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Dossier : IMM-2616-18

Référence : 2019 CF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2019

En présence de madame la juge en chef adjointe

ENTRE :

ALI SUFYAN ANSAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  Ali Sufyan Ansar est un citoyen du Pakistan âgé de 30 ans. Il s’oppose à la décision d’un agent principal d’immigration, qui a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent a conclu que le demandeur n’avait aucune raison de craindre d’être persécuté pour des motifs énoncés dans la Convention et qu’il n’avait pas démontré qu’il serait personnellement exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Pakistan. La principale question en litige dans la présente demande concerne la conclusion de l’agent quant à l’insuffisance de la preuve.

II.  Les faits

[2]  En 2014, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada. Ses antécédents personnels sont vagues, étant donné qu’il a considérablement modifié son récit, tout au long du processus de demande d’asile devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. À son arrivée au Canada, il a déclaré avoir fui le Pakistan parce qu’il est un musulman chiite. Il a ensuite changé sa version des faits pour dire qu’il craignait d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle, après qu’il s’est engagé dans une relation homosexuelle en 2013, alors qu’il était marié et avait des enfants. Plus tard, il a affirmé qu’il avait réalisé qu’il était homosexuel pendant son enfance et qu’il avait eu une relation homosexuelle avec le fils du maire de son village en décembre 2011.

[3]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) modifié, daté du 8 septembre 2014, il prétend qu’en 2011, il s’est rendu au Royaume‑Uni, depuis le Pakistan, avec un visa d’étudiant et qu’il a présenté une demande d’asile sur le fondement de son orientation sexuelle, laquelle a été rejetée. Il a ensuite transité par la Belgique et est arrivé au Canada en mars 2014, avec un faux passeport britannique.

[4]  Au Canada, le demandeur a présenté une demande d’asile, alléguant qu’il serait persécuté, s’il était renvoyé au Pakistan, du fait qu’il est homosexuel. Le 14 octobre 2014, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande d’asile, au motif qu’il n’avait pas prouvé de façon crédible ses allégations, en raison des nombreuses contradictions et divergences observées dans ses différents exposés circonstanciés. La SPR a également conclu que les actes du demandeur dénotaient l’absence d’une crainte subjective de persécution.

[5]  Le 22 juin 2015, la Section d’appel des réfugiés (SAR) a confirmé la décision de la SPR, invoquant également comme motif les sérieux doutes soulevés quant à sa crédibilité. La demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR a été rejetée par la Cour.

[6]  En juillet 2016, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, dans laquelle il a formulé les mêmes allégations que celles contenues dans son formulaire FDA modifié, présenté à la SPR le 8 septembre 2014. Il a ajouté que s’il était renvoyé dans son village au Pakistan, il serait tué par les villageois, puisqu’il a été condamné à mort en raison de son homosexualité. Même ses amis et sa famille sont en danger. Il pourrait également être arrêté par la police et violé, n’importe où au Pakistan. Il a invoqué les mauvais conseils qu’il a reçus pour expliquer son manque de crédibilité; on lui aurait prétendument conseillé de mentir aux autorités canadiennes.

III.  La décision contestée

[7]  Tout comme la SPR et la SAR, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré de façon crédible qu’il craignait avec raison d’être persécuté. Les risques allégués dans la demande d’ERAR étaient les mêmes que ceux indiqués dans le formulaire FDA modifié, daté du 8 septembre 2014. De plus, l’agent a examiné les nouvelles allégations de risque suivantes liées aux facteurs énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) :

[traduction]

Sa famille et ses amis dans son village ne veulent toujours pas lui parler de peur d’être tués par le molvi et le numberdar du village.

Un premier rapport d’information (PRI) a été déposé contre lui en décembre 2015.

Une fatwa a été émise contre lui en janvier 2016, dans laquelle il a été reconnu coupable d’homosexualité et condamné à la lapidation.

Des affiches montrant son visage ont été apposées dans son village pour annoncer que sa tête était mise à prix.

En février 2016, le molvi et le numberdar du village et d’autres villageois ont attaqué les membres de sa famille chez eux.

Son ancien partenaire, Azhar Hussain, est décédé en 2013 et le père de ce dernier, le numberdar, lui reproche la mort de son fils et veut se venger en le tuant.

Le molvi et d’autres villageois veulent le lapider au nom de l’honneur et de l’islam.

Il sera arrêté et violé par la police, où qu’il aille au Pakistan.

[8]  L’agent a estimé que la preuve documentaire présentée à l’appui de ces allégations était antérieure à la décision de la SAR ou qu’elle était sensiblement semblable aux faits rapportés devant la SPR et la SAR.

[9]  En ce qui concerne la preuve à l’appui des allégations du demandeur qui n’est pas antérieure à la décision de la SAR, l’agent a conclu qu’elle se rapportait à des événements que la SPR et la SAR avaient déjà jugés non crédibles. Par conséquent, l’agent a jugé que la valeur probante de cette preuve était faible ou nulle.

[10]  Deux affidavits produits par des personnes qui connaissent bien le demandeur ont également été examinés par l’agent. L’auteur du premier affidavit a indiqué qu’il était au courant des relations homosexuelles du demandeur et a déclaré qu’une plainte avait été déposée contre ce dernier par la police, qu’une fatwa ordonnant sa mise à mort avait été émise et que des avis de recherche avaient été lancés contre lui. L’auteur du deuxième affidavit a décrit les rumeurs qui circulaient concernant la liaison du demandeur avec le fils du maire du village et le décès de ce fils, qui aurait été victime d’un meurtre d’honneur. Il a également expliqué que la famille du demandeur avait été attaquée à son domicile. L’auteur du deuxième affidavit était également au fait de la plainte de la police, de la fatwa et des avis de recherche.

[11]  Pourtant, il a été établi que les affidavits n’avaient qu’une faible valeur probante, étant donné qu’ils n’indiquaient pas comment les auteurs de ceux‑ci avaient été mis au fait des événements décrits, s’ils avaient obtenu de première main ou non l’information en question et comment ils avaient communiqué avec le demandeur. Ni l’un ni l’autre des auteurs n’a fourni de renseignements confirmant son identité ni expliqué pourquoi il était prêt à aider le demandeur. En outre, les auteurs des affidavits décrivent tous deux des événements survenus à la suite de ceux que la SPR et la SAR ont jugé n’avoir jamais eu lieu.

[12]  Le demandeur a également produit une lettre d’avis juridique rédigée par un avocat pakistanais, qui affirme connaître le demandeur. Selon l’avis juridique de ce dernier, compte tenu du rapport de police, de la fatwa et des avis de recherche, le demandeur serait en danger s’il retournait au Pakistan. L’avocat a ajouté que des accusations criminelles avaient été portées contre le demandeur. Encore là, l’agent n’a accordé que peu de poids à cette déclaration, attirant l’attention sur le fait que l’avocat n’avait pas expliqué comment il connaissait le demandeur et précisant qu’il ne possédait pas une connaissance de première main des événements. En outre, l’avis de l’avocat était fondé sur des documents dont la valeur probante avait déjà été jugée faible ou nulle, de même que sur des événements que la SPR et la SAR jugeaient non crédibles.

[13]  Le demandeur a également produit une lettre de son avocat, au Royaume‑Uni, de même qu’un questionnaire relatif à l’appel déposé en lien avec sa demande d’asile là‑bas, qui confirment que cette demande était fondée sur son orientation sexuelle. Comme la SAR avait déjà examiné cette lettre et conclu que celle‑ci ne dissipait pas les doutes soulevés quant à la crédibilité de la version des faits du demandeur, l’agent ne lui a accordé aucun poids.

[14]  Le demandeur prétend que depuis son arrivée au Canada, il a eu de nombreuses relations homosexuelles et est devenu membre de deux associations d’homosexuels. L’agent a conclu que cela n’était pas suffisant pour modifier les conclusions défavorables tirées par la SPR et la SAR quant à la crédibilité, et il n’a accordé aucun poids à ces allégations. De plus, cette preuve aurait pu être présentée à la SAR.

[15]  L’agent a également rejeté trois lettres présentées par des amis du demandeur à Montréal, qui attestaient de l’homosexualité de ce dernier et des difficultés qu’il a connues au Pakistan. Comme ses amis n’affirmaient pas posséder une connaissance de première main de ces événements et que la SAR a conclu que les documents produits par le demandeur n’avaient aucune valeur probante, l’agent ne leur a accordé aucun poids.

[16]  Enfin, le demandeur a présenté une preuve documentaire concernant le traitement défavorable réservé aux homosexuels au Pakistan. Cependant, comme l’agent a rejeté, selon la prépondérance des probabilités, les allégations du demandeur selon lesquelles il est homosexuel, il ne croyait pas que ce dernier serait exposé à un risque, s’il était renvoyé dans son pays, tel qu’il est énoncé aux articles 96 et 97 de la LIPR. Comme tous les risques allégués par le demandeur n’étaient que la continuation des allégations qu’il avait formulées à l’appui de sa demande d’asile, ils ont été jugés non crédibles.

IV.  Les questions en litige

[17]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

[18]  La jurisprudence de la Cour est partagée en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la première question en litige. Dans certains cas, la Cour a conclu que la norme appropriée est celle de la décision correcte, parce que la question de savoir si une audience est requise est une question d’équité procédurale (Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 11 et 13; Micolta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183, au paragraphe 13). Dans d’autres, elle a établi que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable, puisque la décision de tenir ou non une audience repose sur l’interprétation et l’application de la loi qui régit les activités de l’agent (Farah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1162, au paragraphe 7; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, aux paragraphes 10 à 17).

[19]  Le droit à une audience dans le cadre d’une demande d’ERAR n’est pas automatique. En fait, la tenue d’une audience est l’exception et non la norme. Pour tenir une audience, l’agent doit avoir conclu, d’après la preuve présentée, qu’il existe un motif valable de le faire. À mon avis, le demandeur n’est privé d’aucun des droits procéduraux existants lorsque l’agent conclut, d’après la preuve et selon la LIPR, qu’aucune audience n’est justifiée. Comme l’explique le juge Peter B. Annis dans la décision Mavhiko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1066, au paragraphe 19 :

[19]  En outre, il semblerait illogique, sur le plan de l’analyse, d’établir une distinction entre le pouvoir discrétionnaire que possède l’agent d’appliquer la norme de la décision correcte : 1) à l’égard de ce qui semble, à première vue, une question mixte de fait et de droit [à savoir si les nouveaux éléments de preuve soulèvent une question importante en matière de crédibilité, jouent un rôle important pour la prise de la décision et justifieraient qu’il soit fait droit à la demande] et, à supposer que ces éléments de preuve soient admis, 2) de tenir une audience pour décider s’il doit être fait droit à la demande d’ERAR en se fondant sur les mêmes trois critères, qui devront être examinés selon la norme de la décision raisonnable.

[20]  Par conséquent, la question de savoir si l’agent aurait dû accorder une audience est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[21]  Il est bien établi en droit que la norme de la décision raisonnable s’applique également à la deuxième question en litige (Belaroui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863, au paragraphe 10; Pararajasingham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1416, au paragraphe 21; Jainul Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474, aux paragraphes 9 et 10).

V.  Analyse

A.  L’agent d’ERAR aurait‑il dû tenir une audience?

[22]  L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR), énonce le critère à trois volets à prendre en considération pour décider si une audience est nécessaire. Ces trois facteurs sont cumulatifs (Ponniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 37) :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing – prescribed factors

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[23]  L’alinéa 167a) du RIPR exige que les éléments de preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur et qu’ils soient liés aux risques mentionnés à l’article 96 ou 97 de la LIPR. Cette exigence m’amène à formuler deux commentaires.

[24]  Premièrement, il est loisible à l’agent d’accorder peu de poids à la preuve documentaire présentée par le demandeur, sans qu’il s’agisse là d’une conclusion quant à la crédibilité (Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 26; Mosavat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647, au paragraphe 13). Si l’agent conclut que la preuve, même s’il la juge crédible, ne satisfait pas au fardeau de la preuve, il ne tranche alors pas l’affaire selon la question de la crédibilité, mais plutôt selon la suffisance des éléments de preuve. À l’inverse, si la preuve présentée satisfait au fardeau de la preuve, mais qu’elle est rejetée pour d’autres motifs, l’agent rend alors une décision quant à la crédibilité (Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 653, au paragraphe 17).

[25]  Deuxièmement, la crédibilité du demandeur même doit être mise en cause, et non celle de tiers qui peuvent avoir produit les éléments de preuve (Firdous c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1261, aux paragraphes 7 à 9; Borbon Marte c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 930, aux paragraphes 62 et 63; Palanivelu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1044, au paragraphe 21). Il est difficile de s’imaginer comment le demandeur aurait pu témoigner au sujet des déclarations d’une autre personne et en quoi cela aurait pu avoir une quelconque valeur pour l’agent (Haji, précitée, aux paragraphes 26 et 27; Sing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 361, au paragraphe 79).

[26]  Les deux autres volets du critère énoncé à l’article 167 exigent que les éléments de preuve présentés touchent au cœur même de la décision et soient suffisamment importants pour que, s’ils sont admis, la demande de protection soit accueillie. À mon avis, ces deux éléments sont étroitement liés aux facteurs de la « pertinence » et du « caractère substantiel » définis dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13.

[27]  En l’espèce, l’agent a accordé peu de poids, voire aucun, à l’ensemble des éléments de preuve qu’il a examinés et qui sont décrits aux pages 8 à 13 de ses motifs. Le demandeur soutient que l’agent ne pouvait pas en arriver à un tel constat sans tirer de conclusion quant à sa crédibilité sur la question de son homosexualité et que, par conséquent, une audience aurait dû être tenue.

[28]  Je suis d’accord pour dire que dans certains cas, une conclusion concernant l’insuffisance de la preuve peut constituer une conclusion déguisée en matière de crédibilité. En l’espèce, l’agent accorde peu de poids aux éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’ERAR, soit parce que ceux‑ci n’ont pas été corroborés, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment détaillés ou parce qu’ils étaient insuffisants pour réfuter les conclusions de la SPR et de la SAR quant à la crédibilité. L’absence d’éléments corroborants, plus particulièrement, est généralement un signe qu’il s’agit là d’une conclusion en matière de crédibilité.

[29]  Toutefois, en l’espèce, aucune conclusion quant à la crédibilité n’a été tirée à l’égard du demandeur. Dans la mesure où il peut être soutenu que tel est le cas, les conclusions en question concernent les documents présentés à l’appui de la demande d’ERAR, qui ne proviennent pas du demandeur. Ces documents décrivent des événements à l’égard desquels le demandeur ne possède pas une connaissance de première main. Par conséquent, convoquer le demandeur à une audience n’aurait permis d’éliminer aucune des préoccupations soulevées concernant la crédibilité des renseignements contenus dans ces documents.

[30]  Enfin, l’alinéa 113b) de la LIPR établit clairement que la décision de tenir ou non une audience est discrétionnaire. Comme j’ai estimé que la tenue d’une audience n’aurait servi à rien dans la situation du demandeur, je conclus que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable.

B.  L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de la preuve présentée par le demandeur à l’appui de sa demande d’ERAR?

[31]  Ayant conclu qu’aucune audience n’était nécessaire, l’agent était néanmoins tenu d’évaluer, de manière raisonnable, tous les éléments de preuve présentés par le demandeur afin de déterminer si ce dernier était exposé ou non à l’un des risques décrits aux articles 96 et 97 de la LIPR.

[32]  D’abord, il est important de rappeler qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen des décisions rendues par la SPR et la SAR (Raza, précité, au paragraphe 12). Elle vise à évaluer les nouveaux risques depuis le rejet de la demande d’asile.

[33]  Afin d’atténuer le risque de multiplication inutile, voire abusive, des recours, l’alinéa 113a) de la LIPR impose certaines conditions à l’admission de nouveaux éléments de preuve (Raza, précité, aux paragraphes 12 et 13). Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale résume comme suit ces conditions :

1.  Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.  Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.  Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.  Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.  Conditions légales explicites :

a)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[34]  Bien que le demandeur prétende à l’existence de risques apparus après que la SPR et la SAR ont rendu leurs décisions, tous ces risques sont fondés sur des faits que la SPR et la SAR ont jugé non crédibles. Il était loisible au demandeur de présenter des éléments de preuve portant sur les risques déjà pris en considération par la SPR et la SAR. Cependant, pour obtenir gain de cause, il devait fournir de nouveaux éléments de preuve crédibles et pertinents, qui réfutaient les conclusions de la SPR et de la SAR, de sorte que sa demande d’asile aurait probablement été accordée si ces éléments de preuve avaient été portés à la connaissance de ces dernières. Dans le cadre de son évaluation, l’agent pouvait rejeter les éléments de preuve qui n’étaient pas sensiblement différents des faits constatés par la SPR (Raza, précité, aux paragraphes 13, 17 et 18).

[35]  L’agent d’ERAR a conclu que les éléments de preuve produits par le demandeur étaient insuffisants pour s’acquitter de ce fardeau. À mon avis, cette conclusion est raisonnable puisque la SPR et la SAR en seraient probablement arrivées à la même conclusion, même si ces éléments de preuve leur avaient été présentés. Premièrement, ceux‑ci ne répondent pas à toutes les préoccupations relatives à la crédibilité soulevées à l’égard du témoignage du demandeur (Ponniah, précitée, au paragraphe 40). Deuxièmement, la SAR n’a attribué aucune valeur probante à la preuve documentaire attestant l’homosexualité du demandeur, en raison des questions graves de crédibilité soulevées à l’égard de son témoignage et du grand nombre de documents frauduleux au Pakistan :

[29] Étant donné que l’appelant n’est pas crédible, la SAR n’accorde aucune valeur probante aux nombreux documents qu’il a présentés, lesquels proviennent d’amis et de partenaires, pour attester son homosexualité. En ce qui concerne le document présenté qui montre que son ancien partenaire aurait été victime d’un meurtre d’honneur, la SAR ne lui accorde pas non plus de valeur probante. La preuve documentaire sur le Pakistan révèle que le niveau de corruption est élevé dans ce pays et qu’il est possible d’obtenir de nombreux types de documents frauduleux ou de documents qui sont authentifiés de façon frauduleuse par un timbre ou une autorité véritable. L’appelant a prouvé qu’il avait été capable d’obtenir un passeport frauduleux pour venir au Canada, et sa crédibilité a été mise en doute par le fait qu’il n’a pas cessé de modifier son récit. La SAR conclut que les allégations d’homosexualité de l’appelant ne sont pas crédibles et confirme la décision de la SPR.

[36]  L’agent a néanmoins procédé à sa propre appréciation de la preuve et a relevé plusieurs lacunes dans les documents présentés, ce qui l’a amené à conclure que ceux‑ci n’étaient pas suffisamment détaillés et dignes de foi pour lui permettre d’infirmer les décisions de la SPR et de la SAR quant à la crédibilité.

[37]  De plus, tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande d’ERAR font suite aux événements qui ont déjà été jugés non crédibles par la SPR et la SAR. Comme l’a affirmé le juge Richard Mosley, « ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment » (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 22). À ce titre, l’agent a conclu, à juste raison, que les risques allégués dans la demande d’ERAR n’étaient pas sensiblement différents de ceux allégués devant la SPR et la SAR (Micolta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183, aux paragraphes 17 à 20; Kulanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, aux paragraphes 32 et 33; Ponniah, précitée, aux paragraphes 31 à 34).

VI.  Conclusion

[38]  L’agent d’ERAR a conclu, à juste titre, qu’aucune audience n’était nécessaire aux termes de l’article 167 du RIPR. En outre, il n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve présentée par le demandeur et a conclu, avec raison, que ce dernier n’avait pas présenté de faits nouveaux et pertinents, sensiblement différents de ceux constatés par la SPR et la SAR, qui l’auraient amené à conclure que le demandeur serait exposé à un risque quelconque en cas de renvoi tel qu’il est énoncé aux articles 96 et 97 de la LIPR.

[39]  La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.

[40]  Enfin, à la demande du défendeur, l’intitulé est modifié afin de supprimer le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur.




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