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Dossier : IMM‑2952‑18

Référence : 2019 CF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2019

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

ANGELA DA SILVA

CHRISTIAN BETU TSHIAMALA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Angela Da Silva et Christian Betu Tshiamala contestent une décision d’un agent d’immigration qui refuse d’ouvrir de nouveau leur demande de parrainage d’un époux. L’agent croit que l’épouse qui parraine, Mme Da Silva, n’est pas admissible pour parrainer son mari puisqu’elle a reçu de l’aide sociale pour une raison autre que l’invalidité, en contravention de l’alinéa 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR). En outre, M. Tshiamala n’est pas admissible au Canada pour des motifs financiers, et ce, en application de l’article 39 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  Les faits

[2]  Les demandeurs se sont rencontrés en mai 2011, par l’intermédiaire de Facebook. M. Tshiamala, qui vivait alors en République démocratique du Congo (RDC), a envoyé une invitation, par Facebook, à Mme Da Silva, une amie de sa sœur. Quelques semaines plus tard, M. Tshiamala a commencé à exprimer des sentiments pour Mme Da Silva. Bien que, au début, Mme Da Silva fût réticente, le couple a entamé une relation à distance en 2012. Ils se parlaient une ou deux fois par jour, jusqu’à ce que M. Tshiamala immigre au Canada en décembre 2013. Il a fait une demande d’asile, qui a été refusée en septembre 2014.

[3]  Les demandeurs se sont mariés le 12 novembre 2014.

[4]  M. Tshiamala a cinq enfants en RDC; ils sont nés en 2007, 2010, 2012, 2013 et 2014, respectivement. L’enfant né en 2013 n’a pas la même mère. Trois de ces enfants sont nés alors que M. Tshiamala était en relation avec Mme Da Silva. De plus, le dernier enfant est né après l’arrivée de M. Tshiamala au Canada.

[5]  En décembre 2015, les demandeurs ont rempli une demande de parrainage, avec l’aide d’un consultant en immigration. Mme Da Silva a répondu « Non » à une question posée pour savoir si elle était prestataire de l’aide sociale pour une raison autre que l’invalidité.

[6]  En août 2017, l’agent a envoyé une lettre à M. Tshiamala, lui demandant plus d’information. Les notes du Système mondial de gestion des cas démontrent que l’agent tentait essentiellement de savoir si la relation était authentique. M. Tshiamala a transmis l’information demandée. Cependant, les documents soumis permettaient de croire que Mme Da Silva était prestataire de l’aide sociale.

[7]  En décembre 2017, l’agent a avisé Mme Da Silva qu’elle ne pouvait pas parrainer M. Tshiamala parce que, au moment où elle a rempli sa demande de parrainage, elle était prestataire de l’aide sociale pour un motif autre que l’invalidité. De novembre 2015 à décembre 2015, Mme Da Silva a touché des prestations au titre du programme d’aide sociale Ontario au travail. L’agent a aussi envoyé à M. Tshiamala une lettre sur l’équité procédurale, pour l’avertir que Mme Da Silva ne pouvait pas le parrainer pour cette raison. Cette lettre avisait aussi M. Tshiamala qu’il pourrait être financièrement inadmissible parce qu’il a reçu des prestations au titre du programme d’aide sociale Ontario au travail d’avril 2014 à janvier 2016. L’agent a accordé à M. Tshiamala un délai de 30 jours pour répondre à ses questions.

[8]  Dans sa réponse, M. Tshiamala a fourni de l’information supplémentaire et expliqué que si Mme Da Silva dépendait de l’aide sociale, c’était pour cause d’invalidité : en raison de complications à la suite d’une grossesse, elle a été obligée d’arrêter de travailler en décembre 2015. Puisqu’elle ne pouvait pas attendre que sa demande d’assurance‑emploi soit traitée, elle a dû recourir temporairement à l’aide sociale. M. Tshiamala a fourni les dossiers médicaux pertinents de Mme Da Silva, mais il n’a pas donné de réponse ni présenté de documents concernant sa propre situation financière.

III.  La décision contestée

[9]  L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de M. Tshiamala’s parce que ce dernier n’était pas validement parrainé. M. Tshiamala et Mme Da Silva étaient tous deux prestataires de l’aide sociale pour un motif autre que l’invalidité au moment de la demande. L’agent a admis les preuves médicales soumises concernant Mme Da Silva, mais il a déterminé que, puisque l’aide sociale qu’elle recevait était liée à son travail, et non à une invalidité, Mme Da Silva ne pouvait pas parrainer. Mme Da Silva a reçu des prestations au titre du programme d’aide sociale Ontario au travail et non pas des prestations au titre du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. L’agent a aussi conclu que M. Tshiamala était financièrement inadmissible et a souligné qu’il n’avait fourni aucune preuve dans sa réponse à la lettre sur l’équité procédurale.

[10]  En janvier 2018, les demandeurs ont soumis une demande de réexamen avec l’aide d’un autre consultant en immigration. Ils ont admis que M. Tshiamala avait reçu des prestations d’aide sociale alors qu’il travaillait à temps partiel, mais confirmé qu’il n’en recevait plus depuis qu’il avait commencé à travailler à temps plein en janvier 2016. Par ailleurs, M. Tshiamala a été en mesure de répondre aux besoins financiers de ses enfants, comme en témoignent les preuves de transferts de fonds. Les demandeurs ont rappelé que Mme Da Silva n’a reçu des prestations d’aide sociale que pendant deux mois, alors qu’elle attendait ses prestations d’assurance‑emploi, et ont ajouté qu’elle a commencé à rembourser Ontario au travail lorsqu’elle a reçu ses prestations d’assurance‑emploi. Les demandeurs ont déposé également en preuve des talons de paie, des dossiers d’impôt et les dossiers médicaux de Mme Da Silva relativement à sa grossesse.

[11]  Le 9 février 2018, l’agent a rejeté la demande de réexamen des demandeurs. L’agent a examiné les autres observations des demandeurs, mais il a conclu que cela n’était pas suffisant pour réexaminer le refus. Les notes du Système mondial de gestion des cas démontrent que l’agent pense que le remboursement d’Ontario au travail ne change rien au fait que Mme Da Silva n’était pas admissible au titre de la LIPR. Les notes indiquent aussi que l’agent n’a pas estimé que la preuve de transferts de fonds soit suffisante pour répondre à toutes les questions contenues dans la lettre sur l’équité procédurale.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

[13]  Les questions relatives à l’équité procédurale ne supposent pas l’application d’une norme de contrôle; le tribunal de révision doit plutôt déterminer si un processus juste et équitable a été suivi par le décideur, à la lumière des droits fondamentaux en cause et des conséquences possibles. Si on arrive à la conclusion que les principes d’équité procédurale n’ont pas été respectés, alors l’intervention de la Cour est justifiée (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe n° 54).

[14]  En ce qui concerne l’évaluation de la preuve par l’agent et l’interprétation de ce dernier de la LIPR et du RIPR, ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Sekinatu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 729, au paragraphe n° 10.

V.  Analyse

A.  L’agent a-t-il enfreint les principes de l’équité procédurale en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des enfants?

[15]  Les demandeurs allèguent que, compte tenu de leur demande implicite, l’agent aurait dû prendre en compte les facteurs d’ordre humanitaires, y compris l’intérêt supérieur de leurs enfants. Ils citent la directive IP2, Traitement des demandes de parrainage – catégorie du regroupement familial [IP2] qui énonce que : « Le répondant peut être admissible lorsqu’il ne reçoit plus d’aide sociale. Cet empêchement au parrainage peut, à la demande de l’étranger, être levé pour des motifs d’ordre humanitaire ou par mesure d’intérêt public si le répondant exige que la demande se poursuive malgré son irrecevabilité ». Comme Mme Da Silva avait demandé à ce que la demande se poursuive si elle était jugée inadmissible, les demandeurs prétendent que cela revient à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs allèguent que cela est prouvé par les observations détaillées fournies en réponse à la lettre sur l’équité procédurale et fournies dans leur demande de réexamen. Ils prétendent que, pour l’agent, il aurait dû être évident que leurs allégations reposaient sur l’intérêt supérieur de leurs enfants.

[16]  Dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il incombe aux demandeurs de demander explicitement à l’agent de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe n° 5). Pourtant, les demandeurs n’ont jamais explicitement demandé que les motifs d’ordre humanitaire soient pris en considération et, dans leur correspondance avec l’agent, ils n’ont jamais soulevé de préoccupations concernant l’intérêt supérieur des enfants.

[17]  Les observations formulées par les demandeurs à la suite de la lettre sur l’équité procédurale ne portaient que sur les dossiers médicaux, pour expliquer pourquoi Mme Da Silva a reçu des prestations au titre du programme d’aide sociale Ontario au travail.

[18]  Leur demande de réexamen contenait, en grande partie, les mêmes observations, mais expliquait aussi pourquoi M. Tshiamala avait recouru au programme d’aide sociale Ontario au travail et laissait entendre que, selon les dossiers de transferts d’argent, il pouvait subvenir aux besoins de sa famille. Cette information n’a pas été fournie pour appuyer l’argument que l’intérêt supérieur des enfants exigeait que M. Tshiamala demeure au Canada parce que, autrement, il ne serait pas en mesure de les soutenir financièrement depuis la RDC. Une telle conclusion aurait été le résultat de spéculations de la part de l’agent et aucune preuve n’a été fournie à cet égard. Il en est de même concernant ses enfants canadiens : aucune preuve n’a été fournie et aucun argument n’a été soulevé concernant l’intérêt supérieur de ces enfants.

[19]  Dans les lettres d’emploi et les autres documents financiers fournis par les demandeurs, rien n’indique qu’ils ont demandé une exemption par suite d’une déclaration d’inadmissibilité (parrainage non valide ou tout autre motif d’inadmissibilité) pour des motifs d’ordre humanitaire. Si les demandeurs font observer, à juste titre, qu’il n’y a pas de formulaire particulier ni de méthode particulière pour demander une telle exemption, je ne suis pas d’accord pour dire que leurs allégations, où il n’est nullement question de l’intérêt supérieur de leurs enfants, comprenaient une demande implicite à cet effet.

[20]  Par conséquent, je conclus que le fait que l’agent n’ait pas pris en compte l’intérêt supérieur des enfants ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur en refusant la demande de parrainage de Mme Da Silva et la demande de résidence permanente de M. Tshiamala?

[21]  Les demandeurs allèguent que l’agent n’a pas traité de façon équitable et intégrale les preuves médicales de Mme Da Silva concernant sa grossesse et qu’il a complètement négligé de tenir compte du fait qu’elle a entrepris de rembourser toutes les prestations d’aide sociale qui lui avaient été versées. L’assurance‑emploi n’est pas l’aide sociale pour l’application de l’alinéa 133(1)k) de la LIPR (Akhmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CanLII 101692 (CA CISR), au paragraphe n° 9) et puisque les versements d’Ontario au travail étaient tous remboursés grâce aux prestations d’assurance‑emploi, Mme Da Silva n’a jamais reçu de prestations d’aide sociale. Elle satisfait à la définition de « personnes handicapées », dans l’article 4 de la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, L.O. 1997, c 25, annexe B (Loi sur le POSPH) et était donc handicapée.

[22]  Les demandeurs allèguent également que l’agent a mal interprété les éléments de preuve soumis relativement à l’emploi à temps plein bien rémunéré de M. Tshiamala qui démontre que sa demande n’était pas irrecevable pour des motifs d’ordre financier au titre de l’article 39 de la LIPR. Selon les demandeurs, l’agent n’a pas accordé assez de temps à M. Tshiamala pour rembourser les montants versés par Ontario au travail, vu le refus d’Ontario au travail de cesser les versements et d’accepter un remboursement. L’agent a aussi commis une erreur dans son interprétation de l’article 39 de la LIPR en mettant l’accent sur le fait que M. Tshiamala recevait des prestations d’aide sociale plutôt que sur sa capacité actuelle et future à subvenir aux besoins de sa famille.

[23]  Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de conclure que M. Tshiamala était financièrement inadmissible au titre de l’article 39 de la LIPR. Dans sa lettre sur l’équité procédurale, l’agent demande la confirmation de la capacité de M. Tshiamala à soutenir sa femme, leurs enfants et les cinq enfants qui sont en RDC et qui devaient venir au Canada. M. Tshiamala n’a pas du tout répondu à ces questions soulevées dans la lettre sur l’équité procédurale. De plus, ses observations formulées à l’appui de sa demande de réexamen de sa demande ne tiennent pas directement compte des préoccupations de l’agent. Par ailleurs, ses observations à l’appui de sa demande de réexamen ne répondent pas directement aux questions de l’agent.

[24]  Les demandeurs affirment que M. Tshiamala a fourni la preuve de ses revenus ainsi que la preuve qu’il soutenait ses enfants à l’étranger, grâce à des transferts de fonds. Cependant, les demandeurs n’ont pas fourni d’explications sur la manière dont M. Tshiamala entend subvenir à ses propres besoins ni à ceux des personnes à sa charge grâce à son revenu d’emploi à temps plein. Les observations ne précisent pas non plus comment M. Tshiamala a l’intention de s’y prendre pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants qui se trouvent actuellement en RDC une fois qu’ils seront au Canada. Compte tenu des préoccupations de l’agent, il ne suffisait pas de simplement envoyer les dossiers de transferts d’argent sans aucune explication. Par conséquent, pour l’agent, il était raisonnable de conclure comme il l’a fait.

[25]  Je crois également que la conclusion de l’agent, soit que Mme Da Silva ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 133(1)k) de la LIPR, était raisonnable. Le principal argument des demandeurs est que l’aide sociale n’est pas toujours un empêchement au parrainage, comme le prouve la directive IP2 qui énonce que : « Le répondant peut être admissible lorsqu’il ne reçoit plus d’aide sociale. Cet empêchement au parrainage peut, à la demande de l’étranger, être levé pour des motifs d’ordre humanitaire ou par mesure d’intérêt public si le répondant exige que la demande se poursuive malgré son irrecevabilité ».

[26]  Cependant, cette mesure est clairement discrétionnaire : l’empêchement « peut » être levé. Comme nous l’avons déjà mentionné, les demandeurs n’ont jamais présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. De plus, les demandeurs n’ont jamais demandé à ce que l’empêchement soit levé; ils ont plutôt allégué que les prestations qu’ils avaient reçues étaient pour cause d’invalidité. Comme ils n’ont jamais demandé à ce que l’empêchement soit levé, les demandeurs ne peuvent pas affirmer qu’il était déraisonnable de ne pas le lever.

[27]  De plus, le fait que Mme Da Silva ait remboursé Ontario au travail est, selon moi, non pertinent. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, Mme Da Silva a reçu des montants d’Ontario au travail en vue de combler ses besoins de base, jusqu’à ce que sa demande d’assurance‑emploi soit traitée. L’agent avait cette information en main lorsqu’il a rendu sa décision. L’agent a remarqué la différence entre les montants versés par Ontario au travail et ceux versés par le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. La question de savoir si Mme Da Silva pouvait oui ou non se qualifier comme étant une personne handicapée au sens de la Loi sur le POSPH n’est pas pertinente; le fait est que Mme Da Silva a fait une demande pour avoir de l’aide et qu’elle en a obtenu d’Ontario au travail et qu’elle recevait ce soutien financier au moment où elle a rempli sa demande de parrainage, alors qu’elle a indiqué ne pas recevoir une telle aide.

[28]  Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de l’agent était déraisonnable. En conséquence, rien ne justifie l’intervention de la Cour.

VI.  Conclusion

[29]  Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’agent n’a pas commis de manquement à l’équité procédurale et les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de l’agent était, d’une manière ou d’une autre, déraisonnable.

[30]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale devant être certifiée et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.




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