieur civil spécialisé en génie des structures et en génie parasismique. Il a obtenu un doctorat en génie parasismique de l’Université McGill en 1997. Après avoir terminé son doctorat, M. Amiri est retourné en Iran, où il réside actuellement avec son épouse et ses deux enfants. Il revenu au Canada de temps à autre pour assister à des conférences, sans incident.

[6]  Monsieur Amiri dit avoir commencé à travailler comme professeur à l’Université des sciences et des technologies d’Iran en 1998, où il se spécialise en génie des structures et en génie parasismique. Il a été doyen de l’École de génie de 2008 à 2011, et il occupe de nouveau ce poste depuis 2016.

[7]  Le 10 janvier 2010, M. Amiri a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Le 24 juillet 2014, à Ankara, en Turquie, il a passé une entrevue au cours de laquelle il a été longuement interrogé sur ses antécédents d’emploi en Iran. Monsieur Amiri a nié avoir déjà été approché par le ministère de la Défense et le ministère du Renseignement et de la Sécurité irianiens ou par toute entreprise privée pour mener des recherches dans le cadre des programmes d’armes nucléaires ou autres armes du gouvernement iranien. Monsieur Amiri a également nié toute association ou participation à l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran ou à toute autre organisation du gouvernement ou entreprise privée associée à l’industrie nucléaire iranienne.

[8]  Après l’entrevue, la demande de résidence permanente de M. Amiri a été renvoyée à la Division des enquêtes pour la sécurité nationale de l’ASFC, et un rapport a été produit en avril 2015. Dans ce rapport, on concluait à l’existence de motifs raisonnables de croire que M. Amiri devrait être interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), au motif qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada.

[9]  Le 6 juillet 2015, M. Amiri a reçu une lettre relative à l’équité procédurale (la « première lettre relative à l’équité procédurale ») l’avisant qu’il y avait [traduction] « des motifs raisonnables de croire qu[’il] n’av[ait] pas divulgué avec exactitude [ses] antécédents d’emploi en omettant de divulguer un emploi qui serait lié aux programmes de développement nucléaire de l’Iran ». La lettre informait également M. Amiri qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il avait omis de divulguer sa relation avec certains associés dont il avait été question au cours de son entrevue.

[10]  Monsieur Amiri s’est alors vu offrir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas. Il a par la suite fourni à l’agent des observations importantes dans lesquelles il affirmait avoir déclaré ses antécédents d’emploi de manière fidèle, et niait toute participation aux programmes d’armes nucléaires de l’Iran.

[11]  Le 28 août 2015, M. Amiri a été informé que sa demande de résidence permanente avait été refusée, car l’agent des visas avait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. Monsieur Amiri a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, demande qui a été accordée sur consentement en février 2016.

[12]  La demande de visa de M. Amiri a ensuite été rouverte; et il a été autorisé à présenter des observations supplémentaires à l’appui de sa demande. Une autre lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à M. Amiri le 6 décembre 2016 (la « seconde lettre relative à l’équité procédurale »). Cette lettre, qui était plus détaillée que la première, réitérait à M. Amiri que l’on avait conclu à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada.

[13]  L’agent des visas a examiné les réponses fournies par M. Amiri à son entrevue de 2014, y compris son démenti concernant toute participation aux programmes d’armes nucléaires de l’Iran. L’agent a ensuite conclu qu’il n’était pas convaincu que M. Amiri [traduction] « ne cachait aucun renseignement quant à la nature et à l’étendue de sa relation avec le gouvernement iranien ».

[14]  Compte tenu de ces renseignements, ainsi que d’autres renseignements au dossier (y compris de l’information classifiée qui ne pouvait pas être divulguée à M. Amiri), l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Amiri s’était [traduction] « livré à des activités qui ont directement ou indirectement contribué à mettre en œuvre les programmes iraniens d’ADM [armes de destruction massive] ». L’agent a ensuite fait observer que [traduction] « les agissements, les attitudes et les comportements antérieurs constituent un fondement raisonnable pour évaluer le comportement futur possible ». Par conséquent, l’agent a conclu que, si M. Amiri devait travailler dans son domaine au Canada, il était [traduction] « raisonnable de croire qu[’il] contribuera[it] de nouveau au développement des ADM en Iran ». L’agent a donc conclu que M. Amiri devait être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR.

[15]  Dans une réponse datée du 31 mai 2017, M. Amiri a présenté des observations détaillées en réponse à la seconde lettre relative à l’équité procédurale, y compris un historique d’emploi à jour et des articles scientifiques additionnels qui faisaient état de la nature de son travail et de ses domaines de recherche universitaire. Dans sa réponse, M. Amiri a souligné l’absence de fondement probatoire pour étayer les conclusions de l’agent, en insistant sur le fait qu’il n’avait ni les connaissances, ni l’intérêt requis, ni l’accès au matériel nécessaire pour appuyer le programme d’armement de l’Iran.

[16]  À ce stade, grâce à des demandes d’accès à l’information, M. Amiri avait obtenu une version lourdement caviardée du mémoire d’avril 2015 préparé par l’ASFC. Toutefois, il a soutenu que l’équité procédurale exigeait la divulgation d’une copie non censurée du mémoire de l’ASFC afin de lui permettre de répondre pleinement aux préoccupations de l’agent. Pour la première fois, M. Amiri a également demandé la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, au cas où il serait décidé qu’il était interdit de territoire au Canada.

[17]  La demande de résidence permanente de M. Amiri a été refusée le 12 octobre 2017, au motif qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. En s’appuyant sur les parties caviardées du mémoire de l’ASFC, l’agent a estimé que la preuve classifiée non divulguée était [traduction] « plus convaincante » que la preuve fournie par M. Amiri, en ajoutant que cette preuve classifiée [traduction] « indiqu[ait] que le demandeur a[vait] dissimulé des renseignements sur la nature et l’étendue de sa relation avec le gouvernement iranien et ses programmes d’armes de destruction massive ». L’agent des visas a également décidé que M. Amiri n’était pas admissible à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en raison de son interdiction de territoire au Canada pour des motifs de sécurité.

[18]  C’est cette décision qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Requête en vertu de l’article 87

[19]  Le dossier certifié du tribunal (DCT) produit par la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Varsovie présentait un certain nombre de caviardages, y compris de longs passages du mémoire de l’ASFC ainsi expurgés. Le défendeur a ensuite présenté, en vertu de l’article 87 de la LIPR, une requête en interdiction de divulgation visant certaines parties du DCT dans laquelle il alléguait que la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou mettrait en danger la sécurité d’autrui.

[20]  Après que j’ai été saisie de l’affaire, j’ai examiné attentivement les renseignements caviardés ainsi que la version publique du DCT et les observations des parties sur la demande de contrôle judiciaire. Une audience à huis clos a eu lieu le 15 octobre 2018, au cours de laquelle les auteurs des affidavits déposés par le défendeur ont témoigné sous serment, et je les ai ensuite rigoureusement interrogés.

[21]  Comme je l’ai indiqué dans mon ordonnance du 15 octobre 2018, j’ai conclu que, dans la mesure où les caviardages réclamés par le défendeur comportaient des renseignements de fond, la divulgation de ces renseignements révélerait, ou tendrait à révéler, les relations que le gouvernement du Canada entretient avec d’autres agences de renseignement, ou encore des renseignements ayant été communiqués à titre confidentiel entre les agences de renseignement. J’ai par ailleurs acquis la conviction que la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. J’ai donc accueilli la requête du défendeur.

III.  Questions en litige

[22]  La demande de contrôle judiciaire de M. Amiri soulève les trois questions suivantes :

  1. La décision a-t-elle été prise de manière inéquitable sur le plan procédural?

  2. La décision était-elle déraisonnable?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur en refusant d’examiner la demande de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Amiri?

IV.  Norme de contrôle

[23]  Je conviens avec les parties que la première question soulevée par M. Amiri doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, étant donné qu’elle comporte une question d’équité procédurale. En effet, lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la tâche de la cour de révision consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité exigé, compte tenu de toutes les circonstances; en d’autres termes, il lui faut appliquer la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 34, [2018] ACF no 382.

[24]  Je conviens également avec les parties que les deuxième et troisième questions formulées par M. Amiri doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, étant donné qu’elles portent sur des questions mixtes de fait et de droit.

V.  Le régime législatif pertinent

[25]  La conclusion d’interdiction de territoire en l’espèce a été établie en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit : « Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants : […] constituer un danger pour la sécurité du Canada ».

[26]  Pour tirer une conclusion en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR, l’agent d’immigration s’inspire de l’article 33 de la même loi, qui prévoit que les faits emportant interdiction de territoire selon cette disposition « sont […] appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ».

[27]  Dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114, [2005] 2 RCS 100, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de croire » comme une norme qui exigeait « davantage qu’un simple soupçon, mais [qui] restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». La Cour suprême a ensuite conclu qu’il existera de tels motifs si l’on se trouve en présence d’« un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ».

VI.  La décision a-t-elle été prise de manière inéquitable sur le plan procédural?

[28]  Monsieur Amiri affirme qu’il s’est vu refuser la possibilité de participer utilement au processus de demande en raison du refus de l’agent des visas de lui divulguer tout le contenu du mémoire de l’ASFC, ce qui a limité sa capacité à répondre aux préoccupations de l’agent.

[29]  Citant ma décision dans l’affaire Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, [2005] 1 ACF 485, M. Amiri fait remarquer que les procédures d’interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la LIPR peuvent avoir de graves conséquences pour les demandeurs et qu’elles « ne devraient pas être réduites à un jeu de devinettes, dans lequel le demandeur doit tenter de déterminer par lui-même quels renseignements sont utilisés contre lui » : au paragraphe 78.

[30]  Or je ne suis pas convaincue que M. Amiri ait été traité inéquitablement en l’espèce.

[31]  En accord avec l’orientation de la jurisprudence, le contenu de l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du spectre : Sapojnikov c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 964, au paragraphe 26, [2017] ACF no 1003; Akinbile c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 255, au paragraphe 23, [2017] ACF no 251.

[32]  De plus, la Cour d’appel fédérale a statué que les décisions d’interdiction de territoire donnent lieu à une obligation d’équité moindre lorsqu’il s’agit du refus d’un visa à une personne vivant à l’extérieur du Canada. Les intérêts en jeu dans de tels cas sont moins grands, et les demandeurs de visa ont toujours le fardeau de prouver qu’ils sont admissibles : Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 54, [2000] ACF no 2043 (autorisation d’appel refusée : [2001] CSCR no 71); Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 et 31, [2002] 2 CF 413.

[33]  Cela dit, l’équité procédurale exige généralement que les demandeurs reçoivent l’information sur laquelle repose une décision afin qu’ils puissent présenter leur version des faits et corriger toute erreur ou tout malentendu. Toutefois, l’équité procédurale n’exige pas que les demandeurs reçoivent la totalité des renseignements en possession des autorités de l’immigration. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, certains des renseignements en question soulèvent des préoccupations en matière de sécurité nationale.

[34]  En effet, comme l’a fait remarquer le juge Mosley dans la décision Karahroudi c Canada (Citoyenneté et Immigration), « [l]e droit d’un individu d’obtenir une décision à l’égard d’une demande de visa et d’obtenir un contrôle judiciaire de cette décision conformément au droit, et aux normes d’équité procédurale, peut devoir être concilié avec le devoir de l’État d’assurer la sécurité nationale » : 2016 CF 522, au paragraphe 27, [2017] 1 ACF 167.

[35]  Au bout du compte, ce qui importe, c’est qu’un demandeur ait la possibilité de participer utilement au processus décisionnel : Karahroudi, précité, au paragraphe 33; Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, au paragraphe 22, [2001] 3 C.F. 3.

[36]  Comme l’a expliqué la Cour dans la décision Gebremedhin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 380, au paragraphe 9, 431 FTR 42, chaque affaire repose sur ses propres faits. En l’espèce, M. Amiri a été bien informé de la nature des préoccupations de l’agent des visas par les deux lettres relatives à l’équité procédurale qui lui ont été envoyées, et par les questions qui lui ont été posées à son entrevue. Il a également eu plusieurs occasions de répondre à ces préoccupations, de vive voix et par écrit, et il s’en est prévalu pleinement. Monsieur Amiri a donc eu l’occasion de participer utilement au processus décisionnel, et il n’y a pas eu de déni d’équité procédurale à cet égard.

VII.  La décision de l’agent des visas était-elle déraisonnable?

[37]  Monsieur Amiri soutient en outre que la décision de l’agent des visas était substantiellement déraisonnable, car il n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle M. Amiri constituait un danger pour la sécurité du Canada.

[38]  Monsieur Amiri déclare que la seconde lettre relative à l’équité procédurale n’expliquait pas en quoi son emploi précédent avait pu contribuer au programme nucléaire iranien, ni comment sa présence au Canada faciliterait le transfert des connaissances vers l’Iran à cette fin. Qui plus est, la décision de l’agent se concentrait sur les dangers que représentent les programmes iraniens d’armes de destruction massive pour le Canada, plutôt que sur l’évaluation du danger réel posé par M. Amiri lui-même à la lumière de ses antécédents d’emploi. Monsieur Amiri affirme en effet que son seul lien avec le domaine nucléaire consiste en l’analyse de l’intégrité des centrales nucléaires en cas de tremblement de terre.

[39]  Monsieur Amiri relève que, dans l’arrêt Mugesera, précité, la Cour suprême a affirmé que la norme des « motifs raisonnables de croire » exige que la conclusion s’appuie sur un fondement objectif reposant sur des renseignements convaincants et crédibles : au paragraphe 114.

[40]  Citant par ailleurs la décision de notre Cour dans l’affaire Moghaddam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1063, [2018] ACF no 1075, M. Amiri soutient que, comme dans l’affaire Moghaddam, il manque dans la décision de l’agent des visas un lien entre l’emploi de M. Amiri et la conclusion selon laquelle il représente un danger pour la sécurité du Canada. Autrement dit, M. Amiri soutient que l’agent n’a pas évalué le danger réel qu’il posait pour la sécurité du Canada, à la lumière de ses antécédents d’emploi comme professeur universitaire spécialisé en génie des structures et en génie parasismique.

[41]  Selon ce qu’il affirme, l’agent des visas n’a mentionné aucune formation ou expérience de travail que M. Amiri détiendrait en science nucléaire, et qui aurait pu être utile à l’Iran pour la poursuite de ses programmes d’armes de destruction massive. Il n’y a donc pas de preuve convaincante qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada.

[42]  Il est vrai que ces questions sont peu abordées dans la décision de l’agent des visas. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, les motifs doivent être évalués à la lumière du dossier dont le décideur était saisi et, au besoin, les cours de révision peuvent examiner le dossier afin d’évaluer le caractère raisonnable du résultat dans une affaire donnée.

[43]  Je suis d’accord avec M. Amiri pour dire qu’une simple association avec une université ne suffira généralement pas pour conclure qu’une personne constitue un danger pour la sécurité du Canada. Cependant, il ressort clairement du dossier public que l’agent n’était pas seulement préoccupé par le fait que M. Amiri était employé à l’Université des sciences et de la technologie d’Iran. Le refus de sa demande de résidence permanente était fondé sur le fait qu’il n’avait pas convaincu l’agent des visas qu’il ne cachait pas de renseignements sur la nature et l’étendue de sa relation avec le gouvernement de l’Iran et ses programmes d’armes de destruction massive.

[44]  Le fondement de la conclusion de danger tirée par l’agent des visas se trouve confirmé lorsque l’on tient compte de la version non caviardée du mémoire de l’ASFC; le résultat se situe d’ailleurs dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[45]  Monsieur Amiri n’a donc pas réussi à me convaincre que la décision de l’agent des visas était substantiellement déraisonnable.

VIII.  L’agent a-t-il commis une erreur en refusant d’examiner la demande de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Amiri?

[46]  Monsieur Amiri conteste également la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il n’était pas admissible à la prise en considération de motifs d’ordre humanitaire.

[47]  Comme il a été mentionné précédemment, la demande de résidence permanente de M. Amiri au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) a été déposée le 10 janvier 2010. Sa demande ne comprenait pas de demande de dispense des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour des motifs d’ordre humanitaire. Ce n’est pas surprenant, puisque rien ne laissait à penser à ce moment‑là que M. Amiri était interdit de territoire au Canada.

[48]  Dans sa réponse du 31 mai 2017 à la seconde lettre relative à l’équité procédurale, M. Amiri a expressément demandé la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire dans l’éventualité où il serait conclu qu’il était interdit de territoire au Canada. Il n’a pas précisé à ce moment‑là les facteurs d’ordre humanitaire qu’il avait l’intention d’invoquer, mais a plutôt réservé le droit de présenter des observations pour des motifs d’ordre humanitaire dans l’éventualité d’une conclusion d’interdiction de territoire.

[49]  Au moment où la décision de refuser la demande de résidence permanente de M. Amiri a été rendue, la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR ne s’appliquait pas aux personnes qui avaient été jugées interdites de territoire au Canada en vertu de l’article 34 de la Loi. Il s’agissait là de la conséquence d’une modification législative prévue dans la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16, sanctionnée le 19 juin 2013. Avant cette modification, les personnes déclarées interdites de territoire au Canada pour des motifs de sécurité avaient le droit de demander une dispense des exigences de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire.

[50]  Selon les dispositions transitoires accompagnant la modification apportée au paragraphe 25(1) de la LIPR, la version antérieure de la disposition devait s’appliquer aux demandes ayant été faites avant l’entrée en vigueur du nouveau paragraphe. Plus précisément, l’article 29 de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers dispose que « [l]e paragraphe 25(1) de la Loi, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 9, continue de s’appliquer à toute demande présentée au titre de ce paragraphe 25(1) si aucune décision n’a été rendue relativement à cette demande avant l’entrée en vigueur de cet article 9 ».

[51]  Monsieur Amiri soutient que, comme sa demande de résidence permanente a été présentée en 2010, elle était régie par la version antérieure du paragraphe 25(1) de la LIPR, de sorte qu’il était admissible à des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[52]  À l’appui de cette affirmation, Mr. Amiri se fonde sur la décision de la Cour dans l’affaire Fathi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 805, aux paragraphes 23 à 25, [2015] ACF no 856, où le juge Roy a conclu que, tant qu’une demande a été présentée avant le 19 juin 2013, c’est la version précédente du paragraphe 25(1) qui doit s’appliquer. Dans l’affaire Fathi, la demande pour motifs d’ordre humanitaire en cause avait été déposée avant la modification législative, de sorte que le demandeur n’était pas inadmissible à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[53]  À mon avis, la décision dans l’affaire Fathi se distingue facilement de la présente affaire. Monsieur Fathi avait déjà été jugé interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité, et sa demande de contrôle judiciaire de la conclusion d’interdiction de territoire a été rejetée. Il a ensuite présenté une nouvelle demande de résidence permanente au début de 2013, parrainée cette fois-ci par son épouse. Il semble que cette dernière demande était accompagnée d’une demande de dispense de l’interdiction de territoire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande d’immigration à l’origine de la décision Fathi, donc, comprenait une demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[54]  La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Fathi a été rendue en 2014. Dans cette décision, l’agent des visas concerné a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier l’octroi d’une dispense des exigences d’admissibilité de la LIPR. Monsieur Fathi a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, et il semble que ce n’est qu’à ce moment-là que le défendeur a affirmé qu’il n’était pas admissible à une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire en raison des modifications apportées en 2013 au paragraphe 25(1) de la LIPR. C’est dans ce contexte que le juge Roy a conclu que, pourvu qu’une demande ait été présentée avant le 19 juin 2013, elle était régie par la version précédente du paragraphe 25(1).

[55]  Il importe de noter que la demande d’immigration en cause dans l’affaire Fathi comprenait une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été présentée au début de 2013, avant l’entrée en vigueur de la modification du paragraphe 25(1), et aucune décision n’avait été prise en ce qui la concerne au moment de l’entrée en vigueur de la loi modifiée. Le juge Roy a ainsi conclu à juste titre que le dossier de M. Fathi tombait sous le coup de la disposition transitoire de l’article 29 de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, si bien que sa demande d’immigration était régie par la version antérieure du paragraphe 25(1) de la LIPR, et qu’il avait le droit de demander la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[56]  Il y a donc lieu d’établir une distinction avec les faits de la présente affaire. En l’espèce, la demande de résidence permanente de M. Amiri a été déposée en 2010. La demande a été présentée dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) et, contrairement à la situation dans l’affaire Fathi, elle n’était pas accompagnée d’une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Une telle demande a été présentée pour la première fois en 2017, soit longtemps après que la modification au paragraphe 25(1) ait éliminé la possibilité de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire dans le cas de personnes déclarées interdites de territoire au Canada pour des raisons de sécurité.

[57]  Tout en reconnaissant que c’est en 2017 que la demande expresse de prise en considération de motifs d’ordre humanitaire a été présentée pour la première fois, M. Amiri soutient qu’il avait alerté l’agent des visas de l’existence de motifs d’ordre humanitaire jouant en sa faveur [traduction« tout au long de ses communications avec la section des visas et de l’immigration ». Je ne puis accepter cet argument.

[58]  Au paragraphe 47 de son mémoire initial des faits et du droit, M. Amiri énumère les observations qu’il a faites et qui, selon lui, équivalent à des observations concernant des facteurs d’ordre humanitaire. Or il ressort clairement d’un examen de cette liste que ces observations se rapportent principalement aux antécédents de travail et aux domaines d’études de M. Amiri, et qu’elles visaient clairement à répondre aux préoccupations de l’agent en matière d’admissibilité. Il ne s’agit pas de facteurs d’ordre humanitaire qui militent en faveur de M. Amiri.

[59]  Comme il est mentionné précédemment, la version modifiée du paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que la version antérieure de la loi continuera de s’appliquer « à toute demande présentée au titre de ce paragraphe 25(1) » si aucune décision n’a été rendue relativement à cette demande avant la date d’entrée en vigueur de la modification [non souligné dans l’original]. Aucune demande n’avait été faite par M. Amiri en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR lorsque la modification à cette disposition est entrée en vigueur en juin 2013. Par conséquent, la disposition transitoire de l’article 29 de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers ne s’appliquait pas au cas de M. Amiri.

[60]  L’agent des visas n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la demande de prise en considération de motifs d’ordre humanitaire de M. Amiri était régie par la version du paragraphe 25(1) de la LIPR qui était en vigueur à compter de juin 2013, de sorte qu’il n’avait pas droit à un examen de sa demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

IX.  Conclusion

[61]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Amiri est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question qui se prête à la certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de mai 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5296-17

 

INTITULÉ :

GHOLAMREZA GHODRATI AMIRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 février 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 février 2019

 

COMPARUTIONS :

Tamara Thomas

 

pour le demandeur

 

Neeta Logsetty

 

pOUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group – Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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