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Date : 20190222


Dossier : T-896-18

Référence : 2019 CF 220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Toronto (Ontario), le 22 février 2019

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

TRIANGLE TYRE CO., LTD.

demandeur

et

GESTION ANDRÉ TOUCHETTE INC.

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Triangle Tyre Co., Ltd. (Triangle Tyre) interjette appel d’une décision rendue par la registraire des marques de commerce (la registraire), qui a accueilli l’opposition présentée par Gestion André Touchette inc. (Gestion Touchette) à l’encontre de sa demande d’enregistrement des marques de commerce « Icelink » et « Snowlink ». Gestion Touchette possède la marque de commerce déposée « TireLink ». Il s’agit essentiellement de savoir s’il y a confusion entre la marque de cette entreprise et celles que souhaite faire enregistrer Triangle Tyre. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’existe aucune probabilité de confusion et que la registraire a refusé à tort d’enregistrer les marques de Triangle Tyre. Par conséquent, l’appel est accueilli.

I.  Faits

[2]  La décision de la registraire contient un énoncé des faits détaillé. Je ne mentionnerai que ce qui est essentiel à la compréhension des présents motifs.

[3]  Triangle Tyre est un important fabricant de pneus dont le siège social est situé en Chine. L’entreprise fabrique plus de 22 millions de pneus par année, y compris des pneus d’hiver de marques « Icelink » et « Snowlink ». Elle vend ces pneus au Canada depuis 2013 et 2014, respectivement, et, jusqu’au mois d’avril 2018, elle a vendu 840 pneus Icelink et 6 907 pneus Snowlink.

[4]  Gestion Touchette a fait enregistrer la marque de commerce « TireLink » en 2009, ainsi qu’un dessin‑marque montrant deux cercles entrelacés et le mot « TireLink » en 2010. Elle a concédé une licence sur ces marques au Groupe Touchette inc. (le Groupe Touchette), qui est un distributeur de pneus et d’autres pièces automobiles. Ses clients sont des fabricants d’automobiles et des concessionnaires. Ses activités fonctionnent ainsi : des fabricants d’automobiles désignent des pneus particuliers comme composantes de l’« équipement d’origine » officiel pour leurs modèles de voitures. Le Groupe Touchette est ensuite chargé d’entreposer et de distribuer ces pneus à des concessionnaires. L’entreprise offre ses services à plus d’un millier de concessionnaires au Canada, et ses ventes annuelles s’élèvent à environ 113 millions de dollars.

[5]  En 2012, Triangle Tyre a présenté des demandes pour l’enregistrement des dessins‑marques « Snowlink » et « Icelink », lesquels illustrent chacun le mot en lettres majuscules, en italique à effet contour. Les demandes ont été annoncées à des fins d’opposition en avril 2015 et, le 29 juin suivant, Gestion Touchette a présenté sa déclaration d’opposition.

[6]  L’opposition de Gestion Touchette était fondée sur les motifs et les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi] : a) les marques n’étaient pas employées par Triangle Tyre (alinéa 30d)); b) Triangle Tyre n’avait pas l’intention d’employer les marques (alinéa 30e)); c) Triangle Tyre connaissait ou aurait dû connaître la marque de Gestion Touchette (alinéa 30i)); d) les marques proposées par Triangle Tyre créaient de la confusion avec la marque de Gestion Touchette (alinéa 12(1)d)); e) Triangle Tyre n’avait pas droit à l’enregistrement (alinéas 16(2)a) et 16(3)a)); et f) les marques projetées n’étaient pas distinctives (article 2).

II.  Décision faisant l’objet de l’appel

[7]  Dans deux décisions identiques datées du 2 février 2018, une membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, qui exerce les pouvoirs du registraire, a accueilli l’opposition de Gestion Touchette et rejeté les demandes de Triangle Tyre. Une décision porte sur la marque « Snowlink », et l’autre, sur la marque « Icelink ». Par souci de commodité, je ferai référence à ces décisions comme si elles ne formaient qu’une seule et même décision rendue par la registraire.

[8]  La registraire a commencé par rejeter sommairement les motifs d’opposition fondés sur les alinéas 30d), 30e) et 30i), car Gestion Touchette n’avait présenté aucune preuve appuyant la contestation fondée sur ces motifs.

[9]  En ce qui concerne la question centrale de la confusion, la registraire a pondéré les divers facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi. Elle a conclu que les marques des deux parties possédaient « un caractère distinctif inhérent équivalent et plutôt faible », mais que la marque de Gestion Touchette était maintenant bien connue et qu’elle avait été utilisée avant celles de Triangle Tyre. Elle a également conclu que les produits associés aux marques étaient les mêmes, c’est‑à‑dire des pneus. En ce qui concerne le caractère distinctif, la registraire a estimé que l’élément le plus distinctif des marques était le mot « link », dans la deuxième partie de la marque. Elle s’est également appuyée sur une recherche effectuée dans le registre des marques de commerce, qui a révélé l’existence d’une seule autre marque de commerce comprenant le mot « link » et se rapportant à des pneus. À la lumière de ces facteurs, elle a conclu qu’il existait une possibilité de confusion. Par conséquent, la registraire a accueilli l’opposition et refusé d’enregistrer les marques de Triangle Tyre.

III.  Questions en litige, nouveaux éléments de preuve et critère de contrôle

[10]  L’article 56 de la Loi confère le droit d’interjeter appel des décisions du registraire devant la Cour. Triangle Tyre a ainsi interjeté appel de la décision de la registraire. Même si Gestion Touchette a reçu signification de la demande et des affidavits de Triangle Tyre, l’entreprise n’a pas présenté d’avis de comparution ni participé autrement à la présente instance.

[11]  Dans le cadre d’un tel appel, le paragraphe 56(5) de la Loi permet aux parties de présenter de nouveaux éléments de preuve. Exerçant ce droit, Triangle Tyre a présenté les affidavits de MM. Xiaobing Sun, Ronald Dolan et Dane Penney. Messieurs Sun et Dolan sont de hauts dirigeants de distributeurs canadiens de pneus en gros. Dans leurs affidavits, ils ont fourni des renseignements concernant les ventes de pneus, fabriqués par Triangle Tyre et portant les marques Snowlink et Icelink, respectivement, qu’ils ont enregistrées de 2013 à 2018. Ils ont également transmis des renseignements fournis par M. Wang Xiaoyan, gestionnaire de la région nord‑américaine pour Triangle Tyre, au sujet de la quantité de pneus fabriqués par Triangle Tyre et portant les marques Snowlink et Icelink qui ont été vendus au Canada de 2013 à 2018. L’affidavit de M. Penney présentait par ailleurs les résultats de diverses recherches portant sur des marques de commerce et des noms d’entreprises contenant le mot « link », ainsi qu’une définition de ce terme tirée du dictionnaire.

[12]  Dans une décision récente, le juge Richard Boivin de la Cour d’appel fédérale a établi ainsi l’approche à adopter lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés :

En principe, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer lors de l’appel d’une décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés au juge en appel suivant l’article 56 de la Loi et que le juge conclut que ces éléments auraient eu un effet sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il doit tirer ses propres conclusions sur la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte […]

(Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, au paragraphe 18)

[13]  Je suis d’avis que les affidavits présentent des éléments de preuve nouveaux et importants en ce qui concerne certaines questions précises, notamment l’emploi des marques de commerce par Triangle Tyre au Canada et la diversité des marques de commerce comprenant le mot « link ».

[14]  Toutefois, je ne puis admettre la preuve présentée par MM. Sun et Dolan concernant les ventes de pneus effectuées par Triangle Tyre par l’entremise d’autres distributeurs, puisqu’elle constitue du ouï-dire. À cet égard, conformément à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, les affidavits doivent porter sur des faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Du ouï‑dire irrecevable ne saurait constituer une preuve nouvelle pour l’application de l’article 56 de la Loi.

[15]  De même, la preuve relative à la définition du dictionnaire du terme « link » n’est pas nouvelle. La signification courante des mots est une question de connaissance d’office : Pfizer Co Ltd. c Sous‑ministre du Revenu National, [1977] 1 RCS 456, à la page 463. Le dictionnaire déposé en preuve ne constitue pas un nouvel élément de preuve qui aurait pour effet d’assouplir la norme de contrôle applicable à cette question.

[16]  En bref, je me pencherai sur la décision de la registraire en appliquant la norme de la décision raisonnable. Toutefois, pour le cas où des questions relatives à l’emploi des marques « Snowlink » et « Icelink » ou encore du terme « link » dans d’autres marques de commerce seraient soulevées, j’évaluerai par moi‑même les éléments de preuve sans faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la registraire.

IV.  Analyse

[17]  J’analyserai d’abord la question de la confusion, qui est au cœur du présent litige. J’expliquerai ensuite pourquoi je n’ai pas besoin d’aborder les autres motifs d’opposition présentés par Gestion Touchette devant la registraire.

A.  Confusion entre les marques des parties

[18]  La notion de confusion est définie au paragraphe 6(2) de la Loi. En substance, il y a confusion entre deux marques de commerce lorsque l’emploi de ces deux marques relativement à deux catégories de produits est susceptible de donner à penser que ces produits sont fabriqués par la même personne. L’alinéa 12(1)d) de la Loi dispose qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déjà déposée.

[19]  Le paragraphe 6(5) de la Loi expose une liste détaillée de facteurs qui doivent être pris en considération au moment d’évaluer s’il y a confusion entre deux marques. De plus, dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême a répété que le point de vue qu’il convient d’adopter au moment d’examiner les marques est non pas celui d’une personne procédant à une analyse détaillée, mais plutôt celui d’un consommateur pressé :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

(Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20, [2006] 1 RCS 824)

[20]  Dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], le juge Rothstein de la Cour suprême du Canada a soutenu que la ressemblance est le critère le plus important prévu au paragraphe 6(5) de la Loi (au paragraphe 49). Les autres facteurs ne sont pertinents que si les deux marques en question sont suffisamment semblables. Par conséquent, je me pencherai maintenant sur les facteurs énoncés au paragraphe 6(5), en commençant par la ressemblance.

[21]  Deux commentaires supplémentaires doivent être formulés à ce stade. Premièrement, la confusion doit être évaluée en fonction de l’emploi prévu dans la demande plutôt que de l’emploi réel des marques en question (Masterpiece, aux paragraphes 51 à 59). Deuxièmement, le consommateur dont le point de vue doit être adopté n’est pas toujours pressé dans la même mesure. Lorsqu’il s’agit de biens de valeur ou de produits hautement spécialisés, ce consommateur « prend naturellement plus de précautions » (Mattel Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 58, [2006] 1 RCS 772 [Mattel]). Le même principe s’applique aux services.

(1)  Le degré de ressemblance

[22]  Aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté concernant cette question, qui est la plus déterminante. La registraire a conclu qu’il existait, à première vue, une similitude importante en raison de la structure des marques de commerce et parce que l’élément dominant était le mot « link ».

[23]  Toutefois, il semble que la registraire ait commis le genre d’erreur envisagée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Accessoires d’Autos Nordiques Inc. c Canadian Tire Corp., 2007 CAF 367, au paragraphe 23 :

En examinant la possibilité de confusion, les marques de commerce en question doivent être examinées comme un tout. Ce principe est énoncé dans le jugement British Drug Houses Ltd. c. Battle Pharmaceuticals, [1944] Ex. C.R. 239, à la page 251, confirmé par [1946] R.C.S. 50 :

[traduction] À mon avis, il est bien établi que, lorsque des marques de commerce sont formées d’une combinaison d’éléments, il n’est pas approprié, pour décider si elles sont semblables, de les décomposer selon leurs éléments, de se concentrer sur les éléments qui sont différents et de conclure qu’en raison des différences dans ces éléments, les marques dans leur ensemble sont différentes. Des marques de commerce peuvent être semblables lorsqu’on les regarde comme un tout, même si des différences peuvent apparaître dans certains éléments lorsqu’ils sont examinés séparément. C’est la combinaison des éléments qui compose une marque de commerce et qui lui confère son caractère distinctif, et c’est l’effet de la marque de commerce dans son ensemble plutôt qu’un élément particulier de cette marque qu’il faut considérer. […]

(British Drug Houses, à la page 251).

[Souligné dans l’original.]

[24]  La registraire n’a pas compris que, même si le mot « link » est une composante des marques des deux parties, les différentes combinaisons de mots suggèrent des idées distinctes. Ainsi, lorsque les termes « Snowlink » et « Icelink » sont utilisés pour décrire des pneus, ils évoquent l’idée d’un lien avec la surface de conduite dans des conditions hivernales, ou d’une adhérence à celle-ci. Par contre, le terme « TireLink » n’évoque aucun type de pneu ni aucune caractéristique en particulier. Dans ce contexte, la notion de lien associée au mot anglais « link » pourrait renvoyer à une chaîne de distribution, idée renforcée par le dessin‑marque montrant deux cercles entrelacés qui évoquent une chaîne.

[25]  À mon avis, le fait que la registraire n’ait pas suivi les directives de la Cour d’appel fédérale ni compris les idées distinctes suggérées par les marques des parties rend ce volet de la décision déraisonnable. J’estime qu’il existe entre ces marques un degré de ressemblance limité, lequel est insuffisant pour appuyer une conclusion de confusion.

(2)  Le caractère distinctif des marques

[26]  Même si la conclusion concernant le degré de ressemblance est en grande partie déterminante, j’analyserai les autres critères énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, en commençant par le caractère distinctif des marques en question. Ce caractère distinctif peut être inhérent lorsque les mots ou le dessin d’une marque donnent une impression distincte. Il peut également être acquis si l’emploi de longue date d’une marque a rendu possible son association avec un produit particulier. À cet égard, les nouveaux éléments de preuve concernant l’emploi des marques de Triangle Tyre et l’utilisation du mot « link » dans d’autres marques de commerce sont pertinents; par conséquent, je procéderai à ma propre évaluation.

[27]  En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent, je partage la conclusion de la registraire, selon laquelle les deux marques ont un caractère distinctif inhérent « plutôt faible ». Cette conclusion est renforcée par les nouveaux éléments de preuve concernant l’utilisation fréquente du mot « link » dans des marques de commerce liées à l’industrie de l’automobile.

[28]  Tant les marques de Gestion Touchette que celles de Triangle Tyre ont été employées au Canada. Mais la preuve dont je dispose donne à penser que la marque « TireLink » a été employée de façon bien plus importante. À ce propos, le Groupe Touchette possède un réseau de centres de distribution situés dans plusieurs provinces. Son revenu annuel dépasse les 100 millions de dollars. En comparaison, les éléments de preuve recevables montrent qu’au total, les ventes de pneus « Icelink » et « Snowlink » à des distributeurs canadiens n’ont pas dépassé les 170 000 $ pour les années 2013 à 2017.

[29]  Ainsi, le caractère distinctif acquis plus important de la marque « TireLink » militerait, dans une certaine mesure, en faveur d’une conclusion de confusion.

(3)  La période pendant laquelle les marques ont été en usage

[30]  La période pendant laquelle une marque a été en usage est un facteur supplémentaire qui est lié au caractère distinctif (Mattel, au paragraphe 77). À ce sujet, la registraire a souligné que la preuve présentée par Gestion Touchette révélait un emploi considérable de la marque TireLink depuis 2009 ou 2010. Par contre, elle a fait remarquer que Triangle Tyre n’avait présenté aucune preuve concernant l’emploi de sa marque au Canada. Elle a donc conclu que ce facteur jouait en faveur de Gestion Touchette.

[31]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, Triangle Tyre a présenté de nouveaux éléments de preuve en ce qui a trait à l’emploi de ses marques. Ces éléments de preuve montrent que les marques « Snowlink » et « Icelink » sont employées au Canada depuis 2013. Même en appliquant la norme de la décision correcte, ce facteur demeure favorable à Gestion Touchette.

(4)  La nature des produits et du commerce

[32]  Pour ce qui est de ces critères, la registraire a comparé les emplois visés par l’enregistrement et la demande, pour conclure que les produits — des pneus — étaient identiques. Elle a également conclu qu’il existait un certain degré de chevauchement entre les services fournis par les deux parties, et a souligné que le Groupe Touchette pourrait être tenu de distribuer des produits de Triangle Tyre si un fabricant de voitures choisissait ces pneus comme composantes de son « équipement d’origine ».

[33]  Même si aucune preuve nouvelle n’a été présentée en ce qui a trait à ces critères, j’estime que la conclusion de la registraire était déraisonnable. Les emplois visés par l’enregistrement doivent être interprétés d’une manière holistique et « examiné[s] avec l’objectif de déterminer le genre d’entreprise ou de commerce que les parties ont vraisemblablement eu l’intention d’établir plutôt de répertorier tous les commerces que le libellé pourrait englober » (Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corporation, 2013 CAF 6, au paragraphe 6).

[34]  Triangle Tyre a cherché à faire enregistrer les marques « Icelink » et « Snowlink » relativement à des [TRADUCTION] « pneus ». Pour sa part, Gestion Touchette a fait enregistrer le mot servant de marque « TireLink » assorti de la description suivante : « Pneus. Distribution en gros de pneus et de pièces automobiles », et le dessin‑marque « TireLink » relativement à ce qui suit :

Distribution de pneus; distribution de pièces automobiles; vente d’assurance hazard [sic] de route pour pneus; service de formation, nommément, formation sur les différentes marques de pneus sur le marché, la vente de pneus et le processus technique de pose et remplacement de pneus; service d’entreposage de pneus et de logistique, nommément, entreposage, montage et envoi de pneus et roues pour nos clients; service de pose de pneus sur jantes d’origine, service de lavage de pneus, service de balancement de roues, service de réparation de jantes.

[35]  Même si, de façon superficielle, les marques des deux parties sont liées aux mêmes produits — des pneus —, l’histoire ne s’arrête pas là. Ce qui saute aux yeux à la lecture des emplois visés par l’enregistrement des marques de Gestion Touchette dans leur ensemble, c’est qu’ils sont principalement liés à une gamme de services associés à des pneus, pas aux pneus en tant que tels. Le simple fait que les services associés à la marque « TireLink » soient liés à des pneus, c’est‑à‑dire le produit associé aux marques « Snowlink » et « Icelink », n’est pas un fort indicateur de confusion potentielle.

[36]  La nature des activités de chacune des parties est aussi fondamentalement distincte. Triangle Tyre est un fabricant de pneus. Par contre, le Groupe Touchette ne fabrique pas de pneus; il offre plutôt des services associés aux pneus à des fabricants de voitures et à des concessionnaires. Même s’il existe une ressemblance superficielle entre les marques des deux parties, le contraste entre les modèles d’affaires distincts des parties réduit considérablement la probabilité de confusion.

(5)  Résumé

[37]  Nous revenons maintenant à la question de base : un consommateur pressé qui ne se souvient que vaguement de la marque « TireLink » conclurait‑il que les pneus portant les marques « Snowlink » ou « Icelink » sont fabriqués par la même entreprise? Pour répondre à cette question, nous ne devons pas oublier que les services offerts par le Groupe Touchette ne sont pas destinés aux consommateurs ordinaires qui veulent acheter des pneus pour leurs voitures. Ils sont plutôt destinés à des fabricants de voitures et à des concessionnaires, qui connaissent beaucoup mieux le marché des pneus et seront moins susceptibles de confondre les marques.

[38]  Les marques des deux parties ne sont pas fortement distinctives. Elles présentent un degré de ressemblance limité, même si elles diffèrent à d’importants égards. Bien que la marque « TireLink » puisse avoir acquis un caractère distinctif plus important au Canada que les marques « Icelink » et « Snowlink », je conclus que le facteur le plus pertinent en l’espèce tient au fait que la marque « TireLink » est principalement liée à des services, alors que les marques « Icelink » et « Snowlink » sont liées à des produits, et que les produits ou les services que désignent ces marques sont distincts.

[39]  Somme toute, je conclus qu’il n’existe aucune probabilité de confusion entre les marques des parties.

B.  Caractère distinctif et motifs prévus à l’article 16

[40]  Comme la registraire a conclu qu’il existait une probabilité de confusion entre les marques des parties, elle a accueilli le motif d’opposition de Gestion Touchette en se fondant sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi. Par conséquent, elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur les autres motifs soulevés par Gestion Touchette, à savoir notamment que les marques de Triangle Tyre n’étaient pas distinctives (article 2 de la Loi) ou que Triangle Tyre n’était pas une personne admise à l’enregistrement (article 16 de la Loi).

[41]  La registraire n’a pas formulé de conclusion concernant ces motifs. Étant donné que Gestion Touchette ne s’est pas présentée devant moi afin de les faire valoir, il m’est inutile de les aborder. Ma conclusion selon laquelle il n’existe aucune probabilité de confusion est suffisante pour trancher le sort de l’appel.

[42]  Par conséquent, l’appel de la décision de la registraire est accueilli.


JUGEMENT rendu dans le dossier T-896-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est accueilli;

  2. La décision de la registraire concernant les marques de commerce « Snowlink » et « Icelink » est infirmée;

  3. Il est ordonné à la registraire de faire droit aux demandes d’enregistrement des marques « Snowlink » et « Icelink »;

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-896-18

INTITULÉ :

TRIANGLE TYRE CO., LTD. c GESTION ANDRÉ TOUCHETTE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVIRER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE juge GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

R. Scott MacKendrick

Tamara Céline Winegust

POUR La DEMANDEresse

TRIANGLE TYRE CO., LTD.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR La DEMANDEResse

TRIANGLE TYRE CO., LTD.

 

 

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