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Date : 20190215


Dossier : IMM‑2211‑18

Référence : 2019 CF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SIDATH LUCKY PELZING BATUWITA LIYANAGE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision défavorable relative à un examen des risques avant renvoi (« ERAR »), datée du 26 mars 2018, par laquelle un agent principal (l’« agent ») a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il y avait lieu de rejeter la présente demande.

Le contexte

[3]  Le demandeur, citoyen du Sri Lanka, prétend que sa famille et lui ont été victimes de persécution aux mains de la police sri‑lankaise, parce que celle‑ci soupçonnait que la famille, qui est cinghalaise, aidait les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les « TLET ») ou y était associée. Le demandeur est arrivé au Canada le 30 novembre 2011 et a demandé l’asile le 8 décembre 2011.

[4]  Par une décision datée du 25 avril 2013, la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que ce dernier manquait de crédibilité de façon générale et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir que, s’il retournait au Sri Lanka, il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou qu’il serait plus probable que le contraire qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture. Il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision défavorable de la SPR, demande que la Cour a rejetée le 16 février 2015.

[5]  Par la suite, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, laquelle a été rejetée le 22 avril 2015. Il a ensuite déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision défavorable relative à l’ERAR. La Cour a accordé l’autorisation demandée, et l’affaire a été renvoyée, sur consentement, à un agent différent pour nouvelle décision.

[6]  La nouvelle décision d’ERAR a elle aussi été défavorable, et c’est sur cette dernière que porte le présent contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[7]  L’agent a décrit le rôle de l’ERAR et a fait remarquer que le demandeur continuait à soutenir que le risque qui l’avait amené à fuir le Sri Lanka était toujours présent et, de plus, qu’il pouvait maintenant déposer une demande d’asile sur place à titre d’éventuel demandeur d’asile débouté et rapatrié du Canada, un pays où vit une vaste population de Tamouls sri‑lankais.

[8]  L’agent a pris en compte les éléments de preuve que le demandeur a présentés à l’appui de sa demande d’ERAR dans le but de déterminer si ces éléments étaient « nouveaux » au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR et s’ils étaient suffisants pour réfuter les conclusions de la SPR. Il a fait part de ses doutes au sujet de ces nouveaux éléments de preuve et il a également conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve objective suffisante pour qu’il puisse tirer une conclusion différente de celle de la SPR. Il a également pris en compte deux affidavits du demandeur, mais il a exprimé des doutes au sujet de ces éléments ainsi que d’un manque de preuve documentaire objective et corroborante. L’agent a en fin de compte décidé que les documents étaient tous liés à des allégations de risque que la SPR avait examinées antérieurement et que la preuve n’établissait pas que le demandeur s’exposerait à un risque nouveau, différent ou additionnel.

[9]  L’agent a ensuite examiné la situation dans le pays, en passant en revue les éléments de preuve objectifs que le demandeur avait présentés ainsi que d’autres éléments qu’il avait obtenus dans le cadre de ses propres recherches. L’agent a conclu qu’au Sri Lanka, la situation n’était pas parfaite, mais qu’il y avait eu des améliorations depuis la fin de la guerre civile. En outre, l’agent a conclu que la situation dans ce pays était semblable, au moment de rendre sa décision, à celle qui existait avant que la SPR rende la sienne. Le contenu de ces documents n’établissait pas qu’il existait un risque nouveau, différent ou additionnel qu’on n’aurait pas pu prendre en considération au moment où la SPR avait rendu sa décision. Il n’y avait pas non plus de preuve d’un nouveau risque qui serait propre au demandeur. Quant à la demande d’asile sur place du demandeur, l’agent a déclaré qu’il avait tenu compte des éléments de preuve relatifs aux demandeurs d’asile déboutés, de la situation particulière du demandeur ainsi que des profils de risque énoncés dans les Principes directeurs du HCR. Le demandeur n’avait toutefois pas fourni une preuve documentaire nouvelle, objective et suffisante pour démontrer qu’il courrait un risque à titre de demandeur d’asile débouté ou de rapatrié s’il retournait au Sri Lanka ou pour donner à penser que, depuis qu’il avait fui le Sri Lanka, les autorités de ce pays avaient une raison quelconque de croire qu’il était un sympathisant des TLET.

La question en litige et la norme de contrôle

[10]  Le demandeur décrit la question à trancher en l’espèce de la manière suivante : si l’agent [traduction« a procédé à une évaluation relative à l’ERAR dépourvue de sens, étant donné que la situation dans le pays a été appréciée de façon hautement sélective et que des lettres de soutien ont été rejetées déraisonnablement, au motif que leurs auteurs n’étaient pas des personnes désintéressées par rapport au demandeur ». Cependant, je conviens avec le défendeur que la bonne manière de formuler la question en litige est la suivante : si l’appréciation que l’agent a faite de la preuve et, par conséquent, sa décision sont raisonnables. Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

Analyse

[11]  Le demandeur soutient que l’agent a apprécié de manière déraisonnable ses nouveaux éléments de preuve, par exemple en en rejetant une bonne partie en raison du fait que leurs auteurs lui étaient étroitement liés. Le demandeur soutient également que l’agent a agi de manière déraisonnable en exigeant une preuve corroborante à l’appui des nouveaux éléments de preuve et des allégations formulées dans ses affidavits.

[12]  En outre, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur relativement à la demande d’asile sur place. Bien que le demandeur n’ait pris part d’aucune manière aux activités antigouvernementales de Sri‑lankais au Canada, l’agent a fait abstraction de la preuve documentaire selon laquelle le simple fait que l’État soupçonne l’existence de liens avec les TLET est suffisant pour soumettre les rapatriés à de la persécution. À cet égard, le demandeur allègue que l’agent a fait preuve de sélectivité dans les éléments de preuve qu’il a pris en compte à partir de la documentation objective portant sur la situation dans le pays. Le demandeur fait valoir qu’il y avait dans le dossier une abondance de sources objectives qui dénotaient clairement que les personnes ayant un profil semblable au sien, soit celui d’un demandeur d’asile débouté entretenant des liens suspectés avec les TLET et retournant dans son pays, sont souvent exposées au risque de torture lorsqu’elles sont placées sous la garde de la police dès leur retour au Sri Lanka. À cet égard, l’agent n’a pas procédé à une analyse réelle ou sérieuse du risque que le demandeur courait à ce moment‑là, en particulier, selon les détails se trouvant dans ses deux affidavits. Le demandeur affirme que son profil personnel a changé depuis 2013 et que l’agent a commis une erreur de droit en [traduction« excluant des aspects » de son profil de 2018 et en concluant que les éléments restants avaient été révélés en 2013.

[13]  Le demandeur formule diverses autres observations, dont celle que l’agent a commis une erreur en important des conclusions relatives à la crédibilité que la SPR avait tirées cinq ans avant l’analyse relative à l’ERAR. Il fait valoir que, si l’agent voulait se fonder sur ces mêmes conclusions, il se trouvait dans l’obligation de tenir une audience. En outre, soutient‑il, l’agent a appliqué un mauvais critère juridique en déclarant que le demandeur n’avait pas démontré le risque qu’il courait selon la prépondérance des probabilités, alors que le critère réel consistait à savoir s’il existait plus qu’une simple possibilité ou un risque sérieux de persécution.

La crédibilité

[14]  Comme point de départ, selon moi, les motifs de l’agent montrent que celui‑ci a bien saisi l’objet de l’ERAR et l’effet qu’avait la décision de la SPR sur l’analyse qu’il était tenu d’effectuer. À cet égard, l’agent a déclaré que la décision de la SPR à propos de la question de la protection au sens de l’article 96 ou 97 de la LIPR est définitive, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve montrent que le demandeur serait exposé à un risque nouveau, différent ou additionnel que la SPR n’aurait pas pu prendre en compte au moment où elle a rendu sa décision. Cela concorde avec la jurisprudence de la Cour, y compris le résumé du juge Shore dans la décision Chirivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1114 :

[35]  Il importe de rappeler qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile (Nebie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 701 [Nebie]; Raza, ci‑dessus au para 12). L’objet de l’ERAR est d’évaluer les nouveaux risques pouvant apparaître entre la date d’audience devant la SPR et la date du renvoi afin d’éviter que la personne ne soit renvoyée dans un pays où elle risquerait de faire face à des risques prévus aux articles 96 et 97 (Raza, ci‑dessus au para 10; Kulanayagam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 101 au para 23). Ainsi, la décision de la SPR quant aux articles 96 et 97 de la LIPR a acquis le caractère de la chose jugée, « sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision » (Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379 au para 5).

[15]  Dans le même ordre d’idées, et avant d’examiner la manière dont l’agent a analysé les éléments de preuve, il est nécessaire aussi de traiter brièvement de l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a importé des doutes relatifs à la crédibilité qui avaient été soulevés dans la décision de la SPR, et ce, sans lui accorder une audience au cours de laquelle il aurait pu lui en faire part et lui donner une possibilité d’y répondre. Après avoir examiné les motifs de l’agent et leur structure, je ne suis pas convaincue que ce dernier a importé les conclusions que la SPR avait tirées quant à la crédibilité. Il a décrit et cité divers paragraphes de la décision de la SPR, y compris les conclusions défavorables quant à la crédibilité, et il a déclaré qu’il incombait au demandeur de réfuter les conclusions de la SPR à l’aide d’éléments de preuve nouveaux et suffisants. Il a ensuite analysé chaque « nouvel » élément de preuve que le demandeur avait fourni. Rien dans cette analyse ne donne à penser que les doutes de la SPR quant à la crédibilité ont influencé les conclusions que l’agent a tirées en lien avec les nouveaux éléments de preuve produits. Ce dernier a, au contraire, accordé peu ou pas de poids à ces éléments pour les motifs qu’il a énoncés, et ces éléments ne l’ont pas convaincu que le risque allégué par le demandeur avait changé depuis l’audience de la SPR. En bref, l’argument du demandeur selon lequel l’agent avait « importé » à tort les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité n’est pas fondé.

L’appréciation de la preuve

[16]  Le demandeur prétend aussi que l’agent a fait abstraction de manière déraisonnable des éléments de preuve émanant des membres de sa famille juste à cause de leur source. Il est vrai que l’agent a fait remarquer que l’on pouvait s’attendre à ce que la mère et l’épouse du demandeur, en tant que membres de sa famille, aient un intérêt dans l’issue de sa demande d’asile et que, de ce fait, elles ne seraient pas impartiales. Et bien que les décideurs puissent prendre en compte l’intérêt personnel d’un individu en tant que facteur pertinent au moment d’apprécier de telles déclarations, la Cour a souvent conclu que l’on commet une erreur susceptible de contrôle en écartant entièrement une preuve de cette nature au seul motif qu’elle est intéressée (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au paragraphe 44). Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce, comme l’illustre la manière dont l’agent a traité les deux documents en question.

[17]  Le premier de ces documents est l’affidavit de l’épouse du demandeur, qui déclare que celui‑ci a été injustement ciblé par la Division des enquêtes sur le terrorisme (la « DET ») et avait reçu l’ordre de se présenter au bureau de la DET le 11 août 2014. Elle déclare qu’il est devenu victime du mécanisme antiterroriste étatique, juste parce qu’il a des amis tamouls et que sa vie sera en danger s’il revient au pays. Craignant les autorités, elle prétend avoir trouvé refuge chez des parents.

[18]  Dans son analyse, l’agent a fait remarquer que l’épouse du demandeur avait un intérêt à l’égard de l’issue de la demande d’asile de ce dernier. En outre, il a fait observer que la SPR s’était penchée sur la question d’être injustement pris pour cible et qu’il ne s’agissait pas d’une affaire nouvelle, et aucune explication n’a non plus été fournie quant à savoir pourquoi l’épouse n’avait pas soumis à la SPR un document semblable. En outre, l’agent a fait remarquer qu’aucune preuve corroborante n’avait été présentée pour étayer les prétentions faites dans cet affidavit, comme une déclaration des membres de la famille de l’épouse auprès desquels celle‑ci avait trouvé refuge. Par conséquent, l’agent n’a accordé aucun poids à l’affidavit.

[19]  Je fais observer en passant qu’il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’exiger une corroboration, étant donné que le demandeur avait le fardeau de réfuter les conclusions de la SPR, qui avait examiné les mêmes allégations de risque. Dans ce contexte, il était loisible à l’agent de conclure que la preuve émanant d’un témoin ayant un intérêt personnel dans l’affaire ne répondait pas, sans autre corroboration, au fardeau de preuve dont le demandeur devait s’acquitter (Perampalam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 909, aux paragraphes 43 à 45, citant Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27).

[20]  La seconde lettre vient de la mère du demandeur; celle‑ci déclare que, malgré le fait que la guerre est terminée, les agents de sécurité n’ont jamais cessé de rechercher son fils et que des agents de police avaient l’habitude de se présenter chez elle pour poser des questions à son sujet. Elle déclare qu’elle ne comprend pas quel était l’objet de ces visites. Dans son analyse, l’agent a signalé une fois de plus que la mère du demandeur avait un intérêt dans l’affaire et il a également conclu que la lettre était pertinente, mais qu’elle manquait de détails pour corroborer des faits passés ou des dangers existants, et qu’elle était vague en termes de dates et d’informations. L’agent a conclu qu’il ne fallait accorder aucun poids à cette lettre.

[21]  C’est donc dire qu’au lieu d’écarter simplement les lettres, parce qu’elles venaient de personnes non désintéressées, comme le prétend le demandeur, l’agent a examiné chacun des éléments de preuve et a également conclu qu’ils manquaient de corroboration, qu’ils étaient vagues ou qu’ils traitaient de questions qui n’étaient pas « nouvelles » et qui n’étaient pas suffisantes pour réfuter les conclusions de la SPR. Pour toutes ces raisons, l’agent n’a accordé aucun poids à cette preuve. À cet égard, la situation diffère de celle dont il est question dans les affaires que le demandeur a citées, comme Abusaniniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234, renvoyant à Cruz Ugalde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 458, au paragraphe 28 (voir aussi Nagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 313, au paragraphe 24), et, selon moi, il était raisonnablement loisible à l’agent d’apprécier cette preuve comme il l’a fait.

[22]  Quant aux autres éléments de preuve que le demandeur a présentés, l’agent a aussi apprécié ces documents de manière raisonnable.

[23]  En ce qui concerne la lettre du Dr Wijesekara, l’auteur se décrit lui‑même comme ayant soigné l’épouse du demandeur, et il déclare que celle‑ci présente des symptômes de dépression que peut aggraver sa crainte que l’on mette en détention le demandeur à son retour au Sri Lanka et qu’elle estime que le retour du demandeur pourrait mettre sa vie en danger. L’agent a conclu que la lettre ne présente pas de motif ou d’opinion quant au fait de savoir si le demandeur sera exposé à un risque s’il retourne au Sri Lanka. Cette lettre dit simplement que l’épouse du demandeur craint que ce dernier soit exposé à un risque s’il revient au pays. Par conséquent, l’agent ne lui a accordé aucun poids.

[24]  Quant à la lettre non datée d’A.A. Senevirathne, un avocat dont l’épouse du demandeur a retenu les services, elle déclare que cet avocat a communiqué avec la police et a posé des questions au sujet du demandeur. On l’a informé que ce dernier avait été arrêté par les autorités au titre de la Loi sur la prévention du terrorisme et qu’il avait été détenu et interrogé plus d’une fois. En outre, le demandeur avait été cité à comparaître devant la DET le 11 août 2014, et le fait de ne pas avoir obtempéré avait donné lieu à la délivrance d’un mandat d’arrestation, que la police a refusé de fournir à l’avocat. Il explique ensuite que de nombreuses personnes expulsées au Sri Lanka ont été enlevées et ont disparu, et que le demandeur est exposé au même risque. Il déclare que le retour du demandeur, qui est sous le coup d’un mandat ouvert, est déconseillé et que cela le [traduction« soumettrait à un risque maximal d’emprisonnement et de torture ».

[25]  L’agent a fait remarquer que les arrestations ainsi que les détentions en question avaient toutes eu lieu avant que le demandeur fuie le Sri Lanka et que la SPR en avait tenu compte. En l’absence d’une explication quant à la raison pour laquelle on n’avait pas produit un document semblable à l’audience de la SPR, la lettre ne constituait pas un élément de preuve nouveau, comme l’autorise l’alinéa 113a) de la LIPR. En dépit de cette conclusion, l’agent a également considéré que l’avocat avait formulé une hypothèse quant au sort que connaîtrait le demandeur à son retour. En outre, malgré les dires de l’avocat, on n’avait pas fourni à l’agent une preuve objective suffisante pour indiquer que des personnes se trouvant dans une situation semblable, comme le père du demandeur, un demandeur d’asile débouté et expulsé antérieurement du Canada, avaient été enlevées ou menacées de disparition à leur retour, pas plus que la mère et l’épouse du demandeur, qui ont toujours vécu au Sri Lanka, n’ont été enlevées ou menacées de disparition en tant que membres de la famille d’un sympathisant recherché des TLET. L’agent a donc conclu que la lettre n’était pas suffisante pour réfuter les conclusions de la SPR et que le demandeur n’avait pas fourni une preuve objective suffisante pour établir que la perception que les autorités avaient de lui avait changé depuis l’audience de la SPR, de sorte qu’il était probable qu’en cas de retour au Sri Lanka, il serait exposé à un traitement plus sévère. L’agent n’a donc accordé aucun poids à la lettre.

[26]  Pour ce qui est de la citation à comparaître devant la DET, laquelle est datée du 1er août 2014, ce document indique que le demandeur est soupçonné d’association avec des membres des TLET et lui intime l’ordre de se présenter devant la DET pour faire une déclaration, à défaut de quoi un mandat d’arrestation sera délivré contre lui. L’agent a fait remarquer qu’il ressortait de la preuve documentaire que l’agent de police qui avait délivré le mandat avait été arrêté par la suite; en outre, le demandeur n’avait pas expliqué de quelle manière il était entré en possession de la citation à comparaître, et le document suscitait les mêmes doutes qu’avait l’agent à propos de la lettre de l’avocat. L’agent n’a donc accordé aucun poids à ce document.

[27]  Quant aux deux affidavits du demandeur, le premier des deux, daté du 11 mai 2016, mentionne que le demandeur continue de craindre de retourner au Sri Lanka, parce que cet État soupçonne qu’il appuie les TLET ou qu’il entretient des liens avec eux. Le demandeur déclare que son épouse lui a dit que des agents de la DET s’étaient présentés au domicile de ses parents pour se renseigner sur lui et qu’ils leur avaient dit que, s’il revenait au pays, il devait se présenter à un poste de police local. On l’a informé aussi que son épouse vivait cachée chez des membres de sa famille. Il déclare qu’elle avait communiqué à plusieurs reprises avec la Commission des droits de la personne du Sri Lanka (la « CDPSL ») depuis 2014, y compris après la visite des agents de la DET, et que la CDPSL avait déclaré qu’elle ferait enquête et qu’elle lui enverrait une lettre dans les 30 jours suivants. Cette lettre n’avait pas été reçue à l’époque où l’affidavit avait été souscrit, mais le demandeur avait déclaré qu’il allait tenter de l’obtenir et de la transmettre. Il craint d’être interpellé et contrôlé à l’aéroport sri‑lankais et que les autorités locales le soupçonneraient d’avoir travaillé avec des Tamouls ou les TLET au Canada.

[28]  Le second affidavit, daté du 28 novembre 2016, mentionne que l’épouse du demandeur a quitté le domicile de ses cousins, puisque la DET et/ou la police continuaient de la chercher et de poser des questions à son sujet, et qu’elle vivait maintenant chez sa tante. Le demandeur a déclaré que des agents de la DET étaient retournés au domicile de ses parents en juin et en août 2016, qu’ils avaient posé des questions sur lui et sur son épouse et qu’ils avaient remis à sa mère une lettre donnant instruction à son épouse de se présenter à un interrogatoire, ce qu’elle n’avait pas fait. À cause de ces visites de la DET, le père du demandeur s’est réfugié à Singapour à la fin d’août 2016. Le demandeur déclare qu’il a demandé à son épouse et à sa mère d’écrire des lettres attestant de ces faits et qu’il les transmettrait quand il les recevrait.

[29]  L’agent a pris en compte ces affidavits, mais il a signalé, notamment, qu’on ne lui avait fourni aucune preuve documentaire émanant de membres de la famille de l’épouse du demandeur; que le contenu des affidavits était vague quant aux visites des agents de la DET au domicile des parents du demandeur; que l’épouse du demandeur n’avait pas indiqué à quel moment elle s’était présentée à la CDPSL, mais qu’il s’était écoulé deux ans depuis la date de l’affidavit du demandeur, que rien n’avait été reçu de la CDPSL et qu’il n’existait aucune preuve corroborante au sujet de ses visites; que la lettre que la DET avait censément donnée à la mère du demandeur n’avait pas été fournie, pas plus que les lettres de l’épouse et de la mère du demandeur qu’il disait dans son affidavit avoir demandé; qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que les parents du demandeur avaient été arrêtés ou détenus en raison du fait que son épouse ne s’était pas présentée à la police ou que les parents du demandeur avaient été maltraités par les autorités depuis que son père avait été renvoyé au Sri Lanka ou depuis que le demandeur avait quitté ce pays, pas plus qu’il n’était clair pourquoi son père s’était enfui à Singapour.

[30]  En fin de compte, l’agent a accordé peu de poids aux affidavits du demandeur. Plus important encore, il a conclu que la preuve faisait état de la continuation du même risque que celui que la SPR avait évalué plus tôt et auquel le demandeur et sa famille faisaient face depuis 2001, à savoir que la DET et la police les soupçonnaient d’être des sympathisants des TLET, ce qui n’était pas un risque nouveau, différent ou additionnel. Ceci étant, bien que les faits décrits, comme les visites d’agents de la DET, étaient nouveaux, la nature du risque allégué pour le demandeur demeurait inchangée.

[31]  Bien que le demandeur ne souscrive pas à cette appréciation de la preuve ou au poids que l’agent y a accordé, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau, et je ne puis conclure que l’appréciation était déraisonnable. De plus, en tout état de cause, l’agent a conclu en définitive que cette preuve n’établissait pas l’existence d’un nouveau risque.

La situation dans le pays et la demande d’asile sur place

[32]  Pour ce qui est de la situation dans le pays et de la demande d’asile sur place, l’agent a pris en compte à la fois la preuve documentaire objective concernant la situation dans le pays et les deux affidavits que le demandeur avait produits.

[33]  L’agent a décrit les rapports relatifs à la situation dans le pays qu’il a pris en considération, dont un document du Home Office du R.‑U., intitulé « Country Policy and Information Note, Sri Lanka: Tamil separatism », version 5.0, juin 2017. Ce rapport indique, notamment que [traduction« contrairement au passé, les rapatriés qui entretenaient des liens avec les TLET peuvent réintégrer leur collectivité sans subir de mauvais traitements ». En outre, il signale que les anciens membres des TLET qui courent le plus de risques sont ceux qui constituent une menace, ou sont perçus comme tels, parce qu’ils ont joué, ou sont considérés comme ayant joué, un rôle important par rapport au séparatisme tamoul postérieur au conflit. Le « rôle important » fait référence aux personnes qui faisaient autrefois partie de la direction des TLET et/ou qui sont d’anciens membres soupçonnés d’avoir commis des actes terroristes ou des actes criminels graves pendant le conflit, ou qui ont fourni des armes ou des explosifs aux TLET. Le rapport indique aussi que le fait d’être un non‑Tamoul considéré comme soutenant des groupes séparatistes tamouls ou ayant des liens avec ces derniers n’expose pas une personne à plus ou moins de risques ni ne donne lieu à une crainte fondée de persécution ou de préjudice grave au Sri Lanka.

[34]  Il est vrai que ce même rapport fait également référence à des listes de personnes d’intérêt à [traduction« arrêter » et à [traduction« surveiller », mais ces listes concernent principalement des personnes qui ont quitté le pays illégalement, qui sont sous le coup d’un mandat d’arrestation toujours valide ou qui présentent un intérêt du fait de leurs activités séparatistes ou criminelles. Ceux qui sont inscrits sur la liste des personnes à surveiller ne risquent pas d’être détenus ou arrêtés, bien qu’on ait signalé que des Tamouls de retour au pays ont été détenus à des fins de contrôle. Détail important, le demandeur n’est pas d’origine tamoule et il a quitté le pays légalement en se servant de son propre passeport.

[35]  Le demandeur se fonde sur la décision de la Cour dans l’affaire Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, aux paragraphes 23 à 29, pour faire valoir que l’agent était tenu d’expliquer d’une certaine manière pourquoi il avait retenu certaines sections du rapport plutôt que d’autres. Cependant, dans l’affaire Jesuthasan, la Cour a reproché à l’agent d’avoir fait abstraction de documents relatifs à la situation dans le pays qui étaient objectifs et plus récents que ceux qu’il avait pris en compte et qui contredisaient directement ses conclusions. Il n’y a aucune allégation semblable en l’espèce.

[36]  Le demandeur soutient aussi que son profil a changé depuis que la SPR a rendu sa décision en 2013, en ce sens qu’il vit depuis plus longtemps au Canada, où réside une vaste diaspora tamoule sri‑lankaise, et que ce fait approfondit donc son profil de sympathisant des TLET. L’agent a toutefois signalé qu’on ne lui avait pas [traduction« fourni d’explications quant à la raison pour laquelle on n’aurait pas pu s’attendre raisonnablement dans les circonstances à ce que les craintes ou les risques susmentionnés aient été présentés à la SPR pour évaluation avant le rejet de la demande d’asile ». C’est‑à‑dire que la même préoccupation relative à la demande d’asile sur place aurait été en jeu quand le demandeur était présent au Canada depuis deux ans et que la SPR avait apprécié sa demande d’asile. À mon avis, en l’absence d’une preuve corroborant un changement de situation dans le pays qui dénotait un risque accru pour les rapatriés présentant le même profil que lui au cours de cette période de cinq ans, ou montrant qu’il avait eu des rapports quelconques avec des sympathisants des TLET au Canada, il n’y a rien de déraisonnable dans la manière dont l’agent a apprécié cet aspect. Et, comme il est mentionné dans le rapport du Home Office du R.‑U., ce dernier point à lui seul n’indique pas que le demandeur sera exposé à un préjudice.

Le critère juridique

[37]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant le critère de la « prépondérance des probabilités » plutôt que celui du « plus qu’une simple possibilité », ainsi qu’il est démontré à la page 23 de ses motifs. Le demandeur ne développe pas davantage ce point.

[38]  Il existe toutefois une distinction entre le fardeau de preuve qui est exigé pour établir les faits sur lesquels on se fonde dans une demande (prépondérance des probabilités) et celui qu’il convient d’appliquer pour apprécier si les faits exposent un demandeur d’asile au risque de persécution (plus qu’une simple possibilité) (Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, au paragraphe 8; Pararajasingham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1416, au paragraphe 49). Dans ses motifs, l’agent a appliqué le critère de la « prépondérance des probabilités » en faisant référence à son analyse de la preuve et à la norme de preuve à appliquer, et non au fardeau général dont le demandeur devait s’acquitter. En outre, le paragraphe contesté se trouve aux pages 22 et 23 des motifs; lu dans son contexte, il énonce ce qui suit :

[traduction]

J’ai pris en considération la preuve au sujet des demandeurs d’asile déboutés, de la situation particulière du demandeur ainsi que des profils de risque énoncés dans les Principes directeurs du HCR. Au vu de ces informations, je conclus que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve documentaire nouveaux, objectifs et suffisants pour démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il serait exposé à un risque en tant que demandeur d’asile débouté ou rapatrié s’il retournait au Sri Lanka. On ne m’a pas non plus fourni d’éléments de preuve objectifs suffisants pour donner à penser que, depuis qu’il s’est enfui du Sri Lanka, les autorités sri‑lankaises ont une raison quelconque de croire que le demandeur est un sympathisant des TLET.

En conclusion, compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve nouveaux pour me convaincre qu’il y a plus qu’une simple possibilité qu’il sera victime de persécution au Sri Lanka. […]

[39]  Je suis persuadée que l’agent a correctement compris et appliqué le bon fardeau de preuve aux questions qui lui étaient soumises.

[40]  En conclusion, la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et, par conséquent, la Cour n’interviendra pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2211‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens;

  3. qu’aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour d’avril 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2211‑18

INTITULÉ :

SIDATH LUCKY PELZING BATUWITA LIYANAGE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 15 février 2019

 

COMPARUTIONS :

Lal Handapangoda

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lal Handapangoda

Brampton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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